Roméo et Juliette - Festival d`Aix en Provence

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Roméo et Juliette - Festival d`Aix en Provence
Festival d’Aix-en-Provence
Roméo et Juliette
Musique de Sergueï Prokofiev
Auteur William Shakespeare
Dossier pédagogique 2013
A contribué à la rédaction de ce dossier : Elena Dolgouchine
SOMMAIRE
A) Présentation de l’œuvre littéraire « Roméo et Juliette » de William Shakespeare
1) Les personnages
2) Synopsis
3) L’auteur : William Shakespeare (1564-1616)
4) Des sources d’inspiration multiples
p.3
p.3
p.3
p.5
p.6
B) Présentation de l’œuvre musicale « Romeo et Juliette » op. 64 de Sergey Sergeyevich Prokofiev
1) Prokofiev (1891 – 1953) et l’histoire de la création de son ballet
2) Une création difficile
3) Romeo et Juliette : Vers une nouvelle forme du ballet ?
4) Romeo et Juliette : Structure du ballet par son auteur
5) Les personnages et leur incarnation musicale
6) La composition de l’orchestre
p. 8
p.8
p.8
p.9
p.9
p.10
p.10
C) La production 2013 au Festival d’Aix-en-Provence
1) Distribution
2) Le projet
3) Biographies
p.11
p.11
p.11
p.12
2
A) Présentation de l’œuvre
2) Synopsis
1) Les personnages
Il n’est nul doute que Roméo et Juliette est une des pièces les plus connues et les
plus jouées de William Shakespeare. C’est la seconde tragédie de l’auteur (15951596), elle suit des drames historiques principalement.
Elle se compose de cinq actes et d’un prologue.
Maison princière de Vérone
Escalus, seigneur de Vérone.
Pâris, noble de Vérone apparenté au Capulet.
Mercutio, jeune noble de Vérone, il est un ami de Roméo.
Prologue
Le chœur rappelle la rivalité qui oppose les deux maisons des Capulet et
des Montaigu à Vérone. Il annonce la mort des deux amants, comme
Anouilh le fera dans son prologue d’Antigone.
Maison Capulet
Capulet, chef de l'une des deux familles rivales de Vérone
Lady Capulet, son épouse.
Juliette, seule héritière de Capulet.
Tybalt, cousin de Juliette et ennemi acharné des Montaigu.
La nourrice de Juliette
Pierre, Samson et Grégoire, serviteurs
Acte I
Scène 1
Deux valets des Capulet épousent la querelle de leurs maîtres et
provoquent deux valets de la maison adverse. Se mêlent à cette
altercation Tybalt des Capulet et Benvolio des Montaigu, suivis des pères
des deux familles. La rixe exaspère les bourgeois et le prince de Vérone,
qui annonce que toute querelle désormais sera punie de mort.
Lady Montaigu s’enquiert de son fils, tous sont inquiets de sa mélancolie
: Roméo est en fait éperdu d’amour pour Rosaline.
Maison Montaigu
Montaigu, patriarche de la Maison.
Lady Montaigu, son épouse.
Roméo, fils et héritier de Montaigu
Benvolio, cousin et ami de Roméo.
Abraham et Balthazar, serviteurs.
Scène 2
Capulet refuse la main de sa fille à Pâris, car elle est encore trop jeune
pour songer à se marier. Il le convie à un festin le soir même et donne
une liste d’invités à un serviteur afin qu’il transmette les invitations. Or
le serviteur, illettré, croise Roméo et Benvolio à qui il demande de l’aide
pour déchiffrer la liste. Les deux Capulets prennent connaissance de la
fête, y voient l’occasion de s’amuser et de voir Rosaline.
Autres personnages
Frère Laurent, moine et prêtre, il est le confesseur de Roméo.
Frère Jean, moine franciscain.
Un apothicaire vend du poison à Roméo.
Un chœur lit le prologue des deux premiers actes.
Scène 3
Lady Capulet explique à sa fille que le beau Pâris a demandé sa main.
Juliette ne se prononce pas. Mais déjà les invités arrivent et il leur faut
descendre auprès de leurs convives.
3
Scène 4
La nourrice revient auprès de Juliette et lui explique où elle doit se
rendre.
Scène 4
Roméo et Benvolio se glissent dans la fête, masqués.
Scène 5
La fête bat son plein, Roméo voit Juliette et en tombe aussitôt
amoureux. Tybalt reconnait la voix d’un Montaigu mais ordre lui est
donné de laisser « l’ennemi » qui se conduit en gentilhomme. Roméo
croise Juliette, les amants tombent sous le charme l’un de l’autre et
quand ils apprennent leur identité respective, il est déjà trop tard : ils
s’aiment.
Scène 5
Frère Laurent unit les jeunes amants.
Acte III
Scène 1
Tybalt provoque Roméo en présence de Benvolio et Mercutio. Roméo
refuse de répondre aux provocations, mais Tybalt blesse Mercutio qui
meurt peu de temps après. Quand Tybalt revient pour les narguer,
Roméo ne peut se contenir : il le tue et est exilé par le prince.
Acte II
Prologue
Le chœur chante l’amour infini des amants.
Scène 2
Juliette apprend le drame qui vient de se jouer et donne rendez-vous à
son mari la nuit tombée.
Scène 1
Après que Benvolio et Mercutio ont ri de Roméo, ce dernier se retrouve
seul dans le jardin, langoureux et pensif. Juliette sort sur son balcon. Les
deux amants échangent leurs vœux et se promettent fidélité. Un
messager doit venir le lendemain à neuf heures auprès de Roméo pour
qu’il lui précise l’heure et le lieu de la cérémonie.
Scène 3
La nourrice vient prévenir Roméo, désespéré.
Scène 4
Capulet, malgré ses objections au mariage prématuré de Juliette,
accepte la demande de Pâris et envisage un mariage dès le jeudi suivant.
Il envoie sa femme interroger leur fille.
Scène 2
Roméo confie à frère Laurent son nouvel amour. Les deux hommes
sortent organiser le mariage.
Scène 5
Roméo quitte Juliette après leur première nuit d’amour, Lady Capulet
arrive peu après. Juliette feint d’être peinée de la mort de son cousin et
exprime le désir de se venger de son meurtrier: Roméo. Enfin, Lady
Capulet lui annonce qu’elle sera mariée à Pâris jeudi prochain. S’ensuit
un affrontement violent entre le père et la fille. Juliette court à la cellule
du frère Laurent chercher un moyen d’échapper à ce mariage.
Scène 3
Mercutio et Benvolio rejoignent Roméo qui ne leur dit rien de ses
sentiments si neufs jusqu’au moment où la nourrice, l’envoyée de
Juliette, réclame un entretien privé avec le jeune homme. Il lui confirme
son intention d’épouser la belle et lui donne rendez-vous l’après-midi
même dans la cellule du frère Laurent pour qu’elle y soit confessée et
mariée.
4
Acte IV
Scène 3
Pendant ce temps, Roméo a croisé Pâris dans l’obscurité du tombeau : il
le tue pour avoir le droit de voir sa Juliette. Puis il boit d’une traite le
poison que l’apothicaire lui a donné. Il meurt tandis qu’arrive frère
Laurent et que se réveille Juliette. Juliette, seule, se poignarde. Quand
les gardes, le prince et les deux familles les rejoignent, c’est pour
découvrir le sang versé par les amants à l’amour interdit.
Scène 1
Juliette rencontre chez frère Laurent son promis Pâris et refuse tout
engagement. Une fois seule avec le frère, elle lui avoue son désarroi et
dit être prête à mourir. Frère Laurent l’invite à feindre la soumission et à
prendre une potion qui la fera passer pour morte. Il préviendra Roméo
par un courrier.
Scène 2
Juliette annonce à son père qu’elle se range à la décision paternelle. Les
Capulet se lancent donc à la hâte dans les préparatifs de cette fête.
3) L’auteur : William Shakespeare (1564-1616)
William Shakespeare est né le 23 avril 1564
à Stratford Upon Avon, en Angleterre. Son
père était un marchand de cuir, qui était
parvenu à entrer dans la bourgeoisie en
épousant Mary Arden, issue d’une famille
respectable.
Alors qu’il était enfant, Shakespeare reçut
une bonne éducation, suivant des cours
d’histoire, de langue, de latin et de
rhétorique.
Scène 3
Juliette, après avoir enfilé sa robe de mariée, avale la potion donnée par
frère Laurent. Elle s’endort dans un profond sommeil, semblable à la
mort.
Scène 4
Les préparatifs se poursuivent pour le mariage.
Scène 5
La nourrice découvre le corps de sa maitresse sans vie. Tous se
lamentent et pleurent. Les musiciens se disputent de façon incongrue vu
les circonstances.
Le 28 novembre 1582, Shakespeare épousa
Anne Hathaway. Cette dernière était déjà
enceinte de plusieurs mois.
Nous perdons ensuite la trace de
Shakespeare pendant près de dix ans. On ne
sait rien de ce qu’il fit au cours de cette
période, mais l’on sait qu’il quitta Stratford pour rejoindre Londres (sans doute
vers 1587), et que sa femme accoucha de plusieurs enfants.
Acte V
Scène1
Roméo apprend la mort de Juliette. Il se procure une fiole de poison
pour mourir aux côtés de sa bien- aimée.
Scène 2
Frère Laurent apprend que la lettre qui devait prévenir Roméo de leur
stratagème ne lui est pas parvenue. Il craint le pire et se rend dans le
tombeau de Juliette.
Shakespeare, alors acteur et dramaturge, reparaît en 1592, vertement critiqué
par le pamphlétaire anglais Robert Greene, pour sa pièce Henri VI.
5
Peu après, en 1594, Shakespeare rentra en collaboration avec une compagnie
théâtrale, le Lord Chamberlain’s Men (du nom de Lord Chamberlain, ministre
responsable des divertissements royaux, qui finançait alors la compagnie).
4)
Des sources d’inspiration multiples
Il existe au moins vingt-quatre opéras inspirés de Roméo et Juliette. Le premier,
Romeo und Julie (1776), est un singspiel de Georg Benda ; il coupe une bonne
partie de l’action et la plupart des personnages, et s’achève sur une fin heureuse.
Le plus connu est le Roméo et Juliette (1867) de Charles Gounod, sur un livret de
Jules Barbier et Michel Carré, qui rencontre un succès triomphal à sa création et
reste fréquemment joué aujourd’hui. I Capuleti e I Montecchi de Vincenzo Bellini
(livret de Felice Romani) est également interprété de temps à autres ; plutôt
qu’une adaptation directe de Shakespeare, il s’inspire de sources italiennes,
notamment du livret de Romani pour un opéra de Nicola Vaccai.
Au fil du temps, Shakespeare finit par ne plus écrire que pour le Lord
Chamberlain’s Men, ne dédaignant pas de monter sur la scène pour incarner l’un
de ses personnages. Suite à la mort d’Elizabeth 1re et à l’avènement de Jacques
1r, le roi, attiré par la popularité de la troupe, rachète la compagnie qui fut
renommée le King’s Men.
Shakespeare et ses collaborateurs s’installèrent alors au théâtre du Globe. La fin
de vie de Shakespeare fut un peu agitée. Il fut assigné en justice pour avoir
clôturé ses terres, privant de revenus de nombreux paysans.
Piotr Ilitch Tchaïkovski compose en 1869 son poème symphonique Roméo et
Juliette, révisé en 1870 et en 1880.
Shakespeare mourut le 23 avril 1616, à l’âge de 52 ans. L’œuvre de William
Shakespeare est considérable. En effet, ce dernier écrivit de nombreuses pièces
de théâtre (classées aujourd’hui en trois catégories : comédies, tragédies, pièces
historiques).
La version de Hector Berlioz, composée en 1839, la « Symphonie dramatique »
Roméo et Juliette doit son existence à la générosité de Nicolo Paganini qui
voyant en lui l’héritier de Beethoven, lui fit don de 20 000 francs. Payant ses
dettes, le compositeur se mit à l’œuvre et acheva la partition au bout de sept
mois : «De quelle ardente vie je vécus pendant tout ce temps !». Après avoir
rédigé un synopsis à partir des scènes les plus importantes du drame de
Shakespeare, il confia au poète Émile Deschamps le soin d’écrire les textes des
parties chantées.
Parmi les comédies les plus connues, nous pouvons citer : Le songe d’une nuit
d’été (1594), La mégère apprivoisée (1594), Beaucoup de bruit pour rien (1598),
etc.
Pour les tragédies, citons Roméo et Juliette (1591), Hamlet (1594), Jules César
(1599), Troïlus et Cressida (1602),Othello (1604), Le roi Lear (1605), Macbeth
(1606), Coriolan (1608), Antoine et
Cléopâtre (1607).
Le plus célèbre des ballets inspirés de la pièce est le Roméo et Juliette de Sergueï
Prokofiev. Il est refusé par le ballet Kirov, qui l’avait commandé, lorsque
Prokofiev tente d’y introduire une fin heureuse, puis en raison du caractère
expérimental de sa musique.
Enfin, parmi les pièces historiques les plus renommées de cet auteur, citons
RichardIII (1593) et Le roi Jean (1596).
Roméo et Juliette a inspiré plusieurs œuvres de jazz parmi lesquelles la chanson
Fever de Peggy Lee. L’album de Duke Ellington Such Sweet Thunder (1957)
contient une pièce intitulée The Star-Crossed Lovers, dans laquelle le couple est
représenté par deux saxophones, un ténor et un alto. Loin d’être traités à égalité,
le saxophone de Juliette domine clairement la composition. Dans la musique
populaire, la pièce a inspiré des chansons aux The Supremes, à Bruce
Les dernières pièces de Shakespeare, écrites à partir de 1608, sont nommées
«Les romances tardives», et sont souvent considérées comme des pièces à
problèmes (en effet, ces dernières mêlent aspects comiques et tragiques).
Shakespeare écrivit aussi des sonnets et des poèmes.
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Springsteen, Taylor Swift, Tom Waits et Lou Reed, ainsi qu’à Dire Straits, dont la
chanson Roméo et Juliette est sans doute la plus connue du lot.
La plus célèbre des comédies musicales adaptées de la
pièce est West Side Story, avec une musique de
Leonard Bernstein et des paroles de Stephen
Sondheim. Lancée à Broadway en 1957 et dans le West
End en 1958, elle fait l’objet d’une adaptation au
cinéma en 1961. Le cadre de l’intrigue est déplacé dans
la New York du XXe siècle, et les familles ennemies sont
remplacées par des gangs urbains ou communautés.
Il en va un peu de même pour le film William
Shakespeare's Romeo + Juliet, sorti en salles en 1997.
Le réalisateur australien Baz Luhrmann créée une
adaptation cinématographique du grand classique de
Shakespeare. Il transporte Vérone dans un quartier
e
défavorisé des États-Unis, dans un décor du XX siècle,
tout en conservant le texte original (même si le texte
est en grande partie raccourci). Vérone devient Verona
Beach, et les Montaigu et les Capulet sont deux familles
de la mafia qui luttent pour le contrôle de la ville. Le
Prince est devenu le capitaine de la police et le chœur
du théâtre est remplacé par une présentatrice de
journal à la télévision.
7
1
plus lyrique et accessible au peuple soviétique . Ce nouveau style est pleinement
ressenti dans la musique de Roméo et Juliette
B) Présentation de l’œuvre musicale « Romeo et
Juliette » op. 64 de Sergey Sergeyevich Prokofiev
1) Prokofiev (1891 – 1953) et l’histoire de la création de son ballet
2) Une création difficile
Considéré très tôt comme l'enfant terrible de l'art moderne d'un style dur,
cassant et dissonant, d'une rythmicité brutale et inventive et d'une énergie
extrême, qui jaillit à la force du marteau de sa musique « jeune » et « sans
complexes », Prokofiev montre un autre visage avec son Roméo et Juliette.
L'idée du ballet « Roméo et Juliette » est suggérée par la direction du Théâtre
2
Kirov de Leningrad en 1935. Prokofiev, nourrissant un vif intérêt pour
Shakespeare et pour le ballet, le genre si apprécié des théâtres soviétiques, est
enthousiaste. Il achève la première version de Roméo en quatre mois.
Au moment où se joue la révolution bolchévique et à la chute du tsar Nicolas,
(1917), il quitte la Russie et suit Stravinski et les ballets russes en Europe.
Le livret fut élaboré par le compositeur avec un metteur en scène, Radlov. Mais le
Théâtre Kirov range le projet dans ses tiroirs, et le Bolchoï qualifie la partition
d'« indansable » a cause de ses rythmes difficiles.
À partir de 1927, il supporte de plus en plus mal l'exil et correspond de plus en
plus avec ses amis restés en URSS. Il décide d'y faire une tournée dont le succès
est tel qu'il fait salle comble pendant plus de deux mois. Fort de sa réputation
internationale, il est très convoité par Staline et par le régime soviétique, qui
tente de le « récupérer » et le courtise.
Renonçant à la forme du ballet, Prokofiev décide d'en faire deux suites pour
3
orchestre avec un cycle pour le piano (dix morceaux, transcrits à partir de la
partition) et de les publier. Ces pièces sortent en 1936 et c’est sous cette forme
que la musique commence à être connue.
Flatté par des tournées enthousiasmantes en URSS (1927, 1929, 1932 etc.) et des
commandes intéressantes, Prokofiev décide de rentrer au pays, autour de 1936.
Il est fêté comme un héros national ayant conquis l'Occident.
Le ballet n'atteint la scène qu’à la fin de 1938 à Brno en Tchécoslovaquie (sans
que le compositeur n'y collabore).
C'est installé en face du Bolchoï, à l'Hôtel Métropole, en attendant son
appartement à Moscou mis à disposition par les autorités, que Prokofiev écrit son
célèbre conte symphonique Pierre et le Loup (op. 67). Après sa première officielle
en mi-mai 1936, la famille Prokofiev reste définitivement à Moscou.
Pour la première russe (11 janvier 1940) au Théâtre Kirov et en 1946 pour
Bolchoï, Prokofiev apporte des modifications et ajoute d'autres passages. Ce
spectacle chorégraphié par Lavrovsky pour la danseuse-étoile Galina Oulanova
sera triomphalement accueilli au Royal Opera House, Covent Garden en 1956.
Cette version restera longtemps une version de référence.
Ainsi, au milieu des années trente, il rentre dans une nouvelle phase de sa vie,
tant au niveau politique qu’artistique et musical. Une période prolifique s'ouvre
de nouveau à lui. Se voyant confier des fonctions officielles, il devient impératif
de simplifier son langage musical, d’alléger son style, le rendre « moins agressif »,
1
En 1934 Prokofiev publie un article dans un journal national Izvestia « Chemin de la musique
soviétique » : « On pourrait qualifier la musique dont on a besoin ici « facile et savante », ou de
« savante mais facile » ... Avant tout, elle doit être mélodique...La simplicité ne doit pas être une
simplicité passée de mode, mais une simplicité nouvelle », cit M. Dorigné, Serge Prokofiev, Fayard,
1994, p. 419
2
L'ancien théâtre Maryinsky de Saint-Pétersbourg
3
8
Il ajoutera une troisième suite en 1944
La création musicale de Prokofiev fera naître ensuite une floraison de
chorégraphies.
véritable représentation théâtrale dans laquelle la musique est le socle, à la fois
la trame et contenu, nous paraît intéressante pour ce nouveau type de ballet.
La première représentation du « Roméo et Juliette » de MacMillan, avec Noureev,
le 9 février 1965 fut saluée par quarante minutes d’ovations. On peut citer aussi:
Serge Lifar, John Cranko,Kenneth MacMillan, Birgit Cullberg, Vittorio Biagi, John
Neumeier, Oleg Vinogradov, Heinz Spoerli, Rudolf Noureev, Oscar Araïz, Iouri
Grigorovitch, Bertrand d’At, Jean-Christophe Maillot, Nacho Duato, Angelin
Preljocaj…
Grâce à la musique de Prokofiev, plus axée sur l'expressif que sur le descriptif, et
aux effets théâtraux très poussés, le ballet Roméo et Juliette accède à une
popularité extraordinaire et ouvre une époque nouvelle de la danse et de
l'adaptation chorégraphique des ouvrages de la grande littérature.
4) Structure du ballet par son auteur
3) Vers une nouvelle forme du ballet ?
Dans un article « A quoi je travaille actuellement » (1939) Prokofiev explique sa
démarche dans Roméo et Juliette : « Je me suis appliqué à imprimer à chaque
acte un coloris particulier » :
Dans l'édition définitive, la musique de Prokofiev de Roméo et Juliette comprend
52 numéros groupés en trois actes et un quatrième, très court, en guise
d'épilogue.
« Le premier acte, qui a lieu dans le palais des Capulets, offre le spectacle
somptueux d'une fête de cette chevalerie féodale dont les traditions surannées
écrasent sans merci les germes d'un amour jeune et pur. »
Jusqu'alors tous les ballets de Prokofiev avaient été très courts (d'une demiheure) et en un acte. Celui–ci est d’une longueur inhabituelle de deux heures et
demie. Toutefois il a bien été déterminé en structure, comme en musique, par les
ballets classiques russes, dont ceux de Tchaïkovsky, où s'impose la structure bien
romantique de danse théâtrale narrative en trois grands actes.
« Pour le deuxième acte, j'ai pris comme fond une fête populaire. La gaîté, la
légèreté, l'insouciance qui règnent en font la contrepartie du premier acte. »
« Tout le troisième acte a lieu dans les intérieurs, dans l'intimité où se trame la
collision qui amènera le dénouement tragique. C'est l'acte où se déroule le drame
passionnel. En conséquence, l'orchestration plutôt intime est celle d'un orchestre
de chambre. »
A ce propos, serait-il envisageable de parler de nouveau genre ? Les biographes
4
évoquent un «opéra-ballet » ou encore d'un « opéra muet » ... Bien que l'emploi
du terme « opéra » paraît déplacé, l'idée de ce nouveau ballet, qui « s'humanise»
et où la musique «décrit une action, des états d'âme, comme il s'agissait d'une
5
œuvre dramatique» est tout à fait valable.
« Enfin, le quatrième acte est si court que je suis presque enclin à le désigner du
nom d'épilogue. C'est précisément dans cette brièveté, dans ce langage musical
condensé qu'il me semble voir la seule manière de rendre le sujet par des
6
moyens chorégraphiques ».
Le compositeur lui-même souhaitait, d'après le chorégraphe Lavrovsky, traduire
l'intensité des sentiments exprimés par les protagonistes de la tragédie
shakespearienne par « une fusion de la danse et du mime ». Cette notion d'une
4
M. Dorigné, idem, p. 447
5
« La chorégraphie renonce aux effets gratuits et adopte, en quelque sorte, la forme d'un opéra
muet dans lequel la danse, la gestuelle et les expressions du visage se substituent aux paroles d'un
livret »: idem, p. 447
6
9
M. Dorigné, idem, p. 450
Les autre personnages, l'exubérant Mercutio, le sinistre Tybalt, la Nourrice à la
démarche de canard, ont également leurs thèmes musicaux associés à leurs
émotions, ou leurs « portraits » , qu'on pourrait qualifier de Leitmotiv. Notons
que Prokofiev n'utilise pas cette association sous une forme rigide. A ce propos le
thème, qui symbolise la haine entre les familles Montaigu et Capulet et l'orgueil
du clan, va naitre dans Le combat (n°6), lourd et archaïque, animé par un rythme
primitif. Il réapparaitra pendant la Danse des Chevaliers (n°13) en poursuivant sa
tache destructive. Ce thème a également une fonction de leitmotiv.
5) Les personnages et leur incarnation musicale
Prokofiev accentue sensiblement le côté lyrique du drame de Shakespeare.
Ainsi le personnage de Juliette, son préféré, a été doté de plusieurs thèmes
musicaux. On la suit à travers ses thèmes, délicats ou passionnés, toujours d'une
grande beauté mélodique et d'un ravissement instrumental.
La partition s'ouvre par le thème d'amour d'Introduction (n° 1). Sa mélodie, si
simple en ligne des croches, qui montent et descendent en vagues, fait un sorte
de ruban, qui bouge en mouvement berçant. Ce thème est « chanté » par
plusieurs instruments (les cordes et les bois). C'est l'effet harmonique, qui vient
des accords où glissent les chromatismes, qui ajoute un supplément de beauté de
cette mélodie. Un autre thème avance tout de suite au violon avec ses petits pas
gracieux sur un accompagnement de cordes délicats...
Le décor italien du drame a été spécifié seulement dans quelques danses: Danse
des mandolines (n°25), que Prokofiev a voulu « sur scène » et Danse populaire
(n°22), par l'évocation du rythme de tarentelle. Néanmoins, sans être
spécialement « italiens » les numéros comme La rue s'éveille (n°3) ou Masques
(n°12) sont des pages brillantes par leur vivacité, l'imagination rythmique et la
fantaisie instrumentale.
Rien qu'à la première page de la partition deux idées musicales présentent
Juliette et son amour. On en aura d'autres, comme la gamme de Do majeur vive
et sautillante, qui ouvre un autre portrait de Juliette enfant (n° 10), une page
délicieuse, pleine de fraîcheur et d'espièglerie. Après la Scène du balcon (n°19)
avec le thème extatique et combien romantique du violoncelle (doublé d'un cor
anglais), c’est avec Roméo fait ses adieux à Juliette (n°39) que Prokofiev marque
le tournant dramatique dans l'évolution de son personnage préféré.
Prokofiev dissocie les scènes d'intérieur et d'extérieur en variant la tessiture
orchestrale et en accentuant le rôle du timbre. L'effet sonore doux et transparent
des bois seuls est très spectaculaire après l'âpreté des cuivres. Notons un effet
futuriste de dissonances tenues (L'ordre du Duc n°7).
6) La composition de l’orchestre
Le compositeur aime tellement son héroïne, qu'il envisage à un moment donné
un happy end, qui ressuscitera Juliette, mais n'arrive pas le concevoir
musicalement. Dans La chambre de Juliette (n°46) les bribes de sa danse (Trio de
Danse des Chevaliers) glissent avec une tristesse profonde, tandis que le timbre
de la flûte et du hautbois étrangement figés sur leur ostinato de quatre notes qui
peinent à remonter (Juliette seule n° 47) pétrifient et produisent un effet glacial.
Il s’agit d’un groupe spécifique « de Prokofiev » : timbales et grandes batteries,
harpe, piano et cloches. Les bois (par trois), saxophone ténor, les trombones et
les trompettes (par trois), cornet à pistons, quatre cors, les cordes avec alto solo,
qui peut être remplacé par une viole d'amour.
L'évolution de Roméo se manifeste également dans la musique. L'adolescent
impétueux (La querelle n°5, Le combat n°6) se transforme en poète amoureux
(Madrigal n°16), en amant fougueux et ensuite en combattant farouche plein
d'amertume (Roméo décide de venger le mort de Mercutio n°35). Prokofiev
excelle ici dans le travail rythmique, invente les motifs et les varie en
permanence.
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2) Le projet
C) La production au Festival d’Aix
Le Festival d’Aix-en-Provence présente Roméo et Juliette de
Prokofiev, une production alliant danse et musique créée en
collaboration avec le Groupe Grenade de Josette Baïz et
l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée.
1) Distribution
ROMEO ET JULIETTE
William Shakespeare (1564-1616)
Serge Prokofiev (1891-1953)
Ce projet fédère les savoir-faire et les expériences de chacun des
partenaires en matière d’éducation artistique et de formation professionnelle des
jeunes, dans une démarche créative marquée par le goût de la transmission et du
partage. Il réunit environ 180 jeunes musiciens et danseurs, dont une centaine
d’enfants et d’adolescents qui, en relation avec le service éducatif du Festival
d’Aix-en-Provence, suivent depuis 2010 des ateliers dirigés par les danseurs
professionnels de la Compagnie Grenade.
Musique : Serge Prokofiev
Direction Musicale : Kristjan Järvi
Chorégraphie : Josette Baïz
Décors : Dominique Drillot
Costumes : Philippe Combeau
Poésie-Rock : Frédéric Nevchehirlian
Avec l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée, le Groupe Grenade et les
enfants des écoles élémentaires Marcel Pagnol et Alphonse Daudet à Aix-enProvence
Production du Festival d’Aix-en-Provence, de l’Orchestre des Jeunes de la
Méditerranée et de la Compagnie Grenade de Josette Baïz, en collaboration avec le
London Symphony Orchestra
Coproduction : Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture
Avec le soutien de la Fondation Orange
Représentations
Une forme originale avec musique enregistrée (samedi 8 juin 2013 au GTP)
et 100 danseurs
Le même spectacle avec l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée (26 et
27 juillet au GTP)
26 et 27 juillet : Festival d’Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence
La sélection des parties musicales dans la partition de Prokofiev, réduite à une
heure environ, renforce la dimension dramatique de l’ouvrage. L’exécution en est
confiée à l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée qui s’est associé depuis 2010
au Festival d’Aix-en-Provence pour créer une académie d’orchestre en
collaboration avec le London Symphony Orchestra. Composé de 80 jeunes
musiciens de la région Paca et de 20 pays du Bassin méditerranéen, encadrés par
les musiciens du LSO, cet orchestre-école au service du dialogue interculturel
répétera l’ouvrage sous la direction de Kristjan Järvi pendant sa session d’été au
Grand Théâtre de Provence.
Invité par le Festival d’Aix à se joindre au projet, le slameur Frédéric
Nevchehirlian conçoit pour les danseurs plusieurs interventions déclamées sur le
mode d’une poésie-rock inspirée par les textes de Shakespeare.
« Juliette et Roméo avaient entre 14 et 16 ans à l’heure du drame, l’âge de la
rébellion, de la sauvagerie, des attitudes extrêmes. Mon intention est d’utiliser
des danseurs du même âge pour mettre en évidence la violence et l’inconscience
de cette période adolescente.
La sélection des parties musicales est donc en rapport avec cet axe passion - folie
et drame de la jeunesse et laisse de côté les anecdotes qui ne sont pas dans le
droit fil de cette dimension psychologique. » Josette Baïz, Chorégraphe
Le spectacle sera ensuite repris en tournée.
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Note d’intention de Dominique Drillot – Compagnie Grenade :
3) Biographies
Dans Roméo et Juliette, Shakespeare nous parle d’empêchements et de mobilités.
Si l’espace est contraint, l’amour saura s’en satisfaire. Si les obstacles sont trop
hauts les amoureux sauront les gravir fort de leur amour. Dans cette tragédie
amoureuse, les murs sont une nécessité impérieuse. Ils définissent les espaces qui
se succèdent, les intérieurs autant que les extérieurs et les chambres autant que
les palais. Les personnages du drame traversent ces lieux en permanence. Ils s’y
arrêtent fréquemment pour se jauger et pour se battre et pour se détester et pour
s’aimer. Ici, il semble que les images en travelling soient les bienvenues et c’est
dans doute pour cela que ces obstacles un peu hauts glissent sur le sol anthracite.
Ils marquent des territoires provisoires que les personnages empruntent. Ils
définissent des espaces aux mesures changeantes qui accompagnent les actions
fatales. Munis de leurs côtes de mailles, ces murs nous laissent voir toutes les
actions simultanées. Leur relative transparence nous donne à voir les squelettes
de leurs structures métalliques. D’un retournement ils font apparaître de quoi ils
sont faits. Les verticales d’acier se complètent des horizontales en d’improbables
constructions post-industrielles hors du temps, sans qu’ils aient à se déplacer et ils
nous donnent à voir des parcelles d’intimité que d’autres personnages ignorent
encore. Parfois, grâce à la lumière changeante, ils se parent d’or pour donner à
voir la richesse des palais. Ils se teintent ensuite de couleur acier et menaçante.
L’heure du drame doit sans doute être très proche. Ici, à chaque scène, l’action
s’accompagne d’une architecture particulière. L’amour sera doux dans son aspect
mis à l’épreuve, il sera comme les murs qui l’accompagnent et comme le définit
Shakespeare : tyrannique et si brutal.
Josette Baïz
Josette Baïz, formée par Odile Duboc, enseigne la danse contemporaine depuis
1978 à Aix-en-Provence, où elle crée
ses premières chorégraphies pour de
jeunes danseurs issus de ses cours. En
1982, alors danseuse chez Jean-Claude
er
Gallotta, elle obtient le 1 Prix au
Concours
International
de
Chorégraphie de Bagnolet. Elle fonde
alors sa compagnie, La Place Blanche,
et crée depuis plus de 30 spectacles.
En 1989, le Ministère de la Culture lui
propose une résidence d’une année
dans une école des quartiers nord de
Marseille. Cette rencontre avec ces
jeunes d’origines et de cultures diverses l’amène à repenser le sens de son
travail, à modifier radicalement sa démarche artistique et à créer le Groupe
Grenade en 1992, composé alors de plus de trente jeunes danseurs.
Groupe Grenade et Compagnie Grenade
En 1998, Josette Baïz prend le parti de pérenniser le travail de métissage
entrepris avec Grenade, tout en restant dans une optique
profondément contemporaine. Elle crée alors la Compagnie
Grenade, avec cinq danseuses issues du Groupe Grenade.
Dominique Drillot, février 2012.
Aujourd’hui, Grenade est un ensemble chorégraphique
composé d’une soixantaine de danseurs répartis entre le
Groupe Grenade et la Compagnie Grenade. Le Groupe
Grenade se compose d’une cinquantaine d’enfants et
12
adolescents de 7 à 18 ans, la Compagnie Grenade quant à elle est composée
d’une douzaine de professionnels adultes.
Orchestre des Jeunes de la Méditerranée
Créé en 1984 par la Région Provence-Alpes-Côte
d’Azur et le Ministère de la culture, l’Orchestre
des Jeunes de la Méditerranée poursuit ses
objectifs de formation musicale au service du
dialogue
interculturel
en
Méditerranée.
Aujourd’hui, cet orchestre-école organise une ou
plusieurs sessions à l’année afin de proposer aux
jeunes musiciens de la région Paca et du Bassin
méditerranéen se destinant à une carrière
musicale une expérience « professionnelle » de la
vie d’un orchestre en répétition et en concert.
Kristjan Järvi
Né en Estonie, Kristjan Järvi a grandi en
Amérique où il a développé une
personnalité
musicale
unique,
repoussant les frontières de la musique
classique par des idées neuves, du
charisme et de la prouesse technique.
Salué par le New-York Times comme
« une force cinétique sur l’estrade,
comme la réincarnation de Leonard
Bernstein », Järvi a combiné ses racines
classiques et une affinité pour le
répertoire traditionnel avec un enthousiasme contagieux pour la création de
e
programmes originaux. Il a ainsi contribué à propulser au XXI siècle les salles de
concerts classiques dans le monde entier.
En 2010, le Festival d'Aix-en-Provence s'est associé avec l'Orchestre des Jeunes de la
Méditerranée pour créer une Académie d'orchestre, en collaboration avec le London
Symphony Orchestra en résidence au Festival.
Comme fondateur et directeur musical de l’Absolute Ensemble de New-York et
du Baltic Youth Philharmonic ainsi que comme conseiller artistique de l’Orchestre
de Chambre de Bâle, le nom de Kristjan Järvi est devenu synonyme de diversité
artistique et culturelle. Ses programmations originales ont été adoptées dans les
milieux de la musique classique, du jazz et des musiques du monde. Ses
engagements authentiques dans tous les genres sont reflétés par ses
collaborations, notamment avec Arvo Pärt, John Adams, Esa-Pekka Salonen, H.K
Gruber, Renée Fleming, Joe Zawinul, Goran Bregovic, Paquito d’Rivera, et Marcel
Khalife.
Kristjan Järvi est invité à diriger régulièrement le London Symphony Orchestra,
ainsi que de nombreux orchestres internationaux, et il a pris la direction musicale
du MDR Symphony Orchestra Leipzig pour la saison 2012-2013.
Josette Baïz – atelier danse autour de Romeo et Juliette
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