96 - DALLOZ Etudiant

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96 - DALLOZ Etudiant
GACIV/12/2007/0077
Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 12e édition 2007, p. 567
Décision commentée : Cour de cassation, 1re civ., 31-03-1992 n° 90-17.212
Numéro du document :
Publication
:
Indexation
COMMUNAUTE ENTRE EPOUX
1.Récompense
2.Bien propre
3.Acquisition
4.Fonds communs
5.Emprunt
Capital * Fraction remboursée * Prise en compte * Intérêt * Charge de
jouissance
96
RECOMPENSE. PROFIT SUBSISTANT. JOUISSANCE
DE LA COMMUNAUTE. INTERETS DES EMPRUNTS.
CHARGE DE LA JOUISSANCE. ABSENCE DE
RECOMPENSE AU PROFIT DE LA COMMUNAUTE
Civ. 1re, 31 mars 1992 (Bull. civ. I, n° 96, p. 64, JCP 1993. II. 22003, note
J.-F. Pillebout, 22041, note Alice Tisserand, Defrénois 1992. I. 1121, obs.
G. Champenois, RTD civ. 1993. 401, 403, 406 et 407, obs. Lucet et
Vareille)
Authier c/ Pouyat
François Terré, Membre de l'Institut ; Professeur émérite à
l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
Yves Lequette, Professeur à l'Université Panthéon-Assas
(Paris II)
La communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter
les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens.
Dès lors, leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit de la communauté lorsqu'il
a été fait avec des fonds communs et l'époux qui aurait acquitté une telle dette avec des fonds qui
lui sont propres dispose d'une créance contre la communauté.
Il s'ensuit qu'en cas de règlement par la communauté ou par un des époux des annuités
afférentes à un emprunt souscrit en vue de l'acquisition d'un bien propre à l'autre conjoint, il y a
lieu, pour la détermination des sommes dont ce dernier leur est redevable en conséquence, d'avoir
égard à la fraction ainsi remboursée du capital à l'exclusion des intérêts qui sont une charge de la
jouissance.
Faits. - Deux époux avaient, en 1970, par contrat de mariage, adopté le régime de la communauté
d'acquêts ; puis ils avaient divorcé en 1982. La liquidation de leur communauté suscita diverses
questions sur lesquelles il n'y a pas lieu d'insister. Il convient, en revanche, de porter attention à la
question principale suscitée par ce procès. Elle était relative à un immeuble acquis par les époux le
26 juillet 1974, pour le compte de la femme, au prix de 386 116 F, à concurrence de : a) 80 000 F à
titre de remploi de deniers propres appartenant à l'épouse ; b) 180 000 F à titre de remploi anticipé
du prix d'aliénation de trois immeubles propres dont l'épouse était propriétaire ; c) 120 000 F par
un emprunt solidairement contracté par les époux auprès du Crédit foncier, remboursable
semestriellement du 30 janvier 1975 au 30 juillet 1989 et portant intérêts au taux de 11,60 % ; d) 6
166 F, correspondant au solde du prix et payés avec des deniers communs.
La communauté ne supporta le remboursement du prêt que pendant trois ans (de janvier 1975 à
janvier 1978). Mais c'en était assez pour faire naître un droit à récompense à son profit. Par l'arrêt
attaqué, la cour d'appel de Paris décida, le 24 avril 1990, d'accorder à la communauté droit à
récompense, calculée conformément aux dispositions de l'article 1469, alinéa 3, du Code civil, tant
pour le capital que pour les intérêts versés par elle (sur les autres questions tranchées, v. G.
Champenois, obs. sous l'arrêt commenté, Defrénois 1992. 1124 ; v. aussi Ph. Simler, obs. JCP N
1991. II. 162).
Alors que diverses imperfections de l'arrêt attaqué auraient permis sa cassation, celle-ci a été
prononcée par un arrêt de principe dont l'importance est évidente.
Moyen. - V. l'arrêt.
Arrêt
La Cour ; - Attendu, qu'un jugement du 18 janvier 1981, confirmé par un arrêt du 2 février 1982
a prononcé le divorce de M. Y... et Mme X... en prescrivant la liquidation de la communauté
conjugale existant entre eux ; que, statuant sur des difficultés afférentes à cette liquidation, l'arrêt
attaqué a dit qu'au titre de l'acquisition d'un immeuble propre, à Ormesson, M me X... était redevable
de « récompenses » se montant à 109 980 francs pour la communauté conjugale et à 16 136
francs pour M. Y... ; - Sur le premier moyen : - Vu les articles 1401 et 1403, 1433 et 1437 du Code
civil, ensemble les articles 1469 et 1479 du même Code ; - Attendu que la communauté, à laquelle
sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de
la jouissance de ces biens ; que, dès lors, leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit
de la communauté lorsqu'il a été fait avec des fonds communs ; qu'il s'ensuit que l'époux, qui aurait
acquitté une telle dette avec des fonds propres, dispose d'une récompense contre la communauté
; - Attendu que pour chiffrer la récompense due par Mme X... à la communauté ayant existé entre
elle-même et M. Y..., ainsi que l'indemnité qu'elle a cru devoir reconnaître à ce dernier, en raison
des annuités servies par eux pour l'acquisition de l'immeuble d'Ormesson, la cour d'appel a retenu
comme éléments de calcul, le prix d'acquisition du bien, sa valeur au jour du partage et les
sommes versées par la communauté et le mari en capital et intérêts ; - Attendu qu'en statuant
ainsi, alors que pour déterminer la somme due par un époux, en cas de règlement des annuités
afférentes à un emprunt souscrit pour l'acquisition d'un bien qui lui est propre, il y a lieu d'avoir
égard à la fraction ainsi remboursée du capital, à l'exclusion des intérêts qui sont une charge de la
jouissance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;... Par ces motifs : casse...
Observations
1 De l'article 1469, alinéa 3, du Code civil, il résulte notamment que la
récompense pouvant être due à ou par la communauté « ne peut être moindre que le
profit subsistant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à
améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le
patrimoine emprunteur ». Par l'arrêt précédent (n° 95), relatif à une récompense due
à la communauté, la Cour de cassation avait déjà décidé que l'article 1469, alinéa 3,
ne distinguait pas selon que le bien a été acquis avant ou pendant le mariage, dès lors
que le prix ou le remboursement du prêt contracté en vue de le payer, a été réglé, au
cours du régime, à l'aide de deniers communs.
2 Cette extension du champ d'application de l'article 1469, alinéa 3, a suscité un
nouveau problème : celui des intérêts compris dans les arrérages payés. Si le
remboursement du capital emprunté doit être traité comme dépense d'acquisition, il
n'en va pas de même pour les frais financiers. Une dissociation paraît s'imposer. Au
demeurant, si le patrimoine qui a assumé les remboursements, par hypothèse la
communauté, a bénéficié de la jouissance du bien financé, soit directement
(l'immeuble acquis a servi de logement familial), soit par la perception des revenus,
les frais financiers apparaissent, corrélativement, comme une charge devant,
raisonnablement, être supportée par la communauté (en ce sens, D. Martin, obs. sous
Paris, 2 déc. 1977, D. 1979. IR. 73 ; J. Patarin, note sous Lyon, 16 avr. 1975, JCP
1975. II. 18104). Récompense ne serait due au titre des intérêts, pour leur montant
nominal, que si la masse créancière n'a tiré aucun avantage, directement ou
indirectement, du bien acquis. S'agissant, non des intérêts payés par la communauté,
mais du prix lui-même, la Cour de cassation a jugé « que l'article 1469... ne prévoit
pas que la somme calculée selon les modalités qu'il édicte puisse faire l'objet d'une
diminution », en raison des revenus procurés à la communauté par l'usage des biens
propres acquis (Civ. 3e 21 janv. 1987, D. 1987. 324, 1re esp., note G. Morin, JCP N
1988. II. 69, note Ph. Simler, Defrénois 1987, art. 33917, p. 487, 1re esp., obs. G.
Morin). La communauté ayant vocation à recueillir les revenus des biens propres, donc
aussi à en user et jouir directement, la solution doit être approuvée, dans la mesure
où, comme en l'espèce, le prix stricto sensu a été acquitté avec des deniers communs
(v. aussi Civ. 1re, 24 oct. 2000, D. 2001. Somm. 2936, obs. Nicod, RTD civ. 2001.650,
obs. Vareille, Dr. fam. 2000, n° 145, obs. Beignier).
3 Restait à savoir ce qu'il convenait de décider au sujet des intérêts d'un emprunt
qui sont normalement acquittés au moyen des revenus. Et c'est à ce propos qu'a été
rendu l'arrêt commenté. Cassant partiellement la décision qui lui était déférée, la Cour
de cassation a nettement précisé « que la communauté, à laquelle sont affectés les
fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de la
jouissance de ces biens ; que, dès lors, leur paiement ne donne pas droit à
récompense au profit de la communauté lorsqu'il a été fait avec des fonds communs ;
qu'il s'ensuit que l'époux, qui aurait acquitté une telle dette avec des fonds propres,
dispose d'une récompense contre la communauté ».
4 Arrêt de principe, l'arrêt rapporté doit figurer parmi les Grands arrêts, non
seulement en raison des règles générales qu'il formule, mais aussi en raison des
conséquences devant être attachées à celles-ci. L'accueil que lui ont réservé les
commentateurs atteste son importance (aux auteurs cités, adde G. Morin, « Qui, de la
communauté ou des biens propres doit supporter les charges usufructuaires des biens
propres ? », Mélanges Colomer, 1993, p. 259 et s., Defrénois 1993. 545 et s.).
I. - La jouissance des biens propres par la communauté
5 La qualification des fruits et revenus des biens propres a suscité, à la suite de la
réforme opérée par la loi du 13 juillet 1965, une controverse nourrie, à partir de
l'article 1403 du Code civil, qui dispose notamment que « chaque époux conserve la
pleine propriété de ses propres » (al. 1er) et que « la communauté n'a droit qu'aux
fruits perçus et non consommés... » (al. 2). Tandis qu'une majorité d'auteurs se
prononçaient dans le sens du caractère commun des fruits et revenus des biens
propres, dès leur perception (Aubry et Rau, t. VIII, 7 e éd., par A. Ponsard, n° 136 ;
Marty et Raynaud, Les régimes matrimoniaux, par Raynaud, n° 347 ; Patarin et Morin,
Les régimes matrimoniaux, t. I, nos 110 et s. ; Maubru, Les revenus des biens propres
des époux sous le régime de la communauté légale, Ann. Fac. Lyon, 1975, p. 463 et
s.), d'autres estimaient que les fruits et revenus des biens propres restaient propres,
tant qu'ils n'avaient pas été employés à la réalisation d'acquêts (H., L., J. Mazeaud, t.
IV, 1er vol. par M. de Juglart, n° 130). Suivant une thèse intermédiaire, la
communauté ne comprenait, à ce sujet, que les économies réalisées sur les fruits et
revenus perçus, non les fruits et revenus eux-mêmes (A. Colomer, « La suppression
du droit de jouissance de la communauté sur les biens propres des époux : ou le
danger d'innover », D. 1966, chron. 23 ; Le Bayon, « Le sort des fruits dans les
différents régimes matrimoniaux », JCP 1972. I. 2459). Encore convenait-il d'observer
que, même si on reconnaissait aux fruits et revenus des biens propres un caractère
commun ab initio, cela n'excluait pas, compte tenu des termes mêmes de l'article
1403, alinéa 1er, du Code civil, la pleine propriété de chaque époux - usus, fructus,
abusus - sur ses biens propres ; simplement, s'agissant des fruits et revenus de ses
propres, il en disposait librement parce qu'il avait à cette étape une libre disposition de
biens devenus communs ab initio.
6 Le débat n'était pas dépourvu d'intérêts pratiques, par exemple quant au
pouvoir de percevoir les revenus des propres et d'en disposer - ce qui est distinct de la
pleine propriété - ou encore quant au droit de poursuite des créanciers. Enfin au
moment de la dissolution, l'enjeu du débat était important quant au droit à
récompense de la communauté pour l'emploi par un époux des revenus de ses biens
propres, soit pour acquitter des dettes ou charges purement personnelles, soit pour
acquérir, conserver ou améliorer des biens propres. Récompense était due si les
revenus des propres ainsi employés étaient communs (en ce sens, Civ. 1 re, 6 juill.
1982, Bull. civ. I, n° 249, p. 215, D. 1982. IR. 424, Defrénois 1982. I. 1644, obs. G.
Champenois ; Agen, 7 juill. 1986, JCP N 1988. II. 85, note Ph. Simler), non dans le
cas contraire (rappr. Civ. 1re, 15 juill. 1981, JCP 1982. II. 19796, note P. Rémy,
Defrénois 1981. I. 1653, obs. G. Champenois).
7 Depuis la loi du 23 décembre 1985, certaines conséquences fâcheuses de la
qualification de biens communs des revenus des biens propres ont disparu : ainsi
n'est-il plus question que le mari puisse se faire remettre les revenus des propres de
sa femme. En outre, les revenus des biens propres peuvent également être saisis par
les créanciers de l'un ou de l'autre des époux, au titre des dettes nées pendant le
mariage, l'article 1414 ne soustrayant du gage des créanciers de l'un que les seuls
gains et salaires de l'autre. Tout en atténuant, sans les supprimer, les intérêts du
débat, la réforme de 1985 inclinait bien en faveur de la qualification de biens
communs ab initio des fruits et revenus des biens propres (Terré et Simler, Les
régimes matrimoniaux, n° 295).
8 L'on pouvait donc se prononcer à leur sujet en faveur d'une solution semblable
à celle retenue à propos des gains et salaires, ceux-ci étant, en tant que tels, des
biens communs (Civ. 1re, 31 mars 1992, Bull. civ. I, n° 95, p. 63, D. 1992. IR. 162,
RTD civ. 1992. 632, obs. F. Lucet et B. Vareille ; v. aussi JCP N 1992. II. 376, note Ph.
Simler). Dans l'arrêt commenté, rendu le même jour, la formulation est plus nuancée,
puisqu'il est fait état de la jouissance des fruits et revenus des biens propres par la
communauté. De la différence des formulations, on a déduit que « les gains et salaires
sont des biens communs par nature ; les revenus des biens propres sont des biens
communs par destination » (obs. F. Lucet et B. Vareille, RTD civ. 1993. 403), ce qui
attesterait une attraction plus grande de la communauté sur les premiers que sur les
seconds.
9 Ultérieurement, la haute juridiction a décidé de manière encore plus explicite
que les revenus des biens propres « tombaient en communauté » (Civ. 1 re, 4 janv.
1995, Bull. civ. I, n° 4, D. 1995. Somm. p.328, obs. Grimaldi, JCP 1995. I. 3869, n° 7,
obs. Simler, RTD civ. 1996. 969, obs. Vareille). Enfin, par un arrêt de principe du 20
février 2007, la première chambre civile a posé que « les fruits et revenus des biens
propres ont le caractère de biens communs » (Civ.1re, 20 févr. 2007, D. 2007. 1578,
note M. Nicod, Dr. fam. 2007, n° 88, note B. Beignier). On a pu voir dans cet arrêt «
l'épilogue d'une des plus fameuses controverses doctrinales du droit des régimes
matrimoniaux » (M. Nicod, D. 2007.1579). En dépit de l'affirmation très tranchée par
laquelle elle s'ouvre, cette décision n'est cependant pas sans susciter certaines
interrogations. On pourra y voir l'affirmation que les revenus des biens propres
appartiennent à la communauté, sans qu'il y ait à considérer leur perception ou leur
économie, l'arrêt ne faisant aucune référence à ces conditions introduites par la loi de
1965 et maintenues par la loi de 1985 (M. Nicod, D. 2007.1580). En conséquence,
même la créance de fruits et de revenus de biens propres serait commune. A l'opposé,
on pourrait être tenté de faire valoir que la proposition générale précitée est suivie du
constat qu'il y avait eu, en la circonstance, « emploi des revenus d'un bien propre à
son amélioration », ce qui est de nature à en réduire la portée. Quoi qu'il en soit,
même si une certaine incertitude subsiste sur la portée exacte de la motivation, il
semble qu'on puisse affirmer sans risque d'erreur que les fruits et revenus des biens
propres ont un caractère commun, au moins dès leur perception.
II. - L'affectation à la communauté des fruits et revenus des biens propres
10 En toute hypothèse, il ne convient pas de considérer qu'il y a, de la sorte, une
résurrection de l'usufruit de la communauté sur les propres des époux. Qui dit
usufruit, dit usage et jouissance. Or ce n'est en l'occurrence que de jouissance qu'il
s'agit, et cela dans la perspective d'un droit à récompense. Au surplus, la formulation
retenue par la Cour de cassation est précise : il est fait état de « la communauté, à
laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres ». En d'autres termes,
c'est l'idée d'affectation, inhérente à la structure du régime ou à la finalité d'une
masse de biens, plus que de destination proprement dite, inhérente à une activité
considérée, qui établit le lien à partir duquel un ensemble d'avantages et
d'inconvénients va résulter dans les rapports entre la communauté et les patrimoines
propres des époux (comp. S. Guinchard, L'affectation des biens en droit privé français,
thèse Lyon, éd. 1976). Il n'en demeure pas moins que les fruits et revenus des biens
propres sont des biens communs ab initio. L'ensemble se révèle alors cohérent si l'on
met en rapport l'article 1403 et l'article 1428 du Code civil, aux termes duquel «
chaque époux a l'administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer
librement » ; quant aux fruits et revenus de ses biens propres, il en conserve
l'administration, mais ceux-ci sont des biens communs affectés à la communauté, ce
qui se manifeste normalement au temps de la liquidation. C'est dire qu'il faut
distinguer la jouissance de ses propres par chaque époux et l'affectation, inhérente au
régime légal, de ces fruits et revenus à la jouissance de la communauté.
11 Cette jouissance n'est pas sans contrepartie. La Cour de cassation le précise :
« la communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit
supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens ». D'une facture
des plus logiques, cette formule catégorique dépasse nettement ce qui avait été
antérieurement dégagé en droit positif, qu'il s'agisse de la production effective de
fruits et revenus par les biens propres ou encore des dépenses d'entretien plus ou
moins importantes qu'ils peuvent nécessiter. Peu importe que ces biens ne soient pas
frugifères ou tout au moins ne le soient guère. Il peut d'ailleurs suffire qu'ils
permettent de réaliser une économie. Désormais, il est clair que, dans le régime légal,
la communauté assume, en toute hypothèse, l'entretien des propres et la charge de
leur jouissance. Elle « endossera alors le risque d'improductivité, comme elle bénéficie
des charges de rendement » (F. Lucet et B. Vareille, obs. préc. RTD civ. 1993. 404).
Ubi emolumentum, ibi onus (v. cep. sur l'incompatibilité de la solution retenue par la
Cour de cassation avec l'art. 10, al. 2, de la loi du 13 juill. 1965, aux termes duquel, à
compter de l'entrée en vigueur de la présente loi, « les époux reprendront la
jouissance de leurs propres et supporteront les charges usufructuaires
correspondantes », G. Champenois, obs. Defrénois 1992. I. 1131).
III. - Conséquences
12 Pour casser l'arrêt qui lui était déféré, la Cour de cassation a, de ses
affirmations de principe, tiré les conclusions : « pour déterminer la somme due par un
époux, en cas de règlement des annuités afférentes à un emprunt souscrit pour
l'acquisition d'un bien qui lui est propre, il y a lieu d'avoir égard à la fraction ainsi
remboursée du capital, à l'exclusion des intérêts qui sont une charge de la jouissance
». L'application des règles générales retenues par elle n'en suscite pas moins diverses
interrogations.
13 Tout d'abord, les intérêts d'un emprunt constituent-ils, à proprement parler,
une charge de la jouissance ? A vrai dire, il est sans doute vain de se demander, à ce
propos, si l'intérêt dû est plutôt un loyer de l'argent ou plutôt le prix de la jouissance
d'un bien, jouissance obtenue par l'un et laissée par l'autre, ce qui ouvrirait la porte à
des discussions longues et vaines (F. Lucet et B. Vareille, obs. préc. RTD civ. 1993.
406). Et sans doute peut-on en dire autant de discussions d'ordre économique et
temporel sur les composantes du taux d'intérêt.
14 Plus troublant est le mécanisme de calcul du montant de la récompense due,
quel qu'ait été l'usage, commun ou propre, du bien acquis au nom d'un des époux,
grâce à un financement auquel aura contribué la communauté. Il n'est pas rare, tout
d'abord, que le bien ait été acquis à l'aide d'un financement mixte reposant non
seulement sur un emprunt mais aussi sur un apport personnel propre : il faut alors
procéder à un calcul tenant compte de cette mixité. Mais surtout de très sérieuses
difficultés d'application existent lorsque la liquidation de la communauté doit être
opérée non pas après le remboursement intégral de l'emprunt, mais, comme en
l'espèce, à une époque où le remboursement est en cours (v. A. Tisserand, note préc.
; F. Lucet et B. Vareille, obs. préc. RTD civ. 1993. 407 s.). La difficulté majeure tient
aux modes variables d'amortissement des emprunts et au fait que souvent les
annuités initiales correspondent dans une forte proportion, ensuite décroissante, à un
remboursement d'intérêts, la portion de capital remboursée allant en augmentant à
mesure que le temps passe. On comprend aussitôt que le calcul de la récompense due
à la communauté, si elle est déterminée en fonction des revenus, effectifs ou
potentiels, du bien acquis, est de nature à entraîner des conséquences fort injustes au
détriment de la communauté, ce qui est propre à stimuler l'imagination des juristes
pour l'aménagement de clauses équitables dans les contrats de mariage. - V. G.
Dessous, La question de l'emprunt dans les régimes matrimoniaux, thèse ronéot. Paris
II, 1982 ; F. Pasqualini, « L'emprunt et le régime matrimonial », Defrénois 1991. 449
et s.
- Fin du document -