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À l'école Montessori :
Céline Alvarez, la petite
main
qui
a
infiltré
l'Éducation nationale
Le HuffPost | Par Sandra Lorenzo
RENTRÉE - Elle semble étonnée à mesure que l'amphithéâtre de
l'Université Paris 8 se remplit. Puis, c'est l'émotion qui prime dans
sa voix quand Céline Alvarez prend la parole pour ouvrir ce lundi 24
août deux journées de formation qu'elle anime. Des enseignants du
primaire de toute la France sont venus l'écouter, d'autres ont fait le
déplacement depuis la Belgique et même le Niger.
"Je pensais que vous ne seriez qu'une vingtaine, vous êtes en fait
220", commence-t-elle sous les applaudissements du public. Dans
les rangées, les cahiers et les trousses sont ouvertes, les yeux sont
brillants d'excitation et on se murmure le plaisir qu'on a à la voir
"enfin", "en vrai". Céline Alvarez n'est pas une prof, c'est une
"chercheuse". Les guillemets ont leur importance, la trentenaire ne
travaille pas dans un laboratoire, ni même pour une université, mais
elle cherche. Elle cherche des solutions pour améliorer l'école.
À l'occasion de la rentrée 2015, Le HuffPost dresse le portrait de
trois femmes qui veulent faire changer l'école: Chloé Coffy, la
directrice et fondatrice d'une école pour enfants "différents", Céline
Alvarez, rock star de la pédagogie Montessori qui a infiltré
l'Éducation nationale et Marie-Sandrine Lamoureux, prof de
français résistante et engagée dans un lycée de banlieue.
"En France, on estime que 40% des enfants sortent du CM2 avec de
grandes difficultés, des lacunes qui vont avoir des graves
répercutions sur leur parcours scolaire", explique Céline Alvarez. Ce
chiffre est son motto. C'est cette injustice et la découverte de la
pédagogie de Maria Montessori qui ont convaincu la jeune femme à
passer en candidat libre le concours d'enseignement. "On s'est
trompé, martèle-t-elle, l'école s'est trompée. Enfants comme
adultes, tout le monde est épuisé. L'école a été construite sur des
traditions, des valeurs mais pas sur des connaissances scientifiques,
ni sur les principes naturels d'apprentissage".
Lundi 31 août, Céline Alvarez ne fera pas sa rentrée. Depuis
septembre 2014, elle ne travaille plus pour l'Éducation nationale.
Elle partage désormais son temps entre ses recherches, son blog La
maternelle des enfants et l'écriture d'un livre qui sortira en 2016.
Pendant trois ans, Céline Alvarez a mis un costume de prof et elle a
"infiltré" l'Éducation nationale selon ses termes.
Être ambitieux pour les enfants
Dans une classe maternelle regroupant plusieurs niveaux de
Gennevilliers, elle a voulu vérifier ses intuitions sur les sciences
cognitives couplées à la pédagogie Montessori. Cette pédagogie très
en vogue est dispensée en France dans des écoles privées hors
contrat, autrement dit non subventionnées par l'État et non tenues
de respecter les programmes. Elle met en avant l'autonomie et la
confiance: l'enfant apprend à son rythme dans des ateliers.
Maria Montessori voyait sa pédagogie comme "une aide à la vie"
pour que l'enfant prenne de plus en plus de responsabilités. Pour ce
faire, du matériel concret est mis à disposition des enfants, comme
on peut le voir dans la vidéo ci-dessous.
Le ministère de l'Éducation Nationale avait en 2009 accepté de
donner carte blanche à Céline Alvarez et d'autoriser des
psychologues indépendants et une équipe de chercheurs à observer
le développement des enfants dont certains présentaient déjà des
lacunes. Selon les chiffres que les chercheurs ont fourni à Céline
Alvarez, 74% des élèves avaient rattrapé leur retard six mois après la
rentrée. La chercheuse l'assure, une publication scientifique
regroupant les résultats de cette expérience, en particulier les IRM
qui ont été faits sur le développement du cerveau des enfants,
devrait voir le jour quand l'analyse des données sera terminée.
En 2012, à la faveur d'un changement de gouvernement, le projet
n'est plus supporté par le ministère. Céline Alvarez est obligée de
désobéir à sa hiérarchie pour poursuivre une troisième et dernière
année l'expérience. Elle filme tous les jours sa classe pour garder des
traces des progrès "impressionnants" qu'elle constate. "Aujourd'hui
l'école donne à faire à l'enfant des taches indignes de son
intelligence. Il faut être plus ambitieux. Lors des trois premières
années de sa vie, l'enfant se lève seul, il apprend à marcher, à parler
sa langue, et il apprend cela tout seul sans aucun maître. Et nous,
pour les trois prochaines années de sa vie, en maternelle, nous lui
proposons comme programme d'apprendre les 26 lettres de
l'alphabet et de compter jusqu'à 30", déplore la jeune femme.
Son objectif n'avait jamais été de faire carrière dans l'Éducation
nationale, son départ n'est donc pas vraiment un échec pour elle.
Bientôt une école laboratoire?
Certes, Céline Alvarez a un sérieux talent oratoire, mais elle a aussi
un public particulièrement réceptif. En démissionnant de
l'Éducation Nationale, elle espérait ne pas retomber dans
l'anonymat et pouvoir poursuivre son combat pour l'école. Une
communauté s'est créée autour de sa passion et au-delà de ses
espérances. "Nous avons plus de 3000 visites par jour sur le blog et
presque 7000 abonnés." Elle explique aussi avoir reçu des
propositions pour travailler en Belgique et au Maroc.
Avant de penser à l'expatriation, Céline Alvarez veut encore partager
tout ce qu'elle a lu et appris. Pour mener sa "mission" à bien, elle
travaille avec son ancienne Atsem (Agent Territorial Spécialisé des
Écoles Maternelles), Anna Bisch, qui l'a accompagnée pendant ses
trois ans à Gennevilliers.
Un challenge se pose aux deux femmes désormais. Un an après avoir
démissionné de l'Éducation Nationale, elles n'ont toujours pas
trouvé le moyen de monétiser leur activité. Pour assister aux deux
jours de formation, les enseignants ont dû débourser 180 euros
chacun. Une somme qui leur a permis de financer l'organisation et
de se verser un petit revenu, le premier depuis leur démission. Mais
entre diffuser autant que possible leur savoir et en vivre, il va falloir
choisir... En attendant de pouvoir ouvrir une école laboratoire et
poursuivre leurs recherches.