La marelle_210613

Transcription

La marelle_210613
A la gloire du Sublime Architecte des Mondes
La Marelle
R∴L∴ « La Monade» - Orient de la Garde
F :. M :. - 21 juin 2013
I
Une idée, une image, un mot… Tout ou presque est
prétexte à plancher.
« La marelle a la forme de la croix de vie égyptienne ou
bien d’une nef d’église »,
« On y joue en lançant sa petite pierre brute »,
« On retourne sur Terre sitôt le Ciel approché, presque
atteint »…
L’opportunité de réfléchir sur la symbolique ésotérique de
ce jeu des enfants d’aujourd’hui et peut-être des adultes
d’hier est séduisante, et quoi de mieux qu’une tenue mise
en récréation pour jouer à la marelle ?
Nous avons tous vu dans nos cours d’école et de colonies
de vacances des marelles, beaucoup droites, quelques unes
en spirale, et combien de fillettes y ont usé leurs
chaussures en espérant ne pas entendre la cloche
annonçant la fin prématurée du jeu ? Mais serait-ce un
jeu uniquement destiné aux enfants ? Peut-être
aujourd’hui dans la compréhension et l’application
profane des ses règles, mais plongeons nous quelques
siècles en arrière et nous aurions pu observer la noblesse
ou la nouvelle bourgeoisie du moyen-âge s’essayer à une
marelle assise dans la cour d’un château, sur le parvis
d’une église ou sur une table de jeu. Imaginons un instant
notre aïeul poussant un petit palet appelé « mérel » pour
tenter d’approcher la lumière du Ciel ou le centre du
monde en déambulant de manière bien ordonnée sur un
damier droit ou circulaire. Tout comme le pèlerin de
Compostelle dont le couvre-chef était orné d’une coquille
nommée « mérelle » (Mère de la Lumière), ces joueurs
devaient dans leur cheminement initiatique respecter des
II
règles bien précises : faire progressivement évoluer leur
pierre brute sans sauter de case sous peine de revenir en
arrière, ne pas placer le pied entre deux fenêtres au risque
de perdre irrémédiablement l’équilibre, ne pas poser les
deux pieds dans une même cellule pour éviter de passer son
tour. Notre ancêtre médiéval bien qu’ayant plus
certainement joué sur une marelle de table ou marelle
assise que sur un modèle contemporain ne serait pas
dépaysé de se retrouver dans la cour d’une de nos écoles,
les règles du jeu n’ayant guère évoluées depuis.
Il en serait peut-être de même pour ces romains y jouant
sur le forum de la Ville Eternelle, ou bien avant eux ces
grecs traçant les contours du jeu sur les marches de
l’Acropole.
Et puis remontons encore dans le passé de l’Egypte
Ancienne. Que dire de ces artisans bâtisseurs du temple de
Kurna inscrivant au ciseau sur leurs pierres taillées des
quadrillages réguliers et symétriques, ou bien encore ces
même figures géométriques richement décorées de
hiéroglyphes gravées dans la tombe de la reine
Hatshepsout qui devaient sans doute montrer à la royale
défunte quelle voie suivre pour atteindre le paradis
égyptien.
Etait-ce peut-être pour lui indiquer comment jouer son
destin dans la vie éternelle au royaume des morts en
jetant devant elle sa propre pierre, son âme?
La marelle porte autant de noms qu’il y a de peuples, elle
semble défier le temps et l’espace, des tribus de
Mésopotamie aux castes religieuses indoue, en passant
même par certains rites amérindiens.
Elle se décompose en de multiples variantes, debout ou
assises, carrées, droites, et même rondes en forme
d’escargot, ou de « coli-maçon ». Il semble du reste que ce
III
petit gastéropode dont la forme si particulière de la
coquille a inspiré la marelle circulaire, le jeu de l’oie mais
aussi des labyrinthes soit étrangement lié à la maçonnerie
comme peuvent tenter de l’expliquer certains essais. Aussi
je vous propose ce soir de jouer à la version la plus
démocratique de notre époque, la marelle droite dite « à
cloche-pied ».
Commençons donc notre partie qui débute comme la vie du
maçon : dans la Terre. C’est de cette Terre qu’il nous faut
partir pour tenter d’approcher in fine le Ciel en jetant
notre pierre sur la première case et c’est à cloche pied que
nous devons traverser les trois premiers états avant de se
stabiliser très brièvement sur les cases horizontales quatre
et cinq. Cette déambulation instable et hésitante n’est pas
sans rappeler celle du boiteux, cet être qui physiquement
déséquilibré lors de son initiation n’aura pour seul
objectif que de se redresser et d’apprendre à marcher droit.
Je profite de notre statut de claudicant pour glisser une
coïncidence glanée au fil de mes lectures : en grec ancien,
les mots boitement et marelle ont la même racine
grammaticale…
Encore une case isolée, le nombre six, franchie à clochepied puis de nouveau deux pavés horizontaux. Nous
approchons le Ciel mais impossible de l’atteindre, il nous
faut redescendre sur Terre, en ayant au préalable récupéré
notre caillou, réintégré notre âme. Il nous reste alors à le
relancer sur la case suivante, reprendre notre ascension
inachevée vers le Ciel puis recommencer encore et encore,
autant de fois qu’il y a d’étapes à franchir et d'état a
acquérir.
La première image que j’ai eue en pensant à cette
progression verticale et qui m'est apparue en observant
IV
des enfants y jouant dans la cour d’école de mon fils, a
été le cheminement du maçon dans la vie, de l’apprenti au
maître, en passant par le compagnon.
Un parcours de la Terre au Ciel, du cabinet de réflexion à
l’Orient. L’apprenti commence petit à petit à voir et
avancer mais il est encore hésitant dans sa démarche, il
n’a pas totalement quitté sa pantoufle de nouvel initié en
avançant à cloche pied sur les trois premières cases de sa
propre marelle. Trois cases, trois pas, une entrée au
premier niveau dans le grand temple de ce jeu initiatique.
Puis vient le grade de compagnon qui lui assure, en
apparence, une certaine stabilité. Ses yeux sont
maintenant ouverts et il sait mettre en application ce
qu’il a appris au premier grade. Il est d’aplomb, les deux
pieds au sol sur les fenêtres quatre et cinq. Mais son
travail n’est pas terminé pour autant, il doit rester
dynamique, ne pas se reposer sur sa stabilité temporaire et
son statut de maître ne sera atteint qu’après avoir été de
nouveau dans un état de recherche d'équilibre sur la
sixième case.
Arrivé enfin tout près du Ciel, le pied gauche sur la
septième fenêtre et le droit sur la huitième, l’état de
maîtrise est atteint et l’application du compagnon laisse
place à la transmission du maître.
Mais à ce moment-là le tout jeune apprenti que je suis se
demande ce que découvre le maçon qui devient maître ?
Il est arrivé au sommet de sa marelle, et pourtant le voici
qui se retourne, le dos au ciel qu’il ne peut encore toucher,
et redescend vers la Terre.
N’aurait-il pas découvert que la quête de l’Orient n’est
qu’un éternel recommencement ?
Que cette proximité relative du ciel lui éclaire l’esprit et
que ce qui se révèle à ses yeux n’est que le reflet de tout ce
qu’il ignore encore et qui lui reste à apprendre ?
V
Qu’il va peut-être devoir désapprendre tout ce qu’il a
appris pour ouvrir son esprit à de nouvelles réflexions ?
La lumière qui éclaire le maître ne serait-elle pas en fin de
compte l’image de sa nature profonde : le maçon est et
restera toujours un apprenti.
Tout comme le cycle déambulatoire axial, vertical et
symétrique de la marelle, du bas vers le haut puis du haut
vers le bas, la voie initiatique du maçon repose sur sa
remise en cause permanente de ses acquis. Pour mener à
bien sa quête il pousse sa pierre qui peu à peu le dirige
vers le ciel de la marelle droite ou le centre du monde de
la version en « escargot », et ce caillou, véritable pierre
philosophale du joueur sera le support de sa
transmutation par un chemin initiatique long et complexe.
Il devra faire preuve d’adresse, d’équilibre, de rectitude et
de précision dans la marelle de sa vie (je rappelle qu’il ne
doit d’aucune manière poser son pied sur une ligne, ou
bien se reposer, les deux pieds dans la même case). Il devra
également se montrer humble et patient en évitant de
lancer sa pierre directement au ciel au risque de passer son
tour et d’être aveuglé par une connaissance bien trop vive
pour lui.
La marelle ne serait-elle pas en quelque sorte le symbole
ludique de la voie humide de l’alchimiste, progressive,
longue et parsemée d’embuches ?
Au final, que nous en soyons conscient ou pas, que nous
marchions à quatre pattes, ou deux, ou trois, nous jouons
tous à la marelle en traversant différents état de l’être de
notre vie profane ou maçonnique. Les quelques modestes
axes de réflexion de cette toute première planche
apporteront peut-être lors de prochaine récréations des
idées sur la valeur ésotérique des jeux pour enfants et sur
VI
cette forme ancestrale et traditionnelle de transmission du
savoir.
N’ayant à peine trois ans, je ne peux que me hasarder à
faire les premiers pas de ma marelle initiatique, et c’est à
la lumière de celles et ceux qui ont les pieds dans les cases
supérieures que mon travail pourra peut-être m’approcher
du ciel, pour mieux redescendre sur terre et continuer la
partie.
J’ai dit
VII
VIII