13 - Straat Galerie

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13 - Straat Galerie
Dossier de presse
« 13 »
Ken Sortais
26 août - 29 octobre 2016
Vernissage le jeudi 25 août de 18 h 30 à 22 h
Straat galerie, Marseille
Dans le cadre de la Rentrée de l’Art Contemporain
pendant Art-O-Rama, Foire International d’Art
Contemporain et Paréidolie, Salon International du
Dessin Contemporain.
Sans-titre. Ken Sortais. 2016.
Exposition personnelle
« 13 »
« 13 » est le titre de la résidence de Ken Sortais à Marseille en juillet-août
2016, et de l’exposition qui aura lieu à l’issue de celle-ci sur invitation de la
Straat galerie du 26 août au 29 octobre 2016.
Ce projet s’inscrit dans la continuité de « 93 », exposition présentée à la
Straat galerie en septembre 2014, où l’artiste se nourrit de son rapport
à la ville par appropriation de fragments d’espace public, prélevés par le
biais du moule et de l’empreinte.
« 13 »
Ken Sortais
26 août - 29 octobre 2016
Vernissage le jeudi 26 août de 18h30 à 22h
Straat galerie, Marseille
Dans le cadre de la Rentrée de l’Art Contemporain
pendant Art-O-Rama, Foire International d’Art Contemporain
et Paréidolie, Salon International du Dessin Contemporain.
La résidence et l’exposition de Ken Sortais bénéficient du soutien
de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
17 rue des Bergers 13006 Marseille
Tél. + 33 (0)6 98 22 10 85
[email protected]
www.straatgalerie.com
Ouvert du mercredi au vendredi
de 16 h à 19 h et le samedi de 11 h à 19 h
ou sur rendez-vous
La Straat galerie est membre du réseau Marseille Expos
Ken Sortais, oeuvre en cours, vue de résidence. Le Canet, Marseille. août 2016.
Ken Sortais, 13. détails. latex et acrylique. 2016.
Vues d’atelier, Hors-les-murs/HLM, Le Panier, Marseille. août 2016.
À propos
Ken Sortais
“Une visite au cimetière du Père-Lachaise à Paris ajoute une année de vie à ses
visiteurs et les pyramides d’Egypte dévisagent d’en haut le temps lui-même”. Si j’en
crois cette citation de J.G Ballard tirée de la foire aux atrocités (1969), mon récent
projet d’exposition “Sheta” (octobre 2015) m’aurait donc accordé plusieurs dizaines
d’années de vie supplémentaires. Car je travaille dans les cimetières, mais aussi autour
des églises, dans la rue et les parcs de Paris ou d’ailleurs, je recouvre et “empreinte”
la ville qui me défie de m’en approprier ses formes disponibles. Ma démarche
sculpturale actuelle n’est pas sans rappeler le musicien Marsyas qu’Apollon dépouilla
de sa peau puis suspendit à une branche ainsi transformée en outre animée. Je ne me
suis pas encore occupé d’Apollon mais je sais déjà où le trouver, qu’il reste sur ses
gardes. Néanmoins, ses comparses Pérsée, Atlas et Héracles figurent dans la liste non
exhaustive de mon tableau de chasse.
Le moulage furtif est illégal. Dans ce contexte, ma démarche s’articule en dehors
des lois reçues, des usages et des conventions. J’agis de jour comme de nuit. La cible
détermine la forme de l’action, le jeu est stratégique, je me fonds dans la masse, je ruse
aux aguets, je me déguise pour mieux duper, aiguise ma répartie en cas de mauvaises
surprises.
Ce temps de travail, performatif et théâtral, constitue la première étape dans la genèse
de mes œuvres. La deuxième étape concerne la mutation de la matière prélevée, dans
l’espace de l’atelier. D’expérimentation en sérendipité, je gonfle, j’étire, je moule et je
suspends, confronte et détourne les formes symboliques que je me suis attribuées.
Cette pratique sculpturale est associée à la peinture et à la photographie dans les
installations exacerbées que je propose. Mes œuvres cohabitent pour créer des fictions
imprégnées de mes références mythologiques, littéraires et cinématographiques,
restituant dans le même temps les fragments de mes expériences personnelles associés
à une vision plus globale de l’histoire. Un rite funéraire égyptien, la marche d’un saint
décapité, le langage alchimique des bas-reliefs d’une cathédrale ou l’incarnation du
démon dans une voiture de sport, les mises en scènes que je coordonne immerge le
spectateur dans des univers incertains mais familiers, maintenant une ambivalence
permanente entre le réel et l’illusion, le dit et le tacite, le visible et le caché.” KS
Ken SORTAIS
Né en 1983, vit et travaille en Seine-Saint-Denis.
www.kensortais.com
Curriculum Vitae
Ken Sortais
Né en 1983, Ken Sortais vit et travaille en Seine-Saint-Denis.
www.kensortais.com
Formation
École Nationale des Beaux–Arts de Paris,obtention du DNSEP, 2010
École des Beaux-Arts de Rouen, obtention du DNAP, 2006
Expositions personnelles
« 13 », Straat galerie, Marseille, 2016
« Âme prise », Under construction Gallery, Paris, 2016
« 93 », Straat galerie, Marseille, 2014
« Les pérégrinations de si atroce », Galerie Celal, Paris, 2014
« Biolensu », en collaboration avec Horfée dans le cadre du Lasco project, Palais de Tokyo, Paris, 2014
« Patagane », en collaboration avec Horfée, Sunset Résidence, Lyon, 2013
« Nos pensées vont toujours vers vous », en collaboration avec Guillaume Ginet, Sunset Résidence, Lyon, 2012
« Princes of Darkness » , Goldstein Gallery, Londres (GB), 2012
56e salon de Montrouge, La Fabrique, Montrouge, 2011
« Dernier tour », modules du Palais de Tokyo, Paris, 2011
Expositions collectives
« Inner Earth », une proposition du Syndicat Magnifique, 2016
« A City Without A Sound », organisée par Studiocur/art, Averard Hotel, Londres (GB), 2016
« VERTO », Organisé par Studiocur/art au 58 rue chapon, Paris, 2015
« The State of Mankind », Matthew Rosen Gallery, Berlin (DE), 2015
« Field Effects », Le Cap, Rencontres de la photographie, Arles, 2015
« Flexions/Extensions », Under construction Gallery, Paris, 2015
Biennale Internationale Design Saint-Étienne, « Tu nais, tuning, tu meurs », Musée d’Art et d’Industrie, 2015
« Autoconstruction », organisé par Le Chassis, Under construction Gallery, Paris, 2015
« Seine-Saint-Denis-Style », Cité des arts, atelier G8, Paris, 2015
« Mapping the City », Somerset House, Londres (GB), 2015
« Novembre à Vitry », Galerie Jean Collet, Vitry-sur-Seine, 2014
Collectif PAL, TOY, FRAC Nord-Pas-de-Calais, Dunkerque, 2014
Exposition pour le lancement #2 of journal « Dystopie », Doors Studio, Paris, 2013
« Old Boot, Further Adventures in Comic Abstraction », Silvex House, Londres (GB), 2013
Salon de la jeune création Européenne de Montrouge, «A mort » : prix du Conseil Général des Hauts de Seine, 2011
« Asbestos Curtain », Goldstein Gallery, Londres (GB), 2011
« Novembre à Vitry », Galerie 51, Vitry, 2007
Prix
Prix Asilo Bianco, The Others Art Fair (IT), 2015
Prix du Conseil Général des Hauts de Seine, Salon de la jeune création Européenne de Montrouge, 2011
Prix du Jury, Salon de la jeune création Européenne de Montrouge, 2007
Résidences
Straat galerie, Marseille, juillet-août 2016
Centre de création contemporain, Usine Utopik, Tessy-sur-Vire, 2015
Rockenberg jail, Francfort (DE), 2013
Foires
Art Paris Art Fair, Under construction Gallery, Paris, 2016
The Others Fair, Straat galerie, Turin (IT), 2015
La Confidentielle du YIA, Bastille Design Center, Paris, 2015
Poppositions, Straat galerie, Bruxelles (BE), 2015
YIA Art Fair La Confidentielle, Under construction Gallery, Paris, 2015
Texte & entretien (sélection)
« Ken Sortais - Envoutement dans le 93 », Le Nouvel esprit du Vandalisme, conversation avec Ken Sortais
et Océane Ragoucy, mars 2015
« RESILIO », Emma Cozzani, octobre 2014
Editions & multiples
« Catulliacus », édition couleur, 20 exemplaires, 2015
« 93 », édition couleur, 30 exemplaires, 2014
« Patagania », édition noir et blanc réalisée en risographie, 50 exemplaires, 2013
« Ready to die », sérigraphie 4 couleurs, Gokhan Sökmen ,50 exemplaires, 2013
Ken Sortais, LH Edition, impression jet d’encre, 200 exemplaires, 2012
« Asbestos Curtain Book », risographie 7 couleurs, 100 exemplaires, 2012
« Prince des ténèbres », sérigraphie 4 couleurs, Galerie Goldstein, 25 exemplaires, 2012
« La mort de l’icône », sérigraphie 4 couleurs réalisée pour le lancement de Manuel n° 0, 2012
« RESILIO »
Emma Cozzani
« Le jour où une statue est terminée, sa vie, en un sens, commence. La première étape
est franchie, qui, par les soins du sculpteur, l’a menée du bloc à la forme humaine ; une
seconde étape, au cours des siècles, à travers des alternatives d’adoration, d’admiration,
d’amour, de mépris ou d’indifférence, par degrés successifs d’érosion et d’usure, le
ramènera peu a peu à l’état de minéral informe auquel l’avait soustrait son sculpteur. »
Marguerite Yourcenar, Le Temps ce grand sculpteur, Paris, Gallimard, 1983.
« 93 », exposition de Ken Sortais à la galerie Straat, pourrait bien finalement être une
« troisième étape » dans la vie des sculptures, dans le même temps qu’elle affirme un
tournant dans la pratique de l’artiste, reconnu avant tout pour son travail de dessin. Les
installations et sculptures présentées s’inscrivent dans la suite des motifs que l’artiste
met en scène dans ses dessins et peintures, ou plutôt l’envers des scènes qu’il donne
à voir. Une dualité présente dans le travail de Ken Sortais qui se retrouve également
dans « 93 ». À un accrochage presque muséographique répond un corpus d’oeuvres
découlant d’un regard sensible sur l’environnement qu’il expérimente, dans le même
temps que ses recherches sur la matière le renvoie à une approche quasi-alchimique
de la création. « 93 », on l’aura sans doute compris, c’est également le département
de Seine Saint Denis d’où l’artiste est originaire, qui devient ici à la fois la source des
fragments prélevés et l’origine de son parcours de graffiteur, l’amenant à regarder
la ville comme un ensemble de formes disponibles cohabitant dans le même espace.
D’expérimentations en sérendipité, l’artiste déplace son atelier dans l’espace urbain, et
y prélève formes et objets symboliques afin de les mettre en contact, de tenter de les faire
dialoguer, de les confronter aussi.
C’est justement une oeuvre en tension qui accueille le spectateur pénétrant dans
l’espace de la galerie Straat. « La pierre cachée » est une installation associant
l’empreinte en latex d’un banal rocher (comme ceux utilisés pour bloquer les voies
d’accès par exemple) à un moulage ancien en plâtre d’un chapiteau* orné de motifs
floraux, provenant de la basilique Saint Denis, « trouvé » par l’artiste au cours de ses
pérégrinations.
Le moulage du rocher, réalisé à partir d’une technique que l’artiste a mise au point,
reproduit sa forme exacte, telle une mue. Accrochée au mur, la forme de la pierre
originelle est déformée et ne donne plus à deviner sa matrice qu’en creux. Au milieu des
plis du moulage, seules les mousses et moisissures présentes à la surface de la roche
sont visibles, incrustées dans le latex. Le chapiteau en plâtre est quant à lui recouvert
de minuscules graffitis et inscriptions gravées, noirci par la poussière, altéré. Présenté
sur socle (c’est-à-dire retourné), il est une relique, un témoin de l’usage passé de son
référent.
Formes prélevées mais pourtant antagonistes, elles entrent en résistance l’une par
rapport à l’autre ; comme si l’artiste avait voulu questionner leurs légitimités et n’avait
pu effectuer de choix, tant chaque sculpture se présente comme l’antithèse plastique
de l’autre. Le titre de l’oeuvre renvoie aussi bien à l’absence de référents des formes
associées qu’au mythe de la pierre philosophale.** En place et lieu d’une dialectique
entre matière et forme, Ken Sortais lui substitue une réflexion sur la domination d’une
représentation sculpturale sur une autre à travers le contraste entre forme en creux et
forme pleine, forme historique et forme quelconque…
Détournant des formes symboliques qu’il ré-arrange en « combinaisons improbables »,
Ken Sortais met en tension les éléments qu’il prélève via une mise en espace théâtralisée,
comme exacerbée. « La couronne de Nataz » est une installation associant art gothique
et l’argotique*** à travers deux éléments a priori antinomiques. La tête d’un saint
moulée en latex teinté cohabite avec une « tapisserie » de latex brut, sur laquelle on peut
deviner l’inscription « Nataz » et le dessin d’une couronne. Réalisée à même le bitume,
il s’agit en fait de la contre-forme du sol. L’inscription « nataz » étant en quelque sorte le
verlan**** du mot « satan », tandis que la couronne peut renvoyer aux codes du graffiti
autant qu’à l’auréole sacrée ou à la couronne d’épine. Moulée directement sur un basrelief de la basilique Saint Denis, la tête de saint prend un sens autre par la couleur qu’il
revêt : le vert étant la couleur du diable depuis le XIIIe siècle, en référence à l’oxyde de
cuivre servant à fabriquer les poisons de l’époque.
Un ange se transformant en démon, le renversement de « satan » en « nataz » comme
exorcisme, Ken Sortais se joue de la symbolique religieuse à l’oeuvre dans l’histoire de
l’art et de leurs représentations. « La couronne de Nataz » est, à l’image de « La pierre
cachée », un dialogue sous forme de duel entre deux antagonistes, chacun contaminant
la représentation de celui avec qui l’artiste le fait cohabiter.
Les oeuvres de Ken Sortais déroutent le spectateur, le questionnent sur les liens
qu’entretiennent matière et forme, le confonde quant à la réalité des représentations
qui s’offrent à lui et suggèrent une réversibilité de la forme à travers les opérations de
moulage et d’empreinte, à l’instar de Marcel Duchamp.
Dans la seconde pièce de la galerie Straat, « Sans titre », moulage en latex naturel,
jaunâtre et opaque, d’un pare-brise accidenté, ouvre à une autre lecture de la pratique
de Ken Sortais. Tandis que la forme et la couleur du latex évoque un textile mortuaire,
les motifs de la vitre brisée semblent quant à eux rejouer les vitraux de la basilique
Saint Denis, version film d’horreur ; à la différence qu’ils ne renvoient plus qu’à un
évènement passé, celui de l’accident. Influencé entre autre par le cinéma de John
Carpenter, réalisateur de nombreux films d’horreur cultes, les oeuvres de Ken
Sortais semblent parfois toutes droit sorties d’un scénario tragi-comique et macabre.
Détournant des symboles issues de la religion chrétienne par exemple, ou de la culture
populaire, son travail maintient une ambivalence permanente entre le visible et le caché,
le dit et le tacite.
Ainsi « Christine » fait référence au film éponyme de Carpenter dans lequel une voiture
surnaturelle et malveillante prend le contrôle de son conducteur et tue ceux qui essaient
de les séparer. Ici, « Christine » est inanimée, accidentée. Hypothétique revirement de
situation, la voiture ensorcelée se trouve réduite à l’état de carcasse, que l’artiste tente
d’invoquer à travers le moulage à échelle un du flanc d’une « bagnole » provenant de la
casse de Saint-Ouen. Rouge sang comme un écorché, l’empreinte de la carcasse semble
tomber en lambeaux, se déchirer pour ne plus ressembler qu’à une forme à mi-chemin
entre celle de la voiture et celle d’une dépouille issue d’une planche anatomique. En un
sens, « Sans titre » et « Christine » découlent de l’univers coloré et effroyable que Ken
Sortais distille dans ses dessins.
Quant à « Nico », sculpture en latex et mousse viscoélastique (ou mousse à mémoire
de forme), elle conjugue les références de l’artiste en une forme proche du remake à
partir d’éléments iconoclastes. De la même façon que « La couronne de Nataz », il s’agit
d’un moulage « sur le vif » d’un visage de statut, effectué là encore sur un bas-relief de
la basilique Saint-Denis. Le visage est encapsulé dans plusieurs couches de mousse
industrielle, colorées et brutes, de façon à presque l’enfouir. Cependant, il reste visible,
invitant le spectateur à une sorte de face-à-face dérangeant. « Nico » se pose alors
comme un vestige tout juste découvert et affleurant à la surface de son écrin de mousse.
Entre esthétique « pop » et référence à l’histoire de l’art par son aspect de sculptureobjet, elle constitue une forme de trompe-l’oeil en volume, d’aspect solide alors
pourtant que le latex et la mousse sont des matériaux dé-formables. En leur donnant
une forme figée, Ken Sortais travaille à contre-emploi des matériaux qu’il utilise.
Brouillant les pistes, Ken Sortais questionne la sculpture comme geste, celui par lequel
l’artiste donne forme à une matière. L’utilisation de matériaux mous évacue la masse de
l’objet tout en conservant son apparence et permet de donner à voir des formes altérées.
Enfin, dans une logique de dualité, « Nico » se constitue en une forme contraire de «
Christine ». Travaillant le genre, qu’il soit référentiel, historique, fictionnel ou masculin
et féminin, les oeuvres de Ken Sortais sont polysémiques et résistent à une lecture
manichéenne du réel. L’artiste questionne à la fois les formes qu’il prélève et leur
modalités d’existence par le prisme de la matière, et de sa transformation.
Finalement, « 93 » apparaît comme une réflexion globale sur les formes, leurs
hiérarchies et leurs généalogies. Entre références et pratique expérimentale, le corpus
d’oeuvres de « 93 » révèle la tension latente propre à l’univers graphique de l’artiste.
* En architecture, un chapiteau est un élément ornemental qui couronne la partie supérieure d’un poteau,
d’une colonne, d’un pilastre, d’un pilier…
** La pierre philosophale est une légende de l’alchimie, permettant entre autre d’acquérir une conscience
absolue, la vie éternelle et de transmuter les métaux vils en métaux nobles.
*** Référence à Fucanelli dans « Le mystère des cathédrales »
**** Le verlan est une forme d’argot qui consiste principalement à inverser les syllabes d’un mot « Le jour
où une statue est terminée, sa vie, en un sens, commence. La première étape est franchie, qui, par les soins
du sculpteur, l’a menée du bloc à la forme humaine ; une seconde étape, au cours des siècles, à travers
des alternatives d’adoration, d’admiration, d’amour, de mépris ou d’indifférence, par degrés successifs
d’érosion et d’usure, le ramènera peu a peu à l’état de minéral informe auquel l’avait soustrait son
sculpteur. » Marguerite Yourcenar, Le Temps ce grand sculpteur, Paris, Gallimard, 1983.
Emma Cozzani (*1989) est artiste, directrice de publication et fondatrice des Éditions Infra depuis 2012.
« Ken Sortais – Envoûtement dans le 93 »
Le Nouvel esprit du vandalisme
Depuis qu’il vit dans le 93, Ken Sortais a été « envouté » par le territoire qui lui a ouvert
la porte de nouvelles inventions artistiques. Sa pratique sculpturale entre alchimie et
réactivation de mythes anciens n’est pas sans rappeler le musicien Marsyas qu’Apollon
dépouilla de sa peau puis suspendit à une branche ainsi transformée en outre animée.
Le théoricien Stéphane Dumas trouve dans cette fable le modèle du processus créateur
de l’artiste qui s’écorche. Ken Sortais prélève les formes de la ville, recouvre et «
empreinte ». Ici, ce serait plutôt la ville qui s’écorche symboliquement, « retourne sa
peau afin d’en offrir l’épaisseur, la chair, comme médium de nos représentations du
monde ».
OR : Qui es-tu Ken Sortais ?
KS : Si atroce dionysien, présentement possédé par le mystique Denis sur le mont
mercure.
OR : La formule est un peu mystérieuse mais elle fait en réalité écho à deux
de tes projets » Les pérégrinations de si atroce » l’année dernière mais aussi
à l’œuvre sur laquelle tu travailles pour l’exposition collective « Seine Saint
Denis Style » à la Cité des Arts. D’où vient cette expression « Si Atroce » ?
KS : Mon exposition à la galerie Celal, « Les pérégrinations de si atroce », est un
éloge à la pensée extra-sensible et visionnaire de trois artistes magiciens, Fulcanelli*,
Dario Argento et Goya. Au travers des dimensions alchimiques, cinématographiques
et picturales de leur univers respectif, ces artistes ont considérablement déformé
ma perception du monde tout en générant la dynamique de production des œuvres
présentées à la galerie Celal.
Si atroce est une forme d’anacyclique* découlant de Sortais. D’ailleurs, mon intérêt
pour l’argot et plus récemment pour la langue des oiseaux se nourrit copieusement de
la pensée de Fulcanelli dans « Le mystère des cathédrales ». L’auteur s’exprime en ces
mots :
« De nos jours encore, les humbles, les misérables, les méprisés, les insoumis avides de
liberté et d’indépendance, les proscrits, les errants et les nomades parlent l’argot, ce
dialecte maudit, banni de la haute société, des nobles qui le sont si peu, des bourgeois
repus et bien-pensants, vautrés dans l’hermine de leur ignorance et de leur fatuité.
L’argot reste le langage d’une minorité d’individus vivant en dehors des lois reçues, des
conventions, des usages, du protocole, auxquels on applique l’épithète de voyous, c’està-dire de voyants, et celle, plus expressive encore, de Fils ou Enfants du soleil. »
Avec quelques amis adeptes du pal-indrome, nous manions un verlan personnifié
imprégné de javanais. En une situation donnée, ce langage codé peut garantir
l’exclusivité de notre conversation.
OR : La pièce que tu prépares pour l’exposition Seine Saint-Denis Style fait
référence à l’histoire mythologique et historique d’un lieu. Ce ont des données
auxquelles tu es attentif habituellement ?
KS : Oui, et le déclencheur est « 93 » à la STRAAT galerie en septembre dernier à
Marseille. Pour cette exposition, j’ai engagé un processus de travail qui tire sa substance
de la ville et se matérialise par le moule et l’empreinte « sur le vif » dans l’espace public.
Des traces sur le sol aux visages angéliques des bas-reliefs de la basilique de SaintDenis, j’envisage mon environnement comme un ensemble de formes disponibles. En
ce sens, ce geste invoque inévitablement le contexte historique, voire mythologique de
la zone de prélèvement.
Pour le projet Seine Saint-Denis Style (en collaboration avec Rebekka Deubner), nous
nous sommes intéressés à Saint-Denis selon la légende chrétienne. De sa décapitation
sur la butte Montmartre à son pèlerinage vers la pieuse Catulla, notre installation est
une relecture allégorique de cet épisode céphalophorique*.
OR : Nous avons beaucoup entendu à travers le rap des années 90 ainsi que
dans le graffiti et la danse une revendication d’appartenance au 93. Cela s’est
prolongé jusqu’à aujourd’hui, à tel point que la Seine Saint-Denis, du moins
dans les musiques actuelles, est une sorte d’estampille. On peut d’ailleurs y
identifier « une marque de fabrique ».Qu’est-ce que le Seine Saint-Denis Style
à ton avis ? Tu habites et travailles à Saint-Denis, reconnais-tu ce sentiment
d’appartenance ? La banlieue a-t-elle une influence sur les réflexions que tu
mènes ?
KS : NTM fut l’incarnation du Seine Saint-Denis Style dans les années 90, affirmant à
travers le graffiti et la musique une identité banlieusarde. La dimension égocentrique
de ces deux pratiques a conditionné le Seine Saint-Denis Style, exacerbant le sentiment
d’appartenance à un lieu. J’habite à Saint-Denis depuis 3 ans. Depuis 3 ans, le nombre
93 se greffe sur chacun de mes graffitis. Il y a une part de jeu et d’ironie dans cet acte,
mais j’ai bel et bien été ensorcelé.
Cet envoutement m’a ouvert les portes de l’exposition « 93 » en me confrontant à
des problématiques nouvelles et inédites dans mon travail. Ce faisant, j’ai transposé
ma pratique obsessionnelle du dessin à une œuvre plus sculpturale et de plus en plus
référencée.
OR : On retrouve le motif de la matière qui tombe, de l’expression d’une
gravité dans les personnages que tu dessines à l’encre, mais aussi dans les
empreintes en latex que tu suspends. Peut-on parler d’une figure de la chute en
train de se faire, au ralenti ?
KS : C’est un point de vue intéressant. Le cartooniste Ub Iwerks crée en 1928
un personnage, « Flip the Frog ». C’est à la période où j’ai découvert cette joyeuse
grenouille que mon dessin s’est affirmé dans le style rebondi, fluide et ultra dynamique
de ce dessinateur. La volonté de mouvement qui orchestre mes compositions provoque
inéluctablement le sentiment de chute, de déséquilibre contrôlé. « Eloge de la déraison
», que j’ai réalisé en lien avec la série de gravures « des disparates » de Goya, est un
exemple saisissant du rapport de force dans mon dessin entre formes en tension et
pesanteur généralisée. J’aime que les antagonismes s’affrontent dans mes œuvres. La
magie opère quand au-delà de la lutte ils parviennent à fusionner.
Dans mon travail au latex, « La pierre cachée » et plus particulièrement « Christine
» sont marquées par cette dimension de gravité que tu évoques. « Christine » fait
référence au film éponyme de John Carpenter (tiré du roman de Stephen King), où
une voiture prend le contrôle de son conducteur et tue par amour et jalousie toutes
les personnes de son entourage. Emma Cozzani dans sa pertinente critique de «
93 » définit « Christine » par ces quelques mots : « Rouge sang comme un écorché,
l’empreinte de la carcasse semble tomber en lambeaux, se déchirer pour ne plus
ressembler qu’à une forme à mi-chemin entre celle de la voiture et celle d’une dépouille
issue d’une planche anatomique. »
Le charme est rompu, Christine désincarnée. La chute est soulignée par l’accident et
l’effondrement organique de l’œuvre.
OR : Comment vois-tu le lien entre ta pratique du graffiti et celle que tu opères
par moulage ou empreinte ?
KS : Le lien se crée par l’aspect performatif de ces deux pratiques. Le graffiti a
décomplexé mon rapport à la rue, ce qui me permet aujourd’hui de mener ce travail de
moulage et d’empreinte dans la ville, en toute impunité.
OR : Tu racontes que le transfert avec le latex « nettoie » les objets que tu
moules. Tu emportes ainsi avec cette technique une fine pellicule de matière
de la ville. Cette micro vie influe l’œuvre, puisqu’elle joue avec sa conservation
notamment. Penses-tu à l’instar du graffiti que l’œuvre est vouée à disparaitre,
qu’elle est donc non pérenne ?
KS : Effectivement, le retrait du latex entraîne un nettoyage partiel de l’objet/cible.
D’ailleurs, pour faire face à l’inquiétude et parfois à l’hostilité des passants et autres
agents de sécurité qui s’interrogent sur la finalité de mes interventions, j’ai créé la
société TEXICO qui se spécialise dans le décrassage de la pierre dans l’espace public.
TEXICO est le gage de ma bonne foi, une entreprise qui rassure.
La couche de sédiments imprimée sur la matière est le signe avant-coureur d’une œuvre
en mutation. C’est le cas de « Catulliacus », empreinte d’une statue de Saint-Denis
réalisée pour l’exposition S-S-D-S. Les résidus de crasse et de mousse emprisonnés
dans le latex attribuent la dimension organique et évolutive de l’œuvre, tout en
provoquant l’altération de son état dans le temps.
L’œuvre est-elle vouée à disparaître? A ce sujet, Marguerite Yourcenar déclare :
« Le jour où une statue est terminée, sa vie, en un sens, commence. La première étape
est franchie, qui, par les soins du sculpteur, l’a menée du bloc à la forme humaine ; une
seconde étape, au cours des siècles, à travers des alternatives d’adoration, d’admiration,
d’amour, de mépris ou d’indifférence, par degrés successifs d’érosion et d’usure, le
ramènera peu à peu à l’état de minéral informe auquel l’avait soustrait son sculpteur. »
Heureusement que je ne travaille pas avec de la pierre ! Mes sculptures sont flexibles et
élastiques. Le caractère imputrescible du latex garantira leur pérennité.
OR : Comment vois-tu l’évolution de ta pratique artistique ?
KS : Je veux continuer de me mettre en danger face à des matières et des forces que je ne
maîtrise pas.
OR : Considères-tu que ta pratique s’inscrive dans un nouvel esprit du vandalisme ?
KS : Quand je prends une empreinte sur une sculpture vieille de 1000 ans et que je lui arrache
le nez, oui.
Fulcanelli*: Figure emblématique et mystérieuse de l’alchimie en France, entre la moitié du
19ème et du 20ème siècle.
anacyclique*: mot que l’on peut prononcer dans les deux sens, exemple: tracé-écart.
céphalophorique*: du grec képhalê (tête) et phorein (porter), est un épisode où un personnage
décapité se relève et prend sa tête entre les mains avant de se mettre en marche.
Océane Ragoucy (*1983) est architecte de formation et titulaire d’un Master Recherche en Arts & Médias Numériques
de Paris I-Panthéon Sorbonne, Océane Ragoucy développe des projets liés principalement à la pratique architecturale et
à ses relations avec le monde (édition, exposition, web, communication) notamment avec TVK. Co-fondatrice du projet
G8 à la Cité Internationale des Arts à Paris et de Printing on Fire, projet consacré au fanzine et à l’auto-édition. Depuis
2015, elle fait partie de SPEAP, le programme d’expérimentation en arts et politique dirigé par Bruno Latour à Sciences
Po Paris.
Lancée en 2011 par Hannah Théveneau
et Remy Lieveloo, la Straat Galerie est un
lieu d’expérimentation, de création et de
diffusion indépendant basé à Marseille (FR).
Membre du réseau de professionnels Marseille
Expos, plateforme de promotion de l’art
contemporain à Marseille depuis 2013.
Le nom straat, qui signifie « la rue » en
néerlandais, fait référence à la ligne artistique
de la galerie qui explore toutes les pratiques
artistiques situées au croisement de l’art
contemporain et de l’urbain. Son nom est aussi
un clin d’œil aux origines de son fondateur et
directeur artistique Remy Lieveloo.
La Straat Galerie soutient la jeune
création contemporaine par le biais de la
programmation d’une dizaine d’expositions et
d’évènements par an : de l’accueil d’artistes en
résidence, à la diffusion de projets artistiques,
aux lancements d’éditions d’artistes.
Depuis 2015, elle participe à des foires d’art
contemporain en Europe.
En activités annexes de sa programmation, elle
développe des actions de médiation et conçoit
sur mesure des visites ludiques et ateliers
pédagogiques ouverts à tous.
17
17 rue
rue des
des Bergers
Bergers 13006
13006 Marseille
Marseille
Tél.
Tél. ++ 33
33 (0)6
(0)6 98
98 22
22 10
10 85
85
[email protected]
[email protected]
www.straatgalerie.com
www.straatgalerie.com
Ouvert
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de
de 16
16 hh àà 19
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et le
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réseau Marseille
Marseille Expos
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Vue en plan de la Straat galerie. 2013.
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Expos
Direction artistique
Remy Lieveloo
17 rue des Bergers 13006 Marseille
Tél. + 33 (0)6 98 22 10 85
[email protected]
www.straatgalerie.com
Ouvert durant les expositions du mercredi
au vendredi de 16 h à 19 h et samedi de 11 h à 19 h
ou sur rendez-vous.
Visites guidées et ateliers pédagogiques sur
réservation. Possibilité de faire les visites en
anglais et néerlandais.
La Straat galerie est membre
du réseau Marseille Expos.
Coordination
Hannah Théveneau
Équipe bénévole
Ishem Rouïai
Thomy Lhomme
Mickaël Massard
Rebekka Deubner
Jérôme Lieveloo
Marie Liveris

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