Nutrition et cancer : pourquoi intervenir avant 5 % de perte de poids ?
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Nutrition et cancer : pourquoi intervenir avant 5 % de perte de poids ?
Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Nutrition clinique et métabolisme 29 (2015) 126–131 Développement professionnel continu Nutrition et cancer : pourquoi intervenir avant 5 % de perte de poids ? Nutrition and cancer: Why take care of before 5% weight loss? Xavier Hébuterne a,∗,b a Service de gastro-entérologie et nutrition clinique, hôpital de l’Archet 2, CHU de Nice, 151, route de Saint-Antoine, 06200 Nice, France b Université de Nice Sophia-Antipolis, 28, avenue Valrose, 06103 Nice, France Disponible sur Internet le 13 avril 2015 Résumé La prévalence de la dénutrition est élevée au cours du cancer et elle est en moyenne de l’ordre de 40 %. Ces données sont obtenues avec les critères habituels qui notamment font référence à une perte de poids de 10 % ou plus. Cependant, si l’on considère qu’un malade qui présente une perte de poids de 5 % est déjà à risque nutritionnel, la prévalence de la dénutrition est supérieure à 55 %. Enfin, seuls 15 % des malades pris en charge pour cancer n’ont pas perdu de poids. La synthèse de la littérature suggère qu’en oncologie médicale, une perte pondérale de 5 % est associée à une altération du pronostic des malades (augmentation de la morbidité et de la mortalité). De nombreuses études démontrent qu’au cours de la radiothérapie et de la radiochimiothérapie, une prise en charge diététique active basée sur le conseil diététique, associé ou non à la prise de compléments nutritionnels oraux, permet d’améliorer le pronostic des malades. Les données au cours de la chimiothérapie sont moins convaincantes mais la plupart des études ont proposé une prise en charge insuffisante chez des malades déjà dénutris. Au cours des radiochimiothérapies pour cancers des voies aérodigestives supérieures, la mise en place prophylactique d’une gastrostomie, avant toute intervention nutritionnelle, est associée à un meilleur pronostic pour le patient et est recommandée. En chirurgie, la prise en charge nutritionnelle préopératoire est recommandée chez les malades dénutris et non dénutris qui doivent bénéficier d’une chirurgie majeure et la réalimentation postopératoire précoce est associée à une réduction des complications infectieuses et de la mortalité. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Dénutrition ; Conseils diététiques ; Nutrition entérale ; Gastrostomie ; Intervention précoce Abstract The prevalence of malnutrition is high in cancer and is on average around 40%. These data are obtained with the usual criteria that refer in particular to a weight loss of 10% or more. However, if we consider that a patient with a 5% weight loss is already at nutritional risk, the prevalence of protein-energy malnutrition is above 55%. Finally, only 15% of cancer patients have not lost any weight. The analysis of medical literature suggests that in medical oncology, a weight loss of 5% is associated with an alteration of the patient’s prognosis (increased morbidity and mortality). Many studies show that, during radiotherapy and chemo-radiotherapy, dietetic counselling, associated or not with the use of oral nutritional supplements, can improve the prognosis of patients. During chemotherapy, data are less convincing but most studies have proposed insufficient support in already malnourished patients and more studies are needed. During radio-chemotherapy for cancers of the upper aerodigestive tract, prophylactic placement of a gastrostomy, before any nutritional intervention, is associated with a better prognosis for the patient and is recommended. In surgery, the nutritional preoperative load is recommended in malnourished and non-malnourished patients before major surgery and early postoperative oral or enteral nutrition is associated with a reduction in infectious complications and mortality. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Malnutrition; Dietetic advice; Enteral nutrition; Gastrostomy; Early intervention ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2015.02.001 0985-0562/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. X. Hébuterne / Nutrition clinique et métabolisme 29 (2015) 126–131 1. Introduction L’une des premières conséquences cliniques de la dénutrition au cours du cancer est la perte de poids. Elle justifie le plus souvent une intervention nutritionnelle mais se pose la question du seuil de perte de poids qui doit déclencher cette prise en charge. Dans cet article, nous aborderons cinq points : la prévalence de la dénutrition selon le seuil de perte pondérale, les conséquences de la dénutrition selon le seuil de perte de poids, la prise en charge précoce par voie orale à l’aide de conseils diététiques, la prise en charge précoce par voie entérale par gastrostomie prophylactique au cours des cancers des voies aérodigestives supérieures et enfin la nutrition périopératoire. 2. Prévalence de la dénutrition selon le seuil de perte pondérale La prévalence de la perte de poids est liée principalement au type de tumeur et au statut évolutif [1]. Dans l’étude princeps de Dewys et al. [2], réalisée chez des patients en chimiothérapie pour des tumeurs de stade 2 et 3, une perte de poids (oui vs non) était présente dans 92 % des cas pour le pancréas, 90 % pour l’estomac, 70 % pour le côlon, 63 % pour le poumon, 55 % pour la prostate, 54 % pour les sarcomes et 49 % pour le cancer du sein [2]. Les recommandations concernant la personne âgée, définies par la Haute Autorité de santé (HAS) en 2007, définissent des seuils de dénutrition modérée et sévère selon le niveau de perte de poids et le délai d’apparition (perte de poids de 5 % en un mois ou 10 % en six mois pour une dénutrition modérée et perte de poids de 10 % en un mois ou 15 % en six mois pour une dénutrition sévère) [3]. Dans l’étude Nutricancer [4], des résultats similaires étaient retrouvés (Fig. 1) et la prévalence de la dénutrition était de 39 % si l’on utilisait comme critères un pourcentage de perte de poids ≥ 10 % associé à un indice de masse corporelle (IMC) inférieur à 18,5 ou 21 chez les plus de 70 ans. En utilisant les mêmes critères d’IMC avec une perte de poids ≥ 5 %, la prévalence de la dénutrition était de 54,6 %. En interrogeant 1903 patients un jour donné pris en charge pour leur cancer, 15 % affirmaient avoir un poids stable, 33,5 % une perte de poids modérée entre 0 et 5 % et les autres une perte de poids de plus de 5 %. Ainsi, une prise en charge 127 diététique précoce déclenchée dès que le patient signale avoir perdu du poids devrait être destinée à 85 % des malades atteints de cancer. 3. Conséquences de la dénutrition selon le seuil de perte de poids Dans la grande majorité, des études réalisées chez les malades atteints de cancer, quelle que soit la situation considérée (périopératoire, radiothérapie, chimiothérapie, palliatif, palliatif avancé), la perte de poids (en analyse uni- et/ou multi-variée) est associée significativement à la morbimortalité périopératoire, aux toxicités de la radiothérapie ou de la chimiothérapie et à la durée d’hospitalisation. La perte de poids est aussi un facteur de mauvais pronostic en termes de survie globale, de survie sans récidive et de qualité de vie [1]. 3.1. En chirurgie En chirurgie, la prévalence de la perte de poids au seuil de 10 % varie de 2,4 à 20 %. La perte de poids, définie au seuil de 10 % par rapport au poids de forme, habituel, ou dans les six mois, est associée à une augmentation significative de la morbidité postopératoire, de la mortalité avec une réduction de la survie, une augmentation du temps d’hospitalisation. La plupart des données sont observées au cours des études rétrospectives. Une étude prospective a cependant mis en évidence une association entre des complications postopératoires infectieuses et une perte de poids à 10 % ou plus, et une association entre tous types de complications et une perte de poids à 15 % ou plus [5]. 3.2. En oncologie médicale En oncologie médicale, l’incidence de la perte de poids varie de 8,2 à 87 % selon les pathologies, les stades évolutifs et la définition du seuil de perte de poids. La prévalence la plus élevée concerne les patients métastatiques à un stade évolué sans traitement de chimiothérapie ou les cancers gastriques sous chimiothérapie. En analyse multivariée, lorsque la perte de poids est associée à la survie ou aux toxicités, le seuil pronostique de perte de poids est alors défini soit en variable dichotomique (oui vs non), soit au seuil de 5 %. Le seuil de 10 % est identifié beaucoup plus rarement. Enfin, selon les études, le poids est analysé en kg, en variable continue, à des seuils de ±2 % ou dans un score composite au seuil de 15 %. En analyse multivariée, il n’est pas identifié de seuils différents de pronostic selon la perte de poids. Ces études permettent de conclure qu’en oncologie médicale, une altération du pronostic est observée chez les malades à partir d’une perte de poids de 5 %. 4. Place et intérêt de la prise en charge diététique précoce chez les malades porteurs d’un cancer Fig. 1. Prévalence de la dénutrition chez les malades atteints de cancer [3]. La Société francophone de nutrition clinique et métabolisme (SFNEP) a, dans ses recommandations pour la pratique clinique (RPC), émis des recommandations très précises dans ce domaine [6]. 128 X. Hébuterne / Nutrition clinique et métabolisme 29 (2015) 126–131 « Le conseil diététique personnalisé est réalisé par un expert en nutrition tout au long du traitement. En général, le conseil diététique personnalisé intègre plusieurs consultations diététiques. En cas de prescription de compléments nutritionnels oraux, il est recommandé d’associer à cette prescription un conseil diététique personnalisé (grade B). En chirurgie, les recommandations émises par la Société française d’anesthésie-réanimation et la Société francophone de nutrition clinique et métabolisme [7] proposent une stratification sur le risque nutritionnel. En cancérologie, les patients sont de grade nutritionnel 2, 3 ou 4. Il est recommandé un conseil diététique personnalisé intégrant, si nécessaire, la prescription de compléments nutritionnels oraux (CNO) pour tout patient de grade nutritionnel 2 ou 3 (GN2 ou GN3 : avis d’expert). En radiothérapie ou en radiochimiothérapie à visée curative, le conseil diététique personnalisé permet une amélioration du statut nutritionnel, de la qualité de vie et réduit les toxicités secondaires au traitement dans les tumeurs des voies aérodigestives, de l’œsophage et du rectum. Dans ces situations, le conseil diététique personnalisé intégrant, si nécessaire, la prescription de CNO est recommandée dans les tumeurs des voies aérodigestives supérieures, de l’œsophage et du rectum (grade B). En chimiothérapie, les données actuelles ne permettent pas de recommander de façon systématique un conseil diététique personnalisé (grade C). En raison des troubles du goût et de l’anorexie fréquente, il est recommandé un conseil diététique personnalisé intégrant, si nécessaire, la prescription de CNO en cas de dénutrition et/ou de diminution des ingesta (EVA < 7) et/ou à la demande du patient ou de la famille (avis d’experts). En raison du peu de données dans la littérature, il est recommandé de développer des protocoles de recherche clinique dans ce domaine (avis d’experts) ». Ces recommandations reposent sur plusieurs études qui sont détaillées dans le texte long des RPC [8]. Certaines études méritent cependant que l’on s’y attarde. En 2005, Ravasco et al. [9,10] ont comparé, dans deux études prospectives randomisées de niveau 2, trois groupes de patients atteints de cancer colorectal (CCR) (n = 111) recevant une radiothérapie ± chimiothérapie [9] et de cancer de la tête et du cou (n = 75) recevant une radiothérapie précédée d’une chimiothérapie [10]. Environ 50 % des malades n’étaient pas dénutris. Le premier groupe bénéficiait pendant les six semaines de radiothérapie de conseils diététiques personnalisés, donnés par un diététicien une fois par semaine, tenant compte des habitudes alimentaires et permettant de couvrir durant tout le traitement les besoins énergétiques journaliers calculés à partir de la dépense énergétique de repos multipliée par un facteur de correction de 1,5 et les besoins protéiques (0,8 à 1 g/kg/j) (G1). Le deuxième groupe recevait deux CNO apportant en plus de leur alimentation 400 kcal et 40 g de protéines par jour (G2). Le troisième groupe conservait son alimentation habituelle (G3). Les auteurs ont démontré, dans les deux études, l’augmentation assez similaire des apports énergétiques et protéiques à la fin de la radiothérapie et le maintien selon les besoins journaliers après trois mois de suivi pour le groupe recevant les conseils diététiques, ce qui n’est pas le cas dans les deux autres groupes. Le nombre de patients qui présentaient une détérioration de l’état nutritionnel à la fin Fig. 2. Médiane de survie des malades en fonction de leur prise en charge nutritionnelle pendant la radiothérapie [11]. de la radiothérapie et après trois mois de suivi a été significativement moins élevé dans le groupe recevant le conseil diététique personnalisé (p < 0,01). Par ailleurs, neuf des 15 patients dénutris dans ce groupe, selon le score Patient Generated Subjective Global Assessment (PG-SGA), ont amélioré leur état nutritionnel (récupération moyenne de 4 kg [écarts : 2–7 kg]) au bout des trois mois de suivi, alors qu’aucun des patients déclarés dénutris dans les deux autres groupes (14 patients dans le groupe CNO et 13 patients dans le groupe alimentation standard) ne l’ont amélioré. Des résultats similaires ont été observés au cours de l’étude réalisée chez les patients atteints de tumeur des voies aérodigestives [10]. Les mêmes auteurs ont récemment présenté les résultats à long terme du travail réalisé chez des malades porteurs de CCR [11]. La durée du suivi a été de 6,5 ans (4,9 à 8,1 ans). Dans le groupe 3, 30 % des malades ont présenté une récidive locale et 20 % des métastases. Dans le groupe 2, 16 % ont présenté une récidive ganglionnaire et 9 % des métastases, dans le groupe 1, 19 % ont présenté une récidive locale et aucun des métastases (p < 0,01). À l’issue du suivi, 30 % des malades étaient décédés dans le groupe 3, 22 % dans le groupe 2 et seulement 8 % dans le groupe 1. La médiane de survie dans les trois groupes est présentée sur la Fig. 2. Au cours du suivi, les apports énergétiques et protéiques ainsi que l’état nutritionnel étaient meilleurs dans le groupe 1 que dans les deux autres groupes. À l’issue du suivi, des symptômes digestifs (flatulences, diarrhée, météorisme abdominal) en rapport avec une toxicité tardive de la radiothérapie, étaient présents chez 9 % des malades du groupe 1 contre respectivement, 59 % et 65 % des malades des groupes 2 et 3. La qualité de vie était meilleure dans le groupe 1 que dans les deux autres groupes. En analyse multivariée, un état nutritionnel détérioré et des ingesta bas à la fin de la radiothérapie étaient associés à un sur-risque de mortalité au cours du suivi (RR 8,25 ; IC à 95 % : 2,74–11,47 : p < 0,001). Cette étude, unique du fait du suivi à long terme des malades, suggère que l’éducation nutritionnelle a un rôle majeur chez les malades porteurs d’un CCR traités par radiothérapie. Elle permet d’assurer tout au long du suivi des ingesta corrects, ce qui favorise le maintien d’un bon état nutritionnel. Ce travail plaide pour une prise en charge précoce et personnalisée des malades qui vont débuter une radiothérapie. X. Hébuterne / Nutrition clinique et métabolisme 29 (2015) 126–131 Des études sont nécessaires afin de déterminer si ce type de prise en charge est aussi bénéfique au cours des chimiothérapies. En chimiothérapie, les études sont moins convaincantes. Tout récemment, Bourdel-Marchasson et al. [12] ont randomisé 341 sujets âgés de plus de 70 ans traités par chimiothérapie pour divers cancers, pour bénéficier ou non d’une prise en charge diététique (six consultations pendant la période de chimiothérapie). Il s’agissait de patients à risque de dénutrition selon le Mini Nutritional Assessment (MNA). En réalité, ces patients avaient déjà perdu en moyenne 8,5 % de leur poids corporel et donc un grand nombre étaient dénutris. L’intervention nutritionnelle permettait d’augmenter les apports énergétiques moyens des sujets pris en charge mais cette augmentation restait modeste et très peu de patients recevaient des CNO. Ainsi, à la seconde visite, les objectifs nutritionnels (35 kcal/kg/j et 1,2 g/kg/j de protéines) étaient atteints chez 57 (40,4 %) et 66 (46,8 %) des patients du groupe pris en charge, contre 13 (13,5 %) et 20 (20,8 %) des sujets témoins. Les patients pris en charge ont perdu en moyenne 4 kg pendant la chimiothérapie contre 5 kg pour les patients du groupe témoin (ns). La mortalité à deux ans, qui était l’objectif principal de cette étude, était identique dans les deux groupes et les principaux éléments évalués (complications, durée d’hospitalisation, etc. . .) étaient identiques dans les deux groupes. L’absence d’efficacité clinique de cette étude peut sans doute être expliquée par la timidité de l’intervention nutritionnelle réalisée chez des patients pour la plupart dénutris qui auraient dû bénéficier d’une prise en charge plus efficace. 5. Place et intérêt de la gastrostomie prophylactique chez les malades porteurs d’un cancer des voies aérodigestives supérieures (VADS) Les RPC de la SFNEP recommandent la pose d’une gastrostomie prophylactique à tout malade qui doit bénéficier d’une radiochimiothérapie [13]. Il n’existe pas d’étude contrôlée dans ce domaine, cependant cette recommandation repose plusieurs études. Une étude récente renforce encore cette recommandation [14]. Les auteurs de ce travail ont voulu évaluer le bénéfice de la pose précoce d’une gastrostomie percutanée endoscopique (GPE) chez des malades porteurs d’un cancer des VADS qui devaient avoir un traitement par radiochimiothérapie. Pour cela, ils ont réalisé une étude rétrospective à partir des données obtenues chez 111 malades consécutifs entre août 2004 et juin 2008. Il s’agissait de malades d’âge médian 58 ans, de sexe masculin dans plus de 80 % des cas, porteurs, le plus souvent, d’une tumeur VADS localement avancée. Seuls, quatre malades étaient porteurs de métastases. Tous les patients recevaient une radiothérapie (en moyenne 70 Gy) et une chimiothérapie contenant du cisplatine. Avant la mise en place du traitement, les patients ont été informés du risque de mucite et de troubles de la déglutition pendant le traitement et une GPE leur était systématiquement proposée avant le traitement. Les malades étaient pesés chaque semaine et les données médicales colligées. Chez les malades qui refusaient la pose d’une GPE prophylactique, une GPE pouvait être posée à n’importe quel moment du traitement selon le jugement du médecin en charge du malade. Après la période de 129 Fig. 3. Impact du moment de la pose d’une gastrostomie (GPE) sur la perte pondérale des malades porteurs d’un cancer des voies aérodigestives supérieures en cours de radiochimiothérapie [13]. radiochimiothérapie, les malades étaient revus et pesés une fois par mois. Les objectifs de l’étude étaient au nombre de trois : • déterminer l’effet du moment de la pose de la gastrostomie sur le devenir des malades (survie, perte de poids, etc,. . .) ; • comparer les mêmes paramètres chez les malades qui ont eu et ceux qui n’ont finalement pas eu de gastrostomie ; • étudier l’impact du moment de la pose de la gastrostomie sur la dépendance à long terme à la nutrition entérale. Au total, 90 (81 %) malades ont eu une GPE à un moment du traitement. Chez 53 (58,9 %), la gastrostomie a été posée avant le début du traitement ; chez les autres, elle a été posée au cours du traitement ou après. Les auteurs ont établi une corrélation entre le moment de la pose de la GPE et la perte de poids (R = 0,495 ; p < 0,001). Plus la gastrostomie était posée tôt et moins les malades perdaient du poids. La perte pondérale six semaines et six mois après la radiothérapie était réduite de moitié chez les malades qui avaient eu une GPE prophylactique, comparativement à ceux chez qui la gastrostomie a été placée plus tard (Fig. 3). Les malades qui n’avaient pas eu de GPE perdaient significativement plus de poids que ceux qui en avaient eu une. Une corrélation significative a été mise en évidence entre le moment de la pose de la gastrostomie et la durée d’hospitalisation pendant la période d’observation. Le plus grand bénéfice était observé chez les patients chez qui la gastrostomie était placée avant ou au cours des trois premières semaines de radiothérapie, comparativement aux autres (0,41 vs 1,97 jours d’hospitalisation en moyenne ; p = 0,036). Aucune corrélation, entre le moment de la pose de la gastrostomie et la survie globale n’a été mise en évidence. La durée moyenne des GPE avant leur ablation a été de quatre mois (14 jours à 35 mois). La gastrostomie a pu être enlevée à l’issue de la radiochimiothérapie chez 59 des 90 patients (66 %) qui en ont eu une : chez 82,8 % des malades chez qui la maladie était contrôlée et chez 40 % de ceux chez qui la maladie n’était pas contrôlée. Le non-contrôle de la maladie était le seul facteur prédictif de la dépendance à la gastrostomie. Le fait d’avoir posé une GPE précocement n’était pas un facteur de risque de dépendance à long terme. 130 X. Hébuterne / Nutrition clinique et métabolisme 29 (2015) 126–131 Cette étude, bien que rétrospective, apporte des éléments convaincants en faveur de la pose d’une gastrostomie prophylactique chez les malades porteurs d’un cancer VADS devant avoir une radiochimiothérapie [14]. Elle conforte les résultats des huit autres études (la plupart rétrospectives) qui ont comparé la gastrostomie prophylactique à l’absence de gastrostomie. Cette dernière étude apporte des éléments supplémentaires puisqu’elle démontre que la pose de la gastrostomie avant la mise en route du traitement est plus efficace sur le plan nutritionnel que la pose de la gastrostomie au cours du traitement [14]. Autrement dit, il ne faut pas attendre que les malades ne puissent plus s’alimenter pour mettre en place la gastrostomie. Cette attitude réduit également les épisodes de ré-hospitalisation. Par ailleurs, il est essentiel de n’envisager l’ablation de la gastrostomie que chez les malades dont on est certain que la tumeur est contrôlée par le traitement. On peut tout de même regretter qu’aucune donnée sur les apports nutritionnels réellement reçus par les malades ne soit présentée. Compte tenu de la perte de poids observée, même chez les malades qui ont eu une gastrostomie prophylactique, on peut penser que les apports n’étaient pas optimaux et qu’il devrait être possible de faire mieux sur le plan nutritionnel. Reste à démontrer que cela pourrait améliorer le devenir des malades. 6. Intervention nutritionnelle précoce au cours de la chirurgie digestive pour cancer Là-aussi les recommandations de la SFNEP plaident pour une intervention précoce même chez le malade non dénutri donc avant toute perte pondérale. Ces recommandations reposent sur de nombreuses études. Le jeûne préopératoire et la chirurgie entraînent un stress métabolique et une insulinorésistance qui augmentent la morbidité et la mortalité postopératoire. Un apport glucidique préopératoire pourrait limiter ce phénomène et ainsi améliorer le pronostic des malades. Awad et al. [15] ont réalisé une méta-analyse des essais contrôlés qui ont évalué l’effet d’un apport glucidique préopératoire. L’objectif principal était la durée d’hospitalisation. Les objectifs secondaires comportaient la résistance à l’insuline et les complications postopératoires. Les auteurs ont ainsi sélectionné les études publiées entre janvier 1980 et avril 2012 qui ont comparé les malades avec un apport glucidique préopératoire d’au moins 50 g dans les deux à quatre heures qui précédaient l’anesthésie générale à un groupe témoin (jeûne ou apport d’une solution liquide dépourvue de glucides). Vingt-et-une études regroupant 1685 malades (733 avec un apport glucidique préopératoire et 952 dans le groupe témoin) d’âge moyen 55 ans, répondaient aux critères de sélection et ont été retenues. Ils s’agissaient en majorité de chirurgie digestive majeure (n = 762), puis de chirurgies orthopédique, cardiaque ou thyroïdienne. Une réduction de la durée d’hospitalisation était retrouvée après chirurgie digestive majeure (RR = −1,08 j ; IC 95 % : −1,87 à −0,29) mais pas globalement ni pour les autres types de chirurgie. Les dix études qui ont évalué la résistance à l’insuline à l’aide de clamps hyperinsuliniques euglycémiques ont clairement démontré une Fig. 4. Effets de la réalimentation orale ou entérale précoce postopératoire [16]. diminution de la résistance à l’insuline en période postopératoire. Aucune étude ne rapportait de complication liée à l’apport glucidique préopératoire. Neuf études ont évalué les complications postopératoires (355 avec un apport glucidique préopératoire et 523 dans le groupe témoin) ; le risque relatif de développer une complication postopératoire n’était pas significativement diminué par un apport glucidique préopératoire (RR = 0,88 ; IC 95 % : 0,50 à −1,83). Les résultats de cette méta-analyse confortent l’hypothèse physiopathologique avec la diminution de l’insulinorésistance et confirment l’absence de complication liée à cet apport glucidique préopératoire [15]. Sur le plan clinique, ils sont assez décevants même si une réduction de la durée d’hospitalisation a été démontrée en chirurgie digestive. Trop peu d’études ont évalué les complications postopératoires et aucune les complications survenues après la sortie des patients de l’hôpital. Globalement, les auteurs soulignent une grande hétérogénéité dans les études et une qualité médiocre [15]. Un apport glucidique préopératoire, en réduisant la résistance à l’insuline en période postopératoire, a sans doute un intérêt chez les malades qui doivent subir une chirurgie réglée, en particulier digestive. Des études sont nécessaires pour démontrer que ce type de prise en charge est capable de diminuer les complications postopératoires. Par ailleurs, il nous semble que ceci doit s’intégrer dans une démarche plus globale qui associe les mesures de réhabilitation postopératoires précoces. En postopératoire, la méta-analyse de Lewis et al. [16] confirme très clairement l’intérêt de la reprise alimentaire précoce en postopératoire à l’aide de solutions liquides, par voie orale ou entérale. Celle-ci démontre que cette intervention nutritionnelle permet de réduire les complications infectieuses postopératoires au prix d’une augmentation des vomissements. Il est également mis en évidence une réduction, bien que non significative, des fuites anastomotiques (Fig. 4). L’actualisation de cette méta-analyse en 2009, prenant en compte un plus grand nombre d’études et donc de malades, démontre cette fois une réduction de la mortalité postopératoire grâce à la prise en charge nutritionnelle précoce postopératoire [17]. X. Hébuterne / Nutrition clinique et métabolisme 29 (2015) 126–131 7. Conclusion Il existe de plus en plus de données dans la littérature qui suggèrent que, chez les malades atteints de cancer, une intervention nutritionnelle précoce permet d’influencer favorablement le devenir des malades en limitant les complications des traitements. Certaines études suggèrent même un effet sur la survie. Par ailleurs, en limitant la perte pondérale, les interventions nutritionnelles précoces permettent souvent d’améliorer la qualité de vie des malades. Des travaux sont encore nécessaires pour mieux préciser les domaines où les interventions nutritionnelles précoces sont les plus efficaces. S’agissant des conseils diététiques et de la complémentation nutritionnelle orale, du fait de leur absence de morbidité propre, l’enjeu vaut sans doute que l’on se passe de certitude. Déclaration d’intérêts Xavier Hébuterne a reçu un financement de AbbVie, Fresenius Kabi et Takeda, pour une activité de conseil, en tant que membre d’un conseil consultatif et de AbbVie, Arard, Ferring, Fresenius Kabi, Mayoli-Spindler, MSD, Nestlé, Norgine, Takeda et Nutricia, pour les activités éducationnelles. Références [1] Senesse P, Vasson MP, et le groupe de travail de la SFNEP. Nutrition chez le patient adulte atteint de cancer : quand et comment évaluer l’état nutritionnel d’un malade atteint de cancer ? Comment faire le diagnostic de dénutrition et le diagnostic de dénutrition sévère chez un malade atteint de cancer ? Quelles sont les situations les plus à risque de dénutrition ? Nutr Clin Metabol 2012;26:165–88. [2] Dewys WD, Begg C, Lavin PT, Band PR, Bennett JM, Bertino JR, et al. 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