Texte de l`atelier de Judi Chamberlin. Présenté lors de L`Événement

Transcription

Texte de l`atelier de Judi Chamberlin. Présenté lors de L`Événement
Texte de l'atelier de Judi Chamberlin.
Présenté lors de
L’Événement « survivre et sur vivre » organisé par Folie/Culture
Québec, novembre 1997
Conférence de Judi Chamberlin
(traduit par Caroline Bérubé, Charles Rice, Nicole Leclerc et Vesta Jobidon)
Instigatrice du mouvement de défense des droits des personnes psychiatrisées aux États-Unis
dans les années soixante-dix, Judi Chamberlin, ex-psychiatrisée, a inspiré plusieurs groupes
communautaires oeuvrant en défense des droits. Elle est l’auteure du livre culte On Our Own :
Patient-Controlled Alternatives to the Mental Health System, publié en 1978.
Voici le texte de la conférence qu’elle a prononcé à Québec en novembre 1997 dans le cadre de
l’événement « survivre et sur vivre » organisé par Folie/Culture. La présence de Madame
Chamberlin a été rendu possible grâce à la participation financière de Folie/Culture et du
Regroupement des ressources non-institutionnelles en santé mentale. Elle a d’ailleurs participé à
un déjeuner-causerie au lendemain de sa conférence, dont quelques groupes membres du
Regroupement étaient présents.
Au cours des vingt dernières années, de plus en plus de personnes ex-psychiatrisées s’impliquent dans
des activités d’entraide et de défense des droits. Aux États-Unis, là d'où je viens et même ici au Canada,
il existe de nombreux groupes oeuvrant à plusieurs niveaux (local, régional ou national) composés
exclusivement ou presque, de personnes qui ont reçu ou qui reçoivent des services psychiatriques. Ces
groupes s’occupent de la défense des droits individuels et collectifs, analysent les politiques sociales,
travaillent pour l’amélioration des lois, font de l’entraide, et développent des services alternatifs ou des
entreprises autogérées.
Il circule beaucoup de mythes à l’endroit des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Nous
sommes considérés comme des personnes violentes, dangereuses, menaçantes pour nous-mêmes ou
pour les autres, n'ayant aucun contrôle de soi, instables, incapables d'agir par nos propres moyens et
selon nos propres intérêts, etc. Il y a tellement de stéréotypes négatifs et si peu d'images positives
auxquelles nous pourrions nous identifier. Selon les médias, nous sommes soit de dangereux tueurs en
série, soit des itinérants pitoyables. Les stéréotypes sont pourtant loin de la réalité ; la plupart des gens
avec des troubles mentaux vivent très bien dans la société, élevant leur famille, travaillant, allant à l'école,
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donc la plupart du temps menant une vie essentiellement «normale». Beaucoup d’entre nous,
«survivants» de la psychiatrie, cachons nos états, croyant que si quiconque apprenait la vérité, nous
serions montrés du doigt ou victimes de discrimination. Mais, en refusant de s'identifier comme des
personnes ayant des incapacités, nous nous privons aussi de l'appui que d’autres personnes vivant la
même situation pourraient nous donner et de la possibilité de trouver des solutions qui pourraient rendre
nos emplois et nos vies plus faciles.
J'ai toujours refusé de cacher mon statut d'ancienne patiente psychiatrique, (je préfère le terme
«survivante » psychiatrique) depuis que je m’implique dans le mouvement de défense des droits des
personnes psychiatrisées, c'est-à-dire depuis plus de 25 ans. Il y a plus de 30 ans, j'ai été diagnostiquée
comme schizophrène chronique. On m'a alors expliqué que je devais m’attendre à vivre une vie très
limitée. Volontairement, je suis allée à l’hôpital, terrassée par une dépression après une fausse couche.
Je croyais pouvoir y trouver de l'aide et de la compréhension mais je me suis vite aperçue que personne
ne m'écoutait ou me prenait vraiment au sérieux. L’essentiel du «traitement» était constitué de fortes
doses de médicaments. Lorsque j'ai voulu protester et leur dire que les médicaments n’étaient pas
vraiment aidants, mon opinion ne comptait pour rien. On m’a même internée dans un hôpital pendant
plusieurs mois. Ce fut la pire période de ma vie. C’est la lutte que j’ai menée pour surmonter cette
période difficile et m’en sortir qui m’a amené à m’impliquer dans la défense des droits des personnes
psychiatrisées.
Notre mouvement existe pour revendiquer les droits des personnes.
Nous sommes un groupe opprimé, opprimé par les lois et l'attitude des gens, relégué au statut de
citoyens de deuxième ordre. L’un des principaux obstacles auquel nous faisons face est l’existence de
lois permettant l’internement involontaire dans les institutions ou les traitements psychiatriques forcés
tant dans les institutions que dans la communauté. Jusqu'à ce que nous puissions éliminer cette forme de
discrimination légalisée, nous ne pourrons pas être égaux.
Une autre question importante est celle du langage et de la terminologie. Les gens utilisent une multitude
de termes pour se définir : malade mental, institutionnalisé, bénéficiaire, client, usager de services,
survivant psychiatrique et consommateur en santé mentale. Récemment aux États-Unis, l'abréviation
C/S/X (consommateur, survivant, ex-patient) est devenu une façon commode pour contourner le
problème et exprimer ces termes en un seul. En Europe, «usager» est souvent utilisé pour décrire une
personne qui a reçu des services psychiatriques. Et ici au Québec, je crois que vous utilisez le terme
«psychiatrisé», qui se traduit en anglais comme quelqu’un qui a subi la « psychiatrisation ». Que
différents groupes utilisent différents termes, ou qu'ils utilisent une variété de termes parce qu'un seul ne
suffit pas, cela illustre bien l’importance qu’il faut accorder au vocabulaire pour nous définir ou définir
nos expériences. Ce processus est une partie importante d’une démarche d’autodétermination, parce
que le fait de se définir et d’être identifié comme «malade mentale » contribue à notre aliénation. La
question du vocabulaire et de la terminologie occupe donc une place particulièrement importante.
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Pendant le processus d’organisation du mouvement, nous avons découvert qu’il nous était plus facile
entre nous, anciens patients, d’exprimer notre colère, nos douleurs, nos sentiments sans que cela soit
considéré comme du délire ou de la paranoïa. À cet égard, la lutte que nous menons et les principes que
nous défendons s’apparentent à ceux menés par le mouvement des personnes handicapées. Mon travail
au sein du mouvement des personnes psychiatrisées de même que celui, plus récent, auprès du
mouvement de personnes handicapées m'a convaincu que nous devons continuer à défendre nos droits
par nous-mêmes et à revendiquer le droit de vivre une vie pleine et entière dans les milieux de notre
choix. Il y a encore trop de gens qui veulent nous forcer à retourner en institution, à revenir à un état de
dépendance, quémandant la charité, au lieu de prendre la place qui nous revient de droit, celle de
citoyen à part entière.
Les gens avec des troubles mentaux sont embauchés dans tous les domaines ; comme tout le monde,
nous possédons une gamme très variée de connaissances et d’habiletés. Mais nous sommes
malheureusement trop nombreux sans travail ou à travailler dans des ghettos d’emploi qui ne
correspondent aucunement à nos capacités. Il y a trop de programmes qui nous relèguent à des milieux
protégés, à exécuter des travaux ennuyants, très peu payés avec de faibles possibilités d'avancement.
Nous sommes plusieurs à avoir peur de travailler parce que nous ne voulons pas perdre notre sécurité
de revenu. Dans une société comme la nôtre, qui valorise les gens en fonction de leur travail, les
politiques qui nous empêchent de travailler sont aussi nuisibles pour nous que pour l'ensemble de la
société. D’autre part, nous ne voulons pas qu’on nous oblige à travailler, surtout pas dans des emplois
sous-payés, ce que plusieurs considèrent comme étant la seule chose que nous puissions faire. Tout
comme les autres personnes qui ont des troubles épisodiques, il y a des moments où nous pouvons très
bien fonctionner et d'autres pendant lesquels, l'emploi devient difficile, voire même impossible. Dans ce
cas, il nous faut aménager un environnement de travail qui reconnaisse la nature spécifique de notre
handicap.
Quel que soit le moyen utilisé pour surmonter nos difficultés et actualiser nos choix, (que ce soit par
l’entraide, le traitement psychiatrique, la réadaptation ou une combinaison des trois) il importe de se
rappeler que le but ultime est d'aider les individus à faire leurs propres choix et de les réaliser. C'est
vraiment dommage que trop souvent encore, plusieurs professionnels de la santé mentale décident à la
place de leurs patients au lieu de les aider à apprendre comment faire des choix. Nous devrions tous en
tant que citoyens, avoir le droit de réaliser nos rêves. Comme tout le monde, nous désirons un chez-soi
confortable, des activités journalières intéressantes et une vie sociale et amoureuse satisfaisante. Mais
puisque nous sommes des êtres humains faillibles et plus ou moins rationnels, nous vivons une
interminable succession de hauts et de bas, toujours à la poursuite de ces rêves. Ceux et celles qui
veulent contrôler les rêves de leurs clients, parce qu'ils croient que ces derniers sont incapables de faire
des choix, sont généralement plus concernés par des questions de sécurité et très peu par leur bonheur.
Si les professionnels sont véritablement dédiés à aider les gens, ils devraient se préoccuper autant de leur
quête de bonheur que d’assurer leur sécurité. S'ils ne le font pas, ils séparent les gens en deux groupes :
les normaux, qui ont des droits et qu’on encourage à être heureux, et les autres à qui on applique des
normes plus rigides et sévères et pour lesquels on décide pour leur « bien ».
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Laisser les gens faire et agir selon leur guise peut être inquiétant autant pour les intervenants que pour les
clients. Intervenir lorsqu'un client commet une bêtise empêche cette personne de faire des erreurs et
d’apprendre. En même temps, je reconnais le dilemme auquel les intervenants sont confrontés lorsqu’ils
décident de ne pas intervenir. Bien entendu, je ne propose pas qu'on laisse les gens commettre des
imprudences sans les aider dans leur réflexion, mais nous devons permettre aux clients d'être aussi
téméraires que n'importe qui d’autre.
Définir ses propres buts dans la vie est une tâche difficile et sans fin, qu'on ait ou non des problèmes
psychiatriques. Très peu de gens avancent dans la vie de façon linéaire avec un seul but en tête. La vie
peut prendre plusieurs tournants et souvent, on finit par faire quelque chose de tout à fait différent de ce
que l'on s'était fixé au départ. Combien d'entre-vous travaillez dans un domaine complètement différent
de celui dans lequel vous avez longtemps étudié ? Mais les personnes avec des problèmes
psychiatriques sont souvent traitées comme si le fait de changer d'idée est une sorte de «symptôme»,
alors que dans les faits, leur vie se déroule tout à fait normalement.
J'ai souvent entendu les professionnels dire que même s'ils appuient les principes de la «reprise de
contrôle sur leur vie » (empowerment) et du rétablissement (recovery), ils considèrent que ce n'est pas
possible pour leurs clients parce qu’ils sont soi-disant trop malades, trop incapables ou trop démotivés.
Lorsque j'entends ces propos, je veux en savoir plus sur les programmes mis de l’avant par ces
professionnels et sur ce qui s’y passe. Je sais que ceux qui m'ont soignée pensaient la même chose de
moi. C'est le dilemme du «bon patient». Le «bon patient» est celui qui est complaisant, qui fait ce qu'on
lui demande, qui ne cause pas de problème, mais qui ne s’améliore vraiment jamais. Le «bon patient» est
souvent celui qui aura perdu tout espoir et qui aura intériorisé la vision très limitée que le personnel a de
son potentiel .
Les professionnels et les patients ont généralement des idées très différentes de ce que signifie le mot
«rétablissement» (recovery). Pour moi, «rétablissement» (recovery) ne veut pas dire que je nie mes
problèmes ou prétendre qu'ils n'existent pas. J'ai beaucoup appris des gens handicapés physiquement,
qui conçoivent le processus de rétablissement (recovery) non pas nécessairement en terme de retrouver
l'usage de ce qu'ils ont perdu mais de trouver des moyens pour compenser ou remplacer ce qu'ils ne
sont pas capables de faire. Les personnes les plus capables que je connaisse, dans tous les sens du
terme, sont militantes au sein du mouvement des personnes handicapées physiques. Elles ne peuvent
peut-être pas voir, ni entendre, ou bouger, mais elles ont trouvé des moyens pour faire ce qu'elles
veulent malgré leurs difficultés et parfois même en dépit des professionnels qui leur conseillaient de ne
pas même essayer. Sans rêves, sans espoir pour l’avenir et sans désir d’avancer dans la vie, nous
devenons véritablement des cas chroniques et désespérés.
Maintenant, je tiens à préciser que je ne dis pas que les professionnels de la santé mentale sont
foncièrement de mauvaises personnes qui veulent tous nous garder comme patients et qui ne veulent pas
que l'on s’en sorte. Ce que je dis c'est qu’il y a quelque chose dans le fait d'être un «bon patient» qui est
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incompatible avec le processus de reprise de contrôle (empowerment) et de rétablissement (recovery).
Lorsque moi et mes pairs, qui sommes aujourd’hui des leaders au sein du mouvement, échangeons sur
nos expériences, nous constatons que nous étions tous considérés comme des «mauvais patients». Nous
étions tous «peu coopératifs», «résistants au traitement» (non compliant), «manipulateurs», et avions
«peu de jugement». Nous étions souvent ceux à qui l'on disait que nous n'allions jamais nous en sortir. Je
sais, j’en étais ! Mais 25 ans de militantisme au sein du mouvement a été pour moi déterminant dans ma
propre démarche de rétablissement (recovery).
Les personnes qui sont en santé psychologiquement sont supposément fortes et capables de s’affirmer.
Ce sont les esclaves et les sujets qui doivent être «fidèles» (compliant). Pourtant, la «fidélité au
traitement» (compliance) est, chez les professionnels, une caractéristique importante pour déterminer
comment nous nous portons. Être un «bon patient» devient encore plus important que le fait de se porter
mieux. C'est tout comme le dilemme d'une femme saine versus une personne saine. Les chercheurs ont
découvert qu'une personne adulte saine sur le plan affectif (peut importe le sexe) devrait être sûre d'elle,
capable de s’affirmer et déterminée, alors que la femme saine, elle, devrait faire passer les besoins des
autres avant les siens. Si vous êtes une femme et que vous remplissez le rôle stéréotypé de la femme,
vous n’êtes pas une personne saine sur le plan émotif selon le premier critère. Par contre, si vous êtes
une personne forte et qui s’affirme, vous ne serez pas considérée comme une femme saine selon le
second critère.
Tous les patients démotivés dont j'entends parler sont ceux qui acceptent en silence la vision des autres
sur ce que leur vie devrait être. Lorsque je demande aux professionnels ce qui démotive leurs patients,
ça se résume à des tâches telles que laver les planchers ou la vaisselle ou encore assister à des réunions
insignifiantes. Seriez-vous motivés à révéler vos plus grands secrets à un pur étranger, par exemple, à
quelqu'un en qui vous n'avez aucune raison de faire confiance ? Et plus important encore, devriez-vous
être «motivés» à le faire ? Les gens en général sont motivés à faire les choses dont ils ont envie, ou qui
vont leur apporter ce qu'ils désirent. Ce n'est pas parce qu’une personne est diagnostiquée «malade
mentale », que ce fait fondamental de la nature humaine change. Tout le temps et l'énergie que les
professionnels de la santé mentale semblent consacrer à «motiver» leurs patients à faire des choses qu'ils
ne veulent pas faire, seraient mieux investi, je pense, s'ils les aidaient à trouver ce qu'ils désirent vraiment,
tout en leur donnant des moyens pour les réaliser.
Il faut commencer à encourager les gens à rêver et à articuler clairement leur propre vision de leur
avenir. Nous ne pouvons peut-être pas réaliser tous nos rêves, mais souhaiter et espérer sont la
nourriture de l'âme. Nous avons tous besoin d'aspirer à des buts dans la vie, des buts que nous
déterminons nous-mêmes et qui sont individuels et personnels. Je me sens écrasée lorsque je visite des
programmes qui ne font rien d’autre que de préparer les clients à devenir des résidents permanents de
familles d’accueil ou de pavillons ou à travailler à un emploi à temps partiel dans un travail manuel et
ennuyant. Et si, en tant que visiteur, je me sens écrasé, imaginez comment les personnes qui sont prises
au piège dans ces programmes se sentent.
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Voilà pourquoi il est si important pour nous de travailler dans le sens de la «reprise de contrôle»
(empowerment) et de l'autodétermination, pas seulement pour les quelques chanceux que certains
professionnels estiment capables de vivre une vie normale, mais pour tous ceux et celles qui ont des
problèmes psychiatriques quelque soit leur niveau d'incapacité. Le processus de rétablissement
(recovery) est vraiment pour tout le monde, si nous le définissons correctement comme étant la
possibilité de vivre une vie pleine et entière selon nos propres choix, selon notre niveau d'incapacité et
avec les soutiens que nous considérons comme nécessaires pour réaliser notre but. Comme usagers,
nous devons nous regrouper pour insister sur le fait que ce sont nos opinions et notre vision qui doivent
guider les pratiques des professionnels, ces pratiques doivent nous aider à réaliser les buts que nous
avons choisis nous-mêmes. Il faut arrêter de laisser les professionnels décider à notre place et prendre
le contrôle de ce qui est, après tout, nos vies.
Judi Chamberlin
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