Les nouveaux médias et le droit d`auteur sur les œuvres diffusées

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Les nouveaux médias et le droit d`auteur sur les œuvres diffusées
Les nouveaux médias et le droit d’auteur sur les œuvres diffusées par voie
électronique:
Évolution des pratiques commerciales relatives au droit d’auteur et incidence sur les
organismes et les programmes de soutien des arts
Résumé
Par Robert Labossiere
La multiplication des médias électroniques depuis 1990 a donné naissance à de nombreux
débouchés pour les créateurs, les éditeurs et les producteurs d’œuvres culturelles. Il est
aujourd’hui possible de diffuser plus largement un plus grand nombre d’œuvres de
création dont l’accès est plus facile que jamais, grâce à Internet, aux bases de données
électroniques et à de multiples supports électroniques tels que les cédéroms et les disques
vidéonumériques (DVD).
La nouvelle technologie fait en sorte que les possibilités qui s’offrent aux auteurs de faire
connaître leurs œuvres augmentent à un rythme sans précédent; cependant, ces derniers
éprouvent davantage de difficulté à faire respecter leurs droits. Même si le droit d’auteur
est généralement reconnu et accepté, le système traditionnel d’octroi de licences n’est pas
appliqué, du moins pas de façon systématique, au sein des industries des nouveaux
médias.
Parmi les nombreux facteurs en cause, mentionnons le fait que les nouvelles technologies
et les entrepreneurs qui les exploitent viennent bouleverser la dynamique traditionnelle en
matière d’édition, de production et de distribution. Le milieu de l’édition est devenu plus
concurrentiel, et la nature de cette concurrence a changé. La publication de cédéroms et
de livres électroniques, l’impression sur demande et le commerce électronique font appel
à de nouveaux modèles d’échange d’œuvres de création et autres œuvres protégées par
des droits d’auteur. Des technologies toujours plus évoluées visent à accroître la vitesse
des échanges et à les faciliter. Grâce à des réseaux point-à-point, tels que Napster,
Gnutella and Freenet, les utilisateurs d’Internet peuvent relier leurs ordinateurs afin
d’échanger des fichiers, sans qu’aucune disposition ne prévoie la transmission du droit
d’auteur.
Dans la législation canadienne relative au droit d’auteur, le « droit d’auteur sur les
œuvres diffusées par voie électronique » ne constitue pas une catégorie distincte. Il s’agit
plutôt d’un terme familier qui renvoie au support de reproduction. Cependant, le droit
d’auteur, tel qu’il est défini dans la Loi sur le droit d’auteur en vigueur au Canada et
selon le droit international, s’applique autant aux supports électroniques de reproduction
qu’aux médias plus traditionnels. On parle de « droit d’auteur sur les œuvres diffusées
par voie électronique » lorsqu’une œuvre créée sur un support traditionnel est reproduite
au moyen de la technologie numérique ou encore lorsqu’une nouvelle œuvre est créée
directement sur un support numérique.
Le droit d’auteur sur les œuvres diffusées par voie électronique est devenu un sujet
controversé parce qu’il est à la fois difficile à définir et difficile à transmettre. Les modes
traditionnels de transmission du droit d’auteur, soit par octroi de licence ou par cession,
ne sont pas vraiment applicables. Par exemple, les œuvres originales reproduites sous
forme numérique peuvent être diffusées de mille et une façons, que ce soit au moyen
d’ordinateurs de table, d’appareils portatifs, de la télévision, de la radio, ou encore de
disquettes, de cédéroms, de DVD, etc. Il est difficile pour le titulaire du droit d’auteur et
pour le cessionnaire ou le titulaire d’une licence de prévoir quelles technologies seront
utilisées ou d’établir des restrictions raisonnables quant aux utilisations qui seront faites
d’une œuvre. En outre, comme Internet n’a pas de limites territoriales, il est pour ainsi
dire impossible de restreindre les droits transmis à une région géographique donnée,
comme il est courant de le faire lorsqu’il s’agit de médias traditionnels.
La question du droit d’auteur sur les œuvres diffusées par voie électronique a pris une
grande importance dans presque tous les secteurs de la production culturelle. Les éditeurs
d’ouvrages imprimés ont, dans certains cas, conclu avec leurs auteurs des contrats
prévoyant la transmission de « tous les droits pour une période indéfinie peu importe le
média » parce qu’ils avaient trop de mal à définir ou à restreindre l’utilisation des œuvres,
ce qui porte préjudice aux auteurs qui ont besoin de comprendre et de faire respecter leurs
droits. Les éditeurs d’ouvrages scientifiques doivent se mesurer aux éditeurs qui sont en
mesure de publier des travaux de recherche plus rapidement sur Internet en faisant appel
aux nouveaux médias. Les auteurs d’ouvrages scientifiques veulent conserver leurs droits
d’auteur afin de pouvoir prendre part à ces grandes mutations, alors que dans le milieu de
l’édition d’ouvrages scientifiques, la tradition veut que le droit d’auteur soit transmis
entièrement à l’éditeur. Les bibliothèques font entrer dans leurs collections un nombre
croissant d’ouvrages sur support numérique, de sorte que l’accès du public à ces ouvrages
n’est plus limité par le nombre d’exemplaires en circulation et entre en concurrence
directe avec la distribution commerciale. De nouveaux services de distribution sur
Internet tels que Napster ont mis sur pied des systèmes permettant à des particuliers de
télécharger des œuvres musicales ou vidéo et d’autres types de fichiers, sans
nécessairement respecter les droits d’auteur, ce qui entre en conflit avec la façon de
procéder des industries traditionnelles de production et de distribution.
Bien que ces tendances soient alarmantes et malgré la complexité des problèmes à
résoudre, on observe que les pratiques de l’industrie évoluent, que d’importantes mesures
législatives sont prises, que les décisions rendues par les tribunaux dans certains litiges
apportent quelques éclaircissements et que de nouvelles technologies sont mises au point
afin d’assurer le respect des droits d’auteur sur les œuvres diffusées par voie électronique.
Sur le plan législatif, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a
conclu deux traités, soit le Traité sur le droit d’auteur (1996) et le Traité sur les
interprétations et exécutions et les phonogrammes (1996), qui visent tous deux à
promouvoir l’élaboration et l’utilisation d’une technologie permettant de protéger les
droits d’auteur. Les nations signataires de ces traités s’engagent à sanctionner par des
règles de droit pénal le contournement des mesures de protection du droit d’auteur,
comme l’encryptage des données, ou la suppression de l’information relative au droit
d’auteur incluse dans les œuvres électroniques. Les États-Unis ont récemment mis en
œuvre ces traités en adoptant la Digital Millennium Copyright Act; il a été proposé que le
Canada adopte une loi similaire d’ici 2002. Une telle loi permet de préparer le terrain afin
de mettre en place un régime de protection des droits d’auteur convenant aux nouveaux
médias, mais elle n’apportera vraisemblablement pas toutes les réponses.
Les tribunaux fourniront des éclaircissements sur certaines questions, à défaut de les
régler une fois pour toutes. Les décisions comme celle rendue dans l’affaire Tasini c. New
York Times créent des précédents importants qui confirment les droits des auteurs. Des
affaires similaires entendues au Canada (Robertson c. Thomson, Lyon c. Southam et
Belanger c. CEDROM-SNI) permettront d’établir clairement les intérêts des auteurs et
des éditeurs en matière de droits d’auteur. Les poursuites contre le distributeur de
musique américain MP3.com ont été en partie réglées par l’établissement de licences
avec les maisons de disques. Aux États-Unis, le procès contre Napster fait l’objet d’une
procédure accélérée; une importante audience devant une cour d’appel est prévue au
début d’octobre.
La gestion collective du droit d’auteur peut représenter une partie de la solution. La mise
sur pied d’une société de gestion a pour objet de réduire les coûts de l’octroi de licences
en réunissant les droits d’auteur en un seul lieu et en centralisant la perception et la
distribution des redevances afférentes. Aux États-Unis, la National Writers Union a créé
le Publishing Rights Clearinghouse (PRC), alors qu’au Canada, on a mis sur pied la
société de reconnaissance de droits électroniques (TERLA) afin d’offrir des licences
générales aux utilisateurs de produits numériques. La Société canadienne de perception
de la copie privée s’occupe de percevoir un tarif sur les supports d’enregistrement sonore
vierges, notamment les cassettes et les cédéroms; les recettes ainsi obtenues sont ensuite
réparties entre plusieurs sociétés de gestion représentant des musiciens et autres artistes
interprètes, des compositeurs, des éditeurs de musique et des maisons de disques. Une
cour d’appel est actuellement saisie d’une requête concernant le paiement, par les
fournisseurs de services Internet (FSI), d’un tarif couvrant le copiage de pièces musicales
sur Internet.
Une autre possibilité serait de mettre en place une autre forme de réglementation
d’Internet. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes
(CRTC) a tenu des audiences en 1998-1999, alors qu’aux États-Unis, le Comité sénatorial
chargé de surveiller l’organisation judiciaire a tenu récemment une série d’audiences afin
d’examiner la question. Le CRTC, organisme de surveillance de la radiotélévision au
Canada qui applique un régime d’octroi de licences et une série de normes, a conclu qu’il
ne serait pas opportun, pour le moment, de procéder à une telle réglementation. Les
industries de la radiodiffusion et des télécommunications s’opposent vigoureusement à
l’intervention de l’État dans un secteur où les marchés et les technologies sont encore en
évolution. Toutefois, comme les nouveaux services Internet font entrer la télévision et la
radio dans Internet, en concurrence directe avec les médias traditionnels, le CRTC peut
être amené à changer d’avis devant la nécessité de se pencher sur des questions
complexes telles que le droit d’auteur. Le Comité sénatorial américain n’a pas encore fait
connaître ses conclusions.
L’ambiguïté entourant la façon de traiter la question des droits d’auteur sur les œuvres
diffusées par voie électronique a donné lieu à de nombreux litiges dans le monde entier.
Si on examine les diverses décisions rendues par les tribunaux en Allemagne, aux PaysBas, en France et aux États-Unis, on peut voir une tendance se dessiner : soutenir les
intérêts des auteurs et autres titulaires de droits d’auteur.
On peut toutefois craindre que des contrôles plus sévères sur les droits d’auteur puissent
mettre en péril le libre accès du public à l’information ou empêcher le développement de
nouvelles technologies propres à servir l’intérêt public. On redoute aussi que des
pratiques contractuelles entre les auteurs et les éditeurs ou les producteurs, et entre les
éditeurs ou les producteurs et les utilisateurs finals, ne viennent remplacer le droit
d’auteur pour former un régime légal obligatoire faisant contrepoids à ces intérêts. Pour
maintenir un équilibre, il est peut-être nécessaire que la législation sur le droit d’auteur
évolue. Cette évolution ne se fera que si toutes les parties se consultent et collaborent, ce
qui n’a généralement pas été le cas jusqu’à maintenant.
Les nouvelles technologies offrent également des solutions visant à assurer le respect des
droits d’auteur sur les œuvres diffusées par voie électronique, qu’on peut classer dans
trois catégories : la gestion collective du droit d’auteur, les services de gestion des droits
d’auteurs et les systèmes de gestion des droits d’auteur.
Certaines sociétés de gestion et autres organismes offrent maintenant sur Internet des
services en direct d’octroi de licences pour l’utilisation d’œuvres sur support
électronique. Nombre de nouvelles entreprises disposent de services similaires et offrent
dans certains cas des applications logicielles permettant d’identifier (étiqueter)
l’information numérique et de pouvoir ainsi la suivre lorsqu’elle est copiée. Ces services
reposent en grande partie sur la participation volontaire des utilisateurs finals, qui
acceptent que leurs transactions fassent l’objet d’une surveillance. Certains de ces
systèmes sont liés à des fonctions de commerce électronique qui permettent aux
utilisateurs d’œuvres protégées par des droits d’auteur d’obtenir des licences et d’en
acquitter les droits en direct. Actuellement, ce sont les systèmes de gestion des droits
d’auteur qui offrent le degré de protection le plus élevé; il s’agit de systèmes qui
encryptent le contenu des œuvres, qui ne sont alors accessibles qu’aux personnes qui
possèdent une clé.
Comme les services et les systèmes offerts ne cessent de se multiplier et que la situation
évolue rapidement, la question du droit d’auteur sur les œuvres diffusées par voie
électronique restera d’une grande complexité. Toutefois, des progrès sont également
réalisés en vue de l’établissement de pratiques, au sein de l’industrie, concernant la façon
de traiter les œuvres protégées par des droits d’auteur.
Le Digital Object Identifier (DOI) est une nouvelle norme internationale pour
l’identification des œuvres protégées par des droits d’auteur qui est en cours
d’élaboration; c’est la DOI Foundation qui est chargée d’attribuer les DOI et de les
indexer afin qu’ils puissent être utilisés efficacement pour l’octroi de licences à travers le
monde. Un nouveau protocole Internet, appelé Extensible Markup Language (XML),
propose également des normes offrant aux auteurs, ou encore aux éditeurs et aux
producteurs, des façons accessibles, souples et peu coûteuses de procéder à
l’identification de l’information numérique.
De toute évidence, la question du droit d’auteur sur les œuvres diffusées par voie
électronique s’inscrit dans un environnement complexe qui évolue rapidement. Aucune
solution n’est entièrement satisfaisante et de nombreux intérêts s’opposent. Comme on
pouvait s’y attendre, certains titulaires de droits d’auteur se retrouvent dans une situation
contradictoire : d’une part, ils veulent disposer d’une plus grande latitude en ce qui
touche le droit d’auteur, afin de pouvoir explorer de nouvelles façons d’utiliser les médias
électroniques; d’autre part, ils prônent l’adoption de lois plus sévères et une application
plus rigoureuse de celles-ci afin d’empêcher que leurs œuvres soient exploitées par
d’autres personnes. Comme le milieu est très concurrentiel, peu d’entre eux sont prêts à
faire des concessions ou à travailler en collaboration. Il est peu probable que ces tensions
s’estompent dans un avenir rapproché.
Les organismes de soutien des arts se trouvent devant la nécessité de trouver une façon de
contribuer à l’évolution du droit d’auteur. Dans la mesure où ces organismes offrent un
soutien aux créateurs et aux autres intervenants prenant part à la promotion et à la
distribution d’œuvres de création originales au moyen de médias électroniques, il leur
incombe de faire valoir le mieux possible les droits des auteurs et des producteurs.
Pour ce faire, ils doivent veiller à ce que les auteurs exercent le meilleur contrôle possible
sur leurs œuvres et sur les différentes utilisations de celles-ci. Pour les auteurs, conserver
leurs droits d’auteur constitue la meilleure façon d’atteindre cet objectif.
Les organismes de soutien des arts devraient encourager les créateurs et les producteurs à
profiter des débouchés qu’offrent les médias électroniques en leur fournissant de
l’information et des conseils au sujet du droit d’auteur et en établissant des pratiques
propres à garantir l’équité dans les ententes de production, d’octroi de licences et de
distribution.
Les organismes de soutien des arts devraient également encourager les parties prenant
part à des projets financés à travailler en collaboration afin de prévenir les malentendus
ou les différends et à faire preuve de bonne volonté en cas de litige.
Enfin, les organismes de soutien des arts devraient prendre une part active au débat sur le
droit d’auteur et contribuer ainsi à l’élaboration d’une politique et de dispositions
législatives permettant d’encadrer de façon nette et équitable les activités relatives à la
diffusion par voie électronique. À cette fin, il importe qu’ils soutiennent fermement la
position des auteurs, tout en tenant compte des intérêts des éditeurs et des producteurs,
ainsi que ceux du grand public.