état civil - LexisNexis
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DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - SEPTEMBRE 2012 Commentaires ÉTAT CIVIL TRANSIDENTITÉ 131 La Cour de cassation et le changement d’état civil des personnes transidentitaires Pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence. Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 11-22.490, FP-P+B+I : JurisData n° 2012012147 (...) Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 27 septembre 2010), que Mme L. A. L., ayant, depuis l’enfance le sentiment d’appartenir au sexe masculin, dont elle a adopté le comportement, a entrepris une démarche de changement de sexe avec l’aide d’une équipe médicale spécialisée ; qu’elle fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande en rectification de la mention du sexe figurant sur son acte de naissance, alors, selon le moyen : 1°/ que si le juge du fond peut parfaitement se référer à une jurisprudence, c’est à la double condition de rappeler les motifs de cette jurisprudence ou de cette décision et de constater en fait l’analogie des situations qui en justifie l’application à l’espèce ; qu’en se bornant à retenir que « la jurisprudence est fixée en ce sens que la réalité du syndrome transsexuel ne peut être établie que par une expertise judiciaire », la cour d’appel a privé de motifs sa décision en violation de l’article 455 du Code de procédure civile ; 2°/ qu’il est interdit aux juges du fond de dénaturer l’écrit qui est soumis à leur examen, et dont les termes sont clairs et précis ; qu’il résulte du certificat médical daté du 1er octobre 2008 que Mme L. A. a subi des transformations physiques dans le sens d’une virilisation irréversible ; qu’en retenant que le caractère irréversible du changement de sexe ne résulte pas des pièces médicales produites, la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil ; 3°/ que s’il a le pouvoir d’ordonner toutes les mesures d’instruction légalement admissibles, le juge ne dispose que d’une simple faculté et peut se prononcer au seul vu des éléments de preuve produits par les parties au litige et doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en s’attachant à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux ; que l’expertise judiciaire pour établir la réalité du syndrome transsexuel, doit être limitée aux seuls cas de doute sérieux sur la réalité du transsexualisme du demandeur, notamment en l’absence d’attestations émanant de plusieurs médecins, reconnus pour leur compétence en la matière ou qui ont suivi la personne concernée ; qu’en l’espèce, l’expertise judiciaire s’avérait surabondante dès lors qu’il était produit plusieurs certificats médicaux attestant du changement de sexe irréversible ; qu’en retenant, nonobstant, les nombreuses pièces attestant du syndrome transsexuel et du caractère irréversible du changement de sexe, que la réalité du syndrome transsexuel ne peut être établie que par une expertise judiciaire, la cour d’appel a violé les articles 10, 144, 146, 147, 263 du Code de procédure civile ; 4°/ que lorsque le syndrome transsexuel, le traitement suivi et le caractère irréversible du changement de sexe sont certifiés par les médecins qui ont suivi la personne transsexuelle, le juge ne peut, sous peine d’atteintes au respect de la vie privée, à la dignité humaine et à l’intégrité du corps humain, ordonner une expertise judiciaire tendant à établir la réalité du syndrome transsexuel ; que la cour d’appel a retenu, sans égards pour les certificats médicaux produits et les attestations d’une apparence physique et d’un mode de vie au masculin, que la réalité du syndrome transsexuel ne peut être établie que par une expertise judiciaire qui ne peut s’analyser en une atteinte à l’intimité de la vie privée ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les articles 9 et 16-1 du Code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; Mais attendu que, pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ; que la cour d’appel, après avoir examiné, sans les dénaturer, les documents produits par Mme L. tendant à établir qu’elle présentait le syndrome de Benjamin, qu’elle avait subi une mastectomie totale avec greffe des aréoles et suivait un traitement hormonal, a estimé que le caractère irréversible du changement de sexe n’en résultait pas ; qu’elle a pu, dès lors, constatant en outre que Mme L. refusait, par principe, de se prêter à des opérations d’expertise en vue de faire cette démonstration, rejeter la demande de celle-ci ; que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, n’est pas fondé pour le surplus ; Par ces motifs : Rejette le pourvoi (...). Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 10-26.947, FP-P+B+I : JurisData n° 2012012146 (...) Sur le moyen unique, pris en ses diverses branches : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 23 septembre 2010), que M. P., né le (...) à S. (C.), a été déclaré à l’état civil, sous les prénoms d’A., H., S., J. comme étant de sexe masculin ; que, par acte du 11 septembre 2008, il a assigné le procureur de la République pour voir dire qu’il est de sexe féminin et se prénommera A. ; qu’il a produit, à l’appui de sa demande, divers certificats médicaux émanant de praticiens français et étrangers, dont l’un faisait état d’une intervention chirurgicale de « réassignation » sexuelle réalisée en Thaïlande le 3 juillet 2008 à la clinique S. ; que, par jugement du 17 février 2009, le tribunal de grande instance de Paris a ordonné, avant dire droit, une expertise médicale pluridisciplinaire confiée à un psychiatre, un endocrinologue et un gynécologue ; que M. P. s’étant opposé à cette mesure, le tribunal a rejeté sa demande ; que la cour d’appel, tout en ordonnant la rectification de son prénom, a refusé celle de la mention du sexe figurant sur son acte de naissance ; Attendu que M. P. fait grief à l’arrêt de statuer ainsi, alors, selon le moyen : 1°/ que le droit au respect de sa vie privée et familiale commande que le changement de sexe d’une personne soit autorisé à chaque fois que son apparence physique la rapproche de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social ; qu’en l’espèce, pour refuser de faire droit à la demande de changement de sexe, la cour d’appel s’est fondée sur le fait que l’exposante ait refusé de déférer à une expertise ayant pour objet, d’une part, de se prononcer sur l’origine du syndrome de transsexualisme et son évolution, d’autre part, de caractériser qu’elle ne présentait plus tous les caractères du sexe masculin ; qu’en statuant ainsi après avoir relevé que l’exposante était connue sous un prénom féminin, qu’elle avait la conviction d’appartenir au sexe féminin, qu’elle avait suivi divers traitements médico-chirurgicaux et que la réalité de sa vie sociale était celle d’une femme, ce qui était suffisant pour faire droit à la demande, la cour d’appel a violé l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; 2°/ que même s’il est exigé de la personne qui demande à changer de sexe de justifier présenter le syndrome du transsexualisme, de justifier d’un traitement médico-chirurgical et de justifier d’une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, la preuve de ces éléments n’est pas nécessairement rapportée par une expertise judiciaire mais peut être rapportée par les pièces produites par le demandeur, qui ne doivent pas être dénaturées ; qu’en l’espèce, l’exposante produisait notamment le certificat établi le 12 avril 2007 par M. Bo. qui indiquait 37 Commentaires suivre la patiente « pour un syndrome typique de transsexualisme », le certificat établi le 16 janvier 2008 par M. H., qui certifiait la « suivre sur le plan hormonal pour transsexualisme primaire typique depuis le 1er juin 2006 » et qui soulignait que l’exposante était « éligible pour la réassignation chirurgicale, qu’elle attend légitimement », le certificat médical du psychiatre Ba. établi le 3 avril 2008 qui certifiait que la patiente « présente un syndrome de Benjamin typique ; il n’existe actuellement aucune contre-indication aux traitements médicaux et/ou chirurgicaux nécessités pour la réassignation de genre demandée par le sujet », le certificat de M. S. qui détaillait l’opération réalisée et concluait que « l’opération est irréversible et change de manière permanente l’identité sexuelle masculine de M. P. pour une identité sexuelle féminine », le certificat médical établi le 26 mai 2009 par M. W., postérieurement à l’opération, qui indiquait que « la chirurgie de réassignation des organes génitaux externe [a] été réalisée et [est] irréversible », le certificat médical du psychiatre Ba., établi le 23 juillet 2009, qui soulignait que la patiente « a suivi un traitement hormonal et les interventions chirurgicales nécessaires pour que son aspect et son comportement soient désormais féminins », l’attestation de l’orthophoniste G. M., en date du 27 mai 2009, qui témoignait que « actuellement la voix et l’apparence [de l’exposante] sont parfaitement féminines et concordantes » et l’attestation du docteur en psychopathologie fondamentale P. qui certifiait qu’elle avait pu « constater la cohérence entre les propos de Mlle P. et son identité de genre revendiquée » ; que ces pièces établissaient pleinement que l’exposante présentait le syndrome du transsexualisme, qu’elle avait subi un traitement chirurgical faisant d’elle une femme et que son apparence physique comme son comportement social étaient féminins, de sorte qu’en jugeant que ces pièces étaient insuffisantes pour prouver les conditions nécessaires au changement de sexe et en faisant grief à l’exposante de ne pas avoir déféré à l’expertise judiciaire ordonnée, la cour d’appel a dénaturé les pièces précédemment citées ; 3°/ que tout patient a le libre choix de son médecin et que constitue une discrimination illicite le fait de le priver de ses droits sous prétexte qu’il s’est fait opérer par un médecin exerçant hors de France ; qu’en se fondant, pour dire que l’exposante aurait dû se soumettre à l’expertise judiciaire, sur le fait que le dossier complet exigé pour les patients opérés en France ne paraisse pas exigé par le chirurgien qui avait opéré l’exposante en Thaïlande et sur le fait que la notoriété scientifique et chirurgicale de ce chirurgien ne soit pas établie, pas plus que la pertinence de l’intervention pratiquée au regard des pratiques de la communauté médicale, la cour d’appel s’est prononcée par des motifs discriminatoires, violant ainsi les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble l’article L. 1110-8 du Code de la santé publique ; Mais attendu que, pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ; qu’après avoir examiné, sans les dénaturer, les documents produits, et relevé, d’une part, que le certificat faisant état d’une opération chirurgicale effectuée en Thaïlande était lapidaire, se bornant à une énumération d’éléments médicaux sans constater l’effectivité de l’intervention, d’autre part, que M. P. opposait un refus de principe à l’expertise ordonnée par les premiers juges, la cour d’appel a pu rejeter sa demande de rectification de la mention du sexe dans son acte de naissance ; que le moyen n’est pas fondé ; Par ces motifs : Rejette le pourvoi (...). 38 NOTE : Voilà presque vingt ans, la Cour de cassation, dans sa formation la plus prestigieuse, fixa les conditions de modification de la mention du sexe inscrite sur l’acte de naissance des personnes transidentitaires. Cinq conditions furent posées ; il fallait présenter le syndrome du transsexualisme, avoir suivi un traitement médico-chirurgical dans un but thérapeutique, n’avoir plus tous les caractères de son sexe d’origine, avoir pris une apparence physique proche de l’autre sexe et, enfin, avoir adopté le comportement social correspondant à ce dernier (Cass. ass. plén., 11 déc. 1992, n° 91-12.373 et n° 91-11.900 : JurisData n° 1992-002867 ; JurisData n° 1992-002595 ; JCP G 1993, II, 21991, concl. M. Jéol, note DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - SEPTEMBRE 2012 G. Mémeteau. – Cass. 1re civ., 18 oct. 1994, n° 93-10.730 : JurisData n° 1994-002160). De surcroît, la réalité du syndrome du transsexualisme devait être établie par une expertise judiciaire (Cass. ass. plén., 11 déc. 1992, n° 91-12.373, préc.). Ces solutions étaient peu discutées, en jurisprudence comme en doctrine, jusqu’à la publication, en 2009, du rapport de M. Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l’homme près le Conseil de l’Europe, recommandant d’« instaurer des procédures rapides et transparentes de changement de nom et de sexe sur les extraits d’acte de naissance, cartes d’identité, passeports, diplômes et autres documents officiels » (Th. Hammarberg, Droits de l’homme et identité de genre : Cons. Europe, Rapp. oct. 2009 pour la version française, p. 43). Le gouvernement retira alors les troubles précoces de l’identité de genre de la liste des affections psychiatriques (D. n° 2010-125, 8 févr. 2010 : JO 10 févr. 2010, p. 2398). La direction des affaires civiles et du Sceau appela ensuite le ministère public à donner un avis favorable aux demandes de changement d’état civil présentées par les personnes transidentitaires, sans exiger ni expertise judiciaire ni ablation des organes génitaux, pourvu que fussent démontrées la réalité du transsexualisme et l’irréversibilité des effets des traitements hormonaux pratiqués (Circ. DACS, n° CIV/07/10, 14 mai 2010 relative aux demandes de changement de sexe à l’état civil : NOR JUSC1012994C) ; certains juges du fond statuèrent en ce sens (V. par exemple, CA Rennes, 6e ch., 7 juin 2011, n° 10/03953 : JurisData n° 2011-018020. – S. Paricard, Le transsexualisme, à quand la loi ? : Dr. famille 2012, étude 2). De son côté, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe adopta le 29 avril 2010 la résolution n° 1728 (2010) affirmant le droit des personnes transidentitaires à obtenir des documents officiels reflétant leur identité de genre (Cons. Europe., rés. préc., n° 16.11.2). Brochant sur le tout, la cour d’appel de Nancy abandonna la condition tirée du diagnostic du transsexualisme (V. CA Nancy, 3e ch. civ., 11 oct. 2010, n° 10/02477 : JurisData n° 2010022249 ; JCP G 2010, note 1205, Ph. Reigné. – CA Nancy, 1re ch. civ., 3 janv. 2011, n° 09/00931 : JCP G 2011, note 480, Ph. Reigné (1re esp.). – CA Nancy, 3e ch. civ., 2 sept. 2011, n° 09/02179 : JurisData n° 2011031585 ; JCP G 2012, act. 124, obs. Ph. Reigné ; Dr. famille 2012, comm. 38, note Ph. Reigné. – F. Vialla, Du sexe au genre ? : JCP G 2012, 122, ap. rap.). Les deux arrêts rendus le 7 juin 2012 par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 11-22.490 : JurisData n° 2012-012147 ; Gaz. Pal. 20-21 juin 2012, jurispr. p. 8, avis D. Sarcelet ; D. 2012, p. 1648, note F. Vialla (1re esp.) – Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 1026.947 : JurisData n° 2012-012146 ; D. 2012, jurispr. p. 1648, note F. Vialla (2e esp.) étaient donc attendus (V. F. Vialla, Transidentité, en attendant la Cour de cassation : JCP G 2012, 697). Leur extrême concision invite le commentateur à la prudence et il est douteux que ces décisions suffisent à fixer la jurisprudence. Elles ont en commun de porter, à titre principal, sur le caractère obligatoire de l’expertise judiciaire, que la Haute juridiction semble bien abandonner (1). Leur portée dépasse toutefois le seul domaine procédural pour s’étendre à celui des conditions de la modification de la mention du sexe sur les registres d’état civil (2). 1. L’abandon du caractère obligatoire de l’expertise judiciaire Malgré la position prise par la Cour de cassation en 1992 (Cass. ass. plén., 11 déc. 1992, n° 91-12.373, préc.), la pratique des juges du fond, quant à l’expertise judiciaire, n’était pas uniforme (V. Ph. Roger, L’avenir de l’expertise judiciaire en matière de transsexualisme : Experts avr. 2010, p. 18)). C’est que les mesures d’instruction présentent, en principe, un caractère facultatif (CPC, art. 10, art. 144 et art. 146) ; spécialement, aux termes de l’article 263 du Code de procédure civile, « l’expertise n’a lieu d’être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge ». Ce nonobstant, l’un des arrêts frappés de pourvoi (V. Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 11-22.490, préc.) avait retenu que « la réalité du syndrome transsexuel ne p[ouvait] être établie que par une expertise judiciaire » et, ajoutant à la solution de l’Assemblée plénière, que cette mesure « vis[ait] à démontrer le caractère irréversible du changement de sexe » (CA Montpellier, 27 sept. DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - SEPTEMBRE 2012 2010, inédit). Cette motivation fut également critiquée par l’auteur du pourvoi et par l’avocat général, M. D. Sarcelet, dans son avis (V. Gaz. Pal. 20-21 juin 2012, jurispr. p. 8, spéc. p. 12). Le rejet du pourvoi ne peut cependant être interprété comme le maintien du caractère obligatoire de l’expertise. En effet, les juges du fond avaient aussi considéré que « le caractère irréversible du changement de sexe ne résult[ait] pas en l’état des pièces produites ». Celles-ci tendaient à établir que le demandeur présentait le syndrome de Benjamin, avait bénéficié d’une mastectomie totale et suivait un traitement hormonal. De même, l’autre arrêt frappé de pourvoi (V. Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 10-26.947, préc.) se fondait, pour ordonner une expertise, sur la seule insuffisance des documents communiqués en vue d’établir la preuve d’une réassignation sexuelle complète (CA Paris, pôle 1, 1re ch., 23 sept. 2010, n° 09/28266 : JurisData n° 2010-026965). Or, la Cour de cassation, pour approuver les juges du fond d’avoir refusé d’accueillir les demandes de changement d’état civil du chef du sexe, presans dénaturation, et, d’autre part, qu’ils avaient constaté le refus de déférer aux mesures d’expertise ordonnées. Le pouvoir souverain des juges du fond dans l’appréciation des éléments de preuve et un contrôle particulièrement léger de la dénaturation permettent à la Haute juridiction de rejeter les pourvois. L’expertise, en cette matière, obéit donc dorénavant au droit commun. Cette solution mérite approbation, car le caractère obligatoire de cette mesure d’instruction manifestait à l’égard des personnes transidentitaires une défiance injustifiable. Sa portée devrait cependant être très réduite en pratique ; en effet, la nature des conditions posées par la Cour de cassation au changement d’état civil conduira souvent les juges du fond à ordonner une expertise. 2. Les conditions du changement d’état civil Selon les arrêts commentés, en vue d’obtenir la modification de la mention du sexe sur son acte de naissance, « la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ». Il n’est plus fait référence au comportement social ni à la perte des caractères sexuels d’origine. En revanche, la réalité du syndrome du transsexualisme doit toujours être prouvée (A), alors qu’à l’exigence d’un traitement hormono-chirurgical est substituée celle de l’irréversibilité de la transformation de l’apparence de la personne demanderesse (B). A. - La nécessité de prouver la réalité du syndrome transsexuel résultait des décisions d’Assemblée plénière du 11 décembre 1992. Les critiques que M. T. Hammarberg lui adressa (Rapp. préc., p. 7, adde p. 23) expliquent peut-être son abandon par la cour d’appel de Nancy (CA Nancy, 11 oct. 2010, préc. – CA Nancy, 3 janv. 2011, préc. – CA Nancy, 2 sept. 2011, préc. – V. cependant CA Nancy, 3e ch. civ., 9 janv. 2012, n° 12/00055 et 11/01043 : JurisData n° 2012-006036). La solution des juges nancéiens est toutefois clairement condamnée par la Cour de cassation ; selon la Haute juridiction, la preuve de la réalité du transsexualisme doit être établie « au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique ». Cette référence embarrassée à l’opinion commune de la communauté scientifique présuppose la neutralité des sciences médicales. Mme Dominique Thouvenin remarquait pourtant, dès 1979, à propos de la définition du transsexualisme : « On a le sentiment que ces critères ont également pour but de fixer un profil idéal du transsexuel, c’est-à-dire celui qui ne reprochera pas aux médecins d’avoir accédé à sa demande. » (D. Thouvenin, Le transsexualisme, une question d’état méconnue : RD sanit. soc. 1979, p. 291, note n° 5) Il s’agit surtout de marquer profondément dans les corps la différence des sexes, bien que l’idée d’androgynie ne soit pas étrangère aux observations scientifiques (V. J. Libis, Le mythe de l’androgyne : Berg international, 1980, p. 93 et s.). Dès le XIXe siècle, en effet, le milieu médical, à l’avènement de sa puissance sociale, imposa une stricte logique binaire pour tout ce qui relevait du corps, du sexe et de la sexualité (V. G. Houbre, Un sexe impensable : l’identification des hermaphrodites dans la France du XIXe siècle, étude parue en portugais sous le titre Um sexo impensável : a identificaçao dos hermafroditas na França do século XIX : Espaço Plural, Commentaires n° 21, 2e semestre 2009, p. 20). La construction socio-médicale qu’est le syndrome du transsexualisme s’inscrit exactement dans cette logique ; elle permet de faire le départ entre « vrais et faux transsexuels », parce que « de « vrais trans’ » ne causent aucun trouble dans le genre ; on leur accorde une aide exceptionnelle et ils rentrent dans le rang du corps et de l’identité (homme masculin masculinisant ; femme féminine féminisante) » (V. K. Espineira, Le bouclier thérapeutique : discours et limites d’un appareil de légitimation : Le sujet dans la Cité, 2 (2011), p. 280, spéc. p. 284). La médecine est politique. Le classement des êtres humains dans l’une ou l’autre des catégories de sexe est l’exercice d’un pouvoir ; il ne devrait pas être abandonné, sans contrôle, à la communauté des médecins. Si la position de la Cour de cassation quant au diagnostic du transsexualisme est claire, elle manque de netteté à l’endroit de l’irréversibilité de la transformation. B. - Aux termes des arrêts commentés, la personne demanderesse doit rapporter la preuve du « caractère irréversible de la transformation de l’apparence ». Cette expression suscite l’hésitation par son imprécision. Selon les arrêts du 11 décembre 1992, la personne transidentitaire sollicitant un changement d’état civil devait avoir suivi un traitement hormono-chirurgical dans un but thérapeutique ; il était admis que cette périphrase signifiait une réassignation sexuelle totale (V. S. Paricard, art. préc., n° 8). En 2009, la Haute autorité de santé suggéra de faire de l’irréversibilité des effets d’une hormono-substitution une possible condition de modification de la mention du sexe sur l’acte de naissance « sans aller jusqu’à l’opération de réassignation sexuelle » (Situation actuelle et perspectives d’évolution de la prise en charge médicale du transsexualisme en France : Rapp. nov. 2009, p. 47). La circulaire de la direction des affaires civiles et du Sceau du 14 mai 2010 (préc.) adopta cette proposition. Pour la Haute autorité de santé, un traitement hormonal peut supprimer « certains aspects physiologiques, notamment la fécondité, d’une façon qui peut être irréversible » (Rapp. préc., p. 47. – Adde Rép. min. n° 14524 : JO Sénat Q 30 déc. 2010, p. 3373). Il s’agit donc de rendre stériles les personnes transidentitaires afin d’éviter de reconnaître qu’un enfant puisse naître de deux mères ou de deux pères, selon les indications portées sur l’acte de naissance de ses parents et ainsi « d’assurer la cohérence et la sécurité des actes d’état civil » (CA Nancy, 3 janv. 2011, préc.). L’irréversibilité d’une hormono-substitution est cependant un leurre ; « l’hormonothérapie, pourtant qualifiée de « définitive » (...) ne l’est pas, puisqu’il s’agit d’un traitement à vie, et il suffit que les personnes arrêtent leur traitement pour que leurs caractéristiques physiques d’origine refassent surface » (V. C. Fortier et L. Brunet, Changement d’état civil des personnes « trans » en France : du transsexualisme à la transidentité in Droit des familles, genre et sexualité : Anthémis, 2012, p. 63, spéc. p. 85. – S. Paricard, art. préc., n° 22). C’est la conclusion à laquelle parvint l’expert désigné par la cour d’appel de Versailles dans une espèce ayant donné lieu à une décision du 22 mars 2012 (CA Versailles, 1re ch., sect. 1, 22 mars 2012, n° 11/03116 : JurisData n° 2012-005712. – V. F. Vialla, Transidentité, en attendant la Cour de cassation, préc.). Selon cet expert, « seule une castration chirurgicale permettrait la conservation d’un état féminisé ». Ce système barbare, imposant, selon le cas, une ablation des testicules ou des ovaires et de l’utérus, séduit une partie de la doctrine (V. S. Paricard, art. préc., n° 23). Il n’emporta pas la conviction des juges versaillais qui ordonnèrent, malgré l’absence d’orchidectomie, la modification de la mention du sexe sur l’acte de naissance de la requérante. De surcroît, la cohérence et la sécurité de l’état civil peuvent être établies par le droit plutôt que par la médecine. L’interdiction d’inscrire, sur les registres de l’état civil, un enfant comme né de deux parents de même sexe, est en effet élevée au rang des principes essentiels du droit français de la filiation par deux arrêts de la Cour de cassation rendus, eux aussi, le 7 juin 2012 (Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 11-30.261 : JurisData n° 2012-011952 et Cass. 1re civ. 7 juin 2012, n° 11-30.262 : JurisData n° 2012011937 ; JCP G 2012, 728, obs. A. Devers). Ces décisions révèlent l’inutilité du recours à la notion d’irréversibilité, bien que l’on puisse se demander si priver l’enfant de sa filiation à l’égard de l’un de ses parents en raison de leur homosexualité est vraiment la solution. 39 Commentaires La « transformation de l’apparence » appelle, elle aussi, l’interrogation. Annonce-t-elle le retour à une définition du sexe tirée de l’apparence extérieure des organes génitaux (V. Cass. civ., 6 avr. 1903 : DP 1904, 1, p. 395, concl. Baudouin ; S. 1904, 1, p. 273, note A. Wahl) ? Manifeste-t-elle, au contraire, le maintien d’une conception strictement biologique du sexe, le changement d’état civil des personnes transidentitaires se jouant sur le seul terrain des apparences (V. Cass. Ass. plén., 11 déc. 1992, préc. – Cass. 1re civ., 18 oct. 1994, préc. – D. Lochak, Dualité de sexe et dualité de genre dans les normes juridiques : Jurisprudence – Rev. critique 2011, p. 43, spéc. p. 48) ? Quelle est, enfin, l’étendue de la transformation exigée ? S’applique-t-elle à la pilosité de la peau, aux glandes mammaires, aux organes génitaux ou à la physiologie générale, à l’exclusion de la fécondité ? Par ces nombreuses questions se manifeste la critique majeure que l’on peut adresser aux arrêts ci-dessus rapportés : ils se prêtent à toutes les interprétations, livrant les personnes DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - SEPTEMBRE 2012 transidentitaires à l’arbitraire des juges du fond. Le Conseil constitutionnel, faisant de l’intelligibilité et de l’accessibilité de la loi un objectif de valeur constitutionnelle, impose au législateur « d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (V. notamment Cons. const., déc. 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC et, en dernier lieu, Cons. const., déc. 9 juin 2011, n° 2011-631 DC). Sans doute la Cour de cassation n’est-elle pas le législateur, mais sa mission régulatrice n’implique-t-elle pas le respect d’une pareille exigence dans la rédaction de ses décisions de principe ? Philippe REIGNÉ, agrégé des facultés de droit, professeur du CNAM, membre du LISE (UMR 5262) Mots-Clés : Transidentité - Transsexualisme - Changement d’état civil - Conditions Textes : C. civ., art. 99 et s. JurisClasseur : Civil Code, Art. 99 à 101 – Fasc. 30 MARIAGE Virginie LARRIBAU-TERNEYRE, professeur à l’université de Pau et des pays de l’Adour QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ 132 La constitutionnalité des articles 175-1, 146 et 180 du Code civil Cons. const., déc. 22 juin 2012, n° 2012-261 QPC : JurisData n° 2012014290 ; JO 23 juin 2012, p. 10357 40 (...) 1. Considérant qu’aux termes de l’article 146 du Code civil : « Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement » ; 2. Considérant qu’aux termes de l’article 175-1 du même code : « Le ministère public peut former opposition pour les cas où il pourrait demander la nullité du mariage » ; 3. Considérant qu’aux termes de l’article 180 du même code : « Le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l’un d’eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n’a pas été libre, ou par le ministère public. L’exercice d’une contrainte sur les époux ou l’un d’eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage. « S’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage » ; 4. Considérant que, selon le requérant, en subordonnant la validité du mariage à l’intention exclusive des époux ou futurs époux de s’engager dans l’union matrimoniale et en permettant qu’il soit fait obstacle à la célébration du mariage ou que son annulation soit prononcée en fonction de leurs motivations, ces dispositions méconnaissent la protection constitutionnelle de la liberté du mariage ; 5. Considérant que la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle, résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; que cette liberté ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du mariage dès lors que, dans l’exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; qu’elle ne fait pas davantage obstacle à ce qu’il prenne des mesures de prévention ou de lutte contre les mariages contractés à des fins étrangères à l’union matrimoniale ; 6. Considérant, en premier lieu, que l’article 146 du Code civil subordonne la validité du mariage au consentement des époux ; qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le mariage est nul, faute de consentement, lorsque les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu’en vue d’atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale ; 7. Considérant que la protection constitutionnelle de la liberté du mariage ne confère pas le droit de contracter mariage à des fins étrangères à l’union matrimoniale ; que, par suite, le grief tiré de ce que l’article 146 du Code civil porterait atteinte à cette liberté doit être écarté ; 8. Considérant, en deuxième lieu, que l’article 175-1 prévoit que le procureur de la République peut s’opposer au mariage pour les cas où il pourrait demander sa nullité ; que ces cas, parmi lesquels figure celui prévu à l’article 146 du Code civil, sont énumérés par l’article 184 du même code ; 9. Considérant que, selon l’article 176 du Code civil, l’acte d’opposition, à peine de nullité, est motivé et reproduit le texte sur lequel elle est fondée ; que l’opposition du ministère public ne cesse de produire effet que sur décision judiciaire ; que les articles 177 et 178 du Code civil prévoient que les futurs époux peuvent en demander la mainlevée au tribunal de grande instance qui se prononce dans les dix jours ; qu’en cas d’appel la cour d’appel se prononce dans le même délai ; qu’il appartient en tout état de cause au procureur de la République, qui fonde son opposition sur l’article 146 du Code civil en invoquant la simulation, de rapporter la preuve que la célébration n’est envisagée qu’à des fins étrangères à l’union matrimoniale ; que, compte tenu des garanties ainsi instituées, la faculté donnée au procureur de la République par l’article 175-1 du Code civil de s’opposer à des mariages qui seraient célébrés en violation de règles d’ordre public, ne peut être regardée comme portant une atteinte excessive à la liberté du mariage ; 10. Considérant, en troisième lieu, que l’article 180 du Code civil prévoit que le consentement au mariage est vicié en cas de contrainte sur un époux ou les deux ainsi qu’en cas d’erreur dans la personne ou sur des qualités essentielles de la personne ; que si, en cas d’erreur, seul l’époux qui en a été victime peut en demander la nullité, le mariage contracté sans le consentement libre des époux ou de l’un d’eux peut également être attaqué par le ministère public ; 11. Considérant que ces dispositions permettent ainsi au procureur de la République de former opposition au mariage, ou d’en poursuivre l’annulation, en cas de contrainte ; que, loin de mécon-