de gérard de nerval

Transcription

de gérard de nerval
UNIVERSITÉ AZAD ISLAMIQUE
BRANCHE TÉHÉRAN CENTRALE
FACULTÉ DES LANGUES ÉTRANGÈRES
LA PRÉSENCE FÉMININE DANS "SYLVIE" ET "AURÉLIA"
DE GÉRARD DE NERVAL
SOUS LA DIRECTION DE:
Madame le Docteur Leila GHAFOURI GHARAVI
PROFESSEUR CONSEILLER :
Madame le Docteur Fariba ACHRAFI
RÉDIGÉ PAR :
Masoumeh BAHMANI
mai 2013
2
Au nom de
Dieu
3
Remerciements
J’adresse mes plus sincères remerciements à Madame le Docteur
Ghafouri, directrice de cette recherche qui a parfaitement dirigé ce
travail. De même, je la remercie pour l’aide et le soutien qu’elle m’a
accordés et les conseils précieux qu’elle a eu la gentillesse de
m’offrir.
Je remercie également, mon professeur conseiller, Madame le
Docteur Achrafi, pour avoir bien voulu relire ce travail et pour ses
suggestions pertinentes.
Je tiens à exprimer ma très profonde gratitude envers Madame le
Docteur Atachvahidi, qui a bien voulu juger mon travail.
4
J’aimerais aussi remercier mon mari, Hamed, pour les mots
d’encouragement qu’il m’a cordialement adressés et pour toute l’aide
qu’il m’a apporté au cours de mes études.
Je voudrais exprimer ma plus vive reconnaissance à mon père, à ma
mère et à ma chère sœur pour leur attention et leur encouragement
tout au long de ma vie.
Et enfin mon cher petit prince, Amir Ali…
5
INTRODUCTION
6
Gérard de Nerval, écrivain méconnu, est considéré un certain temps comme
"mineur". De son vivant on ne lui a pas accordé sa juste valeur. Plusieurs
raisons peuvent être mentionnées: la multitude de son travail de chroniqueur qui
le classait plutôt au regard de ses contemporains dans la catégorie des
"journalistes", sa modestie naturelle et enfin la nature originale et excentrique
de son œuvre véritable, d'ailleurs écrite vers la fin de sa vie, à laquelle ses
contemporains n'étaient pas prêts.
Toutefois, Nerval est un auteur unique dans la littérature française. Pour
entrer dans son univers, il est nécessaire de s'approcher de ses sentiments: son
monde est un territoire imaginaire et fluide où l'ambiance poétique est beaucoup
plus sensible qu'ailleurs, en dépit de la sobriété presque classique du style et la
discrétion du ton. Dans une société consacrée au culte de l'argent et des valeurs
matérielles où des écrivains comme Nerval et Baudelaire sont forcés à un travail
de journaliste et de chroniqueur afin de subvenir à leur besoin, l'écriture
poétique prend alors le visage d'une revanche, d'un lieu d'existence. Dans ce
lieu, ils pourront révéler leur moi profond et atteindre la liberté créatrice.
En fait, la période de la fin de la vie de Gérard de Nerval se caractérise par
une intense activité créatrice et l'écrivain rédige pendant ce temps ses plus
grands chefs-d'œuvre: Sylvie, Aurélia, les Chimères. Sylvie (1853) et Aurélia
(1855) écrites dans les dernières années de la vie de Nerval, traduisent son désir
de reconquérir par l'écriture sa vie dilapidée et détruite par ses vains écrits
produits dans le seul but de survie matérielle. À la fin de son existence, Nerval
donne le meilleur de lui-même.
Le titre Aurélia présente la figure féminine qui hante toute la pensée de
Gérard de Nerval : l'actrice Jenny Colon, qu'il nomme Aurélie dans Sylvie.
Sylvie paraît pour la première fois en 1853 dans La Revue des Deux mondes et
sera par la suite insérée dans Les Filles du feu (1854), Le recueil Les Filles du
7
feu est un ensemble hétéroclite: constitué d'une introduction, de sept nouvelles
et du recueil de douze sonnets: Les chimères. Ces sept nouvelles sont centrées
autour d'une image féminine, quelquefois lumineuse, quelquefois sombre. À
vrai dire, ces nouvelles présentent une continuité de thèmes et de fantasmes
propre à l'écriture nervalienne. Écrite à la première personne, Sylvie peut être
considérée comme un écrit autobiographique, même si l'écrivain a sublimé la
réalité. Aurélia prolonge sur le plan imaginaire ce que Sylvie n'avait pu réaliser
sur le plan de la réalité. Cette féminité qui hante l'imagination de Nerval est
présentée à la perfection dans Sylvie et Aurélia: femme tantôt l'ange gardien et
tantôt fatale.
La construction de Sylvie, cette brève nouvelle est très habile, ménageant des
ponts incessants entre le passé et le présent. Les thèmes chers à Nerval s’y
déploient avec une étonnante concentration : le pouvoir rédempteur de la
Femme, assimilée à la Mère trop tôt perdue; les charmes d’une province oubliée
par le temps, parsemée de châteaux magiques et de bois profonds hantés du
souvenir de Jean-Jacques Rousseau, qui passa là ses dernières années; les
sortilèges du rêve enfin, et de la mémoire, par lesquels le narrateur oppose sa
formelle défiance à l’arrogance du réel.
Toute l'histoire est une recherche permanente de la femme. Toutes les
femmes réelles sont en fait idéalisées. C'est pourquoi ses relations ne
débouchent que sur des déceptions, étant donné que le réel n'est jamais à la
hauteur de l'idéal. Entreprenant un voyage sur les terres de son enfance, l'auteur
voyage en effet dans le temps jusqu'à l'origine de son idéale. D'un point de vue
narratif, les souvenirs passés envahissent le présent. Le lecteur se rend compte
que l'enfance est une sorte de paradis perdu, un lieu de toute joie. En définitif,
c'est dans le passé que s'est formé cet idéal double, Sylvie, la fille de la nature et
Adrienne, la mystérieuse sophistiquée. On peut donc dire que cet idéal est
8
d'autant plus inaccessible qu'il se situe dans un passé à jamais perdu. Cette quête
n'aboutira à aucune relation.
Dans Aurélia, la perte, d’abord sentimentale (puisqu’Aurélia se maria à un
autre) et ensuite définitive (puisqu’elle mourut), de celle qu’il appela
littérairement « Aurélia » (de son vrai nom Jenny Colon), fut convertie, par le
biais de l’alchimie poétique de la psyché nervalienne, en un trésor de présence
là où la déréliction de cet amour se métamorphosa en une élévation stellaire au
sens où la femme aimée devint étoile scintillante éclairant et guidant le poète
dans les pérégrinations nocturnes de sa folie.
C'est la raison pour laquelle il nous a paru intéressant d'étudier cette présence
féminine liée aux rêves, aux mystères, aux souvenirs et à la mort dans les deux
nouvelles de Nerval, Sylvie et Aurélia.
Le présent mémoire est divisé en trois chapitres : "Les différentes images
féminines", "L’amour malheureux, le tragique et la mort" et "Les images
féminines associées aux souvenirs, aux rêves et aux mystères".
Par conséquent, tout d'abord nous étudierons ces images féminines sous de
différents angles dans les récits de Nerval. Ensuite nous nous attacherons à
l'étude de l'aspect tragique et même funeste de tous ces amours. Et enfin nous
analyserons le pouvoir du souvenir, du mystère et du rêve qui encercle ces
images féminines.
Dans le premier chapitre, à travers l'étude de Sylvie et d'Aurélia nous nous
pencherons sur cet éternel féminin qui hante l'imagination de Nerval. Cette
présence peint sous différents aspects l'image de l'actrice Jenny Colon.
En effet, ce retour et cette continuité constitue la structuration même de
l'imaginaire nervalien. Dans Sylvie, l'actrice Aurélie ressemble tant à Adrienne
que le narrateur se demande si elles sont une seule, et même femme: Aurélie
9
représente la femme inaccessible et Adrienne est la femme entrevue dans
l'enfance et la femme sublimée, source d’un amour impossible et vague.
Quant au récit d'Aurélia, on pense que ce récit est commandé par cette quête
de l'aimée, figure insaisissable qui se dérobe et qu'il faut aller chercher jusque
dans les enfers, alors qu'elle représente en même temps "La femme sainte" qui
apporte à Nerval le salut de rédemption.
En ce qui concerne le deuxième chapitre, on peut dire que dans ces deux
nouvelles étudiées l'amour est lié au malheur et à la mort. Dans Sylvie, Aurélie
ne semble pas s'émouvoir, quand le narrateur lui raconte qu'elle n'était aimée
que comme une seconde Adrienne et elle se détourne de lui. À la fin de la
nouvelle, Sylvie explique au narrateur qu'Adrienne, sa femme idéale, est morte
au couvent de Saint- S. vers 1832. De la même manière dans l'histoire d'Aurélia,
tandis que le héros-narrateur est éperdument amoureux d'Aurélia, elle la
repousse pour une faute impardonnable (il ne dit pas la quelle). Le narrateur se
croit capable d'aimer une autre femme, mais c'est impossible et il comprend plus
tard qu'Aurélia est morte.
Dans le troisième chapitre on étudiera le souvenir, le rêve et le mystère qui
occupent une place importante dans l'œuvre de Nerval. Sylvie est une quête
poursuivie dans le souvenir et la rêverie. Ce souvenir commandera tout
l'imaginaire du héros-narrateur de la nouvelle et orientera le sens de sa quête.
Sylvie est colorée par la recherche des souvenirs d'amour dans les paysages
Valois et Nerval reprend dans sa nouvelle le thème de la rêverie solitaire cher à
Rousseau. L'auteur y oppose l'imparfait du souvenir et du rêve au présent qui
est désormais sans illusion. En réalité, le narrateur tente désespérément, dans
Sylvie, de faire correspondre la réalité avec ses rêves secrets. Quant à Aurélia,
elle porte le sous-titre: "Le rêve et la vie". Ainsi avant même la lecture du livre
l'auteur invite son lecteur à s'initier au domaine du rêve. Et précisément, le récit
10
s'ouvre par la phrase: "Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir
ces portes d'ivoire et de corne qui nous séparent du monde invisible." Cette
étonnante entrée en territoire onirique prête à cette œuvre unique de la littérature
française une tonalité particulière, imprégnée de rêve et de mystère. Dans la
succession des chapitres d'Aurélia, le narrateur nous décrit ces rêves et trace un
univers mystérieux qu'il a le pressentiment qu'il est une "autre vie" mêlée au
souvenir d'amour et à la poésie.
Le lecteur est souvent ramené dans le rêve de l'auteur où il décrit l'amour
pour une femme à travers une autre. On se demande si l'auteur est à la recherche
d'une femme idéale ou à la recherche de son souvenir. Nous verrons d'abord,
que l'auteur est à la recherche de la femme idéale et ensuite, nous étudierons, la
recherche des souvenirs d'enfance qui se cache derrière sa première recherche.
Dans ce mémoire, nous essayerons de comprendre l'intrigue qui est fondée sur
la recherche de la femme puis, l'idéalisation de la femme, chez Nerval et
finalement la déception dans laquelle il s’engouffre à la suite de cette recherche.
Et enfin, on n’aura plus qu’à souhaiter que cette recherche sera utile pour les
étudiants aussi bien que pour ceux qui aiment les travaux de Gérard de Nerval.
11
CHAPITRE I
LES DIFFÉRENTESIMAGES
FÉMININES
12
Dans l'univers nervalien, où le rêve prédomine, la femme remplit une
fonction particulière. Son voile – occultant le réel – permet le déclenchement
d'un processus d'idéalisation. Sa beauté reste à l'état de promesse : sous le voile,
on peut imaginer n'importe quels traits et particulièrement ceux d'une femme
divine. Créature irréelle dont les secrets ne se révèlent qu'au terme d'une
initiation mystique.
Gérard de Nerval se lie avec une actrice. Jenny Colon, mais ne parvient pas à
s’en faire aimer. Cette déconvenue sentimentale entraine un bouleversement
intérieur qui s’achève dans la folie. Momentanément guéri, Gérard de Nerval
apprend la mort de Jenny Colon et son rêve s’épanouit désormais en toute
liberté: le souvenir de la mort s’estompe ; à l’image indécise d’une créature
périssable se substitue la vision rayonnante d’un être céleste. L’éternel féminin
dans l’imagination de Nerval, peint sous différents aspects l’image de l’actrice
Jenny Colon.
Lorsqu'il est question de femmes chez Nerval, c'est-à-dire d'amour et de
désir, le deuil se pose continuellement comme paysage dominant. D'un point de
vue psychanalytique, les personnages de féminins qu'il met en scène peuvent
tous renvoyer aux mêmes figures: la mère ou sa femme aimée (Jenny Colon).
Bien que pouvant paraître simpliste par son évidence, cette interprétation permet
de considérer les nombreux deuils de Nerval comme étant tous liés, puisque à
travers ces femmes transparaît l'image de la mère comme représentation du
deuil originel. En effet, et chacun le sait, Nerval a perdu sa mère très tôt dans
son enfance. Cette femme qu'il n'a jamais connue le hante, l'obsède. Dans ses
œuvres, les femmes paraissant en relation avec le narrateur signalent toujours la
crainte d'une perte. Lorsqu'elles ne sont pas déjà mortes, le narrateur craint une
séparation ou, pire encore, la mort de sa bienaimée, ce qui aurait pour
conséquence de le mettre dans un état tel, comme il le répète souvent, qu'il en
mourrait certainement à son tour.
13
Ainsi, la femme est continuellement source d'angoisse pour Nerval, comme
c'est souvent le cas dans Les Filles du Feu. Au fil des différents récits, les
femmes sont tantôt mortes, tantôt inaccessibles. On a pu y distinguer divers
types de présences féminines. Aurélia et Adrienne relèvent toutes de la présence
fantomatique: qu'elles soient vivantes ou non, chacune d'elles évoque un
spectre. Adrienne, elle, se révèle n'être finalement qu'une apparition que le
narrateur a confondue avec une femme bien vivante. Sylvie, quant à elle,
incarne une présence nostalgique: elle est évoquée à plusieurs reprises sur le
mode du souvenir, du regret, Que la femme se fasse fantôme ou souvenir, il
s'agit toujours de hantise pour Nerval.
Aurélia est le récit d'un rêve halluciné qui met en scène la femme aimée,
apparue au poète dans un monde peuplé de figures mythiques. Elle incarne, à
l'instar de toutes les autres, l'éternel féminin qui guide le poète à travers sa folie.
Gérard de Nerval accomplit ici sa descente aux enfers, pensant y trouver la
raison d'être de son existence malade. Il se livre à une exploration des mystères
de son inconscient hanté par les visions, et se montre étonnamment lucide face
aux délires qui l'assaillent. Dans cette œuvre difficile, qui a marqué les
générations symboliste et surréaliste fascinées par la fécondité poétique du
voyage intérieur, Nerval témoigne de la difficulté d'être dans le monde en
composant avec la folie.
Dans Sylvie Aussi, écrit en 1853, Nerval retourne vers ses émotions passées,
les premiers élans de son cœur et le souvenir du Valois. Deux figures
s’opposent dans cette œuvre. La figure de Sylvie, à la grâce rustique et le
prestige rayonnant d’Adrienne, destinée au couvent. Le personnage délaisse
Sylvie, poursuit en vain Adrienne et perd les deux. Il rencontre Aurélie qu’il ne
parvient pas à atteindre non plus. Eclatent, dans cette œuvre, les thèmes de la
solitude désespérée et de la femme inaccessible.
14
La figure de la femme est omniprésente dans Sylvie de Nerval, l'amour
d'enfance est le fil conducteur des émotions du narrateur. Les courts moments
passés en compagnie d'Adrienne lui ont fait se sentir au paradis. Bien
qu'Adrienne soit sortie de sa vie puisqu'elle était promise à être religieuse dans
un couvent, elle reste l'élément de comparaison dans sa recherche permanente
de la femme idéale.
Malgré le coup de foudre pour Aurélie décrit par le narrateur, on ressent
qu'en réalité il recherche toujours l'image d'Adrienne à travers cette nouvelle
tentative d'aimer. Il se l'avoue lui-même en disant : « Aimer une religieuse sous
la forme d'une actrice ! Et si c'était la même ! »1
D'autre part, le narrateur nous explique, que dans le cadre de la recherche de
la femme idéale, il a essayé de revoir son amour d'enfance. Il retourne ainsi dans
son ancien village et revoit Sylvie. Bien qu'ils aient vécus des moments
heureux, il sait qu'un amour d'enfance reste sacré et il considère Sylvie comme
sa sœur. En tant que poète, le narrateur est à la recherche de la femme muse.
L'auteur va idéaliser les trois personnages féminins (Sylvie, Aurélie et
Adrienne) en les comparants chacune à une image antique. Toutes les trois, sont
décrites de manière à ressembler à des personnages de perfection. C'est ce qu'on
voit à travers certains arguments comme dans le cas d'Adrienne : « Elle
ressemblait à la Béatrice de Dante »2ou aussi pour Aurélie : « elle avait pour
moi toutes les perfections … »3.
Sylvie est également idéalisé mais moins car au début de la nouvelle, elle est
considéré comme la paysanne, qui a les yeux marrons et les cheveux noirs, «
Sylvie, si vive et si fraîche, avec ses yeux noirs, son profil régulier et sa peau
1
Gérard de Nerval, Sylvie, dans Les Filles du Feu, Les Chimères, Gallimard, Collection Folio
classique (n° 4219), Paris, 2005, p. 136.
2
Ibid., p.134.
3
Ibid., p. 129.
15
légèrement hâlée ! »4. Mais par la suite, l'auteur la décrit également comme la
beauté parfaite:
« son sourire éclairant [...] avait quelque chose d'athénien. [Elle
était]digne de l'art antique. »5
Mais cette quête de la femme idéale n'a été que déception. À force de
rechercher dans les femmes de sa vie, la même sensation et le même trouble
qu'il a ressenti lorsqu'il a embrassé Adrienne dans son enfance, il a laissé passer
l'opportunité de trouver un véritable amour, et se retrouve dans un vide
sentimental. A-t-il gâcher sa vie ? La femme idéale existe-t-elle ?
Il se demande s’il n'a pas laissé passer le bonheur comme en témoigne : « là
était le bonheur peut-être ; cependant… »6en parlant du sourire Athénien de
Sylvie. Il va avoir une énorme déception face à Aurélie qui restera « un amour
impossible et vague »7.
À la faveur d'un retour sur les lieux de son enfance, ses souvenirs surgissent
et prennent le pas sur la réalité présente. Le narrateur voyage dans ses pensées et
dans la réalité. En repensant à certain de ses ancien souvenirs, il va donc décider
de repartir derrière ces traces. Il redécouvre tous les endroits de son passé qui
l'on marqué étant jeune, ces amis de l'époque et à travers ce voyage dans le
passé, il essaye de retrouver son amour d'enfance. Il essaye de trouver son
bonheur actuel en revenant sur ses pas et en essayant d'appliquer dans le présent
les sentiments du passé.
La continuité et la cohérence de l’univers nervalien apparaissent dès que l’on
observe Aurélia en lisant Sylvie. On y retrouve en effet les mêmes anxiétés et
4
Ibid., p.133.
Ibid., p.139.
6
Ibid., p.165.
7
Ibid., p.135.
5
16
hantises : la faute, la conscience d’une vie vaine, le désir de ressaisir l’unité du
moi dispersé, par l’entremise du souvenir ou du rêve. Cependant, dans Sylvie,
Nerval reste vigilant et conjure l’appel des songes qu’il pressent dangereux : « Il
y a de quoi devenir fou! C’est un entraînement fatal où l’inconnu vous attire
comme le feu follet fuyant sur les joncs d’une eau morte… Reprenons pieds sur
le réel »8. Sylvie, figure solaire, athénienne, incarnant « la douce réalité »9,
exorcisait Adrienne-Aurélie, la figure nocturne, « idéale sublime »10, fascinante
mais inaccessible. Nerval implorait Sylvie de le sauver de la tentation d’un
amour interdit, fatal et des dangers de la dérive imaginaire. L’échec de l’amour
sur le plan de la réalité, comme l’échec de la quête que poursuivait Nerval dans
Sylvie (quête de l’innocence perdue, de la régénérescence par une remontée
dans le temps et l’espace) font basculer Nerval dans ce qu’il est convenu
d’appeler sa folie et décrit Aurélia. Il doit descendre aux enfers pour chercher la
figure féminine perdue.
À travers l’étude de Sylvie et d’Aurélia, nous nous pencherons sur cet éternel
féminin qui hante l’imagination de Nerval. La quête inlassable de l'Eternel
Féminin est une quête mystique, quête de l'unité perdue que le poète ne pourra
rejoindre qu'en passant par de multiples étapes d'initiation, et surtout à travers
l'Amour qui tout au long de cette étude va s'avérer nécessaire. La poursuite de
cette Figure féminine à la fois unique et multiple, incarne pour Nerval la mère,
la sueur, l'épouse, ou la reine. Ce qui le fera basculer dans le dédoublement, se
réfugier dans la folie ou le mythe, Isis, reine de Saba, ou encore Aurélia. Nerval,
l'inconsolé, dépossédé de la femme aimée, cherche en lui-même et à travers le
8
Ibid., p.136.
Ibid., p.163.
10
Idem
9
17
monde, le château mystique où le Graal11 lui délivrera enfin le secret de
l'Univers.
I-1. LA FEMME RÉELLE :
La femme en effet est moins telle qu’elle existe ou qu’elle paraît, que telle
qu’elle est vue et par là désirée par l’auteur, qui poursuit en elle ses rêves
secrets. Un de ses premiers rêves est celui de la compagne, de la femme avec
qui l’on partage les émotions pures dépourvues de sensualité et de fascination
perverse : telle apparaît Sylvie, la femme réelle du livre de Sylvie, « vive et
fraîche »12, avec une apparition mystérieuse dans une atmosphère réaliste qui
décrit une danse paysanne avec une touchante naïveté. La répétition
passionnée : « je n’aimais qu’elle, je ne voyais qu’elle »13par le narrateur,
traduit ce don de l’enfance de s’émerveiller.
Petite paysanne, elle est la compagne dont la simplicité naïve et l’innocence
attirent Nerval, comme autant d’émanations délicieuses de son enfance, de ce
Valois magique qui lui paraît le lieu préservé de toute décadence, celui qui
perpétue cette sagesse antique, cette innocence des premiers âges, dont son âme
a besoin pour racheter quelque faute imaginaire dont le remords le hante,
comme s’il avait trahi la pureté de son passé.
À l’inverse des autres personnages féminins de ce récit comme Aurélie et
Adrienne, Sylvie représente l’aspect terrestre, charnel de la féminité. Familière
du narrateur depuis l’enfance, elle a été son amie, puis son amoureuse, et n’a
11
Le Graal est un objet mythique de la légende arthurienne, objet de la quête des chevaliers de la
Table ronde.
12
Ibid., p.133.
13
Idem
18
rien d’inaccessible. C’est lui, au contraire, qui paraît la fuir. Retournant achever
ses études à Paris, il l’oubli.
Sylvie, le personnage central du récit, auquel elle donne son nom, est une
figure repère : attachée aux lieux de l’enfance, elle est celle que le héros vient
de retrouver après ses périodes d’absence et d’errance.
Le narrateur se souvient de cette époque comme de l'innocence,« un écho
lointain des fêtes naïves de la jeunesse »14. L'enfance du narrateur est décrite
comme une période de joie, la pureté et l'innocence sont les principaux
caractères omniprésents.
Dans tous les passages sont évoqués l'enfance du narrateur, on observe
l'évocation de la nature enchanté et protectrice et la magie des nombreuses fêtes
montrent l'insouciance de la jeunesse. L'auteur va exprimer les sentiments de
joie à travers le mariage de Sylvie et du narrateur.
Le nom de Sylvie (du latin Silva, « forêt ») évoque la nature et la campagne.
Son aspect physique même l’associe à la terre et au soleil (elle est souvent vue à
l’aube, ou en plein jour). C’est en effet une beauté brune, aux yeux noirs. Le
narrateur la connue toute petite (ils ont le même âge) :
« C’était encore une enfant sauvage, ses pieds étaient nus, sa peau
hâlée »15.
Sylvie a des liens avec la nature (comme son prénom), ses promenades dans
un paysage tout imprégné de Rousseau, de pervenches et de ruisseaux ; c’est la
compagne des promenades heureuses, avec qui l’on partage l’innocence de
l’été.
14
Idem
Ibid., p.153.
15
19
Très tôt, elle est son amoureuse, « si vive et si fraîche, avec ses yeux noirs,
son profil régulier »16.
Cet accord sensible, réalisé miraculeusement dans un lieu imaginaire, entre
une femme aimée et un être qui se délivre en sa compagnie de ses tourments,
reflète l’influence de Rousseau, pour qui les vrais sentiments ne peuvent pas
éclore que dans un asile secret, en symbiose avec une nature complice qui
protège les amants du regard des hommes. Du regard ou des rires : car chez
Nerval, les rires, pourtant sans ironie, viennent briser les rêves et ramènent l’être
sensible à la dure réalité. Car Sylvie a changé, elle a évolué ; suivant l’évolution
du temps, elle s’est éloignée de cette fraîche innocence qui la rend magique aux
yeux de Nerval.
Lorsque le souvenir de Sylvie lui revient et l’attire dans le Valois, il évoque
comme une réalité tangible et certaine, opposée à la fantomatique Aurélie : «
Elle existe, elle […]. Elle m’attend encore… »17. Mais il revient à elle trop tard :
elle est fiancée à un autre et elle aussi, désormais, se dérobe à lui. Elle épousera
le grand frisé, dont le métier de pâtissier semble offrir un écho ironique à
la douce réalité représentée par Sylvie. C’est surtout en devenant jeune fille,
puis femme, qu’elle embellit singulièrement :
« Le charme de ses yeux noirs […] était devenu irrésistible ; sous
l’orbite arquée de ses sourcils, son sourire […] avait quelque
chose d’athénien.»18
Déçu, le narrateur s’éloigne. Car ce qu’il poursuivait, c’est un rêve rien de
plus, qui éloigne l’être de la réalité désenchantée.
16
Ibid., p.133.
Ibid., p.136.
18
Ibid., p.139.
17
20
L’échec du narrateur auprès de Sylvie lui inspire une certaine mélancolie,
mais sans le désespoir de sa passion pour Aurélie. Après plusieurs années,
contemplant la famille qu’elle forme avec le pâtissier et leurs enfants, le héros
médite :
« Là était le bonheur peut-être ; cependant… »19.
La phrase inachevée suggère que ce simple bonheur domestique n’aurait
peut-être pas satisfait sa soif spirituelle de rêve et d’idéal.
Sylvie la fée-villageoise qui finit pâtissière ; et encore « nymphe antique qui
s’ignore »20, qui s’est identifiée dans le passé à Julie de la Nouvelle Héloïse, et a
gardé son « sourire athénien […] d’autrefois »21, et aussi « fée industrieuse »22,
qui «grâce à ses talents d’ouvrière […] n’ [est] plus une paysanne. Ses parents
seuls [sont] restés dans leur condition »23. Sylvie est très manifestement un
personnage chimérique, qui met en abyme le triptyque des personnages
féminins auquel elle appartient. Notons que ce caractère « chimérique » recèle
une dimension réaliste : Sylvie a entamé une ascension sociale, de dentellière,
est devenue gantière ; elle a aussi connu un processus d’acculturation (et donc
de déculturation) : elle ne veut plus chanter les chansons rustiques mais phrase
des airs d’opéra.
Aussi le narrateur se tourne vers Aurélie, l’actrice, femme réelle certes, mais
surtout transfigurée par la scène :
19
Ibid., p.165.
Ibid., p.149.
21
Idem
22
Ibid., p.155.
23
Idem
20
21

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