Droit pénal

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Droit pénal
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CONCOURS COMPLEMENTAIRE 2014
Droit pénal
Coaction et complicité
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Fauconnet a remarquablement décrit la démarche hésitante de la recherche sociale et juridique
du responsable pénal. Dès que les réactions émotionnelles ont abouti à l’incrimination d’un acte, « la
responsabilité est créée, sans qu’il y ait encore de responsable. Elle plane sur tous. Elle préexiste,
flottante, et elle se fixe ensuite sur tels ou tels sujets ». La réflexion juridique doit alors intervenir pour
discipliner cet ajustement de la répression à sa proie et rendre la sanction aussi juste que possible. De
là la consécration, dans notre droit pénal, du principe selon lequel « nul n’est responsable pénalement
que de son propre fait » (art. 121-1 CP).
Si la mise en œuvre d’une telle règle ne soulève pas de difficultés lorsque l’infraction est le fait d’un seul
délinquant, elle se complique lorsque l’infraction a été commise avec la coopération de plusieurs personnes,
puisqu’il s’agit alors de démasquer et d’individualiser le fait personnel qui est ainsi enchevêtré dans le fait
collectif. Pour répondre individuellement d’une infraction commise à plusieurs, il est ainsi nécessaire d’avoir
personnellement participé à l’infraction en jouant au cours de la réalisation matérielle de cette action
délictueuse l’un des rôles que la loi incrimine, et en jouant ce rôle dans les conditions précises où il est
légalement incriminé. Pour mieux différencier les rôles que peuvent tenir les différents protagonistes d’une
infraction, les romains multipliaient les distinctions nominales : auctores, socii, fautores, participes, consui,
adjutores, ministri. Sans s’attacher à un tel raffinement, l’analyse du droit pénal français met en relief deux
types d’emplois : l’auteur ou coauteur (participants principaux) et le complice (participant accessoire). Le Code
Pénal, dans son article 121-4, définit l’auteur de l’infraction comme « la personne qui commet les faits
incriminés, ou tente de commettre un crime ou un délit dans les cas prévus par la loi ». Doit donc être qualifié
d’auteur ou coauteur celui qui commet la totalité des éléments constitutifs de l’infraction tels que décrits par la
loi ou, quand la tentative est incriminée, tente de commettre l’infraction. A l’inverse, le complice est l’individu
qui, sans accomplir personnellement les éléments constitutifs de l’infraction imputables à l’auteur, a seulement
facilité ou provoqué l’action principale par des agissements d’une importance matérielle secondaire. Le
complice ne doit pas être confondu avec le receleur. En effet, ce dernier ne participe pas à la commission d’une
infraction pénale, mais intervient après que celle-ci ait été entièrement commise (ex : l’aide apportée au criminel
après la commission de l’infraction caractérise le recel de malfaiteur). A la différence du complice, le receleur
est un auteur : il est auteur de l’infraction de recel puisqu’il en a commis la totalité des éléments constitutifs tels
que définis par la loi. Contrairement au recel, la complicité n’est pas une infraction pénale en tant que telle,
mais un mode de participation à toutes les infractions pénales. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle est
prévue au sein de la partie générale, et non de la partie spéciale du Code pénal.
Ainsi défini, le complice apparaît nettement distinct du coauteur de l’infraction. A la différence de notion,
répond très logiquement une différence de régime : la mise en œuvre de la responsabilité pénale du complice
n’obéit pas aux mêmes règles que la mise en œuvre de la responsabilité pénale du coauteur. Notamment, la
complicité est subordonnée à l’existence d’une infraction principale punissable. En effet, la complicité ne peut
être envisagée à défaut d’avoir au préalable démontré le caractère délictueux de l’action d’autrui avec laquelle
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les agissements du prévenu ont été en relation. Comme le constate M. Carbonnier, « le délit d’autrui
s’incorpore à la définition du contrat de complicité comme le contrat violé entre dans la formule de l’abus de
confiance, comme le crime glorifié fait partie intégrante du délit d’apologie ». Dans la même perspective, les
éléments constitutifs propres à caractériser la coaction se distinguent nettement des éléments constitutifs
requis pour démontrer la complicité. Par exemple, alors que le coauteur commet la totalité des éléments
constitutifs de l’infraction tels que définis par la loi, le complice y participe d’une manière que l’on pourrait
qualifier de secondaire, soit en y apportant aide ou assistance, soit par instigation.
Cependant, sous l’effet des évolutions législatives et jurisprudentielles, la dissociation entre complicité et
coaction tend à devenir de moins en moins nette. D’abord, la multiplication des incriminations autonomes
d’aide, d’assistance ou de provocation à l’infraction alimente la confusion entre auteur et complice. Ainsi, par
exemple, il devient très difficile, depuis la loi du 9 mars 2004, distinguer entre le complice par provocation d’un
assassinat ou d‘un empoisonnement et l’auteur d’un « mandat criminel ». C’est aussi la jurisprudence qui a
contribué à amoindrir le particularisme de la complicité, pour les nécessités de la répression, en considérant
qu’un coauteur est nécessairement un complice (Crim. 15 juin 1960), ou en qualifiant de coauteur une
personne qui n’avait en réalité commis que des actes de complicité par aide ou assistance (Crim. 24 août
1827). Enfin, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a, à son tour, semé le trouble sur
la question de la distinction entre auteur et complice en donnant naissance à un cas spécial de complicité
consistant dans le fait d’enregistrer, sur tout support, la commission d’infractions sexuelles ou violentes. L’idée
même de l’existence d’un cas spécial de complicité est de nature à rapprocher la complicité, mode de
participation à toutes les infractions, des différentes incriminations particulières. Mais plus encore, en même
temps qu’il institue le nouveau cas spécial de complicité, le législateur créée une nouvelle infraction autonome
consistant dans le fait de diffuser les images ainsi enregistrées.
Ces évolutions posent immanquablement la question de savoir dans quelle mesure la distinction entre
coaction et complicité a conservé sa pertinence.
Aussi convient-il de mettre en rapport la distinction originelle entre complicité et coaction (I), avec le
rapprochement contemporain entre ces deux modes de participation à l’infraction (II).
I – La distinction originelle entre complicité et coaction
Complicité et coaction apparaissent constituer deux modes de participation à l’infraction nettement
distincts l’un de l’autre. Outre le fait que les responsabilités pénales du coauteur d’une part, et du complice
d’autre part, se révèlent être d’une nature très différente (A), les éléments constitutifs requis pour conclure à
l’engagement de la responsabilité dans l’un et l’autre cas sont clairement dissociés (B).
A) Complicité et coaction, des responsabilités pénales distinctes quant à leur nature
Par nature, la responsabilité pénale du complice s’avère très différente de celle du coauteur. Cette
distinction s’exprime non seulement quant au fondement de l’engagement de chacune de ces deux
responsabilités (1), mais aussi quant aux conséquences de leur mise en jeu (2).
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1) Des responsabilités pénales distinctes quant à leur fondement
Complices et coauteurs ne voient pas leurs responsabilités pénales engagées sur le même fondement. Alors
que la responsabilité pénale du coauteur est indépendante de celle des autres participants à l’infraction, celle
du complice est une responsabilité pénale accessoire. Cette distinction fondamentale entre complicité et
coaction tient à la nature même des agissements commis par ces deux catégories de participants à l’infraction.
En effet, un coauteur accomplit par définition la totalité des éléments constitutifs de l’infraction tels que définis
par la loi. On parle ainsi de coaction quand une infraction est le fait de plusieurs personnes, et que chacune
d’elles a commis tous les éléments constitutifs de l’infraction. La responsabilité pénale d’un coauteur est par
conséquent autonome, de telle sorte qu’elle peut être mise en jeu et subsister indépendamment du sort réservé
aux autres participants à l’infraction.
En revanche, la responsabilité pénale du complice est étroitement subordonnée à l’existence d’une infraction
principale punissable. La règle suivant laquelle il n’y a pas de complicité punissable sans infraction principale
résulte de la théorie de l’unité de l’infraction qui fait que l’acte de complicité est un acte accessoire rattaché à un
comportement principal dont il emprunte la criminalité. L’existence d’une infraction principale est donc
nécessaire à la constitution de la complicité. C’est la raison pour laquelle on enseigne classiquement que la
complicité de suicide n’est pas susceptible d’être pénalement poursuivie au titre de la complicité, le suicide
proprement dit n’étant pas lui-même incriminé. De même, un individu qui provoque un tiers à commettre une
infraction qu’il ne commet finalement pas et ne tente pas n’est pas punissable au titre de la complicité
(hypothèse de l’arrêt Lacour, Crim 25 oct. 1962). Lorsque l’action principale tombe sous le coup de la loi
pénale, elle communique à l’acte de complicité sa qualification. Le fait que la complicité se trouve ainsi
étroitement dépendante d’une infraction principale caractérise en grande partie la singularité de ce mode de
participation à l’infraction.
2) Des responsabilités pénales distinctes quant à leurs conséquences
Les responsabilités pénales des complices et coauteurs reposant sur des fondements distincts, la
différenciation se poursuit lorsque l’on s’intéresse aux effets de l’engagement de ces responsabilités. La
répression applicable au coauteur est ainsi indépendante de celle des autres participants à l’infraction. S’il est
vrai que le coauteur encourt les peines prévues au titre de l’infraction commise, à l’image de ses comparses
également coauteurs, sa peine peut se trouver alourdie par le jeu de circonstances aggravantes personnelles,
qui ne concerneront pas les autres participants à l’infraction. A l’inverse, le coauteur n’est pas susceptible de
voir sa peine aggravée par le jeu de circonstances aggravantes personnelles à d’autres participants. A l’image
du fondement de la mise en jeu de sa responsabilité, la répression qu’il encourt est autonome.
La situation est différente s’agissant du complice. Sous l'empire du code pénal de 1810, l'article 59 décidait que
les complices seraient punis des mêmes peines que les auteurs. La jurisprudence, établie depuis le XIXe
siècle, en déduisait qu’une circonstance aggravante liée à la qualité de l'auteur principal s'étendait au complice.
Le code actuel a modifié la formule, et l'article 121-6 énonce que le complice sera puni « comme auteur ».
Cette disposition avait, jusqu'à présent, embarrassé les interprètes : certains, à partir de la lettre même du
texte, considéraient que la solution traditionnelle devait être abandonnée et que, par exemple, le complice du
fils parricide n'encourait que les peines du meurtre simple (V. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, F. Le
Gunehec et F. Desportes, Droit pénal général) ; d'autres, au contraire, se fondant sur le maintien du principe de
l'emprunt de criminalité, estimaient que, comme par le passé, la circonstance aggravante liée à une qualité de
l'auteur principal devait s'étendre au complice (P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général). C'est
cette seconde interprétation qu’a consacrée la Chambre criminelle le 7 septembre 2005, en énonçant dans un
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attendu de principe que : « sont applicables au complice les circonstances aggravantes liées à la qualité de
l'auteur principal ». Ainsi, le simple fait qu’une circonstance aggravante tenant à une qualité personnelle soit
caractérisée à l’encontre de l’auteur, suffit pour que le complice encourt les peines découlant de l’infraction
aggravée par cette circonstance, et ce alors même qu’une telle cause d’aggravation n’est pas caractérisée en
sa personne. Cette solution a notamment pour conséquence de renforcer le caractère accessoire par rapport à
une infraction principale de la complicité.
Complicité et coaction apparaissent donc comme deux modes de participation à l’infraction essentiellement
distincts quant à la nature des responsabilités pénales qu’ils engagent. L’examen des éléments constitutifs qui
sont reprochés à chacune de ces deux catégories de participants à l’infraction confirme cette dissociation.
B) Complicité et coaction, des éléments constitutifs distincts quant à leur contenu
Les éléments constitutifs des infractions susceptibles d’engager la responsabilité pénale diffèrent selon
que l’on s’intéresse au complice ou au coauteur. Cela se vérifie que l’on se tourne vers l’élément matériel (1),
ou vers l’élément moral (2).
1) Quant à l’élément matériel
Les agissements reprochés aux coauteurs se distinguent très nettement de ceux que l’on
reproche aux complices. En effet, l’élément matériel requis pour que la responsabilité pénale soit
engagée n’est pas le même dans l’un et l’autre cas. Il est nécessaire pour engager la responsabilité
pénale d’un participant à l’infraction au titre de la coaction de démontrer qu’il a lui-même adopté le
comportement prohibé par la loi au titre de l’infraction considérée. Un individu ne sera par exemple
coauteur d’un vol qu’à la condition d’avoir lui-même soustrait la chose d’autrui (art. 311-1 CP), il ne
sera coauteur d’un homicide volontaire que s’il a lui-même provoqué la mort d’autrui… Bref, l’élément
matériel exigé s’agissant d’un coauteur est identique à celui qui est requis à l’encontre de l’auteur :
pour être pénalement responsable au titre de la coaction, la personne doit avoir commis le
comportement prohibé par la loi s’agissant des infractions de commission, et omis le comportement
imposé dans le cadre des infractions d’omission.
L’élément matériel requis pour engager la responsabilité pénale d’un complice est très
différent. Par définition, le complice ne commet pas les éléments constitutifs de l’infraction tels que
définis par la loi, mais participe à sa commission suivant les modalités décrites par le législateur. Ainsi,
la caractérisation de la complicité suppose au titre de son élément matériel que la participation du
complice à l’infraction ait pris l’une des formes limitativement énumérées par l’art. 121-7 CP. Selon ce
texte, l’élément matériel de la complicité peut consister soit dans l’aide ou assistance, soit dans
l’instigation. Il suffit que l’un de ces faits ait été constitué pour justifier la condamnation judiciaire au
titre de la complicité. L’aide ou l’assistance apportée à l’auteur ou au coauteur au cours de l’entreprise
criminelle est le cas le plus fréquent de complicité. Les formes que revêt cette aide ou assistance sont
très variées. Il faut par exemple y ranger ce que l’art. 60 de l’ancien code pénal appelait la « fourniture
de moyens ». L’instigateur d’une infraction est quant à lui celui qui, sans participer physiquement à
l’infraction, a suggéré à l’auteur matériel de la commettre. Il est en réalité l’une des causes
génératrices de l’infraction. L’instigation n’est dans notre droit constitutive de complicité que si elle
s’est exprimée sous la forme d’une provocation ou sous la forme d’instructions adressées à l’auteur
matériel. La complicité par provocation présente cette particularité de n’être punissable que dans la
mesure où elle a été accompagnée des circonstances décrites par l’art. 121-7 al.2 CP, qui sont
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destinées à la renforcer et à la rendre plus suggestive : don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité
ou de pouvoir. La complicité par fourniture d’instructions constitue quant à elle en quelque sorte une
variété de provocation et souvent se conjugue avec celle-ci. Néanmoins, les instructions suffisent ici à
conférer à l’instigateur la qualité de complice sans qu’il soit nécessaire qu’elles aient été
accompagnées de l’une des circonstances visées à l’art. 121-7 CP, à propos de la provocation
proprement dite.
Coauteur et complice ne participent donc pas à l’infraction suivant les mêmes modalités. Leurs
postures intellectuelles sont également nettement distinctes.
2) Quant à l’élément moral
L’élément moral requis au titre de la coaction est également très différent de l’élément moral exigé au titre de la
complicité. S’agissant des infractions intentionnelles, il est nécessaire pour engager la responsabilité pénale
d’un coauteur de démontrer l’existence d’un dol général, consistant dans la volonté de commettre l’acte en
ayant conscience de violer la loi pénale. Mais, le plus souvent, le seul dol général ne suffit pas à caractériser
l’intention du coauteur. Il faut encore rapporter la preuve de l’existence d’un dol spécial. Ainsi, le coauteur d’un
homicide volontaire devra avoir été animé de l’intention de tuer, le coauteur d’un vol ne verra sa responsabilité
pénale engagée à ce titre que s’il a eu l’intention de se comporter en propriétaire de la chose soustraite…
Là encore, la situation du complice est très différente. Nul ne conteste que la complicité est un mode
intentionnel de participation à l’infraction. L’article 121-7 CP traduit cette exigence de manière explicite à l’égard
du complice qui doit avoir aidé « sciemment » l’auteur, et plus implicitement à l’égard de l’instigateur, qui doit
l’avoir « provoqué à » une infraction ou l’avoir instruit « pour » la commettre. C’est dire que le complice agit
d’une part, en ayant conscience de son aide ou de son instigation et d’autre part, en connaissance du fait
infractionnel de l’auteur principal. Toutefois, l’intention exigée en matière de complicité ne doit pas être
confondue avec l’intention requise au titre de la coaction. La première correspond à une condition subjective
d’imputation de l’infraction commise par autrui, alors que la seconde constitue l’élément psychologique de cette
infraction. C’est dire que l’intention du complice ne doit pas être nécessairement dirigée vers le résultat de
l’infraction principale, du moment qu’elle soit tendue vers l’activité de l’auteur principal. Le complice d’un
homicide volontaire, pourra ainsi voir sa responsabilité pénale engagée, alors même qu’il n’a pas été animé
d’une intention du tuer, dès lors qu’il s’est associé consciemment et librement aux agissements de l’auteur.
Complicité et coaction apparaissent ainsi constituer deux modes de participation à l’infraction
essentiellement distincts l’un de l’autre, tant en ce qui concerne la nature des responsabilités pénales
engagées, que s’agissant des éléments constitutifs requis pour que ces responsabilités soient mises en jeu.
Néanmoins, cette dissociation traditionnelle du complice et du coauteur tend à être remise en cause par les
évolutions contemporaines du droit répressif.
II – Le rapprochement contemporain entre complicité et coaction
La distinction entre complicité et coaction a perdu une grande part de son intérêt, accréditant ainsi
l’idée d’un rapprochement entre ces deux modes de participation à l’infraction. Ce rapprochement trouve sa
source aussi bien dans les évolutions législatives (A), que dans les évolutions jurisprudentielles (B).
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A) Un rapprochement initié par le législateur
Les évolutions législatives contemporaines ont contribué à amoindrir la distinction entre complicité et
coaction, rendant ainsi difficilement lisible la distinction entre ces deux modes de participation de l’infraction. Le
rapprochement entre les éléments matériels requis (1), et l’assimilation répressive des différents participants à
l’infraction (2) constituent certainement les illustrations les plus évocatrices de cette tendance législative.
1) Le rapprochement des éléments matériels
La distinction entre l’élément matériel requis au titre de la complicité d’une part et de la coaction
d’autre part s’est trouvée significativement amoindrie par deux séries d’initiatives législatives. Premièrement,
l’essor d’un droit pénal à vocation préventive a favorisé la multiplication dans notre arsenal répressif
d’infractions obstacles, lesquelles ont pour particularité d’intervenir très tôt sur l’iter criminis. Parmi ces
infractions, nombreuses sont celles qui incriminent à titre principal le fait de provoquer à la commission d’une
infraction pénale. Le respect du principe de la légalité criminelle impose de ne pas confondre le complice par
instigation avec l’auteur d’une infraction incriminant à titre autonome l’instigation. Même s’ils commettent des
agissements identiques à ceux des complices par provocation, les auteurs de telles infractions ne sont
finalement pas différents des auteurs traditionnels en ce qu’ils réunissent sur leur tête tous les éléments
constitutifs de l’infraction. On ne trouvait jusque récemment dans notre droit les incriminations autonomes de
provocation qu’à titre exceptionnel, dans des cas graves et dans un souci de sévérité. Par exemple, l’art. 211-1
sur le génocide définit l’infraction comme le fait de « commettre ou de faire commettre » l’acte. Mais, dans le
souci d’appréhender toujours davantage la dangerosité indépendamment des conséquences qu’elle pourrait
produire, le législateur contemporain a multiplié ce type d’hypothèses. Ainsi, la loi du 9 mars 2004 portant
adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a donné naissance à l’infraction de mandat criminel
consistant dans « le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons,
présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette un assassinat ou un empoisonnement, lorsque ce
crime n’a été ni commis ni tenté » (art. 221-5-1 CP). A sa suite, la loi 4 avril 2006 renforçant la prévention et la
répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, a institué un nouvel article 22728-3 CP, qui incrimine le « fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des
dons, présents ou avantages quelconques afin qu'elle commette à l'encontre d'un mineur » des infractions à
caractère sexuel. Plus récemment, la loi du 21 décembre 2012 renforçant la répression du terrorisme a donné
naissance à une nouvelle infraction de ce type, incriminant à titre autonome le recrutement à finalité terroriste.
Une telle prolifération des incriminations autonomes de provocation rend bien délicate la distinction entre les
auteurs de telles infractions et les complices par instigation des infractions finales. Comment distinguer en effet
entre l’auteur d’un mandat criminel et le complice par provocation d’un assassinat ? Juridiquement, il s’agit des
mêmes personnes.
Deuxièmement, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a institué une
hypothèse de complicité spéciale, dont les contours sont difficiles à distinguer de ceux de la coaction. En effet,
ce texte a introduit, au sein du code pénal, un article 222-33-3, tendant à réprimer la pratique dite du « happy
slapping ». Plus précisément, le nouvel article 222-33-3, en son alinéa 1er, dispose qu' « est constitutif d'un
acte de complicité des atteintes volontaires à l'intégrité de la personne prévues par les articles 222-1 à 222-141 et 222-23 à 222-31 et est puni des peines prévues par ces articles le fait d'enregistrer sciemment, par
quelque moyen que ce soit, des images relatives à la commission de ces infractions ». L'alinéa 2, quant à lui,
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vient incriminer à titre autonome « le fait de diffuser de telles images ». Ce nouveau cas de complicité, en ce
qu’il est textuellement construit comme une infraction à part entière, rend très délicate la distinction entre la
complicité, mode de participation à l’infraction, et les incriminations spéciales ; entre le complice et l’auteur. La
confusion est d’autant plus alimentée que, si celui qui enregistre la commission d’une des infractions visées par
le législateur est qualifié de complice, celui qui diffuse les images ainsi enregistrées devient l’auteur d’une
infraction autonome (art. 222-33-3 al. 2 CP). Ainsi, une même personne pourra successivement, dans une
même affaire, pour des agissements voisins, revêtir les qualités de complice puis d’auteur. Quant à l’auteur de
l’infraction initiale, dont on peut tout à fait imaginer qu’il provoque ou apporte aide ou assistance à la diffusion
des images, il deviendra complice de son complice initial, sur le fondement des articles 121-6 et 121-7 CP, du
nouveau délit de diffusion des images enregistrées. Bref, l’élément matériel de la complicité a ici perdu
beaucoup de sa spécificité, et la complicité toute entière s’est rapprochée de la coaction.
2) Le rapprochement des modalités de la répression
En procédant à une assimilation répressive des différents participants à l’infraction, le législateur a
encore amoindri l’intérêt de la distinction entre complice et coauteur. Cette assimilation répressive trouve sa
première expression sur le terrain des circonstances aggravantes de réunion et da bande organisée. En effet,
le fait qu’une infraction soit le résultat des agissements de plusieurs personnes a le plus souvent pour effet
d’aggraver la répression par l’intermédiaire du mécanisme des circonstances aggravantes de réunion d’une
part, et de bande organisée d’autre part. Ces deux circonstances aggravantes ont pour point commun de
reposer sur la pluralité de participants à l’infraction, sans que leurs qualités ne soient précisées. Ainsi, ces
circonstances s’appliquent, que la collectivité de l’infraction résulte de l’alliance d’un auteur et d’un complice ou
de celle de plusieurs coauteurs. Il n’en a pas toujours été ainsi, puisque, sous l’empire de l’ancien Code pénal,
la circonstance aggravante de réunion nécessitait pour être retenue la présence sur place de plusieurs auteurs.
La jurisprudence avait alors, pour les besoins de la répression, pris appui sur la théorie de la complicité corespective, qualifiant de coauteurs des personnes qui n’avaient en réalité commis que des actes de complicité
par aide ou assistance (Crim. 24 août 1827). Une telle solution permettait notamment alors de retenir la
circonstance aggravante de réunion, notamment en présence d’au auteur et d’un guetteur. Pour mettre un
terme à une telle entorse faite au principe de l’interprétation stricte de la loi pénale, le législateur a saisi
l’occasion de l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal pour aligner les conséquences de la complicité et de
la coaction sur le jeu de la circonstance aggravante de réunion. La distinction entre coauteur et complice a ainsi
perdu son intérêt quant à l’application des circonstances aggravantes reposant sur la collectivité de l’infraction.
Les règles relatives à la mise en œuvre de la répression accordent également peu d’intérêt à la
distinction entre complicité et coaction. Ainsi, par exemple, il est acquis en législation que la prescription de
l’action publique de la complicité est indissociable de celle de l’infraction principale : identité de durée du délai
de prescription, identité de point de départ, identité d’actes interruptifs ou suspensifs de prescription (tout acte
interruptif ou suspensif à l’égard de l’auteur produit effet à l’égard du complice, et inversement). Les règles sont
identiques s’agissant des coauteurs. Par ailleurs, complicité et coaction sont toujours indivisible de l’infraction
qu’elles accompagnent, ce qui emporte plusieurs conséquences, parmi lesquelles la jonction des procédures.
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Coaction et complicité se confondant désormais au moins en partie quant à leurs éléments matériels, et
emportant l’application d’un régime répressif identique, tant en ce qui concerne le contenu de la répression que
s’agissant de sa mise en œuvre, la distinction entre ces deux modes de participation à l’infraction se trouve
nettement amoindrie. C’est également cette tendance qu’accréditent les évolutions jurisprudentielles les plus
récentes relatives à ces deux notions.
B) Un rapprochement initié par la jurisprudence
La jurisprudence a également largement contribué à affaiblir la dissociation entre coaction et
complicité, d’une part en atténuant le caractère accessoire de la complicité, la rapprochant ainsi de la coaction
(1), et, d’autre part, en confondant les éléments moraux de ces deux modes de participation à l’infraction (2).
1) L’amoindrissement du caractère accessoire de la complicité
Nous expliquions précédemment (I- A) que le caractère accessoire de la complicité constitue
l’un des principaux critères de distinction entre complice et coauteur. En effet, le fait que
traditionnellement la complicité ne soit incriminée qu’en présence d’une infraction principale
punissable distingue très nettement ce mode de participation à l’infraction de la coaction, autonome.
Toutefois, la jurisprudence s’est montrée, au fil de ses décisions, de moins en moins exigeante quant
à l’existence d’une infraction principale punissable, contribuant ainsi à rapprocher la complicité de la
coaction. Dans un premier temps, elle a jugé qu’il n’était pas nécessaire que l’infraction principale soit
effectivement punie pour que puisse être recherchée la responsabilité pénale du complice. Ainsi, la
complicité reste réprimée si l’auteur principal est déclaré pénalement irresponsable en raison d’un
trouble mental, s’il est mineur, s’il fait l’objet d’une amnistie personnelle ou s’il n’est tout simplement
pas poursuivi pour des raisons de fait. Il suffit pour engager la responsabilité pénale du complice que
l’infraction principale soit abstraitement punissable.
Dans un second temps, la jurisprudence a franchi un pas supplémentaire en ce sens. En effet,
dans un arrêt du 8 janvier 2003, la chambre criminelle a énoncé que « Dès lors que l’existence d’un
fait principal punissable, soit l’exportation illicite de stupéfiants, a été souverainement constatée par la
Cour d’appel, la relaxe de l’auteur principal au motif qu’il ne connaissait pas la nature du produit
transporté n’exclut pas la culpabilité du complice». Par « fait principal punissable », la jurisprudence
n’entendrait donc plus « infraction principale punissable », mais simple « fait matériel punissable ». La
caractérisation du seul élément matériel de l’infraction principale suffirait à engager la responsabilité
pénale du complice. La Cour de cassation a confirmé sa position nouvelle dans un arrêt rendu par la
chambre criminelle le 15 décembre 2004, à l’occasion duquel la Haute Cour décide que le complice
par provocation d’une infraction fiscale doit être condamné en dépit de la relaxe, pour défaut
d’intention, de l’auteur principal. Cette évolution manifeste une autonomisation de la complicité par
rapport à l’infraction principale. Elle remet ainsi, au moins en partie, en cause le caractère accessoire
de ce mode de participation à l’infraction, ce qui contribue immanquablement à amoindrir le
particularisme de la notion.
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2) Le rapprochement des éléments moraux
Dans le même temps, la jurisprudence a œuvré à rapprocher les éléments moraux de la coaction et de
la complicité, rendant ainsi encore plus poreuse la distinction entre le complice et le coauteur. C’est sur le
terrain des infractions non intentionnelles qu’un tel rapprochement trouve ses principales illustrations. En effet,
classiquement la doctrine estime que, puisque la complicité est nécessairement intentionnelle, il n’est pas de
complicité possible en matière d’infractions non intentionnelles. Celui qui aide ou assiste l’auteur d’une
infraction d’imprudence doit ainsi être considéré comme coauteur de cette infraction parce qu’il a lui-même
commis l’imprudence. Mais la jurisprudence retient une solution plus nuancée, en distinguant selon que
l’élément moral de l’infraction principale consiste en une simple imprudence ou en une faute d’imprudence
délibérée. Dans le cas d’une simple imprudence, la complicité est impossible, seule la coaction est
envisageable. En revanche, dans le cas d’une imprudence consciente, la jurisprudence décide que la
complicité peut être retenue (Crim. 6 juin 2000 : un passager qui ordonne à un chauffeur de brûler un feu
rouge est reconnu complice par provocation). Une telle position s’explique par le fait qu’en pareille hypothèse,
la volonté du complice est tendue vers une imprudence consciente de l‘auteur, et cela suffit à répondre aux
exigences posées par les articles 121-6 et 121-7 CP.
Si elle paraît conforme aux dispositions légales, une telle position heurte néanmoins la distinction entre
l’élément moral ayant animé le complice d’une infraction non intentionnelle et celui que l’on reproche à l’auteur
indirect d’une telle infraction. En effet, en matière non intentionnelle, pour que la complicité puisse être retenue,
le complice doit vouloir en toute conscience l’imprudence réalisée par l’auteur principal. De ce fait, en ayant
conscience d’aider ou de provoquer l’auteur d’une imprudence, le complice a nécessairement conscience des
risques, au moins abstraits, pouvant en découler pour autrui. Or, cette conscience n’est pas spécifique au
complice. En effet, la répression de l’auteur indirect d’une infraction non intentionnelle dépend de la commission
d’une faute délibérée ou d’une faute caractérisée, qui peuvent être analysées comme des formes d’imprudence
conscientes. L’auteur indirect peut ainsi apparaître comme le complice d’une infraction d’imprudence commise
par l’auteur direct : celui qui facilite ou provoque l’imprudence d’autrui contribue à sa manière à créer une
situation permettant la réalisation d’un dommage. C’est dire qu’un tel individu pourrait être réprimé à titre de
complicité ou d’auteur indirect de l’infraction non intentionnelle ainsi réalisée.
A de nombreux égards la distinction entre coauteur et complice a donc perdu une grande part de sa
pertinence, et la singularité de ces modes de participation à l’infraction s’en est trouvée amoindrie.
Parallèlement à cette évolution, législateur et jurisprudence se sont attachés à renforcer les conséquences de
la collectivité de l’infraction (loi du 9 mars 2004 relative à la délinquance et à la criminalité organisées
notamment : renforcement des sanctions par le jeu notamment de la circonstance aggravante de bande
organisée, mise en place d’une procédure pénale dérogatoire applicable en matière de criminalité organisée…).
Ces deux évolutions ne sont pas sans liens. Leur alliance semble en effet signifier que désormais, les modalités
de participation à l’infraction importent peu. Seul compte le fait que l’infraction apparaisse comme découlant
d’agissements collectifs, lequel détermine l’application d’un régime répressif aggravé au regard de celui qui
s’appliquerait au délinquant solitaire. Pareille évolution s’opère au prix de quelques entorses portées au
principe de personnalité de la responsabilité pénale, dont la confusion entre complicité et coaction constitue
l’une des illustrations.

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