PLAIES VERTEBRO-MEDULLAIRES PAR ARME

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PLAIES VERTEBRO-MEDULLAIRES PAR ARME
Rachis,
1992, vol. 4, n° 5, pp. 293-298
FAIT CLINIQUE
PLAIES VERTEBRO-MEDULLAIRES PAR ARME BLANCHE
A propos d'un cas.
SIDE-ARMS CAUDES VERTEBRO-MEDULLARY
About one case.
WOUNDS
Ph. PERNOT*, S. RIGAL**, J.F. LADAGNOUS***
*SeNice de Neurochirurgie H./A du Val-de-Grâce, 75013 Paris
**SeNice de Chirurgie Orthopédique, H./A Bégin, 94 Vincennes
***SeNice d'Anesthésie-Réanimation, H./A Bégin, 94 Vincennes
RESUME
SUMMARY
A propos d'un cas, les auteurs rapportent les données de la
littérature concernant les plaies vertébro médullaires par
arme blanche. Leur rareté est soulignée, et une attitude
chirurgicale active est proposée.
One case of cauda équina stabwound is reported. ln
civilian spinal cord injury, stabwound are extremely rare
and the authors describe the principles of treatment.
Mots clés: Plaies vertébro médullaires - Plaies par armes blanches Traumatisme du rachis.
KEY WORDS: Stabwound of the spinal cord - Spinal cord injury.
Plaies de la moelle et des racines par agent vulnérant, les
plaies vertébro médullaires sont classiquement rares en
pratique civile (4) plus souvent rencontrées en pratique
de guerre (5 % des blessés selon CARA YON - 2 -) et
volontiers
associées
à des atteintes
viscérales
en
particulier thoraco-abdominales
dont la gravité met en
jeu le pronostic vital. Le pronostic fonctionnel est, quant
à lui, souvent défavorable.
Les progrès réalisés dans l'industrie
de l'armement,
l'accés de nombreux pays à un degré de développement
autorisant
l'abandon
d'armes
rustiques
au profit
d'engins
sophistiqués,
font que les plaies vertébro
médullaires
par arme blanche sont exceptionnelles.
Nous voudrions à propos d'un cas récent, rapporter les
données de la littérature
et proposer
une attitude
thérapeutique
utile au chirurgien
de garde ou au
neurochirurgien.
293
Ph. PERNOT, S. RIGAL, J.F. LADAGNOUS
OBSERVATION
Madame ,
est admise le 19/11/1991 au soir, au
service d'urgence de l'H,I.A, Bégin, victime d'une
agression par arme blanche, elle présente un couteau
de type "Buck" fiché jusqu'à la garde sur l'axe rachidien,
au niveau de l'épineuse de L2, strictement médian.
La patiente, consciente, ne présente aucun signe de choc
et l'examen neurologique rapide ne révèle qu'un déficit
crural droit et gauche incomplet, des troubles sensitifs
dissociés dans les territoires L3 à S1. Il n'existe par
ailleurs pas de lésion vasculaire évidente.
Le bilan radiologique confirme que l'extrémité de la lame
est intra canalaire en LI L2,
L'intervention conduite en urgence permet de réaliser un
parage des plans superficiels, une laminectomie centrée
sur le niveau lésionnel. Il existe une effraction durale
nette, La lame pénétrant au niveau de la queue de cheval
droite était fichée au delà de la face antérieure du
fourreau, au niveau du corps vertébral. La mobilisation,
prudente, permet l'ablation sans dommage du couteau,
puis après toilette soigneuse, une fermeture durale
étanche, Les plans superficiels sont fermés plan par
plan après parage, sur drainage, et une antibiothérapie à
large spectre est alors instituée. Dans les suites, les
troubles moteurs et sensitifs vont régresser en 24 heures,
et aucune fistule de liquide céphalorachidien
ou
complication infectieuse n'est apparue, La patiente a
quitté le service de Chirurgie au dixième jour, et une
I.R,M. de contrôle effectuée au deuxième mois confirmait l'absence de lésion séquellaire, en particulier de
kyste arachnoïdien ou de méningocèle.
DISCUSSION
Ce cas particulier par l'atteinte basse du canal rachidien
et de son contenu, par son évolution favorable nous
semble intéressant à rapporter, car présentant à notre
avis plusieurs caractéristiques
des plaies vertébro
médullaires par arme blanche:
Arme peu sophistiquée
Si les qualités du "Buck Knife" sont mondialement
appréciées des amateurs d'arme blanche, l'instrument ici
en cause était de piètre facture, imitation produite au
Pakistan, et dont le ressort de blocage n'avait d'ailleurs
pas résisté au coup (ainsi que l'atteste la figure nO 3),
L'aspect souvent folklorique des armes utilisées est bien
noté: pics à glace, rayons de bicyclettes, tournevis etc.
Figure 1.
Aspect radiologique
294
(face et profil).
PLAIES
VERTEBRO-MEDULLAIRES
PAR ARME
BLANCHE
Le caractère sordide des conditions
étiologiques est également notable
Agression par traitrise, ou parfois poignardages volontaires au niveau de la colonne dans un but de punition (5,
7)
L'état neurologique initial.
La nécessité d'un geste chirugical complet et rapide font
enfin le pronostic
Il s'agissait là d'une lésion bas située, la lame écartant les
racines de la queue de cheval sans créer d'autres lésions.
Une atteinte plus haut située au niveau de la moelle
dorsale ou du cône aurait, à coup sur, entrainé des
dégats neurologiques majeurs.
Données de la littérature
Les publications concernant les plaies vertébto médullaires en général, sont peu nombreuses et concernent
presque essentiellement la pathologie de guerre, ce qui
est logique. Lorsque l'on s'intéresse aux plaies par arme
blanche les travaux sont encore plus rares, ou bien
l'étiologie n'est que citée au sein d'une casuistique plus
générale.
Figure 2
Aspect pré-opéraloirc.
- Petren(8), en 1910, recense 100 cas publiés.
- Rand et Patterson(9), rapportent,
en 1929, 7 cas de
plaies vertébro-médullaires
par arme blanche, à Los
Angeles en 6 ans (0,4 % des blessés médullaires traités
durant la même période).
- Rosenborg(lO) en 1957 à propos d'une série personnelle de 3 observations
rapporte
19 cas traités en
Californie sur une période de 33 ans.
- Carayon et V. Abdré (2) dans le rapport des plaies de
guerre de la moelle rapportent 295 observations traitées
en Indochine, les lésions par balles et éclats étant les plus
nombreuses. La fréquence des plaies par arme blanche
n'est pas citée mais probablement infime.
- Meirowski en 1965 (6) à propos des cas de la guerre de
Corée publie 387 plaies médullaires pénétrantes dont
16 % par "agent autre que balles et éclats". La
répartition
étiologique
est, on le voit, peu précise.
Notons que dans cette série la mortalité est extrêmement faible (3,6 %)
- Acquaviva en 1968 (1) rapporte 12 plaies vertébro
médullaires
par arme blanche (2,8 % des blessés
médullaires suivis).
Enfin, plus récemment, ce sont les statistiques
Sud
Africaines qui sont les plus nombreuses:
- Lipschitz (5) en 1976 rapporte
314 cas de plaies
vertébro médullaires par arme blanche pris en charge
entre 1955 et 1973 à Johannesburg.
- Un an plus tard, Peacock et coll(7) rapportent 450 cas
recensés au Cap sur une période de 13 ans.
Figure 3
Aspect per-opératoire.
Ces auteurs ont le mérite d'insister sur la fréquence des
syndromes
d'hémisection
médullaire
type Brown
Sequard, mais atypiques en particulier dans l'atteinte
motrice.
Les statistiques américaines lors de la guerre du Vietnam
concernent, elles, les plaies vertébro médullaires dans
leur globalité et il est souvent difficile de retrouver les
plaies par arme blanche, habituellement incluses dans les
"causes diverses" (14 cas sur 114 blessés pour Jacobson
en 1970 (3).
Au total, il s'agit donc d'une étiologie très rare en
pratique civile et en pratique de guerre, et, à l'exception
des séries Sud Africaines, les publications concernant ces
lésions sont peu nombreuses.
295
Ph. PERNOT, S. RIGAL, J.F. LADAGNOUS
Données cliniques
S'agissant
des lésions rachidiennes
et neurologiques
ouvertes,
volontiers
associées
à d'autres
atteintes
viscérales,
le traitement
logique est chirurgical,
si
possible complet et définitif en un temps. Cette attitude
à notre sens systématique doit être appliquée au même
titre que devant une plaie cranio-cérébrale,
ou devant
toute plaie par arme blanche qui doit être au minimum
parée. Quelques points essentiels doivent néanmoins être
signalés:
• La mise en condition, les gestes de réanimation
qui
peuvent s'imposer dans le ramassage du blessé sont
essentiels: c'est le traitement d'une urgence respiratoire,
d'un état de choc, c'est le déplacement
du blessé en
utilisant
toutes les précautions
dues à une lésion
rachidienne.
Le bilan clinique neurologique, simple mais complet doit
constituer une référence pour la surveillance de l'évolution. L'arme en place ne doit pas être retirée intempestivement avant l'arrivée en milieu chirurgical.
• Après bilan biologique
d'urgence,
le bilan radiologique sera pratiqué:
clichés simples, éventuellement
TDM ou IRM (problème des artéfacts) , la myélographie
peut dans certaines conditions garder son intérêt.
Le temps neurochirurgical
doit s'articuler avec les autres
gestes (abdominaux ou thoraciques nécessaires) mais si
possible dans le même temps anesthésique.
Ce traitement
neurochirurgical
visera à explorer les
lésions: abord centré sur le point d'entrée, habituellement postérieur et après parage superficiel.
En dehors des considérations
étiologiques,
et du
caractère parfois folklorique des instruments en cause,
largement dominés par le couteau (84,2 % dans la série
de Peacock (7), le sexe masculin est le plus souvent
intéressé en tant que victime (60 à 84 % des cas), et dans
une tranche d'âge inférieure à 30 ans dans 70 % des cas
(7)
Sur le plan anatomo-pathologique,
tous les éléments
anatomiques peuvent être intéressés, le niveau lésionnel
le plus souvent rencontré
est thoracique,
la région
cervicale venant en deuxième position,
En ce qui
concerne la dure mère, il est évident que son ouverture
sera à la fois plus nette et plus fréquente lorsque l'arme
est effilée et tranchante.
Ce caractère souvent franc de la blessure durale est à
distinguer des lésions méningées par éclats et balles où il
existe souvent une attrition durale rendant illusoire, ou
au moins difficile, la réfection d'un plan étanche,
Les lésions médullaires pourront être liées:
• A une atteinte directe, l'agent vulnérant
pouvant
sectionner complètement
ou partiellement
la moelle,
entrainant un déficit neurologique sous lésionnel d'emblée, L'hémisection
médullaire par atteinte unilatérale,
classiquement décrite est souvent cliniquement dissociée.
• Indirectement, à des lésions vasculaires à l'origine de
syndromes
neurologiques
déficitaires
ascendants
en
rapport avec un oedème médullaire,
par contusion,
refoulement de la moelle par l'agent vulnérant restant
là extra-médullaire,
ou par un hématome intra rachidien.
Les fragments osseux, discaux éventuellement compressifs sont moins souvent en cause que lors des plaies par
projectiles, ou balles à haute énergie.
Au total, le tableau clinique sera fonction du niveau de la
lésion médullaire, du caractère complet ou incomplet du
déficit et enfin des lésions viscérales associées, graves en
particulier lorsque le niveau est cervical (plaies carotidojugulaires, plaies oesophagiennes,
plaies trachéales ou
thoraciques) .
La laminectomie est un temps essentiel à la décompression et à l'exploration
correcte du contenu du canal
rachidien. Le parage duraI sera si possible économique,
et après lavage au sérum tiède, évacuation des éventuels
corps étrangers intra duraux, fragments osseux, débris
d'origine externe, une toilette médullaire sera réalisée
ainsi qu'un bilan lésionnel précis. L'hémostase devra être
obtenue avant fermeture durale étanche en s'aidant au
besoin d'une plastie d'agrandissement
(fascia lata,
aponévrose lombaire plutôt que matériel prothétique).
Enfin, le recalibrage du canal rachidien, la réduction
d'éventuelles déformations,
et la fixation peuvent être
rendus nécessaires en fonction des dégats osseux et
discoligamentaires
associés.
Un parage élargi des plans superficiels sera réalisé puis
une fermeture
sans tension,
sur drainage.
En cas
d'attrition
musculo-anévrotique,
rare lorsqu'il
s'agit
d'armes blanches, le plan duraI restera le seul rempart
contre l'infection et devra donc être particulièrement
étanche. Les traitements associés comprendront
outre
l'antibiothérapie,
une corticothérapie
immédiate
au
même titre que les lésions médullaires
traumatiques
ha bi tuelles.
TRAITEMENT
Si certains auteurs, en particulier Lipschitz (5) ne voient
d'indication
chirurgicale
qu'en cas d'agent vulnérant
resté en place, en cas de processus infectieux évident, ou
en cas de fistule de liquide céphalorachidien
ne se
tarissant pas spontanément,
nous avons tendance à
considérer au contraire les plaies vertébro médullaires
comme des lésions à explorer chirurgicalement
de
pnnClpe.
• Les complications classiques sont représentées par les
fistules de liquide céphalo rachidien dont la fréquence
variable (4 à 6 % dans les grandes séries) est moIns
296
Ph. PERNOT, S. RIGAL, J.F. LADAGNOUS
importante que dans les lésions par armes à feu. La
guérison de ces fistules est habituelle en utilisant des
petits moyens (décubitus, pansements compressifs,
éventuellement dérivations lombaires externes plus haut
situées).
L'infection représente un risque majeur dont l'antibiothérapie, le parage et la réfection durale soigneuse
représentent la meilleure prévention.
Le pronostic fonctionnel est fonction de l'état neurologique initial: une paraplégie flasque d'emblée par
atteinte thoracique a peu de chance de récupérer. Une
amélioration fonctionnelle doit en revanche être attendue en cas de lésion de la queue de cheval par exemple.
Dans la série de Lipschitz (5) 97 patients présentaient une
paraplégie d'emblée, 217 un tableau de section partiellê
dont 14 % ne gardèrent aucune séquelle.
'
Au total, et cela ne déroge guère des données constatées
en traumatologie médullaire, le pronostic fonctionnel
semble être établi très vite dès l'accident. Néammoins, il
nous semble que l'attitude thérapeutique active passe par
le geste chirurgical de parage, de décompression.
En conclusion, il nous a semblé intéressant d'aborder, à
propos d'un cas d'évolution satisfaisante, les données
concernant une pathologie rare et dont le caractère
archaïque ne doit pas faire sous estimer la gravité.
RESULTATS
Le pronostic vital est essentiellement fonction, nous
l'avons dit, des lésions associées, et éventuellement de
l'intensité du choc spinal. La mortalité varie de 3 à 16 %
(1)
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