Nous sommes étudiants

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Nous sommes étudiants
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Je suis employé dans une entreprise de service public (conducteur de métro) et à 45
ans, j’ai décidé de commencer des études. Mon rêve alors était de devenir
professeur de français langue étrangère (FLE). Je m’imaginais à l’étranger exerçant
dans une Alliance française auprès d’étudiants étrangers avides d’apprendre notre
belle langue. Je me suis donc inscrit en lettres modernes parcours FLE à la
Sorbonne Nouvelle (enseignement à distance). Disons que ceci est une raison
extérieure pour justifier ce désir d’étudier. Je répondais aussi, pour éluder la
question, que j’étudiais pour le plaisir. Mais des causes plus profondes, intérieures,
liées à la fois à des aspects d’ordre psychologiques et sociaux, justifiaient ma
volonté d’alors de me lancer dans cette aventure au long cours.
Je suis d’origine familiale très modeste, paysanne, aux perspectives d’émancipation
sociale peu favorables. À 18 ans j’ai raté le baccalauréat. Cet échec était la
conséquence et le signe d’une adolescence dilettante. Avec le bac, j’aurais été bien
ennuyé pour trouver une orientation qui me convienne. Un sentiment d’infériorité
cependant s’était accru en moi depuis cet échec qui ne s’est pas guéri avec
l’exercice d’un métier peu valorisant, bien au contraire. Obtenir un diplôme
universitaire signifiait avoir un passeport, une légitimité pour parler du monde du
savoir et de la connaissance, pour parler de théâtre, de littérature, de manière
décomplexée. C’est ce que je pensais alors.
Ce défi était l’épreuve de rattrapage d’une vie qui m’ennuyait. J’avais besoin de
montrer ce dont j’étais capable, pour moi et pour les autres. D’où le choix
contraignant d’une formation universitaire diplômante. Au bout de cinq ans
d’étude, après l’obtention d’une licence de lettres modernes, j’ai décidé d’arrêter à
l’issue du master 1 après avoir eu la confirmation que j’étais pris en master 2. À ce
moment là, l’urgence d’obtenir le sésame final avait disparu et ma volonté de
donner des cours de français s’était considérablement émoussée. Ces années ont
comblé un manque, une faille, un sentiment d’échec persistant. Ce fut une période
stimulante. J’ai voulu savoir rétrospectivement ce qui avait poussé des adultes
comme moi, déjà inscrits dans une activité professionnelle, ayant, pour certains,
acquis un niveau d’études dans le deuxième voire le troisième cycle universitaire, à
reprendre des études. Leur tranche d’âge se situe entre 23 et 68 ans, de différentes
origines socio-professionnelles et géographiques, qu’ils s’appellent Dominique,
Lucie, Daniel, Catherine, ils ont bien voulu revenir sur l’origine de leurs
motivations et sur quelques souvenirs. Ce sont ces témoignages que je vous propose
de lire ici.
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Daniel
Je m’appelle Daniel Arnould. J’ai 68 ans. Avant ma retraite, j’exerçais le métier de
professeur des universités, en sciences économiques, à Nancy. Au moment de ma
reprise d’études, j’étais donc déjà titulaire d’un doctorat d’État de sciences
économiques et agrégé de sciences économiques.
J’ai pris ma retraite à 60 ans pour faire des études complètes de lettres. J’ai choisi
l’enseignement à distance, à Paris 3, pour avoir la liberté de mes horaires de travail,
et la discipline de "lettres modernes" car je voulais aller, dans mes lectures
d’œuvres littéraires, au-delà du seul premier niveau, celui de l’intérêt de l’histoire
racontée. Je souhaitais en quelque sorte intellectualiser un peu mes lectures en me
penchant sur le style et sur le champ sémantique de l’auteur, sur la construction du
récit, sur les procédés narratifs utilisés. Je désirais également m’ouvrir à des
écrivains, français ou étrangers, avec lesquels je n’étais pas familiarisé. A vrai dire,
j’aurais bien aimé suivre un cursus de "lettres classiques" – j’avais six ans de latin et
quatre ans de grec au lycée derrière moi – mais j’avais craint d’être trop âgé pour
me remettre à ces matières difficiles une quarantaine d’années plus tard.
Je me suis donc inscrit en L1 de lettres modernes, à distance, à Paris 3. Au deuxième
semestre était dispensé un cours de latin. Et je me suis aperçu que le vocabulaire et
la grammaire, enfouis en moi, remontaient progressivement à la surface de ma
mémoire. J’ai donc continué, dans le cadre des options, à faire du latin en L2 et en
L3, et je me suis remis au grec en bénéficiant des conseils de notre enseignante de
latin et de civilisation latine, puis en suivant les cours à distance de l’association
"Connaissance hellénique" dont le siège est à l’université d’Aix. En M1 de
littératures comparées, toujours à Paris 3, j’ai pu faire un mémoire de grec et de
latin. J’ai bifurqué ensuite, sur les conseils de ma directrice de mémoire, vers un M2
de lettres classiques à distance, à Montpellier ; puis j’ai renforcé mon niveau en
grec en suivant les cours intensifs dispensés en été dans le cadre de l’Académie des
Langues Anciennes (dont le siège est également à l’université d’Aix) et je me suis
inscrit finalement en thèse de lettres classiques à Aix. Je suis, en ce début d’année
2014, en troisième année de thèse.
En fait, mes objectifs ont été dès à présent très largement dépassés. J’ai
effectivement atteint mes objectifs initiaux, à travers par exemple, les
enseignements de linguistique ou de poétique. Et je me souviens de cours
formidables sur trois œuvres littéraires majeures dont nos enseignants de Paris 3
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nous avaient donné les clés de lecture : À la recherche du temps perdu de Marcel
Proust, Les Carnets de Malte Laurids Brigge de Rainer Maria Rilke, La Route des
Flandres de Claude Simon.
Mais je n’avais pas du tout anticipé l’aventure humaine collective que
représenteraient ces études. Je m’imaginais dans mon bureau, occupé à travailler les
cours, à lire les œuvres au programme, à faire les dissertations demandées en
contrôle continu (ce qui a bien sûr été aussi le cas), avant d’aller passer les examens
à Paris en juin. J’ignorais qu’il y aurait, sur le site de télé-enseignement de Paris 3,
des forums sur lesquels interviendraient des enseignants pour répondre à nos
questions et des étudiants ayant les mêmes problèmes que les miens.
Progressivement et de manière informelle, nous avons instauré un système
d’entraide : ceux qui avaient le temps de faire des fiches sur les cours les mettaient
en ligne pour les autres ; les étudiants qui pouvaient se rendre à Paris aux séances
de regroupements, animées par nos enseignants, nous en faisaient un compterendu ; nous mettions en ligne aussi les copies de contrôle continu qui avaient
obtenu les meilleures notes ; et surtout nous nous encouragions. Ces études que je
croyais complètement individuelles se sont avérées ainsi, en fait, partiellement
collectives ; et les bons résultats de notre promotion ont été, de mon point de vue,
imputables à cette pratique collective.
Enfin, je fais presque chaque jour – ce qui n’était pas du tout anticipé lorsque j’ai
repris mes études – des progrès en grec et en latin, en littérature grecque et latine,
en mythologie de l’Antiquité.
Dominique
Je me suis lancée dans l’aventure de la fac de lettres à distance car dans ma
profession, on attendait un bon cursus universitaire – ce que je n’avais pas.
Pression lors des entretiens, en poste, avec les collègues, les supérieurs… c’était
insidieux ! J’ai donc fini par me lancer.
Ce seront donc trois années de licence à décortiquer des textes, à passer des nuits,
des week-ends et des vacances dessus, à rendre les devoirs avec quelquefois trois
semaines de retard, à réviser pour les partiels (heureux temps des partiels où enfin,
on pouvait rencontrer nos camarades de forums, et rire en face à face de nos
aventures). Puis, trois ans plus tard, alors que j’étais à un mois d’accoucher de ma
deuxième fille, la licence ! Une prof m’a dit « vous prospérez ! » : elle ne pouvait pas
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mieux me le dire !!! Et ensuite le M1 : trois ans dessus, aussi, parce que l’arrivée de
la deuxième poulette m’avait quelque peu désorganisée hum hum) ! Et aujourd’hui,
le M2 !!! Reste à pondre cent pages de mémoire, pour lequel je n’ai encore rien fait,
et deux séminaires…
Car ça a été cela, ma gageure : réussir à tout faire, sans rien laisser tomber. Pas
simple, on doit parfois se contenter, avoir des notes moins bonnes car on n’a pas
réussi à dégager l’énergie et le temps qui auraient permis de mieux travailler – et
d’approfondir son sujet.
Quelques belles intuitions, aussi, hormis le devoir de littérature fantastique : les
textes de Claude Simon, de Proust, de Camus ou de Jean-Luc Lagarce ; la
linguistique !!! Ahhh, les premiers devoirs de linguistique, le « rattrapage » de
linguistique en L1 (où j’ai dû augmenter ma note de un demi point et passer de 4 à
4,5 !!!!), les cours d’ancien français ou de latin, pour lesquels je me sentais latinorésistante !
Alors, question : comment obtient-on sa licence, puis son master 1, et se trouve-to n en master 2 avec un travail et investissement qui paraissent aussi
« aventuriers » ? Eh bien d’abord parce qu’on aime ça : les textes, la langue, cette
espèce de recherche policière sur ce qui a bien pu pousser l’auteur, à ce moment-là,
à dire telle chose, de telle manière : décrypter les métaphores, qui sont les
messieurs à échasses ou masques de cire de Marcel Proust, chercher les tournures,
voir quel est le vocabulaire employé, ce qui se répète… Ou encore chercher
pourquoi le style si particulier de Lagarce sert son propos. Car entre la poétique, la
linguistique et l’étude des différents textes, l’on parvient à comprendre certains
messages, avoir une analyse fine des paroles de l’auteur.
Ce sont ces choses qui servent maintenant à décrypter la parole de l’ami, du
collègue, du supérieur, ou bien du politique lors de son discours.
En plus de se sentir pleine de ces bonheurs-là, de ces pépites, j’ai l’impression
d’avoir maintenant un pouvoir, celui de ne pas être dupe. Voilà, c’est cela : l’étude
des textes et des auteurs est celui-ci, ne pas se faire prendre pour des idiots,
développer son esprit critique, se sentir plus fort avec cette culture (que je sens un
peu moins mince qu’avant mais encore bien insuffisante), être riche de tout cela,
savoir que cela existe, que tous ces penseurs ont été là pour nous et que nous, avec
nos quelques petites études et travaux, avons peut-être rapporté quelques micrograins de sable à mettre dans notre édifice de savoir…
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Très belle aventure, lourde, difficile, mais riche en rencontres : avec les textes tout
d’abord (frustrante sur ce point, avec souvent le sentiment de ne jamais aller aussi
loin que voulu), et avec les gens, surtout : des adultes, salariés, personnes qui
vivent au loin : une sacrée richesse que l’université française nous permet ! Ensuite
avec nos chers profs : là aussi de sacrés personnages !!! Et l’on apprend en janvier
2014 que la Sorbonne Nouvelle est en première place du classement du « Monde »
sur l’insertion professionnelle des masters en arts, lettres et langues : jolie
récompense, non ?
Christophe
Je me souviens. Je monte les trois étages du bâtiment, laid, en forme de U inversé
pour me diriger vers les bureaux de l’ENAD (Enseignement à distance de Paris 3).
L’inscription administrative et pédagogique étant validée, je suis là en ce début
d’automne pour prendre possession des cours papier. Derrière la porte d’entrée du
petit local, une très longue table devant des étagères qui montent jusqu’au plafond
où s’entassent des centaines de fascicules de couleur verte aux intitulés intimidants
affublés de codes incompréhensibles. Pendant plusieurs jours, tous les étudiants qui
peuvent se déplacer jusque là viennent chercher ces polycopiés qui seront le
support des cours : latin, linguistique, langue, littérature, vieux français, FLE, etc.
Pour les étudiants qui ne sont pas sur place, ils leur seront envoyés par courrier.
Devant moi, une jeune fille, les cheveux longs et bruns. Elle longe la table derrière
laquelle se trouve un membre des personnels ATOS à qui elle tend une feuille où
sont cochées toutes ses matières d’enseignement sélectionnées : "Vous êtes en
troisième année de licence ?" "Oui, je suis en L3 !"
Lorsque j’entends cette précision, je la regarde avec une intense curiosité.
Troisième année !! Je suis trop timide pour lui adresser la parole mais je suis si
impressionné par cette simple assertion et si admiratif devant ce qui m’apparaît
comme une immense prouesse que je pourrais lui porter la pile de polys jusqu’à
l’autre bout de la huitième zone de l’Ile de France, lui demander un autographe, lui
baiser les pieds. Elle disparaît dans la salle contigüe sans un regard pour le pauvre
hère misérable et inculte que je suis.
Je n’avais pas encore commencé le long marathon que constituait cette première
année de licence que j’étais déjà accablé par la masse colossale de modules
d’enseignements à valider pour passer en deuxième année et qui s’entassaient sous
forme de milliers de caractères d’imprimerie dans un grand sac Franprix en toile
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renforcée tenu à bout de bras. Ma détermination allait se trouver de nombreuses
fois remise en question.
Daniel
Dans ces études à distance, il y eut parfois des moments cocasses. J’ai le souvenir
d’une grève longue à Paris 3, avec occupation des locaux. Aucun cours n’était plus
dispensé. Nous, nous n’étions pas affectés car les forums informatiques n’étaient
pas bloqués. Bien plus, il y eut des regroupements pendant cette période et les
étudiants à distance étaient les seuls, avec leurs enseignants, à qui l’accès aux
locaux n’était pas refusé. Je me souviens donc d’un regroupement de latin dans une
université totalement déserte, avec simplement cette affiche, presque jubilatoire,
qu’avait mise l’enseignante à l’entrée de la salle qui nous était affectée : "Le latin
c’est ici !"
Lucie
Je m’appelle Lucie, je suis professeur de lettres dans un collège varois. Après deux
années post baccalauréat passées à la Haute École de Musique de Lausanne, j’ai pris
mes valises pour m’installer au Népal. Le seul « hic » de cet immense désir de
liberté, fut de trouver un moyen pour concilier cette soif de découverte avec les
obligations universitaires que toute jeune fille respectable de vingt et un an se
devait de poursuivre. Télé 3, ou encore « service d’enseignement à distance de La
Sorbonne Nouvelle », s’est donc tout naturellement offert à moi. Un billet d’avion
plus loin, et quelques kilos de fascicules universitaires dispersés entre l’Europe et
l’Asie, me voilà au fin fond du monde à devoir préparer seule une maîtrise en
plusieurs actes. Heureusement, et je ne le savais pas encore, je n’étais pas si isolée
que je ne le croyais…
« Le » fil d’Ariane : Internet !! Une des conditions sine qua non de la réussite aux
études à distance tient bien sûr à une bonne liaison internet. « Facile » diront
certains d’entre nous installés bien au chaud devant leur bureau, mais véritable
challenge à relever en habitant au Népal. En 2007, au mot « Internet », les Népalais
me demandaient encore « qu’est ce que c’est ? ». Il a donc fallu connecter mon
ordinateur à un réseau qui ne fonctionnait que deux heures par jour de façon très
aléatoire et avec un débit extrêmement lent… Premier acte de solidarité entre
étudiants à distance : les fichiers PDF compressés envoyés par les uns et les autres
pour me venir en aide. Je n’étais pas si recluse que cela dans mon bout du monde.
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Finalement, à grand renfort de dollars et de patience, je suis arrivée à obtenir en
2009 l’ADSL… Soulagement ! Je n’aurais plus à passer quarante cinq minutes pour
télécharger la version numérique des fascicules de cours, ni à harceler mes
camarades pour leur demander une version encore plus compactée qu’un plat
lyophilisé !
Une fois ces préoccupations purement matérielles réglées, un nouvel obstacle se
dressait devant moi : les rendez-vous fixés par les enseignants et les tuteurs pour
chatter en direct avec eux. Enfantin à gérer ! En effet, ce ne sont pas cinq heures
de décalage horaire qui pouvaient entraver ma détermination. Le challenge numéro
deux s’ouvrait à moi : ouverture du chat avec Mme ***** à 20h heure française…
donc pour moi… 1h du matin…
Dominique
Je me souviens. Inscrite à la hussarde, ma connexion Internet pas encore installée,
alors que tous mes camarades de L1 avaient déjà lu pas mal de livres au programme
et démarré les conversations sur les forums, je courais les cafés Internet pour
récupérer mes cours, les infos, les messages ! Au travail, ce n’était pas mieux, le site
était bloqué par les paramètres de sécurité : impossible de télécharger les cours
pendant la pause déjeuner !! Vaille que vaille, je récupère petit à petit ce dont j’ai
besoin. Le premier regroupement arrive enfin, et c’est LA rencontre avec ma
« promo » ! La prof est sympa, on papote en fin de cours, quelqu’un propose de
boire un pot : on se rencontre, on se livre un peu ! Les échanges se poursuivent sur
les forums. Grâce à la promo de troisième année qui tient de la haute littérature, de
la folie douce, de la loufoquerie et de la bonne grosse entente, nous survivons à nos
questionnements : pourquoi, essentiellement ! Pourquoi sommes-nous allés nous
fourrer dans cette galère ??? Arrive le premier devoir à rendre : un commentaire
composé de Beaumarchais. Je trouve mes thèmes, je travaille mon devoir en
parties… Fière de moi, j’ai en fait composé un devoir avec des exemples pris hors du
texte à analyser : exemples hors sujet de bout en bout, première note pourrie, de
bout en bout aussi ! (J’avais 40 ans, cela faisait plus de 20 ans que je n’avais pas fait
de commentaire composé [cc] : ma technique – si elle avait un jour existé – était
plus qu’oubliée.) Deuxième devoir : littérature fantastique, une nouvelle de quelques
pages. Et là, bingo, comme on étudiait par ailleurs la poétique (technique littéraire),
j’ai parfaitement analysé le texte, étudié les temps verbaux, les différentes
narrations, et récolté un joli 19 !!! Voilà, c’était parti, enfin : avec cette première
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bonne note, le petit jeu du chat et de la souris avec les textes allait enfin
commencer...
Catherine
Je m’appelle Catherine Sanchis, j’ai 49 ans et j’exerce un métier qui me permet
d’évoluer dans le monde du spectacle vivant ; je travaille dans un service de
perception de droits d’auteur dans lequel je fais des analyses chiffrées sur
l’économie du théâtre en France et à l’étranger et je perçois directement les droits,
pour le compte des auteurs, auprès de certains théâtres parisiens comme l’Opéra
Comique, l’Athénée, le théâtre de la Huchette, etc.
J’ai repris, à l’âge de 43 ans, des études de lettres modernes à distance, à la
Sorbonne nouvelle, vingt-trois ans après l’obtention d’un Diplôme Universitaire de
Technologie dans les métiers de l’information, option documentation, à
l’Université de Dijon, en Bourgogne.
Quelles sont les raisons qui m’ont poussée à reprendre des études ? L’envie
irrésistible d’apprendre, l’amour de la littérature que j’ai depuis toujours. Je dis
« irrésistible » car même avec une vie familiale bien remplie et une activité
professionnelle prenante, je me suis organisée pour que ces études prennent une
place importante dans ma vie. L’envie permet de réaliser bien des choses et lève les
barrières que l’on a tendance, je trouve, à se mettre soi-même.
Se plonger, durant cinq ans, dans l’étude des textes de toutes les époques,
découvrir comment un texte fonctionne, les motivations de son auteur au moment
de l’écriture, le lien entre ses sources d’inspiration, l’histoire de la société dans
laquelle il a vécu, a été pour moi comme une immense fenêtre qui en a ouvert bien
d’autres, au fur et à mesure de l’approfondissement de mes connaissances. J’ai vécu
cette aventure comme une véritable bouffée d’oxygène dans ma vie. J’ai ressenti du
bonheur durant ces cinq années, au même titre que celui ressenti lorsque l’on
rencontre et que l’on vit le grand Amour. Tous ces rendez-vous plutôt nocturnes et
le week-end, à étudier après le travail, me donnaient toujours un peu
d’appréhension ; je me disais : « Vais-je être à la hauteur de ce que l’on attend de
moi ? », lorsque je devais « m’atteler » à un travail qui avait été demandé par un
professeur. Les études occupaient mon esprit une grande partie de la journée. Dès
que je faisais une pause, au travail, je réfléchissais au cours que j’avais lu la veille,
par exemple, ou bien, je rassemblais des idées que je notais sur un carnet pour un
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commentaire composé ou une dissertation à faire ultérieurement ; je nourrissais ma
réflexion en lisant des essais en relation avec les thèmes abordés dans les cours. Ces
activités, intellectuellement riches, m’ont également servi dans mon activité
professionnelle, car ayant la tête bien remplie, j’étais « bien dans ma tête » pour
trouver toute l’énergie nécessaire à la réalisation de projets intéressants.
En étant salariée, j’ai compris que pour me consacrer et réussir mes études, je
devais fournir pour la fac un travail personnel, régulier et solitaire ; d’ailleurs,
j’avais anticipé, durant l’été précédant mon inscription à la Sorbonne Nouvelle, la
lecture des œuvres au programme de l’année.
Ce sentiment d’être totalement seule devant un défi à relever n’a été que de courte
durée car, très vite, sont apparus sur la plateforme du site web de téléenseignement de la Sorbonne, non pas des visages mais des noms d’étudiants qui
étaient inscrits comme moi pour cette grande aventure universitaire. Les
présentations puis les échanges se sont faits par écrans interposés, jusqu’au jour où
j’ai pu rencontrer un petit nombre d’entre eux lors des regroupements, avec nos
professeurs, puis lors des examens du mois de mai-juin qui avaient lieu à la fac à
Paris.
Malgré la solitude éprouvée par l’étudiant-salarié devant la quantité de travail à
fournir, je me suis sentie, à certains moments, soutenue voire portée par d’autres
étudiants qui avaient les mêmes motivations que moi pour la littérature.
Les examens qui se déroulaient en mai-juin, pour tous les étudiants « à distance »,
m’ont laissé cette forte impression de participer à un véritable marathon
intellectuel car, il s’agissait, durant une quinzaine de jours, de valider toutes les
matières du premier et deuxième semestre du cursus choisi. Le travail de toute une
année réduit dans un espace-temps de quelques jours, pour passer les épreuves
finales qui permettront ou non de poursuivre l’aventure à un niveau supérieur.
Lucie
Un des aspects très appréciable de notre cursus, fut la possibilité de choisir le
contrôle continu. Pour chaque matière nous pouvions envoyer un devoir pendant
le semestre, qui compterait pour un tiers de notre moyenne, le reste étant la note
de partiel. Nous avions donc un calendrier des devoirs, à nous de nous organiser
pour faire parvenir, via une plateforme numérique, nos travaux. Travail en groupe,
notes des uns et des autres mutualisées sur notre « cafétéria virtuelle »,
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encouragement des « anciens », étaient autant de petits cairns balisant notre
itinéraire de réussite.
Catherine
Je me souviens, j’avais passé une épreuve concernant la figure du Libertin en
littérature. J’avais rendu un travail et j’attendais donc, comme pour bien d’autres
matières, les résultats. J’étais dans l’entrée principale de la fac de Censier quand un
étudiant lance « le cri de ralliement » : « Tous en haut ! Les résultats du libertin
sont affichés ! » ; je me précipite avec les autres, à l’étage pour consulter les notes.
Quelqu’un lance : « Il y a eu un 18 ! » ; tout le monde veut savoir qui a eu le 18 en
question. On dit : « C’est Catherine Sanchis ! » et moi, demandant en chœur, avec
les autres étudiants : « Elle est là Catherine Sanchis ? ». Puis à ce moment précis, je
réalise que Catherine Sanchis eh bien, c’est moi ; donc, je crie : « C’est moi ! ». Les
regards se sont tournés dans ma direction en affichant une grande perplexité
concernant mon état de santé mentale. J’étais si admirative devant ce résultat que
j’en ai momentanément oublié mon identité.
Lucie
(Je me souviens) des examens regroupés en fin d’année à l’université. La première
phase pour bon nombre d’entre nous : trouver un moyen pour se loger sur Paris
pendant une quinzaine de jours. Une fois cette étape franchie, les choses sérieuses
peuvent commencer. A la manière des épreuves olympiques, les partiels sont un
moment où nous devons faire nos preuves en quelques heures, nous n’avons pas
droit à l’erreur, le travail d’une année en dépend. Heureusement que cette période
est aussi celle des retrouvailles avec les collègues : nous sommes enfin ensemble !
Joies, tristesses, épuisements, sont autant d’instants riches vécus ensemble que
seuls les « télétroyens » (néologisme né de notre expérience) pouvaient
comprendre. L’une arrivait enceinte de huit mois pour passer l’épreuve de
linguistique, l’autre sortait de l’avion en provenance de Hong Kong pour le latin, et
nous étions tous là, véritable patchwork de la société, avec un seul et même
objectif : réussir notre année, et surtout relever un même défi : reprendre nos
études malgré nos différences et nos vies bien remplies.
Les failles du système universitaire. De 2006 à 2010, les années se sont enchaînées
sur un rythme semblable, jusqu’au jour où le grain de sable est venu enrayer la belle
machine m’ayant permis de réussir ma licence et ma maîtrise : la bureaucratie. Je
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m’explique.
Une fois les partiels de première année de master derrière moi et la mention assez
bien requise pour accéder à la deuxième année en poche, j’apprends au détour d’un
couloir, que je n’ai plus que quarante huit heures pour fournir les pièces
justificatives à transmettre à une commission allant examiner si oui ou non j’étais
acceptée en deuxième année. Nous n’avions même pas été informés qu’une
sélection s’opérait après la maîtrise, nous savions juste que nous devions obtenir la
mention assez bien. Finalement, j’ai su quelques jours plus tard que « suite à de
trop nombreuses demandes pour trop peu de places, nous avons donc décidé de ne
donner accès au master 2 qu’aux étudiants ayant eu la mention bien ! ». Que faire
maintenant ? À une encablure de l’arrivée je suis gentiment renvoyée dans mes
pénates pour des raisons administratives, arbitraires, immorales et surtout
économiques à mon avis.
Où continuer mes études ? Quelles universités de renom offraient un service de
d’enseignement à distance ? Aucune ! D’échecs en échecs, trois années ont passées,
jusqu’au jour où, avec une petite fille de deux ans sous mon bras, je suis rentrée à
Toulon, la ville où j’ai grandi, pour m’inscrire en « présentiel » à l’université en
master deuxième année pour préparer le concours du CAPES que je réussis en 2013.
Christophe
Il m’appartient donc de conclure. Les motivations les plus diverses expliquent une
volonté de reprendre des études : reconversion ou demande de légitimité
professionnelle, désir d’érudition, besoin de reconnaissance, passion et plaisir. Des
chemins de traverse peuvent être empruntés pour se cultiver, pour apprendre, qui
ne passent pas forcément par l’obtention d’un diplôme (Universités libres,
conférences débat, expositions, l’Internet, etc.). Quelles que soient les formes que
prennent ces chemins de la connaissance, toutes nous ramènent aux livres,
compagnons indispensables et précieux qui, selon Jean Cocteau « sème(nt) à foison
les points d’interrogation » et livrent occasionnellement quelques réponses pour
comprendre le monde. Durant ces trois années de licence, cet aspect s’amoindrit au
cours du master, pour nous tous, adultes qui nous sommes lancés dans l’aventure,
le lien social a été un facteur important de la réussite. Il s’ajoute au travail
personnel grâce à quoi tous ont pu trouver en eux force, énergie et volonté
d’aboutir en développant un bel esprit de curiosité et de partage.
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