1 GUILLAUME APOLLINAIRE / Guillaume de KOSTROWITZKY

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1 GUILLAUME APOLLINAIRE / Guillaume de KOSTROWITZKY
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GUILLAUME APOLLINAIRE / Guillaume de KOSTROWITZKY (1880 - 1918)
1) Le témoin :
Guillaume Apollinaire, né le 26 août 1880 à Rome. A bien des égards Guillaume Apollinaire
apparaît comme un personnage singulier, le témoignage de sa participation à la Grande Guerre,
qu’il donne à travers ses lettres, est celui d’un poète, d’origine étrangère mais très patriote, qui
choisit l’évasion poétique face à l’horreur de la guerre. Guillelmus Apollinairis Albertus de
Kostrowitzky dit Guillaume Apollinaire, est né le 26 août 1880, d’un père inconnu (une
hypothèse très controversée attribue la paternité à Francesco Flugi d’Aspermont, un officier
italien). Sa mère est de nationalité russe, Angelica de Kostrowitzky descend d’une ancienne
aristocratie polonaise, son père était colonel dans l’armée du Tsar. Guillaume Apollinaire passe
les premières années de sa vie à Rome puis à Bologne entre 1883 et 1887, ensuite sa famille
arrive à Monaco où sa mère se voit refuser un permis de séjour et décide donc de s’installer à
Paris où il entre au collège Saint Charles.
Durant ses études il remporte beaucoup de prix d’excellence, même s’il change souvent
d’établissement. En janvier 1891, sa famille s’installe à La Condamine, près de Nice sur la Côte
d’Azur. Après avoir vécu à La Turbie puis à Cannes, il arrive à Nice où il entre au lycée Masséna
en février 1897. Le futur poète y apprend la rhétorique et signe ses premiers poèmes avec le nom
de Guillaume Apollinaire. Ensuite sa famille retourne à Paris en 1899, le 11 octobre il est
officiellement déclaré à la préfecture comme étranger. Peu aisé financièrement, il vit de petits
boulots, et fait ses études en parallèle et obtient le 24 juin 1900 un diplôme de fin d’études
élémentaires.
En 1901, il écrit ses premiers romans érotiques et dispose de ses premières chroniques dans les
journaux d’art, il restera d’ailleurs critique d’art toute sa vie. Durant l’année 1902, Guillaume
Apollinaire voyage beaucoup, en Allemagne et en Autriche, et fait paraître une nouvelle intitulée
l’Hérésiarque. En 1905 il rencontre pour la première fois Picasso, avec qui il se lie très vite
d’amitié, le poète évoque d’ailleurs cette relation amicale dans plusieurs de ses lettres,
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notamment l’anecdote croustillante des statuettes du Louvre qui ont été volées en 1911, dans sa
lettre du 30 juillet 1915. Le poète est accusé du vol qu’il n’a pas commis alors que le peintre, et
ami d’Apollinaire, de son côté, a un lien avec le véritable voleur. Quoi qu’il en soit, une fois
innocenté, il choisit de vivre de son écriture, il fréquente la bourgeoisie parisienne et publie des
articles sur l’art et la littérature, et aussi ses premiers poèmes érotiques. Il commence, à Paris, en
1910, sa carrière de journaliste professionnel à l’Intransigeant. En 1913, paraît son premier
recueil de poèmes qui lui offre une certaine renommée, il le nomme Alcools, on y retrouve
notamment le poème devenu célèbre, « Le Pont Mirabeau ».
Le 31 juillet 1914, il reçoit des nouvelles alarmistes, le risque de déclenchement d’une guerre en
Europe est à son paroxysme. En effet dès le 1er août la mobilisation générale est décrétée et
Guillaume Apollinaire essaie de s’engager le 10 août, en tant que volontaire dans l’armée
française, il refuse d’intégrer la légion étrangère. En fait, Apollinaire songeait à faire une
demande de naturalisation depuis le début des années 1910, il décide donc de la réaliser en
parallèle avec sa demande d’intégration dans l’armée. Cette dernière ayant été refusée le 24 août,
il repart à Nice où il rencontre sa future fiancée, Louise de Coligny-Châtillon. Finalement le 29
novembre 1914 son dossier passe devant le conseil de révision, il intègre alors le 38ème régiment
d’artillerie de campagne. Il quitte donc Nice pour Nîmes, le 6 décembre, afin d’incorporer le
peloton d’élèves-brigadiers. Dès le 31 décembre il obtient une permission de 48h pour Nice qu’il
passe avec Louise. Le 2 janvier 1915, en retournant à Nîmes dans le train au départ de la cité
azuréenne, il rencontre Madeleine Pagès. Le poète sympathise avec la jeune femme qui lui fait
forte impression, ils échangent même leurs adresses. C’est donc avec elle que Guillaume
Apollinaire vit pendant la Grande Guerre une relation épistolaire amoureuse assez intense, ils
échangent un grand nombre de lettres entre avril 1915 et novembre 1916. Ce n’est que le 16 avril
1915, après sa rupture avec Louise, qu’il décide finalement d’écrire à la jeune femme.
Entre temps, il est admis comme élève-officier le 12 janvier 1915, et obtient une permission de
48h du 23 au 25 janvier, il s’éloigne de Louise et leur dernière rencontre a lieu les 27 et 28 mars à
Marseille lors d’une nouvelle permission de 24h. Il se porte ensuite volontaire pour la zone
d’opération et renonce au peloton d’élèves-officiers. Donc le 4 avril, jour de Pâques, Apollinaire
part de Nîmes pour rejoindre la 45ème batterie du 38
ème
régiment d’artillerie de campagne à
Mourmelon-le-Grand, dans la Marne. Le 10 avril il prend ses fonctions d’agent de liaison dans le
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secteur de Beaumont- sur-Vesle, à une douzaine de kilomètres derrière la ligne de feu. Il est bien
vite nommé brigadier, avant l6 avril 1915, le jour où il décide d’écrire sa première lettre à
Madeleine Pagès, qui est en fait une carte postale. Elle marque le début d’une correspondance
caractérisée par un fort amour épistolaire qui permet à Guillaume Apollinaire de s’évader un peu,
du moins le temps de l’écriture ou de la lecture d’une lettre, durant la période où il est au front.
Le 23 juin, il devient brigadier fourrier, il est alors sous-officier, et dès le 26 juin 1915 son unité
est en mouvement vers Perthes-lès-Hurlus (ancienne commune du département de la Marne
détruite durant la Première guerre mondiale), elle s’installe finalement à Somme- Tourbe. Dans
une carte militaire du 27 juin 1915 (p.75), il évoque « un bivouac où (ils se reposent) durant
quelques heures avant le redépart vers l’est ». Le 10 août 1915, il envoie une lettre à la mère de
Madeleine, Mme Pagès, afin de se présenter et de lui demander la main de sa fille (p.126, « J’ai
l’honneur de vous prier de m’accorder sa main »), sa requête reçoit une réponse favorable le 20
août 1915. Ensuite le 25 août il devient maréchal des logis, « observateur et dans un observatoire
situé sur une crête désolée arrosée par les marmites » p.156. Guillaume Apollinaire est nommé le
1er septembre comme chef de pièce au canon, dans la lettre à Madeleine qu’il envoie ce jour-là il
se dit désormais « confiné loin de tout sur la ligne de feu » (p.157). Ensuite du 22 au 25
septembre il participe à la préparation de l’artillerie pour une offensive sur le front d’Auberivesur-Suippes, à Ville-sur-Tourbe en face de la butte Tahure. Du 25 au 27 septembre l’armée
française progresse jusqu’à la deuxième ligne allemande, dans une lettre du 24 septembre 1915
au matin il écrit, « Nous partons demain en territoire occupé » (p.223). Ensuite il se retrouve à
nouveau en retrait du front dans son régiment d’artillerie qui lui s’est déplacé au nord-est de
Somme-Tourbe à Trou-Bicot.
Le 24 novembre 1915, il est muté comme sous-lieutenant dans l’infanterie pour pallier les pertes
dans le 96ème régiment, il est affecté dans la 6ème compagnie, au secteur 139, dans sa lettre de ce
jour-là il déclare : « Sollicité d’être officier je n’ai pu refuser. J’aurais pu le faire, mais étant
donné que je suis engagé volontaire, je ne pouvais pas sans avoir l’air de mettre une restriction à
mon engagement, restriction qui n’est pas en moi » (p. 385-386). Et dès le 28 novembre il monte
pour la première fois en première ligne avec sa batterie dans la tranchée « Hambourg », il écrit
dans sa lettre « (...) c’est l’infanterie qui est l’arme méritante. Le reste... popote bourgeoise...
Mais l’infanterie !!! C’est inouï. Je monte demain soir en première ligne pour neuf jours » (p.
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391).
En fait Guillaume Apollinaire reste finalement plus d’une dizaine de jours en première ligne. Il
obtient finalement la permission qu’il attendait depuis plusieurs mois le 22 décembre 1915, il
remplaçait un lieutenant permissionnaire qui vient de rentrer de permission. Il dispose donc
désormais de plusieurs jours pour passer les fêtes de fin d’années dans la famille de sa fiancée
Madeleine Pagès à Lamur près d’Oran en Algérie. Le voyage n’est pas compris dans le nombre
de jours de permission, le 26 décembre au soir après avoir rejoint Marseille, il embarque pour
Oran et arrive le 29 décembre au matin. Sa permission prend fin le 7 janvier 1916, on sait
d’ailleurs peu de choses sur le déroulement de celle-ci, il semblerait que Guillaume Apollinaire
soit revenu de celle-ci avec une certaine déception, peut-être est-ce dû à des attentes très fortes
non comblées.
Quoi qu’il en soit, il retrouve son régiment à Damery le 12 janvier, ce dernier est au repos. Du 22
au 25 janvier il participe à des manœuvres à Ville-en-Tardenois en tant que commandant de
compagnie. Le 1er février 1916 il a droit à une permission de 48h à Paris, c’est véritablement la
première fois qu’il se retrouve découragé par l’atmosphère qui y règne et la vision que les élites
ont de la guerre, il écrit d’ailleurs à Madeleine le 3 février (p.452) « Je n’ai pas du tout aimé Paris
ces deux jours ». Le 1er mars il obtient une nouvelle permission dans la ville de Reims, il y
constate dans ses lettres une ville qui a subit fortement les bombardements et qui est partiellement
détruite, il décrit cette destruction dans une lettre datée du 10 mars 1916 et dans une autre du 13
mars.
Mais la veille, le 9 mars le Journal Officiel publie son décret de naturalisation, il obtient
officiellement la nationalité française. La décision lui parvient le 14 mars, trois jours avant une
terrible blessure au-dessus de la tempe droite. En effet le 17 mars 1916 à 16h, Guillaume
Apollinaire reçoit un éclat d’obus qui le touche à la tête, il doit être évacué dans l’ambulance
1/55, il y est opéré à deux heures du matin. On apprend plus tard dans une lettre du 6 avril qu’il a
été blessé à Bois des Buttes, près de Berry-au-Bac dans le département de l’Aisne. Guillaume
Apollinaire informe Madeleine de cette blessure par une carte militaire du 18 mars (p.496) où il
écrit « J’ai été blessé hier à la tête par un éclat d’obus de 150 qui a percé le casque et pénétré. Le
casque en l’occurrence, m’a sauvé la vie ». Il est admis finalement le 20 mars à l’Hotêl-Dieu de
Château-Thierry, puis il est transféré deux fois, d’abord au Val-de- Grâce le 28 mars et enfin à
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l’Hôpital italien au Quai d’Orsay le 12 avril. Il est soigné par un infirmier qui est une de ses
connaissances, Serge Férat (en réalité Serge Jastrebzoff), un peintre décorateur d’origine russe
qui s’est engagé comme volontaire en tant qu’infirmier, il avait collaboré étroitement avec
Apollinaire pour la revue Les Soirées de Paris.
Après des troubles inquiétants il doit subir une trépanation le 9 mai, elle est pratiquée par le
Docteur Baudet au Val-de-Grâce, où il avait été transféré le 4 mai. Apollinaire se trouve très
affaiblit, il dissuade Madeleine de venir le voir. S’en suit une longue convalescence, il n’envoie
plus que très courtes lettres ou de simples télégrammes à Madeleine. Il ne se remettra jamais
vraiment de cette blessure et ne pourra jamais retourner au front. Entre mai et juin, il reste
hospitalisé mais sort parfois de l’hôpital pour reprendre son rôle dans le monde des arts et des
lettres, il publie d’ailleurs en octobre 1916, Le poète assassiné. Mais avant cela, le 17 juin 1916,
exactement trois mois après sa blessure, Guillaume Apollinaire a reçu une citation à l’ordre du
régiment avec l’attribution de la Croix de guerre :
« Sujet russe, engagé volontaire pour la durée de la guerre dans l’artillerie où il était devenu
maréchal des logis, a demandé à passer dans l’infanterie où il été nommé sous-lieutenant, puis a
été naturalisé. A donné en toutes circonstances l’exemple du sang-froid et du courage. A été
grièvement blessé à la tête le 17 mars 1916 au cours d’un violent bombardement. Croix de guerre
».
Le poète porte sa médaille de guerre assez fièrement, satisfait de s’être engagé volontairement
pour la France. L’année 1917, il poursuit sa longue convalescence et c’est pour lui une année
intense en matière de production littéraire ainsi que comme critique d’art. Le 19 avril 1917
Guillaume Apollinaire se présente au centre de la réforme de Clignancourt, où il effectue une
visite médicale et le 23 il y retourne pour apprendre l’octroi d’un congé de convalescence de
plusieurs mois. Dès le 25 avril il avait été astreint à des passages quotidiens obligatoires à
l’hôpital italien pour sa blessure. Mais il est finalement déclaré définitivement inapte le 11 mai
1917, cependant il est maintenu sous les drapeaux. En effet il s’était engagé pour toute la durée
de la guerre. Il est donc toujours considéré comme un soldat mobilisé au service de son pays.
Donc le 19 juin 1917, par décret, le poète est rattaché au Ministère de la guerre, à la Direction
générale des relations avec la presse où il entre en fonction le 25 juin.
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Du 24 au 31 août il obtient une permission qu’il passe à Benodet, avec des amis et notamment sa
future femme Jacqueline. En fait durant sa très longue convalescence, qu’il passe majoritairement
à Paris, il n’écrit plus à Madeleine Pagès, on ne connait pas vraiment les raisons qu’ils l’ont
poussé à s’éloigner de la jeune femme, il ne donne plus du tout de nouvelles, et la dernière lettre
qu’il lui envoie est datée du 23 novembre 1916. Il a vécu une relation épistolaire intense avec elle
durant toute la durée où il était au front. L’année 1917 marque un tournant dans sa vie,
Apollinaire ne correspond plus avec elle. Cette même année il subit une forte fièvre, à la fin
décembre. Il ne s’est jamais vraiment remis physiquement de sa blessure à la tête, à chaque
complication de santé il se sent facilement affaibli. Dès le 3 janvier 1918, s’en suit une
congestion pulmonaire, il se retrouve en soin à la Villa Molière de l’hôpital du Val-de-Grâce.
Il passe une année 1918 très difficile car sa santé se dégrade rapidement, il suit un traitement
long, jusqu’au mois de mai. Malgré cela, il se marie avec Jacquelines Kolb le 2 mai 1918, son
témoin de mariage est Pablo Picasso. Puis le 21 mai Guillaume Apollinaire est mis à disposition
du ministre en charge des colonies, il est affecté au bureau de la presse et à la charge de rédiger le
bulletin officiel. Le 28 juillet 1918 il obtient une promotion temporaire comme lieutenant, avant
d’obtenir une longue permission du 1er au 21 août. Le poète occupe toujours son poste de
rédacteur et participe encore à la vie littéraire et artistique, avec notamment la publication de ses
Calligrammes. Mais Apollinaire n’a jamais vraiment soigné sa congestion pulmonaire, encore
affaiblit par celle-ci il contracte la grippe espagnole au début du mois de novembre 1918. Il en
décède le 9 novembre, seulement deux jours avant la signature de l’armistice qui marque la fin de
la guerre. Il est inhumé le 13 novembre, son cercueil est transporté au Père Lachaise, pour y être
enterré, il est accompagné par un cortège populaire.
Voici le compte rendu d’André Salmon, ami du poète, journaliste et critique d’art, dans le journal
L’Eveil, le 14 novembre 1918, le lendemain des obsèques de Guillaume Apollinaire : « Hier ont
eu lieu les funérailles de notre ami, le poète Guillaume Apollinaire, mort des suites d’une maladie
dont sa cruelle blessure de guerre ne lui permit pas de triompher.
Une section du 237ème territorial, commandée par un lieutenant, de la maison mortuaire au PèreLachaise. Une messe fut chantée au cœur de Saint-Thomas d’Aquin, le long du cortège des
parents, des amis, d’officiers et de soldats blessés, des compagnons d’armes du défunt, auxquels
s’étaient joint les officiers représentant le gouvernement militaire de Paris, la maison de la Presse
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et le ministère des colonies, des peintres, des sculpteurs, des musiciens, des romanciers, des
poètes, s’achemina vers la nécropole par le boulevard Saint-Germain et la Bastille. (...) Des
gerbes avaient été envoyées, par Le Mercure de France, L’Europe nouvelle, Excelsior, Les
Soirées de Paris, L’Effort moderne (journaux auxquels il a collaboré).
Le deuil était conduit par Mme de Kostrowitzky , mère de Guillaume Apollinaire, et par la veuve
du poète, qu’accompagnaient deux des plus fidèles amis du cher mort, M. Serge Jastrebzoff et M.
Max Jacob ... » puis il cite tous les amis de Guillaume Apollinaire devenus illustres.
2) Le témoignage :
Pour étudier le témoignage laissé par Guillaume Apollinaire en tant que soldat durant la Grande
Guerre, l’idéal est de s’intéresser à un recueil des lettres envoyées à Madeleine Pagès entre avril
1915 et novembre 1916. C’est cette correspondance abondante qui fait office de journal, il n’a
pas de carnet de guerre à proprement parlé, mais c’est dans ses lettres qu’Apollinaire évoque
toutes ses impressions, la manière dont il appréhende le conflit, mais aussi l’évolution de ses
positions et de ses grades tout au long de la guerre. Le poète joint parfois des poèmes à ses écrits
épistolaires, en fait depuis son plus jeune âge il avait le goût de la poésie et il signait déjà sous le
pseudonyme de Guillaume Apollinaire, en mémoire de son grand-père maternel, officier dans
l’armée du Tsar, Apollinaire Kostrowitzky.
Durant la Grande Guerre, le poète voulait écrire des poèmes de deux types. D’une part des «
poèmes secrets » qui relevaient plutôt du secret, du personnel ou de l’intime, pour la jeune
femme, il écrit même dans une lettre du 13 août 1915 «(...) nous cacherons notre amour, il ne sera
qu’à nous seul » (p. 134). Et d’autre part des poèmes envoyés à Madeleine qui devait les recopier
en vue d’une future publication. C’est lors de la permission passée à Lamur, près d’Oran, dans la
famille de Madeleine du 29 décembre 1915 au 6 janvier 1916, que Guillaume Apollinaire a
demandé à sa fiancée de recopier les premiers poèmes reçus. Il lui fit part de son projet de faire
paraître certains des poèmes considérés comme secret après leur mariage, qui ne se fit en fait
jamais. Parmi ces poèmes on en retrouve dans le recueil Calligrammes paru en 1918 (Pour
admirer le style d’Apollinaire dans l’art du calligramme avec les lettres du 15 mai et du 9 octobre
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1915 et celle du 12 février 1916.
Quant à la correspondance entre le poète et la jeune femme, elle devait rester secrète. Mais dès
l’entre-deux guerres, certaines copies de poèmes secrets, écrites par Madeleine, ont commencées
à circuler, jusqu’à ce que paraisse, en 1949, une première édition clandestine regroupant plusieurs
poèmes. Alors l’ex-fiancée du poète décida finalement, en 1952, de publier les lettres
d’Apollinaire qu’elle avait en sa possession, avec l’aide de Pierre-Marcel Adéma. Le recueil de
poèmes et de lettres, Tendre comme le souvenir, paraît bien des années après la Grande Guerre.
Madeleine, qui avait précédemment toujours refusé de dévoiler au public son histoire, a
finalement acceptée. C’est elle qui a choisi le titre, il est tiré d’un vers du poème « A Madeleine »
envoyé par Guillaume Apollinaire le 11 août 1915 (p.129 à 133) (Cependant dans cette première
édition des passages sont volontairement écartés, ceux qui sont trop érotiques ou offrent une
description trop précise du corps de Madeleine, et enfin son nom n’est pas mentionné. On y
trouve aussi une préface qu’elle a écrite elle-même, avec sa plume d’ancienne professeure de
lettre, ce qu’elle était lorsqu’elle a rencontré Apollinaire dans le train entre Nice et Nîmes le 2
janvier 1915. Une rencontre inattendue qui est le cœur du récit de cette préface.
Elle était à Nice pour fêter Noël avec une partie de sa famille, elle prend le train en direction de
Marseille afin d’embarquer pour Oran et de retourner chez sa mère en Algérie. Elle est de suite
séduite par cet homme de culture, plutôt raffiné avec qui elle fait connaissance durant le trajet.
Finalement arrivés à Marseille, ils échangent leurs adresses avant que la jeune femme ne
descende et qu’Apollinaire ne poursuive son trajet jusqu’à Nîmes où il doit rejoindre sa garnison.
Le poète ne lui envoie sa première lettre que le 16 avril 1915 mais il engage une correspondance
qui se fait de plus en plus quotidienne et prend rapidement un caractère amoureux. Madeleine est
plus jeune que le poète qui est de douze ans son aîné. Madeleine est née en 1892 à La-Roche-surYon, elle est professeure de lettre à Oran, en Algérie. Son père étant mort quand elle était jeune, à
la période où elle rencontre le poète, elle vit à Lamur avec sa mère et ses cinq cadets alors que
son frère ainé, Jean, a été mobilisé dans l’armée. Madeleine Pagès est restée célibataire durant
tout l’entre-deux guerres, elle ne s’est jamais mariée. Après la Grande Guerre Madeleine elle a
enseigné à Saint-Cloud puis à Nice à partir de 1949 et est finalement morte à Antibes en mars
1965. C’est d’ailleurs un an après sa mort que paraît une deuxième édition qui regroupe sa
correspondance avec Apollinaire mais celle-ci, comme celle de 1952, est encore largement
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incomplète. Pour avoir une version assez complète des lettres et poèmes envoyés par le poète à la
jeune femme, il faut attendre cette édition revue et augmentée par Laurence Campa, parue sous le
titre de Lettres à Madeleine chez Gallimard en 2005, dans la collection Folio. L’ouvrage est
agrémenté par les images des dessins du poète mais aussi par celles de ses écrits poétiques,
notamment les calligrammes originaux, dont l’auteur a fait une transcription linéaire. L’auteur
s’est attaché à rétablir les passages modifiés ou supprimés dans l’édition de 1952. Elle a voulu
aussi conserver au maximum le style originel de Guillaume Apollinaire, même si elle a corrigé
l’orthographe, rétabli des lettres ou des syllabes manquantes et ponctué des passages.
Les Lettres à Madeleine ont une réelle valeur historique, elles sont le témoignage d’un poète qui a
vécu singulièrement la guerre, d’un combattant assez atypique. Les informations y sont
abondantes car on trouve en tout environ deux-cents lettres envoyées par Apollinaire. Dans
celles-ci, son style caractéristique ressort bien, il utilise souvent le registre soutenu et dévoile son
amour pour Madeleine avec lyrisme et érotisme. Lorsqu’il envoie sa première carte à la jeune
femme le 16 avril 1915, il ne sait même pas si elle se souvient de lui. Les premières lettres, entre
avril et juin 1915, sont plutôt timides et très courtoises, il y évoque d’abord la guerre mais essaie
surtout d’engager une relation épistolaire afin d’oublier un peu l’horreur des combats. C’est avec
ces lettres que les deux protagonistes apprennent à se connaître mutuellement. Et puis avec le
temps les écrits se font de plus en plus long, ils deviennent amoureux voire érotiques. Au fil de la
correspondance, se développe une relation amoureuse épistolaire qui relève presque
exclusivement de l’imaginaire car Guillaume Apollinaire n’a vu qu’une seule fois Madeleine,
c’est pour cela qu’il demande souvent à la jeune femme de lui envoyer des photos ou de se
décrire intimement. En fait, on a l’impression que dans la tête du poète, les distances qui le
séparent de la jeune femme sont réduites. Les poèmes d’amour, comme les lettres, ont d’abord
pris un ton plutôt sentimental, avant de devenir de plus en plus érotique et plus ardent.
Différentes inspirations s’entremêlent, des mythes grecs ou encore des passages renvoyant à la
réalité de la guerre. Dans les calligrammes, les lettres ou les poèmes, il y a toujours une fougue
empreinte de lyrisme amoureux. En fait sa vision poétique, tirée de sa passion pour la poésie,
rend difficile une description de l’horreur de la guerre. Cela ressort notamment dans le poème «
Tranchées » écrit après son entrée dans l’infanterie et envoyé avec une lettre du 7 décembre 1915
(p.411). La guerre influence fortement l’inspiration du poète, il s’évade de l’horreur des combats
grâce à l’amour qu’il a pour Madeleine Pagès et il s’inspire de cela pour écrire. L’écriture est
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pour Apollinaire un ultime refuge, les lettres et les poèmes lui permettent d’oublier un peu la
réalité du front. Le poète envoie aussi parfois des cartes militaires, qui, elles, ont un style
télégraphique éloigné des envolées lyriques de ses lettres ou poèmes.
Pour rédiger ses écrits il ne possède qu’un crayon et des feuilles qu’il trouve, des couvertures de
revues, des papiers d’emballage, des morceaux de papier froissés et d’autres supports beaucoup
moins commodes. . En effet, il a même écrit un poème à madeleine sur une écorce de bouleau,
avec au verso un portrait du général Joffre. Et souvent le poète précise qu’il a dû interrompre son
écriture à cause des bombardements ou de l’extinction de sa bougie, donc les conditions ne sont
pas très favorables pour laisser évader son esprit dans l’art épistolaire. Apollinaire joint aussi
souvent, à ses lettres, des objets, le plus souvent ce sont des bagues en aluminium qu’il forge
avec ses camarades de tranchée dans des morceaux d’obus, mais il y a aussi des casques ou des
boutons de veste allemands, son propre képi et toutes sortes d’objets qu’il récupère sur les
combattants ennemis. La lecture aussi est un moyen pour lui d’éloigner un moment son esprit de
la réalité des combats. D’ailleurs il remercie souvent Madeleine pour ses longues lettres et en
réclame d’autres.
Et tout cela se fait durant la période où il se trouve au front, d’avril 1915 à novembre 1916 il écrit
très souvent à Madeleine, surtout entre août et décembre 1915. Apollinaire continue cette
correspondance même après sa blessure du 17 mars 1916 et ce jusqu’au mois de novembre de la
même année. Mais en fait, dès le début l’année 1916, les lettres se voulaient moins érotiques,
moins lyriques, avec une certaine cassure morale après la permission passée, pour le jour de l’An
de 1916, chez la mère de Madeleine, à Lamur, en Algérie. Les raisons de cet abattement sont
encore obscures mais Laurence Campa, auteur de la préface de l’édition utilisée pour cette étude,
pense qu’il s’agit en fait d’une réaction typique que l’on retrouve souvent chez les poilus,
lorsqu’ils sont en permission ils se rendent compte de la différence de vie entre le front et
l’arrière et cela contribue à les démoraliser.
3) L’analyse :
Dans les lettres de l’année 1915 il y a beaucoup de passion, d’amour mais aussi souvent la hâte
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de retrouver Madeleine lors d’une permission. Les éléments qui concernent les évènements de la
guerre se font assez rares dans les écrits d’Apollinaire. Cependant il y a des périodes où celle-ci
s’impose à lui et il ne peut occulter la réalité du front. D’abord lorsqu’il fait connaissance avec
Madeleine, dans les premières lettres, le poète est alors brigadier dans l’artillerie, donc assez
éloigné du front, il décrit ce qu’il vit. Il évoque beaucoup son quotidien, la réalité de la guerre
occupe une grande place mais est nuancée par quelques vers de poésie. En fait cela apparaît
surtout comme un moyen d’engager une conversation épistolaire avec la jeune femme rencontrée
quatre mois plus tôt. Il n’ose la tutoyer et opte pour le vouvoiement qu’il abandonne finalement
lorsqu’il se sent plus familier avec elle, c’est-à-dire durant le mois d’août 1915, lorsque la maman
de Madeleine, répondant à une demande d’Apollinaire, accepte cette relation qui s’est nouée.
Dans ses lettres le poète utilise toujours la première personne du singulier, en effet ses écrits sont
souvent personnels voire intimes, il y évoque sa situation à lui, ce qu’il vit, n’utilisant le nous que
pour évoquer un déplacement, une opération, ou une activité avec ses camarades soldats.
A partir de la fin du mois de juillet, lorsque les lettres prennent un tournant plus amoureux, et
deviennent plus ardentes, Apollinaire s’évade en écrivant son amour pour Madeleine, du coup les
descriptions des évènements de la guerre sont quasiment absentes, elles s’étaient en fait déjà
fortement atténuées dès la fin du mois de juin. L’atmosphère de la guerre revient et se fait plus
présente dans les lettres du mois de septembre car le poète sait qu’il va participer à une offensive
périlleuse sur le front en Champagne. Mais après l’attaque, de nouveau c’est l’amour, l’art et la
littérature qui occupent la majorité de la correspondance et ce jusqu’à sa nomination en tant
qu’officier d’infanterie à la fin novembre. En effet il quitte l’artillerie et change de régiment dans
le courant du mois et le 28 novembre 1915 et se retrouve pour la première fois à combattre dans
les premières lignes. Très vite le moral du soldat Apollinaire chute fortement, à l’extrême dureté
des combats et des conditions de vie quotidiennes s’ajoutent des conditions climatiques
exécrables. Il ne reste qu’une quinzaine de jours au total mais cela suffit pour lui faire prendre
conscience de l’horreur que vivent les soldats de l’infanterie. Ensuite, après sa permission en
Algérie, chez la mère de Madeleine, puis sa participation à des manœuvres au mois de janvier
1916, il faut attendre la fin février pour qu’Apollinaire retourne au front et recommence à
évoquer les évènements de la guerre. Mais ce retour est bref car dès le 17 mars 1916 il est évacué
à cause de sa blessure à la tempe, le poète n’envoie, à partir de là, plus que de brèves lettres où la
plupart du temps il donne à Madeleine de ses nouvelles avec un style assez bref voire parfois
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télégraphiques. Cela dure jusqu’à la dernière lettre connue entre les deux correspondants, celle du
23 novembre 1916.
Mais au cours de la longue période de correspondance, dans tous les écrits beaucoup de thèmes
ou de sujets ressortent, on peut les classer dans plusieurs catégories qui nous permettent ainsi
d’aborder différents ressentiments ou points de vue de Guillaume Apollinaire par rapport à la
guerre. En mettant de côté les déclarations fougueuses et amoureuses faites à Madeleine, il faut se
concentrer surtout sur ce qui permet de définir son rapport à la guerre, à ses autres camarades, à
la censure, à ses supérieurs, mais aussi la manière dont il perçoit l’ennemis, sa position vis-à-vis
de la stratégie de l’État-major français, l’évolution de son moral et enfin tout ce qui concerne
l’atmosphère et l’environnement dans les tranchées ainsi que les conditions de vie.
L’analyse du rapport qu’entretient Apollinaire vis-à-vis des autres soldats, qu’ils soient des
supérieurs ou des camarades plus proches, est cruciale pour comprendre sa vision de la guerre.
Dans les premières lettres de mai 1915, il n’évoque les autres soldats qu’avec des descriptions du
déroulement de la vie dans l’artillerie. Il y a donc des références aux activités de ces soldats qui,
étant un peu en recul des premières lignes, ont du temps libre et s’occupent comme ils peuvent.
Certains dorment ou lisent le journal alors que d’autres montent la sentinelle, chacun essaie de
s’adapter. Ce qui ressort souvent des lettres d’Apollinaire, c’est l’activité artisanale improvisée, la
fabrication par les hommes, avec des débris, de bagues en aluminium qu’ils envoient bien
souvent avec leurs lettres, comme il le fait avec Madeleine. Il cite d’ailleurs plus tard, le 3 août
1915, le nom de Lemaire qu’il qualifie de « bijoutier » de la batterie car il est passé maître dans
l’art de forger ces fameuses bagues. Le 11 mai 1915 le poète raconte la manière dont les soldats
s’habituent au danger, aux fusillades, alors que sa batterie vient de subir son premier gazage au
brome. Dans une lettre du 25 mai, Apollinaire évoque sa proximité avec les autres soldats de sa
batterie alors que les officiers sont plus distants. La plupart des membres de celle-ci sont
originaires de territoires déjà envahis par l’ennemi, notamment de la région lilloise. Le premier
nom de camarade cité est celui de Berthier dans une lettre du 10 juin 1915, qui est alors maréchal
des logis de la deuxième pièce, et qui devient au fil du temps un ami très proche du poète. Il a
d’ailleurs composé Case d’Armons, un recueil de Calligrammes, qu’il dédie à la fiancée de son
ami Berthier. Ce dernier est celui avec qui il partage en priorité les colis que Madeleine lui
envoie, mais aussi avec qui il prend des photos (lettres du 13 et du 17 septembre 1915) dont une
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est envoyée à la jeune femme le 19 septembre 1915. Outre Berthier, qui apparaît comme le
camarade le plus proche d’Apollinaire, on a aussi Dufreney, maréchal des logis de la première
pièce. Ses compagnons d’armes deviennent des amis, des camarades, cependant cet esprit de
camaraderie ne ressort chez Apollinaire que véritablement au moment où il se trouve en première
ligne avec ses hommes, dans l’infanterie, au début décembre 1915.
Après son passage de l’artillerie à l’infanterie à la fin novembre 1915, le poète rencontre de
nouveaux camarades et ne voit plus les anciens car il change de régiment passant du 38 ème
régiment d’artillerie de campagne au 96ème égiment d’infanterie. Guillaume Apollinaire est
désormais officier, il mène ses hommes dans la tranchée en première ligne, les conditions de vie
sont abominables et le danger permanent, cela contribue à renforcer les liens avec les autres
soldats. Dans une lettre du 30 novembre 1915, il évoque ses deux sergents qu’il qualifie de
courageux, Jean Jean-Marie, un toulousain de 33 ans qui a reçu la Croix de guerre et
Varroqueaux, un jeune soldat de 20 ans originaire d’un village envahi dans l’Aisne. Ce sont les
deux personnages qui sont le plus proches de lui, mais Apollinaire l’est moins des caporaux. Il
évoque aussi parfois d’autres soldats, comme le 1er décembre, un curé anglais, soldat de
deuxième classe, qui fait office d’aumônier, ou encore le 2 décembre, un jeune bleu qui dort avec
lui et à qui il apprend à écrire. En tant qu’officier il prend soin de ses hommes, leur prêtant
notamment son feu pour qu’ils se réchauffent. Dans sa lettre du 2 décembre, Apollinaire décrit sa
compagnie, il y a trois officiers, un lieutenant qui fait fonction de capitaine, deux sous-lieutenants
chef de section et deux autres chefs de section, un sergent et un adjudant. Enfin il évoque un
ancien cuisinier de Monte-Carlo qui leur fait à manger, le sous-lieutenant Ferrier, « chef de
popote ». A partir du 13 décembre 1915, le poète se retrouver à remplacer un officier de la 7e
compagnie, le fils du capitaine Deloncle, que Madeleine connait. À ce poste il accueille un
nouveau capitaine qui arrive des chasseurs d’Afrique. Le 20 décembre, Apollinaire raconte sa
rencontre d’anciens camarades, comme l’adjudant Benoît, buraliste à Carcassonne, chef de la 3e
pièce Horb, cultivateur dans l’Aisne, quelqu’un de « très froid ». Il se rend compte que presque
tous les membres de son ancienne batterie ont été tués, notamment un maître pointeur de Lille, ou
encore Louis Déportère, jeune marié qui avait une femme enceinte. Certains sont simplement
blessés, comme Gaston Picard, rédacteur du Bulletin des écrivains, téléphoniste originaire de
Montélimar. Il cite aussi le nom de Labin, camarade qui a participé avec lui à l’assaut de la butte
de Tahure, soldat tourangeau, ouvrier en bois qui a fait l’aménagement de la cagna. Ensuite
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Apollinaire part en permission plusieurs jours, donc il ne revoit des soldats camarades qu’à partir
de janvier 1916.
En effet, le 19 janvier 1916 il raconte sa visite au caporal du 81ème, un vieil ami Gabriel Boissy
qui est en repos le poète trouve son camarade vieillit et usé par la guerre, ce dernier est archiviste
au train de combat. Ensuite il n’y a plus beaucoup de trace des camarades d’Apollinaire dans ses
lettres, mis à part l’arrivée d’un certain Thibault Fleur de Nave le 5 février, originaire de Lyon,
qui est en fait remplacé dès le 10 février 1916 par une nouvelle recrue dont le patronyme est
Roux. Le 17 mars intervient la blessure du poète, il se retrouve donc pour plusieurs mois à
l’hôpital puis en convalescence, il demande d’ailleurs son transfert à l’Hôpital italien du Quai
d’Orsay, le 12 avril, où il est soigné par un de ses vieux amis, Serge Férat (Serge Jastrbzoff), qui
est engagé volontaire au poste d’infirmier. Déjà affaibli moralement et physiquement par sa
blessure dont il ne se remet que difficilement, le 16 septembre, il reçoit des mauvaises nouvelles
d’anciens camarades, comme un certain Dupont tué à Douaumont, ou le frère de son ami Berthier
qui a subi le même sort. Ses anciens compagnons de guerre sont presque tous morts et son ancien
colonel a été blessé.
En étant au front Apollinaire reçoit aussi des nouvelles de ses amis d’avant la guerre, notamment
de René Dalize, le 23 août 1915, c’est un ami d’enfance du poète qui est désormais capitaine, ou
encore Léo Larguier, caporal brancardier au 415ème de marche, le 23 octobre. Dans sa
correspondance avec Madeleine il évoque aussi le frère aîné de cette dernière, Jean, dont on
apprend le 13 septembre 1915 qu’il est au 37ème d’artillerie. Enfin on ne retrouve pas dans les
lettres d’Apollinaire de jugement sur ses supérieurs directs, il parle d’ailleurs assez peu de son
rapport avec eux. Dans une lettre du 24 novembre 1915, lorsqu’il vient d’obtenir son grade
d’officier d’infanterie, et avant sa montée en première ligne, il rencontre le colonel, et dîne
ensuite avec le lieutenant commandant de la 6ème compagnie, neveu du général, et un autre souslieutenant qui a donc le même grade qu’Apollinaire, il les décrit comme sympathiques. Une fois
en première ligne, dans une lettre du 2 décembre il admire non seulement l’héroïsme de ses
hommes mais aussi celui de son supérieur, le lieutenant qui fait office de capitaine, et qui est
devenu un proche camarade. Ensuite, il rencontre le colonel le 5 décembre 1915, ce dernier vient
pour lui annoncer sa permission à la fin du mois de décembre. Apollinaire a aussi une certaine
admiration et un respect pour le Général Joffre, dont il envoie à Madeleine, le 11 août 1915, le
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portrait dessiné un morceau d’une écorce d’arbre. Cela ne l’empêche pas de critiquer la stratégie
française, la mentalité des élites parisiennes et aussi la censure pratiquée.
Dans ses lettres on sent une grande lucidité sur cette guerre, dès le 18 juillet 1915, il évoque une
guerre qui pourrait encore durer au moins deux ans. Il est bien conscient de l’enlisement et
d’ailleurs dans une lettre du 14 août, il utilise une formule empruntée à un camarade, le poète
parle de « guerre qui s’embourgeoise » (p. 138), cela désigne en fait que le combat est en train de
devenir la normalité pour les soldats, c’est leur vie quotidienne et que cela pourrait durer
longtemps. Il a décelé, comme bon nombre d’autres soldats, le fait que la guerre est dans une
impasse et que cela va durer. Le 30 juillet 1915, il déclare même que « cette guerre qui s’éternise
et sur laquelle, étant soldat, (il) (se) garde bien de porter un jugement, qui existe cependant en
(son) for et qui d’ores et déjà est définitif » (p. 109). Il est donc judicieux d’aborder ici la
conception que se fait Apollinaire de la guerre et plus particulièrement son sens du devoir mais
aussi son moral car les deux peuvent être liés, un moral très bas atténue logiquement la volonté
du soldat d’accomplir son devoir. Cela n’est pas propre au poète qui s’inscrit en fait dans le cadre
d’une guerre qui fait vivre à des hommes des conditions de vie abominables et des horreurs
quotidiennes. Un troisième élément est très lié au sens du devoir et au moral du soldat, c’est la
perception qu’il a de l’ennemi surtout mais aussi des alliés.
Il convient d’abord de rappeler que Guillaume Apollinaire est un engagé volontaire, il possède un
grand sens du devoir, une mentalité héritée du XIXème siècle qui se retrouve chez beaucoup
d’hommes au front. Dès le 3 août 1915 il aborde son « attachement à l’esprit français » (p. 112 à
119), le poète bien qu’ayant des origines étrangères est un vrai patriote. Il évoque beaucoup cela
dans ses lettres du début du mois de septembre 1915, notamment celles du 2 et du 8 septembre.
Et dans une autre du 17 septembre il donne sa vision du soldat idéal, celui qui a choisi l’ascèse, la
discipline stricte du corps et de l’esprit, et qui reste chaste, n’allant pas coucher avec les femmes
des villages proches du front. Tout cela Apollinaire en parle juste avant une grande offensive à
laquelle il participe, celle en Champagne entre le 20 et 25 septembre 1915. Pour lui c’est la
première fois qu’il passe véritablement à l’action, pour lui cela est normal et se justifie par un
amour de la défense de la patrie et par un sens du devoir. Ce sont ces éléments qui le poussent à
accepter son intégration dans l’infanterie pour être dans la zone d’action, pour monter en
première ligne. Il écrit le 24 novembre 1915, « sollicité d’être officier je n’ai pu refuser. J’aurais
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pu le faire, mais étant donné que je suis engagé volontaire, je ne pouvais pas sans avoir l’air de
mettre une restriction à mon engagement, restriction qui n’est pas en moi » (p. 385-386). Il quitte
le poste de sous-officier d’artillerie où il occupait d’abord une hutte forestière, puis un « hypogée
», creusé dans un cimetière. Etant assez en retrait du front, il passait souvent du temps à
aménager une cagna avec ses camarades, et il recommençait à chaque fois qu’il changeait de
secteur (Cf. les lettres du 25 et du 27 octobre 1915 et celle du 18 novembre où on trouve un
dessin fait par Apollinaire de sa cagna à ces périodes-là.
Malgré l’atmosphère étouffante qu’il évoque dans plusieurs de ses lettres de l’été 1915, il gardait
un très bon moral, et avait même le temps de parler beaucoup d’amour, de poésie, d’art et de
littérature avec Madeleine. Même après l’offensive de la fin septembre, malgré la fatigue et
l’arrivée de l’hiver avec des conditions climatiques plus difficiles durant le mois d’octobre et de
novembre, il garde un bon moral. Dans une lettre du 3 octobre il explique son quotidien, la
monotonie de l’artillerie et le 11 octobre il parle même d’ennui, c’est par sens du devoir mais
aussi pour être confronter de plus près à l’action qu’il accepte donc à la fin novembre de devenir
officier d’infanterie.
Cependant, bien vite il se rend en fait compte qu’il vaut mieux être sous-officier dans l’artillerie
qu’officier dans l’infanterie, durant le mois de décembre 1915 le poète vit l’enfer de la première
ligne, la guerre le pousse vraiment dans ses derniers retranchements. Désormais officier
d’infanterie, il se trouve dans une tranchée « plus bas que terre », il couche à même le sol, il
s’enfonce dans la boue, et est exposé en permanence aux engins de guerre. Quotidiennement il
voit des camarades qui tombent au combat, dans une lettre du 30 novembre 1915 Apollinaire
explique qu’il commence à avoir peur de la mort. Il souligne aussi l’horreur des premières lignes,
pas d’hygiène, une quinzaine de jours sans se laver, le manque terrible de ravitaillement et d’eau,
la vermine, la crainte des gaz auxquels s’ajoutent la fatigue et l’éboulement des tranchées.
Apollinaire évoque dans une lettre du 1er décembre (p. 397) « un parapet de (sa) tranchée (...)
construit en partie avec des cadavres ». Il faut aussi préciser qu’il est en première ligne en pleine
période hivernale, les conditions climatiques exécrables viennent compliquer encore plus la
situation. D’autant plus que le poète ne peut, comme d’autres soldats le font, se réfugier dans la
religion, lui affirme respecter les croyances mais ne pas les partager, il assez éloigné de tout ce
qui concerne le religieux et se réfugie plutôt dans l’amour pour Madeleine. Apollinaire, assez
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lucidement, résume les conditions de vie dans une phrase dans une autre lettre du 1er décembre
(p. 402) « en réalité, aucun écrivain ne pourra dire la simple horreur de la tranchée ».
Dans les lettres qu’il écrit durant cette période on retrouve souvent une exaltation de ce qu’il
appelle « l’héroïsme simple » des soldats de l’infanterie (lettre du 2 décembre 1915, p. 403). Il
affirme aussi, dans cette même lettre, que « le pays n’aura jamais une admiration assez grande
pour les simples fantassins qui meurent glorieusement comme des mouches ». Il est donc très
admiratif de la discipline et de la volonté des hommes qui sont en première ligne « de braves
gens, dévoués et pleins de courage » (9 décembre 1915, p. 417), par rapport à ceux de l’artillerie
qui sont en retrait, comme lui auparavant, et donc ne peuvent pas vraiment comprendre ce qu’est
la réelle horreur de la guerre. Une horreur qu’il côtoie encore car il est maintenu en première
ligne depuis le 28 novembre 1915, et le 9 décembre (p.415 à 417) il écrit, « une blessure heureuse
pour moi pourrait terminer la guerre et me mettre à l’abri ». Il est donc comme des milliers de
soldats qui en sont venus à espérer une blessure pour s’éloigner un peu des zones de combats.
Donc on observe qu’en une dizaine de jours en première ligne il a vécu l’horreur et son moral est
tombé au plus bas. Le patriotisme et le sens du devoir ne suffisent plus pour survivre à l’horreur
des tranchées des premières lignes et comme bon nombre de soldats il en vient à espérer une
blessure pour obtenir un peu de repos à l’arrière. Cela est accentué chez Apollinaire car il n’a pas
eu de permission depuis très longtemps, depuis presque un an, et la guerre commence à peser très
lourd, l’écriture à Madeleine est son dernier refuge pour s’évader un peu mais cela ne suffit plus.
Lorsqu’il obtient la nouvelle de sa permission pour le 22 décembre 1915, Guillaume Apollinaire
ressent un soulagement immense, d’autant qu’il va pouvoir revoir la jeune femme qu’il n’a pas
vu depuis un an mais avec qui il correspond presque quotidiennement depuis 6 mois. Ensuite il ne
retournera jamais ne première ligne lors de l’année 1916, il passe le mois de janvier à faire des
manœuvres et retourne au front en février mais après sa blessure du 17 mars 1916 le poète
effectue une très longue convalescence qui l’affaiblit et ne lui permettra jamais de retourner au
combat. Quoi qu’il en soit, il convient maintenant d’aborder d’essayer de retracer les
déplacements qu’il effectue et les différentes opérations auxquelles Apollinaire participe.
Il faut en fait attendre la fin du mois de septembre 1915 pour qu’Apollinaire soit vraiment
confronté aux opérations militaires. Mais auparavant il n’était pas immobile et changeait souvent
de secteur avec sa batterie, la 45ème du 38ème régiment d’artillerie de campagne. Dans la première
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lettre on sait qu’au mois d’avril il se trouvait au secteur 59 près de Beaumont-sur- Vesle, mais le
20 juin 1915 il change et arrive au numéro 69. Après un déplacement vers l’est, le poète se trouve
le 30 juin au secteur postal 138 avant de revenir le 2 juillet à son secteur d’origine, le 59.
Apollinaire se déplace à chaque fois avec sa batterie. Ensuite il faut attendre le 3 septembre pour
observer un nouveau changement, il arrive au secteur 80, alors qu’entre-temps il était passé de
Brigadier fourrier à Maréchal des Logis et chef de la 4e pièce au canon, respectivement le 25 août
et le 1er septembre. Il n’a observé que des changements de secteur postal, se déplaçant avec sa
batterie toujours assez loin du front ou des « incroyables canonnades » (lettre du 5 mai 1915, p.
39) dont il entend tout de même bien les bruits. Elles sont « agrémentées de fusillades cependant
que tournait le moulin à café », donc toujours dans la même lettre il décrit l’activité des
mitrailleuses ennemies contre les positions françaises. Les renseignements se font même plus
précis, toujours dans cette même lettre, puisqu’Apollinaire écrit que les canons ennemis, « les
120 et les 88 autrichiens et les 77 boches (...) pleuvaient ». Cependant, dans sa lettre du 19
septembre 1915, il annonce à Madeleine sa participation à une offensive d’envergure, il s’agit
d’une tentative française en Champagne pour prendre la butte de Tahure. Le poète décrit les
préparatifs de l’attaque, notamment la préparation de ses équipements, dans une lettre du 24
septembre où il est écrit : « On nous a monté les selles hier soir. Les paquetages sont prêts et les
avant-trains sont munis de fascines (fagot de branches) pour le passage des tranchées ». Les
journées décisives sont celles du 25, 26 et 27, les troupes françaises finissent par prendre la butte.
Ce fut un épisode marquant pour Apollinaire, car c’est la première fois qu’il voyait, après
l’attaque, des prisonniers allemands, et dans sa lettre du 26 septembre 1915, il raconte une
anecdote avec eux, leur passage par sa tranchée et le fait qu’il a récupéré un bouton d’un
ceinturon de la garde impériale sur l’un d’entre eux. Après cette offensive, le 5 octobre, il
retourne au secteur postal 138, il est au Trou-Bicot, entre Tahure et Perthès-lès-Hurlus. C’est
dans cette zone là que le 20 octobre 1915 qu’il peut voir un avion « boche » abattu et dont il a pu
observer la carcasse tombée entre les lignes françaises. Ensuite pour qu’Apollinaire entre en
action, il faut attendre sa nomination en tant qu’officier de l’infanterie à la fin de novembre 1915
et la montée en première ligne qui la suit immédiatement. En effet le 29 novembre (p. 392), alors
qu’il effectue son premier commandement de section, le poète décrit le déplacement, le départ à
6h15, le sol gelé, les soldats qui glissaient parfois à découvert, les bombardements incessants et
les balles qui sifflaient alors que les consignes étaient de mourir plutôt que de reculer. C’est
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vraiment à cette période-là de sa vie de soldat qu’il commande des hommes et fait preuve de sa
capacité à protéger ceux-ci. Il doit essayer de le faire que ce soit pour les conditions de vie,
l’entraide face à l’abominable vie des tranchées, mais aussi les préserver de l’ennemi allemand. Il
faut donc s’arrêter un peu sur la vision qu’a le poète par rapport aux « boches ».
La vision que porte le poète sur les ennemis et les alliés :
Dans les lettres d’Apollinaires il y assez peu d’éléments concernant la vision qu’il se fait de
l’ennemi, il utilise certes le qualificatif de « boche » comme quasiment tous les soldats, mais on
trouve que rarement des relents de haine contre eux. C’est un homme cultivé, lui-même a vécu en
Allemagne, il est plutôt distingué et donc évite la plupart du temps le piège de la haine primaire et
tenace contre l’ennemi. L’exemple le plus marquant est sa lettre du 25 août 1915, il envoie un
poème nommé À l’Italie, où le poète exalte ce pays entré depuis peu en guerre du côté des
Français, l’Italie, à laquelle il est attaché car c’est la terre qu’il l’a vu naître. Apollinaire dénigre
les « boches » mais préfère parler de son amour pour les Italiens. En fait pour comprendre sa
vision de l’ennemi il faut lire la lettre du 3 août 1915 (p.116), le poète évoque pour la première
fois un peu plus longuement sa vision des « Allemands » il est assez posé car ne parle pas de «
boche », il les compare à « des lourdauds, des malhonnêtes gens ». Cependant ce qu’il fustige
surtout c’est le patriotisme allemand et les velléités de conquête il évoque notamment, le 3 août
1915, le « patriotisme fumeux des Allemands, qui au lieu d’humanité rêvent de bocherie
universelle » (p. 117). Ensuite on ne trouve que peu de traces de cet ennemi dans ses écrits, même
lorsqu’il est en première ligne, qu’il est confronté directement aux Allemands, il ne développe
pas de haine exacerbée. On retrouve presque plus de haine pour les élites parisiennes, qu’il côtoie
notamment lorsqu’il est en permission, que pour l’ennemi.
Cela nous amène à étudier la posture d’Apollinaire par rapport à la stratégie de l’État-major
français, mais aussi aux journalistes, à la censure et aux personnes restées à l’arrière. Dans ses
lettres le poète fait plusieurs fois des références à la censure qui est imposée aux soldats. Une
datée du 5 mai 1915 évoque l’interdiction pour les soldats de préciser le lieu où ils se trouvent,
sous peine de sanction, il est interdit de donner des détails trop précis aux correspondants. Celle
du 9 août évoque la présence d’un officier censeur qui doit lire les lettres avant de les clore, on
remarque bien la volonté de l’État-major de contrôler ce qui se dit dans les écrits des soldats. Le
poète écrit le 11 août 1915, « Pour nous soldats du Front la liberté d’écrire ne nous est plus
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dévolue » (p. 129). Apollinaire pour faire connaitre sa position exacte à Madeleine essaie
d’utiliser des manières détournées, lors de la permission de janvier 1916, il convient même d’un
code avec la jeune femme pour lui donner l’endroit précis où il se trouve. Alors les critiques qu’il
émet sur la censure rejoignent souvent celles sur la politique menée par les dirigeants français,
mais elles sont bien distinctes. Apollinaire connait bien la situation dans les Balkans et critique à
plusieurs reprises la stratégie française dans cette zone de conflit, sur le front de l’est. Dans une
lettre du 8 octobre 1915, il s’en prend aussi à la diplomatie qui est menée par les dirigeants
français, notamment dans la zone évoquée précédemment. Mais c’est surtout au cours de l’année
1916 que les critiques les plus vives se font sentir. Le 23 février, il est de retour au front après
une longue période de repos et de manœuvre entre janvier et début février, il critique vivement la
censure de la presse ainsi que les « journaux bourgeois (qui) racontent des fumisteries » (p. 484).
Cependant c’est surtout lors de la période où il se trouve en convalescence à Paris qu’il se dit «
dégoûté » de l’attitude du monde parisien face à la guerre (surtout la lettre du 26 août 1916),
notamment les élites dont certaines qu’il côtoyait avant la guerre, car Apollinaire était habitué au
confort des milieux parisiens mais au moment du déclenchement de la guerre ne s’est pas dérober
face à ce qu’il estime être son devoir, c’est pour cela que parfois il s’en prend aussi aux
embusqués ou aux gens qui ne sont pas au combat.
Le poète ne s’en prend que très rarement aux embusqués, mais lorsqu’il le fait c’est avec une
grande indignation. Il s’en prend plusieurs fois aux journalistes, dans une lettre du 3 août 1915 il
déclare que les « la place [des journalistes] serait dans les tranchées [(il) en connais bien cinq
cents qui ne font pas leur devoir (...)]. Ces gens-là font le jeu des Allemands et déshonorent
l’esprit français » (P. 117). Son idée sur cette question n’évolue que très peu durant le temps où il
est au front car on retrouve cet esprit-là dans sa lettre du 23 février 1916 évoquée précédemment.
En fait, dans l’idéal d’Apollinaire, la chasse aux embusqués ou à ceux qui rechignent à participer
à l’effort de défense échoirait aux femmes restées à l’arrière. Toujours dans la fameuse lettre du 3
août 1915 il écrit que « la femme française qui a une conscience et qui est l’honneur du monde et
sa grâce ne joue pas don rôle non plus qui devrait être de soutenir les soldats, de débusquer les
lâches, de forcer les spécialistes à travailler. » (p. 117).
Apollinaire apparaît donc comme un poète ayant un sens du devoir très développé, un grand
patriote attaché à l’esprit français qui n’hésita jamais à donner de sa personne pour défendre la
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France. C’est en grande partie grâce à sa correspondance avec Madeleine qu’il réussit à
surmonter les horreurs de la guerre, il livre dans les lettres toutes ses actions, ses émotions, ses
sentiments, mais aussi les différentes situations auxquelles il doit faire face. C’est un témoignage
particulier, car tout en étant singulier et personnel, il s’agit d’une vision d’un poilu parmi tant
d’autres. Un homme qui tout autant distingué et cultivé qu’il soit a dû comme des millions
d’autres affronter, de manière personnelle, les affres et les abominations de la Grande Guerre.
Julien CONTES (Université de Nice Sophia-Antipolis)
Bibliographie
Ouvrage principal :
- CAMPA L., Lettres à Madeleine, Paris, Gallimard, Coll. Folio, 2005.
Ouvrages secondaires :
- BURGOS J., DEBON C., DÉCAUDIN M., Apollinaire, en somme, Paris, H. Champion, 1998.
- PARINAUD A., Apollinaire 1880-1918 : biographie et relecture, Paris, J. C. Lattès, 1994.
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Annexes pour la fiche de Guillaume Apollinaire
Document 1 : Dessin de Picasso datant de 1914, Guillaume de Kostrowitzky, artilleur , cette
illustration est faite pour démontrer, auprès du grand public, l’engagement total d’un homme d’origine polonaise mais qui est un ardent patriote français.
Document 2 : Une photo de Madeleine Pagès.

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