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Génial Resnais!
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Au cinéma, il met fin au divorce entre le "grand et le "petit" art
N° 345 Semaine du 01 décembre 2003 au 07 décembre 2003
Si le maître "connaît la chanson", il aime aussi l'opérette. Il signe l'adaptation de "Pas sur la bouche" c réé
en 1925. Histoire d'une renaissance, par notre collaborateur Benoît Duteurtre, conseiller musical du film.
Auteur : Duteurtre Benoît
Quand j'ai appris qu'Alain Resnais s'apprêtait à tourner Pas sur la bouche , il m'a semblé que s'accomplissait enfin
la « bonne nouvelle » , celle dont parle la Bible. Un horizon bouché depuis trente ans se dégageait soudain, une
rencontre inespérée se produisait sous mes yeux...
Comme si Patrice Chéreau mettait en scène une
comédie de Feydeau ! Comme si Pierre Boulez
enregistrait les opéras de Léo Delibes ! Lorsqu'un
cinéaste aussi important qu'Alain Resnais s'intéresse à
Pas sur la bouche, une opérette composée par Maurice
Yvain en 1925, on peut espérer que l'irrémédiable
divorce du « grand art » et du « petit art » touche
provisoirement à sa fin, que nous soyons sur le point
d'en finir avec la triste logique de cette seconde moitié du
XXe siècle, opposant un art savant toujours plus rasoir et
prétentieux à des amusements toujours plus vulgaires et
racoleurs. Un grand artiste-Resnais-, auréolé par
l'avant-garde, se penche à nouveau sur le
divertissement. Et voilà que la plupart des
commentateurs dits « autorisés » vont s'aviser que le
divertissement n'est pas si ringard.
Tout en me réjouissant de la bonne nouvelle, je songeais
à ces grands esprits qui, bientôt, commenceront à
expliquer que Maurice Yvain est un musicien méconnu.
Les mêmes ricanaient, hier encore, quand on leur parlait d'opérette... Quelques semaines plus tard, ma joie allait
tourner au bonheur, après un coup de téléphone de la production m'invitant à venir bavarder avec Alain Resnais, en
qualité de spécialiste du genre. Le lendemain, un peu intimidé, je rencontrais le cinéaste -toujours tiré à quatre
épingles dans son assortiment de noir, blanc et rouge, d'un chic très fantaisiste. H était accompagné de Bruno
Fontaine, compositeur-jazzman-improvisateur auquel il avait déjà confié les arrangements de son précédent film,
On connaît la chanson. Et je me suis aperçu que je n'avais pas grand-chose à leur apprendre sur Maurice Yvain. Le
réalisateur de Mon oncle d'Amérique, mélomane avisé, était parfaitement informé de toutes les éditions et
rééditions des oeuvres qui l'intéressent : quelques 78-tours datant de la création de Pas sur la bouche, quelques
enregistrements fragmentaires sur 33-tours. Fontaine, de son côté, avait immédiatement saisi l'essentiel de l'art
d'Yvain, ce côté frénétique de la chanson parisienne des années 20, cet art consommé des ensembles à plusieurs
voix, où les mélodies se répondent dans une véritable conversation en musique.
En fait, c'est moi qui avais une question à poser : mais pourquoi avez-vous choisi Pas sur la bouche, oeuvre
inconnue d'un compositeur oublié, dans un genre passé de mode et dédaigné ? Il s'agit certes d'une très bonne
opérette, je le savais, à force de fouiller dans les documents d'époque et les archives sonores. Mais, pour Resnais,
comment le déclic s'était-il produit ? Sur le vif ! Dans les années 30, Alain Resnais grandissait en Bretagne et
passait les vacances à Paris, chez ses grands-parents. On l'emmenait voir des spectacles aux Bouffes parisiens-le
théâtre d'Offenbach, alors dirigé par Albert Willemetz, figure centrale du music-hall parisien. Il avait découvert,
enfant, les créations et les vedettes d'avant-guerre: René Koval (sonidole) et Pauline Carton chantant le duo des
Palétuviers dans Toi, c'est moi, le grand succès de 1934 ; Arletty et Simone Simon dans O mon bel inconnu,
comédie musicale du très proustien Reynaldo Hahn. Abreuvé à la bonne source, le cinéaste a cultivé ce goût qui
devait le porter plus tard, avec la même passion, vers Broadway, puisque, à Paris, le spectacle musical a
continuellement décliné depuis quarante ans, jusqu'au récent retour (bas de gamme) de Notre-Dame de Paris.
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On ne se figure plus, aujourd'hui, le monde de l'opérette parisienne entre les deux guerres. Il nous en reste pourtant
quantité de refrains et de vedettes, passées ensuite au cinéma. Pauline Carton, Arletty, Suzy Delair, Dranem,
Gabin, Raimu, Fernandel ont tous commencé par chanter. L'année 1918 marque le début d'un véritable, âge d'or
dans l'histoire du spectacle. Tandis que le Casino de Paris présente ses meilleures revues, les théâtres du
boulevard accueillent une génération nouvelle de compositeurs et de librettistes, décidés à en finir avec le côté
sentimental et cocardier de l'opérette 1900. C'est ainsi que naît la « comédie musicale à la parisienne » , lancée en
fanfare par Phi-Phi, en 1918, puis Dédé en 1921, où Maurice Chevalier chante « dans la vie, faut pas s'en faire »
véritable mot de désordre des Années folles.
Le parolier de ces opérettes, Albert Willemetz, rencontre alors un jeune musicien, Maurice Yvain, pianiste virtuose
passionné par le jazz naissant. Ils signent ensemble quelques-unes des plus belles chansons de Mistinguett (Mon
homme, notamment) puis deux opérettes, Ta bouche et Là-haut. Après la première de Là-haut, le compositeur
Arthur Honegger écrit: « Un finale d'Yvain, c'est ficelé comme un finale d'Haydn. Ce petit musicien est un maître. »
La comédie musicale parisienne, contrairement à sa cousine américaine, n'est pas un « grand spectacle » mais une
pièce de boulevard, ponctuée de chansons. On n'y voit pas de ballets, à l'exception de quelques « petites femmes »
pour les choeurs et les finales. Les rôles principaux sont tenus par des acteurs, des fantaisistes et non par des
chanteurs lyriques. Pourtant, d'une rive à l'autre de l'Atlantique, les comédies musicales présentent certaines
parentés de style et d'esprit : les rythmes syncopés (fox-trot, one-step, char-leston) ont remplacé les valses de
l'opérette 1900. Et, dans toutes ces oeuvres (celles d'Yvain à Paris, comme celles de Gershwin à New York), souffle
un esprit frondeur, entre cynisme et immoralité joyeuse. L'action se passe souvent dans des décors modernes
(villas bourgeoises, courts de tennis, casinos). Et les protagonistes ne pensent qu'à coucher les uns avec les autres
et à s'enrichir.
Leur morale est simple : 1) l'existence est vouée au jeu et au plaisir ( « dans la vie faut pas s'en flaire » ; 2) derrière
l'apparence d'une bourgeoisie convenable, chacun ne songe qu'à ses obsessions, poursuivies jusqu'au délire (le
sujet même de Pas sur la bouche) ; 3) le mieux est d'avoir de l'argent et de le dépenser (dans No No Nanette,
grand succès américain, le héros délaisse sa femme parce qu'elle ne dépense pas assez ; 4) rien n'est plus normal
pour un époux que d'avoir une maîtresse et pour une épouse que d'avoir un amant (mais « deux amants, c'est
19/02/2007 03:02
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beaucoup mieux » , chante Yvonne Printemps sur des couplets de Sacha Guitry ; 5) tout cela, naturellement, ne
prête pas à conséquence. Ainsi résumée, cette époque pourrait sembler plus « libérée » que la nôtre, avec ses
sentiments à l'eau de rosé (dans
les séries télé)
ou sa sexualité revue
par une psychologie
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veut donner
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nouveau genre à la mode attire toutes les couchesTel
de: la
société.
Les
entraînés
par Cocteau
et le groupe des Six, les philosophes comme Bergson (par ailleurs auteur du Rire ) se précipitent dans les théâtres
avec les bourgeois et les employés. Entre les préoccupations des uns et des autres, la distance n'est pas si grande.
Les calembours des livrets d'opérette rejoignent parfois les jeux de langage dadaïstes ; la folie des personnages
guidés par leurs idées fixes et leur frénésie libidineuse n'est pas si loin du surréalisme. Dans Pas sur la bouche, le
riche industriel développe des théories délirantes sur la sexualité des femmes qui font dire à Resnais : « Là, nous
sommes près de Lewis Caroll. » Le divertissement croise le grand art et la même fantaisie circule partout, jusque
chez Picasso et Picabia. Charley, le jeune homme de Pas sur la bouche, est lui-même adepte du mouvement «
cucu » (cubisto-cunéiforme)... C'est seulement après la Seconde Guerre mondiale que l'avant-garde prendra des
airs dégoûtés pour parler d'un esprit parisien « franchouillard » .
Malgré le sérieux de sa génération, malgré la modernité radicale de ses premiers chefs-d'oeuvre, Alain Resnais n'a
jamais oublié sa fascination pour les excentriques, le music-hall, les numéros de fantaisistes et la chanson. Même
pour parler d' Hiroshima mon amour, il compare parfois les textes de Duras à des chansons de Piaf. Pour la
musique de son film Stavisky, il a fait appel à Stephen Sondheim, l'un des monstres sacrés de Broadway. Et dans
On connaît la chanson il rendait déjà hommage aux refrains populaires. Resnais se défend toutefois d'un
quelconque militantisme dans le projet de Pas sur la bouche. L'an dernier, il devait réaliser un autre film sur un
scénario de Michel Le Bris, quand une difficulté technique l'a obligé à reporter le tournage. Cherchant une solution alors que les acteurs et toute l'équipe étaient déjà retenus -, le cinéaste parle avec son producteur Bruno Pésery
des opérettes de rentre-deux guerres : « Trois jours plus tard, il m'apportait les livrets d'une dizaine d'opérettes,
trouvées à la bibliothèque de l'Arsenal. Quand je suis arrivé à Pas sur la bouche, j'ai été frappé par ce
développement musical d'une intrigue absurde, mais aussi par les jeux de mots et de sonorités. Nous avons passé
une journée avec Bruno Fontaine à regarder la partition et cette musique nous a enthousiasmés. »
La "trilogie buccale"
Maurice Yvain a composé Pas sur la bouche en 1925, sur un livret d'André Barde, « l'un des derniers poètes
décadents de Montmartre » . auteur de plusieurs opérettes avant-guerre, Barde s'adapte parfaitement au ton
nouveau de la comédie musicale. Des années plus tard, Yvain désignera cette oeuvre comme un « modèle du
genre » . Sans attendre, les deux hommes composent une nouvelle opérette intitulée Bouche à bouche qui
constitue, après Ta bouche et Pas sur la bouche, le troisième volet de la « trilogie buccale » d'Yvain.
Dans Pas sur la bouche s'affrontent les théories du bourgeois français Valandrey (d'après lui, en vertu d'une « loi
biologique » , la femme revient toujours vers l'homme qui l'a « visitée » en premier), et celles de l'industriel
américain Thomson (un puritain persuadé que « la bouche c'est fait pour causer, pas pour baiser » ). Pendant ce
temps-là, leurs femmes courent les jeunes gens et achètent des bijoux. Créée au Théâtre des Nouveautés avec un
orchestre de 17 musiciens, l'oeuvre remporte un vif succès, en particulier grâce aux prestations de Koval et de
Pauline Carton, la concierge qui observe l'action par le trou de la serrure ( « C'est par le trou qu'on connaît tout! » )
Lorsque Resnais et son producteur décident de tourner Pas sur la bouche, les acteurs sont les premiers surpris, la
plupart d'entre eux n'ayant aucune expérience de chanteur -à l'exception de Lambert Wilson, choisi pour le rôle de
l'Américain créé par Koval, et de Daniel Prévost qui a fait du cabaret dans sa jeunesse. Mais Alain Resnais,
justement, veut retrouver l'esprit de la comédie musicale parisienne, et susciter de nouveau talents d'acteurs
chantants. Pendant des semaines, Pierre Arditi, Sabine Azéma, Isabelle Nanty, Audrey Tautou, Dary Cowl et Jalil
Lespert, se retrouvent, autour, de Bruno Fontaine et de Yann Molénat (qui travaille à l'Opéra-Bastille) pour
apprendre les rôles et surtout « libérer » leurs voix, afin de découvrir peu à peu le plaisir de chanter ensemble
autour du piano. Ayant enregistré la totalité de l'ouvrage au cours des mois précédents, les acteurs abordent le
tournage aux studios d'Arpajon avec une grande aisance ; ce qui leur permet d'enchaîner sans coupure les scènes
parlées et les scènes chantées, comme le désire Resnais pour éviter tout effet artificiel de juxtaposition.
Le cinéaste a conservé fidèlement la trame de Barde et Yvain. Le livret et la partition ont été resserrés par endroits,
pour soutenir le rythme. « L'écriture de Barde est tellement précise, explique Resnais, que, si j'avais remplacé
chiner par taquiner ou turlutaine par idée fixe, le remède aurait été pire que le mal. » Mais l'art du grand cinéaste
apparaît justement dans cette apparente discrétion, cette fidélité au modèle d'époque, jusque dans l'élégance un
peu clinquante de l'appartement bourgeois ou dans les longues robes lamées 1925. Sans rien changer à l'original,
Resnais montre exactement ce qu'il veut : une modernité insouciante dans laquelle se mêlent le meilleur (la
légèreté le goût du plaisir l'arrivée du jazz) et le pire (la xénophobie de Valandrey face à l'invasion « métèque » ).
Resnais se défend d'avoir ajouté artificiellement quoi que ce soit, affirmant qu'Yvain et Barde savaient exactement
ce qu'ils montraient, dans cette galerie de caractères et de situations. Mais il tire un merveilleux parti des limites des
chanteurs, dont la voix chantée flirte avec le parler, dans l'esprit de ces années 20 ou l'on aimait les gueules, les
caractères, les bizarreries. Ainsi l'interprétation délicieusement éraillée et fausse du Trou de la serrure par Darry
Cowl travesti en concierge, véritable vedette du troisième acte. Enfin, Resnais met en lumière le style d'Yvain, avec
ses conversations et ses ensembles époustouflants ouïes personnages se superposent, en suivant chacun leur
obsession, notamment à la fin du deuxième acte, quand ce kaléidoscope musical se reflète dans un jeu de miroirs à
l'intérieur du salon, puis dans le labyrinthe du jardin.
Du vrai cinéma
Le petit miracle de Pas sur la bouche réside dans l'art avec lequel Resnais et sa troupe de comédiens rendent
hommage au théâtre en faisant du vrai cinéma. L'oeuvre semble tournée sur une scène, avec ses trois actes, leur
unité de lieu et de temps. Pas un artifice pour tirer le scénario vers une « extension » cinématographique. Du début
à la fin, l'orchestre coloré de Bruno Fontaine joue dans une fosse d'orchestre imaginaire. Et l'on se prend à rêver
que Pas sur la bouche donne des idées aux directeurs de théâtre, pour qu'il revisitent, enfin, le répertoire loufoque
de rentre-deux-guerres - ravivant cet échange qui donna déjà lieu, dans les années 30, à de nombreuses
adaptations cinématographiques d'opérettes plus ou moins bien ficelées. On rêve d'une renaissance du cinéma
musical français. La vogue semble lancée en Amérique, avec la récréation de Chicago, l'une des comédies
musicales préférées de Resnais, quand il fréquentait la 42e Rue avec son ami Jacques Demy). On rêve que nos
institutions culturelles cessent de penser qu'entre l'art officiel prétentieux et le spectacle commerciale plus niais un
fossé s'est creusé pour toujours.
En nous offrant Pas sur la bouche, Resnais ouvre plus d'une porte, et fait souffler- depuis ses souvenirs d'enfance un vent d'air frais sur nos habitudes qui va bien au-delà du film de fin d'année
Lire aussi la critique de Danièle Heymann, p. 83.
LES REACTIONS
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19/02/2007 03:02