Arriba la salsa
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Arriba la salsa
Votre nom Arriba la salsa ! La fièvre latino envahit l'Europe. Depuis 5 ans, à Paris comme en province, bals, cours de danse, concerts se multiplient et font le plein. Simple mode ? Non : les rythmes afro-cubains sont en vogue depuis les années 30. Mais l'ouverture récente de Cuba a mis l'Occident en effervescence. Les vieux tubes ressortent et les musiciens de l'île rivalisent de créativité, avec l'espoir d'échapper à la misère. Un phénomène nouveau ? "Soyez relax, laissez fléchir vos genoux … Les hommes commencent du pied gauche, les femmes du pied droit…. N'oubliez surtout pas la petite rotation extérieure de la hanche…" Facile à dire ! Entre les quatre colonnes de l'antique bal musette parisien de la Coupole, devenu un temple de la salsa, la plupart des élèves-danseurs de la Californienne Suzan Sparks restent raides comme des piquets ou, mieux, se lancent dans des contorsions plus proches des arabesques orientales que des chassés-croisés tropicaux ! A vrai dire, il faut avoir les articulations drôlement souples pour se livrer, avec sensualité bien sûr, aux mouvements de bras sophistiqués et aux allers-retours accélérés de "pas de deux" afro-cubain. Pourtant les cours de danse latino ne désemplissent pas, et la plupart des anciens thés dansants de Paris se sont convertis au guinche tropical. Le joue-contre-joue règne à La Coupole (plus chic, plus rive gauche), et les œillades roucouleuses font la loi au Balajo (plus nostalgique, plus popu), alors que les corps à corps suggestifs allument La Java (plus canaille, plus black). Mais là comme aux Etoiles, au New Morning, au Divan du monde, à l'Elysée Montmartre et dans diverses salles de Marseille, Bordeaux, Nantes, Strasbourg, Rome, Berlin ou Amsterdam, se mêlent les tribus et s'inventent de réjouissants bals populaires des temps modernes. On y délaisse le p'tit vin blanc pour se convertir au verdoyant mojito, le cocktail préféré d'Hemingway, agrémenté de feuilles de menthe ; ou au cuba libre, métissage de rhum blanc et de Coca-Cola noir qui ravive vieux rêves de révolution et rejet-fascination de "l'impérialisme yankee"… On y fait des infidélités aux stridences du rock pour vibrer aux guillerettes sérénades de la petite guitare tres et aux tempos chaloupés des claves. La secrétaire comme le patron, l'intello comme l'artisan s'y sentent à l'aise et s'y adonnent avec ferveur à l'ivresse de la danse en couple, mambos échevelés ou boléros énamourés. L'histoire. Tout a commencé en 1993, lorsqu'à peu près en même temps le quinquagénaire Rémy Kolpa Kopoul, ex-critique musical de Libération, et Fusto, disc-jockey trentenaire, ont lancé des soirées hebdomadaires : le premier à La Coupole avec un même groupe d'ambiance toutes les semaines, le second à La Java, avec une alternance des meilleures formations cubaines et les essais plus ou moins concluants de salseros hexagonaux. "Le premier mardi, il y a eu 110 entrées, le second 220, le troisième, qui était une vieille de 14 juillet, 440 ", exulte RKK, qui appelle La Coupole son usine à bananes, et s'enorgueillit d'y accueillir Victoria Abril ou Catherine Ringer comme les DJ les plus en vue de Londres ou de New York. Parfait antidote de la morosité ambiante, la fiesta salsa a essaimé de tous cotés, et RKK, alias "le ministre de la bonne humeur", se voit devenir l'incontournable "Monsieur latino" à qui l'on demande le top-five le plus allumé. "Plus qu'une simple mode, explique-t-il, il s'agit de l'air du temps, c'est à dire que ça monte moins haut et que ça plonge moins vite. D'ailleurs, la mode est toujours restée à la périphérie de la réalité de la nuit, qui n'a rien à voir avec les tubes télé de l'été pour discothèques, comme le racoleur Un dos tres, de Ricky Martin." La salsa – Page 1 - Votre nom Le DJ Fusto, qui créa les "jeudis" puis les "vendredis" de La Java et les Fiestas mensuelles de l'Elysée Montmartre, vient, lui de lancer un quatre-pages gratuit d'informations consacré à la salsa, et d'ouvrir une boutique latino où il vend livres, vinyles, CD. "Y'a pas mieux que cette musique pour danser, draguer, faire la fête, s'exalte-t-il. Beaucoup de gens sont allés à Cuba depuis que l'île s'est ouverte au tourisme en 1990 : les soirées leur permettent de retrouver une énergie découverte là-bas, des rythmes qui bougent sans être boumboum. Et puis la salsa, c'est quand même plus convivial que la techno !". L'aspect sociologique. L'origine musicale. Yannis Ruel, étudiant en sociologie qui vient d'achever un mémoire sur les soirées salsa, précise : "La femme doit se laisser faire, être la plus molle possible. C'est le macho qui la dirige, même s'il danse moins qu'elle. En même temps, il a à son égard un devoir de courtoisie et d'élégance…". Les clichés sur le latin lover et la sensualité marchent à fond dans l'actuel engouement pour la salsa. Le besoin d'exotisme aussi. Si on va d'abord aux soirées pour danser, on y va souvent également pour regarder les autres, ce qui est parfaitement admis car le plaisir d'être admiré ajoute du piquant à la joie des danseurs. On y va aussi pour s'évader, faire une cure d'exotisme à deux pas de chez soi, entendre parler l'espagnol, rencontrer des latinos… En fait, le fond de l'air est latino depuis …quasiment un siècle, et à peu près tous les vingt ans se repointe une nouvelle fièvre latine. Les années 30 furent typiques avec la frénétique rumba lancée par le Bal nègre de la rue Blomet ; le milieu du siècle fut mambo et cha-cha-cha, ces dérivés de la contredanse française du XVIIIe siècle arrivés à Cuba via les réfugiés haïtiens. En témoignent les torrides déhanchements de Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme, de Roger Vadim, le très kitsch Tique-tique-tique aïe aïe aïe, de Xavier Cugat…. Les seventies, elles furent dédiées à la salsa newyorkaise lancée sous nos cieux par Jean Luc Fraisse, de la Chapelle des Lombards. • Nées d'une rencontre entre la guitare des colons et le tambour des esclaves, les musiques cubaines n'ont cessé de sillonner le monde, revenant en particulier en Afrique, où elles ont enfanté dans les années 50, la rumba zaïroise. Elles donnent lieu aujourd'hui à de savoureuses adaptations françaises. Tout au long de leurs pérégrinations, les tempos afro-cubains ont fait l'objet de batailles de noms qui rebondissent sans cesse. La salsa (en VO : la sauce) est leur dénomination actuelle la plus communément admise. L'étiquette fut lancée dans les années 70 par les Cubains et les Portoricains de New York, pour annoncer une nouvelle vague plus cultivée, plus urbaine, plus sophistiquée. • Longtemps, les Cubains ont refusé d'appeler ainsi leurs musiques nées de la trova, le chant des troubadours, et du sone, ballades pour guitares et percussions qui ont engendré autant de genres que de figures de danses : bolero, danzon, rumba, mambo et autres cha-cha-cha. Puis, ils ont finalement accepté ce label yankee parce qu'il était fédérateur, et de toute façon déjà adopté par les Occidentaux. • Mais les sept meilleurs groupes de la nouvelle génération réunis en "Team Cuba" sont agacés, énervés même, par les délires enthousiastes qui accueillent sous nos cieux les sérénades surannées de papys comme Company Segundo ou Ruben Gonzales. Ils accusent l'impérialisme américain de relancer de vieilles gloires du son pour saboter la créativité des nouvelles générations. Ils se sont donc avisés de lancer un énième nom pour ces musiques. Ils l'empruntent à un ancien style de danses pour percussions : la timba, à laquelle leurs mixages new-look doivent leurs rythmes accélérés. Hélas, à vouloir se plier aux canons du funk et du rap, les mélodies de la timba nouvelle manière perdent parfois leur cohérence. Cette fin de siècle semble pleine de bon sens. Tout en gardant une certaine tendresse pour la militantisme romantique d'un jeune homme barbu mort dans la fleur de l'âge, elle plébiscite la magnifique leçon de vie d'un jovial papy qui, à 90 ans bien sonnés, continue de chanter, danser et faire la cour aux dames avec une élégance d'un autre temps. La révolution n'est plus ce qu'elle était… La salsa – Page 2 -