Still Life

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Still Life
Still Life
Another World...
Il y a fort longtemps qu'un bon Point'n Click n'avait pas envahi nos écrans. Still Life reprend le
flambeau après Syberia 2, pour notre plus grand plaisir. Ambiance sombre et univers commun à
l'excellent Post Mortem, qui nous avait déjà troublés sur PC, le jeu de Microïds Canada vous
emmènera des deux côtés de l'atlantique à deux époques différentes, à la recherche d'un meurtrier
psychopathe. Enigme policière et femmes éviscérées au menu, bon appétit... Un jeu d'aventure à ne
pas mettre entre toutes les mains.
Enfin du sang neuf ! Microïds Canada, récemment racheté par Ubisoft, fait le pari de nous proposer
un jeu qui n'est pas une suite, bien qu'issu directement de l'univers PC. En effet, Still Life est ce que
l'on appelle un Point and Click, style populaire sur les micro-ordinateurs, où l'on désigne à la souris
des éléments du décor, avec lesquels le personnage pourra interagir. On se souvient dans ce
domaine de l'excellent, bien que vieilli, Monkey Island, ou plus proche de nous, du triptyque composé
des Chevaliers de Baphomet, des Boucliers de Quetzalcoatl et du Manuscrit de Voynich, magnifique
série d'enquêtes policières. Plus proche encore, Syberia et Syberia 2 et leur héroïne, Kate Walker,
admirablement mise en scène par Benoït Sokal (illustre auteur de bande dessinée).
Outre, pour les derniers cités, la présence d'une femme comme principal protagoniste, ces jeux ont
tous deux points communs fondamentaux : d'une part, un point and click est par essence un jeu
composé d'un environnement fixe en 2D, même si certains éléments 3D, dont les personnages (pour
les plus modernes), viennent donner un peu de vie à l'ensemble. D'autre part, ils sont tous très
fortement scénarisés, car la résolution d'énigmes est principalement motivée par le dévoilement
progressif d'une histoire, souvent aussi passionnant que linéaire. Et le jeu qui nous occupe
aujourd'hui ne fait pas exception à la règle.
C'est par le second mouvement du requiem de Mozart que débute Still Life. Musique sombre
parfaitement adaptée aux images kaléidoscopiques qui défilent sur l'écran, une longue silhouette
noire décharnée poignardant puis traînant un corps, chapeau haut-de-forme et longue cape noire.
Cette introduction tient du Fantôme de l'Opéra et de l'Etrange Noël de monsieur Jack réunis, et nous
prépare à la suite...
La suite, c'est en incarnant Victoria McPherson, jeune recrue du FBI, que nous allons la vivre.
Chicago, de nos jours. Un immeuble vétuste et abandonné, un cinquième corps baignant dans son
sang, dans une baignoire.
Après avoir échangé quelques mots avec le garde en faction devant l'immeuble, notre héroïne se
dirige à l'intérieur. L'un de ses collègues l'accueille à la porte de l'appartement, pas très en forme
après avoir vomi son petit-déjeuner. C'est ici que commence réellement votre enquête. Celle-ci vous
entraînera dans les méandres des rues de Chicago, mais aussi dans la « vieille Europe » du début du
siècle, via l'histoire de Gus McPherson, grand-père de Victoria, détective privé au cœur tendre dans
la grande tradition du cinéma noir américain, amoureux d'une danseuse et à la poursuite d'un tueur
sanguinaire.
Ce flash-back n'est sans doute pas un hasard, et au fur et à mesure de votre avancée dans le
scénario, vous comprendrez que les deux affaires, pourtant séparées par près d'un siècle, ont de
bien étranges points en commun...
Des larmes, de la sueur et du sang
Still life pourrait reprendre à son compte cette phrase de Churchill, prononcée au plus fort de la
Seconde Guerre mondiale. Sauf qu'ici, il n'est pas réellement question de guerre, ou bien une guerre
de l'ombre, une traque nocturne assortie à une course contre la montre. Vous serez frappé en
premier lieu par l'ambiance mature du jeu. Rien ne vous est épargné, et le langage parfois cru des
protagonistes renforcera cette impression. Les doublages français ont été réalisés par des valeurs
sûres du monde cinématographique, parmi lesquelles Virginie Mery, la voix française de Liv Tyler, qui
joue le rôle de Victoria, mais également Laura Blanc (Jennifer Garner) et Claire Guyot (Sarah
Michelle Gellar et Winona Ryder) ; pour les hommes, Bruno Choel (Ewan McGregor) donnera sa voix
au père de Victoria, Gustav McPherson. On remarquera également Bernard Lanneau (Kevin Costner,
Alec Baldwin), Cédric Dumond (Ben Affleck, Jude Law) et Thierry Desroses (Samuel L. Jackson,
Wesley Snipes, Laurence Fishburne).
On est alors d'autant plus surpris du ton surjoué des premières scènes, plus dû à une direction
hésitante des acteurs qu'à leurs compétences propres, impression qui heureusement s'estompe
après la première heure de jeu.
Passé ce petit bémol, on rentre de plein pied dans Still Life. D'autant plus qu'un effort sans précédent
a été déployé pour adapter au mieux à la console un gameplay issu du monde PC. Si l'on oublie
l'inventaire, pas toujours ergonomique, le déroulement du jeu reste fluide, et de nombreux symboles
apparaîtront sur votre parcours, qui vous indiqueront ce qui est observable, manipulable. Quitte à ce
que Victoria, ou plus tard, son grand-père Gus, vous donne parfois des indices sur la marche à suivre
ou l'objet à posséder pour réaliser l'interaction.
Sur ce point, le côté professionnel est mis en avant, et vous aurez à employer tout un attirail déjà vu
dans le malheureusement médiocre CSI (jeu tiré de la série « les Experts »), également sorti sur
notre console. Vous commencerez par photographier les lieux du crime, puis utiliserez différents
objets pour collecter les preuves ou repérer les indices. Les décors, magnifiquement réalisés avec le
moteur amélioré de Syberia 2, restent peu interactifs, loi du genre oblige, mais leur netteté vous
empêchera de tourner trop longtemps en rond à la recherche d'un objet particulier.
On pourrait alors regretter un peu, comparé à l'environnement souvent léché, la raideur des
personnages. De même Victoria, qui dégage un certain charme sous sa tenue tendance gothique
(toute en noir avec un maquillage sombre assez appuyé), devient risible lorsqu'elle se met à courir.
Reste que l'on rentre rapidement dans l'histoire et c'est bien là l'essentiel. Le scénario est un modèle
du genre, mélangeant investissement personnel, social et enjeux moraux. On admire la façon dont
les histoires personnelles s'imbriquent à l'enquête, et la manière dont les parcours de Victoria et de
son grand-père s'unissent dans une même synergie. Les dialogues renforcent cette immersion avec
un style à la fois cru et littéraire, qui ne déparerait pas dans un bon polar. Ceux-ci se jouent à la
gâchette, et lors d'un interrogatoire il vous faudra appuyer sur la gauche pour aborder le sujet
principal, et sur la droite pour rentrer dans l'anecdotique, qui peut néanmoins vous apporter des
indices, ou vous éclairer sur l'ensemble du scénario.
Mais si l'on parle à la gâchette, comment tire-t-on ? Et bien, dans Still Life, c'est le dialogue qui sert
d'arme... Les rares scènes d'actions seront vécues au travers de cinématiques, et si votre héroïne
peut courir, c'est, à quelques occasions près, afin de vous éviter de trop longues traversées de
tableau.
Ce qui nous amène à aborder un dernier point : Still Life ne conviendra pas à tout le monde.
Amateurs de grandes histoires et d'énigmes mécaniques parfois tirées par les cheveux (que celui qui
a dit Myst se dénonce !), ce jeu est fait pour vous. Quant aux autres, si vous ne voyez pas
d'inconvénients à demeurer autant spectateur qu'acteur, et à passer de longues minutes, voire parfois
une heure, à comprendre le fonctionnement d'une énigme, si le fait d'obtenir des indices pour
simplement avancer plus loin dans une histoire ne vous rebute pas trop, vous pouvez tenter votre
chance... Au risque de voir le pad vous tomber des mains.
Un film dont vous êtes le héros
On entend souvent parler de film ou de musique d'ambiance. Les jeux entrant de plein fouet dans le
mass' entertainment du XXIème siècle, il faudra dorénavant parler également du jeu d'ambiance. Et
Still Life en fait partie.
Passé l'effort d'accepter un gameplay parfois contraignant ou d'une austérité confinant à la pauvreté,
Still Life apporte son lot d'émotions cinématographique, notamment lors des cinématiques, souvent
remarquablement mises en scène.
Ce nouveau jeu signé par Microïds vise un public clairement mature, autant par la violence montrée,
même si elle n'est pas jouée, que par son aspect contemplatif et certains dialogues, plantant une
ambiance riche et des personnages aux backgrounds luxueusement détaillés.
La dualité voulue de la narration, partagée entre l'aventure de Victoria et le récit de son grand-père,
maintient parfois à distance le joueur, renforcé dans son rôle de spectateur s'il ne choisit pas de
s'investir, à chaque fois que le jeu l'ordonne, dans l'un ou l'autre des protagonistes. Cette directivité
propre au Point and Click est probablement l'un des principaux obstacles à l'immersion, et il faut
accepter de ne pas réellement mener l'enquête, mais au contraire de se faire mener par le scénario,
chaque énigme étant un pas supplémentaire vers une fin... Impressionnante.
En prenant un peu de recul, Still Life apparaît comme un jeu pourvu d'un charme certain. Un jeu
également déséquilibré, entre ses dialogues parfois surjoués et pourtant violents, ses décors
réalistes fourmillant de détails et des personnages taillés à la serpe. L'ensemble donne au gameplay
un aspect artisanal, mais au final attachant. On peut regretter enfin une maniabilité imparfaite qui fait
écho à l'ergonomie critiquable de l'inventaire, et quelques ficelles un peu vieillottes, comme le fait que
certains évènements soient uniquement déclenchés par une séquence d'actions faites dans le bon
ordre... Still Life demeure cependant un excellent jeu, à jauger à l'aune de ses pairs. Un jeu
d'aventure à l'ancienne, au scénario riche mais imposé, doté d'une poésie tracée aux limites de la
réalité et du paranormal, bien loin des énormes productions américaines.
Rédacteur GutsBlack
Article écrit le 30/06/2012
Révisé le 18/08/2014