Introduction à la géopolitique », P. Moreau Defarges

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Introduction à la géopolitique », P. Moreau Defarges
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l’Atlantique à l’Oural, PUF.
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« Introduction à la géopolitique », P. Moreau
Defarges, éd. Seuil, 2009
mardi 27 mai 2014, par Vincent SATGE
L'auteur :
Co-président du site Les Yeux du Monde.fr, site de géopolitique pour les
étudiants, Vincent Satgé est en Master 2 de Sciences Politiques à l’Institut
d’études politiques de Bordeaux.
Retrouvez l'article à cette adresse :
http://www.diploweb.com/Introduction-a-la-geopolitique-P.html
Présentation d’un classique de géopolitique : Philippe Moreau Defarges,
"Introduction à la géopolitique", Paris, éd. Seuil, 2009.
Le "Diploweb.com" développe cette rubrique, en synergie avec Les "Yeux
du Monde.fr" : offrir une fiche de lecture synthétique d’un ouvrage
classique qu’il faut savoir situer dans son contexte et dont il importe de
connaître les grandes lignes... avant de le lire par soi même.
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« LE TERME " GEOPOLITIQUE " fait aujourd’hui partie de ces mots magiques qui
expliquent - ou plutôt paraissent expliquer – l’inexplicable : serait géopolitique
toute question se situant au-delà de la rationalité claire et mettant en jeu des
intérêts immenses, donc indéfinissables. » [1] Dès les premières lignes de son
Introduction à la géopolitique, Philippe Moreau Defarges annonce l’ampleur de la
tâche qui l’attend. Ici comme dans de nombreux ouvrages (Relations
internationales Tome 1 et 2 ; Histoire de l’Europe pour les nuls ; Histoire du
monde pour les nuls ; La mondialisation dans la collection Que sais-je ? ), il met
son art de vulgarisation à notre service pour nous présenter une science humaine
à l’origine très controversée mais aujourd’hui reconnue - même si elle reste
souvent évoquée à tort et à travers.
P. Moreau Defarges propose ici un ouvrage extrêmement utile pour maîtriser
des notions géopolitiques.
Énarque, diplomate, ministre plénipotentiaire, professeur à Sciences Po Paris
(depuis 1972) mais également chercheur à l’Institut français des relations
internationales (depuis 1982) et co-directeur du RAMSES, Philippe Moreau
Defarges esquisse sa présentation de la géopolitique en quatre parties.
La première concerne l’émergence de la conscience géo-historique, la deuxième
les principales théories géopolitiques, la troisième les transformations de la
géopolitique à travers trois prismes (stratégique, économique et institutionnel) et
enfin une quatrième partie met en relation la géopolitique avec la notion de «
crise ».
Philippe Moreau Defarges, "Introduction à la géopolitique", Paris, éd. Seuil, 2009.
Des structures sociopolitiques des sociétés européennes
Afin d’expliquer l’émergence de la conscience géohistorique, Philippe Moreau
Defarges détaille l’évolution de la connaissance de l’espace ainsi que des
structures sociopolitiques des sociétés européennes.
La perception de l’espace mondial par les européens s’est développée à la fois
grâce aux grandes découvertes (Colomb, Vasco De Gama, Magellan et Elcano) et
à la formalisation scientifique qu’il en a été faite avec la géographie entre le
XVIème et le XVIIIème siècle. Des théoriciens tels que Michelet, Lavisse et Vidal
de la Blache ne sont d’ailleurs pas étrangers au processus (Carl Ritter et
Friedrich Ratzel jouant ce rôle en Allemagne).
Les structures sociopolitiques telles que l’Etat-nation ont, elles, permis de
concrétiser cet état de conscience géohistorique. « Pour que l’espace terrestre,
dans sa totalité, soit identifié par les hommes comme un champ unique
d’affrontements des puissances, il faut notamment que s’impose l’Etat moderne »
[ 2 ] nous rappelle l’auteur. Cela passe ainsi par le tracé de frontières, par la
souveraineté disputée et affirmée, mais également par une mystique de l’espace :
la France et ses frontières naturelles, les Etats-Unis et leur destinée manifeste...
De la mer, de la terre puis de la défaite
Une fois la conscience géohistorique atteinte, les grandes traditions et
expériences géopolitiques peuvent prendre leur essor. Philippe Moreau Defarges
s’intéresse successivement à celle de la mer, de la terre puis enfin de la défaite.
La géopolitique de la mer est, elle, le fruit de penseurs et praticiens anglo-saxons
: les américains Alfred Mahan et Nicholas Spykman ainsi que le britannique
Halford Mackinder. Mahan identifie la puissance d’un Etat à sa maîtrise des
océans (comme en témoigne la domination britannique du 19eme siècle) mais va
aller moins dans la systématisation de son propos que son homologue britannique
Mackinder.
Dans cet ouvrage, les grands auteurs sont présentés, leurs thèses sont
expliquées, illustrées et discutées.
En effet, dans son discours de 1904 sur le pivot géographique de l’histoire,
Halford Mackinder va véritablement s’attribuer la paternité de la géopolitique : «
Pour la première fois, nous pouvons entrevoir une partie du rapport réel entre les
événements politiques et les caractéristiques géographiques à l’échelle du monde
» [3]. Ainsi décompose-t-il le planisphère en un « heartland » (« de l’Arctique
jusqu’au désert d’Asie Centrale ; ses limites occidentales se situent dans ce grand
isthme pris entre la Baltique et la mer Noire » [4]) entouré de plusieurs cercles
concentriques (inner crescent, coastlands, outer crescent, insular crescent). Celui
qui se rend maître du heartland domine le monde. Mackinder ambitionne
d’expliquer le système européen qui a toujours empêché qu’une puissance
continentale ne s’empare du continent européen (France napoléonienne,
Allemagne hitlérienne) et préconise, ainsi d’empêcher que l’URSS n’y parvienne,
de bâtir une alliance entre l’Amérique, l’Angleterre et la France.
Nicholas John Spykman ne va pas centrer son analyse sur le heartland mais sur le
rimland (soit les terres du bord), étape nécessaire au contrôle de l’Etat pivot. Il
rend ainsi compte du « grand jeu » entre Angleterre et Russie pour contrôler la
Perse et l’Afghanistan ou encore les Etats-Unis et l’URSS pour contrôler
l’Indochine ou la Corée. Spykman préconise ainsi une alliance transatlantique
avec l’Europe ainsi que transpacifique avec le Japon pour contrer une Chine qui, à
terme, ne peut que chercher l’expansion.
Enfin, Zbigniew Brzezinksi dans Le grand échiquier va remettre la géopolitique
maritime au centre des préoccupations stratégiques américaines : le but devient
ainsi de « garder un accès permanent à l’Eurasie en contrôlant les périphéries
(Europe, Moyen-Orient, Asie maritime) » [5].
"Toute géopolitique est une réflexion sur la puissance."
Avec les géopolitiques continentales, notamment allemandes, Philippe Moreau
Defarges aborde la deuxième grande tradition géopolitique. La géopolitique
allemande débute avec la géographie politique de Friedrich Ratzel. Auteur en
1901 de L’espace vital, il souhaite notamment voir se développer en Europe des
Etats-continents, seuls apparemment adaptés à la compétition mondiale. Il
applique particulièrement cette aspiration à l’Allemagne, qui voit à ses frontières
des populations germanophones ne pas appartenir à son espace territorial. Karl
Haushofer se situe dans la même lignée, appelant à l’unité de l’espace culturel
allemand et entretenant des rapports étroits (mais apparemment peu sincères)
avec l’establishment nazi.
Enfin viennent les géopolitiques de la défaite vu que, comme le rappelle Philippe
Moreau Defarges : « Toute géopolitique est une réflexion sur la puissance. [...] Il y
a des géopolitiques du triomphe et des géopolitiques de la défaite, ces dernières
nées d’un traumatisme national, et visant à le surmonter par un projet ou au
moins un rêve. » [6] Ainsi, par exemple, la géopolitique de la France, à partir de
1871, se résume à affronter la « nation tardive » qu’est l’Allemagne, alors même
que cette dernière semble supérieure en termes économiques et militaires. Il
s’agit alors pour l’hexagone de s’allier systématiquement avec l’Angleterre,
d’avoir des alliés de revers tels que la Russie et de profiter de chacune des
défaites de l’Allemagne pour l’empêcher de se relever.
Hors de cette pratique, la géopolitique française compte de nombreux
théoriciens. Outre Elisée Reclus et Paul Vidal de la Blache qui sont des
précurseurs, l’auteur fait figurer au panthéon de la géopolitique française Raoul
Castex (qui voyait venir les rivalités entre Chine et URSS malgré leur proximité
idéologique), Charles de Gaulle (qui parie contre Pétain que les Etats-Unis
sortiront de leur isolationnisme, ne souhaitant pas être coupés de l’île mondiale)
et Yves Lacoste (fondateur d’Hérodote en 1976, « seul courant géopolitique
construit ayant, sinon une doctrine, au moins une méthode d’analyse » [7]).
Trois prismes : stratégiques, économiques, institutionnels
Philippe Moreau Defarges suit l’adaptation de la géopolitique à travers trois
prismes : stratégiques, économiques, institutionnels.
Lors de la Première Guerre mondiale, l’espace en tant qu’enjeu n’est pas absent
du raisonnement stratégique. Ainsi, si l’Afrique est déjà partagée à la veille de la
Première Guerre mondiale, certains empires européens (notamment l’empire
Ottoman) apparaissent comme prêts à être colonisés, d’autres ne visant qu’à
s’étendre (l’Allemagne et le pangermanisme, la Russie et le panslavisme...).
La Seconde Guerre mondiale reprend, elle aussi, des thématiques géopolitiques.
Malgré ses objectifs délibérément idéologiques, l’Allemagne hitlérienne ne
cherche-t-elle pas à s’étendre sur son « espace vital » ? La période couvrant la
Guerre froide (1947-1990) apparaît en revanche s’affranchir entièrement de la
géopolitique au profit de l’idéologique. Néanmoins, dans le « long télégramme »
de 1947, Georges Kennan, avec la doctrine du containment, ne vise-t-il pas à
endiguer la poussée communiste d’un point de vue spatial ? De même, avec
Richard Nixon et Henri Kissinger, la logique idéologique est complètement
dépassée au profit de la géopolitique avec le rapprochement en 1972 entre la
Chine et les Etats-Unis. Vient enfin la question de l’islamisme terroriste, qui
confirme la nécessité pour la géopolitique de s’intéresser à des acteurs autres
qu’étatiques, qui ont une géographie non plus stable mais mouvante et évolutive.
Néanmoins, c’est souvent autour d’Etats que se constituent ces groupes, des «
nids » où s’implantent leur camp d’entrainement et leurs commandements. Ainsi
terrorisme et géopolitique classique se rejoignent lorsqu’il est question de leurs
objectifs : contrôler un état (comme l’ont fait les bolcheviques en Russie ou les
castristes à Cuba).
L’ouvrage remplit parfaitement son engagement : faire découvrir la
géopolitique et donner envie d’en savoir plus à son sujet.
Là où la géopolitique s’interroge sur les interactions entre l’espace et l’homo
politicus, la géo-économie elle se penche sur les interactions entre l’homo
economicus et l’espace. Elle apparaît plus adaptée que son ancêtre la
géopolitique, ne serait-ce que parce qu’elle permet d’appréhender des forces
autres que les Etats, forces qui par ailleurs influent fortement sur ces derniers. Il
ne s’agit pas non plus d’exagérer leur importance, comme le fait Lénine dans
L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, qui explique les conflits militaires
européens de par la nature du capitalisme. Ainsi, leurs modèles économiques
antagonistes n’ont pas empêché blocs communistes et capitalistes de s’allier lors
de la seconde guerre mondiale. Néanmoins, de nos jours, la géo-économie
apparaît comme une « clé du monde ». Face un Etat souverain qui historiquement
s’est efforcé de se protéger de l’extérieur, de maintenir la cohésion de sa
population, la logique actuelle exigerait une très grande ouverture du territoire
national aux échanges extérieurs, seul moyen d’affronter la concurrence
internationale. L’Etat devient ainsi « schizophrène », hésitant et arbitrant sans
cesse entre ouverture et imperméabilité du territoire. De nouveaux conflits
apparaissent : « Tandis que la puissance politico-militaire impose, commande,
menace et frappe, la puissance par le réseau fait pression, influence, imprègne. Il
n’y a plus d’injonctions mais des adhésions irrésistibles ». Au final, la géoéconomie dessine une autre carte des rapports de force, beaucoup moins violente
que celle de la géopolitique. Néanmoins, « elle n’abolit pas les critères
traditionnels de la puissance. Les enjeux politico-militaires se transforment mais
demeurent » [8].
Alors que les Etats deviennent plus interdépendants du fait de leurs interactions
nombreuses mais aussi de la multiplication des normes internationales (ellesmêmes contrôlées par des institutions précises, telles la Cour internationale de
justice, l’Organe de règlement des conflits de l’OMC, le Conseil de Sécurité de
l’ONU), la perspective d’un monde hobbesien recule face à celle d’une véritable «
société interétatique ». Néanmoins c’est bien sur les Etats que repose cet
ensemble d’institutions internationales. Ce sont eux qui acceptent de se
soumettre aux règles qu’ils ont négociées, et ce sont eux qui les mettent en
œuvre, les contournent, les manipulent...
Quelle géopolitique dans les crises actuelles ?
Après avoir fait un tour d’horizon des crises géopolitiques passées (système
européen, conflits est-ouest), Philippe Moreau Defarges s’intéresse à la crise
actuelle. Cette dernière se décline sous quatre dimensions : crise classique du
capitalisme, crise écologique, crise de la mondialisation et, bien évidemment,
crise géopolitique.
Les Etats-Unis restent bien évidemment la première puissance mondiale, mais ne
peuvent plus, ou moins qu’avant agir seul. La Chine apparaît comme le rival le
plus probable, mais il lui faudra entre-temps résister aux transformations
immenses qu’elle connaît : « migrations de centaines de millions de paysans des
campagnes vers les villes, effondrement des conglomérats industriels hérités du
maoïsme, multiplication des classes moyennes très vulnérables aux variations de
l’activité économique... » [9]
La fin des Etats et l’avènement de la gouvernance supraétatique apparaissent
précipités, même si l’Etat-nation semble très désarmé, notamment face à la
finance déréglementée. Deux possibilités sont avancées par l’auteur pour
envisager l’après-crise. Soit celle-ci est maîtrisée et la gouvernance mondiale peut
progresser, les gagnants imposant leurs règles aux perdants. Soit la crise persiste
et la planète se fragmente en blocs plus ou moins hostiles et repliés sur euxmêmes avec une gouvernance nulle ou du moins chaotique...
L’Introduction à la géopolitique de Philippe Moreau Defarges est un ouvrage
extrêmement utile pour qui souhaite, en peu de temps et de mots maîtriser des
notions basiques de géopolitiques. Les grands auteurs y sont présentés, leurs
thèses sont expliquées, illustrées et discutées au vu des éléments actuels. Pour ne
rien gâcher, le propos est aussi structuré qu’agréable à lire.
Alors certes, on peut s’étonner de certains partis pris (faire figurer Charles de
Gaulle parmi les géopoliticiens français grâce à son pari géopolitique remporté
sur Philippe Pétain). Néanmoins, il semble peu honnête de condamner le reste de
l’ouvrage qui remplit parfaitement son engagement : faire découvrir la
géopolitique et donner envie d’en savoir plus à son sujet.
Copyright Mai 2014-Satgé/Diploweb.com
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A. Beaufre, "Introduction à la stratégie", A. Colin, 1963, rééd .
Fayard/Pluriel, 2012
Z. Brzezinski, "Le vrai choix", Ed. O. Jacob
J. Vaïsse, « Barack Obama et sa politique étrangère (2008-2012) », Éd. O.
Jacob
R. Kagan, « La puissance et la faiblesse », Hachette Littératures, 2006
G. Chaliand, « Le nouvel art de la guerre », L’Archipel, 2008
M. Foucher, "L’Europe et l’avenir du monde", Ed. Odile Jacob, 2009
Hubert Védrine, « Continuer l’Histoire », Flammarion, 2008
F. Bozo, "La politique étrangère de la France depuis 1945", Flammarion, 2012.
Notes
[1] Philippe Moreau Defarges, Introduction à la géopolitique, Ed. Seuils, 2009,
p.9.
[2] Ibid p.32.
[3] Ibid p.47.
[4] Ibid p.50.
[5] Ibid p.69.
[6] Ibid p.109.
[7] Ibid p.127.
[8] Ibid p.212.
[9] Ibid p.244.

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