La Création d`Eve (PDF, 349 Ko)

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La Création d`Eve (PDF, 349 Ko)
8e nocturne au Musée Rodin. Le mercredi 6 mars 2013 à 19h.
La Création D’Eve
Avec Michael Lonsdale et Charles Gonzalès
Michaël
Sans l'amour rien ne reste d'Eve; l'amour, c'est la seule beauté !
Charles
Ainsi parlait Victor Hugo…
Dans son projet de 1881 pour La Porte de l’Enfer, Rodin désire placer latéralement Adam et
Ève, en pendants. Il raconte plus tard qu’il avait commencé à modeler une grande figure
féminine quand il dut s’arrêter parce que son modèle, qui était enceinte, ne pouvait plus poser.
Il ne présente au public cette Ève inachevée qu’en 1899, à une époque où il commence à oser
montrer ses œuvres dans un état fragmentaire ou non fini.
L’épiderme, l’absence de détails ou encore la trace de la pièce métallique de l’armature sur le
pied droit sont autant de témoins du travail en cours que Rodin décida de conserver.
Il achève entre temps une petite version d'Ève qui est exposée dès 1882 et connait un grand
succès. La sensualité de son corps, opposée au mouvement de pudeur qu’elle esquisse en
baissant la tête et en croisant les bras, lui vaut une large diffusion sous forme de bronzes, de
marbres ou de terres cuites.
Il écrit alors :
Michaël
« Je travaillais à ma statue Ève. Je voyais changer mon modèle sans en connaître la cause. Je
modifiais mes profils, suivant naïvement les transformations successives des formes qui
s'amplifiaient. Un jour j'appris qu'elle était enceinte ; je compris tout. Les profils du ventre
n'avaient changé que d'une manière à peine sensible, mais on peut voir combien j'ai copié la
nature avec sincérité en regardant les muscles des lombes et des côtés. »
Charles
Bien loin d'être contrarié, il trouve que cette grossesse l'a "singulièrement aidé" à caractériser
la mère de l'humanité: un hasard heureux la lui a donné, mais bientôt devenant plus sensible,
le modèle trouva qu'il fait trop froid dans l'atelier, espace les séances, puis ne revient plus ».
Et Rodin de conclure:
Michaël
« C'est pour cela que mon Ève n'est pas finie. »
1
Charles
En réalité, l'affaire dut être plus compliquée que cela: un ami signala un jour que le modèle
disparut, qu'elle était partie pour l'Italie avec son amant russe et d’après le critique d’art
Gustave Coquiot Rodin ne toucha plus à sa statue ! Edmond de Goncourt eut confirmation de
cette version quand le sculpteur lui montra Ève inachevée en 1885,
Michaël
« ... robuste esquisse d'une femme nue, d'une Italienne, d'une créature courte et élastique,
d'une panthère selon son expression, qu'il dit, regret dans la voix, ne pouvoir terminer, un de
ses élèves, un Russe, étant devenu amoureux d'elle et l'ayant épousée".
Charles
Ève la première femme, mère de l'humanité !
Eve, la création d’Eve, la Genèse d’Eve !
Michaël
L'Eternel Dieu prit l'homme, et le plaça dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder.
L'Eternel Dieu donna cet ordre à l'homme : Tu pourras manger de tous les arbres du jardin;
mais tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en
mangeras, tu mourras.
L'Eternel Dieu dit : Il n'est pas bon que l'homme soit seul; je lui ferai une aide semblable à lui.
L'Eternel Dieu forma de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et il
les fit venir vers l'homme, pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant
portât le nom que lui donnerait l'homme. Et l'homme donna des noms à tout le bétail, aux
oiseaux du ciel et à tous les animaux des champs; mais, pour l'homme, il ne trouva pas d'aide
semblable à lui. Alors L'Eternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l'homme, qui
s'endormit; il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place. L'Eternel Dieu forma une
femme de la côte qu'il avait prise de l'homme, et il l'amena vers l'homme. Et l'homme dit :
Voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair! On l'appellera femme parce
qu'elle a été prise de l'homme.
Adam donna à sa femme le nom d'Eve : car elle est la mère de tous les vivants.
L'Eternel Dieu fit à Adam et à sa femme des habits de peau, et il les en revêtit.
Charles
C'est au Paradis que naît, vit et rêve Eve et à travers le temps, nombreux sont les poètes qui
imaginent, racontent, créent leur paradis. Il n'est jamais tout à fait le même et les Eve y
apparaissent toute parées de leur féminité, comme déclinées à travers le temps et les écritures.
La sculpture de Rodin est si belle, si sensuelle, si forte, si étrangement féminine qu’elle se
suffit en elle-même sans désir de la commenter, de l’analyser sinon de l’accompagner durant
cette soirée des mots de poètes qui laissent Eve sortir du bronze pour ce faire plus humaine…
Ainsi Pierre Corneille…
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Michaël
Homme, qui que tu sois, regarde Eve et Marie,
Et comparant ta mère à celle du Sauveur,
Vois laquelle des deux en est le plus chérie,
Et du Père Eternel gagne mieux la faveur.
L'une a toute sa race au démon asservie,
L'autre rompt l'esclavage où furent ses aïeux
Par l'une vient la mort et par l'autre la vie,
L'une ouvre les enfers et l'autre ouvre les cieux.
Cette Ève cependant qui nous engage aux flammes
Au point qu'elle est bornée est sans corruption
Et la Vierge " bénie entre toutes les femmes "
Serait-elle moins pure en sa conception ?
Non, non, n'en croyez rien, et tous tant que nous sommes
Publions le contraire à toute heure, en tout lieu :
Ce que Dieu donne bien à la mère des hommes,
Ne le refusons pas à la Mère de Dieu.
Charles
Et encore et toujours Victor Hugo…
Michaël
Ève offrait au ciel bleu la sainte nudité ;
Ève blonde admirait l'aube, sa soeur vermeille.
Chair de la femme ! argile idéale ! ô merveille !
Pénétration sublime de l'esprit
Dans le limon que l'Être ineffable pétrit !
Matière où l'âme brille à travers son suaire !
Boue où l'on voit les doigts du divin statuaire !
Charles
Fange auguste appelant le baiser et le coeur,
Si sainte, qu'on ne sait, tant l'amour est vainqueur,
Tant l'âme est vers ce lit mystérieux poussée,
Si cette volupté n'est pas une pensée,
Et qu'on ne peut, à l'heure où les sens sont en feu,
Étreindre la beauté sans croire embrasser Dieu !
Ève laissait errer ses yeux sur la nature.
Michaël
Et, sous les verts palmiers à la haute stature,
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Autour d'Ève, au-dessus de sa tête, l'oeillet
Semblait songer, le bleu lotus se recueillait,
Le frais myosotis se souvenait ; les roses
Cherchaient ses pieds avec leurs lèvres demi-closes ;
Un souffle fraternel sortait du lys vermeil ;
Comme si ce doux être eût été leur pareil,
Comme si de ces fleurs, ayant toutes une âme,
La plus belle s'était épanouie en femme.
Charles
Charles Péguy écrivait…
Michaël
Moi je crée. Il faut créer !
Charles
De juin à la fin de l'été 1913, en six mois exactement Péguy avait vécu dans la composition
d'un long poème qu'il préparait dans le silence matinal de son logis de Lozère d'abord, puis de
Bourg-la- Reine. Tout dormait dans la maison lorsqu'il retrouvait sa table de travail.
Cinquante vers tous les matins, quelquefois cent. Tel un bon ouvrier, il tenait à une certaine
quantité de travail.
Michaël
Ca aura 15.000 vers et ce sera plus fort que Dante !
Charles
avait-il écrit à Lotte, son fidèle et confiant ami. L'œuvre publiée comptait près de 8.000 vers.
Eve est une œuvre cosmique. La voix qui s'élève est une grande voix, sensible ainsi dès les
premières strophes. L'alexandrin est l'instrument employé, avec la disposition en quatrains.
Le livre s'ouvre sur la parole de Jésus. Il s'adresse à la première femme et dresse pour elle le
tableau bucolique du Paradis terrestre.
Jésus parle…
Michaël
O mère ensevelie hors du premier jardin;
Vous n'avez plus connu ce climat de la grâce,
Et la vasque et la source et la haute terrasse,
Et le premier soleil sur le premier matin.
Et les bondissements de la biche et du daim
Nouant et dénouant leur course fraternelle
Et courant et sautant et s'arrêtant soudain
Pour mieux commémorer leur vigueur éternelle,
Et pour bien mesurer leur force originelle
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Et pour poser leurs pas sur ces moelleux tapis,
Et ces deux beaux coureurs sur soi-même tapis
Afin de saluer leur lenteur solennelle.
Et les ravissements de la jeune gazelle
Laçant et délaçant sa course vagabonde,
Galopant et frottant et suspendant sa ronde
Afin de saluer sa race intemporelle.
Charles
Et les dépassements du bouc et du chevreuil
Mêlant et démêlant leur course audacieuse
Et dressés tout à coup sur quelque immense seuil
Afin de saluer la terre spacieuse.
Et tous ces filateurs et toutes ces fileuses
Mêlant et démêlant l'écheveau de leur course,
Et dans le sable d'or des vagues nébuleuses
Sept clous articulés découpaient la Grande Ourse.
Et tous ces inventeurs et toutes ces brodeuses
Du lacis de leur pas découpaient des dentelles.
Michaël
Et ces beaux arpenteurs parmi ces ravaudeuses
Dessinaient des glacis devant des citadelles,
Une création naissante et sans mémoire
Tournante et retournante aux courbes d'un même orbe
Et la faîne et le gland et le coing et la sorbe
Plus juteux sous les dents que la prune et la poire.
Charles
Le ton de l'Eve de Péguy est celui de l'idylle. Mais très vite, après la première aube du monde,
la vie se manifeste aussitôt. Péguy aurait aussi bien pu, semble-t-il, nous faire assister
immédiatement à la naissance de la flore et nous aurions vu, comme très naturel sous sa
plume, l'épanouissement du blé dans le soleil de l'été et la floraison de la grappe. Mais le
poète a choisi, avec volonté, une vision du Paradis ouverte sur une réalité mouvante, active,
et ces jeux heureux de l'animal livré à sa nature et l'exaltant sont peut-être une façon de nous
faire souvenir que l'homme, à peine créé, n'a pas su demeurer heureux, et s'est placé audessous de la raison animale capable mieux que la sienne d'exalter "sa race intemporelle".
Michaël
Vous n'avez plus connu la terre maternelle
Fomentant sur son sein les faciles épis,
Et la race pendue aux innombrables pis
D'une nature chaste ensemble que charnelle.
Vous n'avez plus connu ni la glèbe facile,
Ni le silence et l'ombre et cette lourde grappe
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Ni l'océan des blés et cette lourde nappe,
Et les jours de bonheur se suivant à la file.
Vous n'avez plus connu ni cette plaine grasse,
Ni l'avoine et le seigle et leurs débordements,
Ni la vigne et la treille et leurs festonnements
Et les jours de bonheur se suivant à la trace.
Vous n'avez plus connu ce limon qui s'encrasse
A force d'être épais et d'être nourrissant ;
Vous n'avez plus connu le pampre florissant,
Et la race des blés jaillls pour votre race.
Vous n'avez plus connu l'arbre chargé de pommes
Et pliant sous le faix dans la mûre saison ;
Vous n'avez plus connu devant votre maison
Les blés enfants jaillis pour les enfants des hommes.
Ce qui depuis ce jour est devenu la fange
N'était encor qu'un lourd et plastique limon ;
Et la Sagesse même et le roi Salomon
N'eût point départagé l'homme d'avecque l'ange.
Charles
Péguy qui se doutait que son œuvre serait incomprise affirmait!
Michaël
Dante invente, moi, je découvre!
Charles
Aussi prépara-t-il une présentation de l'ouvrage, qui parut dans le Bulletin des professeurs
catholiques de l'Université, le 20 janvier 1914, sous la signature - un pseudonyme - de Durel.
Il ne cessa de remanier sa note, ce qui prouvait l'importance attribuée à cette introduction
critique au poème.
De plus le pseudonyme lui donnait toute liberté d'expression, l'auteur disparaissait devant le
créateur, tout ainsi lui était permis :
Michaël
Polyeucte excepté, que Péguy nous a enseigné à mettre au-dessus de tout, tout permet de
penser que cette Eve est l'œuvre la plus considérable qui ait été produite en chrétienté depuis
deux siècles.
Charles
Mais au fil des corrections, cela devient :
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Michaël
produite en catholicité depuis trois siècles!
Charles
puis après impression sur le jeu d'épreuves:
Michaël
produite en catholicité depuis le quatorzième siècle!
Toutes les forces de la création, toutes les ressources de la nature et de la grâce rapportées en
ordre en récolte aux pieds de Dieu.
Il ne fait aucun doute non plus que cette œuvre sera mise parmi les plus grandes.
Charles
Et moi je vous salue ô première mortelle.
Vous avez tant balsé les fronts silencieux,
Et la lèvre et la barbe et les dents et les yeux
De vos fils descendus dans cette citadelle.
Vous en avez tant mis dans le chëne et l'érable,
Et la pierre et la terre et les marbres plus beaux
Vous en avez tant mis sur le seuil des tombeaux.
Vous voici la dernière et la plus misérable.
Michaël
Vous en avez tant mis dans de pauvres linceuls,
Couchés sur vos genoux comme aux jours de l'enfance.
On vous en a tant pris qui marchaient nus et seuls
Pour votre sauvegarde et pour votre défense.
Vous en avez tant mis dans d'augustes, linceuls,
Pliés sur vos genoux comme des nourrlssons.
On vous en a tant pris de ces grêles garçons
Qui marchaient à la mort téméraires et seuls.
Charles
Vous en avez tant mis dans ces lourdes entraves,
Les seules qui jamais ne seront déliées,
De ces pauvres enfants qui marchaient nus et grave
Vers d'éterrnelles morts aussitôt oubliées.
Vous en avez tant mis dans ce lourd appareil,
Le seul qui de jamais ne sera résolu,
De ce jeune troupeau qui s'avançait pareil
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A des agneaux chargés d'un courage absolu.
Michaël
Vous en avez tant mis dans le secret des tombes,
Le seul qui jamais plus ne sera dévoilé,
Le seul qui de jamais ne sera révélé,
De ces enfants tombés comme des hécatombes,
Offerts à quelque dieu qui n'est pas le vrai Dieu,
Frappés sur quelque autel qui n'est pas holocauste,
Perdus dans la bataille ou dans quelgue avant-poste,
Tombés dans quelque lieu qui n'est pas le vrai Lieu.
Vous en avez tant mis au fond des catacombes,
De ces enfants péris pour sauver quelque honneur.
Vous en avez tant mis dans le secret des tombes,
De ces enfants sombrés aux portes du bonheur.
Vous en avez tant mis dans les plis d'un long deuil,
D'entre ceux qui marchaient taciturnes et braves.
On vous en a tant pris jusque sur votre seuil,
D'entre eux qui marchaient invincibles et graves.
Vous en avez tant mis le long des nécropoles,
Vous en avez tant pris sur vos sacrés genoux.
De ces fils qui venaient le long des métropoles,
Et marchaient et tombaient et qui mouraient pour vous.
Charles
Un pasteur suisse écrivit dans le Journal de Genève :
Michaël
Qui aujourd'hui lira Eve ? Quelques curieux de littérature et quelques fervents chrétiens.
Mais, en Sorbonne, dans cinquante ans, on présentera des thèses qui parleront d'elle, et quand
Péguy et ses héritiers ne toucheront plus de droits d'auteur, les bibliothèques populaires à
vingt-cinq centimes répandront ses travaux dans tout le peuple de France.
Charles
C'est sur les morts parallèles de Sainte Geneviève et de Jeanne d'Arc que Péguy terminera son
Eve :
Michaël
On avait fabriqué comme une estrade en planche.
Et l'antique Lutèce était déjà Paris.
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La neige déroulait un immense tapis.
L'histoire déroulait un immense discours.
La gloire en commençait un immense parcours.
Déjà l'humble Lutèce était le grand Paris.
Charles
Le neige découpait un immense parvis.
L'histoire préparait un immense destin.
La gloire se levait dans un jeune matin,
Et la jeune Lutèce était le vieux Paris.
L'autre est morte un matin et le trente de mai
Dans l'hésitation et la stupeur publiques.
Une forêt d'horreur, de haches et de piques
La tenaient circonscrite en un cercle fermé.
Et l'une est morte ainsi d'une mort solennelle
Sur ses quatre-vingt-dix ou quatre-vingt-douze ans
Et les durs villageois et les durs paysans,
La regardant vieillir l'avaient crue éternelle
Michaël
Et l'autre est morte ainsi d'une mort solennelle.
Elle n'avait passé ses humbles dix-neuf ans
Que de quatre ou cinq mois et sa cendre charnelle
Fut dispersée aux vents.
Charles
Ceci est le premier poème de La Chanson d'Eve de Charles Van Lerberghe, poète belge,
symboliste comme son contemporain Maurice Maeterlinck.
Michaël
C'est le premier matin du monde.
Comme une fleur confuse exhalée de la nuit,
Au souffle nouveau qui se lève des ondes,
Un jardin bleu s'épanouit.
Tout s'y confond encore et tout s'y mêle,
Frissons de feuilles, chants d'oiseaux,
Glissements d'ailes,
Sources qui sourdent, voix des airs, voix des eaux,
Murmure immense,
Et qui pourtant est du silence.
Ouvrant à la clarté ses doux et vagues yeux,
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La jeune et divine Eve
S'est éveillée de Dieu.
Et le monde à ses pieds s'étend comme un beau rêve.
Or Dieu lui dit: Va, fille humaine,
Et donne à tous les êtres
Que j'ai créés, une parole de tes lèvres,
Un son pour les connaître.
Charles
Et Eve s'en alla, docile à son seigneur,
En son bosquet de roses,
Donnant à toutes choses
Une parole, un son de ses lèvres de fleur:
Chose qui fuit, chose qui souffle, chose qui vole...
Cependant le jour passe, et vague, comme à l'aube,
Au crépuscule, peu à peu,
L'Eden s'endort et se dérobe
Dans le silence d'un songe bleu.
La voix s'est tue, mais tout l'écoute encore,
Tout demeure en attente;
Lorsque avec le lever de l'étoile du soir,
Eve chante.
Michaël
Très doucement, et comme on prie,
Lents, extasiés, un à un,
Dans le silence, dans les parfums
Des fleurs assoupies,
Elle évoque les mots divins qu'elle a créés;
Elle redit du son de sa bouche tremblante:
Chose qui fuit, chose qui souffle, chose qui vole...
Elle assemble devant Dieu
Ses premières paroles,
En sa première chanson.
Charles
Emile Verhaeren, autre poète de Belgique, ouvre son Paradis, qu'il dédie à André Gide, par
ces mots :
Michaël
Adam vivait, captif en des chaînes divines,
Eve écoutait le chant menu des sources fines,
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Le sourire du monde habitait ses beaux yeux ;
Un archange tranquille et pur veillait sur elle
Et, chaque soir, quand se dardaient, là-haut, les ors,
Pour que la nuit fût douce au repos de son corps,
L'archange endormait Ève au creux de sa grande aile.
Avec de la rosée au vallon de ses seins,
Elle se réveillait, candidement, dans l'aube ;
Et l'archange séchait aux clartés de sa robe
Les longs cheveux dont Ève avait empli sa main.
L'ombre se déliait de l'étreinte des roses
Qui sommeillaient encore et s'inclinaient là-bas ;
Et le couple montait vers les apothéoses
Que le jardin sacré dressait devant ses pas.
Pourtant, après des ans et puis des ans, un jour,
Eve sentit son âme impatiente et lasse
D'être à jamais la fleur sans sève et sans amour
D'un torride bonheur, monotone et tenace ;
Aux cieux, planait encor l'orageuse menace
Quand le désir lui vint d'en éprouver l'éclair.
Charles
Oh ! L’heureuse, subite et féconde démence,
Que l'ange, avec son cœur trop pur, ne comprit pas.
Ève voulait aimer, Adam voulait connaître ;
Et de la voir ainsi, vers l'ombre et la splendeur,
Tendue, il devina soudain quel nouvel être
Ève, à son tour, sentait naître et battre en son cœur.
Il s'approcha, ardent et gauche, avec la crainte
D'effaroucher ces yeux dans leur songe perdus ;
Des grappes de parfums tombaient des térébinthes
Et le sol était chaud de parfums répandus.
Il hésitait et s'attardait quand la belle Ève,
Avec un geste fier, s'empara de ses mains,
Les baisa longuement, lentement, comme en rêve,
Et doucement glissa leur douceur sur ses seins.
Jusqu'au fond de sa chair s'étendit leur brûlure.
Sa bouche avait trouvé la bouche où s'embraser,
Et ses doigts épandaient sa grande chevelure
Sur la nombreuse ardeur de leurs premiers baisers.
Michaël
Soudain
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Un nuage d'abord lointain,
Mais dont se déchaînait le tournoyant vertige
Au point de n'être plus que terreur et prodige,
Bondit de l'horizon au travers de la nuit.
Adam releva Eve et serra contre lui
Le pâle et doux effroi de sa chair frissonnante.
Le nuage approchait, livide et sulfureux,
Il était débordant de menaces tonnantes
Et tout à coup, au ras du sol, devant leurs yeux,
A l'endroit même où les herbes sauvages
Etaient chaudes encor
D' avoir été la couche où s'aimèrent leurs corps,
Toute la rage
Du formidable et ténébreux nuage
Mordit.
Et dans l'ombre la voix du Seigneur s'entendit.
Des feux sortaient des fleurs et des buissons nocturnes ;
Au détour des sentiers profonds et taciturnes,
L'épée entre leurs mains, les anges flamboyaient ;
On entendait rugir des lions vers les astres ;
Des cris d'aigle hélaient la mort et ses désastres ;
Tous les palmiers géants, au bord des lacs, ployaient
Sous le même vent dur de colère et de haine,
Qui s'acharnait sur Ève et sur Adam, là-bas,
Et dans l'immense nuit précipitait leurs pas
Vers les mondes nouveaux de la ferveur humaine
Charles
Rainer Maria Rilke écrit… « Mais le geste de ceux qui sont debout, aussi, se développe, se
ferme, se recroqueville comme un papier qui brûle; il devient plus fort, plus clos, plus animé.
Ainsi cette figure d'Eve qui primitivement devait être placée au-dessus de la Porte d'Enfer. La
tête s'enfonce profondément dans l'obscurité des bras qui se referment par-dessus la poitrine
comme chez quelqu'un qui a froid.
Le dos est arrondi, la nuque presque horizontale, la position Inclinée comme si elle prêtait
l'oreille à son propre corps où un avenir étranger commence à bouger.
Et c'est comme si la pesanteur de cet avenir agissait sur les sens de la femme et la tirait en bas,
hors de la vie distraite, dans l'esclavage profond et humble de la maternité.
Sans cesse, dans ses poses, Rodin est revenu à cette attitude repliée vers l'intérieur, à ce guet
tendu vers la profondeur intime. »
Pas d'Eve sans le serpent! Rodin nous le rappelle. Et c'est Valéry qui, avec toute cette ironie
qui le caractérise, propose un poème intitulé Ebauche d'un serpent. Le serpent est à la fois
celui qui se mord la queue, à la fois l'Innombrable Intelligence, celui qui modifie... En voici
quelques passages :
Michaël
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Parmi l'arbre, la brise berce
La vipère que je vêtis;
Un sourire, que la dent perce
Et qu'elle éclaire d'appétits,
Sur le Jardin se risque et rôde,
Et mon triangle d'émeraude
Tire sa langue à double fil...
Bête je suis, mais bête aiguë,
De qui le venin quoique vil
Laisse loin la sage ciguë!
Ève, jadis, je la surpris,
Parmi ses premières pensées,
La lèvre entr'ouverte aux esprits
Qui naissaient des roses bercées.
Cette parfaite m'apparut,
Son flanc vaste et d'or parcouru
Ne craignant le soleil ni l'homme;
Tout offerte aux regards de l'air,
L'âme encore stupide, et comme
Interdite au seuil de la chair.
J'étais présent comme une odeur,
Comme l'arôme d'une idée
Dont ne puisse être élucidée
L'insidieuse profondeur!
Et je t'inquiétais, candeur,
0 chair mollement décidée,
Sans que je t'eusse intimidée,
A chanceler dans la splendeur!
Bientôt, je t'aurai, je parie,
Déjà ta nuance varie!
Charles
"Rien, lui soufflais-je, n'est moins sûr
Que la parole divine, Ève!
Une science vive crève
L'énormité de ce fruit mûr!
N'écoute l'Être vieil et pur
Qui maudit la morsure brève!
Que si ta bouche fait un rêve,
Cette soif qui songe à la sève,
Ce délice à demi futur,
C'est l'éternité fondante, Ève! »
Michaël
Elle buvait mes petits mots
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Qui bâtissaient une œuvre étrange;
Son oeil, parfois, perdait un ange
Pour revenir à mes rameaux.
Le plus rusé des animaux
Qui te raille d'être si dure,
0 perfide et grosse de maux,
N'est qu'une voix dans la verdure.
- Mais sérieuse l'Ève était
Qui sous la branche l'écoutait!
Charles
« Ame, disais-je, doux séjour
De toute extase prohibée,
Sens-tu la sinueuse amour
Que j'ai du Père dérobée ?
Je l'ai, cette essence du Ciel,
A des fins plus douces que miel
Délicatement ordonnée...
Prends de ce fruit... Dresse ton bras!
Pour cueillir ce que tu voudras
Ta belle main te fut donnée!"
Michaël
O follement que je m'offrais
Cette infertile jouissance :
Voir le long pur d'un dos si frais
Frémir la désobéissance!...
Déjà délivrant son essence
De sagesse et d'illusions,
Tout l'Arbre de la Connaissance
Echevelé de visions,
Agitait son grand corps qui plonge
Au soleil, et suce le songe!
O Chanteur, ô secret buveur
Des plus profondes pierreries,
Berceau du reptile rêveur
Qui jeta l'Ève en rêveries,
Grand Être agité de savoir,
Qui toujours, comme pour mieux voir,
Grandis à l'appel de ta cîme,
Toi qui dans l'or très pur promeus
Tes bras durs, tes rameaux fumeux,
D'autre part, creusant vers l'abîme,
Tu peux repousser l'infini
Qui n'est fait que de ta croissance,
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Et de la tombe jusqu'au nid
Te sentir toute Connaissance!
Charles
Mais ce vieil amateur d'échecs,
Dans l'or oisif des soleils secs,
Sur ton branchage vient se tordre;
Ses yeux font frémir ton trésor.
Il en cherra des fruits de mort,
De désespoir et de désordre!
Michaël
Beau serpent, bercé dans le bleu,
Je siffle, avec délicatesse,
Offrant à la gloire de Dieu
Le triomphe de ma tristesse...
Il me suffit que dans les airs,
L'immense espoir de fruits amers
Affole les fils de la fange...
- Cette soif qui te fit géant,
Jusqu'à l'Être exalte l'étrange
Toute-Puissance du Néant!
Charles
Dans ses Contes barbares, Leconte de l'Isle nous transporte dans les mondes des
commencements et des apocalypses, des affrontements violents, des êtres colossaux.
Brunetière estimait que l'on n'avait rien écrit de plus largement humain que la XIIIe strophe
de La fin de l'homme.
Michaël
Voici. Caïn errait sur la face du monde.
Dans la terre muette Ève dormait, et Seth,
Celui qui naquit tard, en Hébron grandissait.
Comme un arbre feuillu, mais que le temps émonde,
Adam, sous le fardeau des siècles, languissait.
Or, ce n'était plus l'Homme en sa gloire première,
Tel qu'Iahvèh le fit pour la félicité,
Calme et puissant, vêtu d'une mâle beauté,
Chair neuve où l'âme vierge éclatait en lumière
Devant la vision de l'immortalité.
L'irréparable chute et la misère et l'âge
Avaient courbé son dos, rompu ses bras nerveux,
Et sur sa tête basse argenté ses cheveux.
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Tel était l'Homme, triste et douloureuse image
De cet Adam pareil aux Esprits lumineux.
Un soir, il se leva. Le soleil et les ombres
Luttaient à l'horizon rayé d'ardents éclairs,
Les feuillages géants murmuraient dans les airs,
Et les bêtes grondaient aux solitudes sombres.
II gravit des coteaux d'Hébron les rocs déserts.
Charles
Là, plus haut que !es bruits flottants de la nuit large,
L'Hôte antique d'Eden, sur la pierre couché,
Vers le noir Orient le regard attaché,
Sentit des maux soufferts croître la lourde charge :
Eve, Abel et Qaïn, et l'éternel péché !
Ève, l'inexprimable amour de sa jeunesse,
Par qui, hors cet amour, tout changea sous le ciel !
Et le farouche enfant, chaud du sang fraternel !...
L'Homme fit un grand cri sous la nuée épaisse,
Et désira mourir comme Eve et comme Abel !
Grâce ! J'ai tant souffert, j'ai pleuré tant de larmes,
Seigneur ! J'ai tant meurtri mes pieds et mes genoux...
Elohim ! Élohim ! de moi souvenez-vous !
J'ai tant saigné de l'âme et du corps sous vos armes,
Que me voici bientôt insensible à vos coups !
Michaël
Salut, ô noirs rochers, cavernes où sommeille
Dans l'immobile nuit tout ce qui me fut cher...
Hébron ! muet témoin de mon exil amer,
Lieu sinistre où, veillant l'inexprimable veille,
La femme a pleuré mort le meilleur de sa chair !
Et maintenant, Seigneur, vous par qui j'ai dû naître,
Grâce ! Je me repens du crime d'être né...
Seigneur, je suis vaincu, que je sois pardonné !
Vous m'avez tant repris ! Achevez, ô mon Maître !
Prenez aussi le jour que vous m'avez donné.
L'Homme ayant dit cela, voici, par la nuée,
Qu'un grand vent se leva de tous les horizons
Qui courba l'arbre altier au niveau des gazons,
Et, comme une poussière au hasard secouée,
Déracina les rocs de la cime des monts.
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Et sur le désert sombre, et dans le noir espace,
Un sanglot effroyable et multiple courut,
Chœur immense et sans fin, disant : - Père, salut !
Nous sommes ton péché, ton supplice et ta race...
Meurs, nous vivrons ! - Et l'Homme épouvanté mourut.
Charles
En 1875, Verlaine travaille à des "cantiques spirituels"; il rêve alors d'un "immense" poème
sacré sur la Vierge : Le Rosaire, toutes les civilisations et toutes les légendes, depuis Adam et
Eve jusqu'à présent.
Jamais les poèmes les plus authentiques de Verlaine ne s'organisent, autour d'un thème
reconnaissable, préexistant en quelque sorte au poème, traduisible en termes conceptuels,
isolable et, finalement, extérieur au poème lui-même. Et cependant rien de plus révélateur que
ces deux sonnets de Melancholia où jamais le nom d'Eve n'est prononcé où sans cesse en
filigrane il surgit :
Mon rêve familier
Michaël
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
Pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse? - Je l'ignore.
Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
Charles
À une femme
Michaël
A vous ces vers de par la grâce consolante
De vos grands yeux où rit et pleure un rêve doux,
De par votre âme pure et toute bonne, à vous
Ces vers du fond de ma détresse violente.
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C'est qu'hélas ! le hideux cauchemar qui me hante
N'a pas de trêve et va furieux, fou, jaloux,
Se multipliant comme un cortège de loups
Et se pendant après mon sort qu'il ensanglante!
Oh! je souffre, je souffre affreusement, si bien
Que le gémissement premier du premier homme
Chassé d'Eden n'est qu'une églogue au prix du mien!
Et les soucis que vous pouvez avoir sont comme
Des hirondelles sur un ciel d'après-midi,
Chère, - par un beau jour de septembre attiédi.
Charles
L’extravagant poète et écrivain Pierre Albert-Birot écrit dans Les Mémoires d'Adam
« Je t'aime Adam, tu es beau ». C'est vrai, je lui ai dit ça, et c'est vrai qu'il est beau, mais je
crois que j'ai eu tort de le dire si vite.... et si complètement.... je ne sais pas très bien pourquoi,
mais sûrement j'ai eu tort.... c'est bien assez qu'il le voie à la façon dont je le regarde .... et je
ne peux pourtant pas ne pas le regarder avec plaisir, parce que vraiment il est beau à voir.... et
encore.... est-il vraiment si beau que ça..... il ressemble tout de même un peu à une bête, avec
tous ses poils…
Moi je ne suis pas une bête comme lui.... et pourtant.... oui, j'aime tous ces poils, j'aime les
sentir me frotter la peau, il me semble que je suis dans les bras d'une bête.... d'une bête qui
aurait des bras et qui ne me fait pas peur ..... oui, il est beau.... et pourtant le Dieu-de-Gauche
lui, n'a pas de poils.... mais ce n'est pas la même chose.... oui Adam est beau..... j'aime aller
chercher sa bouche dans tout ce poil....
C'est gentil de sa part d'avoir inventé pour moi le féminin ..... je suis « elle » « une » « la », et
surtout que ce féminin est pour mol seule, tout le reste des choses c'est du lui, du un, du le,
comme Adam lui-même, comme ça je suis bien à part...., oui, mais alors quand il a eu cette
idée-là, il me trouvait donc tout à fait autre chose que lui....
peut-être même quelque chose d'étranger à lui..... alors il m'aurait donné ce féminin pour
bien marquer que je n'étais pas lui et qu'il ne voulait pas me mettre en lui... alors je ne suis
donc jamais en lui.... même quand il est en moi.... et alors ma foi, c'est vrai,
c'est mol qui le mange, plutôt que lui, mol.... je suis l'entrée et lui l'entrant.... lui me donne,
moi je reçois, le féminin est ce qui reçoit .....Adam entre dans le féminin, mais le féminin
n'entre pas dans Adam .....serait-ce possible..... allons allons, je suis folle, quand nous sommes
bien embarrés je suis lui, il est "elle", c'est Adam-Eve ....oui
mais tout de même il y a un trait d'union....et ce trait qui unit c'est tout de même quelque
chose qui sépare .....et je sens bien que je ne pourrais pas écrire AdamEve..
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ah et puis zut, qu'est-ce que je vais chercher là, c'est lui Adam, avec «ses Mémoires», qui me
fait faire comme lui des réflexions de derrière en derrière, je n'écris plus, c'est stupide de
refléchir tant que ça, j'aime mieux la barre..... »
Michaël
Paris ou Meudon, 5 novembre 1911
Cher Monsieur Liebermann,
Un de vos amis vient me demander un rendez-vous pour m'exprimer d'acquérir une de mes
œuvres : L'Age d'airain. J'ai répondu à cet ami chargé par vous de se mettre en rapport avec
moi que je consentais bien volontiers à vous céder une épreuve de l'Age d'airain au prix de
7000 francs : prix que je fais spécialement pour vous.
Voudriez, je vous prie, cher Monsieur Liebermann, avoir la toute obligeance de m'écrire un
mot pour me donner confirmation de cette commande.
Monsieur Meyer me demande aussi de céder à un amateur de Berlin pour le même prix de
7.000 francs une épreuve en bronze de mon Eve. Mais ce prix de 7.000 frs est, comme je vous
l'ai dit, un prix d'ami fait pour vous.
Mais il m'est impossible de donner à un simple amateur un exemplaire de mon Eve à ce prix.
Le prix de l'Eve serait de 10.000 francs.
Veuillez agréer, cher Monsieur Liebermann, l'expression de mon admiration et de mon
affectueuse amitié.
Auguste Rodin.
Charles
La femme n’a pas de prix…
Et pour finir ce chant à celle qui est l’avenir de l’homme, qui mieux qu’Andrée Chédid pour
dire la femme des longues patiences…
Michaël
Dans les sèves
Dans sa fièvre Écartant ses voiles
Craquant ses carapaces
Glissant hors de ses peaux
La femme des longues patiences se met lentement au monde
Dans ses volcans
Dans ses vergers
Cherchant cadence et gravitations
Étreignant sa chair la plus tendre
Questionnant ses fibres les plus rabotées
La femme des longues patiences se donne lentement le jour.
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