Audiovisuel extérieur : les bonnes affaires d`Alain de Pou

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Audiovisuel extérieur : les bonnes affaires d`Alain de Pou
Directeur de la publication : Edwy Plenel
ARTICLE
Audiovisuel extérieur : les bonnes affaires d’Alain de Pouzilhac
Par Fabrice Arfi
Imaginerait-on un instant le patron de la BBC, modèle d’indépendance médiatique, émarger au conseil d’administration de plusieurs grandes entreprises privées et présider le conseil de surveillance d’un groupe de casinos ? Non. C’est pourtant ce que fait
depuis plusieurs années son homologue français, Alain de Pouzilhac, actuel président de l’Audiovisuel extérieur de la France
(AEF), la structure publique qui coiffe les chaînes France 24 et
TV5 Monde ainsi que la radio RFI.
de commerce, la société JoaGroupe a fixé, le 28 mars 2007, à
100.000 euros par exercice social le montant global des jetons de
présence pour les membres du conseil de surveillance que préside
M. Pouzilhac (voir ci-dessous ).
«Je ne comprends pas ! De quel mélange des genres parlezvous ?» , a réagi M. Pouzilhac lors d’un entretien téléphonique
avec Mediapart. «Je suis français et il y une loi française qui dit
que l’on a le droit de siéger dans cinq conseils d’administration.
Je respecte la loi française. J’aime la France et je fais ce que mon
pays me dit de faire», a-t-il ajouté.
Ancien président du groupe de publicité Havas et réputé proche
des milieux chiraquiens, Alain de Pouzilhac, 63 ans, est depuis
sa nomination par Nicolas Sarkozy à la tête de l’audiovisuel extérieur français (ex-France Monde), le 20 février 2008, et, au préalable, en tant que président du directoire de France 24 depuis décembre 2005, l’artisan d’un bien curieux mélange des genres.
En effet : depuis le 30 avril 2003, Alain de Pouzilhac est également l’un des neuf membres du conseil d’administration du
groupe de promotion immobilière Kaufman & Broad. Selon des
documents internes à la société, la somme globale attribuée au
titre des jetons de présence à se partager entre chaque administrateur a été de 160.468 euros en 2007 et de 260.000 euros à partir
l’année suivante.
Censé incarner l’image du journalisme français à l’étranger en dirigeant l’AEF, une holding financée à 100% par de l’argent public,
il cumule cette activité avec un poste d’administrateur au sein du
groupe de promotion immobilière Kaufman & Broad, un autre du
même type chez UGC, et il est également président du conseil de
surveillance de la société JoaGroupe (ex-Moliflor), qui gère une
vingtaine de casinos en France.
Détenteur de 250 actions de la société, qui a réalisé en 2007 un
profit de 105 millions d’euros, M. de Pouzilhac est par ailleurs
intéressé aux bénéfices de l’entreprise depuis six ans. Dans un
texte publié en mars 2008 au Bulletin des annonces légales obligatoires (BALO ), Kaufman & Broad annonce avoir versé 6,60
euros de dividende par action entre juillet 2007 et février 2008.
Soit 1.650 euros d’argent de poche pour M. de Pouzilhac, dont
une partie est éligible à un abattement fiscal.
JoaGroupe, qui appartient au fonds d’investissement à risques
britannique Bridgepoint Capital, a été créé en septembre 2005
et se présente aujourd’hui, avec 276 millions d’euros de chiffre
d’affaires et 1.600 salariés, comme «le troisième opérateur français sur le marché des casinos» . Alain de Pouzilhac (photo cicontre ) a été nommé président de son conseil de surveillance
quelques mois après sa création, en mars 2006. «Sa mission devra permettre au groupe de conforter sa notoriété, renforcer son
rayonnement français et international et l’accompagner dans sa
réflexion stratégique» , expliquait l’entreprise à son arrivée dans
une communication officielle.
Dans une récente interview donnée au Journal du Dimanche en
tant que président de l’AEF, il déclarait : «Il faut arrêter avec
la culture du déficit.» Alain de Pouzilhac sait manifestement très
bien de quoi il parle.
La carrière de l’ancien publicitaire, qui a quitté en 2005 la présidence du groupe Havas avec des indemnités de départ de 6,4 millions d’euros contestées par le nouvel actionnaire (Vincent Bolloré), ne s’arrête pas là, au grand dam des journalistes de l’audiovisuel extérieur français qui vont avoir bien du mal à défendre une
posture d’indépendance auprès de leurs confrères étrangers.
Malgré son accession il y a un an à la tête de l’AEF grâce à l’Elysée, c’est-à-dire grâce à la puissance publique, M. de Pouzilhac
n’a pas pour autant quitté ses fonctions au sein de JoaGroupe.
Ce qui n’est sans poser un certain problème moral qui confine
au conflit d’intérêt dans la mesure où toute entreprise gestionnaire de casinos doit obtenir de cette même puissance publique,
en l’occurrence du ministère de l’intérieur, un agrément officiel
pour pouvoir ouvrir des établissements de jeux.
«Je suis très content de mes jetons de présence»
Outre les casinos, outre la promotion immobilière, Alain de Pouzilhac est entré en 2006 au conseil d’administration du groupe
d’exploitation cinématographique UGC, qui gère plus de 600
salles en France, Belgique, Espagne et Italie. A cette date, M.
de Pouzilhac était déjà, depuis un an, président du directoire de
l’ancêtre de France 24, la Chaîne française internationale d’information (CFII).
Pouzilhac en a marre de la «culture du déficit». Et pour cause !
Présidé par un certain Laurent Lassiaz, JoaGroupe en détient une
vingtaine en France : à Antibes, à Gérardmer, au Boulou, à Argelès ? Selon des documents consultables au greffe du tribunal
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Directeur de la publication : Edwy Plenel
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Selon des informations publiées il y a quelques mois par
le site Bakchich ? et jamais démenties depuis ?, le duo
Ockrent/Pouzilhac toucherait, chacun, un salaire de 40.000 euros mensuel. Une somme rondelette qui a du mal à passer auprès
de nombreux journalistes de l’audiovisuel extérieur français. A
commencer par ceux de la station de radio RFI qui doivent faire
face à un plan social qui prévoit la suppression de 206 postes sur
945. Une première.
Le fait de cumuler ce poste avec celui d’administrateur d’un grand
groupe privé, qui alloue la somme globale de 100.000 euros au
titre des jetons de présence par exercice social, n’a pas semblé
suscité beaucoup d’interrogations éthiques chez le principal intéressé, comme l’atteste ce document :
Pour Alain de Pouzilhac, «le contact avec le privé est très enrichissant. Les réflexes ne sont pas les mêmes. C’est un procès
d’intention que de me reprocher cela». Interrogé sur ces émoluments tirés de groupes privés, il a déclaré, sans trop de complexe :
«Je suis très content de mes jetons de présence. C’est normal d’en
toucher. Un administrateur donne de son temps à l’entreprise.»
Du côté de France 24, ces dernières semaines ont quant à elles été
marquées par le départ et/ou l’éviction de plusieurs journalistes
phares (Ulysse Gosset, Bertrand Coq, Grégoire Deniau ?) à l’origine d’un certain malaise au sein de la rédaction quant à la dureté
du management de Christine Ockrent et d’Alain de Pouzilhac.
Initiateur du concept de grande chaîne d’information internationale en France, l’ancien président de la République Jacques Chirac aimait à répéter que «l’enjeu, c’est de porter partout dans le
monde les valeurs de la France et sa vision du monde». «Pour
cela, il faut être au premier rang de la bataille mondiale des
images», ajoutait-il.
Et les mauvaises nouvelles n’arrivant jamais seules, les salariés
ont aussi découvert, début février, un rapport de la Cour des
comptes peu amène sur la gestion de leur société. Les conclusions
des magistrats ne sont pas des plus enthousiasmantes : «stratégie
instable», «pilotage défaillant», «objectifs insuffisamment précisés», «réformes incomplètes».. .
Inconcevable dans des pays anglo-saxons, l’incroyable mélange
des genres au cœur duquel se retrouve M. de Pouzilhac ne semble
pas avoir beaucoup ému l’Etat français qui a également nommé
au poste de directrice générale de l’AEF la journaliste Christine
Ockrent, la femme du ministre des affaires étrangères, Bernard
Kouchner, dont la gourmandise pour les “ménages” au profit de
sociétés ou d’organismes très éloignés du journalisme (Microsoft,
SFR, Medef, Caisse des dépôts ?) est de notoriété publique.
«Ce rapport n’est absolument pas une mauvaise nouvelle puisqu’il porte sur la période 2001-2007. Au contraire ! La constitution de la holding Audiovisuel extérieur de la France vient répondre quasiment en tous points aux recommandations de la Cour
des comptes» , a tenu à réagir, après la parution de l’enquête de
Mediapart, la directrice de la communication de l’AEF, Florence
Giacometti.
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Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du
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