God Bless America La Bible et le fusil
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God Bless America La Bible et le fusil Abonnez-vous à INFO-PUL God Bless America La Bible et le fusil Paule-Monique Vernes est professeure émérite de philosophie moderne et politique à l’Uni versité de Provence. Auteur de nombreuses publications sur les institutions démocratiques, la notion de citoyenneté ainsi que sur les philosophes politiques classiques, en particulier sur Rousseau, elle a notamment publié aux PUL, (avec J. Boulad-Ayoub) Les fondements théo riques de la représentation politique (2007) et, dans la collection Verbatim, La tolérance est-elle une vertu politique ? (avec Marc Angenot et Maï-Linh Eddi), 2006 ainsi que L’illusion cosmo politique (2008). ISBN 978-2-7637-9335-1 Abonnez-vous à INFO-PUL Chaire d’étude des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique God Bless Americ. La Bible et le fusil Paule-Monique Vernes L’histoire des États-Unis de « l’origine à nos jours » est celle d’une connivence entre l’économie, la politique et la religion. Elle débute, dès le XVIe siècle, où s’allient des motifs matérialistes et la foi puritaine en la prédestination qui ambitionne d’édifier dans le Nouveau Monde, une Nouvelle Jérusalem, d’y construire une nouvelle humanité sous le regard de Dieu. Ce petit livre se propose de lire sur la carte des États-Unis les rapports de la spiritualité et de l’insécurité ainsi que le croisement, jamais démenti, de la Bible et du fusil. Des premiers colons aux premiers pionniers, des cowboys aux Pères fondateurs de la Constitution, on assiste à une sacralisation de l’histoire du pays dans les institutions et dans les esprits. À partir de la neutralité de l’État fédéral vis-à-vis des centaines de religions qui se sont installées sur son sol, domine une religion nationaliste qui permet de justifier l’expansion des États-Unis et de leurs valeurs libérales sur leur propre continent et dans le reste du monde. Cet impérialisme ne l’a jamais empêché d’être l’ultime recours des infortunés de toute la planète. God Bless America. Paule-Monique Vernes God Bless America La Bible et le fusil God bless america Collection Mercure du Nord/ Verbatim Se concentrant sur le discours oral, cette collection, un sousensemble de Mercure du Nord, transcrit mot à mot, verbatim, les conférences sur les grands problèmes de l’heure qu’éclairent d’éminents conférenciers en lettres et en sciences humaines. Le lecteur retrouvera ainsi, rapportés sous forme de texte écrit, les débats auxquels il s’intéresse et qui se répercutent à travers le monde philosophique, social et politique. Autres titres parus dans la collection Marc Angenot, Maï-Linh Eddi et Paule-Monique Vernes, La tolérance est-elle une vertu politique ? 2006. Clément Lemelin, L’accessibilité aux études supérieures, 2006. Michel Troper, Le gouvernement des juges, 2006. Shauna Van Praagh, Hijab et kirpan. Une histoire de cape et d’épée, 2006. Michel Guérin, La seconde mort de Socrate, 2007. Mireille Delmas-Marty, L’Adieu aux Barbares, 2007. Hubert Bost, Bayle et la « normalité » religieuse, 2007. Ethel Groffier-Klibansky, Le statut juridique des minorités sous l’Ancien Régime, 2007. Bertrand Binoche, Sade ou l’institutionnalisation de l’écart, 2007. Marc Angenot, En quoi sommes-nous encore pieux ? 2008. Jules Duchastel, Mondialisation, citoyenneté et démocratie. La modernité politique en question, 2008. Paule-Monique Vernes, L’illusion cosmopolitique, 2008. Michel Jébrak, Société du savoir, néoténie et université, 2008. Marcel Dorigny, Anti-esclavagisme, abolitionnisme et abolitions, 2008. François Ost, Le droit comme traduction, 2009. Dorval Brunelle, L’autre société civile, les mouvements sociaux et la lutte pour les droits fondamentaux, 2009. paule-monique vernes God bless america la Bible et le fusil Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise de son Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition. Maquette de couverture : Mariette Montambault ISBN 978-2-7637-9335-1 pdf ISBN 9782763793368 © Les Presses de l’Université Laval 2010 Tous droits réservés. Imprimé au Canada Dépôt légal 4e trimestre 2010 Les Presses de l’Université Laval Pavillon Maurice-Pollack, bureau 3103 2305, rue de l’Université, Québec (Québec) G1V 0A6 www.pulaval.com God bless america La Bible et le fusil Cette conférence a été donnée le 11 mars 2010, à l’UQAM, dans le cadre de la série Religion et démocratie, organisée conjointement par la Chaire de Mondialisation, citoyenneté, démocratie et la Chaire UNESCO d’Étude des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique. sommaire L’histoire des É-U de « l’origine à nos jours » est celle d’une connivence entre l’économie, la politique et la religion. Elle débute, dès le XVIe siècle, où s’allient des motifs matérialistes et la foi puritaine en la prédestination qui ambitionne d’édifier dans le Nouveau Monde, une Nouvelle Jérusalem, d’y construire une nouvelle humanité sous le regard de Dieu. Ce petit livre se propose de lire sur la carte des ÉtatsUnis les rapports de la spiritualité et de l’insécurité ainsi que le croisement, jamais démenti, de la Bible et du fusil. Des premiers colons aux premiers pionniers, des cowboys aux Pères fondateurs de la Constitution, on assiste à une sacralisation de l’histoire du pays dans les institutions et dans les esprits. À partir de la neutralité de l’État fédéral vis-à-vis des centaines de religions qui se sont installées sur son sol, domine une religion nationaliste qui permet de justifier l’expansion des États-Unis et de leurs valeurs libérales sur leur propre continent et dans le reste du monde. Cet impérialisme ne l’a jamais empêché d’être l’ultime recours des infortunés de toute la planète. God Bless America. 8 God bless america La Bible et le fusil L es États-Unis doivent se faire auteurs de l’histoire de notre ère, proclamait Madeleine Albrigth devant une commission du Sénat pour obtenir confirmation de sa nomination au poste de secrétaire d’État. Elle dira plus tard : Les Américains sont plus grands que les autres et voient donc plus loin. [...] Les États-Unis sont bons. Nous essayons de faire de notre mieux1. Beaucoup voient dans cette mission l’accomplissement d’un destin national inscrit dans les fondations morales et religieuses de la nation. C’est à examiner le cheminement de cette certitude que je voudrais m’employer ici. Auparavant je voudrais souligner trois prémisses qui semblent valoir pour toute communauté politique : 1. Prémisse d’organisation : aucun groupe ne peut se passer de médiation pour exister comme communauté, il n’y a pas d’ensemble immédiat, la politique est le travail de médiation. Le médiateur unifie la communauté et lui 1. Washington Post, 23 octobre 1999. 9 paule-monique vernes est sacré, roi, président ... Le roi tient la place de Dieu, le président, celle de la république, mais comme personne n’a jamais vu Dieu ou la République, le chef n’est là que pour boucher un trou, c’est un tenant–lieu, interprète d’un invisible et ses signes d’autorité sont des simulacres, d’où les rites d’institution. 2. Prémisse de légitime défense : la fermeture sur un territoire est défensive, la demande de sécurité est constitutive du politique et l’état de guerre est l’horizon indépassable des sociétés ; non pas que la guerre soit leur finalité, on fait la guerre pour avoir la paix, mais le monde politique me sépare de l’autre, la bataille est un principe de délimitation. Une collectivité ne peut se produire et se reproduire comme groupe sans désorganiser une autre collectivité : ôte-toi de là, que je m’y mette ! Viens pas là, vu que j’y suis ! 3. Prémisse de commémoration, de renaissance : d’essence représentative, le pouvoir politique a tout intérêt à supposer que l’absence qu’il représente a déjà été présente, d’où le retour aux temps héroïques, in illo tempore, où se forgeaient le royaume, la république, la nation. Ce qui permet de nourrir l’imagination collective par le retour aux archétypes de sa naissance. Je traiterai successivement : I. du rêve américain et des motifs de la colonisation anglaise ; II. des textes 10 god bless america politiques sacrés et des pères fondateurs ; III. de « la destinée manifeste »2 des Américains. I. Le rêve américain et les archétypes Les archétypes de la naissance de l’Amérique se confondent avec un mythe d’au-delà de l’histoire, celui du Paradis Terrestre, espérance intemporelle qui n’a jamais été aussi forte qu’au XVIe siècle : Dieu n’avait pas éradiqué ce paradis, il l’avait mis de côté dans un espace inaccessible aux hommes, l’antichton (l’antiterre) que la théologie mystique situait à l’est, de l’autre côté de l’océan3. Tant Amerigo Vespucci que Christophe Colomb racontaient leur découverte des îles (Cuba, Porto-Rico, Haïti ?) en des termes qui renvoyaient au monde d’avant la Chute. Ce n’est que plus tard que se produira la révolution astronomique qui établissait que les hommes ne pouvaient assigner au paradis un lieu géographique. Il ne faudra que 15 ans pour que le cartographe Martin Walseemüller, du fond de sa Lorraine où il s’a ffairait avec un cénacle de savants à l’écoute du monde qui vient de naître, baptise 2. Manifest Destiny, terme forgé par le journaliste O’Sullivan dans le United States Magazine en 1845. O’Sullivan y envisage la destinée des États-Unis jusqu’au Pacifique, comme la conséquence providentielle de la conquête de l’Ouest. 3. L’antitchton était une terre hypothétique imaginée par les Grecs anciens qui aurait équilibrée les masses des continents de l’hémisphère Nord. Inventé par Pythagore, par souci de symétrie avec la Terre et pour obtenir 10 orbites célestes, 10 étant un nombre parfait. 11 paule-monique vernes la quatrième partie du monde du prénom de Vespucci. Cependant, c’est Giovanni de Verrazano, Italien au service de François1er, qui explora en 1524 la côte atlantique des États-Unis actuels, des Carolines au Maine, et reconnut le site de Manna-Hata, futur New Amsterdam et New York. Les mythes américains sont des rêves d’Européens, il faut remonter au-delà de la colonisation anglaise pour les cerner : 1. Le mythe de l’Eldorado fabuleux cherché par les conquistadors espagnols Cortès et Pizarro dans la première moitié du XVIe siècle. Herman Cortès détruisit l’empire aztèque et devint gouverneur de la Nouvelle Espagne (le Mexique) ; Francisco Pizarro conquit l’empire des Incas au Pérou et s’empara de Cusco. Eldorado est le nom donné par Oranella à la région regorgeant d’or qu’il prétendait avoir découverte, entre l’Amazone et l’Orénoque. Rêve matériel très puissant de l’inépuisable richesse. 2. Le mythe de la Fontaine de Jouvence, qui promet un perpétuel rajeunissement, de redevenir comme un enfant, de recommencer sa vie, représenté au XVIe siècle par Jérôme Bosch dans le triptyque, Le Jardin des délices. 3. À l’amour des richesses, au désir de recommencer sa vie, s’ajoute le zèle religieux (les conquistadors entendaient aussi donner de nouveaux pays au Christ). C’est, au premier chef, l’espoir des Puritains qui voulaient fonder, en Amérique, le Nouvelle Jérusalem, la ville utopique où l’on pourrait mener une existence pure, à l’écart de la 12 god bless america décadence européenne, mener une vie simple sous le regard de Dieu4. Dieu a envoyé les Européens en Amérique par des voies différentes, les motifs des colons étaient divers, voire contradictoires et ces contradictions jouent encore aujourd’hui. II. Les motifs de la colonisation Plus prosaïquement, quels étaient les motifs, économiques et idéologiques des Souverains anglais et de leurs sujets ? La Reine Élisabeth avait accordé en 1578, par lettres patentes : « le droit d’habiter et de posséder toutes les terres lointaines et païennes qui ne sont pas dans la possession d’un Prince chrétien. ». L’objectif de ces missions n’est plus exploratoire, il s’agit d’établir des colonies de peuplement susceptibles de devenir des comptoirs de commerce. L’établissement en Amérique doit pouvoir résoudre les problèmes économiques de l’Angleterre, satisfaire les ambitions nationales autant que le désir individuel de s’enrichir. Dans le réussite anglaise, deux facteurs ont joué : l’un économique et matérialiste, l’autre religieux. 4. Voir Russel Banks, Entretiens avec J. M. Meurice, Actes Sud, 2006. 13 paule-monique vernes 1. Les conditions économiques ne peuvent qu’inciter les habitants à quitter le royaume et à participer à l’effort colonial. L’augmentation de la population, passée de 4 millions et demi en 1579 à 5 millions et demi en 1588, date de la défaite de l’Armada espagnole. Le bouleversement des structures agraires qui évoluent de l’open field aux enclosures. Les grands domaines s’étendent aux dépens des petits propriétaires paysans, les yeomen. La hiérarchie du monde rural se modifie, multipliant les « sans terre » qui vont tenter d’en retrouver une dans le nouveau monde : c’est la « ruée vers la terre »5. Les deux premiers navires, équipés par Sir Walter Raleigh, favori de la Reine, atteignent la côte de Caroline du Nord en 1584. Aucune tentative de colonisation ne fut faite, ils revinrent en Angleterre et quand Élisabeth, reine vierge qui se flattait de n’avoir d’autre époux que son royaume, entendit parler de cette contrée merveilleuse, de ses fruits délicieux et de ses arbres parfumés, elle déclara que ce pays s’appellerait la Virginie. Virginie ! Le mot n’est pas arbitraire, la nature dans son immensité, sa beauté, sa virginité (car on veut la croire vide de présence humaine), est un des aliments du rêve qui 5. Voir John C. Weaver, La ruée vers la terre, Montréal, Fides, 2006, trad. française de Christine Ayoub. 14 god bless america suscite le fantasme de recommencement de l’histoire, de sa propre histoire, dans l’oubli de l’échec antérieur. Deux autres vaisseaux partirent avec le dessein d’établir une colonie près de la rivière Roanoke, en Caroline du Nord. Les Indiens se montrèrent très agressifs (prémisse de légitime défense), la nourriture était rare et au lieu de semer les colons cherchèrent de l’or, croyant que le sable brillant des plages en contenait. Ils étaient quasi morts de faim quand un navire les ramena en Angleterre. Deux ans plus tard, un troisième groupe partit encore à Roanoke (y naquit Virginia Dare, en 1587, premier enfant né sur le sol Américain). Quand Raleigh revint après trois ans, toute trace de la colonie avait disparu. Avaient-ils péri, étaient-ils allé vivre avec les Indiens ? C’est en 1607 que le capitaine John Smith arrive en Virginie avec des colons envoyés par les Compagnies de Londres et de Plymouth auxquelles Jacques Ier avait accordé une chartre stipulant que les colons pourraient jouir de toutes les libertés, immunités, franchises, comme en métropole et élire deux représentants par plantations. John Smith se concilie les Indiens (histoire bien connue du roi Powhatan, de sa fille Pocahontas et du mariage avec John Rolfe, puis de la mort de Pocahontas en Angleterre). L’agriculture s’impose, essentielle à la colonie qui apprend des Indiens la culture de l’indian corn (le maïs) ; on perfectionne la culture du tabac, base de l’essor commercial anglais. 15 paule-monique vernes La tradition britannique des droits individuels, de la mobilité sociale, crée un esprit d’entreprise : on s’aperçoit que l’établissement colonial n’est possible qu’à condition de sacrifier quelque peu le projet collectif au bénéfice d’intérêts individuels plus motivants. On accorda aux propriétaires un supplément de 50 acres par personne transportée de statut servile. La colonie doit réussir avec des entrepreneurs privés qui cherchent un profit individuel sans exclure pourtant la recherche de l’intérêt commun Il est évident qu’il faut, dans ces premiers établissements, privilégier l’explication économique. 2. Les conflits religieux en Angleterre sont aussi à la base de beaucoup de départs. Malgré les apaisements apportés par Élisabeth, soucieuse de respecter la diversité, du moins le compromis, les Puritains considèrent qu’il y a encore trop de catholiques romains dans l’Église Anglicane. Le compromis anglican ne va pas assez loin et, à partir de 1569, les Puritains se référant au presbytérianisme de John Knox (système préconisé par Calvin selon lequel le gouvernement de l’Église est confié à tous les niveaux à un corps composé de pasteurs et de laïcs, le Presbytérium) décident de quitter l’Angleterre et de se réfugier en Hollande. Devant les dérives de l’Arminianisme (qui adoucit la doctrine calviniste de la prédestination) et devant la crainte d’une invasion espagnole, les Puritains sollicitent une patente royale pour s’installer en Amérique, acceptent 16 god bless america un contrat de neuf ans pour la Virginie, s’engageant à cultiver la terre, à pêcher, à construire des habitations. Dans le huis clos propice du navire qui les transporte, à l’automne 1620, les Puritains signent le premier contrat social écrit. Ils promettent de n’obéir qu’aux lois qu’ils se donneront. Là où l’on a cru voir l’origine de la démocratie, on trouve aussi le souci de quelques-uns de conserver le pouvoir. Les conditions de l’arrivée, le 21 décembre 1620, sont peu claires ; la Virginie n’avait pas été atteinte mais New Plymouth dans la baie du Massachussetts beaucoup plus au Nord et le premier scénario de Roanoke se reproduit : la moitié des passagers ne survit pas au premier hiver. Cependant les survivants sont animés d’une résolution et d’une ferveur religieuse qui leur fait accepter leur sort et travailler durement6. Attitude admirable confortée par une bonne récolte l’été suivant qu’ils célébrèrent comme il se doit par une action de grâce devenue Thankgiving Day, célébré désormais le dernier jeudi de novembre. La vocation de la Nouvelle-Angleterre est d’accueillir d’autres Puritains et de grands théologiens, convaincus qu’il est impossible de purifier l‘Angleterre de ses péchés et 6. Max Weber nous a appris à mieux voir le système calviniste, combinaison d’un culte de la transcendance avec un ascétisme intramondain. Voir L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 2004. 17 paule-monique vernes animés de l’ambition exemplaire d’établir là the shining city on the hill, la nouvelle Jérusalem. S’y constitue une nouvelle théocratie, un état ecclésiastique dirigé par une véritable oligarchie. Les persécutions religieuses européennes n’excluent pas que leurs anciennes victimes se laissent aller à des rivalités personnelles, il faut défendre l’orthodoxie et la fidélité à l’idéal puritain atteint parfois les proportions de la plus cruelle intolérance. John Endicot à Salem instruira des procès en sorcellerie7. En revanche, Roger Williams, pasteur de Salem, adversaire de la théocratie tyrannique, installe dans le Rhode Island un climat de tolérance religieuse et de respect des Amérindiens, lesquels cependant assassinèrent Anne Hutchinson, bannie avec sa famille de Boston pour son antinomianisme, forme extrême de la doctrine de la prédestination : pour elle les élus ont la grâce et n’ont pas besoin de l’obtenir par les œuvres ou la sanctification. 7. Une véritable chasse aux sorcières s’est reproduite dans les années 1950, dans un programme de vérification de la loyauté des fonctionnaires fédéraux. Les démocrates ont voulu cette croisade pour s’opposer au communisme soviétique et à son avatar national pourtant très réduit et pour couper l’herbe sous le pied à l’opposition républicaine en s’emparant de son thème favori : l’anticommunisme. Joseph McCarthy, obscur sénateur du Wisconsin instaure un climat d’inquisition où tous les secteurs sont concernés. Ce n’est que lorsqu’il s’attaquera à l’armée que fut votée contre lui une motion de blâme. 18 god bless america On ne saurait trop insister sur les différentes formes (denominations) religieuses qui s’installèrent en Amérique au moment de la première colonisation : Le Maryland, fondé par Cécilius Calvert, second Lord Baltimore, fut un refuge pour les catholiques anglais et prend la première mesure législative de tolérance religieuse (Toleration Act en 1649). La Pennsylvanie, dans le région centrale, colonie fondée après la révolution anglaise et la restauration des Stuart. Charles II la concède en 1681 comme propriété personnelle au Quaker William Penn, qui fonde Philadelphie, la société des amis. Les Quakers, fondés en 1652 par le cordonnier anglais Georges Fox contre le conformisme et le formalisme de l’église anglicane, refusent de porter les armes, de prêter serment, guidés par la lumière intérieure et l’inspiration personnelle tirée de l’Écriture. Ils garantissent la liberté de conscience et l’accès aux emplois publics à tous ceux qui croyaient en JésusChrist, quelle que soit la théologie de leur choix. La Géorgie (1730) où Oglethrope veut faire œuvre de charité et d’humanité par la réinsertion des débiteurs, le refus de l’esclavage, la sélection des malheureux les plus vertueux mais les colons se diront victimes de cet altruisme. Il demeure que si un désaccord religieux en Angleterre crée une nouvelle dénomination, en Amérique il crée une nouvelle colonie. Dès le début, les valeurs associées à des motifs différents, divergent. Refuge miraculeux pour 19 paule-monique vernes persécutés ou immense entrepôt à exploiter ? Peu à peu les ambitions se fondent les unes dans les autres et une certaine homogénéisation se produit quand les colons cessent de se considérer comme Européens et aspirent à se constituer comme nouvelle nation. Les institutions tentent un compromis entre des valeurs contradictoires qui ne cessent de réapparaître. III. Les documents sacrés et les pères fondateurs Qu’est-ce qui a mené les colonies diverses et dispersées à l’élaboration des textes politiques qui doivent les réunir : la Déclaration d’indépendance, la Déclaration des droits et la Constitution américaine ? Ces textes sont considérés comme des textes sacrés, comme s’il s’agissait d’évangiles et qu’ils étaient voulus par Dieu, ils énoncent les principes qui doivent guider les Américains. Ce sont les vexations économiques de la métropole anglaise qui provoquèrent la révolution américaine. L’idée de séparation se fait jour avec l’opposition à la loi sur le timbre votée par le Parlement anglais en 1765. Loi que Samuel Adams, au Massachusset, et Patrick Henry, en Virginie, déclarèrent illégale. Telle est la première source idéologique de la révolution, doublement liée à la question économique. D’une part, c’est la situation commerciale désastreuse, conséquence de la guerre et de l’indépendance, qui a 20 god bless america rendu nécessaire la Constitution qui sera établie par la Convention de Philadelphie, en 1787. Les Américains qui tentaient de se réunir étaient en bien plus mauvaise posture commerciale que sous le régime anglais. Il fallait un nouveau régime fiscal et financier pour amorcer une reprise économique. Les délégués les plus habiles lièrent la question fiscale à celle de la représentation. Tous les individus formant le peuple américain seraient représentés par un corps, la Chambre des Représentants, qui aurait le pouvoir de taxer le peuple américain tout entier ; le peuple représenté pouvait se taxer lui-même. La rébellion portait sur ce qui était imposé de l’étranger par la Couronne et le Parlement anglais. Dès le milieu du XVIIIème siècle les habitants de la Nouvelle Angleterre avaient des représentants locaux, ils élisaient leurs propres autorités et levaient leurs propres impôts. D’autre part, pour les riches propriétaires d’esclaves et l’aristocratie terrienne du Sud, il était raisonnable d’être indépendants, car la richesse de la colonie retournait au pays d’origine. Les motivations divergeaient, mais elles ont permis aux 13 colonies de s’unir et de mener la Guerre d’Indépendance contre la plus puissante armée du monde et rien ne laissait penser que les colonies l’emporteraient. Les colons voulaient la liberté, mais tous ne souhaitaient pas l’indépendance. Quand il devint évident que 21 paule-monique vernes l’indépendance était la condition de la liberté, le parti fut pris. Common sense, le pamphlet de Thomas Paine, publié le 10 janvier 1776, posait clairement la question : pourquoi demeurer fidèle au Roi d’Angleterre et ne pas proclamer que les colons formaient le noyau d’une nation qui couvrirait dans l’avenir tout le continent et se délivrerait de l’archaïque politique européenne ? Premier best-seller, ce pamphlet se vendit à plus de cent mille exemplaires et, relayé par d’innombrables articles de journaux, déclarait la guerre au système monarchique et rattachait la cause de l’Amérique à celle de l’humanité. Il appelait à recommencer le monde et à franchir le Rubicon. Paine se déclarait citoyen universel, anglais, américain, français8. Pour lui la Révolution doit rendre l’homme à lui-même et poser les conditions du bonheur individuel et collectif. Il participa à deux Révolutions, la Révolution américaine et la Révolution française. Il fut député Girondin du Pas de Calais à la Convention. « L’Amérique n’est pas révolutionnaire pour elle seule mais pour le monde entier ». Dans l’Âge de raison, publié en 1794, Paine préconisait une révolution religieuse et une critique de la religion révélée, il considérait la Bible comme 8. « L’Amérique n’est pas révolutionnaire pour elle seule mais pour le monde entier », Les droits de l’homme (1791) in Bernard Vincent (dir.), Thomas Paine et la République sans frontières, Nancy, Presses universitaires de Nancy, Paris, Ligue des droits de l’homme, 1993. 22 god bless america un tissu de mensonges. La conscience de chacun doit être sa propre Église, Paine n’avait pas prévu la prolifération encore actuelle des Églises américaines. Quelque mois plus tard, Thomas Jefferson rédigeait la Déclaration d’Indépendance qui fut adoptée le 4 juillet 1776. Ce texte constitue l’acte de naissance des États-Unis d’Amérique et du nouvel Adam : l’Homo Americanus. Dans les Lettres d’un fermier américain, St. John de Crèvecoeur évoquait, en oubliant le sort des Noirs et des Indiens, « l’Américain, cet homme nouveau ». En quoi le texte de Jefferson pouvait-il sembler d’ordre divin ? D’abord en raison de sa langue quasi biblique, ensuite en raison des institutions auxquelles la Constitution va donner corps. La solennité de l’ouverture de la « Déclaration unanime des treize États-Unis d’Amérique » témoigne de ce caractère sacré : Lorsque, dans le cours des événements humains, un peuple se voit dans la nécessité de rompre les liens politiques qui l’unissent à un autre, et de prendre parmi les puissances de la terre le rang égal et distinct auquel les lois de la nature et du Dieu de la nature lui donnent droit, un juste respect de l’opinion des hommes exige qu’il déclare les causes qui l’ont poussé à cette séparation. Nous tenons ces vérités pour évidentes en elles-mêmes : que tous les hommes sont créés égaux ; que leur Créateur les a dotés de droits, parmi lesquels la vie, la liberté et la recherche du bonheur... 23 paule-monique vernes Dieu, comme Dieu de la nature, comme Créateur, comme juge suprême du monde, comme divine providence est quatre fois évoqué, ce Dieu est un Dieu vivant qui veille sur les hommes et non l’Être Suprême de la Révolution française. Le premier principe énoncé est l’égalité, une égalité non pas socio-économique mais politique pour ceux qui sont considérés comme citoyens à part entière. Cette égalité politique ne comprenait ni les femmes, pourtant fortement engagées dans la résistance et dans la guerre d’Indépendance, ni les Amérindiens, perçus comme une nation étrangère et qui pour la plupart ont rejoint l’armée britannique dans la mesure où ils avaient tout à perdre d’une victoire américaine qui en faisait une nation en diaspora. Les Noirs aussi sont exclus, les « fils de l’Afrique » ne sont pas les égaux des « Fils de le liberté » bien que premiers immigrants sur ce sol, ils n‘y étaient pas venus volontairement. Enfin, les loyalistes, réticents vis à vis de l’Indépendance, durent quitter les États-Unis, beaucoup partirent au Canada, confortant la résistance canadienne à la rébellion américaine. Ce n’est pas ici le lieu de détailler la Constitution, véritable construction que rendait nécessaire la situation économique, et qui réussit à équilibrer les trois pouvoirs de l’État, à réaliser un compromis entre les thèses nationalistes 24 god bless america fédérales et les thèses autonomistes de certains États9, mais de rappeler l’esprit des Pères Fondateurs, Franklin, Washington, Jefferson, Adams, Hamilton, Madison ... qui ont leur effigie, ainsi que Lincoln, sur une des faces du Dollar, dont l’origine remonte à 1792. Cette Constitution est inchangée, en dépit de nombreux amendements, depuis plus de deux siècles, alors que la France a connu 15 Constitutions écrites et 5 Républiques. Les Pères fondateurs sont vénérés comme les saints de la démocratie américaine. La Déclaration des Droits (Bill of Rights), (proposée le 25 septembre 1789 et ratifiée par la législature des États le 15 décembre 1791) qui comprend les dix premiers amendements, définit la neutralité de l’État vis-à-vis des Églises : 9. Le phénomène constitutionnel américain défie la description tant sont grandes ses complexités : 50 constitutions d’États, plus une 51ème constitution fédérale dont l’influence va en s’accélérant. La protection des droits est assurée par la cour suprême et les tribunaux fédéraux, elle s’exerce moins contre l’action du pouvoir fédéral que contre celle des États–membres génératrice d’inégalités et d’intérêts spéciaux. Voir Le Fédéraliste. Alexander Hamilton, John Day, James Madison. Version française du Professeur Gaston Jèze, Collection des études juridiques comparatives, dirigée par André Tunc, Paris, Economica. Voir aussi, Encyclopédie méthodique, Volume Économie politique et économique, entrée « États-Unis », Jean-Nicolas Demeunier, Paris, Panckoucke, 1786. 25 paule-monique vernes Le congrès ne fera aucune loi qui touche à l’établissement ou interdise l’exercice d’une religion, ni ne restreigne la liberté d’expression, ou celle de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts subis (Article I). On n’exclura pas des emplois publics ou des charges électives celui qui ne suivrait pas la religion de la majorité. Si la liberté religieuse figure parmi les acquis de la révolution, c’est qu’elle n’allait pas de soi. La prolifération des sectes (denominations) religieuses est inscrite dans la formation d’une Amérique fondée sur les conflits et les divisions, mais n’est-ce cette relative tolérance même qui mène à la diversité et à l’hétérodoxie ? L’histoire américaine est régulièrement scandée par des implosions de piété qui influent sur la vie publique, les Revivals. Le revivalisme en contexte américain ne désigne pas n’importe quel mouvement religieux. Il renvoie à l’explosion du genre piétiste qui a bouleversé le paysage protestant américain dans la première moitié du XVIIIéme siècle. Des pasteurs comme John Edwards et George Whitefield en appelaient à une religion du cœur fondée sur la conversion personnelle et l’expérience sensible de la grâce. Le style émotionnel de la prédication entraîne un populisme spirituel opposé « aux fausses lumières de Harvard et de Yale ». Au milieu du XVIIIème siècle, vers 1740, se produit un Grand Réveil (Great Awakening) animé par le prosélytisme 26 god bless america de pasteurs itinérants qui exaltent des foules dont, sans doute, ils sentaient chanceler la foi. On assiste alors à des scissions des Dénominations existantes, et à la création de nouveaux collèges et séminaires, comme Princeton, qui supplantent, en insistant sur le choix individuel, la tradition de Yale et de Harvard. Le choix personnel prépare la voie à la liberté spirituelle qui a présidé à la révolution et se caractérise par l’exaltation de la liberté de l’individu et du sentiment religieux10. Les séances de la Convention de Philadelphie, en 1787, s’ouvrent par des prières et Dieu semble présider aux délibérations. Une deuxième vague revivaliste se produit entre 1820 et 1850, vivifiée par les luttes autour de l’esclavage dont l’abolition avait été envisagée en 1787 mais les pères fondateurs, qui voulaient le supprimer au nom des principes de l’égalité et de la liberté, l’ont maintenu en fait au nom d’un autre principe sacré, celui de la propriété ; ils nommaient pudiquement l’esclavage « l’institution particulière ». La cause des esclaves et des Noirs a pris deux dimensions : une dimension morale, celle de la liberté, de la loi de la nature, du Dieu de la nature est en faveur 10. « Il existait dès le commencement des temps un pacte entre l’homme et Dieu, toutes les lois doivent se conformer à ce pacte préexistant. »,Thomas Paine, Rights of Man (1790). Donc pas de pacte entre le peuple et le gouvernement mais un pacte des individus entre eux pour produire le gouvernement. 27 paule-monique vernes des thèses fédéralistes et abolitionnistes ; une dimension politique et économique, celle de l’indépendance des États-Membres, cette indépendance s’exerçant contre la liberté des individus. Abraham Lincoln, républicain élu en 1840, comprit que maintenir l’esclavage en faveur des États du sud et l’autoriser dans les nouveaux États conquis à l’ouest, pour sauver l’Union, c’était à coup sûr la perdre. En mars 1861, il fait le serment de défendre la Constitution. Il fallut cependant une guerre civile de 4 ans (18611865), 620 000 morts et la victoire de l’Union sur le sud séparatiste pour que l’abolition soit confirmée par les amendements 13, 14, 15 (1868-1870) et que l’Amérique devienne vraiment les États-Unis. Cette guerre est restée plus vivace dans les esprits que la guerre d’Indépendance. En novembre 1863, Lincoln, inaugurant un cimetière national au centre des champs de bataille, prononça un discours considéré comme sacré dans la littérature américaine : Jurons ici que ces morts n’ont pas péri en vain, que le pays avec l’aide de Dieu, renaisse à la liberté et que le gouvernement du peuple par le peuple ne disparaisse pas de ce monde. Il reste que la reconstruction du Sud fut difficile. Si les institutions étaient démocratiques, les planteurs conservaient l’essentiel du pouvoir, les Noirs libérés ne pouvaient exercer leurs droits de citoyens que protégés par 28 god bless america les troupes fédérales. Bref, si le Nord estimait avoir accompli sa tâche morale, le Sud perpétuait la ségrégation11. La cause des Noirs a pris une dimension religieuse et conduit à la création d’églises noires, à 90% protestantes, perpétuant leurs propres pratiques religieuses, gospels et blues, qui les attachent à leurs origines africaines. La Société américaine de colonisation, fondée en 1816, malgré l’opposition de l’Angleterre, envoya des esclaves affranchis au Liberia. Ce pays fut proclamé indépendant en 1847 avec pour capitale Monrovia, en souvenir de Monroë. IV. « Notre destinée manifeste », la Bible et le fusil Les États-Unis sont issus de l’occupation par vagues successives d’un territoire faiblement peuplé et par une avancée d’est en l’ouest, selon le processus de la Frontière (la ligne de front). Pour les premiers colons des 13 colonies qui vivaient à l’est des Appalaches, l’ouest apparaissait comme une extension de l’est, non pas comme un continent appartenant à d’autres et qu’il faudrait conquérir, mais comme l’espace ouvert à leur destinée de nouveaux Américains. Il ne s’agissait plus d’un mythe comme celui 11. En 1915, le cinéaste Griffith, fils d’un général sudiste, réalisa La Naissance d’une Nation, film plastiquement remarquable, mais moralement et politique repoussant pour nous aujourd’hui. La nation y est assimilée à la pureté raciale et le Ku-Klux-Klan y joue un rôle glorieux, les Noirs figurant les traites de mélodrame (représentations accompagnées de bagarres violentes, émeute à Boston). 29 paule-monique vernes qui les avait amenés sur ces rivages mais d’une imagination vive poussant à occuper un territoire qui leur appartenait en toute légitimité. Les toutes premières cartes coloniales prolongeaient le Connecticut ou la Virginie à travers tout le continent sans savoir ce qui s’y trouvait. Howard Hawks fait dire à Kirk Douglas dans La captive aux yeux clairs : Sûr que c’est un grand pays, à part le ciel, il n’y en a pas de plus grand, c’est comme si Dieu l’avait créé en oubliant d’y mettre des gens. C’était oublier les premiers immigrants, les Indiens venus d’un autre continent, bien qu’on les désigne officiellement comme Natives Americans. Les anthropologues ont montré que les Indiens sont d’origine asiatique, ils ont rejoint l’Alaska par le détroit de Béring au temps de la préhistoire. Pour les temps qui nous occupent, le monde autochtone est divers, constitué par plusieurs centaines de tribus aux langues différentes, certaines sédentaires ou seminomades, vivant de la chasse, de la pêche, de la cueillette et parfois de l’agriculture : Mohawks, Algonquins, Sioux, Iroquois, Mohicans, Cherokees... Dès 1763 les colons émettent des prétentions sur les terres situées à l’est mais se heurtent au refus des Britanniques dont le retrait en 1783 déclenche l’expansion territoriale. Cette expansion devient engagement juridique avec l’achat à la France, en 1803, de la Louisiane, immense masse de terre : Jefferson avait très peu idée de ce qui 30 god bless america venait d’être acheté. Il faut rappeler que le Grand Réveil fondamentaliste du XVIIIème siècle s’était répandu aux frontières de la colonisation et que celui du XIXème siècle suit la progression des populations vers l’ouest qui devient une terre promise pour ceux qui n’en avaient pas. Ruée vers la terre, comme dit Weaver, née d’une pulsion impérialiste dans la logique d’une idéologie agrarienne. La vision d’une démocratie, fondée sur la petite propriété terrienne, serait vaine, en effet, si elle s’inscrivait dans un territoire limité. L’Ouest est aussi la terre promise des missions de sainteté. Derrière les chariots bâchés de pionniers avancent des prêtres et des pasteurs, implantant des sectes bibliques nouvelles, pentecôtistes, méthodistes, adventistes, mormones, etc. Les nouvelles populations, clairsemées, harcelées, cherchent à se regrouper en communautés organisées, pieusement garanties contre les flèches indiennes et la malnutrition. La première urgence est de se débarrasser des Indiens, la deuxième de construire un fort, puis une cabane en rondins et un clôture pour le bétail, ensuite labourer pour planter (ce que racontent les Westerns), ensuite on construit l’église blanche avec son clocher, puis la banque, l’école, le saloon. L’hostilité de l’environnement active le besoin d’absolu et chaque domaine conquis voit l’avènement d’un nouveau Dieu, et c’est une caractéristique des sectes de la conquête que leur irrationalisme religieux, qui donne le pas à l’émotivité sur l’intellectualité. Le Dieu de la Bible 31 paule-monique vernes advenu aux confins du Sinaï, revient au Missouri et en Ohio, il s’installe avec les Mormons au Lac Salé dans l’Utah, poursuit son implantation jusqu’au peuplement du dernier État de la côte Pacifique et la soumission du dernier Sioux. L’effervescence sectaire prend la forme de manifestations spectaculaires, liées à l’Esprit Saint : prophètes, guérisseurs, don des langues, etc. Il a fallu à cette conquête aussi bien la Bible que le fusil qui avaient besoin l’un de l’autre, comme les Croisés avaient besoin de l’épée. Spiritualité et sécurité vont de pair. Le peuple des États-Unis est sans doute le plus armé de la terre. La vente des armes individuelles prolifère. En Amérique, la croisade s’est faite contre les Indiens qui ont toujours résisté à l’agression. Une fois les ÉtatsUnis proclamés, un système institutionnel de destruction fut mis en place : traités léonins jamais respectés, embrigadement violent par les missionnaires, interdiction de la langue, de la religion, des coutumes, déportations par grands froids sans soutien logistique (la Piste des larmes, 1500 morts, 1 par kilomètre), distribution des terres tribales aux compagnies de chemin de fer, extermination des bisons à la mitrailleuse, massacres de populations civiles. On comprend que les États-Unis aient mis 40 ans à ratifier la Convention pour la prévention et la répression du génocide votée par l’ONU en 1948, et dans les discussions préalables entre Américains, il ne fut pas question des Indiens. Voici une parole de Desmond Tutu, 32 god bless america le célèbre prélat sud-africain, qu’on pourrait attribuer à un chef Amérindien : Quand les missionnaires sont venus, nous avions la terre et ils avaient la Bible ; ils nous ont appris la Bible, et quand nous avons relevé les yeux de notre lecture, nous avions la Bible et eux avaient la terre . 2010 Dieu le Père, Pères Pèlerins, Pères Fondateurs, leurs enfants chantent God bless America (composé en 1918 par Irving Berlin, interprété par Céline Dion au lendemain du 11septembre), In God we trust sur les pièces de monnaie, A nation under God, dans le serment d’allégeance, ce Dieu est un principe supérieur permettant de croire que les États-Unis ont une prééminence morale de jure. Les institutions américaines postulent l’existence d’un Dieu qui n’est jamais spécifié et perpétuent une religion séculière a confessionnelle qui conserve son emprise sur les cœurs et les esprits. Ce qui n’empêche pas la prolifération des Églises made in USA : les Mormons, leur polygamie et leur Livre des Morts, les Chrétiens Scientistes, les Adventistes qui attendent le deuxième avènement du Messie, 75 millions de Méthodistes dont George W. Bush et Hilary Clinton. Dans un pays où les immigrants arrivent en flux continu, ils rencontrent l’idéologie du nouveau départ, 33 paule-monique vernes celle du self-made man, ce que R. W. Emerson nommait self-reliance (plus forte que confiance en soi) : En vous sommeille la raison tout entière, c’est à vous, s’il plait à Dieu, de tout connaître, de tout oser. Nous avons trop longtemps écouté les muses raffinées d’Europe. The Américan Scholar, discours prononcé par Emerson à Cambridge le 31 août 1837, soixante et un ans après la Déclaration d’indépendance, est une véritable déclaration d’indépendance intellectuelle, une sorte de cinquième Évangile de la Positive Thinking, peut-être une variante de la méthode Coué. Le pionnier était l’individu autosuffisant qui s’attaquait seul à la frontière, aidé par l’impératif puritain de la frugalité et de l’ardeur au travail. Ainsi l’ordre naturel des choses relaie le plan divin. En effet, qu’est-ce qu’être religieux sinon croire qu’on devine la volonté divine ? La réussite du groupe réside dans celle de chacun de ses membres mais ce cinquième Évangile ne va pas sans un certain darwinisme social. Cette croyance optimiste en la réussite individuelle est souvent bafouée par la réalité : (The Jungle d’Upton Sinclair qui montre les individus broyés par l’industrialisation, La mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller où le personnage de Willy Loman rate sa vie d’avoir voulu trop réussir en affaires). L’échec est comme un péché et non la manifestation d’une injustice sociale. Certes, les plus riches financent nombreuses fondations qui peuvent 34 god bless america aider le mal loti à s’en sortir mais le trader de Wall Street a meilleure conscience que le raté d’Atlanta. Aussi la fréquentation d’une église constitue, en dehors de la famille, un point d’ancrage solide et les églises rameutent les fidèles. Le catholicisme, amené par les Irlandais, les Polonais, les Italiens, prospère avec l’immigration hispanophone à tel point que l’ancien épiscopat français a été submergé. Le judaïsme s’est renforcé des Russes chassés par les pogroms et des Allemands au milieu du 20ème siècle. Les cultes non chrétiens abondent : aborigènes (renouveau culturel des Indiens), musulmans, bouddhistes (qui ont attiré beaucoup d’adeptes dans le mouvement contre culturel des années ‘60), églises transconfessionnelles comme l’église de l’unification du Messie, inspirées des techniques psychologiques qui permettent au fidèle payant de combiner réalisation matérielle et spirituelle, télé évangélisme, toutes les anciennes et nouvelles dénominations protestantes où l’on rencontre nombre d’évangélistes. La multiplicité des églises, où chaque communauté est respectée dans son identité, ne contredit-elle pas le vœu de Thomas Paine ? Elle ne favorise pas le melting pot où les origines différentes devaient s’effacer pour ne former qu’un seul ensemble : e pluribus unum. Le rêve américain, fondé sur l’unité de valeurs communes, est peu à peu mis à mal. Cependant les immigrés se considèrent comme citoyens américains en s’appropriant les rituels du nationalisme 35