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Comment améliorer les « due diligence » Le terme « due diligence » s’est imposé depuis longtemps dans la pratique du droit des affaires. Pour de nombreuses opérations (fusions, acquisitions, prises de participation, transferts de branche d’activité, cessions de portefeuille immobilier, etc.), la réalisation de ce qu’il est usuel d’appeler un due diligence constitue une étape incontournable. Nombreux d’ailleurs sont les praticiens du droit des affaires qui consacrent une partie substantielle de leur temps à la réalisation de ces due diligence. Nous pensons toutefois que, dans de nombreux cas, la pratique des due diligence est perfectible. Dans cet article, après une mise au point terminologique, nous formulons trois recommandations pour les rendre plus efficaces. Mise au point terminologique Le mot « diligence » signifie en anglais la même chose qu’en français : dans les deux langues, la diligence est le contraire de la négligence. Le mot désigne le soin et l’attention avec laquelle une personne accomplit une tâche. La diligence connaît plusieurs variétés, au gré des adjectifs qui précèdent le mot : le Black’s Law Dictionary répertorie ainsi la due diligence, mais aussi l’extraordinary diligence, la great diligence, et la liste n’est pas terminée, car de nombreuses autres versions de diligence sont mentionnées : high, low, necessary, ordinary, reasonable, special...Le même dictionnaire définit la due diligence – c’est elle qui nous intéresse ici comme « such a measure of prudence, activity, or assiduity, as in properly to be expected from, and ordinarily exercised by, a reasonable and prudent man under the particular circumstances ». La due diligence est donc une norme de comportement, comparable à la figure du bon père de famille bien connue en droit civil. Dans la pratique courante du droit des affaires, les mots « due diligence » ne désignent toutefois pas souvent cette norme de comportement. Quand un juriste annonce qu’il va « faire un due diligence », il veut dire qu’il va examiner un certain nombre de documents juridiques (contrats, licences et permis, publications légales, statuts, procès-verbaux, etc. ) et produire un rapport à leur sujet. www.legal-management.net Le même terme, due diligence, désigne donc tantôt une norme de comportement, tantôt un exercice (contrôle et rédaction d’un rapport). Nous utilisons le féminin pour la norme de comportement (la due diligence), et le masculin pour l’exercice (un due diligence). L’exercice en question a-t-il quelque chose à voir avec la norme de comportement ? En d’autres termes, un rapport de due diligence porte-t-il sur le point de savoir si l’entreprise considérée est gérée avec « due diligence » ? Pas toujours, et même pas souvent. Il y a en effet une différence essentielle entre les deux significations du terme due diligence : en tant que norme de comportement, la due diligence est un concept très général, très vague, très synthétique. Par contre, les praticiens du droit des affaires, quand ils « font un due diligence », adoptent une méthode analytique, technique, précise. On vérifiera par exemple si la société a procédé aux publications légales conformément à la loi, si les permis d’exploitation sont en cours de validité, si certains registres prescrits par la loi sont tenus de manière régulière. Pourra-t-on, de cette analyse minutieuse, tirer des conclusions générales et nécessairement subjectives quant à savoir si la société est gérée avec due diligence ? Les praticiens font preuve, et on les comprend, de la plus grande prudence avant de s’aventurer dans ce type de généralisations. Ils pourront confirmer que la société a rempli ses obligations légales dans certaines matières (ce qui n’a pas grand-chose à voir avec la due diligence), mais vont-ils affirmer pour autant que la société est gérée dans son ensemble avec le soin et l’attention que l’on peut raisonnablement attendre ? C’est très improbable. Cela signifie donc que les rapports de due diligence portent en réalité sur autre chose que la due diligence. Mais sur quoi porte-t-il donc ? Première recommandation : définir l’objectif Pour réaliser un bon due diligence, il faut assigner un objectif clair à cet exercice. La question à poser est simple : quel est l’objectif du due diligence ? Pour que l’exercice soit efficace, l’objectif doit être explicite, pertinent et spécifique. a. Objectif explicite La première qualité d’un objectif est d’être explicite. S’engager dans un due diligence sans en avoir défini l’objectif est comme partir en voyage sans destination. L’exercice touche à l’absurde. Sans un objectif clair, le due diligence risque de se transformer en une sorte de rituel obligé, mais dénué de sens et d’utilité. Décider de faire un due www.legal-management.net diligence est donc une décision incomplète. Il est indispensable, si l’on veut améliorer l’efficacité du processus, d’en définir clairement l’objectif. b. Objectif pertinent L’objectif du due diligence doit être pertinent par rapport à l’opération envisagée. Un due diligence se déroule en effet toujours dans le cadre d’une opération comme une acquisition, un investissement, ou une fusion. Il a nécessairement pour raison d’être de produire une information utile à une ou plusieurs décisions relatives à cette opération. Avant d’entamer un due diligence, il est donc indispensable de s’entendre avec les décideurs sur les questions suivantes : quelle est l’opération envisagée ? Dans le cadre de cette opération, quelles sont les décisions qui doivent être prises ? Et enfin, quelles sont les informations de nature juridique et relatives à la société considérée dont le décideur a besoin pour pouvoir prendre ces décisions ? Par exemple, une société était en discussion pour le rachat d’une entreprise. Le candidat acquéreur se concentrait sur la valorisation de l’entreprise pour déterminer le prix à proposer. A cette fin, le candidat acquéreur avait besoin de comprendre exactement le mécanisme prévu dans les clauses d’indexation de prix dans les contrats à long terme avec certains clients importants, et de s’assurer de la validité de ces clauses, pour pouvoir prévoir les cash flows futurs. Le due diligence porta donc en priorité sur l’analyse détaillée des mécanismes contractuels d’indexation. L’utilisation du terme « due diligence » est donc trompeuse, car derrière un mot unique se cache des exercices dont les objectifs peuvent être très différents. S’agit-il de vérifier un point précis ou de faire un inventaire exhaustif de la situation juridique de l’entreprise ? S’agit-il de décrire une situation juridique (structure de l’actionnariat, architectures contractuelles, portefeuille de polices d’assurance), ou d’apprécier la légalité d’une situation ? S’agit-il de détecter la moindre irrégularité, ou de se concentrer sur des risques qui dépassent un certain seuil ? Il est navrant de voir parfois des rapports de due diligence s’étendre à profusion sur des questions (irrégularités mineures, formalités, etc.) dont l’impact est tout à fait insignifiant par rapport à l’enjeu de l’opération. Cette perte d’efficacité est souvent le résultat de l’absence d’un objectif explicite et pertinent assigné au due diligence. www.legal-management.net c. Objectif spécifique Plus l’objectif du due diligence est exprimé de manière spécifique, plus le due diligence pourra être mené avec efficacité. On trouve plus vite quand on sait précisément ce que l’on cherche. N’y a-t-il pas un proverbe pour dire que si on ne sait pas ce que l’on cherche, on a peu de chance de le trouver ? La pratique du droit dans les entreprises est de plus en plus souvent définie comme la « gestion du risque juridique ». Il est de bon ton d’assigner au due diligence la tâche de faire le bilan sur la gestion du risque juridique dans l’entreprise considérée. Le terme de « risque juridique » est toutefois particulièrement peu spécifique. De quoi parle-t-on quand on parle de risque juridique ? Quel est le critère qui permet de dire qu’un risque est « juridique » ? A l’évidence, de nombreuses réponses sont possibles. Dès lors, lorsque l’objectif assigné à un due diligence est par exemple « d’apprécier le risque juridique », on imagine sans peine les malentendus qui risquent d’en résulter. « Faire le bilan sur la situation juridique de l’entreprise », « effectuer un audit juridique de l’entreprise » ou encore « vérifier la régularité des opérations de l’entreprise », ne sont pas des objectifs spécifiques. La portée de ces termes vagues et généraux peut donner lieu à d’infinies discussions. Par contre, les objectifs suivants sont spécifiques : « établir la liste des contrats souscrits par l’entreprise pour l’achat ou l’utilisation de logiciels de gestion » ; « décrire les procédures en vigueur pour le reporting au sein du département juridique » ; « vérifier la conformité des statuts avec la loi applicable » ; « établir la liste des litiges judiciaires en cours entre la société et les membres du personnel » … Deuxième recommandation : préciser le référentiel Cette recommandation est importante pour les due diligence dont l’objet n’est pas seulement de décrire, mais également d’évaluer. Un due diligence peut avoir pour objectif de décrire une situation : l’actionnariat, un ensemble de contrats, un portefeuille de brevets, des systèmes de rémunération… La question du choix des critères d’appréciation ne se pose pas dans cette hypothèse, car il n’y a pas à évaluer ou à apprécier : il y a juste à décrire. En revanche, la question du choix d’un référentiel est essentielle lorsqu’il s’agit de porter un jugement de valeur (évaluation) sur une situation, www.legal-management.net et pas seulement de la décrire. Si l’on doit évaluer, sur base de quels critères va-t-on fonder son opinion ? a. Référentiel juridique En principe, le référentiel des juristes est le droit. Le juriste amené à poser un jugement dans le cadre d’un due diligence, le fera donc par référence au droit. Tel document est-il valable juridiquement ? Telle clause contractuelle est-elle opposable au tiers ? La société a-t-elle respecté les obligations mises à sa charge par la loi, par exemple en matière d’environnement, de protection des travailleurs, ou de respect de la vie privée ? La difficulté avec le référentiel juridique est l’ampleur presque infinie de la matière. Mener une analyse de conformité de l’intégralité de la situation juridique d’une entreprise par rapport à l’ensemble des normes légales et réglementaires applicables est une tâche considérable dont la durée serait totalement inadaptée aux exigences modernes de rapidité dans la vie des affaires. Il est indispensable donc de fixer des priorités et de déterminer de la manière la plus précise possible la norme utilisée comme référentiel. Vouloir se prononcer sur la régularité juridique de l’ensemble des opérations de la société, par rapport au droit en général, est évidemment illusoire. On vérifiera donc si l’entreprise s’est conformée à telle loi ou à tel règlement, si telles obligations contractuelles ont bien été exécutées, si telle procédure est établie conformément au prescrit légal correspondant. b. Référentiel managérial On devine aujourd’hui l’émergence d’un autre référentiel. Le due diligence ne porte plus seulement sur les droits et obligations de l’entreprise (l’entreprise est-elle en règle par rapport à ses principales obligations ?), mais s’ouvre aussi à la gestion de la fonction juridique au sein de l’entreprise (l’entreprise a-t-elle des systèmes et des procédures efficaces pour assurer qu’elle est en règle par rapport à ses obligations ?). En d’autres mots, on passe d’un référentiel juridique à un référentiel managérial. Il ne s’agit plus seulement de vérifier si la société respecte ses obligations légales en telle ou telle matière, mais aussi d’apprécier la pertinence et l’efficacité des systèmes et des procédures de la fonction juridique dans l’entreprise. On s’intéressera à la « gouvernance juridique de l’entreprise », au système de reporting au sein du département juridique, aux systèmes d’identification et de prévention des risques juridiques, aux procédures de gestion budgétaire du département juridique, aux logiciels et autres systèmes de gestion www.legal-management.net utilisés par le département juridique, aux procédures pour le choix des conseillers externes et les outils pour le suivi de leur travail, à la politique des formations permanente des juristes internes, etc. En passant d’un référentiel juridique à un référentiel managérial, le due diligence évolue vers une forme d’audit organisationnel du département juridique ou, plus largement, de la fonction juridique de l’entreprise. Il ne fait aucun doute qu’un tel audit organisationnel puisse produire des informations très pertinentes pour l’acquéreur d’une entreprise. La difficulté réside toutefois dans le fait que le référentiel managérial n’est pas codifié. Il n’existe pas en effet de code irréfutable et universellement reconnu des « meilleures pratiques » pour la gestion juridique des entreprises comme il existe un code civil ou un code des sociétés. On peut contourner cette difficulté de trois manières : en limitant l’exercice à une description – et pas une évaluation – de l’organisation de la fonction juridique de l’entreprise ; en laissant le choix des critères d’évaluation à la discrétion de l’évaluateur, ou enfin ; en déterminant ces critères d’évaluation de manière explicite et concertée. Troisième recommandation : adopter une approche multidisciplinaire Si la raison d’être d’un due diligence est d’éclairer le décideur par rapport à des décisions à prendre dans le cadre d’une opération déterminée, force est de constater que dans bien des cas, un éclairage exclusivement juridique est insuffisant. Un due diligence efficace sera donc le résultat d’un travail multidisciplinaire. Par exemple, les polices d’assurance figurent souvent dans la liste des points à vérifier dans le cadre d’un due diligence. Une analyse purement juridique d’un portefeuille d’assurances n’apporte toutefois qu’un éclairage limité au décideur. Celui-ci pourrait être davantage intéressé par une analyse de la politique de gestion des risques, par une appréciation de la qualité de la couverture des risques ou par la confirmation de la conformité au prix du marché des primes payées. On voit bien dans ces exemples qu’une analyse purement juridique du portefeuille d’assurance produirait une information sans grand intérêt pour le décideur. Une approche multidisciplinaire, passant en pratique par un dialogue et une coopération entre différents métiers (juristes, fiscalistes, comptables, banquiers, courtiers en assurance, etc.) constitue donc souvent une condition nécessaire pour un due diligence de qualité. www.legal-management.net C’est d’ailleurs en discutant avec les représentants d’autres disciplines que le juriste va pouvoir affiner et orienter son propre travail d’analyse juridique dans le cadre d’un due diligence. Pour reprendre l’exemple évoqué plus haut, c’est parce que le financier impliqué dans le projet lui aura dit que l’indexation contractuelle des prix constitue une donnée importante pour la valorisation de l’entreprise que le juriste a su qu’il devait prêter une attention particulière aux clauses en question. Antoine Henry de Frahan Janvier 2006 www.legal-management.net