Télécharger - Théâtre Denise

Transcription

Télécharger - Théâtre Denise
L'équipe du spectacle
COMMEDIA
Texte de Pierre Yves Lemieux
Inspiré de la vie et de l’œuvre de Goldoni
Mise en scène de Luce Pelletier
Une production du Théâtre de l’Opsis en partenariat avec le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Denise-Pelletier
Du 12 mars au 9 avril 2014
Distribution
(par ordre alphabétique)
Luc Bourgeois............................................ Goldoni
Steve Gagnon................................................. Carlo
Martin Héroux...................................M. Medebach,
............................................Giulio, père de Goldoni
.......................................................... et autres rôles
Catherine Paquin-Béchard........................Marina,
..............................autres amoureuses de Goldoni
.......................................................... et autres rôles
Marie-Ève Pelletier..................... Mme Medebach,
................................. Margherita, mère de Goldoni
.......................................................... et autres rôles
Carl Poliquin............................................... Il Genio
......................................................................D'Arbès
.......................................................... et autres rôles
Concepteurs
et collaborateurs artistiques
Assistance à la mise en scène
et régie....................................... Claire L’ Heureux
Costumes.............................................Julie Breton
Décor......................................... Olivier Landreville
Éclairages.......................................Jocelyn Proulx
Musique...................................Catherine Gadouas
Maquillages............................. Suzanne Trépanier
Direction de production
et direction technique................Maryline Gagnon
Assistant à la direction
technique.............................................. Alexi Rioux
Assitante aux costumes.........Marie-Noëlle Kliss
Coupeuse....................................Francine Leboeuf
Couturières......Monia Saoud et Kathy Robinson
Réalisation du décor...... Productions Yves Nicol
Chargé de projet..............................Patrick Perrin
Équipe du Théâtre de l’Opsis
Direction générale
et artistique...................................... Luce Pelletier
Coordination générale.................... David Trottier
Directrice
des communications........... Marie-Claude Hamel
Équipe de production –
Théâtre Denise-Pelletier
Direction de production................. Réjean Paquin
Direction technique.......... Jean-François Landry
Attachée de presse.........................Isabelle Bleau
Photographe
de production....................... Marie-Claude Hamel
Équipe de scène –
Théâtre Denise-Pelletier
Chef machiniste..............................Pierre Léveillé
Chef électricien......................... Michel Chartrand
Chef sonorisateur................................ Claude Cyr
Chef habilleuse......................... Louise Desfossés
Chef cintrier.............................. Pierre Lachapelle
Pierre Yves Lemieux remercie le Conseil des arts
et des lettres du Québec de son appui financier.
commedia / page 5
Présentation et résumé
Avec la création de Commedia, le Théâtre de
l’Opsis clôt son Cycle italien amorcé en 2010
par la production d'Il Campiello de Goldoni qui
a été présentée au Théâtre Denise-Pelletier en
2011. C’est Luce Pelletier, directrice générale et
artistique de la compagnie, qui assure la mise en
scène de ce texte écrit par Pierre Yves Lemieux,
une œuvre qui oscille entre le sérieux et le ludique
et qui, sous le vernis de la légèreté, soulève
d’importantes questions sur la création artistique
et sur les conditions, matérielles et culturelles,
dans lesquelles celle-ci se déploie.
plus tendre jeunesse »1. Selon l’auteur, s’il advient,
au fil du temps, qu’on ignore cette prédisposition
quasi surnaturelle ou qu’on lui tourne le dos
abruptement, alors rien ne va plus et tout
s’effondre. Or, au moment où débute Commedia,
Goldoni, qui a triomphé pendant plusieurs années
sur les scènes vénitiennes, se retrouve maintenant
épuisé par d’innombrables querelles artistiques,
lessivé, désenchanté. Il a choisi l’exil. À la veille de
son départ pour la France, abattu et mélancolique,
en proie à l’un de ses « vertiges noirs », il reçoit
la visite de son infatigable génie. Cette fois, il est
réticent à le suivre.
Goldoni
À combien de chagrins faudra-t-il que je
m’expose cette fois ?
Sans garantie de fortune, pour un bonheur
éphémère et si vite oublié.
Il Genio
Il n’y a d’éphémère que l’oubli. Quand on
crée, quand on joue, ça n’existe plus l’oubli.
On se remémore, on invente et alors basta
l’éphémère !2
 Carlo Goldoni par Alessandro Longhi,
XVIIIe siècle.
Commedia :
une vision vertigineuse
Dans ses mémoires, l’auteur de théâtre Carlo
Goldoni écrit : « … tous les hommes possèdent
dès leur enfance un Génie qui leur est propre, qui
les pousse vers un genre de profession et d’étude
plutôt que vers un autre […]. Moi, je me suis senti
à coup sûr attiré comme par une force intérieure
insurmontable vers les Études Théâtrales dès ma
page 6 / commedia
Aussi, par cette sombre nuit de 1762, l’auteur
se laisse-t-il entraîner encore une fois par
son génie, lequel, sous ses yeux, lui joue une
ultime représentation à Venise, une « vision »
tourbillonnante, un « moment épiphanique où son
passé et sa destinée se maelströment devant lui »3.
Découpée en une multitude de tableaux qui
s’enchaînent de façon tournoyante et virevoltante,
Commedia propose un voyage imaginaire au cœur
de l’existence de Goldoni, une vie entièrement
vouée à la création théâtrale, avec ses joies mais
aussi avec ses nombreux aléas. Sans progression
linéaire, mais avec des boucles et des allers Goldoni, C., cité par G. Luciani (1992). Carlo Goldoni ou l’honnête aventurier.
Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble, p. 16.
Lemieux, P. Y. (2014). Commedia, texte dramatique inédit, p. 6.
3
Id., p. 2.
1
2
 Palazzo Centani sur le Rio San Toma, maison
natale de Goldoni, Didier Descouens, 2013.
retours dans le temps, la pièce nous montre
l’auteur à différentes étapes de sa vie, de sa petite
enfance à la maturité, en passant par les intrépides
années de jeunesse, fertiles en aventures. Si les
lieux sont multiples – jardins, cours intérieures,
places publiques, bateaux, salles et coulisses de
théâtre… –, ils appartiennent tous à Venise, dont ils
rendent un portrait bigarré, entre somptuosité et
beauté quelque peu usée. La ville, qu’on surnomme
parfois la Sérénissime ou la Dominante est, dans
Commedia, un quasi personnage, et plusieurs des
enjeux de la pièce se rattachent à ses pratiques, à
sa culture et à sa vie quotidienne4.
Au moment où débute la pièce, après que Goldoni
ait consenti à suivre une fois de plus son génie,
une lumière inonde une cour intérieure. C’est
celle de la maison de son enfance. Devant l’auteur,
se matérialisent sa mère et son parrain qui se
querellent au sujet d’une pièce que le petit Carlo a
écrite. Le parrain croit que l’enfant a plagié alors
que sa mère, puis son tuteur, le défendent. C’est là
la première dispute à éclater autour des écrits de
l’auteur. Celles-ci seront nombreuses au cours de
sa longue vie et il aura maintes fois à défendre ses
textes et ses singulières postures esthétiques contre
différents détracteurs, qu’il s’agisse de certains
nobles ou d’auteurs contemporains rivaux tels Chiari
et Gozzi. À intervalles, Commedia lève le voile sur
plusieurs de ces querelles à travers lesquelles se
font jour quelques-uns des principes fondamentaux
de la réforme théâtrale engagée par Goldoni. On
voit, par exemple, combien une certaine partie de
la noblesse était réfractaire à la représentation des
« petites gens » à la scène, concevant cela comme
une dépravation du plus mauvais goût.
Suivante de la Contessa
Goldoni trouve ses personnages dans la
rue, c’est là que ses pièces devraient être
présentées.
Pas dans les théâtres, mais dans la fange.
Voir « Un monde à part. Venise au XVIIIe siècle », infra.
4
Goldoni (s’enflammant)
Mes personnages sont dignes de toutes les
scènes d’Italie !
Il y a aussi de la grandeur chez les petits !
Tout comme il y a de la petitesse chez certains
grands !5
D’autres sujets de discorde rattachés aux visées
artistiques de Goldoni émaillent Commedia : les
acteurs peuvent-ils jouer sans masque ? est-il
préférable de représenter la réalité quotidienne
des habitants de Venise ou bien de privilégier
l’évasion dans le rêve, le fantastique ? peut-on
bousculer l’ordre établi et accorder plus de place à
une actrice de second rôle qu’à la « vedette » de la
pièce ? Des plus fondamentales aux plus anodines,
ces questions sont mises en actes dans la pièce
de Pierre Yves Lemieux, à travers les dialogues,
certes, mais aussi à travers les nombreux extraits
d’œuvres de Goldoni qui persillent Commedia.
Lemieux, P. Y., Op. cit., p. 17.
5
commedia / page 7
Présentation et résumé
Ce faisant, prend vie sous nos yeux un théâtre en
pleine transformation et une pensée artistique en
train de se construire.
Ainsi, la pièce nous montre « les combats et les
désillusions d’un auteur qui passe par-dessus bien
des difficultés pour continuer à écrire »6. Au fil de
ce parcours résilient, qui s’attache aussi à explorer
bien d’autres territoires, notamment les paysages
escarpés de la séduction et de l’amour, c’est donc
toute une réflexion sur la création artistique qui est
déployée. Une réflexion qui, parce qu’elle aborde
des enjeux essentiels et intemporels, notamment
quant aux conditions de création des artistes, n’a
de cesse de faire écho à l’époque contemporaine
et de nous interpeler.
Catherine Cyr
Lemieux, P. Y., (2014). Entretien, n.p.
6
À la fois épris des lettres et du monde de la scène, Pierre
Yves Lemieux a étudié la littérature et l’interprétation
théâtrale. Depuis de nombreuses années, ces deux
passions s’additionnent ou s’amalgament au sein de
plusieurs théâtres, en particulier au Théâtre de l’Opsis
dont il est membre depuis les tout débuts. Auteur
prolifique, il pose un regard aiguisé et sensible sur ses
semblables de même que sur les travers de son époque.
Son écriture, qui marie lucidité et humour fin, ne se
cantonne pas à un genre en particulier : inassignable,
elle vogue de la comédie au drame, du théâtre de
recherche au spectacle multimédia, en passant par
le théâtre jeune public. L’auteur est reconnu autant
pour ses créations originales que pour ses singulières  Pierre Yves Lemieux, auteur
réécritures des grandes œuvres du répertoire. Au
Théâtre de l’Opsis, il a notamment signé Monsieur Smytchkov, Le Bruit et la fureur, Comédie russe, À
propos de Roméo et Juliette et La Sirène et le harpon. Parmi ses textes les plus récents, on retrouve
Les Rois du ciel (2009), délicieuse et subversive pièce pour enfants, Pyramide (2011), drame
existentiel nimbé d’humour noir, ainsi que La Belle et la Bête (2012), une audacieuse relecture du
célèbre conte de fées portée à la scène par la compagnie multidisciplinaire Lemieux Pilon 4D Art.
Habitué du Théâtre Denise-Pelletier, où ses pièces Les Trois Mousquetaires (2001) et Scaramouche
(2006) ont vu le jour, il y revient aujourd’hui avec Commedia, un périple imaginaire et virevoltant
dans la bourdonnante Venise de Goldoni.
page 8 / commedia
© Yves laberge
ENTRETIEN AVEC
Pierre Yves Lemieux, AUTEUR
 Teatro San Luca, maintenant
Teatro Goldoni, Venise.
Quelle a été la genèse de la
pièce ?
© Andreas Praefcke.
J’ai reçu en cadeau un ouvrage sur
le metteur en scène italien Giorgio
Strehler. Dans un entretien, il confie
qu’il a toujours voulu écrire une pièce
sur la vie de Goldoni. Or, il est mort
avant de pouvoir réaliser ce rêve. Au
moment où j’ai lu cet entretien, je
cherchais depuis plusieurs mois un
nouveau projet d’écriture pour le Cycle
italien du Théâtre de l’Opsis. Ça a été
le déclic. Par contre, Commedia n’est
pas une œuvre biographique. C’est
une fiction à partir du personnage
de Goldoni. Ce personnage est bien
différent de celui qui figure dans les
Mémoires de l’auteur, un document
amusant mais truffé d’erreurs et de
fabulations. En faisant des recherches,
en parcourant ses pièces, sa
correspondance et plusieurs essais
sur lui, c’est un tout autre Goldoni qui m’est
peu à peu apparu. Au Théâtre de l’Opsis, où les
créations sont souvent iconoclastes, mon travail
d’écriture en est un de changement de vision et,
cette fois, j’ai voulu poser un nouveau regard
sur l’auteur. Bien sûr, je ne fais pas le portrait
du vrai Goldoni ! D’ailleurs, personne ne peut le
faire car trop d’éléments à son sujet demeurent
mystérieux. Aussi, même si les faits historiques
que je relate sont justes, le personnage est fictif. Il
est inventé. J’ai imaginé sa personnalité, en partie,
en me servant de la mienne et en puisant dans
ma propre expérience d’auteur. De cette façon, il
m’est possible de parler de l’écriture aujourd’hui.
Pourquoi votre texte s’intitule-t-il
Commedia ?
Il s’intitule ainsi parce que, justement, il porte
en son centre un profond questionnement sur
l’écriture. Ce sont des interrogations qui touchent
la comédie mais aussi l’écriture au sens large :
Qu’est-ce qu’écrire au XVIIIe siècle à Venise ?
Qu’est-ce que ça représente aujourd’hui ? Quels
sont les parallèles que l’on peut tracer entre les
conditions d’écriture à cette période et celles que
l’on rencontre à l’époque actuelle ? Ces parallèles
sont nombreux dans la pièce et nous permettent de
constater que peu de choses ont changé depuis le
temps de Goldoni. Venise a créé l’industrialisation
du théâtre et tout ce qu’on vit aujourd’hui découle
de ce système : le vedettariat, la marchandisation
de l’art et toutes les contraintes que connaissent
les auteurs à l’égard du temps ou de l’argent.
Goldoni subissait ces différentes pressions et
elles l’affectaient, influençaient sa création. Il en
allait de même aussi pour les différents artistes,
peintres, acteurs et actrices que l’on rencontre
dans la pièce.
commedia / page 9
Présentation et résumé
Ces derniers, souvent des personnages
historiques, sont nombreux. Les avez-vous
aussi « inventés » ?
Je pourrais dire que tout est inventé dans
Commedia ! J’ai fait énormément de recherches
historiques sur Venise et ces recherches m’ont
permis de nourrir la construction des personnages.
Souvent, on sait peu de choses sur ces êtres qui
ont réellement existé et ce sont ces données
historiques, parfois surprenantes, qui permettent
de comprendre et d’imaginer le contexte dans
lequel évoluent les personnages. Par exemple,
on retrouve dans la pièce une actrice, Madame
Medebach, à propos de laquelle on en connaît
bien peu, sinon qu’elle était sujette à d’étranges
« vapeurs ». En effectuant mes recherches, j’ai
découvert que Venise était à l’époque une plaque
tournante en Europe pour la fabrication et la
vente de terriaca, un médicament à base d’opium.
Celui-ci donnait quantité de « vapeurs » à ceux qui
le prenaient ! Je ne sais pas si la vraie Madame
Medebach en consommait (et sans doute n’en
prenait-elle pas), mais, dans la pièce, ses états
d’âmes sont tributaires de cette drogue, laquelle
finit d’ailleurs par la tuer. Il n’est pas utile de savoir
si ce fait est réel ou imaginé. Celui-ci, comme mille
autres qui parsèment le texte, me permettent de
dessiner un contexte social et de donner vie à
une multitude de personnages. Surtout, ils me
permettent de livrer une vision des choses toute
personnelle. Unique.
Outre les acteurs et les actrices qui
entourent Goldoni, on rencontre aussi des
peintres, comme Tiepolo et Longhi, dans
Commedia. Une didascalie évoque même
un ciel « délicieusement canalettain »…
C’est Venise ! Ma pièce brosse en quelque sorte le
portrait de la ville, alors on ne peut échapper à la
représentation de cette intense activité artistique.
De plus, c’est à travers les peintres et leurs combats
page 10 / commedia
qu’il m’est possible d’aborder la question de l’image
théâtrale. À la manière de Longhi, qui peint des
tableaux réalistes, Goldoni souhaite développer
un théâtre vraisemblable, proche de la réalité des
gens. Lorsque Tiepolo, qui privilégie le merveilleux
et crée des fresques fantaisistes, se querelle avec
Longhi sur la nature de l’image, c’est aussi tout
le questionnement de Goldoni qui est mis au jour.
Il est présent lors de l’altercation entre les deux
peintres et il y trouve un écho avec le monde
théâtral, lui-même tiraillé entre deux pôles : l’évasion
dans le rêve ou la représentation du quotidien.
Cette opposition est encore présente aujourd’hui
et source de bien des questionnements : doit-on
privilégier un théâtre qui nous extirpe du réel et
tend vers le merveilleux, le fantastique, ou doit-on,
au contraire, proposer un théâtre réaliste, arrimé
aux enjeux sociaux et politiques de notre époque ?
La réponse n’est pas certaine. Et entre ces deux
pôles, d’autres voies sont aussi imaginables.
Au-delà de cet important questionnement
esthétique, est-ce que l’imaginaire des
artistes a nourri l’écriture de la pièce ?
Oui, énormément. Je me suis beaucoup imprégné
de l’esprit de certains tableaux. Par exemple,
il y a dans la pièce une scène qui se déroule
lors de la fête de San Rocco et, visuellement,
celle-ci est très proche d’un immense tableau de
Canaletto, « La Festa di San Rocco », d’ailleurs
récemment présenté à l’exposition « Splendore a
Venezia » au Musée des beaux-arts de Montréal.
Dans ce tableau, qui montre une scène extérieure
croquée sur le vif, on voit une église entourée
de grandes toiles tirées sous lesquelles défilent
les gens. C’est une exposition en plein air dans
une atmosphère festive. Cette image, pleine de
vie, représente parfaitement le cadre d’une des
scènes de Commedia.
La musique n’est pas en reste dans la
pièce. On entend Vivaldi…
On le voit, aussi. Goldoni fait sa rencontre. Chacun
prend l’autre pour un fou, un illuminé, alors qu’au
fond ils se ressemblent beaucoup. Ils étaient
tous les deux très prolifiques, perpétuellement
plongés dans un état de grande effervescence
créatrice. Une effervescence anormale, créée par
d’impitoyables conditions de création. À travers
cette rencontre avec Vivaldi, j’aborde l’un des
grands thèmes de la pièce, soit la manière dont
la société marchande pressure les artistes pour
ensuite les jeter après usage. À l’époque baroque,
comme aujourd’hui d’ailleurs, les œuvres avaient
une durée de vie très brève et les artistes étaient
vite oubliés. Pour exister, pour prendre part à la
vie artistique de leur temps, ils devaient donc
produire des œuvres massivement et celles-
ci étaient rapidement consommées. Les Quatre
Saisons de Vivaldi, ça a été à la mode un petit bout
de temps puis on a relégué la pièce aux oubliettes.
Comme son créateur. Vivaldi, à l’instar de Goldoni,
a donné à travers ses œuvres une grande part de
lui-même à Venise, puis, mis à l’écart, il a choisi
l’exil. Ce phénomène de dévoration rapide des
œuvres, mis en place au XVIIIe siècle, a perduré
jusqu’à aujourd’hui. Et les artistes, parfois bien
malgré eux, participent toujours à ce système.
Vous avez effectué beaucoup de
recherches à propos de Venise. Quelles
ont été vos découvertes les plus
frappantes ?
 Canaletto, La Festa de San Rocco, vers 1735.
commedia / page 11
Présentation et résumé
Ce qui m’a d’abord épaté, c’est l’importance du
système policier qui régnait dans la ville à l’époque.
Venise, c’était Las Vegas ! Une ville de plaisirs, de
grands spectacles et de fêtes, une ville extrêmement
libre, abritant des hammams, des maisons de jeu et
des tripots. La ville était en ébullition jour et nuit
et, pour prévenir tout débordement, il y avait làbas un système répressif extrêmement rigoureux,
difficile à imaginer aujourd’hui. On pouvait vite
se retrouver « aux plombs », la prison du palais
des Doges. C’était aussi une ville paranoïaque : le
soupçon de complot, le mensonge et la délation y
étaient omniprésents. Casanova était emprisonné
pour sorcellerie mais, en réalité, on le suspectait
d’être un espion. D’ailleurs, Goldoni aussi a été
soupçonné d’espionnage. Cette paranoïa était
également celle de l’aristocratie et de la noblesse
qui voyaient leur pouvoir décliner et craignaient de
disparaître. Dans la pièce, j’évoque ce phénomène
à travers le personnage de la Contessa. Dans
une sorte de dédoublement de paranoïa, on voit
Goldoni s’imaginant que cette aristocrate complote
contre lui…
toutes sortes de jeux plus proches du Moyen
Âge que de l’esprit baroque ! Or, cette Veniselà, Goldoni la connaissait aussi. En plaçant le
personnage dans cet univers, je romps avec
l’image habituelle qu’on se fait de l’auteur, dont
les pièces montrent des univers proprets, lisses.
De la même façon qu’il a osé, dans son temps,
présenter des œuvres se déroulant dans des cafés
ou des auberges, ce qui offusquait la noblesse,
je choisis de déplacer le personnage de Goldoni
dans un univers plus rugueux. Je livre ainsi une
autre image de l’auteur. Ai-je le droit de le montrer
sous ce jour ? Bien sûr ! J’effectue ce travail de
métamorphose depuis le tout début de ma carrière.
Je l’ai fait, par exemple, avec les figures de Roméo
et Juliette. Ces personnages sont des icônes, des
institutions, et il peut être extrêmement riche de
changer le regard que l’on porte sur eux, de les
questionner pour mieux les redécouvrir.
Ce qui m’a beaucoup étonné, aussi, c’est la ville
au quotidien avec ses mœurs et ses pratiques.
L’image usuelle de Venise, dorée, scintillante, avec
ses jolis masques de carnaval, ça correspond peu
à la réalité. La ville foisonnait de casinis où les gens
s’adonnaient aux jeux de hasard ou rencontraient
furtivement leurs amants et leurs maîtresses. Ces
rencontres avaient aussi lieu dans les hammams
qui, à l’origine étaient un peu comme des spas
où l’on pouvait se détendre et recevoir des soins
de la peau. Avec le temps, ces lieux, d’essence
orientale, se sont transformés en endroits un peu
moins fréquentables.
Il y en a beaucoup. Nous utilisons tous les deux
la langue de façon très souple. Lorsque j’écris
une comédie qui porte sur mes contemporains,
j’ai recours, comme Goldoni, à une langue qui est
celle des gens ici et maintenant. Quand j’établis
une réécriture d’une pièce classique, comme il
l’a fait avec des textes de Molière et de Tasso,
la langue devient plus poétique ou littéraire. Il
y a aussi, chez Goldoni, une importante part
d’observation sociale, une façon particulière
de donner vie à tout un groupe de gens pour
construire un univers précis. C’est ce qu’il a fait,
par exemple, dans La Villégiature. Cette œuvre est
proche, dans sa structure et dans ses thèmes,
des Estivants de Gorki, une pièce que j’ai réécrite.
C’est aussi le travail que je fais avec Commedia :
plusieurs personnages forment un groupe et
définissent, peu à peu, une société. En déployant
de telles structures dramatiques, Goldoni annonce
J’ai aussi été surpris par la nature des évènements
se déroulant sur les places publiques, notamment
lors des fêtes de la mi-carême. C’était vraiment
la foire : il y avait des combats de taureaux, des
luttes à mains nues avec un chat ou une oie, et
page 12 / commedia
Y a-t-il des résonances entre
la dramaturgie de Goldoni et votre propre
imaginaire ?
 Johann Gottfried Steffan, Le palais des Doges, XVIIIe ou XIXe siècle.
Pirandello de même que Tchekhov, deux auteurs
avec lesquels j’ai aussi beaucoup d’affinités.
Par ailleurs, Goldoni écrivait avant tout pour des
acteurs. C’est ce que je fais aussi. Je les connais
bien, je sais quelles sont leurs forces, leurs
particularités. Leur travail nourrit énormément
mon écriture. Et puis, je suis d’abord un acteur
et mon écriture porte la conscience du jeu. Enfin,
je pense que Goldoni était un être curieux de tout.
Je le suis aussi. Je partage avec lui un plaisir
de la découverte et une certaine candeur. Dans
Commedia, même à un âge avancé, le personnage
a, au fond, toujours 20 ans. « Pourquoi suis-je
incapable de vieillir ? » se demande-t-il ? Je
pourrais me poser la même question. Mes scènes
de théâtre les plus fortes, comme plusieurs des
siennes, s’attachent à des amoureux candides,
remplis de foi et de naïveté. Goldoni avait une façon
toute particulière de passer à travers son temps et,
malgré toutes les tempêtes qu’il a rencontrées, il a
toujours continué à écrire des pièces lumineuses.
Ça aussi, ça me ressemble.
Propos recueillis et mis en forme
par Catherine Cyr
commedia / page 13
ACTEURS ET PERSONNAGES
© Izabel Zimmer
LUC BOURGEOIS
GOLDONI
Je suis incapable de vieillir. Je pense, je goûte,
je respire, je me vois comme à 20 ans.
À chaque pièce mon sang est une lave en fusion.
À chaque pièce je redeviens aussi idiot qu’un
débutant. Pourquoi suis-je incapable de vieillir ?
© France Larochelle
STEVE GAGNON
CARLO
Ne tirez pas ! C’est une pièce de théâtre !
Ce n’est pas de l’argent !
Ce n’est qu’une pièce de théââââââtre !
Aaah ! Ne tirez pas ! Ne tirez pas !
© Créations Double Clic
MARTIN HÉROUX
page 14 / commedia
GIULIO
Tu veux un théâtre ? Je vais t’en construire un.
Toute ville devrait avoir son théâtre.
CATHERINE PAQUIN-BÉCHARD
© Maxime Côté
marinA
Il a onze ans! Onze ! ONZE !
MARIE-ÈVE PELLETIER
© Maude Chauvin
Mme MEDEBACH
16 pièces ! Cher auteur, vous allez me tuer !
CARL POLIQUIN
© Maxime Côté
IL GENIO
Il n’y a d’éphémère que l’oubli. Quand on crée,
quand on joue, ça n’existe plus l’oubli.
On se remémore, on invente et alors basta
l’éphémère!
commedia / page 15
ENTRETIEN AVEC LUCE PELLETIER,
METTEURE EN SCÈNE
© Marie-Claude Hamel
Grande amoureuse des mots, infatigable exploratrice des
arcanes du jeu de l’acteur, Luce Pelletier, depuis ses tout
débuts comme comédienne, s’investit dans plusieurs
champs de la pratique théâtrale, de l’interprétation à
l’écriture en passant par l’enseignement. Or, c’est surtout
en tant que metteure en scène qu’elle a fait sa marque
dans le paysage du théâtre québécois. Depuis 1994, elle
est à la barre du Théâtre de l’Opsis, une compagnie qu’elle
a cofondée en 1984 et où, entourée de quelques complices,
tels Serge Denoncourt ou Pierre Yves Lemieux, elle
poursuit différents cycles de recherche artistique. D’une
durée de trois ou quatre ans, ces cycles s’attachent à
explorer les mille et une facettes d’un même champ
théâtral. Dans le premier cycle, consacré à Tchekhov, elle
monte avec bonheur les pièces L’Homme en lambeaux
(1999), Monsieur Smytchkov (2000), Trois Sœurs (2001,
codirigées avec Denis Bernard) et La Poste populaire Luce Pelletier
russe (2001). Suivent le Cycle Oreste, où elle met en
scène, notamment, Elektra de Von Hofmannsthal (2004) et un magnifique Meurtres hors champ
de Durif (2006) et le Cycle états-uniens, où elle signe, entre autres, les mises en scène de Under
Construction de Charles L. Mee et Anna Bella Emma de Lisa D’Amour. En 2010, elle lance le Cycle
italien, passant de l’univers virevoltant de Goldoni aux inclassables écritures contemporaines, telles
celles qui composent le collage de textes Resistenza (2013). À travers ce dernier cycle, elle poursuit
un travail minutieux où « inventivité et plaisir du jeu se marient à la rigueur de la recherche »1.
Dictionnaire des artistes du théâtre québécois, Montréal, Édition Québec Amérique, 2008, p. 316.
1
Une des particularités du Théâtre de
l’Opsis est le travail par cycle. Comment
cette structure s’est-elle mise en place ?
En 1998, nous avons perdu notre espace permanent,
le Théâtre de la Bibliothèque1. C’était, pour nous,
un important lieu de rencontre, un endroit qui
bourdonnait d’activités et de réflexions en marche.
Nous nous sommes alors demandé comment
recréer, sans lieu fixe, un tel espace d’échange et
d’ébullition théâtrale. C’est ainsi que, peu à peu,
est née l’idée du travail par cycle, une approche
qui nous permettrait de nous réunir autour d’un
même thème pendant plusieurs années et, ainsi, de
regrouper nos réflexions et nos expérimentations.
Qui se trouvait au 535, avenue Viger Est, dans l’ancien édifice de l’École
des Hautes études commerciales devenu le Centre d’archives de Montréal.
1
page 16 / commedia
Dès le premier cycle, autour de Tchekhov, nous
avons formé une sorte de famille artistique en
travaillant souvent, d’un spectacle à l’autre, avec
les mêmes concepteurs et les mêmes acteurs.
De cette façon, chaque spectacle venait enrichir
le suivant, trouvait en lui des échos ; un univers
théâtral se formait.
Consacrer quatre années à un même
thème, ça permet aussi de l’explorer plus
en profondeur…
Oui, cette étendue de temps est beaucoup plus
longue que la norme. C’est difficile d’approfondir
une démarche quand, par exemple, on travaille sur
une pièce de Marivaux et que, quelques semaines
© Yanick Macdonald
 Le décor conçu par Louise Campeau pour Il Campiello, petite place entourée de maisons
humbles, avec sa fontaine et son auberge.
après, on est transporté complètement ailleurs ! Au
Théâtre de l’Opsis, nous sommes beaucoup centrés
sur la parole de l’auteur, la découverte d’univers
dramaturgiques distincts. Alors, en quatre ans de
recherche et de création, il est possible d’aller plus
loin, de défricher davantage chacun de ces univers.
Notre démarche est nourrie par de nombreux
voyages à l’étranger, des lectures, des rencontres.
Quand tout ça s’additionne, il se crée une sorte
de « bulle » particulière autour de la création. Le
cycle devient en quelque sorte un lieu, un espace
unique où on a envie de retourner parce qu’il s’y
développe des choses passionnantes.
ce qui s’écrit ailleurs, à l’extérieur du pays. Mais
qu’il s’agisse d’auteurs québécois ou étrangers,
l’important pour moi est de mettre la parole au
cœur du spectacle. À une époque où le théâtre se
tourne de plus en plus vers l’image, je choisis de
mettre les mots en lumière. Ce sont les mots qui
me permettent d’aborder l’Histoire, de raconter,
d’explorer l’humain.
La recherche dramaturgique vous anime.
Oui, profondément.
 Décor de Commedia par Olivier Landreville.
Dans les débuts de la compagnie,
vous aviez une double volonté de faire
redécouvrir au public les textes classiques
et de lui faire connaître la dramaturgie
contemporaine. Ce mandat s’est-il peu à
peu transformé ?
L’exploration et la réinvention des textes classiques,
c’était surtout le dada de Serge Denoncourt,
qui est maintenant moins présent ici. Aussi, au
fil du temps, mon propre penchant artistique,
qui est la découverte d’auteurs contemporains,
a-t-il pris plus de place. Et puisque plusieurs
compagnies, ou metteurs en scène, montent des
auteurs d’ici, j’ai choisi d’aller explorer davantage
commedia / page 17
ENTRETIEN AVEC LUCE PELLETIER,
METTEURE EN SCÈNE
Cet intérêt pour le texte ne signifie pas
que le jeu de l’acteur est à l’arrière-plan.
Il y a au Théâtre de l’Opsis une réflexion
perpétuellement en marche autour de
celui-ci. Est-ce que chaque spectacle
constitue une sorte de laboratoire pour
repenser ou expérimenter le jeu ?
Chaque pièce exige qu’on l’approche de façon
unique. Lorsque j’amorce une création, j’aime
m’entourer d’acteurs-créateurs avec lesquels,
dans une grande liberté, il me sera possible
d’expérimenter différentes méthodes (ou nonméthodes !) de jeu et avec lesquels je pourrai
mettre à l’épreuve de nouvelles idées. Les acteurs
qui reviennent souvent au Théâtre de l’Opsis,
ceux qui m’interpellent le plus, ce sont ceux qui,
en explorant leur propre créativité, en participant
activement à la construction de leur personnage,
me permettent d’aller plus loin dans ma démarche.
Avec eux, chaque création devient une recherche
sur le terrain, un véritable laboratoire théâtral.
Il m’importe aussi de ne pas me répéter. Ces
dernières années, j’ai souvent privilégié le
dénuement scénique, l’épure et l’adresse directe
au spectateur, comme dans La Resistenza, le
dernier spectacle du Cycle italien. Là, je sens qu’il
me faut transporter le jeu ailleurs…
Vous avez amorcé le Cycle italien en
revisitant Il Campiello, déjà monté par
le Théâtre de l’Opsis en 1989 au Théâtre
Denise-Pelletier. Vous aviez d’ailleurs
joué dans la pièce. Pourquoi avezvous souhaité revenir à cette pièce en
particulier pour lancer le cycle ?
L’idée a surgi en discutant avec Serge Denoncourt,
qui adore monter Goldoni, et qui avait signé la
mise en scène d’Il Campiello en 1989. Au moment
d’amorcer le Cycle italien, comme il était libre, je
l’ai invité à mettre en scène un nouveau Goldoni
au Théâtre de l’Opsis. Nous avons donc épluché
page 18 / commedia
plusieurs textes ensemble mais nos conversations
nous ramenaient toujours à notre souvenir partagé
de la création d’Il Campiello. Aussi, nous sommesnous demandés ce que ça ferait de reprendre
cette pièce près de 30 ans plus tard. Comment
l’aborder maintenant ? Qu’est-ce qui changerait ?
Qu’est-ce qui demeurerait intact ? C’est donc avec
beaucoup de bonheur que Serge a replongé dans
l’univers d’Il Campiello. Étonnamment, il ne s’est
pas creusé d’écart considérable entre la première
production de la pièce et sa nouvelle mouture.
La scénographie était plus élaborée cette fois-ci
mais l’essence de la pièce, son rythme vif, son
jeu pétillant, sont restés sensiblement les mêmes.
Les propositions artistiques ont seulement été
amenées un peu plus loin. De plus, Serge vit
désormais en Italie une partie de l’année et sa
mise en scène était teintée de cette expérience.
Elle portait aussi les traces de son grand bagage
théâtral, développé au fil des ans. D’une certaine
manière, Il Campiello fait partie du répertoire du
Théâtre de l’Opsis. Contrairement aux compagnies
qui créent du théâtre pour enfants, et dont le
répertoire circule beaucoup, nous n’avons pas
souvent l’occasion de reprendre une œuvre, de
la faire connaître à nouveau. Ça a été une belle
expérience.
Le Cycle italien commence et se termine
avec Goldoni. Pourquoi faire cette boucle ?
J’ai un esprit assez systématique : j’aime les
boucles ! Et puis, comme le cycle a surtout été
composé d’œuvres contemporaines, je trouvais
que les textes classiques manquaient. J’ai alors
relu plusieurs auteurs phare italiens, parcouru
des pages et des pages de Pirandello, de Dario
Fo, sans que jamais ne s’allume véritablement
l’étincelle susceptible de mettre un projet de
création en marche. Je ne souhaitais pas non plus
monter un autre texte de Goldoni puisque le cycle
en comportait déjà un. Aussi, lorsque Pierre Yves
Lemieux s’est proposé d’écrire une adaptation
 Décor de Commedia par Olivier Landreville.
théâtrale des Mémoires de Goldoni, en mettant
de l’avant les difficultés qu’il a rencontrées dans
son immense entreprise de réforme du théâtre,
de même que toutes les batailles qu’il a livrées,
cela m’a plu. J’ai trouvé qu’il y avait là un écho
certain avec le théâtre actuel et ses propres
tiraillements. Il y a aussi, dans Commedia, une
réflexion sur la place de l’auteur qui a de fortes
résonances avec notre époque. Enfin, il m’importe
beaucoup que la dernière année d’un cycle soit
celle de la réappropriation : après avoir effectué
plusieurs voyages en dramaturgie étrangère, il est
bon de ramener la réflexion à notre réalité. Jeter
un regard sur l’Autre, certes, mais pour mieux
s’examiner soi-même. C’est ce que nous avions
fait, par exemple, avec Les États-Unis vus par…, la
pièce de clôture du Cycle états-uniens. C’est aussi
ce que nous faisons avec Commedia.
Le Cycle italien se rattache surtout à des
auteurs dramatiques contemporains.
Trouvez-vous des échos entre cette
dramaturgie et celle de Goldoni ?
A priori, ils paraissent très éloignés. D’ailleurs, il
n’y a pas une dramaturgie italienne mais plusieurs
dramaturgies différentes, uniques. Or, même
si les formes sont très variées, ce qui relie ces
écritures, c’est le désir d’interroger la grande
Histoire. Par exemple, beaucoup d’auteurs règlent
leurs comptes avec la Seconde Guerre mondiale,
abordant des sujets que leurs parents, sans doute
trop proches du traumatisme, n’ont pas su écrire.
Plusieurs de ces auteurs sont aussi, comme
Goldoni l’était, de grands observateurs de la
réalité sociale. À travers une écriture parfois un
peu pamphlétaire, ils réfléchissent sur la société
italienne d’aujourd’hui. En l’interrogeant, en la
mettant en scène, ils cherchent aussi à la faire
avancer. Ce qui est parfois bien difficile dans le
contexte politique actuel ! On retrouve également
chez eux le souci de raconter des histoires qui
sont authentiques et qui sont proches du « vrai
monde ». C’était le cas, par exemple, de la pièce
Frères, que j’ai montée à l’hiver 2012. L’auteur,
Francesco Silvestri, souhaitait parler du sida, une
réalité qui, même à la fin des années 1990, était
mal connue d’une partie de la population. Il fallait
donc raconter une histoire susceptible de rejoindre
les gens. D’ailleurs, dans le théâtre italien, il y a
un fort courant narratif, appelé Narratione, où
il s’agit, avant tout, de raconter. Dire des mots,
simplement, comme lorsqu’on s’assoit autour d’un
feu pour échanger des histoires. À travers cellesci, les auteurs se donnent une mission, peut-être
la même que celle de Goldoni : témoigner de la
réalité de leur temps.
Propos recueillis et mis en forme
par Catherine Cyr
commedia / page 19
DOSSIER DU THÉÂTRE ET DU MONDE
Bas les masques !
Goldoni et
la réforme du théâtre
Né à Venise en 1707, Carlo Goldoni semble
prédestiné à la fête et au théâtre. Alors que son
père, qui est médecin, est souvent absent, il grandit
entre un grand-père entiché de spectacles et une
mère éprise de carnavals. Dès l’âge de 3 ans, le
petit Carlo, qui a reçu en cadeau un castelet, se
plaît à jouer des piécettes devant les yeux amusés
de sa famille. À 10 ans, il a déjà une malle bien
remplie de poèmes et de pièces qui, tout à la fois,
étonnent et charment son entourage. Or, son
père ne voit pas d’un bon œil sa passion pour
l’écriture et le spectacle. Il souhaite que son fils
suive ses traces. Cette voie n’est toutefois pas
celle de Goldoni puisque la seule vue des malades
le plonge dans l’effroi, lui donne des vertiges et
des « vapeurs hypocondriaques »! À contrecœur,
il embrasse une carrière d’avocat. Celle-ci est de
courte durée et, rattrapé par son amour du théâtre,
il abandonne tout pour consacrer le reste de sa
longue vie à l’écriture. Il est d’abord le poète attitré
de la troupe de Medebach (1750) puis il joint les
rangs du dynamique Théâtre San Luca (1753).
Jamais au repos, Goldoni signe de sa plume une
quinzaine de tragi-comédies, de nombreux livrets
d’opéra et plus d’une centaine de comédies. Il
est l’auteur dramatique le plus prolifique de son
époque. Surtout, il est celui qui, au fil du temps,
opère une immense réforme du théâtre. Celle-ci
touche à la fois l’écriture, le jeu de l’acteur et le
rapport au réel. Ces trois dimensions sont finement
entrelacées.
DU CANEVAS AU TEXTE
Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, sous le
vernis éclatant d’une incessante activité, le théâtre
page 20 / commedia
 Maurice Sand, Masques et bouffons :
Pantalone
vénitien s’essouffle. La
c o m m e d i a d e l l ’ a r t e 1,
qui a connu son heure
de gloire au siècle
précédent, s’émousse.
Bientôt, elle sombre
dans la décadence. De
spectacle en spectacle,
les mêmes canevas usés
sont repris. À l’étroit
dans leurs masques figés,
les Capitaine, Pantalon
et Arlequin s’échinent à
faire rire un public devenu  Maurice Sand,
Masques et
friand de grossièretés. bouffon : Il Capitan
Pour Goldoni, comme
pour son prédécesseur
Luigi Riccoboni, ce déclin du théâtre italien
est désespérant. À ses yeux, la commedia
dell’arte n’est désormais plus qu’une suite
ininterrompue d’ « indécentes arlequinades »2,
de farces licencieuses et de vulgarités de tout
acabit. Comment mettre fin à cette déchéance?
Voir l’encadré « La commedia dell’arte », infra.
Goldoni, C., cité par N. Jonard (2002). Histoire de la littérature italienne.
Paris : Ellipses, p. 76.
1
2
Comment réinventer le théâtre sans, toutefois, faire
table rase des acquis du passé? Ces questions
agitent Goldoni qui, patiemment, en habituant
progressivement le public à divers changements,
opère un profond bouleversement du théâtre
italien. Le premier de ces changements consiste
en une graduelle réintroduction du texte. Depuis
longtemps, celui-ci, réduit à une peau de chagrin,
consiste en une mince trame fatiguée aux ressorts
éculés. C’est un canevas qui s’effrite, simple
support pour l’improvisation, les acrobaties et
les lazzis, c’est-à-dire des « contorsions, rictus,
grimaces […], jeux de scènes interminables ».3 Ces
lazzis exécutés par les comédiens, autrefois des
morceaux de bravoure très attendus du public, ne
sont, souvent, désormais plus que des numéros
salaces. Et ils pullulent. En effet, la scène est le
royaume des acteurs et le texte n’y a guère plus
d’importance que les costumes. Alors que certains
des contemporains de Goldoni voudraient remédier
au problème en donnant un second souffle à la
tragédie antique ou en imitant le théâtre français,
il choisit de ne pas tourner le dos à la comédie.
Plutôt, il vole à son secours en y réintroduisant
le texte. Au début, cela se fait à petites doses.
L’auteur ne souhaite pas choquer ou désemparer
le public. Surtout, son entreprise ne se précise
à ses propres yeux qu’au fur et à mesure qu’il
l’expérimente. Le changement est donc lent.
Goldoni construit d’abord de petits canevas,
qui seront de plus en plus étoffés, où certains
passages, tels les monologues, les lamentations et
les déclarations d’amour sont entièrement écrits.
Les acteurs sont tenus de jouer ces passages tels
quels sans céder à l’élan de l’invention. Après
quelques années de ce régime de création, l’auteur
signe sa première pièce écrite du début à la fin,
La Femme de bien (1743). Deux ans plus tard, il
revisite un canevas très populaire qu’il pimente
peu à peu de scènes entièrement dialoguées :
Le Serviteur de deux maîtres (1745), qui met en
scène un sautillant et fantasque Arlequin, est né.
3
Pavis, P. (2006). Dictionnaire du théâtre. Paris : Armand Colin, p. 190.
À cette pièce, qui demeure aujourd’hui l’une des
plus populaires de l’auteur, s’ajoutent bientôt La
Serva amorosa (1752), La Locandiera (1753) et
d’innombrables comédies pleinement écrites,
portant les mots en leur centre.
Par ailleurs, bien que l’écriture soit au cœur de
sa vie et de son entreprise de réforme théâtrale,
Goldoni n’en reste pas moins un grand admirateur
de l’art des acteurs (et des actrices!). Ceux-ci,
bien que leur inventivité soit moins sollicitée
durant la représentation des pièces, demeurent
l’âme vivante du spectacle. C’est donc souvent
en fonction de leur personnalité, de leur talent et
des « caractères » qu’ils incarnent (généralement
les mêmes durant toute leur carrière), que
l’auteur forge ses textes, invente les situations
rocambolesques ou touchantes qui les mettront à
l’honneur. Ainsi, conquis par les exploits scéniques
de la jeune soubrette Maddalena Marliani, et sans
doute aussi un peu épris de ses charmes, c’est
pour elle qu’il invente la délicieuse Mirandolina,
objet de toutes les quêtes amoureuses qui
parsèment La Locandiera.
À VISAGE DÉCOUVERT
C’est en travaillant auprès des acteurs que Goldoni
met en place un autre aspect important de sa
réforme théâtrale : l’abandon du jeu masqué.
À l’instar de la réintroduction du texte théâtral,
et allant de pair avec cette transformation,
l’élimination des masques ne survient pas du
jour au lendemain. C’est au fil de l’écriture et
du jeu que le changement se dessine. Jouant
de plus en plus souvent à visage découvert, les
acteurs peuvent désormais s’extraire du moule
extrêmement rigide auquel ils étaient jusqu’alors
confinés. Sans leur faire perdre leur virtuosité,
cette tombée des masques élargit grandement
leur registre de jeu : grâce aux expressions du
visage, ils peuvent apporter à leur personnage
de l’étoffe et quelques nuances.
commedia / page 21
DOSSIER
© Faman
 Nouveau
Théâtre Italien
par Riccoboni
chez Coustelier
en 1718.
Riccoboni,
avant Goldoni,
préconise un
théâtre du texte.
Si certains ont vu dans cet abandon du jeu
masqué mis en place par Goldoni la mort de la
commedia dell’arte, il n’en est rien. Ironiquement,
il a contribué par son écriture à préserver un
art en train de s’étioler. Et, même transformés,
ou dépourvus de leur masque, les personnagestypes de la commedia dell’arte ont longtemps
perduré grâce à sa plume. Ainsi, dans les nouvelles
« comédies de caractères » qu’échafaude l’auteur,
persistent les traits déterminants de certains
masques : Pantalon se devine chez le Père de
famille autoritaire jusqu’au ridicule ou chez le
Marchand et ses nombreux avatars, désormais
plus avisés, voire avares, que libidineux; l’ombre
d’Arlequin plane sur tous les serviteurs rusés,
bienveillants ou mauvais, qui traversent l’ensemble
de l’œuvre de l’auteur; enfin, plusieurs des intrigues
amoureuses que tisse Goldoni mettent en scène
des personnages chez qui se repèrent les traces de
l’amoureux fougueux (innamorato) comme celles
de l’amoureuse, que cette dernière soit ingénue ou,
au contraire, envieuse et médisante (innamorata).
page 22 / commedia
Des toutes premières comédies (Les Rustres) aux
pièces de la maturité (La trilogie de la Villégiature),
les personnages évoluent grandement. Peu à peu,
à l’instar du Chevalier de La Locandiera, transformé
par l’amour, ils ne sont plus captifs d’une typologie
rigide. Sur le visage démasqué des acteurs peut
graduellement se lire une trajectoire du sentiment
ou une lutte entre des désirs, des vices et des
vertus opposés. En les éloignant de la caricature,
Goldoni procède à une profonde humanisation des
personnages. Ce faisant, ces derniers rapprochent
la comédie du réel : sur les planches du théâtre,
ce ne sont plus de vertueuses abstractions ni des
monstres de grossièreté qui se meuvent mais des
êtres complexes et nuancés, à l’image des hommes
et des femmes qu’ils représentent.
MONTRER LE RÉEL
Inséparable de la réintroduction du texte au
théâtre et de la tombée des masques, une nouvelle
représentation du monde participe à la réforme
théâtrale instaurée par Goldoni. À l’image de son
ami le peintre Pietro Longhi, l’auteur cherche à
montrer la réalité. Il s’intéresse à la vie quotidienne,
scrute de près les mœurs de ses semblables,
explore les multiples facettes de l’âme humaine,
des plus lumineuses aux plus sombres. D’abord
à gros traits, puis par petites touches de plus en
plus subtiles, ses comédies mettent au jour les
imperfections des hommes, émouvantes tout
autant que risibles. Toutes les couches sociales
sont convoquées dans ses pièces, de la noblesse
aux gens du peuple, en passant par la bourgeoisie.
Cette écriture nouée au réel, qui étonne et ravit
un public nombreux, ne fait pourtant pas que des
adeptes. Elle rebute, entre autres, les auteurs de
théâtre Pietro Chiari et Carlo Gozzi. Ce dernier,
comme le révèle l’univers fantaisiste de ses pièces
(L’Amour des trois oranges, 1761; Turandot, 1762;
L’Oiseau vert, 1765) prône plutôt un théâtre détaché
de la réalité. Surtout, issu de l’ancienne noblesse
vénitienne et attaché à ses valeurs, il critique la
 Pietro Longhi, Dames chez le couturier.
Vers 1760.
présence de gens de « basse extraction » au cœur
de maintes comédies goldoniennes et vante « la
souveraineté correctrice de la Noblesse sur le
peuple ignorant et subordonné ».4 Ces critiques
heurtent Goldoni mais ne le détournent pas de
son entreprise. Au tournant des années 1750, il
entame une période faste, qui dure une douzaine
d’années, où il écrit plusieurs pièces où se déploie
une grande finesse psychologique, telles que La
Serva amorosa (1752) et La Locandiera (1753). De
même, les questions de société habitent son œuvre
et l’auteur aborde avec perspicacité de nombreux
thèmes liés à son époque agitée : l’enflure de
la vanité sociale, l’endettement galopant de la
bourgeoisie, les amours empêchées par des
conventions sociales contraignantes, ou encore
la mode des sigisbées, ces jeunes hommes oisifs
vivant au crochet de femmes fortunées. Or, bien
que plusieurs de ces thèmes soient sérieux, ils
sont abordés avec légèreté. Chez Goldoni, en
4
Nardone, J.-L. et A. Perli (2002). Anthologie de la littérature italienne, 2,
XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail,
p. 163.
 Visite d’une bibliothèque,
Pietro Longhi (1702-1785).
effet, le comique valse toujours avec la gravité.
Dans ses Mémoires, il écrit que la comédie « ne se
refuse pas aux sentiments vertueux et pathétiques,
pourvu qu’elle ne soit pas dépouillée de ces
traits comiques et saillants qui forment la base
fondamentale de son existence ».5 En opérant ce
singulier mélange des tons, l’auteur, qui précède
Goldoni, C. cité par N. Jonard. Op. cit.
5
commedia / page 23
DOSSIER
 Paris, Théâtre Italien, vers 1840. Dessin d’Eugène Lami, gravure de C. Mottram.
en cela Gorki et Tchekhov, met au jour un tout
nouveau type de comédie.
Au terme de cette intense période de productivité
créatrice, et fatigué de la querelle qui perdure avec
Gozzi, Goldoni s’exile à Paris, rêvant d’y poursuivre
avec plus de liberté sa carrière théâtrale. Là-bas,
il rejoint la Comédie-Italienne, une troupe de
théâtre logée à l’Hôtel de Bourgogne et qui, en
alternance avec l’Opéra-comique, propose des
comédies au public parisien. Or, ses illusions
s’effritent rapidement : la plupart des spectateurs
français comprenant mal l’italien, on le contraint
à revenir à la comédie à canevas. Profondément
désenchanté, il choisit tout de même de demeurer
en France. Durant ce séjour, qui sera son dernier
à l’étranger, il se fait professeur d’italien pour les
princesses royales et écrit encore quelques pièces
page 24 / commedia
qui connaissent un succès modeste. En 1771, il
livre Le Bourru Bienfaisant à la Comédie-Française
tout en travaillant à ses Mémoires, lesquels sont
publiés en 1787. Dans la tourmente de la Révolution
française, il se retrouve, au soir de sa vie, privé
d’une pension accordée par le roi. Il meurt dans
la misère en 1793.
Catherine Cyr
La commedia dell’arte
C’est au milieu du XVIe siècle, en Italie, qu’apparait
la commedia dell’arte. Au siècle précédent, on
jouait encore les comédies des auteurs latins Plaute
et Térence ainsi qu’un répertoire de comédies
« savantes » s’adressant à un public lettré. Héritière
des formes populaires comme la farce et l’art des
jongleurs et bouffons de la Renaissance, proche
parente des fêtes carnavalesques, la commedia
dell’arte s’implante rapidement en Italie. Son univers,
tissé d’humour et de prouesses acrobatiques, séduit
un public toujours plus large. Cette nouvelle forme
de comédie prend la forme d’une création collective
élaborée par des acteurs qui improvisent, verbalement
ou gestuellement, à partir d’un mince canevas. Ce
« texte » ne comporte que des indications sommaires
et les acteurs improvisent leur partition selon les
caractéristiques de leur personnage. Ce dernier relève
d’un type précis, c’est-à-dire qu’il possède des traits
physiques et moraux fixes, souvent représentatifs
d’un état ou d’un travers (l’amoureux, l’avare). Il
est identifiable grâce au masque porté par l’acteur.
L’établissement de types permet au public de
retrouver, d’un spectacle à l’autre, des personnages
(et des acteurs) qui lui sont familiers.
 Maurice Sand,
Masques et bouffons :
Dottore
Regroupés en troupes, perpétuant un savoir-faire
familial, les acteurs, qui incarnent souvent un même
personnage toute leur vie, parcourent l’Italie, puis
l’Europe. Dans ce théâtre d’acteur, la dimension
centrale est le langage corporel. La gestuelle remplace
les longs discours et les improvisations, truffées
de morceaux de bravoure (lazzis), rythmées par
d’importantes prouesses physiques (pirouettes,
contorsions, sauts vertigineux), font avancer
une fable qui égrène les situations comiques et
revirements inattendus. Avec les mêmes ingrédients
dramaturgiques (quiproquos, travestissements,
disparitions, amours contrariées, ruses
de valets…), la commedia dell’arte
fait varier les intrigues à l’infini et
n’a de cesse de se réinventer. Elle
connaît son heure de gloire au
XVIIe siècle, avant de s’épuiser
peu à peu. Vers le milieu du
XVIII e siècle, au moment
où Goldoni entreprend sa
réforme théâtrale, cet art montre
certains signes de déliquescence :
les mêmes vieux canevas sont
repris sans grande inventivité et le
ton des spectacles est de plus en
PANTALON est un riche vieillard libidineux qui oscille
entre le sérieux et le ridicule. Il porte un masque brun
à nez busqué et proéminent.
plus grivois. Au XIXe siècle, la
commedia dell’arte s’éteint
complètement. Pourtant, elle
continue de fasciner et son
esprit perdure, aujourd’hui,
à travers diverses formes
comiques, notamment dans
le jeu clownesque et dans
l’univers de la marionnette.
Quelques types de la
commedia dell’arte
LE ZANNI est un serviteur grossier et agressif. C’est
l’ancêtre de tous les valets.
ARLEQUIN est le plus célèbre des zannis. C’est un
valet agile et sautillant, parfois niais, souvent rusé.
Il porte un demi-masque et une mentonnière noirs.
Son front, très ridé, surmonte des sourcils étonnés.
LE CAPITAINE incarne un faux brave, ronflant et
prétentieux. Son masque est couleur chair. Sous un
nez protubérant, il porte des moustaches hérissées.
LE DOCTEUR est l’incarnation satirique du savant
imposteur et pédant. Son langage est traversé de
citations latines déformées. Son masque lui couvre le
front et le nez et ses joues sont maculées de rouge.
LES AMOUREUX sont des personnages sérieux
et non masqués. Ils s’expriment dans une langue
recherchée. Ils sont souvent au centre des imbroglios
et quiproquos de la
pièce.
Catherine Cyr
 Maurice Sand,
Masques et bouffons :
Isabella
 Maurice Sand, Masques
et bouffons : Arlequin
commedia / page 25
DOSSIER
Un monde à part.
Venise au XVIIIe siècle
Dans la pièce-manifeste de sa réforme théâtrale,
Il Teatro comico (1750), et dans la préface qu’il
signe, Goldoni affirme que son écriture se fonde
sur la rencontre des deux grands « livres » du
Monde et du Théâtre : le premier lui donne les
personnages et les sujets de ses pièces alors
que le deuxième lui fait connaître « avec quelles
couleurs on doit représenter les caractères, les
passions, les évènements qu’on lit dans le livre
du Monde »1. Mais quel est donc ce monde que
Goldoni observe à la loupe et qu’il cherche, dans
ses pièces, à rendre vivant avec le plus de véracité
possible ? Si quelques œuvres se déroulent à
l’extérieur de Venise, à Chioggia (Barouf à Chioggia,
1762), à la campagne (La Villégiature, 1761) ou dans
une Perse imaginaire (L’Épouse persane, 1753),
plusieurs des fables imaginées par l’auteur se
déroulent dans la Sérénissime2. Nées du ventre
de la ville, ces pièces révèlent les pratiques, les
usages, et les étonnantes singularités de ceux qui
y vivent. Ainsi, Goldoni « transforme la place, la
rue, ou le carrefour, lieux génériques, traditionnels,
de la comédie, en autant de «vues» vénitiennes,
variant les angles d’observation à la manière d’un
Canaletto […], mais avec les sons, les corps – la
vie – en plus »3 .
 Palais des Doges, détails du toit, Guerinf
(mai 1986).
Au XVIIIe siècle, Venise se dresse à la charnière
de deux visions contraires, comme « suspendue
entre splendeur et engloutissement »4. Alors
que, d’une part, est amorcé un inéluctable déclin
économique et politique, d’autre part, la ville n’a
de cesse de briller de tous ses feux, rayonnant de
plaisirs, de musiques et de fêtes. Ces dernières
sont innombrables et, religieuses ou profanes,
elles rythment le calendrier dans une ville où
le divertissement est roi et où, dit-on, on ne
travaille que lorsque les loisirs le permettent. La
quintessence de la fête s’incarne dans le Carnaval,
un moment où le temps est arrêté et l’ordre du
monde inversé, où tout ce qui est excessif devient
permis. Au XVIIIe siècle, la célébration inclut des
bals, des chasses, des jeux d’adresse et des
spectacles sur l’eau. La ville est animée jour et
nuit :
Goldoni, C. cité par N. Jonard. Op. cit., p. 76.
Surnom donné à la ville de Venise.
Decroisette, F. (1999). Venise au temps de Goldoni. Paris : Hachette,
Littératures, p. 9.
4
Id., p. 7.
Tous les théâtres, tous les Ridotti sont ouverts.
Les cafés, les auberges, les entrepôts à vin
LA VILLE DES PLAISIRS
1
2
3
page 26 / commedia
 Pietro Longhi, (Il ridotto) Le casino. XVIIIe siècle.
regorgent de monde. Dans les rues et les campi,
les masques improvisent des farces et des
comédies ou se contentent de se promener, les
uns pour voir, les autres pour se faire admirer.
Pendant les derniers jours, les nobles ne
détestent pas se mêler à la foule, complètement
protégés par la grande cape noire (tabarro), le
tricorne et le masque (bauta). […] Le masque
est le protagoniste du carnaval. Son usage, très
quotidien, tient un rôle essentiel, car il permet
l’anonymat, il dissimule les traits aussi bien
naturels que distinctifs. Le travestissement des
habits, de la condition sociale, de l’âge, ouvre
la porte à toutes les transgressions5.
jalouses, 1752). Aux débordements du carnaval
et aux divertissements officiels, l’auteur préfère
la représentation des jeux, des chants, des fêtes
 Pietro Longhi, Le gentilhomme indiscret.
Vers 1740. Google Art Project.
Pour Goldoni, cependant, ce carnaval, pétri d’excès
de toutes sortes, s’est quelque peu dénaturé.
C’est pourquoi, dans ses pièces (ironiquement
présentées en période carnavalesque), celuici est le plus souvent relégué aux coulisses,
évoqué en creux dans les dialogues ou vivement
critiqué par les personnages, notamment les
femmes et les jeunes filles sages (Les Femmes
Calabi, D. (1999). Venise au fil de son histoire. Paris : Éditions Liana Levi,
p. 104.
5
commedia / page 27
DOSSIER
et des rencontres quotidiennes qui se déroulent
sur les nombreuses places publiques de la ville
(Il Campiello, 1756).
Or, la coupure n’est pas aussi nette entre le
carnaval, débordant, et les plaisirs du quotidien.
On observe une extension considérable du temps
carnavalesque sur les autres jours du calendrier
et son esprit de transgression, d’excès, imprègne
bien des lieux et bien des pratiques. Parmi cellesci, la plus répandue est celle du jeu. Comme le
souligne Françoise Decroisette, « [on] jouait gros
jeu à Venise »6. Dans plusieurs quartiers de la ville,
voisinant les riches demeures comme les taudis et
les tripots, se dressaient des casini (appartements
privés) et des ridotti (lieux de rencontres et de
divertissements plus ou moins licites) où les biens
nantis comme les gens de condition plus modeste
venaient tenter de faire ou de rétablir leur fortune.
Lorsque la chance n’était pas de leur côté, ils
avaient le loisir de se retirer dans la « chambre des
soupirs », espace dédié à toutes les consolations.
Dans ces lieux où étaient proposés d’innombrables
parties de cartes et jeux de hasards, l’argent
circulait de tous les côtés et les fortunes pouvaient
rapidement passer d’une main à l’autre. Dans sa
dramaturgie, à travers des personnages de joueurs
impénitents ou malheureux, Goldoni rend bien
compte de cette réalité.
Par ailleurs, l’auteur ne s’en tient pas qu’à
ces aspects sombres. Dans ses pièces, le
ludique occupe une grande place. Ainsi, outre
les inévitables jeux de cartes, il met en scène
différents jeux pratiqués chez soi, en famille ou
entre amis, de même que plusieurs jeux de la rue,
de la place, tels le Loto della venturina, permettant
de gagner des beignets, ou le jeu de la semola, où il
était possible de trouver des sous dissimulés dans
de la farine. Avec la représentation de banquets
et de repas festifs, la présence des jeux dans le
théâtre de Goldoni, même avec leurs possibles
Decroisette, F. Op. cit., p. 141.
6
page 28 / commedia
dérapages, le situe du côté de la quête des plaisirs
et de la recherche du bonheur, si éphémère soit-il.
LES TROIS ORDRES
DE LA SOCIÉTÉ
Dans ses comédies, Goldoni fait souvent se
rencontrer, voire s’entrechoquer, diverses
couches sociales : nobles désargentés ou dissipés,
marchands prospères, valets et soubrettes
ingénieux, souvent mieux avisés que leurs maîtres.
Tout ce beau monde se croise sur les places
publiques, dans les cafés, aux abords des puits,
ou à l’extérieur de la ville lorsqu’une famille et
sa suite part en villégiature. S’il est vrai que ces
diverses strates sociales coexistent à Venise et
que le port du déguisement et du masque permet,
temporairement, d’abolir les distinctions, ces
dernières demeurent toutefois assez marquées.
Ainsi, au sommet de la pyramide, la ville est
gouvernée par le Doge, un noble élu « à vie »
par les membres du Grand Conseil, selon un
processus complexe et tarabiscoté. Si, avec tous
ses apparats, il fait figure de roi en son palais, sa
fonction est plus symbolique que véritablement
politique. Dans un système que l’on peut qualifier
d’ « aristo-démocratie », ce sont plutôt des nobles
influents, répartis en divers conseils, qui sont aux
commandes de Venise.
Les nobles constituent le « premier ordre » de la
population. En effet, « au XVIIIe siècle, la population
vénitienne se répartit en trois « ordres ». Les
« gentilshommes » […] dits plus généralement
« nobles » ou « patriciens », les cittadini, et les
popolani »7. Alors que la noblesse accuse un
déclin – les mariages et la natalité sont en chute,
les richesses diminuent, parfois jusqu’à la misère
– les cittadini sont ceux qui donnent à la ville
son effervescence et son dynamisme. Il ne faut
pas oublier que Venise est avant tout une ville
marchande et nombreux sont les cittadini, que
7 Id., p. 53.
l’on peut apparenter aux bourgeois, qui exercent
des métiers honorables ou tiennent commerce.
Enfin, au bas de la pyramide, et composant plus
de 90% de la population vénitienne, se trouvent
les popolani. Ces derniers comprennent tous ceux
qui, pour subsister, exercent de petits métiers et
« qui n’ont aucun pouvoir dans la cité, c’est-à-dire
tout le reste de la population – artisans, serviteurs,
« pauvres» recueillis dans les Ospedali, mendiants,
juifs et religieux » 8.
Dans son théâtre, Goldoni visite chacune de ces
catégories sociales, n’hésitant pas à déplacer les
valeurs et vertus traditionnellement accordées à
l’une ou à l’autre. Ainsi, chez lui, sous le vernis
de la drôlerie, dignité et beauté sont rendues au
« petit peuple », et ses travers – gourmandise,
jalousie, appât du gain – ne sont mis de l’avant que
pour accorder aux personnages une plus grande
part d’humanité. Souvent, les valets, servantes,
ménagères, aubergistes et autres gens de « petits
métiers » montrent de plus grandes qualités de
cœur, et font preuve de plus d’esprit que bien des
nobles (La Brillante Soubrette, 1754 ; Les Cuisinières,
1755 ; Il Campiello, 1756). Ces derniers, sans être
écorchés durement, sont parfois l’objet d’une
certaine raillerie, et leurs ridicules n’échappent
pas à l’œil avisé de l’auteur ni à sa plume vive.
En particulier, les avares, ceux qui ont dissipé
leur fortune et sont désormais réduits à l’état
de pique-assiette ou ceux qui cherchent à tout
prix à faire un mariage d’argent, sont des figures
récurrentes de la comédie goldonienne (L’Avare
jaloux, 1753 ; La Villégiature, 1761).
Par ailleurs, de nombreux types de personnages
se retrouvent indifféremment dans toutes les
catégories sociales, notamment le père aimant,
un peu bonasse, ou la jeune fille vertueuse. Aussi,
sans être niées, les différences entre les « ordres »
de la population sont-elles, chez l’auteur, souvent
atténuées ou bousculées. Certes, il est attendu
8Id., p. 54.
de chacun qu’il « tienne son rang » mais tous ont
droit de parole et peuvent faire montre des pires
défauts comme des plus belles qualités. Enfin,
un même espace social réunit souvent, pêlemêle, ces diverses couches de population : sur
les places publiques, à l’auberge, dans les cafés,
fraient avec bonheur, mais non sans quelques
frictions, des personnages appartenant à toutes
les strates sociales, de même que de nombreux
étrangers. Sans doute la réalité était-elle quelque
peu différente et Goldoni force-t-il le trait de
l’égalité, cédant, en cela, au mythe d’une Venise
libre, égalitaire et ouverte à tous. Toutefois, qu’il
soit altéré ou non, ce reflet d’une importante
réalité sociale traverse toute l’œuvre de l’auteur,
profondément imprégnée d’observations et de
questionnements sur la manière dont vivaient,
ensemble, ses contemporains.
LA SOCIÉTÉ DES FEMMES
Dans la Venise du XVIIIe siècle, aux trois ordres
de la population s’ajoute, selon Françoise
Decroisette, un « quatrième ordre », celui des
femmes. Celles-ci composent en effet plus de la
moitié de la population de la ville et leur place et
les fonctions qu’elles occupent connaissent de
grands bouleversements. Leur fonction symbolique
traditionnelle, qui est d’exalter par leur beauté les
merveilles et la toute-puissance de la ville, ne suffit
plus. L’instrumentalisation de leurs charmes à des
fins politiques ne répond plus à leurs aspirations :
Au siècle où partout en Europe les femmes
revendiquent un statut, dénoncent leur état de
subordination, affirment leurs droits à accéder
à la culture et à choisir leur sort, c’est trop
peu, c’est même insupportable. Venise […],
cité-femme par excellence, ne peut échapper
à cette vague de revendication. La fonction de
représentation qu’on assigne aux femmes, en
masquant leur état de dépendance vis-à-vis
de l’autorité masculine, est ressentie comme
commedia / page 29
DOSSIER
que leur père les y encourage, nombre de fillettes
et de jeunes filles de bonne famille reçoivent
une éducation riche, abordant tout à la fois les
domaines de la géographie, des mathématiques, de
la philosophie et de la poésie. Plus tard, plusieurs
de ces jeunes femmes éclairées, telles Caterina
Dolfin Tron ou Isabella Albrizzi, tiendront des
salons littéraires dans leurs casini, écriront des
ouvrages scientifiques ou poétiques, participeront
à diverses activités d’édition. Certaines, comme
Rosalba Carriera, deviendront artistes et auront
un succès rayonnant.
 Pietro Longhi, La matinée des femmes
de Venise. Vers 1741.
un asservissement, une tyrannie même, et non
plus comme une reconnaissance et un espace
d’affirmation9.
Cette prise de conscience, amorcée au siècle
précédent, se décline à travers de nombreuses
publications consacrées au statut des femmes, à
leurs devoirs et à leurs droits. En plus de ces écrits,
font rage de nombreux débats sur le mariage et
sur l’éducation des petites filles. Celles-ci doiventelles, comme le veut la tradition, être gardées à
la maison, loin des réalités du monde extérieur,
où on leur enseignera le chant, la broderie et les
bonnes manières, ou doivent-elles recevoir une
éducation comme celle des garçons et s’instruire
de sciences, de politique et de littérature ? Si
les défenseurs de la tradition sont nombreux
et s’offusquent de ce que de plus en plus de
femmes accèdent dorénavant à des fonctions qui
leur étaient jusque-là interdites, leurs opposants
sont presque tout aussi nombreux, notamment
chez les nobles et les cittadini. Ainsi, pour peu
Id., p. 202.
9
page 30 / commedia
Par ailleurs, toutes n’ont pas cette chance.
L’éducation des jeunes filles de la classe populaire
demeure limitée et, dans les couches supérieures,
il est fréquent que le père de l’enfant ne voie pas
d’un bon œil son émancipation intellectuelle.
Complètement soumises à l’autorité paternelle,
nombre de jeunes femmes sont donc confinées à
 Pietro Longhi, La Sainte Famille. Vers 1752.
la maison, dans l’attente docile du
mariage ou de l’entrée au couvent.
La prise du voile était souvent
forcée, comme le raconte dans
ses écrits acerbes sœur Arcangela
Tarabotti, contrainte par son père
de se retirer dans un monastère.
Même si ces lieux n’étaient pas
aussi austères qu’on pourrait le
croire – on relate de nombreuses
fêtes données entre leurs murs
et, dans certains, beaucoup de
permissions de sortie étaient
accordées –, ils représentaient,
pour beaucoup, une prison. Le
mariage, qui est « avant tout,
affaire économique, non pas affaire
de sentiments »10, est souvent tout
aussi contraignant.
 Teatro San Samuele, Venise, par Gabriel Bella 1730-1799.
À l’exception de certains jeunes gens appartenant
à la classe des popolani, qui peuvent se fréquenter
puis se marier par amour, les Vénitiens contractent
des mariages de raison où fortune et réputation
sont en jeu. Passant du joug paternel à l’autorité
de son mari, la femme est investie de bien peu de
liberté. Seul le veuvage paraît une issue enviable,
les veuves ayant de l’honorabilité, on leur accorde
la possibilité de gérer librement leurs affaires,
notamment dans le domaine commercial. Par
ailleurs, le tableau n’était évidemment pas tout
noir : il existait bien des mariages heureux où, seule
ou avec son mari, une femme pouvait s’engager
dans une carrière. Les domaines de l’édition
et du théâtre étaient particulièrement propices
à cet épanouissement, malgré des conditions
matérielles parfois difficiles. Par exemple, l’actrice
Madame Medebach jouait dans la troupe de son
mari (troupe pour laquelle Goldoni écrivait au
début de sa carrière) et participait aux diverses
décisions liées à celle-ci.
Ainsi, entre, d’une part, l’épanouissement
intellectuel, artistique et social et, d’autre part, un
désir de liberté trop souvent entravé, le portrait de
la condition féminine à Venise au XVIIIe siècle est
fort contrasté. Et l’écriture de Goldoni joue de ce
contraste. Comme le remarque Élisabeth RavouxRallo, son théâtre « donne un rôle privilégié aux
femmes et en offre une image à la fois triomphante
et dominante, même si c’est parfois avec une
certaine ironie d’homme, une certaine réserve »11.
Les femmes apparaissent nombreuses dans les
comédies de l’auteur et leurs visages sont variés :
Des ménagères suspicieuses, inquiètes des
manières indépendantes d’une veuve que
leurs maris fréquentent trop assidûment à
leur goût (Les Femmes jalouses) ; des femmes
exclues de certaines réunions secrètes de leurs
hommes, qui n’ont de cesse d’être éclaircies
sur ce mystère (Les Femmes curieuses) ; des
jeunes filles de bonne humeur qui décident,
Ravoux-Rallo, E. (1984). La femme à Venise au temps de Casanova. Paris :
Éditions Stock, p. 43.
11
Id., p. 213.
10
commedia / page 31
DOSSIER
le temps d’un Carnaval, de se
divertir honnêtement en jouant
un tour à un étranger (Les
Femmes de bonne humeur) ;
des servantes qui se coalisent
contre leurs patrons mauvais
payeurs (Les Cuisinières). Et
une belle aubergiste qui part
en guerre contre les hommes
en se mettant elle-même au
défi de séduire un chevalier
misogyne, comme une grande
coquette sans scrupule pour qui
la vraie liberté consiste d’abord
à ne pas tomber amoureuse (La
Locandiera)12.
© Didier Descouens, 2013
À travers les personnages de
femmes qu’il dessine, c’est, encore
une fois, un regard lucide sur son
époque que l’auteur propose.
Adoptant une position ambiguë,
prenant tantôt le parti des femmes
désireuses de s’émanciper,
faisant tantôt preuve d’un certain
traditionalisme, Goldoni met au
premier plan certaines réalités,
notamment l’opportunisme des
sigisbées13 qui n’en ont qu’après
la fortune de leur dame, ou encore
le fléau des mariages forcés qui  Monument à Carlo Goldoni par Antonio Dal Zòtto,
broient bien des aspirations. La Venise (1883).
critique de l’entrée imposée au
couvent se fait plus discrète (il n’est pas permis bouleversements sociaux qui l’agitent. L’inscription
de l’évoquer sur scène) et, de loin en loin, un soutenue de ces derniers dans chacune des
personnage est conduit en « retraite » -- c’est comédies de l’auteur fait de celui-ci un artiste
l’euphémisme choisi. Ainsi, oscillant entre la pleinement engagé dans les tribulations de son
critique de certaines pratiques culturelles et époque, un créateur au diapason de son temps.
l’adhésion à certaines autres, le théâtre de Goldoni
se fait le miroir d’une société ambivalente à l’égard
Catherine Cyr
de la femme tout comme à l’endroit des nombreux
Decroisette, F. Op. cit., p. 199.
Chevalier servant qui accompagne officiellement et au grand jour une
femme mariée.
12
13
page 32 / commedia
Artistes contemporains
de Goldoni
Une importante partie de la vie de Goldoni s’est
déroulée à Venise, une ville reconnue de tout temps
pour son effervescence artistique. Au XVIIIe siècle,
alors qu’un lent et inexorable déclin politique et
économique ronge la Sérénissime, le monde des
arts semble former un bastion de résistance : sept
théâtres, très fréquentés, sont disséminés dans la
ville et de nombreuses représentations se jouent
en plein air. La musique, à toute heure, résonne
dans les églises et les palais, et se fait entendre
sur les places publiques. Les résidents de la ville,
comme les visiteurs étrangers, sont nombreux à
goûter les concerts et les spectacles, somptueux
ou de fortune, souvent arrimés aux fêtes du
Carnaval. La peinture n’est pas en reste. Elle
connaît une période faste grâce à la sensibilité et
au talent des artistes qui, tels Canaletto, Francesco
Lazzaro Guardi, Pietro Longhi, Giambattista
Tiepolo ou Rosalba Carriera, font émerger des
goûts et des styles nouveaux. Qu’ils réinventent
l’art de la fresque, s’attachent à la miniature et au
portrait ou cherchent à représenter la vie intime
et le quotidien, ces peintres, souvent reconnus et
appréciés à l’étranger, participent à l’ébullition de
la vie artistique vénitienne.
Giambattista Tiepolo a vu le jour à Venise en 1696.
Dernier des six enfants d’un capitaine de la marine
marchande, qui le fait orphelin à un an, il découvre
très tôt l’art pictural et fréquente assidument le
milieu bourdonnant des peintres vénitiens d’esprit
baroque, notamment Giovanni Battista Piazetta et
les trois frères Guardi. Après son apprentissage à
l’atelier de Gregorio Lazzarini, il met rapidement
en place un style unique, marqué par l’expressivité
exacerbée de la composition. « Fresquiste virtuose
[…], [il] allie aux somptueux effets de luminosité
et de théâtralité des exubérances formelles qui
sont une apothéose de l’âge baroque. Comme un
livre d’images précieuses, sa peinture exalte les
splendeurs d’un monde aristocratique »1. Dès le
début des années 1720, il se lance dans l’exécution
de fresques gigantesques, un domaine où il laissera
sa marque. Deux aspects caractérisent son style :
la netteté des personnages et l’extraordinaire
luminosité des fonds de ciel, lesquels occupent
une part immense du tableau. Vibrante, chatoyante,
la lumière domine la composition comme si elle
était elle-même le personnage principal de la
scène représentée. Dans les années qui suivent
ses débuts prometteurs, la popularité de Tiepolo
va grandissant. À Venise, les commandes ne
cessent de pleuvoir. Apprécié des nobles et du
pouvoir ecclésiastique, il orne de ses fresques
les murs des palais et des églises. Séduit par les
fastes de la ville et par la vie mondaine, il est de
toutes les fêtes. Cela ne l’empêche toutefois pas
de poursuivre une très prolifique carrière artistique
et de produire nombre de chefs-d’œuvre, parmi
lesquels les fresques pour la Scuola Grande dei
Carmini (1740-1744) et les célèbres fresques
d’Antoine et Cléopâtre au palais Labia. Durant la
dernière partie de sa vie, il fait plusieurs séjours
à l’étranger où sa peinture est également très
prisée, notamment en Allemagne. En 1761, il part
pour l’Espagne où, pendant cinq ans, il décore
trois des plafonds du palais royal de Madrid. Son
style, bien que toujours empreint d’attention pour
la luminosité, change : les compositions se font
inquiètes, nimbées de mysticisme ou d’allusions à
la mort. Il s’éteint à Madrid en 1770. Figure majeure
de l’art du XVIIIe siècle, source d’inspiration de
nombreux peintres, dont Goya, il laisse une œuvre
où se marient admirablement maîtrise technique
et sensibilité expressive.
1
www. Larousse. fr/encyclopedie
commedia / page 33
DOSSIER
quotidiennes. Comme Tiepolo, il accorde une
grande attention à la lumière mais son regard est
moins tourné vers le ciel que vers le ventre de la
ville. Contrairement aux védutistes, il sillonne les
rues, entre dans les maisons, croque des scènes
qu’il représentera ensuite sur la toile avec des
traits délicats, étalant ses couleurs claires avec de
petits pinceaux de miniaturiste. Les personnages
qu’il peint appartiennent autant à l’univers des
palais qu’à celui des maisons du peuple. Ses
thèmes de prédilection sont les scènes familières,
les concerts, les spectacles de rue, de même que
les moments intimes qui rythment la journée :
toilette des enfants ou conversation au salon.
 Pietro Longhi
Pietro Falca, dit Pietro Longhi est le plus célèbre
peintre du courant baroque italien. Né à Venise
en 1701, il y reste presque toute sa vie, attachant
sa carrière artistique aux battements de cœur
de la Sérénissime. Alors que plusieurs de ses
contemporains, comme Canaletto (1697-1768),
embrassent le « védutisme », un style qui traduit
la beauté des monuments et des paysages urbains,
Longhi se tourne vers la société des hommes. Il
participe à un nouveau mouvement qui, dans les arts
figuratifs, troque les sujets historiques ou religieux
pour la représentation de la vie quotidienne. C’est
au retour d’un séjour à Bologne, dans l’atelier du
peintre Balestra, qu’il développe peu à peu son
style propre. Après s’être adonné sans bonheur à
la fresque et à la peinture décorative, il s’initie au
portrait et à la scène de genre, inspiré notamment
par les estampes délicieusement expressives
du peintre anglais William Hogarth. Dès lors,
animé par le souci de représenter fidèlement
son époque, à la manière d’un mémorialiste, il
traduit en peinture, avec minutie, diverses réalités
page 34 / commedia
À la manière de Goldoni, avec lequel il noue
une longue amitié, il pose sur les hommes, en
particulier les biens nantis, un regard teinté
d’ironie, notamment « dans la description
de personnages richement vêtus, dans leurs
appartements, guindés dans leur vie de luxe et
de farniente »2. Or, contrairement à l’auteur de
théâtre, qui n’épargne pas de ses satires cette
société déliquescente, Longhi représente ses
semblables avec une sorte de bienveillance. Chez
lui, la moquerie, comme dans les célèbres tableaux
L’Arracheur de dents (1746) ou Le Rhinocéros (1751)
n’est jamais lapidaire mais délicate, teintée de
fraîcheur. Il meurt à Venise en 1785, au terme
d’une longue vie dédiée à la représentation fidèle
de son époque.
Rosalba Carriera est née en 1675 à Chiogga, ville
où Goldoni a passé une partie de sa jeunesse.
Elle est l’une des premières miniaturistes
européennes. Elle exerce d’abord son art à Venise
à une époque qui, certes, accordait beaucoup de
liberté aux femmes mais où peu d’entre elles
étaient pleinement engagées dans une carrière
de peintre. Sa trajectoire artistique, de même que
l’immense succès remporté par ses tableaux, sont
donc exceptionnels. Elle abandonne très tôt l’art
2
www.italie-découverte.com
sur la toile, sans effectuer de dessin préalable,
Carriera lance la mode du pastel en Europe, en
particulier à Paris, où elle effectue un séjour
en 1720. Là, du matin au soir, elle est accablée
de demandes qu’elle peine à remplir : tous les
mondains, toutes les belles dames de la Régence
désirent obtenir leur portrait. Elle exécute, entre
autres, ceux du jeune roi Louis XV, du Régent, des
princesses de Conti et de bien d’autres jeunes
femmes dont l’histoire n’a pas conservé le nom.
Son influence est grande, et durable, sur les
portraitistes français. En 1723, elle se retrouve
à la cour d’Este à Modène, en Italie, et en 1730 à
Vienne. Elle meurt à Venise en 1757, laissant une
œuvre toute en finesse, nimbée de sensibilité.
 Rosalba Carriera, auto-portrait, 1715
de la miniature, où pourtant elle excelle, pour se
consacrer quasi exclusivement à la pratique du
portrait, caractérisé chez elle par le raffinement
du trait et l’extrême attention portée au détail et
à l’expressivité. Son style, quoique marqué par
l’influence du rococo vénitien, notamment par la
peinture de son beau-frère Gian Antonio Pellegrini,
est unique : le trait est sûr, régulier, mais empreint
de légèreté. Une sorte d’évanescence, due à
l’usage exclusif du pastel, se dégage de chacun
de ses tableaux. À ce style « appartiennent les
couleurs claires et aérées, le sfumato des formes,
comme effrangées, la sensibilité mondaine et
souriante, mais très cordiale et humaine, la grâce
poudrée des dames et des chevaliers »3.
Antonio Lucio Vivaldi est né à Venise en 1678.
Celui qu’on surnommait « le prêtre roux » à cause
de sa chevelure flamboyante a créé une œuvre
musicale foisonnante qui a profondément influencé
ses contemporains et plusieurs compositeurs
 Portrait par François Morello de La Cave,
1723, d’un violoniste vénétien considéré
comme étant Vivaldi.
Si, contrairement à Longhi, elle ne teinte pas
d’ironie ses représentations d’hommes et de
femmes du monde, elle partage avec ce dernier
un souci pour le réalisme du rendu. Les visages
affichent mille détails, et, les regards, malgré la
légèreté et la clarté des couleurs, sont vifs, ou
profonds, et révèlent la complexité du monde
intérieur du personnage. Peignant directement
Laclotte, Michel et Jean-Pierre Cuzin (Dir.), Dictionnaire de la peinture,
Paris, Larousse, 2003, p. 158.
3
commedia / page 35
DOSSIER
européens des générations suivantes, notamment
Bach et Telemann. Vivaldi était d’abord un
violoniste virtuose. Aussi, bien qu’il ait écrit
plusieurs concertos de soliste pour d’autres
instruments (piccolo, hautbois, basson, mandoline,
viole d’amour…), et bien qu’il ait composé des
cantates, de la musique lyrique et de la musique
sacrée, il s’est fait connaître avant tout grâce
à ses pièces pour violon. Très prisée en Italie,
sa musique a aussi enchanté, plusieurs années
durant, les mélomanes de toute l’Europe, grâce au
travail des copistes et des imprimeurs. Impresario
du Teatro San Angelo de Venise pendant plusieurs
années, Vivaldi y fit jouer plusieurs de ses opéras.
Compositeur prolifique, il se targuait de pouvoir
écrire un concerto plus rapidement que le copiste
ne pouvait le transcrire ! En juillet 1741, au soir
d’une vie entièrement consacrée à la musique, il
s’éteint dans la misère, à Vienne, et est enseveli
le jour même dans le cimetière de l’hôpital. Sa
dépouille est accompagnée par le « glas simple »
réservé aux gens de modeste condition ou aux
personnes seules et sans attaches. Il sombre
rapidement dans l’oubli. L’époque baroque, en
effet, « considère que l’œuvre d’art ne vaut que
dans l’instant et meurt avec son créateur »4. Ce
n’est qu’au XIXe siècle que le compositeur est
redécouvert grâce à des retranscriptions réalisées
à l’étranger. Son œuvre, immense, solaire, ne sort
pleinement de l’obscurité qu’au siècle suivant.
Ses Quatre Saisons comptent aujourd’hui parmi
les pièces les plus jouées au monde.
S’il est vrai que la période baroque exalte l’instant
présent et que nombre de créateurs, à l’instar
de Vivaldi et de Goldoni, disparaissent dans
l’indifférence, l’art du XVIIIe siècle ne s’inscrit
pas dans l’éphémère. Grâce au travail patient de
ceux qui l’ont redécouvert, perpétué, ou réinventé,
parvient aujourd’hui jusqu’à nous une sensibilité
artistique qui, à travers ses multiples déclinaisons,
à ouvert la voie à de nouvelles représentations du
monde. Des représentations qui, s’éloignant de
la figuration des mythes profanes et religieux, se
sont attachées à montrer la réalité des hommes et
des femmes de leur temps, révélant leur beauté de
même que leurs failles et leurs fragilités.
Catherine Cyr
Patrick Barbier, La Venise de Vivaldi. Musique et fêtes baroques. Paris,
Grasset, 2002, p. 261.
4
page 36 / commedia
Le XVIIIe siècle : quelques
repères
1673
Mort de Molière
1678
Naissance de Vivaldi
1688
Naissance de Marivaux
1696
Naissance de Tiepolo
1697
Bannissement des acteurs italiens de France. Leur retour est autorisé
en 1716
1701
Naissance de Longhi
1707
Naissance de Goldoni
1714
Les Turcs déclarent la guerre à Venise
1720
Naissance de Gozzi
Inauguration du Haymarket Theatre Royal de Londres
1725
Naissance de Casanova
1729
La Passion selon saint Matthieu de Bach
1732
Naissance de Beaumarchais
1732
Goldoni devient avocat au barreau de Venise
1734
Engagement au Théâtre San Samuele
1736
Venise devient port franc
1737-1741
Goldoni dirige le Théâtre San Giovanni Crisostomo
1738
Paix de Vienne
1741
Le Messie de Händel
1741-1743
Goldoni est consul de la République de Gênes à Venise
1744
La Donna di garbo (La Brave Femme) : premier texte de Goldoni
entièrement rédigé
1745
Goldoni à Pise comme avocat
1748
Goldoni signe un contrat avec Girolamo Medebach pour le Théâtre
Sant’Angelo
1749
Début de la rivalité Goldoni / Chiari
1750
La Famiglia de il antiquario (La Famille de l’antiquaire) premier texte de
Goldoni joué sans masques. Goldoni écrit seize comédies en un an pour
le Sant’Angelo
1751
Publication en France des deux premiers volumes de l’Encyclopédie
commedia / page 37
DOSSIER
1753
Goldoni signe un contrat avec les frères Vendramin pour le Théâtre San
Luca
Création de La Locandiera
1756-1763
Guerre de sept ans entre l’Angleterre et la France
1757
Luttes Goldoni / Gozzi. Gozzi compose ses Fables théâtrales pour le
Théâtre San Samuele
1758
Lettre sur les spectacles de Rousseau
1759
Ouverture du premier théâtre public en Russie
1761
L’Amour des trois oranges de Gozzi
1762
Exil de Goldoni en France ; Fusion de la Comédie-Italienne avec l’OpéraComique ;
Le Roi Cerf et Turandot de Gozzi
1763
Mort de Marivaux
1764
Construction du Théâtre de Drottningholm à Stockholm
1765
L’Éventail de Goldoni triomphe au Théâtre San Luca. Goldoni est à
Versailles, maître de langue de la princesse Adélaïde, fille de Louis XV
1767
Naissance de Napoléon
1771
Présentation du Bourru bienfaisant à Paris, à la Comédie-Française
1773
Le Paradoxe sur le comédien de Diderot
1776
Déclaration d’indépendance des colonies américaines
Traduction française des œuvres de Shakespeare
1778
Inauguration du Théâtre de la Scala à Milan
1783
Paix de Versailles et naissance des États-Unis d’Amérique
1784
Goldoni commence à écrire ses Mémoires en français
1789
Déclenchement de la Révolution française.
Lodovico Manin, 120e et dernier Doge
1793
Mort de Goldoni à Paris
1797
Traité de Campo Formio. L’Autriche reçoit Venise et ses Territoires en
échange de la Belgique et de la Lombardie. La France annexe Corfou,
Zante et Céphalonie
Sources : Françoise Decroisette, Venise au temps de Goldoni, Hachette 1999
Nicola Mangini, Goldoni, Seghers 1969
page 38 / commedia
Pour en savoir plus...
Sur Carlo Goldoni
Les fourmillants Mémoires du dramaturge italien ont
abreuvé, en partie, l’élaboration de Commedia. Dans
cet ouvrage rédigé à la fin de sa vie, l’auteur raconte
son long parcours d’homme de théâtre, depuis son
enfance sous le signe du spectacle jusqu’aux succès
et aux tumultes de sa longue carrière. Cultivant la
nostalgie de l’Italie, il en brosse aussi un portrait
idéalisé. Il existe plusieurs éditions de l’ouvrage.
À la Grande Bibliothèque de Montréal, on peut
trouver celle établie et annotée par Paul de Roux :
Mémoires de M. Goldoni pour servir à l’histoire de
sa vie et à celle de son théâtre, Paris : Mercure de
France, 2003 (1988).
Gérard Luciani, professeur à l’Université Stendhal
de Grenoble et spécialiste du théâtre vénitien est
l’auteur d’une monographie à la fois accessible
et très minutieuse portant sur la vie de Goldoni
comme sur son théâtre. Le chercheur présente,
notamment, le contexte artistique et socio-politique
dans lequel a pris naissance la réforme théâtrale
goldonienne. Il met en lumière plusieurs aspects
de celle-ci avec de nombreux exemples tirés des
pièces de l’auteur. L’ouvrage s’intitule Carlo Goldoni
ou l’honnête aventurier. Il est publié aux Presses
Universitaires de Grenoble (2002).
Un dossier de la revue JEU a été consacré à La
Locandiera de Goldoni, monté au TNM par Martine
Beaulne. Dans ce dossier, on lira, en particulier,
l’article de Giuseppina Santagostino, « Carlo Goldoni
et sa double réforme », p. 9-16. Les Cahiers de théâtre
JEU, no 70, 1994.1.
Le Cahier no 80 (Automne 2011) du Théâtre DenisePelletier a été consacré à la production d’Il Campiello
de Goldoni, production du Théâtre de l’Opsis et mise
en scène de Serge Denoncourt.
Sur Venise au XVIIIe siècle
Professeure de langue et de civilisation italiennes à
l’université de Paris-VIII, Françoise Decroisette signe
un ouvrage incontournable, richement documenté,
sur la vie à Venise au XVIIIe siècle. Spécialiste
du théâtre et de l’opéra italiens, l’auteure allie,
dans ce livre intitulé Venise au temps de Goldoni
(Hachette, 1999), la mise en perspective historique
et des citations tirées de l’œuvre du dramaturge et
de certains de ses contemporains. Les systèmes
économique et socio-politique y sont abordés, de
même que divers aspects de la pratique artistique
et de la vie quotidienne.
Intéressée par la condition féminine à Venise au
XVIIIe siècle, Elisabeth Ravoux-Rallo, qui enseigne
la littérature comparée à l’université de Provence,
a écrit La Femme à Venise au temps de Casanova
(Stock, 1984), imposant ouvrage qui expose les
ambitions, les luttes et les créations de nombreuses
femmes, que celles-ci appartiennent à la classe
populaire ou à la noblesse. Son étude est d’autant
plus passionnante qu’elle fait une large place à des
textes originaux et méconnus, écrits par les femmes
elles-mêmes.
Sur le théâtre
Dirigé par Daniel Couty et Alain Rey, l’ouvrage
collectif Le théâtre (Bordas, 1995) comporte un
chapitre intitulé « La commedia dell’arte : l’acteur
au centre de la création ». Cette étude présente
la commedia dell’arte et ses spécificités, de son
origine jusqu’à son déclin. En outre, ses pages
sont magnifiquement illustrées par des dessins et
reproductions de tableaux de l’époque.
Pour une recherche d’informations précises, qu’elles
soient historiques, esthétiques ou terminologiques,
on consultera le Dictionnaire du théâtre dirigé par
Patrice Pavis et publié aux Éditions Armand Colin.
Autres titres
Barbier, Patrick (2002), La Venise de Vivaldi. Musique
et fêtes baroques. Paris, Grasset.
Jonard, N. (2002), Histoire de la littérature italienne.
Paris, Ellipses.
Laclotte, Michel et Jean-Pierre Cuzin (Dir.) (2003),
Dictionnaire de la peinture. Paris, Larousse.
Luciani, G. (1992), Carlo Goldoni ou l’honnête
aventurier. Grenoble, Presses Universitaires de
Grenoble.
Nardone, J.-L. et A. Perli (2002), Anthologie de la
littérature italienne, 2, XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
Toulouse, Presses Universitaires du Mirail.
commedia / page 39
DOSSIER
POUR ALLER PLUS LOIN
En musique
Le Musée des beaux-arts de Montréal a présenté
du 12 octobre 2013 au 19 janvier 2014 une grande
exposition intitulée Splendore a Venizia – Art et
musique de la Renaissance au baroque à Venise.
Plusieurs des artistes contemporains de Goldoni,
des peintres comme des musiciens, y étaient à
l’honneur. Pour accompagner l’exposition, un
très beau disque compilation de quinze pièces
de grands compositeurs a été produit. Sur
celui-ci, on retrouve, notamment, des œuvres
d’Antonio Vivaldi, Claudio Monteverdi, Giovanni
Gabrieli et Tomaso Albinoni. Le titre du disque
est Splendore a Venezia et il est coproduit par
la maison montréalaise Atma et le Musée des
beaux-arts de Montréal.
Au cinéma
Bien des œuvres cinématographiques ont eu
pour cadre, au fil du temps, les rues et les places
de Venise. Filmée sous tous ses angles, les
plus somptueux comme les plus décadents, la
Sérénissime a été à l’honneur dans des films
de Federico Fellini (Casanova), Luchino Visconti
(Mort à Venise, Senso), Michelangelo Antonioni
(Identification d’une femme) et, plus récemment,
Woody Allen (Tout le monde dit I love you) et André
Téchiné (Impardonnables).
Sur le théâtre italien
Le chercheur Stéphane Resche a fait paraître,
récemment, un article portant sur la foisonnante
dramaturgie italienne actuelle. L’auteur présente
quelques écrivains phare et aborde les dimensions
thématiques et esthétiques des pièces de même
que certains aspects reliés à leur contexte de
production. L’article s’intitule « Nouvelles énergies
sud-italiennes ». Il est paru dans JEU Revue de
théâtre, no. 149, 2014.1
page 40 / commedia
Détecter, lors de la représentation,
les scènes …
Les scènes à l’école. Goldoni est renvoyé de
son collège. Il a le trac parce qu’il doit passer un
méga examen.
Les scènes entre Goldoni et son père qui veut lui
faire apprendre un métier qu’il n’aime pas.
Les scènes avec sa mère sur des femmes qu’il
devrait épouser alors qu’il en aime d’autres.
… et les moments …
De poésie…
De fureur et d’hypocondrie mais toujours branchés
sur une souffrance morale (sentiment de rejet, de
solitude, d’incompréhension)
De réflexions sur l’écriture qui sont orageuses et
qui relèvent d’une guerre des générations. … et les façons d’écrire.
Les scènes sont extrêmement courtes, le rythme
rapide, pour ne pas dire effréné.
La structure n’est pas linéaire ; c’est parfois
comme surfer sur internet.
Les scènes «sérieuses» sont toujours placées
entre deux scènes de jeunesse...
PETIT LEXIQUE
Mots
Basta ! : Tant pis ! Ça suffit ! Au diable !
Un benêt : Un idiot.
Bichonner : Caresser, embrasser, chouchouter,
prendre soin de…
Un bigot : Quelqu’un de très religieux.
Bougre, sodomite, Jésuite, Chevalier de la
Manchette : Homosexuel.
Castelet : Petit théâtre de marionnette.
Un censeur : Quelqu’un qui lit les pièces pour
enlever des extraits qui ne conviennent pas aux
règlements, lois, mœurs établis. Il peut aussi la
faire interdire.
Une charge : Un travail, une fonction effectuée
pour la République. Lorsqu’un membre de la
famille mourrait, il fallait payer pour permettre à
un parent de prendre sa place.
Une Donna : Une dame.
Une dot : Montant d’argent que la femme (ou son
père) donnait à son mari lors du mariage.
Encorner, Se faire poser des cornes : Être cocu.
C’est-a-dire être trompé (infidélité conjugale) par
sa femme.
Exécrable : Détestable. Mauvais.
Fourbe : Malhonnête.
Son génie : Son talent.
Gondolier : Qui pilote une gondole. Petit bateau
allongé, conduit à la rame.
Hypocondriaques : Des gens qui imaginent qu’ils
sont malades.
Un lourdeau : Un maladroit, un idiot
Médisances : Des propos méchants (sur quelqu’un
d’autre), faux, des racontars.
Minauder : Être affecté, jouer à la petite fille.
Des missives : Des lettres. Des messages.
Une muse : Qui inspire. Donne des idées. La muse
souffle à l’oreille du poète ce qu’il doit écrire.
Un prétendant : Un amoureux (qui prétend à la
main d’une femme ou à son amour).
Des pleutres : Des peureux.
Les Plombs : Prison de Venise. Annexe au Palais
des Doges.
Un protecteur : Un mécène. Quelqu’un qui offre de
l’argent à un artiste pour qu’il réalise une œuvre
d’art. Et qui à cette époque «défendait» l’artiste si
celui-ci rencontrait des difficultés avec la censure
ou la Justice.
Un puceau : Un garçon qui n’a jamais fait l’amour.
Une réforme : Un grand changement.
Une rente : Montant d’argent versé de façon
régulière.
Satyre : Personnage lubrique, obscène, vicieux. Ne
pas confondre avec une satire qui est une parodie,
une imitation parfois méchante de quelqu’un ou
quelque chose.
Des sequins : Ce sont des pièces de monnaie. De
l’argent.
Une soubrette : Une servante. Un personnage
souvent amusant et gai. Peut être fourbe parfois.
Suave : Doux.
Expressions
Avoir grand souci : Faire grand cas de quelque
chose. Y accorder une grande importance.
Brisons-là !: Mettre un terme à une discussion.
Arrêter de parler de quelque chose.
Donner une pièce : La jouer, la présenter.
Faire la lippe : Bouder.
Je me suis échiné : J’ai travaillé très fort.
La pièce est tombée : Elle n’a pas eu de succès, on
ne la présente plus.
Mener grand train : Vivre luxueusement.
On n’y comprend goutte : Ne rien comprendre !
Quelqu’un de basse extraction : Qui n’est pas de la
noblesse ou d’une grande famille.
S’attirer les faveurs : Les bonnes grâces,
l’affection, l’aide de quelqu’un.
Un joli minois : Un joli visage.
Établi par Pierre Yves Lemieux,
janvier 2014
commedia / page 41

Documents pareils