Dossier pédagogique Non de Klara

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Dossier pédagogique Non de Klara
DOSSIER PEDAGOGIQUE
Le Non de Klara
Dʼaprès le roman « Le Non de Klara » de Soazig Aaron
Distribution
Adaptation théâtrale : Soazig Aaron et Carole Drouelle
Mise en scène : Patricia Houyoux
Avec
Angélika: Isabelle Paternotte
Klara: Anaël Snoek
Scénographie : Chloé De Wolf et Joël Larouche
Eclairages : Nathalie Borlée
Costumes : Emmanuelle Froidebise
Gestuelle : Lilian Bruinsma
Construction décor : Marc Cocozza, Mathieu Regaert et Vincent Rutten
Régie : Gary De Beys
Direction technique : Jacques Magrofuoco
Une production de lʼAtelier Théâtre Jean Vilar.
Le roman est paru aux éditions Maurice Nadeau.
Dates : du 28 février au 2 mars 2012
Lieu : Théâtre Jean Vilar
Durée du spectacle : 1h25
Réservations : 0800/25 325
Contact écoles : Adrienne Gérard - 010/47.07.11 – [email protected]
Nʼoubliez pas de distribuer les tickets avant dʼarriver au Théâtre
Soyez présents au moins 15 minutes avant le début de la représentation,
le placement de tous les groupes ne peut se faire en 5 minutes !
N.B : - les places sont numérotées, nous insistons pour que chacun
occupe la place dont le numéro figure sur le billet.
- la salle est organisée avec un côté pair et impair (B5 nʼest pas à
côté de B6 mais de B7), tenez-en éventuellement compte lors de la
distribution des billets.
• En salle, nous demandons aux professeurs dʼavoir lʼamabilité de se
disperser dans leur groupe de manière à encadrer leurs élèves et à assurer le
bon déroulement de la représentation.
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•
I. La pièce et ses thématiques
Paris, août 1945. Klara, jeune femme juive allemande revient dʼAuschwitz, après vingt-neuf
mois dʼabsence. Angélika, sa belle-sœur et amie lʼaccueille. Dʼemblée, Klara refuse de revoir
sa fille de trois ans. Jour après jour, pendant un mois, Angélika écoute Klara et tente, en
rappelant leur passé et leur ancienne complicité, dʼamener son amie à reconnaître ce quʼelle
a vécu, à retrouver son enfant, à revenir dans la vie normale… Mais Klara, « comme un
champ de ruines », chargée de la mémoire de tous ceux qui ne sont pas revenus, se sentant
« morte à lʼintérieur » dit non à tout, pour préserver la vie autour dʼelle.
« Le Non de Klara » est un journal intime rédigé par Angélika. Au fur et à mesure des jours
qui passent, la belle-sœur de Klara relate son malaise face aux atrocités racontées par la
jeune rescapée des camps. Heureuse de retrouver son amie dans un premier temps,
Angélika réalise quʼà chaque histoire resurgie du passé, elle perd un peu plus Klara. Elle se
sent épuisée et exprime son souhait de voir Klara sʼen aller. Angélika se sent désemparée
de ne pas retrouver lʼamie quʼelle avait connue et usée de toute la haine qui lʼanime. Elle ne
comprend pas comment, face à pareille cruauté, Klara reste froide et impassible.
« Le NON de Klara », cʼest également le refus, le refus de vivre, de revivre normalement.
Klara a vécu dans les pires conditions pendant vingt-neuf mois. Comment une personne
peut-elle reprendre goût à la vie après tant dʼinjustice ? Dans les camps, il lui fallait voler et
tuer pour survivre. Désormais, elle doit se réadapter aux valeurs de la société de lʼaprèsguerre. Elle exclut radicalement toute forme dʼamitié depuis la mort de ses trois amies.
Physiquement, elle est profondément atteinte par son histoire. Elle sʼobstine à garder son
corps chétif et les cheveux très courts, rasés à la tondeuse comme « là-bas ». Elle sait que,
quoi quʼil arrive, elle gardera une trace indélébile de son passé, alors pourquoi tenter de vivre
comme tout le monde ?
Une autre difficulté sʼajoute à lʼavenir de Klara, celle de la garde de sa petite fille de trois ans,
Victoire. Elle refuse catégoriquement de voir la petite et ne souhaite pas quʼelle vive avec
une « malade ». Elle veut quʼelle sʼépanouisse comme une enfant « normale » avec des
parents qui lʼaiment et prennent soin dʼelle, comme lʼont si bien fait Alban et Angélika
pendant ces trois années. « A l'intérieur je ne suis que mort, j'ai un goût de mort, je pue la
mort, pour longtemps encore, peut-être pour toujours. Les enfants le sentent. Je ne veux pas
qu'elle renifle cette odeur qu'elle n'a pas encore eue dans le nez. »
Le « Non », exprime aussi le refus de sa langue maternelle. Klara prononce tous les noms
de camps en polonais pour éviter de devoir utiliser lʼallemand qui lui rappelle trop le régime
nazi.
Klara nʼa quʼune seule envie : fuir. Elle décide de partir en Amérique pour ouvrir un
laboratoire de photo et surtout changer de nom. Klara Schwarz-Adler est morte à Birkenau et
ne reviendra jamais en Europe. Ce dernier refus, celui de son nom, et au-delà, de son
identité, transparaît également dans le titre de la pièce.
II. Lʼauteur, Soazig Aaron
Soazig Aaron est née en 1949. Elle habite à Paris pendant quelques années où elle tient une
librairie. Elle publie son premier roman « Le Non de Klara » en 2002, récompensé par la
bourse Goncourt et par le prix Emmanuel-Roblès. Elle se retire alors en Bretagne où elle
écrit le livre « La Sentinelle tranquille sous la lune », publié en février 2010.
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III. Le metteur en scène, Patricia Houyoux
Depuis plus de quinze ans, Patricia Houyoux collabore régulièrement avec lʼAtelier Théâtre
Jean Vilar, que ce soit en tant que comédienne (Copenhague de Michael Frayn en
2001,Ornifle ou le courant dʼair, mis en scène par Armand Delcampe en 2003, ou Moi, je
crois pas mis en scène par Eric De Staercke cette saison) ou à la mise en scène (Mémoire
de deux jeunes mariées, créé en 1996).
Elle est également chargée de cours au Conservatoire royal de Bruxelles.
Note dʼintention du metteur en scène
Dans toute la littérature sur la Shoah, peu de textes traitent du retour des camps de la mort
et de la difficulté des rescapés à se réadapter au quotidien. « Le Non de Klara » de Soazig
Aaron est dʼabord un roman : une fiction et non un témoignage. Pourtant, la force du propos
et sa vérité historique en font un document incontournable par la résonance bouleversante
du récit de Klara, par la nécessité de rappeler lʼHistoire quand, un peu partout, on voit
refleurir antisémitisme et extrémismes politiques et religieux, par lʼaccomplissement du
« devoir de mémoire » dʼautant plus impérieux que les témoins directs disparaissent.
Aujourdʼhui, si les images véhiculées par les médias nous envahissent, elles nous donnent
accès à ce qui se passe dans le monde de manière quasi-immédiate. Alors que nous en
sommes frappés, parfois même choqués, notre faculté de réfléchir est trop souvent
anesthésiée par la violence et lʼobscénité de ces images. LʼArt en général et le théâtre en
particulier, créent une distance poétique salutaire qui nous permet dʼêtre au plus profond de
lʼempathie et de lʼémotion, mais dʼavoir aussi accès à notre faculté de questionner. La
théâtralité de cette œuvre (dont lʼadaptation à la scène a été réalisée par Carole Drouelle et
lʼauteur elle-même) sʼexprime dans la confrontation de deux points de vue : celui dʼAngélika
qui découvre avec effarement, dans les récits de Klara, une réalité impensable ; et celui de
Klara, chargée de colère et du refus dʼoublier, qui pose les questions essentielles du retour :
Comment assumer un passé quʼon a été forcé dʼoublier pour avoir la force de résister au
désespoir ? Comment renouer avec ceux qui nous étaient chers et qui ne peuvent
comprendre que ce quʼon a subi nous a changé à jamais ? Et enfin : Comment redevenir
humain quand, pour survivre, on a été forcé de nier son humanité ?
Angélika écoute et se heurte à sa propre limite dʼabsorption de lʼinacceptable, à son
impuissance et à son désarroi devant la douleur de lʼautre : Angélika retrouve Klara mais ne
la reconnaît pas.
Klara résiste à la souffrance par le témoignage : « Si lʼon ne croit pas les victimes alors tout
est permis aux bourreaux ».
Mon amour pour ce texte sʼest transformé en nécessité de le mettre en scène.
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IV. Les comédiennes
Isabelle Paternotte
Comédienne de talent, Isabelle Paternotte enchaîne les rôles depuis vingt-cinq ans. Elle a
travaillé avec – entre autres - André Debaar, Jean-Paul Landresse, Jean-Claude Idée, Eric
De Staercke, Adrian Brine.
Le Non de Klara est sa troisième création avec lʼAtelier Théâtre Jean Vilar, après Le Malade
imaginaire, dans une mise en scène dʼArmand Delcampe, en 1994 et Mémoire de deux
jeunes mariées, mis en scène par Patricia Houyoux, en 1996.
En 2010, Isabelle Paternotte signe sa première mise en scène avec le texte engagé Y a-t-il
des tigres au Congo ? de Bengt Ahlfors et Johan Bargum.
Anaël Snoek
Détentrice du Master en Art Dramatique et du Premier Prix de Déclamation du Conservatoire
royal de Bruxelles, la jeune comédienne a obtenu le Prix du Théâtre 2005-2006 en tant que
Meilleur Espoir féminin.
Anaël était Mia dans la création de Mon Petit Soldat de Polly Stenham. A côté du théâtre, la
jeune comédienne a tourné plusieurs courts et longs métrages pour le cinéma et la
télévision. Elle est aussi, à ses heures, coscénariste de bande dessinée, mannequin ou
photographe.
V. Les personnages
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Klara : personnage central de la pièce. Rescapée dʼAuschwitz. 23 ans, photographe.
Alban : frère de Klara.
Angélika : narratrice. Femme dʼAlban. Belle-sœur et amie de Klara.
Victoire : fille de Klara. Née en 1942. Vit chez Angélika et Alban.
Rainer : père de Victoire. A été fusillé par la Gestapo.
Agathe : amie de Klara. A nourri et sauvé Victoire lorsque Klara a été emmenée.
Antoine et Adeline : parents dʼAgathe.
Frédéric : mari dʼAgathe.
Adrien : frère dʼAgathe.
Lʼamie de Praha, lʼamie de Linz, lʼamie de Krakow : les trois amies de Klara à
Auschwitz. Respectivement photographe, étudiante en droit et sage-femme. Klara refuse
de les nommer par leurs prénoms.
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VI. Ligne du temps
Le récit débute le dimanche 29 juillet 1945. Klara est revenue depuis le jeudi précédent.
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Décembre 1941 : Klara se fait recenser.
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Juillet 1942 : Klara est emmenée. Elle restera 29 mois à Auschwitz.
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Juin 1944 : Rainer est fusillé.
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Novembre 1944 : Klara « adopte » Ulli, un petit garçon trouvé dans le camp.
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Hiver 1944 : les trois amies de Klara décèdent.
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Mars – juillet 1945 : Klara va à Cracovie, à Prague, Linz, Berlin et dans toute
lʼAllemagne.
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26 juillet 1945 : Angélika retrouve Klara. Elle était à Paris depuis une
semaine.
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6 août 1945 : bombe atomique sur Hiroshima.
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9 septembre 1945 : Klara part pour Londres.
VII. Lexique
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Lutétia : hôtel de luxe parisien de la rive gauche. Réquisitionné en juin 1940 par lʼarmée
allemande qui en fait le QG de son service de renseignement et de contre-espionnage. A
la Libération, le propriétaire doit prouver son engagement envers la Résistance en
mettant à sa disposition le Lutétia. Lʼhôtel accueille les déportés à leur retour des camps
et se transforme en centre dʼaccueil, vers lequel convergent les familles à la recherche
dʼinformations sur des proches déportés.
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Drancy (camp dʼinternement de Drancy) : principal camp de transit en région
parisienne. Pendant trois ans, site clé de la Shoah en France.
A partir du 20 août 1941, après la première vague dʼarrestations en région parisienne,
des Juifs y sont enfermés avant dʼêtre déportés vers des camps de concentration ou
dʼextermination. La majorité des convois partent vers Auschwitz. Les conditions de vie y
sont très difficiles.
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Auschwitz (Oswiecim en polonais) : camp de concentration et dʼextermination le plus
important de ce genre sous le régime nazi. Il était sous les ordres dʼHeinrich Himmler,
maître absolu de la SS et chef de toutes les polices allemandes. Auschwitz est
désormais un monument historique majeur du patrimoine mondial de lʼUNESCO.
•
Birkenau (Brzezinka en polonais) ou Auschwitz-Birkenau : deuxième camp de
concentration dʼAuschwitz et centre de mise à mort immédiate. Cʼest le camp qui
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comptait le plus grand nombre de prisonniers. Ouvert le 8 octobre 1941, il est conçu pour
appliquer la solution finale de la question juive : exterminer une majorité de Juifs
dʼEurope de façon systématique et programmée. 1,1 millions de personnes y ont laissé la
vie.
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Blockova : femme chef de bloc dans le camp.
•
Pazuzu : roi des démons du vent dans la mythologie mésopotamienne. Il est souvent
représenté dans un corps dʼhomme avec une tête de lion ou de chien. Il est doté dʼailes
et de griffes à la place des pieds. Avec sa main droite levée et la main gauche baissée
symbolisant la vie et la mort, la création et la destruction, il est porteur du mal.
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Commando : équipe de travail de camp. Le commando des terrassiers était le plus
épouvantable : on y mourait très vite dʼépuisement par le transport de sacs de ciment.
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Kapo : détenu responsable dʼun commando de travail. Il était, en général, choisi parmi
les prisonniers allemands de droit commun les plus violents et avait pour tâche
dʼencadrer les autres détenus. Le but étant de faire effectuer à ces kapos les basses
besognes - notamment la participation à lʼextermination de leurs semblables - et de
canaliser les rancœurs des détenus vers lʼun des leurs, plutôt que vers les vrais gardiens.
Certains kapos étaient plus brutaux que dʼautres avec les détenus.
•
Schnell : mot allemand qui signifie « vite ». Terme employé fréquemment par les SS
lorsquʼils conduisaient les Juifs au camp.
VIII. Les camps de concentration
Les camps pendant la guerre
Avec la Seconde Guerre mondiale, la population des camps sʼinternationalise (détenus
belges, français, polonais, hollandais, soviétiques…), et les conditions de survie sʼy
dégradent : les déportés sont de la main-dʼœuvre, des esclaves quʼil ne sʼagit même pas de
maintenir en vie. Après les interrogatoires et un séjour plus ou moins long en prison, ils
étaient transportés dans des wagons à bestiaux «prévus» pour 40 personnes mais où étaient
parfois entassées jusquʼà 100 personnes. Il y avait peu dʼair, les détenus étaient debout,
fatigués, sans eau, ni nourriture. Il y avait des morts sur lesquels les autres détenus
marchaient. A leur arrivée, les SS les accueillaient à coups de matraque. Les prisonniers
étaient débarrassés de toutes leurs affaires, déshabillés, rasés sur tout le corps, douchés,
habillés en guenilles sales et rapiécées ayant appartenu à dʼautres détenus avant eux ou qui
appartenaient à des déportés qui avaient été gazés dans les centres dʼextermination. Les
tenues rayées étaient destinées, surtout après 1943, aux commandos extérieurs ou pour les
transports de détenus, car le Reich manquait de textile. Les camps de concentration étaient
généralement entourés de deux lignes de barbelés : une ligne sans électricité et une ligne
dans laquelle passaient 20 000 volts. A lʼintérieur, il y avait une ligne peinte que les déportés
nʼavaient pas le droit de franchir sous peine dʼêtre tués par les SS postés sur les miradors.
Les camps étaient éclairés la nuit par des projecteurs de sorte quʼaucun endroit nʼétait à
lʼombre. Les détenus portaient un matricule et un triangle sur leur tenue : ils nʼavaient plus de
nom, plus dʼidentité, ils nʼétaient plus que des numéros. Les SS parlaient dʼeux en disant
«das Stuck» (le morceau, la pièce). Les matricules et les triangles nʼavaient pas pour seul
objectif le classement des déportés, cʼétait aussi une façon de montrer au nouveau détenu
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quʼil nʼexistait plus en tant quʼêtre humain. Les détenus étaient classés selon le code suivant
:
Etoile jaune : juifs
Etoile avec triangle rouge sur fond jaune : prisonniers politiques juifs
Etoile avec triangle bleu sur fond jaune : émigrés juifs
Etoile avec triangle noir sur fond jaune : juifs asociaux
Etoile avec triangle jaune sur fond blanc : juifs « honte de la race »
Triangle rose : homosexuels allemands
Triangle brun : tziganes
Triangle rouge : prisonniers politiques
Triangle bleu : émigrés
Triangle vert : prisonniers de droit commun
Triangle violet : témoins de Jéhovah
Triangle noir : prisonniers asociaux, dont lesbiennes
Lettre « A » dans un triangle noir : prisonniers formés au travail
Triangle rouge au-dessus dʼun rond noir : prisonniers politiques de la
compagnie disciplinaire
Il existait des nuances de couleur, des signes, des rayures, qui alourdissaient la symbolique
du prisonnier. Les initiales des pays étaient aussi inscrites sur les triangles : B pour les
Belges, F pour les Français, N pour les Néerlandais, S pour les Espagnols, etc. Les
prisonniers dangereux, enclins à sʼévader portaient une cible blanche et rouge dessinée sur
le dos et sur la poitrine. Tandis que les prisonniers «Nacht und Nebel», qui étaient
condamnés à disparaître dès leur arrestation, portaient les lettres NN peintes sur leur veste.
Les fous déambulaient avec un brassard ou un panneau portant lʼinscription «Blöd» (idiot).
Les SS veillaient à mélanger les prisonniers à lʼintérieur dʼun même camp pour créer des
hiérarchies au sein des détenus et les opposer entre eux. Les SS entraient peu dans les
camps. Les prisonniers de droit commun allemands, sortis des prisons, étaient donc les
détenus privilégiés qui gardaient les autres détenus : ces gardes sʼappelaient des Kapos. Ils
étaient mieux traités que les autres et étaient complices des SS pour maltraiter et tuer les
détenus. Dans les camps, certains détenus étaient privilégiés : les «Prominent».
Dossier pédagogique « Le nazisme et lʼorganisation concentrationnaire », Les Territoires de la Mémoire asbl,
Liège, 2004.
Camps dʼextermination ou centres de mise à mort
Les camps dʼextermination devraient plutôt sʼappeler centres de mise à mort afin dʼéviter
toute confusion avec les camps de concentration. Ces terminaux de chemins de fer, situés à
lʼécart des villes et villages pour ne pas attirer lʼattention, signifiaient la mort pour ceux qui
descendaient du train. Les prisonniers sont exécutés dans les chambres à gaz (par gaz
monoxyde de carbone ou par le Zyklon B). Ces camps, tous situés en Pologne, ont été
construits dans le cadre de «la solution finale de la question juive», cʼest-à-dire
lʼextermination des Juifs dʼEurope.
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On dénombre 4 centres de mise à mort (Chelmno, Belzec, Sobibor et Treblinka) qui
totalisèrent à eux seuls pas moins de 1.650.000 victimes. Ces camps furent fermés en 1943.
Il faut y ajouter Auschwitz-Birkenau et Majdanek-Lublin, camps mixtes (à la fois camp de
concentration et dʼextermination), qui furent responsables de la mort de 1.050.000
personnes.
Auschwitz-Birkenau fut le camp qui fonctionna le plus longtemps et qui eut le triste privilège
de recenser le plus grand nombre de victimes.
Les camps dʼextermination nazis différencient le régime nazi des autres régimes
concentrationnaires comme par exemple le régime stalinien (Goulag) et il serait
historiquement faux de les assimiler.
Daniel BOVY, De Aktion Reinhard à Zyklon B, Les Territoires de la Mémoire asbl, Liège 2004, p.4. in Dossier
pédagogique « Construire lʼAvenir », Les Territoires de la Mémoire asbl, Liège, 2007.
Auschwitz-Birkenau
Auschwitz est le plus grand camp de concentration et dʼextermination du Troisième Reich.
Situé dans le petit village de Brzezinka à trois kilomètres dʼAuschwitz en Pologne, le camp
dʼAuschwitz-Birkenau est une extension du camp souche. Il comptait quatre complexes de
chambres à gaz où mouraient les prisonniers. Ils étaient ensuite portés aux crématoires dans
lesquels ils étaient brûlés.
Source : wikipedia.org
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IX. Le devoir de mémoire
Pourquoi se rendre à Auschwitz ? Pourquoi sʼimposer et imposer un voyage au cœur
des vestiges de la plus grande usine de mort de lʼHistoire ? […] Lʼavenir proche, cʼest la
disparition physique des derniers rescapés de la déportation, lʼeffacement des ultimes
témoins. Cette situation de transition est un virage à haut risque, puisque son enjeu est tout
simplement le sort qui sera réservé au traitement du souvenir de cette catastrophe historique
qui a modifié notre perception du monde et de nous-mêmes. Alors comment faire pour que
cela reste vrai, pour que jamais les mythes et les falsifications ne diluent cette souffrance
infinie ?
[…] Il faut faire des nouvelles générations des passeurs de Mémoire, des témoins de
témoins, pour que se perpétue une once du souvenir.
Mais passeurs de quelle mémoire ? Celle dʼun événement dont la singularité
historique est incontestable. Premièrement parce que tout événement est singulier, et le
piège des analogies est à éviter. Deuxièmement, parce que la singularité dʼAuschwitz a
fissuré la raison comme aucun autre événement. La raison fut littéralement abolie à
Auschwitz, et lʼinstrument de compréhension du monde quʼelle constitue pour nous demeure
impuissant pour capturer cet événement, et, en définitive, le rendre pleinement intelligible.
Dire Auschwitz fut impossible pour les survivants, lʼexpliquer lʼest tout autant pour les
historiens. Parce que Auschwitz est le mariage plus que parfait de lʼirrationnel de la doctrine
nazie érigée en système performant, et de la technologie propre au XXe siècle, où des
concepts de gestion, de planification et dʼindustrialisation ont été appliqués dans un projet
froidement mis en œuvre dʼélimination physique totale de collectivités humaines tout
entières, et dont le non-aboutissement complet nʼa pour origine que la défaite militaire de
lʼAllemagne nazie.
Mais pourquoi enseigner et transmettre lʼhistoire si chaque événement est singulier,
ceux dʼhier comme ceux de demain, et si Auschwitz, dʼune certaine manière, est encore plus
singulier que les autres ? Parce que la prise de conscience de la singularité des événements
reste pertinente dans la formation des individus, dans la constitution de leur identité. Le mot
est lâché. Et cʼest très précisément ici le nœud du problème qui nous occupe, qui doit nous
faire envisager les sens à donner au terme de reconnaissance. On a coutume, à juste titre,
de distinguer la mémoire individuelle et la mémoire collective. Cette dernière repose sur la
nécessité de tout groupe humain de se constituer des références au passé pour forger son
identité, exprimée à travers ce que lʼon appelle des lieux de mémoire - et Auschwitz en est
un fameux - qui sont des lieux de reconnaissance, cʼest-à-dire où lʼindividu se reconnaît,
donc se retrouve.
Ces retrouvailles sont fondamentales dans la prise de conscience de soi, et donc
dans la capacité à répondre à de nouvelles expériences historiques singulières. Il sʼagit donc
moins, à travers Auschwitz, de reconnaître des événements analogues ou dʼanticiper des
catastrophes historiques, que de se connaître et donc dʼaffronter de nouveaux événements
et dʼêtre prêt à faire face à lʼavenir inconnu. Parce que, dans nos démocraties, nous sommes
tous des fils dʼAuschwitz, et nous ne serions pas les mêmes femmes ni les mêmes hommes,
pour peu que nous existions, si le projet Auschwitz avait connu son aboutissement. Et cʼest à
son interruption que nous devons ce que nous sommes. Ce simple constat est déjà une
justification suffisante pour se rendre à Auschwitz, et, cette fois-ci, en revenir.
Philippe Raxhon, Aide-Mémoire n° 27, janvier-mars 2004, Les Territoires de la Mémoire in Dossier pédagogique
« Construire lʼAvenir », Les Territoires de la Mémoire asbl, Liège, 2007.
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Témoignage dʼune rescapée dʼAuschwitz
Le matin à Auschwitz
Du bord de l'obscurité une voix criait « Aufstehen (1) ». De l'obscurité une voix en écho
criait « Stavache », et il y avait un remuement noir d'où chacune tirait ses membres. Nous
n'avions qu'à trouver nos chaussures pour sauter en bas. Sur celles qui ne surgissaient pas
assez vite des couvertures, la lanière sifflait et cinglait. La lanière, à la main de la stubhova
(2) debout dans l'allée, volait jusqu'au troisième étage, volait jusqu'au milieu des carrés,
fouettait les visages, les jambes endolories de sommeil. Quand tout remuait et bougeait,
quand les couvertures partout se secouaient et se pliaient, on entendait un bruit de métal qui
s'entrechoque, la vapeur brouillait le clignotement de la bougie au centre de l'obscurité, on
découvrait les bidons pour servir le thé. Et celles qui venaient d'entrer s'appuyaient au mur,
la respiration accélérée, aidant leur cœur de la main sur la poitrine. Elles revenaient des
cuisines qui étaient loin, loin quand on porte un bidon énorme dont les poignées tranchent
les paumes. Loin dans la neige, dans le verglas ou dans la boue où on avance de trois pas,
reculant de deux, avançant et reculant, tombant et se relevant et retombant sous la charge
trop lourde à des bras sans force. Lorsqu'elles ont repris haleine, elles disent : « II fait froid
ce matin, plus froid que cette nuit ». Elles disent « ce matin ». Il est pleine nuit, passé trois
heures à peine.
Le thé fume en odeur écœurante. Les stubhovas le servent chichement à nos soifs de
fièvre. Elles en gardent la plus grande part pour leur toilette. C'est la meilleure utilisation
qu'on en puisse faire, certes, et le désir nous vient de nous laver nous aussi dans une bonne
eau chaude. Nous ne nous sommes pas lavées depuis notre arrivée, pas même les mains à
l'eau froide. Nous prenons le thé dans nos gamelles qui sentent la soupe de la veille. Il n'y a
pas d'eau pour les gamelles non plus. Prendre son thé, c'est l'emporter de haute lutte, dans
une mêlée de coups de bâton, de coups de coude, de coups de poing, de hurlements.
Dévorées par la soif et la fièvre, nous tourbillonnons dans la mêlée. Nous buvons debout,
bousculées par celles qui craignent de n'être pas servies et par celles qui veulent sortir,
parce qu'elles doivent sortir tout de suite, dès qu'elles sont debout il faut qu'elles sortent tout
de suite. Le sifflet siffle le dernier coup. Alles raus. (3)
La porte est ouverte aux étoiles. Chaque matin il n'a jamais fait aussi froid. Chaque matin
on a l'impression que si on l'a supporté jusqu'ici, maintenant c'est trop, on ne peut plus. Au
seuil des étoiles on hésite, on voudrait reculer. Alors les bâtons, les lanières et les
hurlements se déchaînent. Les premières près de la porte sont projetées dans le froid. Du
fond du block (4), sous les bâtons, une poussée projette tout le monde dans le froid.
Dehors, c'est la terre à découvert, des tas de pierres, des tas de terre, autant d'obstacles
à contourner, des fossés à éviter, avec le verglas, la boue ou la neige et les excréments de
la nuit. Dehors, le froid saisit, saisit jusqu'aux os. Nous sommes transpercées de froid. En
lames glacées. Dehors, la nuit est claire de froid. Les ombres de lune sont bleues sur le
verglas ou sur la neige.
C'est l'appel. Tous les blocks rendent leurs ombres. Avec des mouvements gourds de
froid et de fatigue une foule titube vers la Lagerstrasse (5). La foule s'ordonne par rangs de
cinq dans une confusion de cris et de coups. Il faut longtemps pour que se rangent toutes
ces ombres qui perdent pied dans le verglas, dans la boue ou dans la neige, toutes ces
ombres qui se cherchent et se rapprochent pour être au vent glacé de moindre prise
possible.
Puis le silence s'établit.
Le cou dans les épaules, le thorax rentré, chacune met ses mains sous les bras de celle
qui est devant elle. Au premier rang, elles ne peuvent le faire, on les relaie. Dos contre
poitrine, nous nous tenons serrées, et tout en établissant ainsi pour toutes une même
circulation, un même réseau sanguin, nous sommes toutes glacées. Anéanties par le froid.
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Les pieds, qui restent extrémités lointaines et séparées, cessent d'exister. Les godasses
étaient encore mouillées de la neige ou de la boue d'hier, de tous les hiers. Elles ne sèchent
jamais.
Il faudra rester des heures immobiles dans le froid et dans le vent. Nous ne parlons pas.
Les paroles glacent sur nos lèvres. Le froid frappe de stupeur tout un peuple de femmes qui
restent debout immobiles. Dans la nuit. Dans le froid. Dans le vent.
Nous restons debout immobiles et l'admirable est que nous restions debout. Pourquoi ?
Personne ne pense « à quoi bon » ou bien ne le dit pas. A la limite de nos forces, nous
restons debout. [...]
C'est l'appel du matin. Le ciel se colore lentement à l'est. Une gerbe de flammes s'y
répand, des flammes glacées, et l'ombre qui noie nos ombres se dissout peu à peu et de ces
ombres se modèlent les visages. Tous ces visages sont violacés et livides, s'accentuent en
violacé et en livide à proportion de la clarté qui gagne le ciel et on distingue maintenant ceux
que la mort a touchés cette nuit, qu'elle enlèvera ce soir. Car la mort se peint sur le visage,
s'y plaque implacablement et il n'est pas besoin que nos regards se rencontrent pour que
nous comprenions toutes en regardant Suzanne Rose qu'elle va mourir, en regardant
Mounette qu'elle va mourir. La mort est marquée à la peau collée aux pommettes, à la peau
collée aux orbites, à la peau collée aux maxillaires. Et nous savons qu'il ne servirait à rien à
présent d'évoquer leur maison ou leur fils ou leur mère. Il est trop tard. Nous ne pouvons plus
rien pour elles.
L'ombre se dissout un peu plus. Les aboiements des chiens se rapprochent. Ce sont les
SS qui arrivent. Les blockovas crient « Silence !» dans leurs langues impossibles. Le froid
mord aux mains qui sortent de sous les bras. Quinze mille femmes se mettent au garde-àvous.
Les SS passent — grandes dans la pèlerine noire, les bottes, le haut capuchon noir. Elles
passent et comptent. Et cela dure longtemps.
Quand elles sont passées, chacune remet ses mains aux creux des aisselles de l'autre,
les toux jusque-là contenues s'exhalent et les blockovas crient « Silence! » [...]. Il faut
attendre encore, attendre le jour.
L'ombre se dissout. Le ciel s'embrase. On voit maintenant passer d'hallucinants cortèges.
[...] Ce sont les mortes de la nuit qu'on sort des revirs (6) pour les porter à la morgue. Elles
sont nues sur un brancard de branches grossièrement assemblées, un brancard trop court.
Les jambes — les tibias — pendent avec les pieds au bout, maigres et nus. La tête pend de
l'autre côté, osseuse et rasée. Une couverture en loques est jetée au milieu. Quatre
prisonnières tiennent chacune une poignée du brancard et c'est vrai qu'on s'en va les pieds
devant, c'était toujours dans ce sens-là qu'elles les portaient. Elles marchent péniblement
dans la neige ou dans la boue, vont jeter le cadavre sur le tas près du 25 (7), reviennent la
civière vide à peine moins lourde et passent de nouveau avec un autre cadavre. C'est tous
les jours leur travail de tout le jour.
Je les regarde passer et je me raidis. Tout à l'heure je cédais à la mort. A chaque aube, la
tentation. Quand passe la civière, je me raidis. Je veux mourir mais pas passer sur la petite
civière. Pas passer sur la petite civière avec les jambes qui pendent et la tête qui pend, nue
sous la couverture en loques. Je ne veux pas passer sur la petite civière.
La mort me rassure : je ne le sentirais pas. « Tu n'as pas peur du crématoire (8), alors
pourquoi? » [...]. La répugnance l'emporte. Je ne veux pas passer sur la petite civière.
[...]
L'ombre se dissout tout à fait. Il fait plus froid. [...] Le rouge du ciel s'éteint et tout le ciel
blêmit et au loin du ciel blême apparaissent les corbeaux qui fondent noirs sur le camp, en
vols épais. Nous attendons la fin de l'appel. Nous attendons la fin de l'appel pour partir au
travail.
Charlotte Delbo, rescapée dʼAuschwitz, Auschwitz et après, tome I, Aucun de nous ne reviendra, Editions de
Minuit, 1970.
11
NOTES :
(1) Aufstehen : "debout" en allemand
(2) Stubhova : chef de chambrée, déportée choisie par les SS pour faire régner l'ordre dans les
baraques.
(3) Alles raus : "tout le monde dehors", en allemand
(4) block : baraque du camp
(5) Lagerstrasse : "rue du camp", allée principale conduisant à la place d'appel.
(6) revir ou Revier : infirmerie du camp, en réalité plutôt un mouroir.
(7) Le 25 : le "block" 25.
(8) Le crématoire : le four crématoire où étaient brûlés les corps
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Pour aller plus loin…
« Le Non de Klara » est une histoire fictive qui aborde des thématiques réelles graves à
explorer en classe. En voici quelques-unes :
-
Comment retrouver une vie « normale » après Auschwitz ?
La condition de la femme allemande juive dans les camps pendant la Seconde Guerre
mondiale
Le refus de vivre
Le devoir de mémoire
Lʼabandon dʼun enfant
Les récits de vie (le journal intime)
… et se documenter davantage
- V. Guillaud, Shoah, rescapés des camps dʼextermination, Bayard Jeunesse, collection
« Jʼai vécu », 2004.
- P. Levi, A. Bravo, F. Cereja, Le devoir de mémoire, Mille et une nuits, 1997.
- P. Levi, Si cʼest un homme, Pocket, collection « Presses Pocket », 1988.
- E. Wiesel, La Nuit, Les Editions de Minuit, 2007.
- I. Grinspan, Jʼai pas pleuré, Pocket Jeunesse, collection « Pocket Jeunes Adultes », 2003.
- D. Bovy, Dictionnaire de la barbarie nazie et de la Shoah, Luc Pire, collection « Voix de la
mémoire », 2007.
- A. Grynberg, La Shoah : lʼimpossible oubli, Gallimard, 1995.
- Les dossiers pédagogiques (disponibles sur demande – 04/232 70 60) et le site internet de
lʼasbl Les Territoires de la Mémoire :
• www.territoires-memoire.be
• Dossier pédagogique « Le nazisme et lʼorganisation
concentrationnaire »
• Dossier pédagogique « Construire lʼavenir »
• Dossier pédagogique « Connaître le passé »
- Après les camps, la vie…, Documentaire écrit et réalisé par Virginie Linhart. Produit par
Cinétévé et INA. Avec la participation de France Télévisions - pôle France 2.
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