DOSSIER PÉDAGOGIQUE

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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
FIDÉLITÉ PRÉSENTE
MICHEL BOUQUET
CHRISTA THÉRET VINCENT ROTTIERS
UN FILM DE
Photo JEAN-MARIE LEROY
GILLES BOURDOS
AU CINÉMA LE 2 JANVIER
THOMAS DORET MICHÈLE GLEIZER ROMANE BOHRINGER SCÉNARIO JÉRÔME TONNERRE GILLES BOURDOS COLLABORATION SCÉNARIO MICHEL SPINOSA
D’APRÈS L’OUVRAGE «LE TABLEAU AMOUREUX» DE JACQUES RENOIR éditions FAYARD MUSIQUE ORIGINALE ALEXANDRE DESPLAT IMAGE MARK PING BING LEE
MONTEUR YANNICK KERGOAT SON FRANÇOIS WALEDISCH
VALÉRIE DELOOF CYRIL HOLTZ COSTUMES PASCALINE CHAVANNE DÉCORS BENOÎT BAROUH 1 ASSISTANT RÉALISATEUR CHRISTOPHE MARILLIER CASTING RICHARD ROUSSEAU ELSA PHARAON Accessoires Michel Charvaz
MARS FILMS FRANCE 2 CINÉMA AVEC LA PARTICIPATION DE ORANGE CINÉMA SÉRIES FRANCE TÉLÉVISIONS
AVEC LE SOUTIEN DE LA RÉGION PROVENCE ALPES CÔTE D’AZUR EN PARTENARIAT AVEC LE CNC VENTES INTERNATIONALES WILD BUNCH INTERNATIONAL
er
PEINTURE GUY RIBES DIRECTEUR DE PRODUCTION SAMUEL AMAR PRODUCTRICE EXÉCUTIVE CHRISTINE DE JEKEL PRODUCTEURS OLIVIER DELBOSC ET MARC MISSONNIER COPRODUIT PAR WILD BUNCH
L’HISTOIRE DU FILM
LES PERSONNAGES
AUGUSTE RENOIR - Michel Bouquet
Pierre-Auguste dit Auguste Renoir est né en 1841 à Limoges, dans
une famille très modeste.
1915. Sur la Côte d’Azur.
Au crépuscule de sa vie, Auguste Renoir est éprouvé par la perte de son épouse, les douleurs du
grand âge, et les mauvaises nouvelles venues du front : son fils Jean est blessé…
Mais une jeune fille, Andrée, apparue dans sa vie comme un miracle, va insuffler au vieil homme
une énergie qu’il n’attendait plus. Éclatante de vitalité, rayonnante de beauté, Andrée sera le
dernier modèle du peintre, sa source de jouvence.
Lorsque Jean, revenu blessé de la guerre, vient passer sa convalescence dans la maison
familiale, il découvre à son tour, fasciné, celle qui est devenue l’astre roux de la galaxie Renoir.
Et dans cet éden Méditerranéen, Jean, malgré l’opposition ronchonne du vieux peintre, va aimer
celle qui, animée par une volonté désordonnée, insaisissable, fera de lui, jeune officier velléitaire
et bancal, un apprenti cinéaste…
Réalisation : Gilles BOURDOS
Scénario : Jérôme TONNERRE, Gilles BOURDOS
Avec la collaboration de Michel SPINOSA, d’après l’ouvrage «LE TABLEAU AMOUREUX» de Jacques RENOIR
Musique originale : Alexandre DESPLAT
RENOIR a été présenté en clôture de la sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes.
RENOIR a reçu le soutien de Télérama.
À 13 ans, il entre comme apprenti à l’atelier de porcelaine pour y
faire de la décoration d’assiettes. Parallèlement, il suit les cours de
l’École d’arts décoratifs. À 21 ans, Renoir entre à l’École des BeauxArts de Paris où il rencontre Claude Monet, Frédéric Bazille et Alfred
Sisley. Une solide amitié se noue entre les quatre jeunes hommes
qui vont souvent peindre en plein air dans la forêt de Fontainebleau.
Il expose sa première œuvre en 1864 qu’il détruit rapidement malgré
le succès rencontré. Ce sont alors des peintres tels que Courbet,
Ingres ou encore Delacroix qui l’inspirent. Pendant quelques années,
la critique fut plutôt mauvaise, et de nombreuses caricatures
parurent dans la presse. C’est lors d’un séjour avec Monet qu’il
découvre véritablement la peinture en plein-air. Il expose avec les
Impressionnistes dès 1874 et réalise son chef-d’œuvre : le Bal du
moulin de la Galette, à Montmartre, en 1877. C’est en travaillant
sur cette toile que son style se définit : touches fluides et colorées,
absence de noir, effets de textures, goût pour les scènes de la vie
populaire, pour des modèles de son entourage.
Mais le succès n’est toujours pas au rendez-vous. À court d’argent,
il décide de ne plus exposer avec les impressionnistes et retrouve
le Salon officiel. Il devient un peintre à qui l’on commande des
portraits prestigieux. Il travaille alors davantage sur les contrastes
marqués, les contours soulignés. Il peint le Déjeuner des Canotiers
(1880-81) dans lequel apparait celle qui deviendra sa femme et
mère de ses trois garçons : Aline Charigot. Au cours de voyages
dans le Sud de la France, en Afrique du Nord ou encore en Italie,
son style se précise et il s’éloigne alors de l’impressionnisme,
désireux de faire un art plus intemporel, et plus «sérieux». C’est
sa période ingresque qui s’entame pour atteindre son apogée en
1887 avec l’exposition des Grandes Baigneuses à Paris. L’accueil
critique est très mauvais, le milieu académique le rejette. Au cours
de la décennie 1890, il entame une nouvelle période au cours de
laquelle il combine ses influences impressionnistes et ingresques.
La première toile de cette ère, les Jeunes filles au piano (1892),
est acquise par l’État pour le musée du Luxembourg. Devenu père,
il consacre une grande partie de son temps à des toiles sur la
maternité. La jeune femme qui s’occupe de ses enfants, Gabrielle,
deviendra un de ses fréquents modèles. Il aura trois fils avec Aline :
Pierre, Jean et Claude.
Les années 1890 sont celles de la maturité et du succès critique.
Il est atteint par des rhumatismes déformants qui l’obligeront
progressivement à renoncer à marcher. Il s’installe avec sa famille
à Cagnes-sur-Mer, la douceur du climat étant plus favorable à son
état de santé. Il y acquiert le domaine des Collettes dont il admirait
les oliviers. C’est là qu’il se concentre sur la peinture de portraits, de
ses enfants ou de ses domestiques. Alors que le succès lui procure
une aisance matérielle très confortable et malgré la paralysie qui
commence à handicaper ses mains, il s’adonne également à la
sculpture.
Sa femme décède en 1915, l’année où Jean, blessé à la guerre, sera
en convalescence aux Collettes. Cette même année, il rencontre
Dédée, son dernier modèle.
C’est dans sa maison familiale qu’il décède en 1919, à 78 ans.
JEAN RENOIR - Vincent Rottiers
Jean Renoir est né à Paris en 1894. Il est le second fils de PierreAuguste Renoir. Jean Renoir a grandement influencé le cinéma
français et mondial et est considéré aujourd’hui comme un cinéaste
majeur.
Juste avant-guerre, Jean Renoir réalise LA GRANDE ILLUSION (1937),
une ode à la paix sur fond de Première Guerre mondiale où il met en
scène, en guise d’hommage, Erich von Stroheim aux côtés de Jean
Gabin. Le film est récompensé à Venise.
Voulant faire une carrière militaire, Jean s’engage dans l’armée
en 1913. Deux ans plus tard, il se brise le fémur et achève sa
convalescence aux Collettes, la maison où vit son père. C’est là que
Jean rencontre Andrée. Il l’épouse en 1920 quelques mois après le
décès de son père et la met en scène dans ses premiers films sous le
nom de Catherine Hessling.
C’est dans les années 1930 qu’il réalise des films comme MADAME
BOVARY (1933), UNE PARTIE DE CAMPAGNE (1936) ou LA BÊTE
HUMAINE (1938), trois adaptations littéraires (Flaubert, Maupassant,
Zola) dans lesquelles Renoir s’attache à retranscrire le réalisme et le
naturalisme des auteurs.
La sortie, en 1921, du film d’Erich von Stroheim, FOLIES DE FEMMES
le convainc de se porter vers le cinéma qui lui permet d’exposer la
beauté de sa femme. Il réalise son premier long métrage en 1924,
LA FILLE DE L’EAU, mettant en scène son épouse et son grand frère.
En 1939, Jean Renoir tourne LA RÈGLE DU JEU qui, considéré
aujourd’hui comme l’un des plus grands films du patrimoine mondial,
fut un échec au moment de sa sortie. Le film, défini par son auteur
comme une «fantaisie dramatique», est une peinture des mœurs de
la société française.
Malgré l’accueil mitigé de son premier film, Jean Renoir renouvelle
l’exercice et dirige sa femme dans ses deux films suivants : NANA,
d’après Émile Zola en 1926, LA PETITE MARCHANDE D’ALLUMETTES,
d’après Andersen en 1928. Suivent TIRE-AU-FLANC, une comédie
militaire en 1928 puis ON PURGE BÉBÉ (1931), d’après la pièce de
Feydeau avec Michel Simon. C’est alors le premier succès populaire
du jeune cinéaste. Cette même année, il se sépare de Catherine
Hessling.
La guerre éclatant, il s’exile aux États-Unis en 1940 avec sa nouvelle
compagne Dido Freire et prend la nationalité américaine. Il réalise
plusieurs films de commande, compromis entre les enjeux sociaux
qu’il souhaite défendre et les impératifs de l’industrie américaine :
VIVRE LIBRE ! (1943), SALUT À LA FRANCE (1944), LE JOURNAL D’UNE
FEMME DE CHAMBRE (1946), ou encore L’HOMME DU SUD qui lui
vaut une nomination aux Oscars en 1945. Les films ne sont pas des
succès. Il part en Inde tourner LE FLEUVE son premier film en couleur.
Il décide de poursuivre sa collaboration avec Michel Simon en 1931,
dans un des premiers films parlants de l’histoire, LA CHIENNE. Ce film
marque un tournant dans la carrière de Jean Renoir qui réalisera par
la suite des films plus personnels, plus politiques. Cette tendance est
sans doute le fruit de l’influence de sa nouvelle femme, Marguerite
Houlle, fille de militant communiste, devenue la monteuse de ses
films. Jean Renoir est par ailleurs proche des idées défendues par
le Front Populaire qui arrive au pouvoir en 1936. Ses films suivants,
politiques et engagés, LA NUIT DU CARREFOUR (1932), BOUDU
SAUVE DES EAUX (1932), LE CRIME DE M. LANGE (1935), LES BASFONDS (1936) rencontrent leur public et sont salués par la critique.
De retour en Europe au début des années 1950, Jean Renoir tourne
LE CARROSSE D’OR, FRENCH CANCAN, ELENA ET LES HOMMES. Avec
LE DÉJEUNER SUR L’HERBE (1959), il rend hommage aux peintres
et bien sûr à son père. Il tourne son dernier film de cinéma en 1962,
LE CAPORAL ÉPINGLÉ, film en noir et blanc qui se passe pendant la
seconde guerre mondiale.
Rencontrant des difficultés de plus en plus importantes à produire
ses films, il se tourne vers la télévision et se consacre plus largement
à l’écriture. Il reçoit en 1975 un Oscar d’honneur pour l’ensemble de
sa carrière et meurt à Beverly Hills le 12 février 1979.
ANDRÉE HEUSCHLING - Christa Théret
Née en 1900, près de Reims, Andrée Heuschling se réfugie à Nice
avec sa famille en 1914. Envoyée au vieux peintre Auguste Renoir
pour devenir son modèle, «Dédée» pose pour le maître, de 1915
jusqu’à la mort du peintre en 1919. Auguste Renoir dira d’elle :
«Qu’elle est belle ! J’ai usé mes vieux yeux sur sa jeune peau, et
alors, je n’étais plus un maître, mais un enfant.» Elle figure dans
plusieurs de ses toiles dont Les Baigneuses aujourd’hui exposée au
Musée d’Orsay. Arrivée dans la maison du peintre impressionniste,
elle apporte la légèreté, la vitesse et le mouvement : c’est la
modernité qui pousse la porte des Collettes. Elle vient pénétrer un
lieu qui semble endormi et réveiller un vieux peintre endeuillé, pour
ressusciter le désir chez lui.
Voilà comme l’a décrite Jean dans son livre sur son père : «Sa peau
repoussait encore moins la lumière que celle de tous les modèles
que Renoir avait eus dans sa vie. Elle chantait d’une voix un peu
fausse des refrains à la mode, était gaie et dispensait à mon père
les effluves vivifiants de sa jeunesse épanouie. Andrée est l’un des
éléments vivants qui aidèrent Renoir à fixer sur la toile le prodigieux
cri d’amour de la fin de sa vie.»
Blessé de guerre et en convalescence chez son père, Jean tombe
amoureux de la jeune fille, qu’il épousera. Ils auront un enfant,
Alain, en 1921.
Andrée Heuschling adore le cinéma et particulièrement les
films américains. Elle développe une passion pour les vedettes
américaines dont elle adopte les tenues vestimentaires notamment.
C’est en devenant comédienne sous la caméra de son mari qu’elle
décide de prendre un nom à la consonance plus américaine :
Catherine Hessling.
Jean Renoir confirme dans ses mémoires qu’il n’a mis les pieds
dans ce métier que dans l’espoir de faire de sa femme une vedette.
Il en fit l’héroïne de ses cinq premiers films muets.
Séparée de Jean en 1931, elle ne tournera ensuite que dans trois
films avant d’abandonner sa carrière de comédienne.
PEINTURE ET CINÉMA
L’arrivée d’un art nouveau
RENOIR
J’ai un fils acteur, Pierre, l’aîné.
ANDRÉE
Ah oui ? Au cinéma ?
RENOIR
Dieu merci, non : au théâtre. Ça ne vaut
guère mieux.
ANDRÉE
Pourquoi vous dites ça ?
Renoir esquisse des variations autour
d’un nu et d’une chaise. Méli mélo de
pastel et d’huile légère…
RENOIR
C’est pas un vrai métier, un métier
qu’on exerce de ses mains pour fabriquer
quelque chose qui restera.
ANDRÉE
Ça reste dans la tête des gens.
RENOIR
Mais c’est du vent par rapport à une
chaise, une maison… une paire de souliers.
Une assiette.
Les dates clés
de l’histoire du cinéma
12 février 1892
Le film se passe en 1915, quelques années après l’apparition du
cinéma et alors même que le peintre Auguste Renoir est à l’apogée
de sa carrière. Le vieil homme a un regard sceptique sur ce nouvel
art qui manque de substance selon-lui.
La famille d’Auguste vient de Limoges, et donc de la porcelaine :
il a travaillé comme peintre sur assiette jusqu’à l’âge de 15 ans,
au moment où la machine est arrivée et a supplanté l’homme.
Il a toujours eu un rapport d’humilité avec le statut d’artiste, se
considérant avant tout comme un «ouvrier de la peinture».
PIERRE
Ton amie Andrée prétend que vous allez
vous lancer dans le cinéma…
JEAN
Mais non… elle est dans ses rêves.
PIERRE
Tu me rassures… Le cinéma, c’est pas
pour nous, les Français. Ça reste une
attraction pour les foules. Nos bagages
artistiques sont trop vieux, trop lourds…
Le dialogue entre Jean et Pierre, son frère ainé traduit même la
méfiance de cet art a priori réservé aux Américains et trop peu
noble pour être pratiqué par des descendants français d’arts plus
classiques.
1910
Cette décennie voit apparaitre les premières stars : Charlie
Chaplin, Buster Keaton aux États-Unis notamment et des
réalisateurs comme Abel Gance ou Louis Feuillade en France.
Le «cinématographe» est déposé dans un brevet par Léon Bouly.
Il désigne un appareil de prise de vue ou de projection des images
animées.
1911
28 décembre 1895
1927
Première projection publique donnée par les Frères Lumière à
Paris. C’est à cette projection qu’on se réfère pour dater la
naissance du cinéma. C’est le premier film de l’histoire du
cinéma qui a été projeté : LA SORTIE DE L’USINE LUMIÈRE À LYON,
séquence de 45 secondes. Les frères Lumière avaient déposé
le brevet de leur invention en février 1895, le cinématographe
Lumière permettant à la fois de filmer et de projeter l’image.
Si le phonographe a été inventé en 1877, le cinéma reste lui pour
le moment, muet. Les projections sont souvent accompagnées
par des musiciens ou bruiteurs en coulisses.
1902
Georges Méliès réalise le premier film de science-fiction,
le VOYAGE DANS LA LUNE.
Apparition de l’expression «Septième Art» sous la plume d’un
critique franco-italien, Ricciotto Canudo
LE CHANTEUR DE JAZZ est considéré comme le premier film
parlant de l’histoire. Réalisé par l’américain Alan Crosland,
il comporte en effet plusieurs scènes chantées et quelques
dialogues. C’est alors la disparition brutale du cinéma muet.
1935
Le premier film en couleur est tourné aux États-Unis : BECKY
SHARP de Rouben Mamoulian. Films en noir et blanc et films en
couleur ont alors coexisté jusqu’à la fin des années 60.
1er septembre 1939
Le premier Festival de Cannes présidé par Louis Lumière devait
avoir lieu. La guerre éclate. La première édition se déroulera
finalement en 1946.
L’influence de la peinture sur le cinéma,
du travail du père sur celui du fils
D’un point de vue général, il est incontestable de dire que la
peinture a largement influencé le cinéma et que les arts se mêlent
entre eux. Cette influence est sans doute d’autant plus vraie dans
le travail d’un cinéaste quand l’œuvre d’un peintre est aussi celle
d’un père.
Les œuvres des Renoir père et fils ne peuvent être absolument
dissociées. On retrouve évidemment des influences du peintre dans
le travail du cinéaste. Typiquement, lorsque Jean réalise en 1924,
LA FILLE DE L’EAU, il met en scène sa femme et dernier modèle de
son père dans une ambiance bucolique dont l’esthétique évoque les
toiles d’Auguste. La nature, et l’eau en particulier, sont au cœur des
œuvres des deux Renoir. Le réalisateur reconnaitra d’ailleurs dans
ses mémoires, s’être attaché davantage à la beauté des images
qu’à l’histoire même du film :
«LA FILLE DE L’EAU était une histoire sans importance littéraire.
Lestringuez et moi avions écrit ce scénario pour mettre en valeur les
qualités plastiques de Catherine Hessling. La magie de la forêt de
Fontainebleau nous y aidait. L’intrigue était au second plan de nos
préoccupations. Elle n’était qu’un prétexte à des plans présentant
une valeur purement visuelle.»
Quand en 1959, Jean Renoir réalise LE DÉJEUNER SUR L’HERBE,
le titre se réfère à la très célèbre toile d’Edouard Manet peinte
un siècle auparavant. Il rend ainsi hommage à la peinture au
sens large mais sans doute également indirectement à son père.
Nombreux sont les plans qui rappellent les tableaux de Renoir. Par
ailleurs, le film a été tourné en Provence, non loin des Collettes qui
ont bercé l’enfance de Jean.
Le lien entre les toiles du père et les films du fils peut également
être envisagé d’un point de vue purement mercantile. C’est la vente
de tableaux d’Auguste et la dilapidation de son héritage qui ont
permis à Jean la production de ses films. Jean rendra hommage à
son père dans un ouvrage qu’il intitulera sobrement Renoir.
Enfin, la filiation entre les deux artistes s’exprimera de manière très
concrète à travers la personne d’Andrée, modèle du père devenue
comédienne du fils.
La représentation de la peinture au cinéma
Au moment de l’écriture de son film RENOIR, le réalisateur Gilles
Bourdos s’est interrogé sur la représentation de la peinture, ce
moment tout particulier de création de l’artiste face à sa toile. Il
s’agissait bien sûr pour lui de respecter l’authenticité des touches,
des gestes qu’avaient dûs être ceux de l’artiste.
Si on se réfère à d’autres films portant à l’écran le travail d’un
grand maître, on pense à deux grands cinéastes : Minnelli et Pialat
qui consacrèrent tous deux un film à Van Gogh, le premier en 1956
dans LA VIE PASSIONNÉE DE VINCENT VAN GOGH et le second en
1991 dans son film VAN GOGH. Leurs approches ont alors été diamétralement opposées : celle de Pialat refuse totalement de filmer
le peintre au travail et celle de Minnelli met en scène littéralement
les situations dépeintes dans les tableaux par la mise en scène.
Gilles Bourdos a lui trouvé une autre voie, filmant la pratique de
la peinture, sans pour autant vouloir faire de citations picturales
des œuvres de Renoir. Du coup, il n’y a pas de reconstitution de
«tableau vivant». D’où aussi un décalage permanent entre les
tableaux qu’Auguste peint devant la caméra et son modèle, comme
pour souligner la part de réinterprétation de l’artiste par rapport
au motif.
Le réalisateur souhaitait intégrer dans le récit la pratique de la
peinture mais sans recourir aux effets numériques. Il fallait donc
trouver un peintre. La difficulté tenait au fait que la peinture de
Renoir fonctionne par couches successives, extrêmement fluides et
diluées à la térébenthine, si bien qu’avec un coup de pinceau un
peu trop appuyé, la touche de Renoir n’était pas respectée.
Bourdos cherchait donc un peintre virtuose qui pouvait se fondre
dans le corps de Renoir – dans sa main. Il a fait appel à Guy Ribes,
qui sortait de prison. Guy Ribes est un célèbre faussaire, non pas
un copiste, autrement dit, il peint des œuvres de grands peintres
qui n’existent pas, en s’inspirant de leur style, mais il ne reproduit
pas des originaux.
Ce sont donc ses mains et ses gestes qui sont filmés à chaque
scène de peinture. Il fallait que les gestes du faussaire coïncident
avec le jeu des acteurs. Bourdos captait d’abord la voix et l’esprit
de Michel Bouquet, puis la main de Guy Ribes, tout en les «dirigeant» tous les deux.
Quand un plan du fils rappelle un tableau du père
LA GUERRE EN TOILE DE FOND
Si on prend l’exemple très précis de cette scène extraite du film de Jean, ELENA ET LES HOMMES, on peut difficilement ne pas penser à l’une
des toiles maîtresse d’Auguste Renoir, peinte 80 ans auparavant.
Les frères Renoir au front
L’action du film se déroule en 1915, en pleine Première Guerre
mondiale, au moment où Jean rentre blessé. Les Renoir, comme
la quasi-totalité des familles françaises de l’époque, ont été
directement touchés par ce conflit mondial puisque deux des trois
fils Renoir ont été envoyés et blessés au front. L’aîné, Pierre Renoir,
sorti en 1907 du Conservatoire national d’art dramatique de Paris
avec un premier prix de tragédie, tourne dès 1910 pour le cinéma
muet, notamment aux côtés de la tragédienne Véra Sergine. En
1914, il est mobilisé. Blessé au bras et mutilé, il retournera aux
Collettes en convalescence accompagné de Véra qu’il épousera. Il
poursuivra sa carrière de comédien, amputé de l’avant-bras droit,
en proche collaborateur de Louis Jouvet.
Bal du Moulin de la Galette, Montmartre, 1876
Musée d’Orsay, Paris
Une scène d’ELENA ET LES HOMMES, 1956
L’IMPRESSIONNISME
et ensemble, ils fondent la Société anonyme des artistes peintres,
sculpteurs et graveurs en 1874. Elle vient concurrencer le «Salon»
organisé par l’Académie des beaux-arts, successeur de l’Académie
royale de peinture et de sculpture. Malgré les controverses, les
impressionnistes exposeront à 8 reprises jusqu’en 1886, en rupture
avec l’académisme.
Dans les années 1880, Renoir s’éloigne du mouvement
impressionniste et se dirige vers une peinture aux contrastes plus
forts. Il s’en inspirera à nouveau dans la dernière période de sa vie,
mêlant influences impressionnistes et ingresques.
La Ferme des Collettes, 1914
Metropolitan Museum of Art, New York City
L’impressionnisme est une mouvance picturale française apparue
à l’initiative d’artistes «refusés» – refusés par l’académisme – de
la seconde moitié du XIXème siècle. Il se définit par une tendance à
noter les impressions, la mobilité de la nature, du climat, plutôt
que l’aspect stable et conceptuel des éléments. L’impressionnisme
est apparu en rupture avec le classicisme des années 1800, ne
faisant par exemple figurer des corps nus que dans un contexte
mythologique. Avec son Déjeuner sur l’Herbe en 1863, Monet
choque et est vivement critiqué. Renoir s’associe à Monet mais
aussi à Pissarro, Sisley, Cézanne, Berthe Morisot et Edgar Degas
RENOIR
Toute ma vie je me suis embarrassé de
complications. Aujourd’hui je simplifie.
Des touches, encore des touches, les unes
dans les autres… Il faut que ça baise !
Jean regarde son père avec un peu de
gêne…
Renoir se recule pour juger de l’effet.
RENOIR
Ce qui doit commander la structure, ce
n’est pas le dessin mais la couleur, tu
me suis… ?
JEAN
Euh, oui… j’essaie.
Quant à son cadet, Jean, il s’engage dans l’armée en 1912,
et rejoint le corps des dragons. En 1914, quand commence la
Première Guerre mondiale, il est Maréchal des logis sous les ordres
du Capitaine Louis Bossut. En avril 1915, Renoir a le col du fémur
fracturé par une balle, lors d’un combat à Gérardmer dans les
Vosges, blessure qui le fera boiter toute sa vie. Il évite de justesse
l’amputation grâce à la présence d’un infirmier qui s’oppose à cette
intervention chirurgicale. En juin 1915, hospitalisé à Besançon, il
apprend la mort de sa mère à l’hôpital de Nice. Convalescent à
Paris dans un premier temps, Jean passe sa vie dans les cinémas,
voyant jusqu’à vingt-cinq films par semaine parmi lesquels les
films de Charlie Chaplin. Il poursuit sa convalescence aux Collettes
où il rencontre celle qui deviendra sa femme Catherine Hessling. En
1916, il retourne au front et sert dans l’aviation, où sa mauvaise
jambe ne le gêne pas.
Le film se déroule dans les premières années de la Grande Guerre
sans que celle-ci ne soit jamais directement montrée. Elle est
évoquée à travers les fils blessés.
Malgré ce contexte historique dramatique, les blessures de ses fils,
la mort de son épouse Aline et sa polyarthrite l’handicapant un peu
plus chaque jour, Auguste Renoir s’applique à peindre des toiles
débordant de volupté, de désir et de joie.
RENOIR
Il y a assez de choses embêtantes dans
la vie pour que je n’en fabrique pas
davantage. Il faut embellir... La misère,
le désespoir, la mort, ce n’est pas mon
affaire...
JEAN
La guerre, non plus... ?
RENOIR
Non plus. Le tragique, d’autres s’en
occupent fort bien. Pour certains, ça
leur porte sur les nerfs.
LA GRANDE ILLUSION, le chef-d’œuvre de Jean Renoir
Quand Jean Renoir réalise LA
GRANDE ILLUSION en 1937, il
a 43 ans. LA GRANDE ILLUSION
est aujourd’hui considéré comme
l’un des plus grands films de
l’histoire du cinéma. Jean Renoir
situe l’action pendant la Première
Guerre mondiale. Deux soldats
français, le lieutenant Maréchal
(Jean Gabin) et le capitaine
de Boëldieu (Pierre Fresnay),
sont faits prisonniers par le
commandant von Rauffenstein, un Allemand aristocrate. Envoyés
dans un camp de prisonniers, ils aident leurs compagnons de
chambrée à creuser un tunnel secret. Mais à la veille de leur
évasion, les détenus sont transférés et envoyés finalement dans un
camp fortifié de haute sécurité dirigée par von Rauffenstein qui se
liera d’amitié avec Boëldieu. Les officiers français préparent alors
une nouvelle évasion.
C’est l’histoire personnelle de Jean Renoir qui l’inspira : le capitaine
Boëldieu interprété par Pierre Fresnay serait directement inspiré du
capitaine Louis Bossut sous les ordres duquel Renoir combattit 20
ans auparavant.
Par ailleurs, le film s’inspire des récits d’évasion du Général
Armand Pinsard que Jean Renoir a rencontré pendant la Première
Guerre mondiale. Pinsard lui aurait sauvé la vie alors qu’il était
pris en chasse par un avion allemand. Les deux hommes se
perdent de vue puis se retrouvent par hasard en 1934 pendant le
tournage de TONI. Armand Pinsard raconte alors sa captivité en
Allemagne et son évasion à Renoir qui s’en inspire pour écrire un
premier scénario.
Sorti dans une seule salle à Paris en 1937, LA GRANDE ILLUSION
remporte un succès critique et public immédiat. Le film, prônant
le pacifisme, sera ensuite interdit par Vichy et dans le reste de
l’Europe.
Le film sera nommé pour l’Oscar du Meilleur Film et recevra le
Grand Prix de la Mostra de Venise.
Marqué par sa propre expérience de la guerre, Jean Renoir a
présenté son film au public américain en 1938 et déclara : «On
s’est longtemps représenté le pacifiste sous les traits d’un homme
aux cheveux longs, aux pantalons fripés, qui, juché sur une
caisse à savon, prophétisait sans relâche les calamités à venir et
entrait en transes à la vue d’un uniforme. Les personnages de LA
GRANDE ILLUSION n’appartiennent pas à cette catégorie. Ils sont
la réplique exacte de ce que nous étions, nous, la «classe 14».
Car j’étais officier pendant la guerre, et j’ai gardé un vif souvenir
de mes camarades. Aucune haine ne nous animait contre nos
adversaires. C’étaient de bons Allemands comme nous étions de
bons Français…»
LE MODÈLE DEVENU MUSE
QUELQUES ACTIVITÉS POUR VOS CLASSES
QUAND DÉDÉE DEVIENT Catherine Hessling
Les œuvres du père et du fils Renoir peuvent être rapprochées si on
se place du point de vue de la source d’inspiration de l’artiste. La
question du modèle traverse l’œuvre du père comme celle du fils.
Pour Jean, elle est à l’origine même de son désir de devenir cinéaste
puisque c’est par amour pour sa femme, motivé par le désir de faire
d’elle une vedette, qu’il s’est lancé dans le cinéma. Parallèlement,
pour Auguste, le modèle est la condition de l’exercice de son
travail de peintre. Auguste a beaucoup peint ses fils, sa femme,
ses domestiques. Jean, dans son premier film a mis en scène sa
femme, son frère…
On retrouve cette filiation entre le jeune comédien Vincent Rottiers
qui interprète Jean Renoir et l’acteur chevronné Michel Bouquet qui
joue Auguste. Ce qui intéressait Gilles Bourdos au moment où il a
choisi Michel Bouquet, outre son talent d’acteur, c’est le rapport
du «vieux maître» aux jeunes acteurs afin de créer des passerelles
entre la réalité et la fiction.
Le point commun et la transmission entre le père et le fils sont
incarnés par Catherine Hessling, modèle du père devenu muse du
fils. Si c’est elle qui a poussé Jean vers le cinéma, elle avait dans
un premier temps été le modèle du peintre et apparait dans un
certains nombre de toiles.
Source de vie du père qui meurt et du fils «pas encore né», Andrée
Heuschling aura été le médium d’une tortueuse circulation de
désirs, amoureux autant qu’artistiques. Elle fut, destin unique
dans l’histoire de l’art, tour à tour modèle et actrice, à la jonction
de la peinture et du cinéma, objet de l’œdipe artistique d’un père
et d’un fils.
Andrée, déterminée à devenir actrice, insuffle au jeune homme sa
passion pour le cinéma. Il la laisse décider pour lui, fidèle en cela
à la théorie du père : se laisser porter dans la vie tel le bouchon au
fil de l’eau. Plus tard, il conviendra : «Je n’ai mis les pieds dans le
cinéma que dans l’espoir de faire de ma femme une vedette».
ANDRÉE
Jean... il faut me promettre.
JEAN
Quoi ?
ANDRÉE
Quand la guerre sera finie, on fera du
cinéma.
Peinture et cinéma
L’impressionnisme
En quoi l’apparition de la photographie et du cinéma a-t-elle
bouleversé l’histoire de la peinture ?
Peindre un paysage à la manière impressionniste.
Étudier les différentes représentations
de la peinture au cinéma à travers trois exemples :
LA VIE PASSIONNÉE DE VINCENT VAN GOGH de Vincente Minnelli,
VAN GOGH de Maurice Pialat et RENOIR de Gilles Bourdos.
JEAN
C’est toi qui veux en faire...
ANDRÉE
Non, tous les deux, ensemble.
En quoi l’impressionnisme donne à voir
les «impressions» du peintre ?
Qu’est-ce qui distingue la peinture classique
de la peinture impressionniste ?
DÉDÉE vue par Auguste Renoir
Arrivée aux Collettes en 1915, Dédée aura posé durant les dernières
années de la vie du peintre et apparait notamment dans les toiles
suivantes :
Catherine Hessling
vue par Jean Renoir
Muse de son époux, Catherine Hessling apparait dans ses quatre
premiers films, tous muets. Suite à leur séparation, elle ne tournera
quasiment plus.
Blonde à la Rose, 1915-1917
Musée de l’Orangerie, Paris
LES ARTISTES ET LA GUERRE
Le Concert, 1918-1919
Art Gallery of Ontario, Toronto
Au cours de sa longue
carrière, Auguste Renoir
a peint plus de 7000
œuvres, essentiellement
des corps de femmes. On
imagine facilement qu’il
ait parfaitement assimilé
l’anatomie féminine. Et
Les Baigneuses, 1918-1919
pourtant, jusqu’à la fin de
Musée d’Orsay, Paris
sa vie, il aura eu besoin de
modèles comme source d’inspiration. Ces modèles, à l’instar de
Dédée, gorgés de mouvements, d’émotions étaient nécessaires à
la stimulation de l’imagination et de la réinterprétation du peintre.
LA FILLE DE L’EAU, 1924
NANA, 1926
Quelle doit-être l’attitude de l’artiste en temps de guerre :
doit-il se faire le témoin des horreurs ou
doit-il se positionner en contrepoint ?
Le modèle
comme source d’inspiration
Le rôle du modèle se limite-t-il à un simple repère anatomique ?
Quelle est la part de réinterprétation du peintre ?
En quoi Auguste Renoir a-t-il influencé des peintres modernes
comme Picasso, Matisse ou Bonnard ?
SUR UN AIR DE CHARLESTON, 1927 LA PETITE MARCHANDE D’ALLUMETTES, 1928