télécharger l`extrait

Transcription

télécharger l`extrait
ALAN VEGA
Conversation
avec un indien
© Editions LE TEXTE VIVANT, 2013
« Qui ne s’est jamais laissé enchaîner ne saura jamais ce qu’est la liberté »,
Serge Gainsbourg
ISBN : 978-2-36723-043-6
Alan Vega, conversation avec un indien, est le premier opus
de la collection Fusion que nous souhaitons riche et
fournie, qui présente des artistes dont la vie créative est
dense — à l’image d’un Alan Vega, musicien et plasticien
— des personnages singuliers à l’avant-garde ou
défricheurs, mais avant tout enclins à effacer les frontières
et faire bouger les lignes. C’est pourquoi, nous aussi, en
tant qu’éditeur, nous avons fait le choix de la créativité
pour une nouvelle expérience de lecture, celui du livre
enrichi, qui mêle textes, sons et images.
b sonic
59, rue Froidevaux
75 014 Paris
www.letextevi
vant.fr
Alan's work is as bold and exploratory as anything
Free Jazz players did in their time. Alan has always stayed
true and outside. He is the real thing and his integrity
is absolute.
Henry Rollins
They were a very pure minimalistic distilled
version of rock'n'roll. Joe Foster got me into
Suicide as he did a lot of great music. Creation was
music fans trying
to be a record company; me and Joe were fans that put
out music... I supported them in 89, I think at
Dingwallswith Biff ! Bang! Pow! They were great guys.
Alan MacGee
Sommaire
Introduction ..................................................................................... 7
Paris, février 2011 ........................................................................................... 13
New York, juillet 2012 ........................................................................... 19
A | Alan ? Artaud ...........................................................23
B | Brooklyn, Boxe, Bacon ........................................... 28
C | Camp de concentration ......................................... 32
D | Duende, Deuce Avenue ......................................... 34
E | Elvis............................................................................... 39
F | Frankie Teardrop .................................................. 41
G | Gamble - Parier......................................................... 45
H | Humour .....................................................................47
I | Influences .................................................................48
J | Jazz, Juif .....................................................................50
K | Kerouac............................................................................. 53
L | Light Sculptures ....................................................... 55
M | Mort .............................................................................. 58
N | Neon ............................................................................. 59
O | Ocasek, Ric ................................................................. 60
P | Punk ............................................................................. 63
Q | Question ...................................................................... 65
R | Rev, Revolution ......................................................... 66
S | Suicide........................................................................... 69
T | Trompette, trombone ............................................ 70
U | Underground .......................................................... 71
V | Vega......................................................................................... 73
W| Warriors ...................................................................... 74
X | Croix, Christ ................................................................ 77
Y | Pénultième ............................................................... 81
Z | Zante........................................................................... 83
Discographie.................................................................................. 84
Filmographie ................................................................................. 95
Bibliographie ................................................................................. 97
Liens Internet................................................................................ 99
Introduction
par Marc Hurtado
J’avais quinze ans lorsque j’ai entendu pour la
première fois la musique de Suicide, et ce fut un
véritable choc. Leur son n’était comparable à rien de ce
que l’on pouvait entendre à l’époque, tant par le chant
possédé d’Alan Vega que par la musique apocalyptique
de Martin Rev. Je travaillais déjà le son à cette époque,
manipulant des bandes que j’enregistrais à l’extérieur
et que je mélangeais avec divers objets et instruments
de fortune. Je torturais et frappais, avec un plaisir non
dissimulé, toutes ces guitares, plaques de fer, portes,
bouteilles, que je mélangeais avec des sons d’usines, des
cris ou des sons de la nature. Je ne savais bien
évidemment pas jouer la moindre note de musique
mais laissais tout mon corps et mon esprit livrés à la
chair incandescente du son. L’approche de mes sons a
toujours été très manuelle : je saisis, malaxe, découpe et
modèle ceux-ci à la façon d’un sculpteur et il m’a semblé,
à l’écoute du premier album de Suicide, que
introduction
Martin Rev et Alan Vega construisaient leur musique
aveccette même méthode « artisanale ».
J’ai formé le groupe Étant-Donnés avec mon frère Éric
en 1977, lorsque je me suis rendu compte que je n’étais
pas le seul à pratiquer ce genre de manipulations
violentes du son. La découverte de Suicide, mais aussi
de Throbbing Gristle, Mars, DNA, Chrome ou NON, a été un
vrai révélateur du besoin de passer à l’étape qui succède
à l’expérimentation sonore solitaire. Une vraie
révolution sonore internationale a éclaté à cette époque,
même si elle restait très underground. On ne voyait
aucune image sur scène des groupes que l’on écoutait, les
pochettes des disques étaient les seuls éléments visuels
qui nous permettaient de libérer notre imaginaire
autour de ces groupes, et souvent, les pochettes étaient
très mystérieuses, abstraites. Ainsi, ce qui nous
transportait essentiellement, c’était le son du groupe.
Dans le cas de Suicide, leur son était le plus mystérieux,
sauvage, fin et violent que l’on pouvait entendre à
l’époque. Je n’ai jamais rien entendu de plus beau et
extrême que les cris d’Alan Vega dans « Frankie Teardrop ».
Alan Vega réalise des sculptures de lumières, il se
sert d’objets récoltés dans les rues, dans les poubelles
et il les « sacralise » en leur donnant une nouvelle vie
grâce à la lumière. Ses sculptures diffusent de la
lumière et la lumière éclaire ses sculptures. Il essaie de
saisir cette matière invisi- ble et de la rendre palpable,
vivante. Le son est tout autant invisible et insaisissable,
il vient de partout tout comme la lumière et, quand on
tente de le sculpter et de le maîtriser, on sent échapper
sous ses doigts tout type de formes d’ondes
introduction
vibratoires, des sons libres dont on ne soupçonne
souvent pas l’existence. Ce qui peut définir l’œuvre
d’Alan Vega, autant dans sa musique, ses textes que dans
ses sculptures, c’est le mot liberté. Il n’y a pas de place
dans son œuvre pour le mot compromission. C’est cette
même liberté qui m’a toujours guidé dans le son, la
performance, la poésie, la peinture ou le cinéma. Et sur
ce terrain, Alan Vega et Martin Rev sont les artistes
dont je me sens le plus proche. Leur démarche m’a
convaincu d’aller encore plus loin dans le son et l’image,
au-delà de tout, et d’avoir une démarche totalement
libre et indépendante, sans aucune concession.
Alan Vega a évolué au cours des années vers un son
de plus en plus libre, violent et chaotique. Quand nous
avons enregistré notre disque Re Up avec lui, à New York,
en 1998, les sons que je lui proposais ressemblaient
énormément aux sons de ses propres albums solo.
Notre approche sonore est très proche, ses structures
sonores décrivent la ville dans laquelle il vit depuis
toujours, New York. On croit entendre des sirènes de
pompiers, des klaxons, des bruits de métros dans sa
musique. Celle-ci est aussi violente que la ville ellemême ; on retrouve la même folie bouillonnante qui
s’échappe de l’énergie volcanique de New York. Alan Vega
ne décrit pas simplement une ville ou une société mais
un espace qu’il se crée de toutes pièces avec ses sons ou
ses lumières; il recons- truit l’extérieur à l’intérieur.
Que ce soit sur scène, sur disque ou dans mes films, ma
relation avec Alan Vega est totalement magique car
c’est de cela dont il s’agit dès que l’on veut parler d’une
vraie collaboration. Je n’ai jamais répété un concert, il
en est de même pour un enregistrement, un film ou une
peinture, tout doit se faire dans la sensation de
l’instant, l’essentiel étant d’aller toujours de l’avant sans
jamais savoir où l’on va exactement. Voilà ce qui me
raccorde, je crois, intensément à Alan Vega: avancer à
l’aveugle pour tenter d’y voir clair. C’est en fermant les
yeux que l’on voit le plus beau cinéma, que l’on entend la
plus belle musique, quand l’intérieur devient une
compression de l’extérieur et que l’extérieur devient
une projection de notre intérieur.
Le son du sang est le sang du son.
Montpellier, septembre 2012
introduction
« La nature se paie partout notre tête :— les pensées
surgissent en nous de leur propre mouvement, mais force
nous est de croire indignement que c’est nous qui les tirons
du néant,— comme le photographe Ekdal dans la pièce
d’Ibsen croit gagner le prix du déshonneur de sa femme.
Nous lançons des idées à droite et à gauche et au petit
bonheur pour qu’un quelque chose s’y accroche..., pour ce
qui est de déterminer le quelque chose, c’est ce qui n’est
pas en notre pouvoir : jamais tout à fait, un peu parfois,
mais le plus souvent nous ne voyons pas à un pas — un
ridicule tâtonnement d’aveugle — qui, de plus, n’y va que
parce qu’on le pousse—, voilà la sublime pensée dont nous
tirons vanité ! La réflexion consiste en une suite sans fin
de rebuffades, de défaites, d’échecs:— mais, comme si de
rien n’était, nous revenons encore et toujours à la charge
avec une ténacité étonnante et une patience de mule, nous
— qu’un seul petit insuccès laisse ailleurs transis de
désespoir... — nous accommodons parfaitement du fait
que notre vie se réduise au transbahutement dément du
rocher de Sisyphe; mais s’il nous arrive, ce faisant, de nous
fouler le petit orteil, nous en sommes malheureux... Nous
ne sommes pas les enfants gâtés de la nature, loin de là,
nous en sommes les esclaves, dressés par elle à des
travaux forcés où nous trouvons un plaisir masochiste,
cependant que chacun prend ses aises à part soi... Notre
pensée est si terriblement superficielle, mi-figue, mi-raisin,
inaboutie, péniblement incertaine, que le moindre
soupçon d’honnêteté n’y survivrais pas une seconde;—
mais nous alors, suspendus au-dessus d’un abîme, nous
nous illu- sionnons au point de croire avoir les deux pieds
sur terre ; mais nous triomphons toujours de la bêtise
d’autrui— et le sage et l’imbécile sont aussi âne l’un que
l’autre ; mais nous avons l’imprudence de croire à
l’occasion être dans le vrai !
introduction
Mais nous avons la folie de nourrir des convictions ! Le monde
ressemble à une farce conçue pour distraire une
puissance inconnue— si c’est bien le cas, le genre humain y
représente un des guignols les plus grotesques... »
Ladislav Klíma,
Le Monde comme conscience et comme rien,
1904
Paris, février 2011
Paris, hiver. Nous traversons la place du Palais
Royal. À l’arrière du taxi, Alan Vega, bonnet noir et rouge
sur mèches de jais, Ray-Ban, blouson zippé ras du cou. «
I hate talking about my past... Past is the past. »
— Le chanteur Christophe dit de vous
quevous êtes un Indien.
alexandre breton
alan vega — Il a raison ! J’ai d’ailleurs les pommettes
saillantes, je dois sûrement être un Indien ! Je suis
comme Géronimo, oui, je suis un Indien. Je suis bien
plus un Indien qu’un cow-boy, en effet. Tu sais, les
Français voient des Indiens et des cow-boys partout. Je
ne sais pas, la mythologie de l’Ouest peut-être. J’ai tout un
film sur Géronimo, sur la façon dont il s’est fait baiser.
C’est une horrible histoire... (Long silence) À présent, on a
une vie bien réelle, avec des révolutions aux quatre
coins de la planète...
- 19 -
alan vega
a. b.
a. v.
— Êtes-vous toujours en colère ?
— Oui, j’ai des moments de colère. Je peux même être
très dur avec mon fils, parfois. Mon père était un
paresseux. Je ne l’ai pas beaucoup vu et il ne me
dérangeait pas vrai-ment. Son truc, c’était les devoirs. Ma
mère disait « Occupe- toi des devoirs! ». Il s’en occupait
puis se cassait. Quand ma mère disait « Occupe-toi des
devoirs! », tu n’avais vraiment pas envie de l’entendre
hurler! Elle avait un cri à te tuer net!
a. b. — Comme quoi ?
a. v. — Oh, c’est indescriptible ! Tu sais, il y a deux sons
pour moi absolument insoutenables : le premier, c’est
celuide l’aspirateur ; le second, c’est la voix de ma mère!
Bon, àprésent, c’est la voix de Liz [son épouse - NdA] qui
parfois devient complètement folle ! Alors voilà, je me
mets en colère de temps en temps. Je hurle à mon fils «
Montre-moi tes devoirs ! Je veux les voir ! ». Et il me les
montre. Ça a étévraiment difficile... C’est pour cela que j’ai
arrêté de tourner. Je devenais vieux. Et puis tu peux pas
laisser ton gosse... Tupars seulement quelques jours et il
commence aussitôt à te manquer. Vraiment ! D’abord, tu
te dis « Ah, merci mon Dieu, je suis libre », et au bout de
deux ou trois jours ce fichu gossete manque terriblement
!
a. b. — Qu’est-ce qui vous tient en vie ?
a. v. — Je ne sais pas... Théoriquement, je devrais être
mort après tout ce que nous avons fait plus jeunes. Je ne
prenais pas d’héroïne mais d’autres trucs.
conversation avec un indien
Et je ne pouvais pas en prendre beaucoup, je manquais
de fric. C’était cool, probablement, mais je ne sais pas,
que puis-je faire maintenant sinon vivre ? Je veux dire, à
présent j’essaie de vivre le plus longtemps possible
pour mon fils. Quand tu as un enfant, tout change dans
ce foutu monde. C’est peut-être grâce à son énergie, sa
jeunesse. Je m’affaiblis, mes genoux lâchent, bref, c’est
ainsi que vont les choses, non ? C’était le quarantième
anniversaire de Suicide en février 2011 ; nous avons
commencé en février 1971, ça fait donc bien longtemps
et je suis toujours bien en vie... (Long silence) Tu sais,
tourner parfois pendant huit, neuf ou dix semaines... Je
rentrais chez moi et je ne savais même plus où j’étais. Je
me réveillais et me demandais « Ok, où est le room
service ? ». J’étais toujours à l’hôtel ! Je reprenais à peine
mon souffle un mois ou deux, et il fallait repartir à
nouveau et dans la foulée écrire un nouvel album...
Pourquoi tout ça ? Pourquoi écrire ? C’était très
éprouvant...
a. b.
— Collectionnez-vous toujours des sons?
a. v. — Dans ma tête, oui... Si je ne vivais pas à New York,
je ferais probablement un autre genre de musique.
Cette ville a eu un puissant impact sur moi. Chaque fois
que tu es dans la rue, il y a tous ces bruits, toutes ces
musiques qui s’échap- pent des voitures, hip-hop, latino,
etc. Même en pleine nuit, si tu écoutes un instant, tu
entends tous ces sons. Je vis près du pont de Brooklyn
et là, tu te rends facilement compte que tu entends
tous ces bruits de voitures en permanence, chaque
seconde, comme un bruit de fond, et sans en avoir
conscience. Tout ça se retrouve dans ma musique : les
voitures, les trains, le métro... .
alan vega
Un jour, j’étais avec les gars de REM, c’était pour une
reprise de « Ghost Rider » (EP 7’’ Orange Crush/Ghost
Rider, Warner WB2960, mai 1989 - NdA). Les mecs me
disent « On ne sait même pas ce qu’est exactement
Suicide... ». Ils n’avaient pas compris, à l’exception peutêtre de Michael Stipe... Alors je les ai emmenés dans le
métro, et là ils ont compris... À cause de ces putains de
métros, monvieux ! Voilà. Je suis un Indien…
a. b.
— Écrivez-vous beaucoup ?
a. v. — Oui, j’écris, quand je peux. En fait, j’écris beaucoup,
et en ce moment, quasiment tout le temps... La nuit, j’écris
pleinde trucs, j’en ai des carnets entiers... Ça ne fait rien,
la plusgrande partie n’est que de la merde... Je n’arrive pas
à trouver le thème de mon prochain album, je n’arrive
vraiment pas... Et je ne sais absolument pas quand tout
ça donnera quelque chose, quelque chose de musical...
C’est presque fini et pour-tant, ce que j’écrirais volontiers,
c’est de la musique religieuse ou quelque chose comme
ça... Un disque de vieil homme...
a. b.
— Un disque religieux ?
a. v. — Oui,
mais pas un truc dans le style « Alléluia » etc.
! Non, quelque chose comme ce qu’a pu faire Johnny
Cashdans son dernier album...
a. b. — Pour la série des American Recordings?
a. v. — Oui, exactement. Quelque chose dans cet esprit...
conversation avec un indien
Mais je n’arrive pas à trouver le truc... Enfin, j’espère que
ça viendra, tu sais, on ne sait jamais quand le travail
d’écritures’arrête. Ric Ocasek (chanteur du groupe The Cars,
producteur de Suicide de 1980 à 1992 et de Vega de 1981 à
1986 − NdA)
, me disait tout le temps: « Garde tout ce que tu écris ! ».
Moi, je détruisais systématiquement tout. Il ajoutait : «
Garde-le bien, car tu ne sais pas quand la source se
tarira. » Et il avait raison, bon Dieu! Ma source s’est peutêtre déjà tarie ! J’écris des trucs, parfois de bons trucs,
mais même si j’écrivais de très bonnes choses, je suis si
dur avec moi-même, si exigeant, je ne sais pas... Comme
si je n’arrivais pas à me rendre compte par moi-même
de ce qui sonne bien... Alors je garde tout ce que
j’écris sur des bouts de papier. J’écris au bar, j’écris
partout où je peux, et c’est toujours de la merde, mec!
Rien, rien dans tout ça qui tombe juste ! Peut-être estce de ma faute, peut-être suis-je trop dur avec moimême. J’essaie de trouver quelque chose dont je n’ai pas
exactement idée...
a. b.
— Votre nom, hors scène, est Alan Boruch
Bermowitz, vous êtes d’une famille juive de Brooklyn.
Cela a-t-il jamaiseu un sens, pour vous, d’être Juif ?
a. v. — Être Juif ? Au tout début, oui. Mais tu sais, je ne
crois pas en tout ça... On te dit depuis l’enfance qui tu es,
et tu ne peux rien dire là-dessus. Bon, je suis Juif, mes
parents étaient Juifs, j’ai fait ma Bar Mitsvah et tout le
reste, mais à un moment, alors que j’avais 13 ou 14 ans,
je me suis dit : « Eh, une minute ! Cette religion n’a rien à
voir avec ce que je suis en tant qu’être humain ! » Juif,
catholique, ce n’est pas ce que tu es. Gamin, on te dit « Tu
es Juif ! », et tu grandis avec ça, tu comprends qu’il y a
alan vega
toute une tradition avant toi dont tu ne te
débarrasseras pas. Mais je ne suis pas Juif à proprement
parler, je ne suis pas catholique non plus, je ne suis rien
de tout ça... Je suis ce que j’ai décidé d’être.
a. b.
a.
— Avez-vous jamais cru en Dieu ?
v.
— Non, je crois en une force beaucoup plus
puissanteque j’appelle la Nature.
a. b. — ...Comme Spinoza ?
a. v.
— (Enthousiaste) Oui ! Comme Spinoza, exactement!
Tusais, on l’a foutu dehors parce qu’il ne croyait pas en Dieu,
mais en ce qu’il appelait la Nature ! On a même voulu
l’assassiner ! Oui, comme Spinoza. Il y a une force, mais
j’ignore en quoi elle consiste exactement, si elle se
confond avec l’Univers, commence et finit avec lui. Je la
ressens, je ne la connais pas.
a. b.
a. v.
— Pensez-vous à la mort ?
— Oui, et non... Je ne sais pas en quoi tout ça consiste,
si c’est la fin ou le commencement, ou je ne sais quoi... Je
suppose que je devrais m’y préparer. Je sais et je
comprends que jedois mourir. Je n’aime pas l’idée, mais si
j’ai encore quelques années, je voudrais faire au mieux. Je
voudrais continuer encore, mais je ne fais pas vraiment ce
qu’il faut pour rester en vie. Je fume, je bois, je fais toutes
ces conneries, mais encore une fois, qui sait ? Vivrai-je
longtemps ou non? Peu importe, jesuis toujours là à faire
ce que j’ai à faire.
New York, juillet 2012
Caniculaire. Manhattan, Financial District. Contre
toute attente, l’épicentre mondial de la spéculation
financière abriteen son sein, son antithèse — son antidote
? Alan Vega, sniper aux aguets, punk flamboyant d’avant
le Punk, maître-sorcier d’une lignée dissidente. D’une
figure de la résistance faite art, rencontre en creux, à
travers héritiers, compagnons de route, fidèles acolytes.
http://www.youtube.com/watch?v=itNpGcsGloI
- 25 -
Rompre la langue comme un pillard maquillé de cendres.
Mathias, Fragment, 2012
Mais entêtons-nous à
parler Remuons la langue
Lançons des postillons
On veut de nouveaux sons de nouveaux
sons de nouveaux sons
On veut des consonnes sans voyelles
Des consonnes qui pètent sourdement
Imitez le son de la toupie
Laissez pétiller un son nasal et
continu Faites claquer votre langue
Servez-vous du bruit sourd de celui qui mange sans
civilité Le raclement aspiré du crachement ferait aussi
une belle consonne
Guillaume
Apollinaire,
La Victoire,
mars 1917