La condition féminine Dans Le mariage de Figaro De Beaumarchais

Transcription

La condition féminine Dans Le mariage de Figaro De Beaumarchais
La condition féminine
Dans
Le mariage de Figaro
De Beaumarchais
Bashar Sami Youssif
Université AL-Moustansyria
Faculté des lettres
Département de français
:
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The french drama mouvement in the 17th century has reflected
social’s indivial’s situations.the society and it’s members have
become the main theme of various plots.
Beaumarchais ,a classicul playwright, has offered a drama
inspired by the 18th century society.in his repect ,he represnted
three plays deemed as the best representative of his drama
philosophy.
(Le mariage de Figaro) is considered as one of the three gates
situated between two plays ( le Barbier de seville ) et(la mere
coupable).
Beaumarchais endeavourd to unravel his society defects and
violation hidden behind the commun social masks.
One of such defects and bad situation he tried to tackle and fight
is bitter oppression his society suffrered from .therefore,he
offered his (le mariage de Figaro) to disclose such defect and
made predominance.
He sought to liberate women nather than call uponnthem to
rebel against the social siuation.
3
Introduction
A partir du XVII siècle, la dramaturgie française a connu la doctrine de
vraisemblance .La société et ses individus y ont été l’objet principal d’une
intrigue complexe .Les jeux des quiproquos, des mots à double sens, des
déguisements, des complots, des valets honnêtes et fidèles, constituent des
procédés théâtrales dont dépend presque toute la comédie classique des
XVII et XVIII siècles.
Beaumarchais fait toujours partie de ce théâtre comique dont les principaux
thèmes sont inspirés de la société du XVIII siècle. Il a écrit une trilogie
considérée comme son chef –d’œuvre théâtral le plus important qui a incarné
sa philosophie dramatique. Le mariage de Figaro, objet de notre étude, est le
deuxième volet de cette trilogie .Il se situe entre le Barbier de Séville et la
mère coupable.
Homme de théâtre par tempérament, Beaumarchais est sensible à tous les
courants de son siècle .Le mariage de Figaro, créé en 1784, est la meilleure
expression de toutes ses expériences dramatiques : « les vices, les abus, voilà
ce qui ne change point mais se déguise en mille formes sous le masque des
mœurs dominantes », a-t-il dit dans sa préface. Il a essayé d'en faire une
comédie de mœurs qui insiste sur le comportement social de l’individu et sur
l’injustice de certains ordres sociaux.
La condition féminine, un de ces ordres, parait l’intéresser et occuper une
place majeure dans cette comédie.
Ainsi, comment Beaumarchais a –t-il exposé ce statut de la femme au XVIII
siècle ?ce siècle a–t-il été pro ou anti-femme ? Et quel parti notre
dramaturge a –t-il pris dans l’exposition de cette condition ?
4
La femme dans la société du XVIII siècle :
A L’époque classique, la différence du droit entre l’homme et la femme est
bien évidente. Quelque soit son régime matrilinéaire, elle est toujours
soumise à la volonté masculine .Le père ou le mari exerce sa puissance , non
pour la protéger mais plutôt pour son intérêt à lui . L’ordre social des XVII
et XVIII siècles lui assure cette autorité.
Ce thème d’autorité masculine et d’obéissance féminine est cher à
Beaumarchais qui l’exploite largement dans cette pièce et surtout par la
bouche de ses personnages féminins qu’il utilise pour dénoncer ou bien
révéler au public le statut de la femme dans une société masculine. Une
société qui accepte l’oppression de l’autorité et se montre indifférente aux
femmes ; le couplet de Suzanne suggère ce propos :
[Qu’un mari sa foi trahisse
Il s’en vante, et chacun rit
Que sa femme ait un caprice
S’il l’accuse, on la punit
De cette absurde injustice
Faut –il dire pourquoi ?
Les plus forts ont bien la loi1]
La société est beaucoup plus sévère avec l’inconduite de la femme qu’avec
celle de l’homme.Le comte Almaviva qui trahit toujours sa femme n’a
jamais été puni ou au moins reproché.
La société de l’époque prévoyait des lois pour certaines fautes comme
l’adultère .Elle avait des moyens pour contraindre la femme à ne pas sortir
du cadre qui lui a été assigné. Le code civil napoléonien de 1804 pourrait
être notre référence sur la supériorité de l’homme .Il assure l’autorité
masculine sur la femme. L’autorisation des parents demeure indispensable
pour le mariage des enfants, la suprématie du mari est reconnue en vertu de
5
l’ordre naturel. L’article (213) de ce code affirme que [Il faut que la femme
sache qu’en sortant de la tutelle de sa famille, elle passe sous celle de son
mari. […] Le mari doit protection à la femme, la femme obéissance à son
mari. […] L’époux est seul maître de l’administration des biens du couple et
le régime dotal du Midi est mis à mal. Le mari peut demander le divorce en
cas d’adultère de la femme, mais celle-ci ne peut intenter une action que si
la concubine a été introduite dans la maison commune 1]
Beaumarchais dénonce l’usage abusif de l’autorité masculine qui touche
spécifiquement la femme en cette fin du siècle à travers un personnage
féminin. Marceline, une femme du peuple mais bien instruite, a l’audace de
reprocher à Bartholo les égarements de sa jeunesse et de la rendre fillemère. Elle a incité les autres personnages présents sur scène à prendre sa
parole au sérieux :
[Marceline : homme plus qu’ingrats, qui flétrissez
Par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes
C’est vous qu’il faut punir des erreurs de notre jeunesse [….]
Si vains du droit de nous juger2 ]
Cette réplique de Marceline est une indication de Beaumarchais qui veut que
son public et ses lecteurs y prêtent attention ; femmes abusées et délaissées.
Cet abus va plus loin jusqu'à toucher la personne la plus proche du pouvoir ;
le comte Almaviva, toujours dans son contexte social, incarne le pouvoir
féodal dont il use d’une façon tyrannique et passionnelle .Un pouvoir
considérable puisqu’il est administratif, militaire, et juridique. Ce droit lui
permet de séduire, de trahir et de délaisser sans le moindre reproche :
[Je ne la suis pas, cette Rosine que vous avez tant poursuivie .Je suis la
pauvre comtesse, La triste femme délaissée que vous n’aimez plus 3 ], a dit la
comtesse au comte après l’avoir délaissée et commencé à la trahir avec
d’autres femmes dont Suzanne est la dernière proie.
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Dans cette pièce, l’auteur accuse les hommes d’avoir créé un système
politique et social qui ne fonctionne qu’en leur faveur et qui leur permet
d’opprimer les femmes .Les lois sont faites par l’homme et pour l’homme
comme le confirme Marceline lors du tribunal :
[Dans les rangs même les plus élevés
Les femmes n’obtiennent de vous qu’une considération dérisoire ;
Leurrées de respects apparents dans une servitude réelle ;
Traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes 4]
Nous confirmons les propos de Marceline en nous référant au code civil de
1804 où l’époux est le seul maître de l’administration des biens du couple.
Le mari peut demander le divorce en cas d’adultère de la femme, mais celleci ne peut intenter une action que si la concubine a été introduite dans la
maison commune ; [l’infidélité de la femme suppose plus de corruption et a
des effets plus dangereux que celle du mari5].
Beaumarchais est conscient de la situation féminine de sa société, mais
vouloir dénoncer cet abus sans essayer de le redresser est vain comme il l’a
dit dans sa préface ;
[Les vices, les abus, voilà ce qui ne change point mais se déguise en mille
formes sous le masque des mœurs dominantes ;leur arracher ce masque et
les montrer à découvert ,telle est la noble tâche de l’homme qui se voue au
théâtre [….] on ne peut corriger les hommes qu’en les faisant voir tel qu’ils
sont6 ].
Pour réussir cette tâche, notre dramaturge fait opposer les deux partis : tyran
et tyrannisé .Le conflit des personnages, que ce soit latent ou patent ,est un
procédé cher à lui .
Chaque personnage qui fonctionne comme l’incarnation de certaine valeur
ou conduite entre en conflit avec d’autres personnages incarnant des valeurs
7
opposées. Ainsi, le conflit des sexes est-il mis en scène en tant que deux
partis opposés.
Comment Beaumarchais va-t-il réussir sa perspective de dénoncer cet abus
sans sortir de la norme de l’époque ? Quels procédés va-t-il mettre en scène
pour se mettre en face de l’oppresseur? Dresse-t-il un appel à la révolte
contre l’usage abusif du pouvoir masculin, ou il laisse aux personnages
féminins la tâche de se défendre?
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Le conflit des sexes :
Beaucoup de lecteurs et de spectateurs se rendent compte des la première
lecture ou représentation du conflit et de l’oppression qui s’établit entre les
deux sexes : le comte, les magistrats et autres nobles d’une part et les
femmes en oppression d’autre part.
Comme l’indique le titre, le mariage de Figaro et en particulier le
personnage de Suzanne constitue l’événement autour duquel se déroulent
toutes les actions de la pièce. Nous n’avons qu’à voir les cinq actes qui
pourront être définis comme le parcours des combattants pour l’union finale
de Figaro et Suzanne. Beaumarchais en profite pour lancer des critiques
contre le pouvoir abusif masculin. Mais à quel obstacle ce mariage fait-il
face ?
Le comte en tant que détenteur du pouvoir et obsessionnel de Suzanne
représente le seul obstacle à ce mariage comme le confirme Figaro dans son
dialogue avec Suzanne et la comtesse
[Figaro : Au fait, de quoi s’agit –il ?
D’une misère .M. le comte trouve notre jeune femme aimable .il voudrait en
faire sa maîtresse ; c’est bien naturel.7]
Figaro et Suzanne doivent obtenir la permission de leurs maîtres selon la
norme de la société féodale et nobiliaire. Ici éclate l’opposition. L’intérêt
commun des femmes dans cette pièce suffit à établir une certaine thèse
féministe. Une solidarité et coopération féminine se mettra donc en place;
citons la scène XVI de l’acte IV où Marceline, après avoir découvert qu’elle
est la mère de Figaro se consolide avec Suzanne dans ses efforts de choisir
son mari;
[Avertissons –la(Suzanne), elle est si jolie créature. Ah, quand l’intérêt
personnel ne nous arme pas les unes contre les autres. Nous sommes toutes
9
portées à soutenir notre pauvre sexe opprimé contre ce fer, ce terrible et
pourtant un peu nigaud de sexe masculin8]
Cette idée d’un front des femmes est pratiquement présente dans cette pièce.
Cette solidarité féminine se voit aussi dans les rapports entre Suzanne et la
comtesse; deux femmes souffrant de l’inconduite du comte, la première est
draguée, la deuxième délaissée et humiliée. Cela les a poussées à se
consolider et faire des complots et ruses pour redresser le comte tyran; la
scène II de l’acte II, révèle le début d’une coopération entre la comtesse et
Suzanne. Cette coopération a lieu dans la chambre de la comtesse où
Suzanne raconte à sa maitresse sa mésaventure avec le comte. Les deux
femmes décident de jouer un tour au comte ; il s’agit de remettre un faux
billet révélant que la comtesse a rendez-vous avec un inconnu .Ce complot a
pour objectif de susciter la jalousie du comte et l’empêcher de s’intéresser à
Suzanne ;
[La comtesse : pouvez –vous Figaro traiter si légèrement un dessin qui
nous coûte à tous le bonheur ?9]
Le fait de partager les mêmes soucis rapproche les femmes de conditions
sociales différentes. Ce geste de la comtesse a relativement réussi à susciter
la jalousie et l’inquiétude du comte vis-à-vis de sa femme 10. Mais le
caractère violent et agressif du comte a joué son rôle à terroriser la comtesse.
Lorsqu’il était à bout de fureur, il a menacé de la faire enfermer dans un
couvent. Suzanne et la comtesse lui ont fait croire qu’elles ont joué la
comédie afin de le punir.
Le principal défaut du comte est son égoïsme. Il est prêt à tout sacrifier à son
orgueil et à ses passions .Nous le voyons clairement tout au long de la pièce
trépigner de rage, de colère, et de ses accès de violence comme à la scène
XII de l’acte V :
[Le comte : furieux ; taisez-vous donc, mon cavalier, répondez vous à mes
questions ?
10
Figaro :( froidement); eh, qui pourrait m’exempter, monseigneur ?
Vous commandez à tout ici hors de vous-même11]
Dans la société du XVIII siècle, les rapports entre dominant - dominé sont
très complexes. Le comte se trouve obligé de courtiser Suzanne pour obtenir
ses faveurs :
[Le comte : Mais tu sais tout l’intérêt que je prends à toi .Bazille ne t’a pas
laissé ignorer mon amour .je n’ai qu’un instant pour t’expliquer mes vues.
Suzanne : Vivement ; je n’écoute rien.
Le comte : Lui prend la main ; un seul mot, tu sais que le roi m’a nomme
son ambassadeur à Londres .J’emmène avec moi Figaro; je lui donne un
excellent poste, et comme le devoir d’une femme est de suivre son mari.
Suzanne : Ah, si j’osais parler.
Le comte ; la rapproche de lui ; parle, parle ma chère ; use aujourd’hui
d’un droit que tu prends sur moi pour la vie.
Suzanne : Effrayée; je n’en veux point,
Monseigneur, je n’en veux point. Quittez –moi je vous prie 12]
Dans la mentalité de l’époque, courtiser ou aimer quelqu’un c’est se mettre
à ses services, telle est l’origine du mot galant .Le désir qui ne connaît pas
des barrières ou conditions sociales, pourrait rendre maître et valet des
rivaux amoureux. Ici, le paradoxe qui est en effet l’inégalité sociale entre le
comte et Figaro, devient égalité selon la notion de rivalité. Figaro peut être
rival de son maître parce qu’il se considère, sur le plan humain, comme son
égal.
Ce qui pousse ce maitre tyran vers les femmes de sa maisonnée, est le désir
insatiable. C’est l’expression de la volonté de dominer .Il veut posséder ces
femmes et les enlever aux hommes de leur condition pour montrer qu’il est
toujours le maitre. Nous remarquons dans certaines répliques qu’il essaye
11
d’éprouver et de versifier son pouvoir, et surtout sur les valets. A la scène IX
de l’acte I, le comte, caché, écoute avec intérêts les propos de Bazille pour
s’assurer de sa confiance et fidélité :
[Bazille : N’auriez –vous pas vu monseigneur mademoiselle ?
Suzanne : Brusquement : hé, pourquoi l’aurai-je vu ?laissez-moi.
Bazille : S’approche : si vous étiez plus raisonnable, il n’aurait rien
d’étonnant à ma question .c’est Figaro qui le cherche.
Suzanne : Il cherche donc l’homme qui lui veut le plus de mal après vous ?
Le comte : A part : voit un peu comme il me sert.13]
En fait, le meilleur rapport qui puisse s’établir entre deux êtres de différentes
conditions, comme nous l’avons vu, est un rapport de complicité. Cette
relation existe franchement entre Suzanne et la comtesse. Elle est dénuée de
toute rivalité et hostilité. Ce qui les approche, c’est la dépendance commune
à l’égard d’un même despotisme; à savoir celui du comte. Les deux
expriment une nécessité d’être solidaires pour préserver leur honneur et leur
intérêt. Mais il s’agit cette fois, d’une solidarité et complicité féminine : au
moment où la comtesse a proposé à Suzanne de créer une scène de
déguisement, elle a fait exprès que personne n’en sache rien :
[La comtesse : Il n’aurait personne d’expose… le comte ne pourrait
nier…avoir puni sa jalousie, et lui prouver son infidélité .Cela serait
….alors : le bonheur d’un premier hasard m’enhardit à tenter le second
.Fais-moi savoir proprement que tu te rends aujourd’hui, mais surtout que
personne ….
Suzanne : Ah, Figaro
La comtesse : Non, non .Il voudrait mettre ici du sein … 14]
Le procédé du déguisement, autrement dit le théâtre dans le théâtre est une
technique théâtrale nécessaire à structurer une dimension secondaire où les
rôles s’enchainent les uns aux autres.
12
Les dominés ont éprouvé ici une nécessité de former ce monde pour prouver
leur propos. Les femmes alliées mettront en scène leur complot à la scène VI
de l’acte V et à celles qui suivent ; la comtesse et Suzanne arrivent, les
habits échangés .Le déguisement a lieu dans une demie obscurité , ce qui a
réussi ce déguisement et le quiproquo qui ont rendu ces scènes à la fois
comiques et sérieuse. Le comte arrive et prend vraiment sa propre femme
pour Suzanne :
[Le comte : Comment !je ne pourrai faire un pas (à la comtesse qu’il prend
pour Suzanne) mais laissez cette bizarrerie….
La comtesse : Imitant la voix de Suzanne ; l’espériez-vous ? […]
Le comte : Prend la main de sa femme ; mais quelle peau fine, qu’il s’en
faut la comtesse ait la main aussi belle. […]
Le comte : A-t-elle ce bras ferme et rondelet, ces jolis doigts de grâce et
d’espièglerie ?
La comtesse : De la voix de Suzanne ; ainsi l’amour
Le comte : L’amour …n’est que le roman du cœur, le plaisir qui en est
l’histoire, il m’amène à tes genoux.
La comtesse : Vous ne l’aimez pas ?
Le comte : Je l’aime beaucoup ; mais trois ans d’union rendent l’hymen si
respectable.
La comtesse : Que voulez-vous en elle ?
Le comte : La caressant ; ce que je trouve en toi. 15]
Les scènes de déguisement continuent en dévoilant petit à petit les masques
des personnages de théâtre du deuxième niveau. Le comte commence à se
rendre compte du piège où il a été tombé, et à découvrir enfin que la
comtesse a été déguisée en la personne de Suzanne et celle–ci en
comtesse16.Une réconciliation générale a fini la scène et a mis fin aux
conflits.
13
Les complots et les manœuvres des femmes qui ont fait retour à la normale,
ont éliminé l’adultère, et ramené le comte à son épouse.
Beaumarchais a réussi avec intelligence dans cette pièce à redresser le comte
sans être accusé de rebellerie. Il a fait exprès de faire croiser le comte dans
tous ces projets .Nous le voyons humilié sans être avili. Si la comtesse avait
usé de ruse pour le trahir, elle serait devenue coupable. Elle ne pouvait
mettre son mari à ses pieds sans le dégrader à nos yeux, par conséquent on
reprocherait à l’auteur d’avoir tracé des mœurs blâmables. C’est la pureté à
des motifs qui sauve ici les moyens du reproche. La comtesse n’a donc
voulu que redresser son mari avec des moyens moraux, jamais avilissants.
Ainsi, l’idée que la comédie a une vertu morale est si fort ancienne. Une
devise latine pourrait incarner la fonction morale de la comédie :
[(castigat ridendo mors) elle corrige les mœurs par le rire 17]
14
Beaumarchais et la critique sociale :
Dans le mariage de Figaro, notre dramaturge soulève des questions et
présente un problème morale d’une façon nuancée et complexe. Il offre des
perspectives sur ce même problème, Antoine Vitez en dit ;
[Le théâtre est un champ de force très petit, mais où se joue toujours toute
l’histoire de la société et qui, malgré son exiguïté, sert de modèle à la vie
des gens18].
Rien ne conteste qu’une pièce de théâtre est toujours un espace –temps
concentré ou s’affrontent des forces. C’est le fondement même de toute
l’esthétique de théâtre. Vitez aurait pu dire que le théâtre sert de miroir à la
vie des gens, mais il utilise le terme (modèle) qui pourrait avoir une
dimension didactique. Le théâtre ne se limite pas à montrer à la société ce
qu’elle est, mais il va plus loin jusqu’à offrir une image à ce qu’elle doit être.
Dans sa préface du Mariage de Figaro, notre dramaturge a affirmé l’objectif
de la représentation d’une telle pièce ;
[Les vices, les abus, voilà ce qui ne change point, mais se déguise en mille
formes sous le masque des mœurs dominantes, leurs arracher ce masque et
les montrer à découvert, telle est la noble tache de l’homme qui se voue au
théâtre19 ].
Pour pouvoir exprimer les grandes idées qui tiennent à son cœur,
Beaumarchais insère des passages de monologue destinés à frapper l’esprit
du public. Ce monologue est un des procédés théâtraux, c’est le discours
d’un personnage qui se parle à voix haute, toujours seul sur la scène. Pour
Beaumarchais, c’est un moyen de révéler à son public les pensées les plus
sincères et profondes à son personnage, mais pour nous à lui-même. Figaro
prononce à la scène III de l’acte V le plus long monologue qui soit dans la
pièce ; [O femme !femme ! femme ! créature faible et découverte […]non
monsieur le comte vous ne l’aurez pas parce que vous êtes un grand
seigneur , vous vous croyez un grand génie !noblesse ,fortune, un rang, des
15
places ,de tout ce la rend si fier! Qu’avez –vous fait pour tant de bien ?vous
vous êtes donné la peine de naître et rien de plus ; du reste homme assez
ordinaire20].Cet extrait de monologue avec celui de Marceline à la scène
XVI de l’acte IV que nous avons cité à la page (3) expriment presque toutes
les idées de Beaumarchais: femmes faibles et opprimées,comte oppresseur
qui veut tout prendre surtout les femmes des autres, et origine noble sans
aucun effort de l’être.
Ces monologues sortent du cadre comique de la pièce et nous amène au
drame. Figaro se parle comme s’il parlait au comte face à face [vous ne
l’aurez pas] .Ce défi est absolument celui de Beaumarchais qui parait
soutenir le parti oppressé ou bien abusé ;
[par ses procès, par ses affaires et leurs incidences politiques, par ses
intriques d’agent secret […] Beaumarchais s’est trouve mêlé de près à la
politique intérieur à l’administration et à la justice du pays. Des réalités
politiques, administratives, et sociale ne marqueraient pas à ses intrigues .Il
observait, critiquait et proposait des réformes. Il réclamait avant tout
l’égalité de tous devant la justice sociale 21].
Voilà Beaumarchais, un homme excellemment adapté à son temps et aux
milieux où il vit. L’esprit droit est pour lui la justice et l’ordre qu’il faut
suivre et adopter comme il l’a exprimé au couplet final de cette pièce ;
[Par le sort de naissance
I ‘un est roi, l’autre est berger
Le hasard fit leur distance
L’esprit seul peut tout changer…22]
16
Conclusion
Beaumarchais a utilisé son théâtre comme tribune pour professer ses
idées au public. Ce théâtre impose une interprétation unique au spectateur et
au lecteur. Comme auteur dramatique, il doit chercher à exprimer sa
philosophie personnelle et laisser au public une marge de liberté de
réflexion, sans quoi le plaisir du théâtre est coupé à sa racine.
Le mariage de Figaro est ainsi une pièce de conflit entre les deux sexes.
Cela octroie au public le droit de soutenir l’un des deux partis. Beaumarchais
a donné une certaine liberté à son public de juger et de reconsidérer les
rapports humains et surtout la façon dont nous devons traiter les femmes
dans une société masculine. Il se montre solidaire avec le parti faible et
oppressé. Dans plusieurs passages et par l’entreprise d’un personnage
féminin, il est parvenu à dénoncer les injustices perpétrées contre des
femmes dans la société de son époque.
Loin d’appeler à la révolution contre l’ordre social du XVIII siècle, il s’est
contenté de dénigrer cette discrimination flagrante qui déshonore l’humanité
partout dans le monde.
C’est ainsi que le théâtre de Beaumarchais revêt un caractère d’ordre
cosmique du moment qu’il discute d’un problème général concernant la
moitié de la société universelle.
17
Notes
1.Beaumarchais, Le mariage de Figaro. Hachette, nouveaux classiques,
France ,1976.P.198
2.Voir Jean Carbonnier, Le Code civil, dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux de
mémoire, II, La Nation**, 1986, (édition numérique) .www.bibliotheque
del’institutdeFrance.fr. PP.293-315
3. Op.cit .p.147
4. Ibid.p.113
5. Ibid. p.147
6. Voir Jean Carbonnier, Le Code civil, p.293-315
7. Op.cit .p.33
8. Ibid. P.95
9. Ibid. P.171
10.Ibid., 95
11.Voir Ibid. Acte II, scène VII.
12.Ibid. P.191
13.Ibid. P.81
14.Ibid. P.82
15. Ibid., 123
16. Ibid. Pp.183.184
17. Voir ibid. ,acte V, scène XIX, p.195.
18.Michel VIEGNES, Le théâtre, problématiques essentielles, Hatier, profil
d’une œuvre, paris, 1992 ,p.93
19.Antoine Vitez cité par ibid., p.133
20.Op.cit,p.33
21.Ibid,p.176
22.Philippe Van Tieghem, Beaumarchais par lui-même, Seuil, écrivains de
toujours,paris. p.121
23.Op.cit,p198
18
Bibliographie
1-Beaumarchais, Le mariage de Figaro, Hachette, nouveaux classiques,
France ,1976.
2- VIEGNES (Michel), Le théâtre, problématiques essentielles, Hatier,
profil d’une œuvre, paris, 1992
3- VIEGNES (Michel), Le mariage de Figaro, Hatier, profil d’une œuvre,
paris, 2003
4- CARBONNIER (Jean), Le Code civil, dans Pierre Nora (dir.), Les Lieux
de mémoire, II, La Nation**, 1986, (édition numérique) .www.bibliotheque
de l’institut de France.fr
5-VAN TIEGHEM (Philippe), Beaumarchais par lui-même, Seuil,
écrivains de toujours, paris.1960
19