Télécharger - Espace presse - Centre des monuments nationaux
Transcription
Télécharger - Espace presse - Centre des monuments nationaux
Les Éditions du patrimoine présentent Religieuses dans la ville L’architecture des Visitandines. XVIIIe et XVIIIe siècles Collection « Patrimoines en perspective » 134 couvents construits à travers la France en deux siècles. Des femmes maîtres d’ouvrage au cœur du XVIIe siècle. Un sujet entièrement inédit. Contacts presse : Anne Samson communications : Catherine Dufayet / Andréa Longrais - 01 40 36 84 32 – [email protected] Centre des monuments nationaux : Emmanuel Egretier - 01 44 61 22 31 – [email protected] 1 Communiqué de presse Fondé par François de Sales et Jeanne de Chantal en 1610 à Annecy, l'ordre de la Visitation Sainte-Marie a connu une expansion fulgurante à travers toute la France : on comptait 134 couvents et églises à la veille de la Révolution. Reflet de l'attractivité de la spiritualité salésienne, ce mouvement s'accompagne d'un prodigieux élan constructif dont l'ampleur et l'originalité résultent principalement de la spécificité du monachisme féminin après le concile de Trente. Assujetties à la règle de la clôture la plus stricte, les visitandines doivent rester recluses et "invisibles" à l'intérieur de l'enceinte de leur couvent. Contrairement à l'usage médiéval, elles sont tenues de s'installer en ville et de s'ouvrir partiellement au monde extérieur en donnant aux laïcs accès à leur église et en accueillant femmes retraitantes et jeunes filles pensionnaires. Enfin, elles doivent s'en tenir, avant de bâtir, au plan type dessiné à l'instigation des fondateurs dans le but de maintenir l'unité architecturale de l'ordre, reflet de son unité spirituelle. Véritables maîtres d’ouvrage – et parfois architectes- elles font aussi travailler les plus grands architectes locaux. Immanquablement, les constructions visitandines résultent de ces tensions entre les valeurs traditionnelles de l'idéal monastique (pauvreté, renoncement, isolement) et les contingences topographiques, économiques et sociales de la réalité urbaine. Comme le souligne Claude Mignot dans sa préface, Laurent Lecomte apporte ici « une pierre essentielle à la connaissance d’un épisode majeur de la spiritualité catholique des XVIIe et XVIIIe siècles ». Quelques exemples aujourd’hui en France : À Paris, temple de la Visitation Sainte-Marie (rue Saint-Antoine), Avignon (propriété privée), Beaune (siège historique des vins Patriarche), Blois (Conseil général du Loir-et-Cher), Grenoble (musée Dauphinois), Limoges (Conseil général de la Haute-Vienne), Lyon (Centre d’art Les Subsistances), Montpellier (université de Montpellier), Moulins (musée de l’Ordre de la Visitation), Nantes (projet hôtelier), Romans (musée international de la Chaussure), Rouen (musée départemental des Antiquités), Salins (HLM), Sisteron (musée municipal Terre et Temps), Tours (préfecture), Troyes (monastère de Visitandines)… Religieuses dans la ville L’architecture des Visitandines XVIIIe et XVIIIe siècles Par Laurent Lecomte Parution : 22 août 2013 – Prix : 59 euros 24 x 28 cm – broché grands rabats – 304 pages – 320 illustrations EAN 978-2-7577-0145-4 En vente en librairie 2 Le sommaire Claude Mignot. Un patrimoine méconnu Bernard Dompnier. Les monastères, miroir de l’ordre Introduction I. Réforme catholique et renouveau architectural : les couvents de la Visitation en France - Vie régulière et société. De la fondation de l’ordre à la Révolution - À la recherche d’un idéal architectural. Le plan type de la Visitation - Un idéal pragmatique. Le programme architectural de la Visitation - Bâtir un monastère. Les conditions matérielles - Des visitandines et des hommes. Le chantier des monastères II. Formes et espaces de l’architecture visitandine - Le plan d’ensemble : force et souplesse du plan type - Au cœur de la clôture : le cloître - Les « dedans » - les « dehors » - L’église III. Cas particuliers, documents et inventaire monumental - Le monastère de Châlons-sur-Saône : la conquête d’un territoire - Ad majorem Genitricis Dei Gloriam : Notre-Dame-des-Anges et l’architecture des rotondes - « Advis de nre très Digne et BH Mère… » - « Observations sur le plan du Coutumier… » - L’expansion de l’ordre de la Visitation au XVIIe siècle - Répertoire des couvents de la Visitation en France. Cartes - Bibliographie, index. L’auteur Docteur en histoire de l'art (Paris IV – Sorbonne), Laurent Lecomte est spécialiste de l'architecture religieuse de la période moderne (XVe – XVIIIe). Enseignant-chercheur depuis 2001, il est l’auteur de nombreux articles scientifiques ou de vulgarisation sur la question et co-auteur de La place du chœur. Architecture et liturgie du Moyen âge aux Temps modernes (Picard / Campisano editore 2012). Claude Mignot est professeur émérite d’histoire de l’art et de l’architecture à l’université de Paris-Sorbonne. Bernard Dompnier est professeur émérite d’histoire moderne à l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand. 3 La collection « Patrimoines en perspective » Beaux livres de référence, ces ouvrages proposent une approche transversale et pluridisciplinaire de sujets patrimoniaux variés. Ils font le point sur les recherches et découvertes les plus récentes à l’aide d’une iconographie de grande qualité. Nécessaire aux professionnels, aux étudiants et aux amateurs d’architecture, de sociologie urbaine ou d’histoire contemporaine, elle est à découvrir par ceux qui s’intéressent aux patrimoines. Collection éditée avec le soutien de la direction générale des Patrimoines du ministère de la Culture et de la Communication. À paraître Phares Le patrimoine protégé des côtes françaises Dirigé par Vincent Guigueno et François Goven. Octobre 2013 : 232 pages, environ 45 €. Déjà paru Villégiature des bords de mer Architecture et urbanisme XVIIIe-XXe siècle Par Bernard Toulier. 400 pages, 61 €. Les Éditions du patrimoine Les Éditions du patrimoine sont la direction éditoriale du Centre des monuments nationaux et l’éditeur délégué des services patrimoniaux du ministère de la Culture et de la Communication. Assurant à ce titre une mission de service public, elles ont vocation, d’une part, à rendre compte des derniers acquis de la recherche dans des domaines aussi variés que le patrimoine immobilier et mobilier, l’architecture, l’histoire de l’art et l’archéologie et, d’autre part, à diffuser la connaissance du patrimoine auprès d’un large public. Grâce à une quinzaine de collections – guides, beaux livres, textes théoriques, publications scientifiques –, les Éditions du patrimoine s’adressent aux amateurs et aux professionnels, aux étudiants et aux chercheurs mais aussi aux enfants et aux publics en situation de handicap. Avec plus de trente nouveautés par an éditées en propre ou coéditées avec le secteur privé, le catalogue offre plus de 500 références, régulièrement réimprimées et mises à jour. 4 Quelques pages R É F O R M E C AT H O L I Q U E E T R E N O U V E A U A R C H I T E C T U R A L : L E S C O U V E N T S D E L A V I S I TAT I O N E N F R A N C E ( 1 6 1 0 - 1 7 9 2 ) 14 Vie régulière Les châteauxetdusociété bord de mer De la fondation de l’ordre à la Révolution Double page précédente 15 Nicolas Mignard (1606-1668), La Visitation, 1640-1645. Avignon, église de Notre-Dame-de-Bon-Repos. Commandé par Mario Filonardi, vice-légat d’Avignon, le tableau ornait le retable du maître-autel de la chapelle du premier monastère de la Visitation d’Avignon (aujourd’hui rue Philonarde). Mignard est l’auteur de trois autres toiles sur le même thème (Luc I, 39-56), emblématique de l’ordre, dont l’une peinte pour le second couvent d’Avignon. Son frère Pierre Mignard (1612-1695), installé à Rome, est lui-même l’auteur d’une Visitation, célèbre en son temps, toujours en place dans la chapelle des Visitandines de Caen (voir p. 224). Étienne Martellange (1569-1641), François de Sales, huile sur bois, vers 1599-1603. Annecy, coll. part. Un papier collé au dos de la toile, signé du R. P. Ménestrier, nous apprend que ce portrait de François de Sales a été peint sur le vif par le frère jésuite Étienne Martellange, « qui fut son secrétaire ». Divers recoupements permettent de situer la date d’exécution entre 1599 et 1603, année où Martellange entre dans la Compagnie de Jésus qu’il va servir comme architecte jusqu’à sa mort (1641). De l’aveu même de Ménestrier, jésuite très proche de la Visitation, le portrait est fidèle à « la vraie ressemblance » du saint fondateur de l’ordre. Philippe de Champaigne, Jeanne de Chantal, siècle. Chambéry, musée des Beaux-Arts. Issue d’une famille de la noblesse de robe dijonnaise au catholicisme fervent, Jeanne-Françoise Frémyot (ou Frémiot) [1572-1641] manifeste très tôt des dispositions mystiques. Le 28 décembre 1592, elle épouse Christophe de Rabutin, baron de Chantal, et s’installe au château de Bourbilly, près de Semur-en-Auxois. De leur union naissent six enfants, dont Celse Bénigne, père de la marquise de Sévigné (1626-1696). Veuve en 1601, la baronne de Chantal se réfugie dans la foi. En 1604, elle entend François de Sales prêcher le carême à Dijon. Point de départ d’une profonde complicité spirituelle, cette première rencontre aboutit en 1610 à la création de la Visitation à Annecy. Dès lors, celle qui se fait désormais appeler « mère de Chantal » se voue corps et âme à la consolidation et au développement de l’ordre, à travers d’incessants voyages et une intense activité épistolaire. Après une dernière visite à Paris, elle décède le 13 décembre 1641 au monastère de Moulins. Jeanne de Chantal est béatifiée le 21 août 1751 et canonisée en 1767. XVIIe La Visitation : origines et originalités L’ordre de la Visitation est né de la rencontre, en mars 1604 à Dijon, de deux figures majeures de l’Église catholique post-tridentine, François de Sales et Jeanne de Chantal. Six ans plus tard, le 6 juin 1610, un petit groupe de femmes pieuses, réunies autour de cette dernière, s’installe dans une modeste maison d’Annecy, appelée « la Galerie », où le fondateur prend l’habitude de venir s’entretenir avec ses protégées. Le petit groupe adopte alors le nom de l’épisode évangélique de la Visitation (Luc I, 39-56), afin de mettre en relief l’une des leçons fondamentales de ce mystère joyeux, l’humilité et la charité de Marie envers sa cousine Élisabeth que chaque visitandine est invitée à imiter. Rien ne laisse présager, à ce moment-là, la longue lignée qui sortira de cette première fondation. Pour François de Sales, il s’agit d’expérimenter un nouveau mode de vie religieuse pour les femmes, alliant contemplation – chercher l’amour de Dieu à travers l’oraison et la prière – et action – porter soin et assistance aux malades. La fondation, en 1615, d’un premier monastère à Lyon, hors de Savoie ducale, a bouleversé ce projet initial. L’évêque de Genève doit se résoudre à transformer le petit « institut » annécien en Noël Hallé (1711-1781), François de Sales remettant les Constitutions de l’ordre aux Visitandines. Paris, église Saint-Louis-en-l’Île. On sait que Hallé a exécuté plusieurs tableaux pour les visitandines de la rue du Bac à Paris, d’où provient sans doute la toile de l’église Saint-Louis-en-l’Île. François de Sales évêque remet à la mère de Chantal, suivie de deux sœurs, les constitutions définitives de la Visitation. Rédigées entre 1616 et 1618, celles-ci sanctionnent la transformation du « petit institut » de 1610 en ordre religieux formel de moniales sous la règle de saint Augustin. VIE RÉGULIÈRE ET SOCIÉTÉ F O R M E S E T E S PA C E S D E L’A R C H I T E C T U R E V I S I TA N D I N E 116 Le plan d’ensemble Force et souplesse du plan type Loin d’imposer une norme rigide, le programme architectural de la Visitation propose un modèle souple et modulable à volonté. Le Devis de 1628 recommande ainsi de « prendre garde que ce dessein doit plus servir pour observer les commodités et distributions des membres du monastère que pour y pouvoir prendre exactement les mesures de toutes les parties d’iceluy, quoique les principales y soyent assez observées ». Un programme plutôt qu’un patron, ainsi pourrait-on définir la fonction du plan du Coutumier. Le message est bien passé, si l’on en juge par la fortune de ce modèle au sein de l’ordre, des origines à la Révolution, et même au-delà. À l’instar de la Visitation du faubourg Saint-Jacques à Paris, les plans des couvents de Blois, Bourg-en-Bresse, Montpellier, Tours, Orléans et Billom accusent clairement cette filiation. À quelques nuances près, on retrouve à chaque fois le carré traditionnel du cloître avec l’église, isolée à gauche et précédée d’une avant-cour, ainsi que la basse-cour sur la face antérieure du bâtiment. Invariablement, le grand escalier débouche sur le chœur des religieuses, lequel se greffe à angle droit sur le sanctuaire de l’église, tandis que le réfectoire, la cuisine et la dépense occupent toute l’aile opposée. Cependant, une approche pragmatique prévaut en toutes circonstances : « or, poursuit l’auteur du Devis, comme l’on doit autant qu’il se pourra bonnement suivre le plan et le devis, aussi ne s’y fautil pas attacher, que l’on ne puisse librement s’accommoder selon les lieux, places, usages du pays, et moyens de ceux qui bastiront ». Cette recommandation pleine de bon sens a permis aux Visitandines d’avoir Premier monastère de la Visitation d’Avignon, actuellement propriété privée. Cette vue illustre parfaitement le rapport dialectique entre le couvent et la ville aux XVIIe et XVIIIe siècles. Fondé en 1624 dans un secteur encore peu urbanisé de la cité pontificale, le monastère est bâti d’un seul jet (1631-1638) à l’instigation du vice-légat Mario Filonardi et sous la conduite de l’architecte La Valfenière, dont c’est la première commande d’envergure (voir p. 198, 209). Au premier plan s’élèvent les deux ailes du cloître (la troisième n’a pas été construite) avec des galeries aménagées dans l’œuvre, conformément aux recommandations de la mère de Chantal (voir p. 130). Accessible aux seuls fidèles, l’église tourne le dos aux bâtiments conventuels ; le dôme à la romaine qui la couronne se détache ostensiblement sur le panorama de la ville, où l’on reconnaît, au fond, le palais des Papes et le clocher de Notre-Dames-des-Doms. le sentiment de suivre la ligne fondatrice sans subir les contraintes d’une réglementation trop rigide. Ainsi, afin de l’adapter au site, la distribution canonique a été simplement retournée, comme en négatif, à Bourges, Avallon, Besançon et Toulouse. L’absence de bassecour et la disposition curieuse des latrines, petit corps hors œuvre en biais sur l’angle du bâtiment principal, singularisent le projet de la mère Jeanne-Françoise Marcher pour le monastère de Bourg-en-Bresse. Ces quelques exemples attestent que les Visitandines ne sont pas restées au stade des (bonnes) intentions, mais qu’elles se sont appliquées à suivre, d’aussi près que possible, le plan type et le devis du Coutumier. Si quelques monastères s’en écartent, cela ne résulte jamais d’un choix délibéré, mais de l’inachèvement du programme, faute d’argent (Albi, Chartres, Mamers, Romans) ou de place (Arles, Bayonne, Castellane, Grasse). Le plan massé du monastère de SaintCéré, édifié d’un seul jet au début du XVIIIe siècle d’après les directives d’une supérieure anticonformiste, est l’exception qui confirme la règle. L’inventaire monumental de la Visitation souligne la flexibilité du plan type. On n’en finirait pas de dénombrer les variations sur le thème mais, au-delà d’une fidélité constante au schéma d’ensemble, quelques traits majeurs ressortent sur la durée: la forte disparité de surface des enclos, le choix décisif de l’emplacement de l’église, et le « régionalisme » de techniques de construction. Enfin, à quelques exceptions près, règne partout la sobriété capucine citée en exemple par Jeanne de Chantal et validée par l’article XXXV du Coutumier. 5 142 En 1700, la mère d’Honoraty engage la reconstruction complète du troisième monastère lyonnais, selon le projet de l’architecte Pierre Langrené. Il s’agit ni plus ni moins d’édifier d’un seul jet un nouveau bâtiment, le « grand claustral », en arrière de l’ancien, afin de mettre la communauté à l’abri des crues dévastatrices de la Saône, mais aussi, but non avoué, de relever la majesté de l’établissement dans un contexte de forte concurrence entre les ordres féminins de la ville. Faute de moyens, une seule aile a été bâtie, les deux autres n’ont pas dépassé le niveau des fondations, comme on le voit sur un relevé de la Révolution. Ce plan, ainsi que le départ des arcs des ailes fantômes visible in situ, indiquent Rhône Monastère Notre-Dame-des-Chaînes à Lyon, actuellement centre de création artistique Les Subsistances 8, quai Saint-Vincent Architecte : Pierre Langrené Construction : 1701-1703 que le « grand claustral » devait former un U ouvert vers le fleuve, à la manière du projet de Langrené pour les génovéfains de Lyon (voir la gravure ci-contre). Le chantier ne s’est jamais relevé de l’effondrement d’une partie de la voûte du réfectoire (mars 1702). Lourdement endettées, les visitandines ont dû se contenter de bâtir deux étages de cellules sur la terrasse de la galerie du rez-de-chaussée. Si l’absence de pilastres et de décor respecte l’esthétique austère de l’ordre, les proportions grandioses des arcades et la beauté de la pierre bleue de Saint-Civi confèrent au rez-de-chaussée un air de majesté inhabituel dans un couvent de femmes. F O R M E S E T E S PA C E S D E L’A R C H I T E C T U R E V I S I TA N D I N E Lyon : un grand dessein inachevé 188 Projet pour le pensionnat de la Visitation de Nancy 1760 Architecte : Joseph Demange Non réalisé Nancy, arch. dép. de Meurtheet-Moselle Plan d’ensemble du rez-de-chaussée. Plan d’ensemble de l’étage. Élévations sur la basse-cour et le jardin. Coupe longitudinale et élévation du bâtiment des pensionnaires. L’évolution du pensionnat au cours du XVIIIe siècle culmine, en quelque sorte, dans un projet pour la Visitation de Nancy resté en l’état. Quatre feuilles autographes conservées aux archives départementales de Meurthe-et-Moselle en donnent un aperçu complet. Elles sont signées et datées 1760 par Joseph Demange, architecte lorrain assez obscur, auteur d’un projet tout aussi spectaculaire pour l’église du monastère (voir p. 97). La superbe facture des dessins est à la mesure de l’ambition de l’artiste : le bâtiment devait occuper tout le terrain disponible au sud de l’îlot de la Visitation, lui-même situé à la lisière de la ville neuve créée par le duc Charles III en 1590 ; s’il avait été exécuté, il en aurait doublé la surface habitable. Les deux plans du fonds nous donnent une idée précise du parti d’ensemble et de la distribution. Trois ailes en U encadrent une cour ornée de deux parterres de broderie symétriques dont le dessin raffiné fait écho aux jardins du château de Lunéville. L’aile principale, vers la rue des Minimes à l’ouest, accueille deux salles de classe et le réfectoire, au rez-de-chaussée, un grand dortoir collectif d’une capacité de quarantecinq lits, à l’étage. Dans l’aile opposée (à l’est) se trouvent les infirmeries, agrémentées d’un balcon dominant le jardin, et, au-dessus, une série de « chambres pour les pensionnaires ». Ces deux corps sont reliés par une aile plus basse, à bâtir à l’emplacement d’un « magasin de ville », qui n’est pas encore la propriété des visitandines. L’élévation du grand corps occidental est marquée par un avant-corps à sept travées, où s’inscrivent, à l’étage du dortoir, une série de portes-fenêtres ouvrant sur un balcon continu orné d’un garde-corps en fer forgé. Les bossages d’angle, la forme légèrement cintrée des chambranles et le haut comble droit ajouré de petites lucarnes renvoient à la « grande manière », déjà passée de mode, d’un Boffrand ou d’un Héré, les deux architectes du défunt roi Stanislas, dont Demange est le continuateur tardif à Nancy. 189 F O R M E S E T E S PA C E S D E L’A R C H I T E C T U R E V I S I TA N D I N E Nancy : un projet grandiose pour la Visitation LES « DEHORS » 6 232 a : Planche du plan type de 1670, détail. Arch. nat., N III Seine 309. 233 b : Façade de l’église de la Visitation de Forcalquier. c : Façade de la chapelle de la Visitation d’Auxerre. a b c F O R M E S E T E S PA C E S D E L’A R C H I T E C T U R E V I S I TA N D I N E La façade « à l’italienne » La façade à deux ordres superposés avec des ailerons à volutes encadrant le second ordre que surmonte un fronton est le type emblématique de la façade d’église de la Réforme catholique. Si les Jésuites ont largement contribué au succès extraordinaire de la formule, notamment à travers le modèle du Gesù, leur église mère à Rome (façade élevée en 1575 sur un dessin de Giacomo della Porta), il n’est plus question aujourd’hui de ramener à ce seul prototype toute la production de la période, ni de l’affubler de la notion incorrecte de « style jésuite », sous prétexte d’une certaine parenté formelle. En réalité, chaque édifice propose une variation sur le thème, et le seul critère d’appréciation valable est la capacité de l’architecte à épouser le schéma de base sans tomber dans la répétition. À cet égard, le corpus français de la Visitation comporte un monument d’exception : l’église du premier monastère d’Avignon (1631), œuvre de l’architecte François Royers de La Valfenière (1575-1667). Sa façade (voir p. 198) s’inspire nettement de la composition de Santa Maria ai Monti à Rome (G. della Porta ; 1580), avec quelques variantes : les volutes sont plus épanouies et le décor sculpté plus opulent à Avignon, mais surtout les ordres sont inversés, corinthien sur composite, selon la formule – rare en France – que l’architecte vicentin Vincenzo Scamozzi expose dans son traité L’Idea dell’architettura universale (Venise, 1615). La « romanité » assumée du dessin de La Valfenière éclate face aux réalisations parisiennes du moment : la maison professe des Jésuites de François Derand (1629), le noviciat des Jésuites d’Étienne Martellange (1630) et surtout la chapelle de la Sorbonne de Lemercier (1635). Objet d’une nouvelle querelle des « anciens » et des « modernes », les deux premières cristallisent alors l’opposition entre une conception « libertine » de l’architecture, qui revendique, dans le sillage de Michel-Ange, de Philibert Delorme et des « Flamands », l’invention et l’abondance décorative, et une conception « puritaine », qui entend limiter le corpus des bons modèles (Palladio, Vignole, Scamozzi) et éliminer tous les « vilains ornements ». Défendue par le cercle des Intelligents, cette dernière approche l’emporte à Paris au milieu du XVIIe siècle, puis dans le reste du royaume, comme l’illustre de manière éclatante la confrontation des façades des Visitations de Nevers et de Moulins, toutes deux œuvres du même artiste (voir p. 236). Les élévations parisiennes de Lemercier, de Martellange et de François Mansart fixent la nouvelle norme qui se diffuse en province dans la seconde moitié du siècle. Comme les ordres religieux contemporains, la Visitation participe à ce mouvement. Au premier monastère de la Visitation à Rennes (P. Corbineau, 16561658), la réception du modèle transalpin se mâtine de quelques traits particuliers ancrés dans la tradition locale : l’évidement de la travée centrale, le goût pour la colonne adossée (voir p. 235). Ce processus de réception et d’appropriation caractérise également le dessin des façades d’Arles (1644) et de Forcalquier (16851688) dont la vigueur plastique trahit l’identité de la culture architecturale d’Avignon et d’Aix-en-Provence. À Annecy, le frontispice de l’église Saint-François (1652) perpétue la raideur orthogonale de la façade de l’église des Franciscains d’Annecy, l’actuelle cathédrale (1535). Connues seulement à travers des documents, les façades de Bourges (1653-1660), d’Orléans (1652-1655), de Tours (1659-1665) et de Dijon (1675) marquent une adoption plus franche du modèle romain, lequel persiste dans la première moitié du XVIIIe siècle, comme à Chambéry (1723-1726). À Caen (G. Brodon, 1647-1661 ; détruit), l’absence de décrochement entre les deux niveaux, les pots-à-feu en amortissement des pilastres et le dôme à la croisée annoncent le parti du dôme des Invalides. Ce type de façade à deux niveaux égaux est visible à la Visitation d’Auxerre, remaniée vers 1776 sur des dessins de Soufflot (voir p. 110), et au Mans (fin XVIIIe siècle). Le plan type de 1670 prend acte de cette multiplication de façades modernes après 1650 : la présence de niches, statues et pots-à-feu – « superfluités » expressément condamnées par Jeanne de Chantal – sur l’élévation de l’église manifeste une évolution de la sensibilité religieuse, rompant avec l’austérité de la première phase de la Contre-Réforme, au profit de la nouvelle rhétorique de l’Église triomphante. Façade de l’église d’Avignon. L’É G L I S E a : Peintures murales de l’ancienne église des Visitandines d’Aurillac (1710). 204 205 b : Voûtes et stucs de la chapelle Saint-Thomas à Grasse. c : Décor de stucs peints par les Mazzetti (1753). d : Peintures murales exécutées à la chapelle en 1666 pour la canonisation de François de Sales dans l’église de la Visitation Sainte-Marie-d’en-Haut à Grenoble. F O R M E S E T E S PA C E S D E L’A R C H I T E C T U R E V I S I TA N D I N E Le couvrement : un ravissement de couleurs et de stucs Pour couvrir la petite église-salle visitandine, le procédé le plus économique est le plafond lambrissé. Il peut s’étendre sur la totalité de l’édifice, comme à Riom et à Pont-Saint-Esprit, ou seulement sur la nef, suivant en cela la recommandation du Devis de 1628 ; le chœur des prêtres étant couvert d’une voûte de pierre, comme à Beaune (voir p. 217). Courante dans les églises des ordres mendiants au Moyen Âge, cette mixité permet à la fois de magnifier l’autel et de renforcer la hiérarchie des espaces: chœur des prêtres, d’un côté, nef des fidèles, de l’autre. À Sainte-Marie de Nevers, la charpente du toit est dissimulée derrière un plafond surhaussé par deux pans coupés, conformément au modèle de l’« élévation » de 1622 (voir p. 67). De nombreuses communautés ont voulu masquer la pauvreté de leur église en appliquant un décor de boiseries, de stucs ou de peintures sur les murs et le plafond. À Toulouse, « toute l’église est voûtée, les entablements du lambris sont remplis par de magnifiques tableaux faits par la main de l’habile M. Despax [Jean-Baptiste Despax] et qui attirent l’admiration des connaisseurs » (Douais 1905) ; l’édifice a disparu, mais le décor de la chapelle voisine des Carmélites, exécuté en 1676 par Antoine Rivalz, le maître de Despax, en donne une assez bonne idée. Ce genre d’interventions se multiplie au XVIIIe siècle, à la faveur de l’évolution de la sensibilité artistique dont nous avons déjà relevé les effets sur l’architecture des bâtiments conventuels. À Clermont, la longue pièce faisant office de chapelle depuis l’origine de la maison est enrichie, vers 1735, d’un lambris « en quadres [sic] et en pilastres avec leurs chapiteaux en sculpture et une corniche qui règne tout autour, le tout dans l’ordre corinthien ». Au Puy, la mère Marie-Radegonde Roche (1756-1762) fait refaire la décoration « dans le goût moderne par un ordre d’architecture en plâtre dont la voûte et le sanctuaire sont ornés » (détruit). De bois, de stuc, ou peints à fresque, ces décors transfigurent l’espace intérieur de la petite église visitandine. Le contraste est alors saisissant entre la simplicité des élévations extérieures et la splendeur du volume intérieur: qui s’attend, en franchissant le portail de la chapelle de Beaune, de Carpentras ou de Sainte-Marie-d’en-Haut à Grenoble, à découvrir un tel déploiement d’or et de couleurs ? Les peintures murales, par nature plus fragiles, ne sont parvenues souvent que par fragments, comme à Aurillac où, dans les années 1980, a été mis au jour un important décor à base de rinceaux et de fausses niches à coquille abritant de grandes figures en pied, dont un Saint François de Sales. Sainte-Marie-d’enHaut à Grenoble offre l’exemple le mieux conservé, le plus spectaculaire aussi, d’un décor exécuté à l’occasion de la canonisation de François de Sales (1666). Les sources textuelles décrivent aussi quelques ensembles disparus exécutés b c dans le genre illusionniste de la quadratura: le maître-autel de la Visitation de Saint-Amour est « terminé par une architecture en perspective qui est faite avec tant d’art qu’elle détache entièrement le retable du mur. Là, le peintre a représenté sur des nuages, l’élévation de la Sainte Vierge dans le Ciel. La voûte et les murs du sanctuaire sont aussi embellis de peintures enrichies en plusieurs endroits de traits d’or. Ce mélange de peinture, de marbre, de dorure, frappe agréablement et contente l’œil quand on entre dans l’église » (Perrod 1899). Le Bolonais Domenico Borbonio, « peintre de perspectives et de l’architecture » (Félibien), est l’auteur de la décoration de la chapelle des Visitandines de Villefranchea sur-Saône, que la Grande Mademoiselle, le 23 novembre 1657, juge « la plus belle église de cet ordre qui soit en France ». À la Visitation de Nantes, un autre Italien nommé Giardini exécute en 1710 un ensemble de peintures murales constitué de « quantité d’arcades qui semblent former des galeries voûtées qui trompent agréablement la vue, aussi bien que de grands pots de fleurs des couleurs les plus vives et éclatantes […] et dans le milieu de l’église, une spacieuse ouverture doublement cintrée, entourée d’une balustrade dorée; on y voit le ciel ouvert dans une grande clarté et élévation à perte de vue » (Catta 1954). Ce décor est au cœur d’une polémique faisant écho à la « querelle » sur le luxe des églises qui traverse tout le XVIIe siècle (Vanuxem 1974) : « Plusieurs personnes blâmèrent sa magnificence, lit-on dans une lettre circulaire, surtout un des messieurs ses neveux [de la mère supérieure de la maison], dans un sermon qu’il fit le jour de la Présentation de la Sainte Vierge. Sa morale roula presque toute sur le sujet ». L’association de l’architecture, de la sculpture et de la peinture illusionniste caractérise aussi le nouveau maître-autel « en stylobate » mis en place dans la chapelle de la Visitation d’Amiens, juste avant la Révolution (voir p. 222). d L’É G L I S E 7 8