Nous sommes étudiants
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Nous sommes étudiants
Page 1/12 Je suis employé dans une entreprise de service public (conducteur de métro) et à 45 ans, j’ai décidé de commencer des études. Mon rêve alors était de devenir professeur de français langue étrangère (FLE). Je m’imaginais à l’étranger exerçant dans une Alliance française auprès d’étudiants étrangers avides d’apprendre notre belle langue. Je me suis donc inscrit en lettres modernes parcours FLE à la Sorbonne Nouvelle (enseignement à distance). Disons que ceci est une raison extérieure pour justifier ce désir d’étudier. Je répondais aussi, pour éluder la question, que j’étudiais pour le plaisir. Mais des causes plus profondes, intérieures, liées à la fois à des aspects d’ordre psychologiques et sociaux, justifiaient ma volonté d’alors de me lancer dans cette aventure au long cours. Je suis d’origine familiale très modeste, paysanne, aux perspectives d’émancipation sociale peu favorables. À 18 ans j’ai raté le baccalauréat. Cet échec était la conséquence et le signe d’une adolescence dilettante. Avec le bac, j’aurais été bien ennuyé pour trouver une orientation qui me convienne. Un sentiment d’infériorité cependant s’était accru en moi depuis cet échec qui ne s’est pas guéri avec l’exercice d’un métier peu valorisant, bien au contraire. Obtenir un diplôme universitaire signifiait avoir un passeport, une légitimité pour parler du monde du savoir et de la connaissance, pour parler de théâtre, de littérature, de manière décomplexée. C’est ce que je pensais alors. Ce défi était l’épreuve de rattrapage d’une vie qui m’ennuyait. J’avais besoin de montrer ce dont j’étais capable, pour moi et pour les autres. D’où le choix contraignant d’une formation universitaire diplômante. Au bout de cinq ans d’étude, après l’obtention d’une licence de lettres modernes, j’ai décidé d’arrêter à l’issue du master 1 après avoir eu la confirmation que j’étais pris en master 2. À ce moment là, l’urgence d’obtenir le sésame final avait disparu et ma volonté de donner des cours de français s’était considérablement émoussée. Ces années ont comblé un manque, une faille, un sentiment d’échec persistant. Ce fut une période stimulante. J’ai voulu savoir rétrospectivement ce qui avait poussé des adultes comme moi, déjà inscrits dans une activité professionnelle, ayant, pour certains, acquis un niveau d’études dans le deuxième voire le troisième cycle universitaire, à reprendre des études. Leur tranche d’âge se situe entre 23 et 68 ans, de différentes origines socio-professionnelles et géographiques, qu’ils s’appellent Dominique, Lucie, Daniel, Catherine, ils ont bien voulu revenir sur l’origine de leurs motivations et sur quelques souvenirs. Ce sont ces témoignages que je vous propose de lire ici. Page 2/12 Daniel Je m’appelle Daniel Arnould. J’ai 68 ans. Avant ma retraite, j’exerçais le métier de professeur des universités, en sciences économiques, à Nancy. Au moment de ma reprise d’études, j’étais donc déjà titulaire d’un doctorat d’État de sciences économiques et agrégé de sciences économiques. J’ai pris ma retraite à 60 ans pour faire des études complètes de lettres. J’ai choisi l’enseignement à distance, à Paris 3, pour avoir la liberté de mes horaires de travail, et la discipline de "lettres modernes" car je voulais aller, dans mes lectures d’œuvres littéraires, au-delà du seul premier niveau, celui de l’intérêt de l’histoire racontée. Je souhaitais en quelque sorte intellectualiser un peu mes lectures en me penchant sur le style et sur le champ sémantique de l’auteur, sur la construction du récit, sur les procédés narratifs utilisés. Je désirais également m’ouvrir à des écrivains, français ou étrangers, avec lesquels je n’étais pas familiarisé. A vrai dire, j’aurais bien aimé suivre un cursus de "lettres classiques" – j’avais six ans de latin et quatre ans de grec au lycée derrière moi – mais j’avais craint d’être trop âgé pour me remettre à ces matières difficiles une quarantaine d’années plus tard. Je me suis donc inscrit en L1 de lettres modernes, à distance, à Paris 3. Au deuxième semestre était dispensé un cours de latin. Et je me suis aperçu que le vocabulaire et la grammaire, enfouis en moi, remontaient progressivement à la surface de ma mémoire. J’ai donc continué, dans le cadre des options, à faire du latin en L2 et en L3, et je me suis remis au grec en bénéficiant des conseils de notre enseignante de latin et de civilisation latine, puis en suivant les cours à distance de l’association "Connaissance hellénique" dont le siège est à l’université d’Aix. En M1 de littératures comparées, toujours à Paris 3, j’ai pu faire un mémoire de grec et de latin. J’ai bifurqué ensuite, sur les conseils de ma directrice de mémoire, vers un M2 de lettres classiques à distance, à Montpellier ; puis j’ai renforcé mon niveau en grec en suivant les cours intensifs dispensés en été dans le cadre de l’Académie des Langues Anciennes (dont le siège est également à l’université d’Aix) et je me suis inscrit finalement en thèse de lettres classiques à Aix. Je suis, en ce début d’année 2014, en troisième année de thèse. En fait, mes objectifs ont été dès à présent très largement dépassés. J’ai effectivement atteint mes objectifs initiaux, à travers par exemple, les enseignements de linguistique ou de poétique. Et je me souviens de cours formidables sur trois œuvres littéraires majeures dont nos enseignants de Paris 3 Page 3/12 nous avaient donné les clés de lecture : À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, Les Carnets de Malte Laurids Brigge de Rainer Maria Rilke, La Route des Flandres de Claude Simon. Mais je n’avais pas du tout anticipé l’aventure humaine collective que représenteraient ces études. Je m’imaginais dans mon bureau, occupé à travailler les cours, à lire les œuvres au programme, à faire les dissertations demandées en contrôle continu (ce qui a bien sûr été aussi le cas), avant d’aller passer les examens à Paris en juin. J’ignorais qu’il y aurait, sur le site de télé-enseignement de Paris 3, des forums sur lesquels interviendraient des enseignants pour répondre à nos questions et des étudiants ayant les mêmes problèmes que les miens. Progressivement et de manière informelle, nous avons instauré un système d’entraide : ceux qui avaient le temps de faire des fiches sur les cours les mettaient en ligne pour les autres ; les étudiants qui pouvaient se rendre à Paris aux séances de regroupements, animées par nos enseignants, nous en faisaient un compterendu ; nous mettions en ligne aussi les copies de contrôle continu qui avaient obtenu les meilleures notes ; et surtout nous nous encouragions. Ces études que je croyais complètement individuelles se sont avérées ainsi, en fait, partiellement collectives ; et les bons résultats de notre promotion ont été, de mon point de vue, imputables à cette pratique collective. Enfin, je fais presque chaque jour – ce qui n’était pas du tout anticipé lorsque j’ai repris mes études – des progrès en grec et en latin, en littérature grecque et latine, en mythologie de l’Antiquité. Dominique Je me suis lancée dans l’aventure de la fac de lettres à distance car dans ma profession, on attendait un bon cursus universitaire – ce que je n’avais pas. Pression lors des entretiens, en poste, avec les collègues, les supérieurs… c’était insidieux ! J’ai donc fini par me lancer. Ce seront donc trois années de licence à décortiquer des textes, à passer des nuits, des week-ends et des vacances dessus, à rendre les devoirs avec quelquefois trois semaines de retard, à réviser pour les partiels (heureux temps des partiels où enfin, on pouvait rencontrer nos camarades de forums, et rire en face à face de nos aventures). Puis, trois ans plus tard, alors que j’étais à un mois d’accoucher de ma deuxième fille, la licence ! Une prof m’a dit « vous prospérez ! » : elle ne pouvait pas Page 4/12 mieux me le dire !!! Et ensuite le M1 : trois ans dessus, aussi, parce que l’arrivée de la deuxième poulette m’avait quelque peu désorganisée hum hum) ! Et aujourd’hui, le M2 !!! Reste à pondre cent pages de mémoire, pour lequel je n’ai encore rien fait, et deux séminaires… Car ça a été cela, ma gageure : réussir à tout faire, sans rien laisser tomber. Pas simple, on doit parfois se contenter, avoir des notes moins bonnes car on n’a pas réussi à dégager l’énergie et le temps qui auraient permis de mieux travailler – et d’approfondir son sujet. Quelques belles intuitions, aussi, hormis le devoir de littérature fantastique : les textes de Claude Simon, de Proust, de Camus ou de Jean-Luc Lagarce ; la linguistique !!! Ahhh, les premiers devoirs de linguistique, le « rattrapage » de linguistique en L1 (où j’ai dû augmenter ma note de un demi point et passer de 4 à 4,5 !!!!), les cours d’ancien français ou de latin, pour lesquels je me sentais latinorésistante ! Alors, question : comment obtient-on sa licence, puis son master 1, et se trouve-to n en master 2 avec un travail et investissement qui paraissent aussi « aventuriers » ? Eh bien d’abord parce qu’on aime ça : les textes, la langue, cette espèce de recherche policière sur ce qui a bien pu pousser l’auteur, à ce moment-là, à dire telle chose, de telle manière : décrypter les métaphores, qui sont les messieurs à échasses ou masques de cire de Marcel Proust, chercher les tournures, voir quel est le vocabulaire employé, ce qui se répète… Ou encore chercher pourquoi le style si particulier de Lagarce sert son propos. Car entre la poétique, la linguistique et l’étude des différents textes, l’on parvient à comprendre certains messages, avoir une analyse fine des paroles de l’auteur. Ce sont ces choses qui servent maintenant à décrypter la parole de l’ami, du collègue, du supérieur, ou bien du politique lors de son discours. En plus de se sentir pleine de ces bonheurs-là, de ces pépites, j’ai l’impression d’avoir maintenant un pouvoir, celui de ne pas être dupe. Voilà, c’est cela : l’étude des textes et des auteurs est celui-ci, ne pas se faire prendre pour des idiots, développer son esprit critique, se sentir plus fort avec cette culture (que je sens un peu moins mince qu’avant mais encore bien insuffisante), être riche de tout cela, savoir que cela existe, que tous ces penseurs ont été là pour nous et que nous, avec nos quelques petites études et travaux, avons peut-être rapporté quelques micrograins de sable à mettre dans notre édifice de savoir… Page 5/12 Très belle aventure, lourde, difficile, mais riche en rencontres : avec les textes tout d’abord (frustrante sur ce point, avec souvent le sentiment de ne jamais aller aussi loin que voulu), et avec les gens, surtout : des adultes, salariés, personnes qui vivent au loin : une sacrée richesse que l’université française nous permet ! Ensuite avec nos chers profs : là aussi de sacrés personnages !!! Et l’on apprend en janvier 2014 que la Sorbonne Nouvelle est en première place du classement du « Monde » sur l’insertion professionnelle des masters en arts, lettres et langues : jolie récompense, non ? Christophe Je me souviens. Je monte les trois étages du bâtiment, laid, en forme de U inversé pour me diriger vers les bureaux de l’ENAD (Enseignement à distance de Paris 3). L’inscription administrative et pédagogique étant validée, je suis là en ce début d’automne pour prendre possession des cours papier. Derrière la porte d’entrée du petit local, une très longue table devant des étagères qui montent jusqu’au plafond où s’entassent des centaines de fascicules de couleur verte aux intitulés intimidants affublés de codes incompréhensibles. Pendant plusieurs jours, tous les étudiants qui peuvent se déplacer jusque là viennent chercher ces polycopiés qui seront le support des cours : latin, linguistique, langue, littérature, vieux français, FLE, etc. Pour les étudiants qui ne sont pas sur place, ils leur seront envoyés par courrier. Devant moi, une jeune fille, les cheveux longs et bruns. Elle longe la table derrière laquelle se trouve un membre des personnels ATOS à qui elle tend une feuille où sont cochées toutes ses matières d’enseignement sélectionnées : "Vous êtes en troisième année de licence ?" "Oui, je suis en L3 !" Lorsque j’entends cette précision, je la regarde avec une intense curiosité. Troisième année !! Je suis trop timide pour lui adresser la parole mais je suis si impressionné par cette simple assertion et si admiratif devant ce qui m’apparaît comme une immense prouesse que je pourrais lui porter la pile de polys jusqu’à l’autre bout de la huitième zone de l’Ile de France, lui demander un autographe, lui baiser les pieds. Elle disparaît dans la salle contigüe sans un regard pour le pauvre hère misérable et inculte que je suis. Je n’avais pas encore commencé le long marathon que constituait cette première année de licence que j’étais déjà accablé par la masse colossale de modules d’enseignements à valider pour passer en deuxième année et qui s’entassaient sous forme de milliers de caractères d’imprimerie dans un grand sac Franprix en toile Page 6/12 renforcée tenu à bout de bras. Ma détermination allait se trouver de nombreuses fois remise en question. Daniel Dans ces études à distance, il y eut parfois des moments cocasses. J’ai le souvenir d’une grève longue à Paris 3, avec occupation des locaux. Aucun cours n’était plus dispensé. Nous, nous n’étions pas affectés car les forums informatiques n’étaient pas bloqués. Bien plus, il y eut des regroupements pendant cette période et les étudiants à distance étaient les seuls, avec leurs enseignants, à qui l’accès aux locaux n’était pas refusé. Je me souviens donc d’un regroupement de latin dans une université totalement déserte, avec simplement cette affiche, presque jubilatoire, qu’avait mise l’enseignante à l’entrée de la salle qui nous était affectée : "Le latin c’est ici !" Lucie Je m’appelle Lucie, je suis professeur de lettres dans un collège varois. Après deux années post baccalauréat passées à la Haute École de Musique de Lausanne, j’ai pris mes valises pour m’installer au Népal. Le seul « hic » de cet immense désir de liberté, fut de trouver un moyen pour concilier cette soif de découverte avec les obligations universitaires que toute jeune fille respectable de vingt et un an se devait de poursuivre. Télé 3, ou encore « service d’enseignement à distance de La Sorbonne Nouvelle », s’est donc tout naturellement offert à moi. Un billet d’avion plus loin, et quelques kilos de fascicules universitaires dispersés entre l’Europe et l’Asie, me voilà au fin fond du monde à devoir préparer seule une maîtrise en plusieurs actes. Heureusement, et je ne le savais pas encore, je n’étais pas si isolée que je ne le croyais… « Le » fil d’Ariane : Internet !! Une des conditions sine qua non de la réussite aux études à distance tient bien sûr à une bonne liaison internet. « Facile » diront certains d’entre nous installés bien au chaud devant leur bureau, mais véritable challenge à relever en habitant au Népal. En 2007, au mot « Internet », les Népalais me demandaient encore « qu’est ce que c’est ? ». Il a donc fallu connecter mon ordinateur à un réseau qui ne fonctionnait que deux heures par jour de façon très aléatoire et avec un débit extrêmement lent… Premier acte de solidarité entre étudiants à distance : les fichiers PDF compressés envoyés par les uns et les autres pour me venir en aide. Je n’étais pas si recluse que cela dans mon bout du monde. Page 7/12 Finalement, à grand renfort de dollars et de patience, je suis arrivée à obtenir en 2009 l’ADSL… Soulagement ! Je n’aurais plus à passer quarante cinq minutes pour télécharger la version numérique des fascicules de cours, ni à harceler mes camarades pour leur demander une version encore plus compactée qu’un plat lyophilisé ! Une fois ces préoccupations purement matérielles réglées, un nouvel obstacle se dressait devant moi : les rendez-vous fixés par les enseignants et les tuteurs pour chatter en direct avec eux. Enfantin à gérer ! En effet, ce ne sont pas cinq heures de décalage horaire qui pouvaient entraver ma détermination. Le challenge numéro deux s’ouvrait à moi : ouverture du chat avec Mme ***** à 20h heure française… donc pour moi… 1h du matin… Dominique Je me souviens. Inscrite à la hussarde, ma connexion Internet pas encore installée, alors que tous mes camarades de L1 avaient déjà lu pas mal de livres au programme et démarré les conversations sur les forums, je courais les cafés Internet pour récupérer mes cours, les infos, les messages ! Au travail, ce n’était pas mieux, le site était bloqué par les paramètres de sécurité : impossible de télécharger les cours pendant la pause déjeuner !! Vaille que vaille, je récupère petit à petit ce dont j’ai besoin. Le premier regroupement arrive enfin, et c’est LA rencontre avec ma « promo » ! La prof est sympa, on papote en fin de cours, quelqu’un propose de boire un pot : on se rencontre, on se livre un peu ! Les échanges se poursuivent sur les forums. Grâce à la promo de troisième année qui tient de la haute littérature, de la folie douce, de la loufoquerie et de la bonne grosse entente, nous survivons à nos questionnements : pourquoi, essentiellement ! Pourquoi sommes-nous allés nous fourrer dans cette galère ??? Arrive le premier devoir à rendre : un commentaire composé de Beaumarchais. Je trouve mes thèmes, je travaille mon devoir en parties… Fière de moi, j’ai en fait composé un devoir avec des exemples pris hors du texte à analyser : exemples hors sujet de bout en bout, première note pourrie, de bout en bout aussi ! (J’avais 40 ans, cela faisait plus de 20 ans que je n’avais pas fait de commentaire composé [cc] : ma technique – si elle avait un jour existé – était plus qu’oubliée.) Deuxième devoir : littérature fantastique, une nouvelle de quelques pages. Et là, bingo, comme on étudiait par ailleurs la poétique (technique littéraire), j’ai parfaitement analysé le texte, étudié les temps verbaux, les différentes narrations, et récolté un joli 19 !!! Voilà, c’était parti, enfin : avec cette première Page 8/12 bonne note, le petit jeu du chat et de la souris avec les textes allait enfin commencer... Catherine Je m’appelle Catherine Sanchis, j’ai 49 ans et j’exerce un métier qui me permet d’évoluer dans le monde du spectacle vivant ; je travaille dans un service de perception de droits d’auteur dans lequel je fais des analyses chiffrées sur l’économie du théâtre en France et à l’étranger et je perçois directement les droits, pour le compte des auteurs, auprès de certains théâtres parisiens comme l’Opéra Comique, l’Athénée, le théâtre de la Huchette, etc. J’ai repris, à l’âge de 43 ans, des études de lettres modernes à distance, à la Sorbonne nouvelle, vingt-trois ans après l’obtention d’un Diplôme Universitaire de Technologie dans les métiers de l’information, option documentation, à l’Université de Dijon, en Bourgogne. Quelles sont les raisons qui m’ont poussée à reprendre des études ? L’envie irrésistible d’apprendre, l’amour de la littérature que j’ai depuis toujours. Je dis « irrésistible » car même avec une vie familiale bien remplie et une activité professionnelle prenante, je me suis organisée pour que ces études prennent une place importante dans ma vie. L’envie permet de réaliser bien des choses et lève les barrières que l’on a tendance, je trouve, à se mettre soi-même. Se plonger, durant cinq ans, dans l’étude des textes de toutes les époques, découvrir comment un texte fonctionne, les motivations de son auteur au moment de l’écriture, le lien entre ses sources d’inspiration, l’histoire de la société dans laquelle il a vécu, a été pour moi comme une immense fenêtre qui en a ouvert bien d’autres, au fur et à mesure de l’approfondissement de mes connaissances. J’ai vécu cette aventure comme une véritable bouffée d’oxygène dans ma vie. J’ai ressenti du bonheur durant ces cinq années, au même titre que celui ressenti lorsque l’on rencontre et que l’on vit le grand Amour. Tous ces rendez-vous plutôt nocturnes et le week-end, à étudier après le travail, me donnaient toujours un peu d’appréhension ; je me disais : « Vais-je être à la hauteur de ce que l’on attend de moi ? », lorsque je devais « m’atteler » à un travail qui avait été demandé par un professeur. Les études occupaient mon esprit une grande partie de la journée. Dès que je faisais une pause, au travail, je réfléchissais au cours que j’avais lu la veille, par exemple, ou bien, je rassemblais des idées que je notais sur un carnet pour un Page 9/12 commentaire composé ou une dissertation à faire ultérieurement ; je nourrissais ma réflexion en lisant des essais en relation avec les thèmes abordés dans les cours. Ces activités, intellectuellement riches, m’ont également servi dans mon activité professionnelle, car ayant la tête bien remplie, j’étais « bien dans ma tête » pour trouver toute l’énergie nécessaire à la réalisation de projets intéressants. En étant salariée, j’ai compris que pour me consacrer et réussir mes études, je devais fournir pour la fac un travail personnel, régulier et solitaire ; d’ailleurs, j’avais anticipé, durant l’été précédant mon inscription à la Sorbonne Nouvelle, la lecture des œuvres au programme de l’année. Ce sentiment d’être totalement seule devant un défi à relever n’a été que de courte durée car, très vite, sont apparus sur la plateforme du site web de téléenseignement de la Sorbonne, non pas des visages mais des noms d’étudiants qui étaient inscrits comme moi pour cette grande aventure universitaire. Les présentations puis les échanges se sont faits par écrans interposés, jusqu’au jour où j’ai pu rencontrer un petit nombre d’entre eux lors des regroupements, avec nos professeurs, puis lors des examens du mois de mai-juin qui avaient lieu à la fac à Paris. Malgré la solitude éprouvée par l’étudiant-salarié devant la quantité de travail à fournir, je me suis sentie, à certains moments, soutenue voire portée par d’autres étudiants qui avaient les mêmes motivations que moi pour la littérature. Les examens qui se déroulaient en mai-juin, pour tous les étudiants « à distance », m’ont laissé cette forte impression de participer à un véritable marathon intellectuel car, il s’agissait, durant une quinzaine de jours, de valider toutes les matières du premier et deuxième semestre du cursus choisi. Le travail de toute une année réduit dans un espace-temps de quelques jours, pour passer les épreuves finales qui permettront ou non de poursuivre l’aventure à un niveau supérieur. Lucie Un des aspects très appréciable de notre cursus, fut la possibilité de choisir le contrôle continu. Pour chaque matière nous pouvions envoyer un devoir pendant le semestre, qui compterait pour un tiers de notre moyenne, le reste étant la note de partiel. Nous avions donc un calendrier des devoirs, à nous de nous organiser pour faire parvenir, via une plateforme numérique, nos travaux. Travail en groupe, notes des uns et des autres mutualisées sur notre « cafétéria virtuelle », Page 10/12 encouragement des « anciens », étaient autant de petits cairns balisant notre itinéraire de réussite. Catherine Je me souviens, j’avais passé une épreuve concernant la figure du Libertin en littérature. J’avais rendu un travail et j’attendais donc, comme pour bien d’autres matières, les résultats. J’étais dans l’entrée principale de la fac de Censier quand un étudiant lance « le cri de ralliement » : « Tous en haut ! Les résultats du libertin sont affichés ! » ; je me précipite avec les autres, à l’étage pour consulter les notes. Quelqu’un lance : « Il y a eu un 18 ! » ; tout le monde veut savoir qui a eu le 18 en question. On dit : « C’est Catherine Sanchis ! » et moi, demandant en chœur, avec les autres étudiants : « Elle est là Catherine Sanchis ? ». Puis à ce moment précis, je réalise que Catherine Sanchis eh bien, c’est moi ; donc, je crie : « C’est moi ! ». Les regards se sont tournés dans ma direction en affichant une grande perplexité concernant mon état de santé mentale. J’étais si admirative devant ce résultat que j’en ai momentanément oublié mon identité. Lucie (Je me souviens) des examens regroupés en fin d’année à l’université. La première phase pour bon nombre d’entre nous : trouver un moyen pour se loger sur Paris pendant une quinzaine de jours. Une fois cette étape franchie, les choses sérieuses peuvent commencer. A la manière des épreuves olympiques, les partiels sont un moment où nous devons faire nos preuves en quelques heures, nous n’avons pas droit à l’erreur, le travail d’une année en dépend. Heureusement que cette période est aussi celle des retrouvailles avec les collègues : nous sommes enfin ensemble ! Joies, tristesses, épuisements, sont autant d’instants riches vécus ensemble que seuls les « télétroyens » (néologisme né de notre expérience) pouvaient comprendre. L’une arrivait enceinte de huit mois pour passer l’épreuve de linguistique, l’autre sortait de l’avion en provenance de Hong Kong pour le latin, et nous étions tous là, véritable patchwork de la société, avec un seul et même objectif : réussir notre année, et surtout relever un même défi : reprendre nos études malgré nos différences et nos vies bien remplies. Les failles du système universitaire. De 2006 à 2010, les années se sont enchaînées sur un rythme semblable, jusqu’au jour où le grain de sable est venu enrayer la belle machine m’ayant permis de réussir ma licence et ma maîtrise : la bureaucratie. Je Page 11/12 m’explique. Une fois les partiels de première année de master derrière moi et la mention assez bien requise pour accéder à la deuxième année en poche, j’apprends au détour d’un couloir, que je n’ai plus que quarante huit heures pour fournir les pièces justificatives à transmettre à une commission allant examiner si oui ou non j’étais acceptée en deuxième année. Nous n’avions même pas été informés qu’une sélection s’opérait après la maîtrise, nous savions juste que nous devions obtenir la mention assez bien. Finalement, j’ai su quelques jours plus tard que « suite à de trop nombreuses demandes pour trop peu de places, nous avons donc décidé de ne donner accès au master 2 qu’aux étudiants ayant eu la mention bien ! ». Que faire maintenant ? À une encablure de l’arrivée je suis gentiment renvoyée dans mes pénates pour des raisons administratives, arbitraires, immorales et surtout économiques à mon avis. Où continuer mes études ? Quelles universités de renom offraient un service de d’enseignement à distance ? Aucune ! D’échecs en échecs, trois années ont passées, jusqu’au jour où, avec une petite fille de deux ans sous mon bras, je suis rentrée à Toulon, la ville où j’ai grandi, pour m’inscrire en « présentiel » à l’université en master deuxième année pour préparer le concours du CAPES que je réussis en 2013. Christophe Il m’appartient donc de conclure. Les motivations les plus diverses expliquent une volonté de reprendre des études : reconversion ou demande de légitimité professionnelle, désir d’érudition, besoin de reconnaissance, passion et plaisir. Des chemins de traverse peuvent être empruntés pour se cultiver, pour apprendre, qui ne passent pas forcément par l’obtention d’un diplôme (Universités libres, conférences débat, expositions, l’Internet, etc.). Quelles que soient les formes que prennent ces chemins de la connaissance, toutes nous ramènent aux livres, compagnons indispensables et précieux qui, selon Jean Cocteau « sème(nt) à foison les points d’interrogation » et livrent occasionnellement quelques réponses pour comprendre le monde. Durant ces trois années de licence, cet aspect s’amoindrit au cours du master, pour nous tous, adultes qui nous sommes lancés dans l’aventure, le lien social a été un facteur important de la réussite. Il s’ajoute au travail personnel grâce à quoi tous ont pu trouver en eux force, énergie et volonté d’aboutir en développant un bel esprit de curiosité et de partage. Page 12/12