Casser le syndicat Imposer le « plan PKP »

Transcription

Casser le syndicat Imposer le « plan PKP »
Photo : Alain Décarie
Lock-out au Journal de Montréal
sont, à peu de chose près, demeurées identiques jusqu’à ce qu’elle nous
Casser le syndicat
Imposer le « plan PKP »
par Louis-Serge Houle
Le 4 février, les lock-outés ont marché
devant Archambault Musique, à l’angle
des rues Berri et Sainte-Catherine,
à Montréal, une autre propriété de
Quebecor Media qui sert bien la
convergence d’affaires de l’empire.
Sur la photo, le réputé chroniqueur
Bertrand Raymond.
jette sur le trottoir. »
Un lock-out en gestation
Pierre Karl Péladeau a préparé son
conflit de longue main. Au cours de
la dernière année, le nombre de ca-
Depuis le 24 janvier, le bras de fer qui s’est engagé entre le puissant empire Quebecor et le syndicat des 253 travailleuses et
travailleurs du Journal de Montréal ne laisse indifférente aucune
salle de nouvelles. L’enjeu est de taille : le maintien d’emplois de
qualité et la sauvegarde des clauses professionnelles qui assurent
le droit du public à une information crédible et de qualité.
dres a doublé, la salle de nouvelles
du quotidien gratuit 24 heures s’est
agrandie et une nouvelle « agence
de presse », QMI, est apparue dans
le décor de l’empire pour pouvoir
diffuser, entre autres dans le Journal,
des textes provenant de partout chez
Quebecor.
n matière de relations de
du Journal de Montréal qui vit un
« Depuis la première rencontre
travail, l’héritier sait y faire !
premier conflit de travail depuis la
de négociation, en octobre, à aucun
Se préparait-on à emplir les pages
Depuis qu’il siège à la direc-
fondation du quotidien de la rue
moment nous n’avons senti que la di-
du journal ? « Est-il vraiment pos-
tion de Quebecor Media,
Frontenac en 1964. Comme dans
rection voulait réellement négocier,
sible de produire un quotidien de
Pierre Karl Péladeau a marqué les
la plupart des négociations qu’il a
de mentionner Raynald Leblanc, pré-
qualité de plus de cent pages avec une
négociations collectives de son em-
menées dans son empire, le plan du
sident du Syndicat des travailleurs du
vingtaine de cadres et des chroni-
preinte, autoritaire et arrogante, en
dirigeant est implacable et se résume
Journal de Montréal (STIJM–CSN).
queurs ? a fulminé Raynald Leblanc
décrétant pas moins de 13 lock-out
à peu de mots : briser le syndicat. Ses
Ce qu’elle voulait, c’est décréter le
en conférence de presse, le 26 janvier.
en 14 ans. On se souvient des 2100
visées ? Asseoir son emprise pour
lock-out pour imposer un nouveau
La réponse est non, c’est un journal
syndiqué-es de Vidéotron qui ont
faire plus de profits.
modèle d’affaires. Ses 233 demandes
de m… »
été sur le trottoir près d’une année
Quebecor a aussi tenté de profi-
en 2002 et, récemment, des 137 em-
ter d’une position de vulnérabilité
ployé-es de bureau et de rédaction
des journalistes pigistes de qui il
du Journal de Québec qui ont subi un
exigeait d’abandonner leurs droits
lock-out long de 16 mois.
d’auteur et même leurs droits mo-
Cette fois-ci, Quebecor Media,
raux pour le site Internet de Ici. On
qui domine outrageusement le
demandait aux collaboratrices et aux
secteur des communications avec
collaborateurs de s’engager à céder
la bénédiction de l’État, qui a per-
« exclusivement à l’éditeur, et ce, sans
Photo : Pascal Ratthé
mis une telle concentration, et des
fonds publics, par la participation
de la Caisse de dépôt, s’oppose au
syndicat qui dispose de la meilleure
convention collective de ce secteur
au Canada. Celui des 253 artisans
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« Un quotidien produit sans ses artisans, c’est un journal de m... ! »,
s’est exclamé Raynald Leblanc quelques minutes après que les syndiqué-es
aient voté la grève dans une proportion de 99,6 %, le 26 janvier.
limitation de durée ou de territoire,
tous les droits d’auteur qu’ils détiennent sur l’Œuvre. »
Photo : Luc Laforce
Piquetage, manifestations, interventions
devant des stations de métro où
les camelots du 24 heures donnent
le Journal de Montréal : les lock-outés
redoublent d’ingéniosité pour faire
connaître les enjeux de leur conflit
et pour demander à la population
de ne plus lire ni acheter le quotidien
de la rue Frontenac.
Un tel contrat aurait pour effet, à
Mais pour y arriver, il doit écraser
mer des postes à la rédaction, aug-
« Le Journal de Montréal a été la
l’encontre de la volonté des journalis-
le STIJM et sa convention collective,
menter ses droits de gérance pour
vache à lait de Quebecor, a poursuivi
tes pigistes qui le signeraient, de les
véritable dépositaire des dispositions
limiter ceux qui protègent la qualité
le président du syndicat. Durant 45
transformer en scabs durant le conflit
professionnelles assurant le droit du
de l’information, réduire les pare-
ans qu’a duré la paix industrielle au
qui frappe le Journal, puisque leurs
public à l’information, le respect des
feux entre la publicité et la rédac-
quotidien, notre travail a permis à
textes pourraient ainsi être utilisés
règles éthiques, une protection syn-
tion, éliminer les barrières de tâches
Péladeau père de construire un vé-
à toutes les sauces et, qui plus est,
dicale au plan rédactionnel notam-
pour permettre à une seule personne
ritable empire dans le domaine des
sans aucune rémunération addition-
ment pour repousser des pressions
d’accomplir de A à Z toutes celles
communications. Aujourd’hui, l’hé-
nelle. L’Association des journalistes
qui peuvent venir de la direction. « Si
qui touchent au multimédia. Bref,
ritier veut se débarrasser des artisans
indépendants du Québec (CSN) a
on permet en plus à des nouvelles
l’empire veut redéfinir la profession
qui ont participé à son immense suc-
dénoncé cette façon de faire, tout
provenant d’autres sources qui ne
de journaliste selon ses besoins et à
cès. C’est carrément indécent ! »
comme le STIJM.
disposent pas de ces mêmes règles
moindres frais.
Encore aujourd’hui, le syndicat
d’alimenter le Journal, on contourne
Il veut plus encore. Quebecor
estime les profits du Journal à 50
toutes celles que nous nous sommes
cherche à céder à la sous-traitance le
millions de dollars sur un chiffre
Ce qu’on cherchait à mettre en place,
données pour protéger une informa-
département des petites annonces et
d’affaires de 200 millions en 2008.
dans les mois précédant l’imposition
tion crédible, aux sources variées. On
celui de la comptabilité en éliminant
« Péladeau agit comme si son en-
du lock-out, c’était les germes du
dit que la presse représente le qua-
quelque 75 postes détenus par une
treprise était en difficulté ; il invoque
plan d’affaires de PKP : la conver-
trième pouvoir, parce qu’elle sert de
majorité de femmes, qui comptent
une “crise des médias” qui n’a pas
gence illimitée. De quoi s’agit-il ?
contrepoids aux pouvoirs judiciaire,
pour plusieurs d’entre elles près de
encore touché le Québec ; il déni-
De pouvoir utiliser tout le contenu
exécutif et politique. Est-on prêt à le
30 années de service au sein d’une
gre nos conditions de travail qui
d’information et même de publici-
laisser entre les mains de PKP ? » de
entreprise qui a servi de levier à
ont été négociées de bonne foi avec
tés maquillées en article par toutes
questionner Raynald Leblanc.
l’empire.
l’employeur ; il jette son mépris sur
Reculs, reculs, reculs
La liste des demandes patrona-
nous en continuant de publier sans
le Journal de Montréal et dans un
les est longue : il veut aussi allonger
les vrais responsables de la réussite
éventuel site Web du Journal et vice
À la table de négociation, Quebecor
la semaine de travail de 25 %, sans
de l’entreprise », poursuit Raynald
versa.
Media a fait preuve d’une voracité
compensation, diminuer de 20 % les
Leblanc.
peu commune, compte tenu de sa
avantages sociaux et introduire une
situation financière. Il veut transfor-
clause de disparité de traitement.
La convergence illimitée
les filiales de Quebecor Media dans
La bataille est fermement engagée et les 253 membres du syndicat
sont déterminés à bloquer l’empire.
Ils ont créé un nouveau média avec
ruefrontenac.com et, après avoir été
jetés sur le trottoir, c’est aussi dans la
rue qu’ils seront en action, ciblant
toutes les tentacules de l’empire,
pour ramener la direction à la table
Trois jours après le début du conflit, les lock-outés ont lancé un nouveau média, ruefrontenac.com,
qui a connu un succès fulgurant avec plus de 15 000 visites la première journée.
Le nombre de visites ne cesse de croître depuis lors. Une rubrique de petites annonces est également en ligne.
de négociation.
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Gaver les plateformes
ou nourrir la vie démocratique ?
Les changements inévitables dans le domaine des médias provoquent des heurts tout aussi
inévitables entre ceux qui ont pour mission de garantir le droit du public à une information
diversifiée et les propriétaires des médias à la recherche du profit maximum. La Fédération
nationale des communications veut, avec ses syndicats membres, nourrir la réflexion du grand
public sur ces enjeux en menant une campagne au cours des prochains mois. Rencontre avec
Chantale Larouche, présidente, et Pierre Roger, secrétaire général.
pour alimenter le plus grand nom-
Propos recueillis par Roger Deslauriers
PR On va facilement comprendre
PCSN Les syndicats du secteur
bre de supports. Au plan économique, on peut les comprendre. Mais
cette façon de faire comporte-t-elle
des inconvénients ?
que le journaliste qui est appelé à
Ce que plusieurs entreprises de
PCSN La tendance des grandes
manipuler une caméra en même
des médias, ici comme ailleurs, œu-
presse veulent modifier, ce n’est pas
entreprises de presse, et de façon
temps qu’il s’entretient avec une per-
vrent dans un environnement en
simplement la façon de cueillir l’in-
plus générale des médias, est de
sonne, puis à prendre des photos de
mutation profonde où ils doivent
formation par la multiplication des
demander aux journalistes de rem-
l’événement, ne se trouve pas dans
défendre leurs membres contre les
plateformes, ce à quoi nous ne nous
plir le plus grand nombre de tâches
un environnement idéal de travail.
effets des bouleversements qui af-
opposons pas, c’est au rôle même de
fectent le monde de l’information.
journaliste qu’elles veulent s’en pren-
Cela fait-il d’eux des empêcheurs de
dre. Ce que Quebecor nous dit dans
progrès, voire des corporatistes ?
le conflit qui l’oppose à ses employés,
c’est : « Dorénavant, je m’alimente où
CL Au contraire, les syndicats sont
je veux dans mon empire pour mon
les seuls à pouvoir mettre en place
journal ou mon journal en ligne. »
des contraintes qui vont permettre
Cela nous mène où ? Vers un mélange
de préserver l’essentiel de la vocation
des genres. Chroniqueurs et journa-
et de la mission des médias. En ce
listes confondus seront appelés sans
sens, ils n’entendent pas empêcher
distinction à alimenter la bête. Le
les changements, mais ils ont pour
travail des journalistes est fondé sur
devoir de s’assurer d’intervenir à
la rigueur, la vérification des faits,
l’intérieur d’un certain nombre de
celui des chroniqueurs consiste sou-
balises qui préservent les valeurs et
vent à exercer une influence sur l’opi-
les principes déontologiques qui font
nion. Confondre les deux serait une
l’unanimité au sein de la profession.
grave erreur. Quand on ajoute à cela
De nos jours, nombreux sont les pro-
le concept de journaliste-citoyen, on
priétaires de médias qui ne sont plus
est en plein dérapage.
véritablement des patrons de presse.
Ils sont des hommes d’affaires qui ont
pour but de générer des profits et non
d’assurer la qualité de l’information.
Photos : Michel Giroux
Ce sont ces gens qu’il faut surveiller,
si on veut sauvegarder la diversité
des sources d’information. Pas les
journalistes.
Chantale Larouche
Sur la mutation du journal : « Ce que les propriétaires de médias ne nous disent pas,
en prédisant la mort du journal, c’est que le journal papier, oui, disparaîtra lentement,
mais en cédant la place à un autre support. Le support sera modifié, mais l’information
journalistique continuera à circuler. La protection de la déontologie journalistique et
de l’indépendance des journalistes demeurera un enjeu fondamental dans les sociétés
démocratiques. »
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Mais on doit parfois accepter de faire
autrement pour rendre certaines informations disponibles au public.
C’est le cas à Radio-Nord en AbitibiTémiscamingue où des journalistes
doivent jouer les hommes-orchestres
pour couvrir ce qui se passe dans des
localités éloignées. Le syndicat en a
convenu pour assurer l’information
la plus complète à la population régionale. Mais ce n’est pas approprié
pour tous les milieux. Loin de là.
Autre exemple, on avait demandé
à un correspondant à l’étranger de
réaliser un topo vidéo pour la télé en
plus d’un topo audio pour la radio
et des photos pour le site Web. Il a
pu le faire tout en faisant preuve de
professionnalisme, pour une raison :
le décalage horaire. Quand la nuit
s’abattait sur le Québec, en Asie, le
journaliste commençait ses activités
et disposait donc du temps nécessaire
à la réalisation d’un travail de qualité. On ne peut certainement pas
Pierre Roger
Sur du contenu télévisuel mondial dans nos salons : « Le CRTC se penche à nouveau sur la possibilité de légiférer concernant
l’Internet. Ce n’est pas un hasard. Les grands manufacturiers de téléviseurs viennent d’annoncer que, dès l’automne 2009, la
prochaine génération d’appareils aura une interconnexion avec Internet, munie d’un fureteur. Cela veut dire qu’on pourra, à partir
de la manette de notre téléviseur aller chercher du contenu, partout dans le monde, et l’afficher sur nos écrans plats de 50 pouces
dans nos salons. Nos producteurs télévisuels sont donc condamnés à être encore meilleurs. »
étendre ce genre de pratique sans
suis pas sûre que lorsque, par exem-
PR Un autre exemple de cette mode
PCSN Donc, certains médias
dommage. Ces conditions sont ex-
ple, une crise politique se déroule à
du politicien-analyste : Au bulletin de
rapetissent le rôle des journalistes
ceptionnelles.
Ottawa, les mieux placés pour nous
18 heures à Radio-Canada, il y a quel-
pour confier des pans de leur tra-
aider à en saisir les enjeux soient
ques semaines, on nous présente un
vail à des tiers. Cela produit certai-
CL C’est, entre autres, sur cet en-
un groupe de trois politiciens avec,
invité pour nous expliquer la crise de
nement des conséquences.
jeu que le bât blesse. Les employeurs
encore dans leur poche, la carte de
l’aéronautique au Québec. Qui voit-
voudraient faire, d’un fonctionne-
membre de leur parti respectif. Il faut
on arriver ? Michael Fortier ! On ne
CL Ça, c’est sûr ! En agissant de la
ment exceptionnel, la règle générale.
du recul pour analyser une situation.
peut pas dire que ses compétences
sorte, il ratatine le rôle des médias
Ils veulent du mur à mur. Nous, on
La recherche de la vérité ne réside
dans le domaine soient particulière-
dans la démocratie. Outiller les ci-
est d’accord pour changer nos mé-
pas que dans l’addition des opinions,
ment reconnues. Comme on pouvait
toyens pour qu’ils prennent des dé-
thodes, mais pas au prix de remettre
même si on les confronte.
s’y attendre, il ne nous a rien appris de
cisions éclairées devrait être gravé
en question l’importance de la diver-
nouveau en répétant simplement le
au fronton de toutes les entreprises
sité et de la qualité en information.
contenu des journaux de la semaine.
de presse. En abandonnant à des
Les pressions sont fortes sur nos
Cela devient ridicule.
faiseurs d’opinion et à des porteurs
membres pour qu’ils se satisfassent
d’intérêts particuliers le rôle d’ana-
de remplir les plateformes sans égard
lyste d’événements, les patrons de
à la qualité du contenu. Nous croyons
presse abdiquent, en bonne partie,
qu’au contraire, il faut redonner aux
leur devoir civique.
journalistes la place qui leur revient
dans l’analyse des événements. J’ai
bien dit l’analyse, pas l’opinion. Je ne
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