RICOU - EXE MEF - Université de Pau et des Pays de l`Adour

Transcription

RICOU - EXE MEF - Université de Pau et des Pays de l`Adour
Sous la direction de Jean GOURDOU, Olivier LECUCQ et Jean-Yves MADEC
L’exécution des décisions de justice
administrative
Première journée d’études
Tribunal administratif de Pau / Faculté de Droit de Pau
(mardi 23 septembre 2008)
Remerciements à Isabelle Montin, Claude Santini
et Fouzia Rabeh pour leur dévouement de tous les
instants, ainsi qu’à Benjamin Ricou pour la mise
en forme du présent ouvrage.
Principales abréviations
AJDA :
Actualité juridique – Droit administratif
Art.
article
:
C. civ :
Code civil
CJA :
Code de justice administrative
Cons. d’Et :
Conseil d’Etat
D:
Recueil Dalloz
JO :
Journal Officiel
JCP :
Jurisclasseur, La semaine juridique
not. :
notamment
p., pp. :
page(s)
préc. :
précité
RFD adm :
Revue française de droit administratif
s. :
suivant(s)
supra :
supra
v. :
voir
Avant-propos
La journée d’études portant sur « l’exécution des décisions de justice administrative » co-organisée par, d’une part, les Professeurs Jean Gourdou et
Olivier Lecucq de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour et, d’autre part, le Président du Tribunal administratif de Pau Jean-Yves Madec, s’est tenue le mardi 23
septembre 2008 à l’occasion de la rentrée solennelle du tribunal. Il s’agissait d’abord
de marquer les 25 ans de l’installation de ce dernier dans ses locaux actuels, mais
également de profiter de cette occasion pour renforcer davantage les liens que les
deux institutions – université et tribunal – et leurs membres ont tissés au fil des années. La journée a été financée conjointement par le Centre d’études des collectivités
locales (http://cecl.univ-pau.fr/live/), le Plan Pluriformations « droits fondamentaux »
et la Communauté d’Agglomération Pau-Pyrénées.
Dans un souci de tirer au mieux parti de la complémentarité des compétences
des juristes publicistes de la Faculté de droit de Pau et des magistrats du Tribunal
administratif, la ligne scientifique choisie a consisté, autour d’un thème majeur du
contentieux administratif, à mêler étroitement les interventions des universitaires et
des praticiens, l’ensemble étant placé sous le haut patronage d’un éminent spécialiste de la question. L’objectif avoué est de tenter de combiner les nécessaires
présentations académiques des règles applicables en la matière avec des exemples
significatifs d’affaires traitées par le Tribunal administratif de Pau, afin de cerner la
question sous ses divers aspects théoriques autant qu’appliqués.
La question de l’exécution des décisions de justice se prêtait tout particulièrement à ce double exercice tant il est vrai qu’elle offre aux universitaires comme aux
praticiens l’occasion de réfléchir sur un aspect fondamental de l’effectivité du droit
tenant à l’obligation d’exécuter la chose jugée et aux outils juridiques qui permettent
de surmonter les difficultés qu’elle peut rencontrer.
Plus précisément, après des propos de bienvenue et d’introduction du sujet par
MM. Gourdou et Madec, la matinée a débuté par une communication de M. Daniel
Labetoulle, ancien Président de la Section du contentieux du Conseil d’Etat, grand
inspirateur et promoteur de la réforme majeure qu’a connue, en 1995, le domaine
étudié. Cette riche expérience lui a permis d’éclairer l’auditoire sur de nombreux
éléments relatifs à la genèse du projet, aux ambitions alors poursuivies et de donner
son avis sur le degré de satisfaction de celles-ci par la pratique actuelle des juridictions. Toujours dans une optique de présentation générale, M Antoine Bourrel,
Maître de conférences à l’UPPA, puis le professeur Gourdou ont respectivement
dressé le panorama des pouvoirs d’exécution du juge des référés administratif
d’urgence et des procédures spécifiques d’exécution des jugements condamnant
l’administration au paiement d’une somme d’argent (« contrainte au paiement »).
Dans les deux cas, au delà d’une synthèse actualisée des dispositifs en question, les
intervenants ont tâché de mettre en évidence leurs atouts et leurs faiblesses. Chacune des trois communications a été suivie de débats avec l’auditoire (sous forme de
« questions-réponses »).
L’après-midi était quant à elle dédiée à l’examen de la mise en œuvre de ces
pouvoirs d’exécution des décisions de justice à travers la présentation, par le président et divers magistrats du Tribunal administratif de Pau, d’affaires significatives
soumises à ce dernier, et le témoignage d’autres praticiens confrontés aux difficultés
de l’exécution de la chose jugée (en l’occurrence un avocat – Me Jean-Michel Gallardo – ; et deux fonctionnaires – M. François Collet, Directeur de l’Agence publique de
gestion locale ; M. Philippe Sauval, Directeur du service juridique à la direction des
services fiscaux 64).
Le présent ouvrage retranscrit l’ensemble de ces interventions qui, mises bout à
bout, offrent un panorama synthétique à la fois critique et constructif de cet aspect si
essentiel de la réception du droit qu’est l’exécution de la décision du juge. A sa lecture, on comprendra pourquoi les intervenants, tout comme le public, ont largement
plébiscité cette formule combinant les deux approches théorique et pratique et souhaité que se pérennisent ces rencontres à l’occasion de chaque rentrée solennelle du
Tribunal administratif de Pau.
1ère PARTIE
LES POUVOIRS D’EXECUTION DES
DECISIONS DE JUSTICE
L’octroi d’un pouvoir d’injonction d’exécution
au juge administratif : de la préparation de la
loi de 1995 à son application actuelle
M. Daniel LABETOULLE
Président de Section Honoraire du Conseil d’Etat
Je suis très heureux d’être ici, d’abord parce qu’une réunion de cette nature – université/juridiction – me réjouit dans son principe, ensuite parce que j’ai de très bons
souvenirs à Pau, notamment dans cette faculté. J’y suis venu pour la première fois
pour la soutenance de thèse d’un jeune doctorant qui s’appelait Jean Gourdou, dans
cet amphithéâtre même. J’ai gardé le souvenir d’une excellente thèse dont je regrette seulement qu’elle n’ait pas été publiée, ce qui me permet de dire aujourd’hui à
beaucoup de personnes (car j’ai conservé mon exemplaire original) : « il vous manque
un élément essentiel, c’est la thèse de Jean Gourdou, tenez, je vous la prête, mais
surtout n’omettez pas de me la rendre, j’y tiens beaucoup… ».
Merci de m’accueillir et de m’avoir proposé de parler de ce sujet qui m’intéresse
beaucoup et me permet de me replonger dans mon passé.
On pourrait mettre en exergue la phrase d’un de nos grands maîtres à tous, le professeur Chapus, issue de son manuel du contentieux administratif : « avec la loi du 08
février 1995, une page de l’histoire du régime du contentieux administratif a été
tournée »... Le Président Madec posait tout à l’heure la question de savoir si cette loi
était plus importante, moins importante qu’on ne l’a dit. C’est à ce type
d’interrogations que je voudrais répondre.
§ 1. A. La loi de 1995, au départ, était très modeste ; ce n’est pas une grande loi
sur la juridiction administrative. Dans la loi n° 95-125 « relative à l’organisation des
juridictions et à la procédure civile pénale et administrative «, ce qui intéresse la juridiction administrative vient tout à fait à la fin, dans le chapitre IV de la loi ; et je me
souviens que ce qui intéressait les parlementaires et le garde des sceaux de l’époque,
M. Méhaignerie, c’était ce qui se trouvait dans les titres I, II et III… Au surplus, lorsqu’on regarde l’ensemble des dispositions du titre IV, on trouve des choses assez
disparates : disparition des dispositions de la loi de 1987 qui excluaient le contentieux
pour excès de pouvoir de la compétence des cours administratives d’appel ; pouvoirs
donnés au juge unique, le fameux article L.4-1 du Code des tribunaux administratifs
et des cours administratives d’appel que nous avons tellement pratiqué – et qui fut le
principal sujet des discussions parlementaires… On y trouve aussi, introduite par un
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amendement parlementaire, une disposition tout à fait invraisemblable qui insérait
dans le mécanisme du sursis à exécution une suspension qui pouvait durer trois mois
à l’expiration desquels on retombait dans le sursis, si le sursis était ordonné ; bref, à
l’époque, on suspendait durant trois mois dans l’attente d’une hypothétique décision
de sursis, ce qui montre que la rapidité avec laquelle on se prononçait sur un sursis
n’était pas extrême !
Et puis, il y avait les dispositions qui figurent aujourd’hui au Livre IX du Code de
justice administrative sur l’exécution des décisions administratives.
Je n’ai pas beaucoup de souvenirs directs sur la manière dont ces dispositions ont
été insérées. Elles le furent consécutivement aux travaux d’un petit groupe de travail
réuni, à l’intérieur du Conseil d’Etat, à l’initiative du Président Marceau Long. Il y a,
dans l’excellent article que le Professeur Franck Moderne a consacré à la loi de 1995
sur les procédures d’exécution1, le rappel d’un article du Président Long publié lui
aussi à la Revue française de droit administratif en 19932 dans lequel ce dernier indique que, lors de l’examen d’un projet de loi en matière d’urbanisme (faisant suite
au rapport du Conseil d’Etat de 1992), le Conseil d’Etat avait introduit une disposition
tout à fait étonnante consistant à dire que, lorsque deux décisions au moins refusant
un permis de construire avaient été annulées, le juge pouvait lui-même accorder un
permis de construire ; bien que cette disposition ait disparu à l’occasion la discussion
parlementaire, cela montre bien que, dans ces années 1993-1994, il y avait un petit
frémissement s’agissant du point qui nous occupe.
Donc, un projet de loi qui, sur ce point, émane d’une rédaction interne au Conseil
d’Etat ; le gouvernement relaie ces dispositions ; puis le Parlement les adopte, mais
pratiquement sans débats – les débats parlementaires ont, je l’ai dit, beaucoup porté
sur la question du juge unique : pour l’injonction, tout le monde a trouvé cela très
naturel. Il n’y a eu qu’un député, sauf erreur de ma part, qui s’y est opposé : c’était
un homme très estimable, M. Hamel, membre de la majorité mais éternel opposant,
souvent avec pertinence ; là, il défendait l’idée selon laquelle le juge ne doit pas
s’immiscer dans la vie administrative.
On peut avoir le sentiment – les débats parlementaires ayant été à peu près
muets sur les sujets relatifs à l’exécution – que le fruit était mûr… A partir de là se
posent un certain nombre de questions :
• Première question, celle souvent posée par le Professeur Moderne et que vous
avez rappelée, M. le Président, tout à l’heure : aurait-on pu faire l’économie de la loi ?
En d’autres termes réaliser par voie jurisprudentielle la réforme que la loi a opérée.
C’est la thèse qu’a longtemps défendue le Professeur Moderne et, sur ce point,
j’ai toujours été en désaccord avec lui ; et je le suis de plus fort, car je crois que, oui,
la réforme aurait pu être faite par voie jurisprudentielle, mais alors le juge adminis1
F. MODERNE, Sur le nouveau pouvoir d’injonction du juge administratif, in La loi du 8 février 1995 et la réforme du contentieux administratif,
RFD adm. 1996, p. 43.
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M. LONG, L’audit du droit de l’urbanisme : du rapport du Conseil d’Etat au projet de la loi portant réforme du code de l’urbanisme,
RFD adm. 1993, p. 217.
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tratif n’aurait pas ressenti le même encouragement que celui qu’il a éprouvé à partir
de débats aussi consensuels sur ce sujet. A mes yeux, la plus grande importance de la
loi de 1995 réside peut-être moins dans ses dispositions concrètes, telles qu’elles figurent encore aujourd’hui dans le Code de justice administrative, que dans ce réveil
des esprits qu’elle a provoqué.
• Deuxième question à propos de cette loi : pourquoi, devant ce qui apparaît aussi
consensuel devant le Parlement en 1995, cela ne s’est-il pas fait plus tôt, que ce soit
par voie jurisprudentielle ou législative ?
Mon sentiment est que ce sujet n’est devenu mûr qu’au début des années 1990,
pour diverses raisons : générations, hommes, également le fait qu’au début de ces
années 90, la réforme du 31 décembre 1987 était entrée en vigueur, les cours administratives fonctionnaient, l’appareil juridictionnel administratif avait acquis une
meilleure maîtrise de lui-même, les « stocks » commençaient à se résorber, on se
sentait prêts à aller de l’avant. Auparavant, l’obsession était ailleurs.
Dans ces éléments déclenchant, je crois qu’il ne faut pas négliger non plus
l’importance de la mise en place, juste deux ou trois ans auparavant, du référé précontractuel, qui a eu un effet psychologique non seulement sur les magistrats mais
également sur l’administration, montrant que le juge administratif pouvait être réactif et agir très rapidement.
§ 1. B. La loi votée, son application va se faire sans aucune difficulté.
Dans l’article précité du Professeur Moderne, on sent d’abord un regret que la jurisprudence n’ait pas été plus audacieuse. Dans la seconde partie de son article, il
écrit que, la loi intervenue, demeurent encore de nombreuses questions qui se posent. Dans quel sens la loi va-elle être interprétée ? Il est un peu dubitatif : est-ce que
dispositif va s’appliquer aux actes réglementaires ? Il est trop courtois pour dire : « le
juge administratif ne va-t-il pas trouver quelque bonne raison de ne pas appliquer
cette loi ? »… on sent que c’est un peu sous-jacent dans sa pensée.
Mais non, il se trompait, pour une fois… car très vite la jurisprudence va prendre le
sujet à bras-le-corps, à la fois d’un point de vue intellectuel et théorique et d’un point
de vue pratique.
1 - D’un point de vue intellectuel et théorique, j’ai personnellement attribué une
extrême importance à deux arrêts qui ont été délibérés le même jour et qui, avec la
même rédaction, posent le principe fondamental selon lequel, lorsqu’il applique la loi
de 1995 et s’interroge sur le point de savoir s’il doit adresser ou non une injonction,
« le juge statue en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date de sa
décision… ». Autrement dit, dans un premier temps, en tant que juge de l’excès de
pouvoir, la juridiction applique classiquement les textes et prend en compte les faits
existants à la date de la décision administrative ; et puis, l’instant d’après, elle se
transforme en juge de plein de contentieux statuant en fonction de la situation existante à la date de sa décision : ce sont les deux arrêts Epoux Bourezac et Leveau du 4
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juillet 1997, assortis des très excellentes conclusions de M. Abraham et M. Stahl, et
qui, je crois, on marqué une phase capitale de l’évolution de la jurisprudence dans le
domaine concerné. Quelques mois plus tard, dans l’avis Berrad (30 novembre 1998),
il est très expressément affirmé que, lorsque les conditions de l’injonction sont remplies, il incombe au juge de la prononcer. Autrement dit, ce n’est pas une simple
possibilité qui s’offre à lui, mais bien une obligation qui pèse sur lui. Voilà pour
l’aspect théorique.
2 - Dans la pratique, dès 1997, on sent bien à la simple lecture des jugements et
arrêts rendus que le juge administratif commence à appliquer ces dispositions sans
beaucoup d’états d’âme, y compris dans des domaines sensibles. Il l’applique notamment à des hypothèses réglementaires : à partir de 1997, lorsqu’il censure le
refus de prendre des actes réglementaires nécessaires à l’application d’une loi, le
Conseil d’Etat accepte d’enjoindre au Premier ministre de prendre les décrets en
question dans un délai de trois ou six mois, je ne sais plus. Il y aura aussi une affaire
plus croustillante, quelques mois plus tard, où sera enjoint au gouvernement de modifier la carte électorale du département du Rhône ; ce n’est pas rien !
Mieux encore, et je reprends là encore une formule du Professeur Chapus, « Audelà des textes, l’envol de la jurisprudence », l’injonction va trouver à s’appliquer audelà même des textes qui l’ont instituée. Dans un certain nombre d’hypothèses qui
ne relèvent pas du Livre IX du Code de justice administrative, le juge incorpore soit
dans les motifs de sa décision, soit dans son dispositif, soit dans les deux, des indications précises sur la façon dont l’administration doit tirer les conséquences de la
chose jugée. Une affaire très révélatrice à cet égard : celle du Toulouse football club
du 25 juin 2001, dans laquelle le Conseil d’Etat, saisi d’une question relative au classement final du championnat de France de football, assortit l’annulation qu’il
prononce de prescriptions sur les effets de cet arrêt sur ledit classement – une décision que j’aime beaucoup car elle m’a valu ma photo dans le journal « l’Equipe »...
§ 1. C. Il y a une chose que l’on oublie trop souvent en ce qui concerne la loi de
1995 : ce sont les conséquences qu’elle a pu produire sur les procédures d’urgence ;
notamment sur ce vieux débat des années 1970 – 1980 relatif au sursis à exécution
ou la suspension des décisions négatives, des décisions de rejet. Depuis un arrêt
d’Assemblée Amoros du 23 janvier 1970, le Conseil d’Etat estimait en substance que,
le juge administratif n’ayant pas de pouvoir d’injonction, il n’était pas en capacité de
suspendre une décision de rejet. C’est très logique. Le juge du sursis peut arrêter le
bras de l’administration, adresser une injonction de ne pas faire ; mais quand
l’administration a refusé quelque chose, que veut dire suspendre sa décision sinon
demander à l’administration de faire positivement quelque chose, c’est-à-dire lui
adresser une injonction ? Aussi longtemps que le juge ne s’était pas vu reconnaître ce
droit d’adresser des injonctions, il lui était donc impossible de suspendre l’exécution
d’une décision de refus. La loi de 1995 intervient et l’on n’a pas tout à fait perçu, à ce
moment-là, les conséquences de cette loi sur la jurisprudence Amoros.
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Lorsqu’on a commencé à préparer ce qui est devenu la loi du 30 juin 2000 sur le
référé administratif, le rapport du groupe de travail et même le projet de loi du gouvernement s’abstenaient de dire que le juge pourrait suspendre l’exécution d’une
décision de rejet, considérant que, depuis la loi de 1995, c’était possible. Lors des travaux parlementaires, les parlementaires n’ont pas très bien compris que c’était
devenu possible… en tout cas ils ont voulu qu’on le précise ; et l’on a écrit dans la loi
de 2000 que le pouvoir de suspension pouvait s’exercer y compris lors des décisions
de rejet. Cela étant, on n’en donnait pas le mode d’emploi et je me souviens avoir
souvent évoqué avec des parlementaires, ou même des universitaires, la question de
savoir ce qu’on allait faire d’une formule de cette nature : « on peut suspendre une
décision de rejet ». Alors il a paru indispensable, avant qu’entre en vigueur la loi,
d’expliquer ce qu’une telle suspension impliquait ; on a cherché des dossiers au Conseil d’Etat qui se prêtaient à cela… ; on en a trouvé un et – quelques jours avant
l’entrée en vigueur (au 1er janvier 2001) du nouveau texte du 30 juin 2000, l’arrêt
Ouatah du 20 décembre 2000 est venu fixer les principes en la matière. Il y est dit en
substance que, si le juge de la suspension constate un moyen qui non seulement introduit un doute sur la légalité de la décision contestée mais semble, de plus, de
nature à justifier que le juge du principal, en plus de l’annulation, adresse à l’autorité
qui l’a prise l’une des injonctions prévues par la loi de 1995, il lui appartient d’assortir
la suspension qu’il prononce de l’injonction des obligations qui en découlent pour
l’administration, obligations pouvant consister à réexaminer la demande dans un délai déterminé ou, le cas échéant, à prendre toute mesure conservatoire utile –
prescrite par le juge – compte tenu de l’objet du litige, du moyen retenu et de
l’urgence.
Voilà un peu l’histoire de la loi de 1995 et, à ce stade, on pourrait se dire qu’elle a
été une loi très importante. Et si l’on essayait de dire le contraire, d’avoir une autre
lecture de cette loi ! C’est un exercice universitaire. Ce discours convenu, celui que je
viens de tenir, est-il totalement exact ?
§ 2. A. D’abord, je crois qu’il est toujours dangereux d’opposer l’ombre à la lumière.
Est-ce qu’avant 1995, le problème de l’exécution des décisions de justice administrative était un problème aussi monstrueux que l’on a tendance à le dire ? Je n’en suis
pas sûr.
Est-ce que le contentieux administratif d’avant 1995, en ce qui concerne
l’exécution des décisions juridictionnelles, différait tant que cela d’un contentieux
judiciaire civil pour lequel, miraculeusement, il n’y aurait eu aucune difficulté ? Est-ce
que la réintégration d’un représentant du personnel – droit du travail – se faisait plus
facilement que la réintégration d’un fonctionnaire évincé ? D’un autre côté, est-ce
que le recouvrement d’une pension alimentaire dont le juge a bien prévu qu’elle devait être versée était facile ? Est-ce que le propriétaire nanti d’une ordonnance
d’expulsion d’un occupant sans titre recouvrait aisément la jouissance de son bien ?
Et, dans ce cas, face à un refus du préfet de prêter concours de la force publique,
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comment les choses se sont-elles résolues ? C’est au juge administratif – juge du référé liberté – que l’on est venu demander d’enjoindre au préfet de prêter le concours
de la force publique pour l’exécution d’une ordonnance du juge judiciaire qui n’avait
pas été exécutée. Cela montre tout de même que l’exécution des décisions civiles
n’est pas aussi simple qu’on veut bien le prétendre, et que la différence entre
l’exécution des décisions du juge administratif et celle des décisions du juge non administratif n’est pas aussi forte que cela.
On pourrait également se demander si la situation actuelle de l’exécution des décisions de justice administrative est, aujourd’hui, totalement satisfaisante.
§ 2. B. Je pense par ailleurs que, si la situation actuelle est tout de même assez
satisfaisante, ce n’est pas seulement du fait de la loi de 1995.
Bien des difficultés antérieures à la loi de 1995 ne tenaient pas à une résistance de
l’administration condamnée, ce qui est assez rare, mais beaucoup plus à des complexités concrètes, notamment à la difficulté intellectuelle et pratique de l’exécution
d’une annulation produisant rétroactivement des effets sur une situation de droit et
une situation de fait constituées depuis plusieurs années ; de telle sorte qu’au vu
d’une décision d’annulation, il était très difficile de remonter le passé. Prenez le cas
d’une carrière de fonctionnaire ou, plus encore, celui d’un remembrement rural. A
cet égard, les choses ont changé depuis qu’il y a un mécanisme de suspension rapide
des décisions administratives. La situation qui se présente au moment de l’éventuelle
annulation est une situation dans laquelle, souvent, l’irréversible ne s’est pas produit
puisqu’on a pu suspendre dès le départ les effets l’acte illégal.
La jurisprudence qui permet de moduler dans le temps les effets d’une annulation
– la fameuse jurisprudence d’Assemblée AC ! (du 11 mai 2004) – joue le même rôle :
elle évite que l’acte ne produise des conséquences sur lesquelles il sera difficile de
revenir. Pendant longtemps, partout, à l’université comme ailleurs, primait l’idée que
l’annulation constituait le fin du fin des pouvoirs du juge. On voit, avec l’arrêt AC !,
que le fin du fin est parfois de ne pas annuler. C’est quand même une évolution assez
intéressante... Voyez aussi toutes les jurisprudences qui se sont efforcées de limiter
toutes les conséquences en chaîne d’une décision d’annulation : l’arrêt de Section
Lugan, du 10 octobre 1997, en vertu duquel l’annulation d’un concours de recrutement de fonctionnaires est, par lui-même, sans effet sur la situation des
fonctionnaires qui ont été nommés à la suite de ce concours si ces décisions n’ont pas
été de leur côté attaquées, alors qu’auparavant il y avait effet boule de neige ; une
décision d’Assemblée trop ignorée de la doctrine – il est vrai qu’elle touche au remembrement rural… – du 06 avril 2007, Ministre de l’agriculture c/ Blondeau, selon
laquelle, en substance, le juge ne peut plus annuler une décision ordonnant un remembrement si entre-temps les transferts de propriété sont intervenus. Cela aussi
s’exerce au détriment de l’effet de l’annulation.
Soulignons parallèlement toutes les directives d’exécution apparues dans un certain nombre de jurisprudences qui expliquent la façon dont il faut tirer les
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conséquences d’une annulation : l’exemple le plus typique à mes yeux étant celui des
décisions de préemption, où plusieurs décisions du Conseil d’Etat (il y en aura encore
prochainement je crois) explicitent ces conséquences, de telle sorte que le problème
de l’exécution est en quelque sorte anticipé.
Voilà le rôle actuellement joué par le juge administratif pour l’exécution des décisions d’annulation ; il me semble qu’il va au-delà des pouvoirs d’exécution que lui
confèrent le Livre IX du Code de justice administrative et ne constituent pas simplement l’ « envol de la jurisprudence » cher au Professeur Chapus parce que, par
d’autres voies – qui ne sont pas a priori des modalités d’exécution –, ont résout un
certain nombre de problèmes. On touche là à la mutation de l’office du juge (le Président Madec parlait tout à l’heure de « l’ascension du pouvoir juridictionnel »), c’està-dire un juge qui ne se borne plus à rejeter ou à annuler, mais un juge qui suspend,
qui module, qui prescrit et qui, parfois, pense que la meilleure façon de faire n’est
pas d’annuler, un juge qui n’est donc plus le juge de l’excès de pouvoir tel qu’on me
l’a enseigné jadis et tel que je l’ai parfois enseigné moi-même. Le Président Marceau
Long, assistant au soixante-quinzième anniversaire du Tribunal administratif de
Strasbourg (avec son histoire particulière liée à la façon dont Strasbourg est redevenue française en 1919) quelques jours après le vote de la loi de 1995, a considéré en
substance que la distinction traditionnelle entre recours pour excès de pouvoir et
recours de plein contentieux était très largement dépassée. Nous avons un juge qui a
changé : le juge de l’annulation se transforme de plus en plus en juge régulateur avec
des pouvoirs plus diversifiés. C’est donc une mutation qui dépasse les mécanismes
prévus par la loi de 1995, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut sous-estimer
l’importance de celle-ci qui, psychologiquement, intellectuellement, politiquement, a
déclenché chez le juge administratif cette évolution qui va lui donner son élan, son
inspiration et sa légitimité.
J’avais commencé par la citation du Professeur Chapus qui estimait qu’avec la loi
du 08 février 1995, une page de l’histoire du régime du contentieux administratif
avait été tournée ; j’aurai tendance à considérer aujourd’hui qu’avec la loi de 1995,
ce n’est pas simplement le régime du contentieux administratif qui a été changé mais
plutôt sa pratique ; et c’est beaucoup plus important.
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Questions au Président Daniel LABETOULLE
M. le Professeur Frank Moderne : Cette loi était-elle la première initiative dans ce
sens ? N’y avait-il pas eu de projets auparavant ?
D. Labetoulle : Je ne peux pas être affirmatif, je n’ai pas de souvenir direct : à
l’époque j’étais président de sous-section, il fallait résorber le stock, j’avais « le nez
dans le guidon » si je puis dire. Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait eu d’avant-projet
avant 1992-1993. J’ai été très frappé de ce que vous écrivez dans l’article que j’ai cité
tout à l’heure, c’est-à-dire cette initiative du Président Long de faire introduire dans
le projet de loi sur l’urbanisme les dispositions que j’ai rappelées. Ce qui me frappe,
c’est la timidité, la réticence extrême, excessive, avec laquelle les juges et notamment le Conseil d’Etat avaient apprécié la loi relative aux astreintes (16 juillet 1980).
On avait cherché toutes les façons de faire qu’elle ait le moins de portée possible. Il y
a bien un petit frémissement dans les années 1993-94 sur l’application, mais cela
n’allait pas bien loin. Ce qui est devenu les articles L.911-1 et L.911-2 du CJA s’est élaboré – à ma connaissance – début 1994, lorsque M. Méhaignerie, garde des sceaux,
déclara en substance au Vice-président : « on va faire une grande loi sur le juge civil
et le juge pénal, est-ce que vous voulez y ajouter un "petit wagon" ? ». Et c’est le président Combarnous qui a rédigé les articles en question. Tout cela s’est fait sans qu’il
y ait une très profonde réflexion et je n’en connais pas d’antécédents.
F. Moderne : N’y a-t-il pas eu non plus de pression ou plutôt de valeur
d’exemplarité des jurisprudences européennes, sachant que l’injonction existait chez
nos voisins ?
D. Labetoulle : Je crois que, pendant les années qui ont précédé, le grand problème à résoudre était la mise en place de la loi de 1987 et que cela absorbait
l’essentiel des énergies.
M. le Professeur Denys de Béchillon : Ne doit-on pas prendre en compte un paramètre de nature stratégique ? Parce que somme toute, la réflexion était depuis
longtemps très avancée en doctrine : nous avons tous en mémoire le célèbre article
de Jean Rivero, « Le huron au Palais Royal »3, qui pointait une très grande infirmité de
la justice administrative sur l’ensemble des questions que vous avez évoquées. Lorsqu’on fait la chronologie de 1980 aux années 1995-2000, on peut quand même
identifier une constante : la prise de conscience très forte par la justice administrative, à laquelle vous avez éminemment participé, de ce que certaines infirmités
techniques risquaient de la placer dans une situation de compétition extrêmement
défavorable vis-à-vis de la justice judiciaire voire d’autres juges (je pense en particu3
J. Rivero, Le Huron au Palais-Royal ou réflexions naïves sur le recours pour excès de pouvoir, D. 1962, chron., p. 37.
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lier aux juges européens). Je me demande si toute cette période de grande innovation tant législative – d’ailleurs largement provoquée et accompagnée par le Conseil
d’Etat – que jurisprudentielle n’a pas été fondamentalement motivée par une prise
de conscience de ce que la grande époque de la justice administrative risquait de
prendre fin si un certain nombre de réformes radicales n’avaient pas lieu. Est-ce que
vous partagez ce sentiment ?
D. Labetoulle : C’était l’opinion de quelques personnes, mais je ne sais pas s’il y
avait une perception globale de ce problème. Vous citez l’article du Professeur Rivero : certaines choses avaient été traduites dans les décrets de 1963 ; on en faisait
cependant une application assez prudente et, là encore, j’ai des souvenirs très précis
de l’extraordinaire réticence coupable avec laquelle on a appliqué pendant des années la loi de juillet 1980. Entre 1980 et 1995, il y a bien dix ou douze ans qui sont des
années de freinage de ce point de vue. Alors, qu’il y ait eu une montée de cette perception, d’accord, mais elle ne s’était pas beaucoup traduite concrètement.
M. le Professeur Pierre Cambot : Ce qui m’étonne, c’est que l’on est passé
presque instantanément d’une époque de réticence de la part de la juridiction administrative à une époque de totale maturité dans la pratique de l’injonction, dans la
pratique des référés. Je souhaite poser une question de « terrain » : la formation des
juges a-t-elle évolué pour assumer ces nouvelles fonctions ? En tant que justiciable ou
praticien, on n’a pas senti un choc des cultures lorsqu’on s’est mis à avoir contact
avec le juge des référés où lorsque le juge s’est mis à adresser des injonctions ;
d’ailleurs je n’ai pas, pour ma part, encore entendu de commentaire qui considère
scandaleuse une injonction prononcée ou une modulation des effets pratiquée. On
est passé d’un naturel à l’autre, sans période d’adaptation et sans que cela soit visible
de « l’autre côté de la barre ».
Daniel Labetoulle : Il y a eu un article de Bernard Pacteau dans lequel (je ne sais
plus si c’est dans le corps de l’article ou dans son titre) figure la notion de « révolution de velours ». Il veut dire par là que la partie de la loi de 1995 dont nous parlons
est entrée en vigueur, a été appliquée sans la moindre difficulté et n’a pas été mal
perçue par l’administration ; ce qui prouve – et l’on rejoint la thèse du Professeur
Moderne – que les choses étaient mûres avant. Si les choses se sont aussi rapidement
acclimatées après 1995, c’est qu’en réalité il y avait eu un phénomène relativement
souterrain de maturation.
Ce que j’ai personnellement ressenti, c’est à quel point la loi de 1995 avait désinhibé le juge administratif. Il y a un point que j’évoque avec précaution parce que,
dans mon esprit, c’est plutôt une interrogation, plus une hypothèse qu’une certitude : l’arrêt Canal (19 octobre 1962) et ses suites me semblent avoir beaucoup
marqué la génération qui m’a précédé (je suis arrivé au Conseil d’Etat quatre ans
après l’arrêt Canal). La façon dont cet arrêt avait été ressenti, la façon dont le pouvoir
a dit « il faut supprimer ce corps abusif… », a introduit une très grande prudence dont
on trouve trace sur plusieurs thèmes. Pourquoi faudra-t-il tant d’années (1970) pour
voir la première question préjudicielle à la Cour du Luxembourg ? Après l’arrêt Canal,
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on perçoit une réaction qui consiste à dire « Méfions-nous des innovations » ; pas
une réaction de peur du juge, mais une réaction méthodologique : « Méfions-nous
des innovations, méfions-nous des improvisations… ». Et je crois que cela a beaucoup
marqué les générations suivantes, notamment celles qui étaient déjà là au moment
de l’arrêt Canal. Dans les mois qui ont suivi cet arrêt, le grand corps « tremblait de
tous ses membres »… On peut toujours expliquer cela par des questions de personne ; je crois plus au phénomène générationnel. La loi de 1995 désinhibe, et puis
arrivent des générations qui n’avaient peut-être pas l’inhibition de leurs prédécesseurs. Encore une fois, c’est une analyse psychologique que je fais, je ne suis pas
totalement sûr de sa pertinence, mais je vous la livre.
En ce qui concerne votre question sur la formation des personnes, en fait, on se
forme plutôt « sur le tas » dans la juridiction administrative…
Président Jean-Yves Madec : Pour répondre à l’interrogation de Pierre Cambot sur
la réactivité des magistrats administratifs sur ces problèmes d’exécution. Le juge administratif n’a pas découvert avec la loi de 1995 quelle était la portée de ses
jugements, ni les problèmes posés par ce qu’il avait jugé. Il nous arrivait déjà auparavant d’être saisis assez souvent par un requérant revenant devant nous et faisant
valoir l’autorité de la chose jugée, ou nous demandant d’annuler les décisions – fussent-elles implicites – de l’administration qui n’en avait pas tiré les conséquences. On
savait déjà ce qu’impliquaient nécessairement nos jugements pour reprendre les
termes de l’article L.911-1 du CJA. Cela a simplement été officialisé : on fait aujourd’hui, en qualité de juge de l’exécution, ce qu’on faisait auparavant en tant que
juge de l’excès de pouvoir. Il n’y a donc pas de nécessité de prévoir une formation
spécifique.
Daniel Labetoulle : Les principes existaient : l’arrêt Rodière (26 décembre 1925),
dans son domaine – l’annulation de l’éviction d’un agent public –, donne toutes les
clés…
Jean Gourdou : Reste qu’avec la loi de 1995, le juge va se poser la question de
l’exécution au moment où il statue ; jusqu’alors, c’était toujours après coup : dans la
loi de 1980, c’était après coup ; s’agissant des procédures devant la section du rapport et des études devant le Conseil d’Etat, c’était après coup…
Daniel Labetoulle : Ce n’étaient pas les mêmes personnes qui travaillaient (je
parle du Conseil d’Etat) à la section du rapport et des études et à la section du contentieux. A partir de 1995, c’est le même juge qui annule et qui se pose la question de
l’injonction !
Jean Gourdou : Ce qui va ouvrir une porte et faciliter la réforme des mesures
d’urgence…
Daniel Labetoulle : Je vous assure que la loi de 2000 n’aurait pas été faite, en tout
cas pas faite de la même façon, s’il n’y avait pas eu un certain nombre d’expériences,
trois à mon avis : le référé précontractuel, la loi de 1995 et la reconduite à la frontière. L’effet démonstratif de la procédure de reconduite à la frontière, soit la
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capacité pour un juge à statuer dans des conditions d’extrême rapidité, a également
été quelque chose de très désinhibant.
Denys de Béchillon : Sur l’importance de l’arrêt Canal et sur le changement de
culture, vous avez certainement raison ; mais sur la désinhibition, je suis quand
même frappé d’une chose : le très grand moment de désinhibition du Conseil d’Etat,
ce n’est pas la loi de 1995, c’est l’arrêt Nicolo, parce que vous faites à ce moment une
chose d’une violence insensée dans l’histoire de la République, vous attaquez la loi !
Et je trouve, M. le Président, que vous minorez votre responsabilité dans la genèse de
la loi de 1995 : je la vois beaucoup plus comme le résultat d’une volonté du Conseil
d’Etat de faire faire par le législateur ce qu’il avait un certain inconfort à réaliser luimême, plutôt que comme la source d’une désinhibition. Je vous ai entendu dire une
fois lors d’une conférence que, si l’injonction avait due être adoptée par voie jurisprudentielle, le Conseil d’Etat serait probablement allé moins loin ; et vous avez
certainement d’expérience raison de dire cela. Il est sans doute difficile au juge de
monter des arsenaux extrêmement subtils et détaillés comme une loi peut le réaliser ; mais, à ce moment là, cela signifie que le mouvement de désinhibition est né du
Conseil d’Etat beaucoup plus qu’il n’est né de la loi, parce que c’est la volonté du
Conseil d’avoir incité le législateur à fabriquer l’outil qu’il convenait pour affronter les
défis du lendemain. Donc, je vois la loi de 1995 plus comme le résultat d’une désinhibition que comme sa source.
Daniel Labetoulle : Je vais vous taquiner : si je mes souvenirs sont bons l’arrêt –
comment dites-vous déjà ? Nicolo ? (rires)… date de 1989. Pourquoi avoir attendu six
ans ?
Denys de Béchillon : Reste qu’à un moment ou à un autre, le Conseil d’Etat s’est
dit qu’il y avait du péril et qu’il fallait franchir tout un tas de rubiconds, et celui-là
n’est pas le plus petit !
Daniel Labetoulle : Non, il n’y avait pas de péril. Le Conseil d’Etat a essayé
d’améliorer le service rendu, c’est beaucoup plus important, le service rendu au justiciable. Une autre petite taquinerie : l’arrêt Ouatah, si important, n’a jamais été
commenté par personne, aucune note de jurisprudence, c’est scandaleux !…
Jean Gourdou : On attendait la loi…
Jean-Yves Madec : Une dernière observation : dans les juridictions dites « inférieures », les tribunaux administratifs et les cours, cette désinhibition n’a pas été
ressentie du tout à partir de l’arrêt Nicolo qui n’y est tout de même pas d’application
quotidienne ! Dans les juridictions du premier degré et dans les juridictions d’appel,
ce qui a véritablement constitué une révolution culturelle, cela a été la combinaison
des textes de 1995 et des textes de 2000. A partir de là, le juge administratif a eu le
sentiment d’être un juge de plein exercice, doté de pouvoirs tout à fait comparables à
ceux du juge judiciaire, et d’avoir enfin abandonné toutes ses infirmités qui étaient
régulièrement mises en évidence, notamment par la doctrine mais aussi par les praticiens. Aujourd’hui, la culture qui existe au sein des juridictions est pétrie notamment
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d’urgence : nous sommes parfaitement capables, à tous les niveaux, tribunaux, cours
comme du Conseil d’Etat, de juger rapidement, que ce soit dans le cadre des procédures relatives aux étrangers ou dans celui des référés ; et nous sommes capables
d’assortir les décisions que nous prenons de mesures très concrètes permettant leur
application effective. Le juge administratif, qui a longtemps souffert – en tout cas
dans les tribunaux et dans les cours – de cette autocensure qui nous était imposée
par la jurisprudence, ne souffre plus aujourd’hui de ce sentiment d’infériorité qu’il
cultivait par rapport au juge judiciaire.
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Juge des référés et pouvoir d’injonction
M. Antoine BOURREL
Maître de conférences à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
Pourquoi s’interroger sur ce thème du pouvoir d’injonction du juge des référés, et
plus particulièrement des référés d’urgence, sachant que ces procédures donnent
plutôt lieu à des études sur les conditions de leur déclenchement ? Essentiellement
parce qu’il ne faut pas perdre de vue que l’objet du référé d’urgence – et ce qu’en
attend le justiciable – est de permettre une décision rapide du juge, de nature à interrompre provisoirement l’action de l’administration contestée ou à faire échec, au
moins temporairement, à un refus d’agir de celle-ci. Dans cette perspective le pouvoir
d’injonction du juge du référé appelé à statuer en urgence constitue le meilleur
moyen de répondre à cette attente et constitue un gage d’efficacité de la procédure.
A première vue, la loi du 30 juin 2000 n’a pas distribué le pouvoir d’injonction de
manière égale au juge du référé. Distinguons les trois procédures en question :
- un tel pouvoir ne faisait pas de doutes dans le cadre du référé-liberté (l’article
L.521-2 du CJA permettant au juge de prendre « toute mesure » permettant de faire
cesser une atteinte à une liberté fondamentale) ;
- pour ce qui est du référé-suspension, cette prérogative n’est pas explicitement
affirmée mais existe nécessairement dès lors que l’on peut obtenir la suspension
d’une décision de refus (toutefois, comme l’a rappelé le Président Labetoulle, c’est
bien le juge qui va consacrer ce pouvoir avant l’entrée en vigueur de la loi avec l’arrêt
Ouatah, à propos du sursis, par lequel il donne le mode d’emploi du pouvoir
d’injonction en transposant les principes de la loi du 8 février 1995 : réexamen de la
demande ou prescription de toute mesure conservatoire utile)
- en référé conservatoire (dit également référé « mesures utiles »), la loi ne modifie pas l’étendue des pouvoirs du juge préexistants ; or, il y existait une réticence
traditionnelle à prononcer des injonctions à l’adresse de l’administration et, en tout
état de cause, leur domaine d’application s’avérait retreint (expulsion des occupants
sans titre du domaine public ; communication de documents administratifs…).
En définitive, il a fallu que le juge s’efforce, sinon de conquérir, du moins de développer son pouvoir d’injonction en tant que juge du référé d’urgence pour donner à
la réforme des procédures d’urgence toute son efficacité.
La question est donc de savoir ce qu’il en est aujourd’hui, après plusieurs années
de pratique. A cet égard, il semble qu’en dépit des données initiales inégales sus-
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rappelées, on assiste à une évolution tendant à une forme d’uniformisation des pouvoirs d’injonction en vue d’optimiser les procédures d’urgence. Mais cette sorte de
convergence des pouvoirs d’injonction (§ 1), vecteur d’efficacité, ne masque pas la
persistance d’une dualité du pouvoir d’injonction, une scission se dessinant entre les
différents référés quant à la portée du principe du caractère provisoire des mesures
prononcées (§ 2).
§ 1. L’existence d’une convergence des pouvoirs d’injonction du
juge des référés d’urgence
La convergence pouvoirs d’injonction, qui participe de leur efficacité, est révélée
d’une part, par la similitude des injonctions prononcées (A), d’autre part, par la complémentarité desdits pouvoirs (B).
A. Similitude des injonctions prononcées
On constate peu de différences entre les injonctions prononcées par le juge du référé-suspension et par le juge du référé-liberté. Cette forme d’uniformisation a été
atteinte en « tirant vers le haut » le pouvoir d’injonction du juge du référésuspension, de façon à le rapprocher de celui du juge du référé-liberté.
1. Dans le cadre du référé-liberté
La variété des injonctions susceptibles d’être prononcées est ici justifiée par le but
même du référé-liberté qui est de faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Elles peuvent se traduire notamment par la
prescription :
- d’obligations de faire précises, comme la délivrance de certains documents (par
ex : Cons d’Et., référé, 2 avril 2001, Consorts Marcel : injonction adressée au préfet de
restituer sous astreinte des passeports et des cartes nationales d’identité retirés aux
membres d’une famille dans l’attente des suites données aux démarches entreprises
en vue d’établir leur nationalité française ; ou 8 novembre 2001, Kaigisiz : injonction
de restituer un titre de séjour) ou l’adoption d’un comportement déterminé (par ex :
TA Nice, référé, 22 janvier 2004, M. et Mme Pesce : injonction au maire d’inviter les
requérants à venir signer, dans un délai de 15 jours suivant la notification de
l’ordonnance, l’acte de rétrocession de la propriété que la commune avait initialement préemptée) ;
- d’obligations moins contraignantes quant à leur résultat, telle que l’instruction
d’une demande à la suite d’un refus : par ex. Cons d’Et., référé, 4 décembre 2002, M.
Gonzagues : injonction au consul général de France à Genève de procéder sans délai
à l’instruction d’une demande de renouvellement de passeport qu’il avait refusée ;
- voire de simples abstentions : par ex Cons d’Et., référé, 19 août 2002, Front national, IFOREL : suspension du refus du maire d’Annecy de mettre à la disposition
d’un parti politique une salle de réunion et injonction de ne pas faire obstacle à
l’exécution du contrat de réservation conclu entre l’IFOREL et la société assurant la
gestion de la salle de réunion.
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2. Dans le cadre du référé-suspension
Le juge du référé-suspension ne partait pas, a priori, avec la même marge de manœuvre que le juge du référé-liberté. Il lui a donc fallu développer et étendre son
pouvoir d’injonction.
Comme l’a rappelé le Président Labetoulle, c’est la jurisprudence Ouatah qui en a
constitué le point de départ. Et l’on peut estimer qu’aujourd’hui, le juge du référésuspension a acquis un large pouvoir d’injonction comparable à celui de son homologue du référé-liberté, ce qui présente un intérêt certain pour le justiciable, moins
incité à intenter un référé-liberté en raison des conditions restrictives encadrant
cette procédure.
a. Ont pu ainsi être prononcées dans le cadre du référé-suspension :
- des injonctions de réexaminer la demande du justiciable dans un délai déterminé, en tenant compte, le cas échéant, des principes et règles juridiques que
l’ordonnance de suspension de la décision de refus pourra avoir rappelés dans sa motivation. En voici quelques exemples :
* Cons d’Et., 9 juillet 2001, M. Le Berre : suspension de la décision du ministre
de l’Intérieur ayant refusé de déclarer la vacance d’un poste de directeur de préfecture et injonction au ministre de réexaminer la demande du requérant dans un délai
de un mois ;
* Cons d’Et., 14 décembre 2007, M. J : suspension du refus implicite du Président de l’université d’accorder le bénéfice de la protection juridique à un
universitaire victime de la diffusion parmi ses collègues et les étudiants d’une étude
de cas fictive dans laquelle il apparaissait comme corrompu pour avoir favorisé un
recrutement contre des avantages illégaux, suspension assortie d’une injonction
adressée au Président de l’université de réexaminer la demande de M. J au regard
des principes rappelés par la décision de suspension dans un délai de quinze jours ;
* TA Paris 20 mai 2008, Mme Fofana : suspension de la décision de la Commission de médiation de Paris refusant de reconnaître la requérante comme prioritaire
pour l’attribution d’urgence d’un logement en application de la loi du 5 mars 2007 et
injonction adressée à la Commission de se prononcer à nouveau sur la demande de
Mme Fofana dans un délai de un mois ;
- des injonctions – plus contraignantes – de prendre à titre provisoire une mesure
dans un sens déterminé, assortie le cas échéant d’un délai (par ex : Cons d’Et., 15 octobre 2004, Commune d’Andeville : suspension de la décision (sanction) d’un maire
de révoquer un agent de la commune qui avait dérobé trois bombes pyrotechniques
et injonction de réintégrer l’agent jusqu’à ce qu’il soit statué au fond).
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b. De manière plus significative, on a assisté à un assouplissement de la règle générale selon laquelle le requérant est tenu de demander l’injonction pour espérer la
voir prononcer par le juge du référé-suspension, qu’il s’agisse indifféremment d’accompagner :
- la suspension d’une décision affirmative. Ainsi l’arrêt Vedel (Cons d’Et., 27 juillet
2001) précise que le juge peut, de sa propre initiative, prescrire les mesures que
d’autres textes imposent à l’administration partie au litige de prendre pour assurer
l’exécution de la suspension qu’il prononce (par ex : Cons d’Et., 9 mai 2005, SCI Pauline : à propos de la suspension d’un permis de construire, le juge du référé de
premier ressort avait indiqué que cette suspension impliquait l’arrêt immédiat des
travaux, prescrit qu’un procès-verbal d’infraction soit dressé et prévu que le maire ou
à défaut le préfet édicterait un arrêté interruptif des travaux et transmettrait le dossier au procureur de la République). Apparaît ici la volonté du Conseil d’Etat de ne pas
contrarier la vocation du juge du référé-suspension à assurer la meilleure exécution
possible de la suspension qu’il a ordonnée en adoptant une démarche « pédagogique » ;
- la suspension d’une décision négative. Dans ce cas, existe même une véritable
obligation d’énoncer les obligations qui découleront, pour l’administration, de la suspension de la décision de rejet ou de refus, sans que l’absence de conclusions du
requérant en ce sens puisse constituer un obstacle (v. Cons d’Et., 13 février 2006,
Commune de Fontenay-le-Comte : « s’agissant des décisions de suspension prononcées par le juge des référés, il appartient à celui-ci lorsqu’il prononce la suspension
d’une décision de rejet, d’assortir dans tous les cas cette mesure de l’indication des
obligations qui en découleront pour l’administration » ; mais le fait, pour le juge du
référé, de se borner à suspendre la décision de rejet sans mentionner les obligations
qui en découleraient pour l’administration, alors qu’il n’était pas saisi de conclusions
en ce sens, n’est pas de nature à entacher d’irrégularité l’ordonnance de suspension :
Cons d’Et., 14 octobre 2002, Commune du Lavandou).
B. Complémentarité des pouvoirs d’injonction
Lorsque ni le référé-suspension, ni le référé liberté ne peuvent être utilement intentés, le référé conservatoire (ou « mesures utiles ») peut servir de relais utile.
Traditionnellement, le juge du référé conservatoire témoignait certes d’une relative
timidité à cet égard tenant à la rigueur des conditions de son intervention (surtout
liées aux interdictions de préjudicier au principal et de faire obstacle à l’exécution
d’une décision administrative). Mais l’assouplissement de ces conditions issu de la loi
du 30 juin 2000 a permis un renouveau de cette procédure, d’autant qu’elle offre au
juge de l’urgence des prérogatives d’injonction non négligeables (Cons d’Et., 29 avril
2002, M. Capellari) l’autorisant à prononcer toute autre mesure utile.
Trois arrêts du Conseil d’Etat sont venus tirer le juge du référé conservatoire de sa
torpeur antérieure et le sortir de son domaine habituel d’intervention – ce qui en fait
un relais ou un complément idéal du juge du référé-suspension et du référé-liberté –
en privilégiant une approche pragmatique des nouvelles conditions législatives.
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1. L’arrêt Centre hospitalier d’Armentières (Cons d’Et., 29 juillet 2002)
Cette affaire opère une extension des pouvoirs du juge du référé conservatoire et
de son pouvoir d’injonction dans le domaine contractuel, venant pallier ici les insuffisances des autres référés.
En l’espèce, le juge du référé conservatoire était saisi par l’hôpital d’une demande
d’injonction sous astreinte tendant à ce que son cocontractant lui restitue les archives médicales après expiration du contrat, à la suite du refus du centre hospitalier
de renouveler ce dernier. Ces conclusions furent rejetées en premier ressort pour
inutilité au motif que le centre hospitalier était susceptible d’obtenir la restitution de
ses archives car il disposait des moyens contractuels lui permettant d’obtenir satisfaction. Saisi en cassation, le Conseil d’Etat accepte l’idée que le juge du référé est
habilité à adresser des injonctions de faire au cocontractant privé de l’administration
et estime qu’il n’existait pas une contestation sérieuse s’opposant au prononcé de
l’injonction sollicitée.
La première question était incontestablement la plus délicate : conformément au
principe issu de la fameuse jurisprudence Préfet de l’Eure (Cons d’Et., 30 mai 1913), il
« n’appartient pas au juge administratif d’intervenir dans la gestion d’un service public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l’administration,
lorsque celle-ci dispose à l’égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer
l’exécution du contrat ». Toutefois, le principe cède lorsque l’administration ne peut
user de moyens de contrainte à l’encontre de son cocontractant qu’en vertu d’une
décision juridictionnelle : dans ce cas, le juge du contrat est en droit de prononcer
une obligation de faire à l’encontre du cocontractant de l’administration, assortie
éventuellement d’une astreinte. Le Conseil d’Etat vient rappeler cette exception et
ajoute qu’en « cas d’urgence, le juge des référés peut, de même, sur le fondement des
dispositions précitées de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, ordonner,
éventuellement sous astreinte, audit cocontractant, dans le cadre des obligations prévues au contrat, toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service
public ». Les exigences de continuité du service public s’avèrent donc de nature à justifier l’intervention en urgence du juge du référé conservatoire et à caractériser
l’utilité des mesures visant à obtenir l’exécution du contrat. En l’espèce, l’injonction
demandée par le Centre hospitalier visant à obtenir la restitution des archives était
nécessaire à la continuité et au bon fonctionnement du service public hospitalier, dès
lors – précise le Conseil d’Etat – que le contrat avait pris fin et que cette mesure visait
également à garantir l’accès des patients à leurs dossiers médicaux.
La seconde difficulté – tenant à la portée qu’il convenait de donner à la condition
relative à l’absence de contestation sérieuse – est plus facilement écartée : le principe même de l’obligation de restitution pesant sur la société n’était pas
sérieusement contestable, sachant que le centre hospitalier avait clairement exprimé
sa volonté de ne pas reconduire le contrat conclu pour une durée d’un an.
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2. L’arrêt Masier (Cons d’Et., Section, 6 février 2004)
En l’espèce, il était question de travaux qui suivaient leur cours malgré la suspension du permis de construire obtenue par une association. Le juge du référé
conservatoire avait enjoint au maire du Lavandou, d’une part, de faire dresser dans
les 24 heures à compter de la notification de l’ordonnance un procès-verbal
d’infraction, d’autre part, d’édicter un arrêté interruptif de travaux et d’en transmettre copie au Procureur de la République sous astreinte de 1000 euros par jour de
retard.
Le choix procédural fait par l’association était judicieux : agir en référé liberté
s’avérait en effet très aléatoire et en référé-suspension inefficace, étant entendu que
l’exercice d’un nouveau référé-suspension contre l’éventuel refus du maire de mettre
en œuvre les pouvoirs qu’il tient des articles L.480-1 et L.480-2 du Code de
l’urbanisme, même assorti d’une injonction de mettre en œuvre ces pouvoirs,
n’aurait pas empêché, dans l’intervalle, les travaux de se poursuivre (outre qu’il
n’était pas certain que la suspension soit ordonnée, la condition d’urgence pouvant,
du fait de la poursuite des travaux, ne plus être remplie : Cons d’Et., 29 décembre
2004, Commune de Vidauban).
En cassation, le Conseil d’Etat consacre l’approche du juge de premier ressort et
contribue, en autorisant le juge du référé conservatoire à faire l’usage de son pouvoir
d’injonction selon des modalités nouvelles pour lui, à assurer la complémentarité des
prérogatives comminatoires des divers juges des référés. Plusieurs points sont à souligner :
- l’utilité de la mesure s’apprécie ici au regard de l’inadaptation des autres référés
d’urgence ;
- l’injonction demandée n’est pas considérée comme étant de nature à faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative puisque précisément les travaux
continuaient faute de décision administrative les contrariant ;
- la demande ne se heurtait à aucune contestation sérieuse, la construction se
poursuivant en méconnaissance d’une ordonnance de suspension.
- on observera enfin que la convergence des pouvoirs d’injonction se caractérise
également, dans cette affaire, par la nature même de l’injonction prononcée : à
l’instar du juge du référé-suspension ou du référé-liberté, le juge ordonne ici au maire
de prendre une décision dans un sens précis, après avoir constaté la compétence liée
du maire dans le cas particulier de la construction sans permis ou de la suspension du
permis, à savoir l’obligation de faire jouer les pouvoirs qu’il tient des articles L.480-1
et L.480-2 du Code de l’urbanisme. Il va de soi que le juge du référé conservatoire
n’aurait pu enjoindre au maire de prendre une telle décision si ce dernier avait disposé d’un pouvoir d’appréciation sur l’attitude à adopter.
31
3. L’arrêt Elissondo Labat (Cons d’Et., Section, 18 juillet 2006)
Par cet arrêt, le Conseil d’Etat reconnaît la possibilité, pour le juge du référé conservatoire, d’adresser une injonction à l’administration afin que des travaux
provisoires destinés à mettre en sécurité un bâtiment soient réalisés aux frais avancés par cette dernière. Il s’agissait plus précisément, en l’espèce, de travaux sur une
route départementale qui avaient occasionné la dégradation rapide d’un bâtiment
situé en bordure de celle-ci (une expertise avait attesté ce lien de cause à effet). La
propriétaire, Mme Elissondo-Labat, s’était en conséquence tournée vers le juge du
référé conservatoire afin qu’il adresse au département l’injonction visant à faire réaliser lesdits travaux de mise en sécurité. Elle se heurta à un rejet de sa demande au
motif que cela tendait à ce que soit ordonnée une mesure de nature à faire obstacle à
l’exécution d’une décision administrative, décision constituée par le silence gardé par
le département sur la demande de l’intéressée aux services du conseil général d’agir
rapidement pour que soit mis un terme au sinistre causé à son immeuble.
Le Conseil d’Etat devait casser l’ordonnance du juge des référés et faire droit à la
demande de la requérante. Il fait dire qu’encore une fois, le référé conservatoire apparaissait la voie de droit la plus efficace : d’abord, parce ce qu’à l’inverse du référésuspension, il ne nécessite pas d’appréciation de légalité (question qui aurait pu être
délicate à appréhender en l’espèce) ; ensuite dans la mesure où rien, ici, ne permettait de penser que le juge du référé-liberté identifierait à coup sûr une liberté
fondamentale, et encore moins qu’il considérerait que l’administration y portait une
atteinte grave et manifestement illégale en refusant de remédier aux désordres affectant l’immeuble.
Restait cependant la difficulté qu’avait relevée le juge de premier ressort :
l’interdiction de faire obstacle à l’exécution d’une décision de l’administration. Sur ce
point, tout en en rappelant le principe, la Haute juridiction affirme qu’il ne saurait
être opposé relativement à une décision de refus de réaliser les mesures mêmes sollicitées en référé. Il y a là une solution de bon sens permettant notamment d’éviter
que l’administration puisse neutraliser la procédure de référé conservatoire en prenant une décision expresse en cours d’instance.
Malgré la convergence et le renforcement des pouvoirs d’injonction qui viennent
d’être retracés, demeure une différenciation liée à la portée du principe formulé par
l’article L.511-1 du CJA aux termes duquel « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire ».
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§ 2. Le maintien d’une dualité des pouvoirs d’injonction du juge des
référés d’urgence
Le juge du référé n’étant pas saisi du principal, ses ordonnances ne peuvent bénéficier de l’autorité de chose jugée même si leur exécution constitue bien évidemment
une obligation (Cons d’Et., Section, 5 novembre 2003, Association « Convention vie et
nature pour une écologie radicale »). Et il est vrai que, statuant en urgence et selon
une procédure d’instruction allégée, il ne lui est pas toujours possible de se faire une
opinion précise sur l’affaire qui lui est soumise (incidence de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales). De ce
fait, il ne saurait prononcer non seulement une annulation (dont l’effet définitif est
indéniable), mais au surplus une injonction qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui auraient résulté de l’exécution, par l’autorité administrative, d’un
jugement prononçant une annulation contentieuse (Cons d’Et., référé, 1er mars 2001,
Paturel). Ainsi, ne peuvent être ordonnées, à la suite d’un refus, la communication
d’un dossier personnel détenu par les services des renseignements généraux, la levée
l’état d’urgence proclamé dans le pays au cours de l’hiver 2005, la désignation d’un
représentant syndical au sein du conseil d’administration de l’école nationale de la
magistrature, la publication de la vacance d’un poste de directeur de préfecture, la
titularisation d’un agent public sous contrat, la délivrance d’une autorisation de défrichement, etc.
En d’autres termes, il est interdit au juge du référé faisant usage de son pouvoir
d’injonction d’ordonner des mesures dont les effets seraient irréversibles. Toutefois,
l’exigence du caractère provisoire ne signifie pas pour autant que les mesures en
cause ne puissent produire des effets durables dans le temps, car le provisoire ne se
confond pas avec le temporaire. En réalité, ce principe du provisoire suppose seulement que la décision prise en référé puisse être modifiée ou révisée utilement : les
mesures ordonnées étant des mesures conservatoires, elles doivent pouvoir être revues, soit à la lumière d’un élément nouveau devant le juge du référé lui-même – en
application de l’article L.521-4 du CJA –, soit dans le cadre du recours en appel ou en
cassation. Cependant, sur cette question, le Conseil d’Etat s’est à l’évidence montré
plus permissif pour le juge du référé liberté (A) que pour les autres juges des référés
d’urgence (B).
A. La redéfinition du principe du caractère provisoire des mesures de référéliberté
Le principe consacré par l’article L.511-1 du CJA est, on l’a vu, fondamentalement
justifié. Cependant, force est de constater que les raisons avancées à l’application
rigoureuse du principe en référé-liberté paraissent aujourd’hui moins convaincantes.
Tout d’abord, l’argument tiré de ce que le juge du référé est un juge de
« l’évidence superficielle » qui ne peut donc pas trancher définitivement le litige qui
lui est soumis ne s’applique guère au référé-liberté. Rappelons que cette procédure a
été organisée, précisément, afin de remédier aux atteintes graves et manifestement
33
illégales de l’administration à une liberté fondamentale, ce qui explique que dans ce
cas, le juge puisse prendre toutes les mesures nécessaires. Il y aurait donc quelque
paradoxe à lui retirer le droit de prononcer des injonctions définitives si c’est le seul
moyen de faire cesser l’atteinte constatée.
Il faut observer que, s’agissant du juge du référé précontractuel (qui sans être
certes un juge de l’urgence au sens de la loi du 30 juin 2000 est cependant saisi dans
un contexte d’urgence puisqu’il doit se prononcer rapidement et au vu d’une instruction nécessairement sommaire), le législateur n’a pas eu les mêmes préventions
quant à l’étendue des pouvoirs d’injonction qu’il convenait de lui confier : en effet, le
président du tribunal administratif, saisi avant la conclusion du contrat, peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la
passation du contrat ou l’exécution de toute décision qui s’y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à
figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations.
Autre élément déterminant : la circonstance que la saisine du juge du référéliberté n’accompagne pas nécessairement une requête au fond, à l’inverse notamment de la demande de référé-suspension. L’intervention de celui-ci ne risque donc
pas de préjudicier « au principal » ; il en est affranchi. Dès lors, il n’y a aucune raison
de restreindre la portée des injonctions qu’il est conduit à formuler.
Enfin, il existe des garde-fous importants au premier rang desquels il convient de
placer :
- les conditions strictes d’engagement du référé-liberté (y compris la condition
d’urgence qui y est entendue de façon beaucoup plus stricte que dans les autres référés : Cons d’Et., 28 février 2003, Commune de Pertuis) ;
- la procédure de l’article L.521-4 autorisant le juge des référés, saisi par toute
personne intéressée, à tout moment, au vu d’un élément nouveau, à modifier les mesures qu’il avait ordonnées ou à y mettre fin. Il est vrai que cela peut paraître inutile
dans le cas d’injonctions donnant lieu à des décisions dont les effets sont immédiatement épuisés, telle que l’autorisation d’une manifestation ou d’une réunion ; mais
il se peut qu’avant même l’exécution de l’ordonnance, les circonstances de fait aient
changé, privant l’injonction d’utilité ;
- l’existence d’un recours en appel devant le Conseil d’Etat enfermé dans des délais très brefs, (le Président de la Section du contentieux ou le conseiller délégué à cet
effet devant se prononcer a priori dans un délai de 48 heures).
1. L’assouplissement du principe : le prononcé de mesures simplement « réversibles »
Alors que de façon classique, le Conseil d’Etat définissait le principe du provisoire
par la négative, en précisant notamment qu’il était interdit d’ordonner des mesures
qui auraient des effets en tous points identiques à ceux qui auraient résulté de
l’exécution par l’autorité administrative d’un jugement prononçant une annulation
contentieuse, il semble aujourd’hui inverser cette logique en proposant une défini-
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tion positive du principe : désormais, en effet, le caractère provisoire doit s’apprécier
au regard du caractère réversible de la mesure.
Cette approche nouvelle résulte très clairement de l’arrêt Syndicat CFDT Interco.
Le syndicat demandait au juge du référé-liberté d’enjoindre à l’Office public de
l’habitat de Chartres de remettre à sa disposition un local syndical, les listes des adhérents et les courriers qui lui étaient destinés, et de rétablir les décharges d’activités
syndicales qui étaient auparavant accordées. Le premier juge avait refusé de faire
droit aux conclusions du syndicat au motif qu’elles tendraient à faire prononcer une
injonction dont les effets seraient en tous points identiques à ceux qui résulteraient
de l’exécution par l’autorité administrative du jugement par lequel le juge de l’excès
de pouvoir viendrait, le cas échéant, à annuler les décisions litigieuses de l’office public et qu’elles excèderaient dès lors sa compétence. Saisi par le syndicat en appel, le
Conseil d’Etat juge qu’il résulte de la combinaison des dispositions des articles L.511-1
et L.521-2 du CJA, qu’il appartient au juge du référé-liberté, lorsqu’il est saisi et qu’il
constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, « de prendre les mesures qui sont de
nature à faire disparaître les effets de cette atteinte ; que ces mesures doivent en
principe présenter un caractère provisoire, […]; que ce caractère provisoire s’apprécie
au regard de l’objet et des effets des mesures en cause, en particulier de leur caractère réversible ». Estimant alors qu’en déniant tout caractère provisoire aux mesures
sollicitées, sans tenir compte de leur caractère réversible, le juge du référé a commis
une erreur de droit, le Conseil d’Etat annule l’ordonnance et enjoint à l’office de
réexaminer dans un délai d’un mois les droits auxquels le syndicat prétendait et, dans
l’attente de ce réexamen, de le rétablir dans les droits dont il bénéficiait antérieurement en lui restituant le local dont il disposait jusque là, l’ensemble des biens et
documents qui s’y trouvaient, ainsi que les décharges de service et autorisations
d’absence attribuées à ses représentants.
L’arrêt Syndicat CFDT Interco (Cons d’Et., 31 mai 2007), montre donc que dans certains cas les mesures ordonnées peuvent produire des effets durables ou quasidéfinitifs tout en respectant cependant le principe du provisoire dès lors qu’elles ne
créent pas une situation irréversible. En effet, lorsque l’atteinte à la liberté s’étale
dans le temps et lorsque le comportement de l’administration – qui peut se traduire
par une interdiction ou un refus – ne compromet pas la demande de l’administré ; le
juge du référé-liberté peut alors enjoindre à l’administration, dans l’attente d’un
réexamen de la situation, d’adopter un comportement ou d’accorder une autorisation qui, tout en paraissant définitive demeure en fait provisoire en raison de la
possibilité pour cette dernière de la remettre en cause une fois le dossier réexaminé.
Au final, tout en respectant le principe du provisoire, la mesure produit des effets qui
vont au-delà de ce que l’interprétation traditionnelle de celui-ci aurait permis. En revanche, sauf à s’affranchir du principe – ce que nous verrons plus loin – les mesures
qui auraient pour effet, par exemple, de laisser une trace matérielle ou juridique pratiquement ineffaçable telle qu’une autorisation d’urbanisme, de défricher, etc.
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En dépit de cette avancée jurisprudentielle, on remarque que le juge du référéliberté se montre parfois prudent dans le prononcé des mesures qu’implique la sauvegarde de la liberté à laquelle il est porté atteinte. En témoigne une ordonnance du
juge du référé liberté du Tribunal administratif de Caen (TA Caen, 15 mai 2008, M. et
Mme Doublet) relative à un refus préfectoral d’accorder le concours de la force publique pour assurer l’exécution de la décision d’expulsion ordonnée par le juge
judiciaire des occupants sans titre d’un immeuble. Après avoir relevé l’urgence et
l’atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale (droit de propriété), le juge du référé-liberté enjoint au préfet de prendre toutes les mesures
nécessaires pour assurer l’exécution de la décision du juge judiciaire prescrivant
l’expulsion des occupants sans titre, sans préciser ce que doivent être ces mesures.
Or, il semble bien qu’il ne peut s’agir que du concours de la force publique. Le critère
de la réversibilité rend cependant possible le prononcé d’une telle mesure dès lors en
effet que l’expulsion ne s’oppose pas à une demande ultérieure d’autorisation
d’occuper le domaine public.
2. L’affranchissement du principe : le prononcé de mesures irréversibles
Si, bien souvent les mesures d’injonction que formule le juge des référés présentent effectivement un caractère provisoire – au sens de réversible, soit parce que le
juge se borne à demander à l’administration de réexaminer le dossier, soit parce que
le comportement ou l’acte précis qu’il lui impose d’adopter pour faire cesser
l’atteinte à la liberté se trouve enfermé dans des limites temporelles qui préservent
un retour en arrière en cas de changement dans les circonstances de droit ou de fait
–, il semble pouvoir être affirmé que, dans le cadre du référé-liberté, prévaut désormais une conception utilitaire des mesures prononcées qui relègue au second plan le
caractère nécessairement provisoire de celles-ci.
Ce qui prime alors est l’effectivité de la protection de la liberté fondamentale dont
le juge constate qu’elle est l’objet d’une atteinte grave et manifestement illégale de
la part de l’administration. Déjà palpable dans certains arrêts, cette approche a été
consacrée par le Conseil d’Etat qui accepte, dans l’ordonnance Ville de Lyon (Cons
d’Et., référé, 30 mars 2007), que le juge s’affranchisse du caractère provisoire de la
mesure ordonnée à l’administration « lorsque aucune mesure de cette nature n’est
susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il
est porté atteinte ».
Ainsi, alors que les Témoins de Jéhovah avaient obtenu du juge des référés du Tribunal administratif de Lyon la suspension de l’exécution de la décision du maire de
Lyon leur refusant la location d’une salle municipale pour que se tienne leur culte
ainsi qu’il soit enjoint à ce dernier de mettre cette salle à leur disposition, le Conseil
d’Etat était saisi en appel par le maire qui estimait que le juge du référé avait commis
une erreur de droit en prescrivant une mesure n’ayant aucun caractère provisoire.
Réaffirmant d’abord le principe selon lequel les décisions prises par le juge du référéliberté n’ont qu’un caractère provisoire et qu’il lui appartient, lorsqu’il constate une
atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit
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public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures provisoires qui sont de
nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, le Conseil d’Etat ajoute cependant que « lorsque aucune mesure de caractère provisoire n’est susceptible de
satisfaire cette exigence, en particulier lorsque les délais dans lesquels il est saisi ou
lorsque la nature de l’atteinte y font obstacle, il peut enjoindre à la personne qui en
est l’auteur de prendre toute disposition de nature à sauvegarder l’exercice effectif de
la liberté fondamentale en cause » et « qu’il en va ainsi notamment lorsque l’atteinte
résulte d’une interdiction dont les effets sont eux-mêmes provisoires ou limités dans le
temps ». Faisant application en l’espèce de cette nouvelle interprétation de l’article
L.511-1, il juge alors qu’en enjoignant au maire de louer la salle à l’association afin de
permettre la tenue de la réunion à la date et à l’heure prévue le juge du référé du
Tribunal administratif de Lyon n’avait pas commis d’erreur de droit.
A la différence de l’arrêt Syndicat CFDT-Interco, il n’est pas fait référence ici au critère de la réversibilité des mesures ordonnées ; la motivation de l’arrêt traduit donc
clairement la volonté du Conseil d’Etat de s’affranchir du principe de l’article L.511-1
du CJA lorsque le prononcé de mesures définitives est le seul moyen de garantir le
respect de la liberté fondamentale en cause. Aussi, les cas de figure concernés doivent être circonscrits et exceptionnels : l’atteinte à la liberté fondamentale doit
résulter d’une interdiction dont les effets sont eux-mêmes provisoires ou limités dans
le temps ; les circonstances – délais de saisine du juge, nature de l’atteinte – font obstacle au prononcé de mesures provisoires utiles. Cela correspondra à des situations
dans lesquelles le comportement de l’administration compromet en quelque sorte
irrémédiablement, la demande ou la situation du requérant. Le seul moyen de faire
cesser l’atteinte est alors de prescrire une injonction dont les effets sont épuisés dès
son prononcé et sur lesquels il est pratiquement impossible de revenir comme en
l’espèce, où l’injonction adressée au maire permet la tenue de la réunion.
Il convient de souligner par ailleurs, même si cela ne résulte pas directement de
l’arrêt Ville de Lyon, que le prononcé d’injonctions aux effets définitifs ne peut concerner que des hypothèses limitées qu’illustrent les exemples présentés et qui ne
sont pas sans rappeler les conditions du prononcé des injonctions sur le fondement
des articles L.911-1 et L.911-2 du CJA. Ainsi, le juge du référé-liberté ne peut être habilité à enjoindre à l’administration d’adopter un acte ou un comportement
déterminé dans la mesure seulement où, après avoir constaté l’illégalité grave et manifeste, il apparaît que l’administration se trouve dans une situation de compétence
liée. Pour ne revenir que sur cet exemple, tel est le cas de la suspension du refus de
mettre à disposition une salle communale dès lors qu’il n’existait aucun motif tenant
à l’ordre public ou aux nécessités de l’administration communale propre à justifier le
refus. En revanche, il est peu probable que le juge accepte de prononcer de telles
injonctions dont les effets sont irréversibles, lorsque l’administration, bien qu’ayant
commis une illégalité grave, conserve un pouvoir discrétionnaire. Dans ce cas, seul le
réexamen de la situation pourra être ordonné et l’on voit bien ici que le référésuspension est plus adapté eu égard à la mesure ordonnée.
37
B. Le maintien de l’exigence de mesures provisoires en référé-suspension et
référé conservatoire ?
S’il existe certes, ici aussi, des exceptions au principe du caractère provisoire des
mesures prononcées, on ne saurait vraiment parler de transposition de la jurisprudence développée en référé-liberté.
1. L’existence d’exceptions au principe
a. En référé-suspension
Il peut arriver que la suspension conduise le juge du référé à ordonner des mesures qui, dans les faits, ne présentent pas un caractère provisoire.
- C’est le cas notamment de la suspension d’une décision de refus à effet immédiat, à l’image de ce qu’on a pu constater dans le cadre du référé-liberté (refus de
louer une salle communale, un terrain de sport, etc. pour organiser une manifestation ou une réunion ; par ex. Cons d’Et., 5 mars 2001, Saez : le Conseil d’Etat suspend
le refus du maire de Venelles de faire droit à la demande de 10 des 29 conseillers
municipaux de réunir son conseil pour délibérer sur le remplacement des délégués de
la commune au conseil de la communauté d’agglomération du pays d’Aix et, eu égard
aux circonstances de l’espèce, enjoint au maire de réunir le Conseil municipal au plus
tard le mercredi 7 mars 2001 à 18h).
- Pour être moins directe, l’atteinte au principe de l’article L.511-1 du CJA n’en est
parfois par moins réelle. On peut ainsi douter, par exemple, du caractère provisoire
de l’injonction adressée par le juge du référé qui, après avoir suspendu le sursis à statuer opposé par le maire d’une commune à une demande de permis de construire, lui
ordonne de statuer à nouveau, conduisant ce dernier à délivrer un permis de construire (Cons d’Et., 13 juillet 2007, Commune de Sanary-sur-mer). Certes, le Conseil
d’Etat juge, d’une part, que le permis de construire accordé à la suite du réexamen
ordonné en référé suspension et pour l’exécution de l’ordonnance a un caractère
provisoire jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours en annulation présenté parallèlement à la demande en référé et, d’autre part, que cette mesure n’a pas pour effet de
priver d’objet les conclusions tendant à l’annulation de l’ordonnance. Il demeure
néanmoins que l’exécution des travaux en application du permis pourra être difficilement remise en cause dans l’hypothèse d’une annulation par le Conseil d’Etat de
l’ordonnance de référé.
b. En référé conservatoire
On trouve ici, également, des exemples de mesures définitives, tel l’ordre
d’expulser l’occupant sans titre du domaine public ou celui de communiquer à un
administré des documents le concernant pour lui permettre d’exercer un recours. Il
en va de même s’agissant d’affaires précédemment évoquées, de la mesure enjoignant au maire de faire dresser un procès-verbal d’infraction, d’édicter un arrêté
interruptif de travaux et d’en transmettre copie au procureur ou de celle prescrivant
au cocontractant d’un centre hospitalier, la restitution d’archives lui appartenant.
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2. Les possibilités d’une relecture du principe du provisoire
Bien qu’enregistrée uniquement en référé-liberté, la relecture du principe du provisoire ne saurait, de l’avis des commentateurs autorisés, lui être exclusive et pourrait
intéresser au contraire l’ensemble des référés d’urgence. En effet, l’approche nouvelle du caractère provisoire des mesures, qui s’apprécie « au regard de l’objet et des
effets des mesures en cause, en particulier de leur caractère réversible » ne paraît pas
en soi incompatible avec les caractéristiques du référé-suspension ou du référéconservatoire. Certes, les spécificités du référé-liberté justifiaient l’assouplissement
du principe dès lors que la protection due à la liberté fondamentale à laquelle il a été
porté une atteinte grave et manifestement illégale s’accommode mal d’une application stricte de l’article L.511-1 du CJA. Toutefois, même si l’on ne peut ignorer le fait,
déjà évoqué, que le référé-suspension et le référé-conservatoire s’opposent, presque
par essence, au prononcé de mesures autres que provisoires en raison, pour le premier, de l’existence d’une instance au fond, et pour le second de l’obligation de
prendre des mesures utiles et conservatoires, il ne nous semble pas, en tout état de
cause, que ces raisons obèrent nécessairement toute possibilité d’extension de la
jurisprudence Ville de Lyon – Syndicat CFDT Interco.
a. L’absence d’obstacle à la relecture du principe
Dans le cas du référé-suspension, l’application du critère de la « réversibilité » des
mesures prononcées n’a pas de répercussions sur un certain nombre de solutions
antérieures : demeure par principe exclu le prononcé d’une injonction faite à
l’autorité administrative d’accorder une autorisation ; cela vaut notamment pour un
permis de construire, sauf dans le cas d’un bâtiment lui-même provisoire, par
exemple démontable. En revanche, ce critère vient justifier a posteriori quelques solutions qui semblaient constituer des anomalies en regard de la jurisprudence
initiale – ainsi par exemple de l’injonction, sur référé-suspension, de convocation
d’un conseil municipal, mesure équivalente à celle qui résulterait du refus d’y procéder (Cons d’Et., 5 mars 2001, Saez) – dès lors du moins qu’on entend par «
réversible » le caractère des mesures dont l’exécution ne laisse pas une trace matérielle difficilement effaçable, voire quasi ineffaçable.
En dépit de cet assouplissement, certaines solutions continuent à poser question
quant aux conséquences des mesures ordonnées en référé-suspension. C’est le cas
par exemple de l’injonction ordonnée en complément de la suspension d’un sursis à
statuer opposé par le maire d’une commune à une demande de permis de construire,
faisant obligation à ce dernier de statuer à nouveau, ce qui le conduit à délivrer un
permis de construire. Certes, le Conseil d’Etat juge, d’une part, que le permis de construire accordé à la suite du réexamen ordonné en référé-suspension et pour
l’exécution de l’ordonnance a un caractère provisoire jusqu’à ce qu’il soit statué sur
le recours en annulation présenté parallèlement à la demande en référé et, d’autre
part, que cette mesure n’a pas pour effet de priver d’objet les conclusions tendant à
l’annulation de l’ordonnance. Il demeure néanmoins que l’exécution des travaux en
application du permis pourra être difficilement remise en cause dans l’hypothèse
39
d’une annulation par le Conseil d’Etat de l’ordonnance de référé (Cons d’Et., 13 juillet
2007, Commune de Sanary-sur-Mer).
Dans le cadre du référé-conservatoire, le même constat peut être effectué. Certaines solutions jurisprudentielles exposées plus haut s’expliquent aujourd’hui par
l’application du critère de la réversibilité des mesures. Ainsi, l’expulsion d’un occupant sans titre du domaine public ne peut, à strictement parler, être regardée comme
une mesure provisoire ; pour autant, elle n’est pas fondamentalement irréversible –
la personne expulsée peut demander à nouveau un titre et l’obtenir – et de ce point
de vue, le principe de l’article L.511-1 du CJA est respecté. Il en va de la sorte également pour l’injonction adressée à l’administration afin qu’elle communique des
documents pour permettre l’introduction d’un recours : la mesure n’est certes pas
provisoire – les documents ont été communiqués et le justiciable en a pris définitivement connaissance – mais les effets ne sont pas irréversibles dès lors que la
communication ne constitue qu’une étape dans le processus juridictionnel qui peut
s’ouvre. Pour d’autres cas, l’application du critère est plus délicate au regard de
l’ambiguïté quant à la portée des mesures prononcées et il peut alors être plus difficile de considérer que la mesure n’est pas irréversible. En témoigne le contentieux lié
au refus de certaines communes d’organiser le service minimum d’accueil des jeunes
enfants prévu par la loi n° 2008-790 du 20 août 2008. Constatant l’urgence à remédier à la persistance d’une situation contraire à la loi, le juge du référé estime utile de
prescrire à la commune de prendre toutes mesures nécessaires à l’organisation effective du service d’accueil pour la grève du 20 novembre 2008 et pour être en mesure
de faire face en urgence à ses obligations lors des grèves ultérieures (TA Toulouse,
référé, 15 novembre 2008, Préfet de la Haute-Garonne). Selon l’ordonnance, la prescription de ces mesures ne dépasse pas le cadre de l’office du juge des référés dès
lors qu’elles ont une visée conservatoire – permettre à la commune de faire face à
ses obligations légales en vue de la grève du 20 novembre 2008 et en vue de grèves
ultérieures où il sera nécessaire qu’elle soit capable d’assurer dans l’urgence lesdites
obligations. Même si le juge ajoute que ces mesures n’ont par nature qu’un caractère
provisoire, dès lors qu’elles pourront être modifiées et réajustées en fonction de
l’expérience acquise et des situations concrètes se présentant lors de chaque grève
aux fins d’assurer de manière optimale la satisfaction des besoins du service, force
est de constater que, dans les faits, il sera difficile pour la commune de les remettre
en cause eu égard à la complexité du dispositif mis en œuvre.
b. Une relecture inutile ?
Il semblerait que le maintien d’une application rigoureuse du principe du provisoire dans les autres référés d’urgence ne s’explique que par l’inutilité relative de
recourir au critère de la réversibilité. En effet, les exemples jurisprudentiels montrent
qu’il est en définitive assez rare que le juge du référé-suspension et du référéconservatoire aient besoin de prononcer des injonctions aux effets non provisoires,
mais réversibles.
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En référé-suspension, la question se pose essentiellement pour la suspension de
décisions positives ou de refus dont les effets sont immédiats épuisés. On observe
cependant que le juge peut souvent obtenir de l’administration qu’elle prenne la
seule décision qu’impliquait la suspension sans avoir à prescrire une injonction qui,
épuisant alors immédiatement ses effets méconnaîtrait l’article L.511-1 du CJA. Cela
tient en grande partie au motif d’illégalité retenu par le juge lorsqu’il examine le
moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l’acte et à ses incidences
sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration. En effet, la sanction d’une illégalité
interne pouvant réduire à néant ce pouvoir discrétionnaire, le juge n’a pas besoin
d’enjoindre à l’autorité administrative qu’elle prenne une décision dans un sens déterminée qui épuiserait ses effets immédiatement, le simple réexamen du dossier
conduisant nécessairement à cette décision, sauf à méconnaître le caractère exécutoire de l’ordonnance. C’est le cas par exemple de la suspension de la décision par
laquelle une autorité administrative procède au licenciement disciplinaire d’un agent
contractuel (Cons d’Et., 21 décembre 2001, Aïcha Chakir) : le motif de la suspension,
l’erreur manifeste d’appréciation dans le choix de la sanction infligée à l’agent ainsi
qu’une procédure irrégulière, réduit le pouvoir discrétionnaire de l’autorité administrative qui ne peut plus procéder au licenciement et se trouve donc naturellement
tenue de réintégrer l’agent sans que le juge ne prononce ici une injonction qui aurait
un effet définitif.
Le même constat peut être fait en ce qui concerne l’injonction adressée à la suite
de la suspension du refus implicite du Président de l’université d’accorder le bénéfice
de la protection juridique à un universitaire victime de la diffusion parmi ses collègues et les étudiants d’une étude de cas fictive dans laquelle il apparaissait comme
corrompu pour avoir favorisé un recrutement contre des avantages illégaux.
L’injonction consistait uniquement à réexaminer la demande du requérant mais il est
difficile de ne pas en déduire, dans les faits, une obligation aux effets définitifs pour le
Président de l’université de mettre en œuvre la protection juridique eu égard au motif d’illégalité sanctionné par le juge : absence de motif d’intérêt général ou de faute
personnel du requérant seuls de nature à justifier le refus de lui accorder la protection juridique qu’il réclamait (Cons d’Et., 14 décembre 2007, M. J).
En ce qui concerne le référé-conservatoire, l’extension des pouvoirs d’injonction
du juge paraît également peu envisageable. Les efforts réalisés notamment au travers
de la jurisprudence Masier touchent le contentieux particulier des travaux exécutés
sans permis ou en dépit de la suspension du permis de construire et il semble difficile
de voir là une volonté de remettre en cause plus profondément le principe du caractère provisoire des mesures prises en référé. Le commissaire du gouvernement
affirmait lui-même dans ces conclusions qu’il n’était pas question de bouleverser la
procédure du référé-conservatoire qui ne saurait être appelée à être le cœur des procédures de référé. On fera observer en outre que l’injonction prononcée dans cette
affaire, avait certes des effets difficilement révocables mais le référé s’inscrivait bien
dans une procédure qui visait à préserver la situation existante au moment de la suspension du permis de construire.
41
L’étude des pouvoirs d’injonction du juge des référés d’urgence traduit en définitive la préoccupation de ce dernier de mettre en œuvre ces pouvoirs de façon à
donner une réponse adaptée à la demande du requérant. La convergence des pouvoirs d’injonction ne peut donc être totale et une gradation des mesures ordonnées
demeure inévitable et nécessaire. Ce constat ne fait que confirmer l’effort du juge à
distinguer les procédures d’urgence face à la tendance du justiciable à vouloir parfois
les confondre.
42
La contrainte au paiement
M. Jean GOURDOU
Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
Le président Labetoulle a eu l’amabilité de se remémorer la soutenance de ma
thèse. Je vais encore remonter dans le temps et évoquer ce qui fut le sujet de mon
mémoire de DEA (à l’époque, on ne parlait pas de Master), à savoir « Dix ans de jurisprudence du Conseil d’Etat en matière d’astreinte administrative ». Il s’agissait
d’étudier les premières applications (assez décevantes, on doit le dire) de ce mécanisme d’exécution de justice prévu par la loi du 16 juillet 1980. Dans la détermination
du sujet, j’avais laissé soigneusement de côté tout ce qui concernait la contrainte au
paiement organisée par ce même texte, un peu rebuté, je dois l’avouer, par le caractère technique de la matière. Après coup je l’ai regretté car, par delà cette austérité
d’abord, ce procédé revêt une grande importance pratique.
De quoi s’agit-il ? C’est en réalité assez simple à présenter.
De nombreuses décisions rendues, soit par la juridiction administrative, soit par la
juridiction judiciaire, supposent de l’administration qu’elle s’acquitte du paiement
d’une somme d’argent à un justiciable, tantôt au principal (condamnation pécuniaire,
annulation d’un refus de paiement, etc.), tantôt de manière accessoire (notamment
les frais « irrépétibles » de l’article 700 du Code de procédure civile ou de l’article
L.761-1 du CJA). Dans ce domaine, la problématique de l’exécution s’avère particulièrement sensible puisque, outre qu’on touche à des questions pécuniaires auxquelles
le justiciable attache souvent une attention redoublée, les contours de l’obligation
pesant sur l’administration sont généralement bien dessinés (somme directement ou
indirectement mais nécessairement fixée par la décision de justice). De surcroît, un
paiement rapide constitue un impératif pour ne pas alourdir les charges publiques,
l’article L.313-3 du Code monétaire et financier prévoyant une majoration du taux de
l’intérêt légal « en cas de condamnation pécuniaire par décision de justice », comme
le rappellent à échéance régulière les pouvoirs publics (en dernier lieu la circulaire du
premier ministre du 20 mai 2008 relative à l’exécution des condamnations pécuniaires prononcées contre l’Etat).
Ces multiples enjeux expliquent que, dès le premier texte réellement contraignant
en matière d’exécution des décisions rendues par la juridiction administrative, le législateur ait souhaité se pencher sur le problème et mettre en place un mécanisme de
contrainte au paiement (article 1er de la loi précitée du 16 juillet 1980, aujourd’hui
reproduit à l’article L.911-9 du CJA). Sans faire un historique poussé, je rappellerai
que cette disposition a connu quelques difficultés d’adoption : le projet initial n’y fai-
43
sait pas référence pour se consacrer exclusivement à l’astreinte et à la condamnation
à amende des agents responsables d’une inexécution. C’est un amendement voté par
la commission des lois de l’Assemblée nationale qui a introduit le mécanisme de contrainte au paiement. Mais celui-ci s’est heurté à l’opposition frontale du
gouvernement, entraînant un enlisement la procédure législative pendant plus de
deux ans. Il faut dire que les auteurs de cet amendement n’y allaient pas de main
morte. Ils prévoyaient que la décision de justice elle-même valait ordonnancement,
permettant ainsi au justiciable, muni du simple jugement, d’aller directement devant
le comptable public afin d’obtenir le paiement de sa créance ! Les obstacles tant
théoriques (tiré du principe de la séparation du juridictionnel et de l’exécutif) que
pratiques (difficulté notamment à déterminer quelle imputation comptable serait à
réaliser dans un tel cas) soulevés par un tel procédé ont contraint ses promoteurs à
reculer et à accepter finalement une solution de compromis : un mécanisme de contrainte au paiement maintenant une phase d’ordonnancement préalable.
On résume assez souvent la problématique de la contrainte au paiement à ce mécanisme issu de la loi de 1980 et de son décret d’application (aujourd’hui décret du
20 mai 2008 qui s’est substitué à celui du 12 mai 1981, sachant qu’une erreur matérielle de codification fait toujours référence à ce dernier, pourtant abrogé, dans les
dispositions du Code de justice administrative). C’est trop réducteur, parce que son
champ d’application s’avère relativement limité et qu’il existe d’autres procédures,
que ce soit devant le juge de l’exécution ou devant le préfet, dans le cadre de ses
pouvoirs de substitution généraux à l’égard des collectivités territoriales et de leurs
établissements publics. Chacun de ces différents mécanismes possède a priori son
champ d’application propre (§ 1) ; mais cela ne va pas sans quelques inconvénients, si
bien que ce cloisonnement se révèle beaucoup moins net en pratique (§ 2).
§ 1. Un cloisonnement procédural en principe étanche
Ce cloisonnement vaut à la fois entre les différentes procédures organisées par
l’article L.911-9 du CJA et entre cet article et les autres mécanismes envisageables
pour assurer l’exécution d’une décision de justice condamnant l’administration à verser une somme d’argent.
A. Les différentes procédures organisées par l’article L.911-9 du CJA
1. Champ d’application général de l’article L.911-9
Précisons d’emblée que le mécanisme étudié trouve à jouer pour assurer
l’exécution d’une décision de justice rendue en défaveur d’une personne publique (et
non d’une personne privée, même chargée d’une mission de service public, contrairement au mécanisme d’astreinte qui inclut cette hypothèse), que cette décision ait
été indifféremment rendue par une juridiction judiciaire ou administrative (à l’inverse
encore du régime de l’astreinte qui, cette fois de manière plus restrictive, ne peut
jouer qu’à l’égard des secondes). Cela posé, il existe deux autres conditions cumulatives :
44
- d’une part, la décision juridictionnelle en cause doit être passée « en force de
chose jugée », en d’autres termes elle doit constituer une condamnation pécuniaire
définitive. Sont considérées comme telles les décisions rendues en premier et dernier
ressort par le Conseil d’Etat, celles émanant d’un tribunal administratif qui n’ont pas
fait l’objet d’un appel et, enfin, les arrêts des cours administratives d’appel, même
s’ils peuvent encore faire ou font effectivement l’objet d’un recours en cassation
pendant devant le Conseil d’Etat (Cons d’Et., Section, 27 oct. 1995, Ministre du Logement c/ Mattio) ;
- d’autre part, la décision juridictionnelle passée en force de chose jugée doit fixer
elle-même, dans son dispositif, la somme dont la collectivité publique est débitrice
(Cons d’Et., 9 mai 2005, Société nouvelle de construction et de travaux publics). Les
exemples de ce type de décisions sont nombreux, allant – comme on l’a déjà signalé –
des condamnations prononcées par le juge administratif du plein contentieux à celles
d’une collectivité publique au titre des frais « irrépétibles » (Cons. d’Et., Rapport public 2002, p. 147). Est également inclus dans le champ de la procédure le
recouvrement des intérêts et de leur capitalisation (CAA Lyon, 27 avril 1999, SCI 268
avenue de la Lanterne c/ Commune de Nice). A cet égard, l’arrêt du Conseil d’Etat du
3 septembre 2007, M. Déchelotte, puis le décret du 20 mai 2008 précité ont précisé
que, même s’il est prévu que le mécanisme de contrainte au paiement n’est susceptible de jouer que relativement à des intérêts dont la décision de justice a fixé ellemême le point de départ et le taux, une telle disposition n’avait pas pour effet de
contrarier l’obligation générale, pour la collectivité publique, de verser les intérêts
dus en application de l’article 1153-1 du Code civil (selon lequel « … la condamnation
à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de
disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide
autrement »).
La condition imposant que la condamnation pécuniaire figure expressément dans
le dispositif de la décision de justice exclut la mise en jeu de la procédure dans les cas
où les parties sont renvoyées devant l’administration pour fixer le montant de la
somme due (et ce, même si les bases de la liquidation de l’indemnité à laquelle le
justiciable a droit ont été définies dans les motifs de la décision de justice : Cons d’Et.,
27 septembre 1993, Mme Kerbache).
On notera pour terminer que, dans sa rédaction issue de l’article 17 de la loi du
12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, l’article 1er-I de la loi du 16 juillet 1980 prévoit que « les dispositions de l’article
1er sont applicables aux décisions du juge des référés accordant une provision » (article à rapprocher de la réforme qui fait de cette voie de droit une procédure
possiblement affranchie d’un recours au fond).
2. Un régime distinguant plusieurs situations
Une fois son champ d’application général défini, il convient de s’intéresser aux différentes procédures organisées par l’article L.911-9. Celles-ci se distinguent
45
nettement, a priori, selon que la condamnation pécuniaire frappait l’Etat, une collectivité territoriale ou un établissement public.
Il existe cependant un élément invariant : une fois la décision de justice notifiée,
court un délai de deux mois durant lequel l’administration doit ordonnancer la
somme, sans nécessité d’une quelconque intervention du justiciable puisque cette
obligation naît de la décision de justice elle-même. Ce délai de deux mois a été substitué au délai initial de quatre mois par la loi du 12 avril 2000, sachant que ce
changement n’avait pas été répercuté dans le décret du 12 mai 1981, ce qui avait
rendu assez perplexe quelques praticiens… et qu’il a fallu une injonction du Conseil
d’Etat – dans l’arrêt Déchelotte précité – pour que soit réparé cet « oubli » avec
l’édiction du décret du 20 mai 2008 !
Sauf à vouloir vous assommer avec des détails techniques, je ne pourrai bien évidemment pas aujourd’hui retracer tous les méandres procéduraux prévus par l’article
étudié (en particulier s’agissant des différents délais). J’irai donc à l’essentiel.
Le principal problème naît souvent de l’insuffisance de crédits pour s’acquitter de
la condamnation pécuniaire (cela peut parfois concerner l’Etat pour des crédits limitatifs, mais on rencontre surtout cette hypothèse auprès de collectivités territoriales
ou d’établissements publics). Le décret du 20 mai 2008 détaille donc tous les mécanismes permettent d’assurer, selon les cas, un ordonnancement complémentaire,
voire un mandatement d’office :
- pour l’Etat, l’ordonnancement complémentaire doit être effectué dans un délai
de quatre mois à compter de la notification de la décision. À défaut
d’ordonnancement dans ce délai (ou dans les deux mois suivant la notification de justice si les crédits étaient suffisants), le comptable assignataire est tenu, à la demande
du créancier et sur présentation de la décision de justice, de procéder au paiement
dans le délai d’un mois à compter de sa saisine. Point n’est alors besoin d’un ordonnancement préalable (TA Poitiers, 15 juin 2004, Sté « Faites vous-mêmes ») ;
- pour les collectivités territoriales ou les établissements publics, à défaut de mandatement dans le délai de 2 mois, le préfet (ou l’autorité de tutelle) y procède
d’office ou sur demande du créancier. En cas d’insuffisance de crédits, le préfet ou
l’autorité de tutelle doivent mettre en demeure la personne publique débitrice de
créer les ressources nécessaires et, si cette mise en demeure reste sans effet, procéder à l’inscription de la dépense au budget de la collectivité défaillante après avoir, le
cas échéant, dégagé les ressources nécessaires, soit en réduisant les crédits affectés à
d’autres dépenses et encore libres d’emploi, soit en augmentant les ressources. Dans
le cas où, en dépit de la notification de l’inscription du crédit, la personne publique
débitrice n’effectue toujours pas le mandatement de la somme due, le préfet ou
l’autorité de tutelle sont tenus d’y procéder d’office.
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B. Les procédures susceptibles d’être mises en œuvre lorsque l’article L.911-9
du CJA ne peut trouver à jouer
1. Les procédures spécifiques applicables aux collectivités territoriales et à leurs
établissements publics
a. Description
Lorsque l’État ou l’un de ses établissements publics est le débiteur de la condamnation pécuniaire, il n’existe pas de procédure administrative alternative à celle de
l’article L.911-9 permettant de contraindre ceux-ci à payer la somme d’argent. Il en va
autrement pour une collectivité territoriale ou un établissement public local. Cette
somme constitue en effet pour eux une dépense obligatoire au sens notamment des
dispositions de l’article L.1612-15 du Code général des collectivités territoriales (c’està-dire une dépense correspondant à une dette échue, certaine, liquide, non sérieusement contestée dans son principe ni dans son montant et découlant de la loi, d’un
contrat, d’un délit, d’un quasi-délit ou de toute autre source d’obligations, ce qui inclut les condamnations pécuniaires résultant de décisions juridictionnelles). Par
conséquent, le préfet peut alors mettre en œuvre les procédures dites « de droit
commun » prévues de manière générale pour toutes les dépenses obligatoires, « nécessaires à l’acquittement des dettes exigibles ». Deux voies sont ici envisageables :
- celle dite d’ « inscription d’office des crédits », ouverte par l’article L.1612-15 du
Code général des collectivités territoriales. Cette procédure fait intervenir la chambre
régionale des comptes qui se prononce sur le caractère obligatoire de la dépense –
lequel ne fait pas de doute lorsqu’il s’agit d’appliquer une décision juridictionnelle. Si
la dépense est obligatoire et si la chambre constate l’absence ou l’insuffisance des
crédits nécessaires à sa couverture, elle adresse une mise en demeure à la collectivité
concernée, qui dispose alors d’un délai d’un mois pour créer les ressources nécessaires ; si la mise en demeure n’est pas suivie d’effet, la chambre demande au préfet
d’inscrire cette dépense au budget et propose, s’il y a lieu, la création de ressources
ou la diminution de dépenses facultatives ;
- celle dite de « mandatement d’office des dépenses », ouverte par l’article
L.1612-16 du Code général des collectivités territoriales, qui permet au préfet, lorsque des crédits suffisants sont inscrits au budget, de procéder d’office – sans que la
chambre régionale des comptes ait à être consultée – au mandatement d’une dépense obligatoire de la collectivité débitrice, à l’expiration d’un délai d’un mois après
mise en demeure adressée à la collectivité, mise en demeure dont il a été jugé qu’elle
était une condition de légalité de la procédure (Cons d’Et., 23 décembre 1988, Ministre de l’Intérieur c/ Ville de Romans-sur-Isère).
b. Caractère subsidiaire
Ces procédures « de droit commun », qui font intervenir la juridiction financière
et/ou le préfet à l’encontre d’une personne publique locale, n’ont vocation à jouer
que de manière subsidiaire pour assurer l’exécution des décisions juridictionnelles de
47
condamnations pécuniaires des collectivités territoriales et de leurs établissements
publics. L’article L.1612-17 du Code général des collectivités territoriales dispose en
effet qu’elles « ne sont pas applicables à l’inscription et au mandatement des dépenses obligatoires résultant, pour les collectivités territoriales, leurs groupements et
leurs établissements publics, d’une décision juridictionnelle passée en force de chose
jugée. Ces opérations demeurent régies par l’article 1er de la loi n° 80-539 du 16 juillet
1980 […] ». Les hypothèses dans lesquelles le recours à ces procédures s’envisage
recouvrent donc les décisions de justice qui condamnent indirectement les personnes
publiques locales à verser une somme d’argent sans qu’elles en fixent explicitement
le montant, ou leurs condamnations pécuniaires directes non encore définitives (pour
un exemple de ce dernier cas de figure, voir Chambre régionale des comptes de La
Réunion, 31 juillet 2006, Communauté intercommunale Réunion Est).
2. La saisine du juge de l’exécution
De la même manière que pour les procédures qui viennent d’être présentées, la
saisine du juge de l’exécution en vue d’obtenir paiement d’une somme auquel une
décision de justice a condamné l’administration ne se conçoit théoriquement qu’hors
champ d’application de l’article L.911-9. Elle est en particulier envisageable lorsque la
décision de justice n’a pas fixé elle-même le montant dû par l’administration (pour le
prononcé d’une injonction assortissant de simples annulations d’un titre exécutoire
ou d’un refus de versement d’un rappel d’indemnité, voir respectivement Cons d’Et.,
11 décembre 2006, Mas et Cons d’Et., 18 décembre 2008, Ministre de l’outre-mer).
A l’inverse, dès lors que la contrainte au paiement de l’article L.911-9 est susceptible de jouer, on ne saurait solliciter la mise en œuvre des pouvoirs d’exécution
normaux du juge, qu’il s’agisse indifféremment de l’injonction ou de l’astreinte. Le
Conseil d’Etat est ferme sur la question depuis l’arrêt Lother du 6 mai 1988. En
d’autres mots, le requérant est ici renvoyé vers l’administration au motif que toute la
coercition nécessaire est déjà assurée par les textes, sans qu’il soit besoin d’une intercession juridictionnelle. Ont été à cet égard considérées comme inopérantes aussi
bien les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte présentées sur le fondement des
articles L.911-1 et L.911-3 dans le cadre de l’instance principale (outre l’arrêt Lother,
on peut citer les décisions Société Le Cadoret et Centre hospitalier universitaire de
Nice rendues par le Conseil d’Etat respectivement le 24 novembre 2003 et le 6 avril
2007), que les demandes d’aide à l’exécution formulées au titre de l’article L.911-4
(CAA Bordeaux, 16 mai 2006, SA La Routière guyanaise).
D’un point de vue purement théorique, une telle exclusive peut tout à fait se justifier. En effet, la condamnation pécuniaire d’une collectivité publique, par le juge
administratif, n’appelle de la part de celle-ci aucune mesure d’exécution autre que
celle résultant du dispositif de la décision (à savoir payer la somme due). Une injonction n’apporterait aucune garantie supplémentaire au requérant puisque la
condamnation d’une personne publique à verser une somme revient déjà à
l’enjoindre à payer. C’est la raison pour laquelle aucune injonction ne peut, en principe, être prononcée en matière pécuniaire et par voie de conséquence, pas
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davantage d’astreinte (qui ferait double emploi avec les procédures administratives
de contrainte au paiement).
On le voit, toutes les procédures précédemment évoquées sont théoriquement
enserrées dans des champs bien délimités et totalement étanches. La pratique révèle
cependant de nombreuses passerelles entre elles.
§ 2. Des porosités apparues en pratique
L’étanchéité théorique des différentes procédures est battue en brèche dans la
pratique, essentiellement à deux points de vue.
A. L’Etat contraint au paiement d’une somme correspondant à une créance
pesant à l’origine sur une collectivité territoriale ou un établissement public
1. La possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat en cas de défaillance de sa part
ou d’insuffisance de crédits
Il est fait ici référence à la jurisprudence bien connue Société fermière de Campoloro. Dans cette affaire, une commune de Corse avait résilié des contrats de
concessionnaires et s’était fait condamner par le Tribunal administratif de Bastia à
payer à ceux-ci des dommages-intérêts astronomiques eu égard à ses capacités financières. Pour vous donner un ordre d’idée, la somme à verser correspondait à
vingt-sept années d’impôts directs au taux plafond pour la commune… Les sociétés
bénéficiaires du jugement s’étaient retournées dans un premier temps contre la
commune, puis avaient saisi sans succès le préfet pour essayer d’obtenir le paiement
sur le fondement de la procédure sus-décrite relayée aujourd’hui par l’article L. 911-9
du Code de justice administrative.
Je vous ferai grâce des multiples rebondissements qu’a connus cette affaire devant le Conseil d’Etat (par deux fois) et la Cour européenne des droits de l’Homme,
pour dégager une idée assez simple qui en ressort, à la suite notamment de la dernière décision de la section du contentieux (Cons. d’Et., Section, 18 novembre 2005)
corroborée par l’arrêt de la juridiction européenne (Cour EDH, 26 septembre 2006) :
lorsqu’il est confronté à de tels blocages, le bénéficiaire d’une décision de justice qui
n’a pas obtenu matériellement satisfaction peut envisager une responsabilité de
l’Etat sur un double fondement : soit, si l’Etat n’a pas fait tout ce qui lui incombait
dans la procédure de contrainte au paiement, une responsabilité pour faute lourde,
faute qu’il convient alors de prouver ; soit une responsabilité sans faute de l’Etat, notamment lorsque ce dernier s’est trouvé dans l’impossibilité pratique d’assurer le
paiement de la somme due.
En effet, l’impératif de respecter la chose jugée autorise certes le préfet à utiliser
des moyens audacieux pour y parvenir, comme vendre d’autorité un bien de la collectivité condamnée voire, sous certaines conditions, suspendre un service et/ou
licencier du personnel de celle-ci, sans que soit ici opposable le principe de libre administration des collectivités territoriales (ainsi qu’en a jugé la Cour de Strasbourg,
s’appuyant notamment sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de
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l’Homme). Cependant, comme dans l’affaire Société Campoloro, il peut également
arriver qu’aucune de ces solutions ne soit opérante, ce qui rend totalement impossible la satisfaction du bénéficiaire de la décision de justice par ponction sur le budget
de la collectivité condamnée. Dans cette hypothèse, le Conseil d’Etat admet donc une
responsabilité sans faute de l’Etat, le bénéficiaire de la décision de justice ayant droit
à voir son préjudice anormal et spécial réparé sur le fondement de la rupture de
l’égalité devant les charges publiques. On en revient donc à une forme de régime de
solidarité, qui est déjà prévu d’une certaine manière par l’article L.2335-2 du Code
général des collectivités territoriales qui prévoit la possibilité de subventions exceptionnelles pour des « communes dans lesquelles des circonstances anormales
entraînent des difficultés financières particulières ».
Précisons enfin – et ce n’est pas un détail anodin – que la somme finalement
payée par l’Etat dont la responsabilité sans faute est engagée peut équivaloir exactement à celle qu’aurait dû verser la collectivité condamnée, ainsi que l’a confirmé la
Cour européenne des droits de l’Homme : « il incombe à l’Etat défendeur d’assurer le
paiement aux requérantes ou, le cas échéant, à leurs ayants droit, des créances dont
elles sont bénéficiaires depuis les jugements du tribunal administratif […], y compris
les intérêts, jusqu’au jour du prononcé du présent arrêt » (§ 86).
2. La possibilité de faire jouer le mécanisme de paiement forcé contre l’Etat dont la
responsabilité est engagée
Dès lors que, dans l’hypothèse étudiée, l’Etat est finalement condamné à payer
des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le justiciable qui n’a pu
obtenir le paiement de la somme d’argent auquel la décision de justice lui donnait
droit, le mécanisme de contrainte au paiement peut derechef être mis à profit, cette
fois pour assurer l’exécution de cette condamnation en responsabilité. Même si cela
ne se produit que dans des cas de figure exceptionnels, un exemple pratique va nous
montrer qu’il ne s’agit pas d’un simple cas d’école.
Dans l’affaire que je vais évoquer, une association foncière de remembrement urbain (AFUR), établissement public étatique sis au Cap Ferret, avait été expropriée par
le Conservatoire du littoral. Contestant cette expropriation, l’AFUR avait engagé de
multiples contentieux, à la fois devant le juge judiciaire et devant le juge administratif, afin de tenter de rentrer dans ce qu’elle estimait ses droits. Cependant, l’autorité
préfectorale, considérant que l’AFUR, expropriée, avait perdu toute raison d’être,
avait bloqué tous les budgets de celle-ci, ce qui interdit de fait à l’établissement public de payer l’avocat qu’il avait engagé pour le défendre en justice.
Les procédures suivent leurs cours ; les factures arrivent ; rien n’est payé. Au bout
de douze années de contentieux, l’AFUR est définitivement déboutée devant le Conseil d’Etat, lequel rejette par ailleurs l’argument tiré de la violation du droit au juge au
motif (en substance) que la seule existence du recours de l’AFUR devant lui établit
l’absence de ladite violation. Reste que les honoraires de l’avocat ne peuvent toujours pas être réglés.
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L’avocat, mécontent, saisit l’ordre des bâtonniers pour faire valider ses honoraires, puis le juge du tribunal d’instance qui confère à cette reconnaissance force
exécutoire de chose jugée. Muni de cette décision de justice, il se retourne d’abord
contre l’AFUR, mais celle-ci, faute de budget, ne peut toujours pas honorer ses
dettes. L’avocat saisit donc le préfet sur le fondement de la procédure de contrainte
au paiement des établissements publics évoquée plus haut, sans plus de résultats.
En résumé, nous nous trouvons ici face à un établissement public qui, bien que
n’ayant plus de budget, s’est défendu comme il en avait le droit contre un acte qui
portait atteinte à sa raison d’être ; et un préfet qui, du fait de cette même absence de
budget, se trouve lui aussi dans l’incapacité de contraindre ledit établissement à exécuter la décision de justice judiciaire qui lui impose de payer son avocat.
Devant cet imbroglio, l’avocat a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d’une
demande de référé provision, basée sur la logique de la jurisprudence Campoloro, en
vue d’obtenir le paiement d’une indemnité correspondant au montant exact de ses
honoraires.
(NB : l’avocat a finalement obtenu gain de cause, le juge des référés retenant la
faute lourde de l’Etat issue de l’abstention du préfet de débloquer les budgets de
l’établissement public en vue d’honorer ses dettes).
B. L’extension du champ d’intervention du juge de l’exécution
1. Les inconvénients de la jurisprudence Lother
Le premier de ces inconvénients réside dans la disjonction paradoxale de situations qu’opère cette jurisprudence, selon que le justiciable est bénéficiaire d’une
décision de justice condamnant directement l’administration au paiement d’une
somme d’argent à son profit ou qu’il a obtenu un jugement se contentant d’impliquer
un tel paiement (l’annulation d’un titre exécutoire par exemple). Avec le jeu de la
jurisprudence Lother, le juge de l’exécution peut être saisi dans la seconde hypothèse
mais pas dans la première. On en arrive ainsi à conférer un avantage procédural au
justiciable titulaire de la décision de justice a priori la moins favorable des deux, ce
qui n’est guère satisfaisant.
D’autant – et c’est là un autre inconvénient de cette exclusion – que l’intervention
du juge de l’exécution présente des atouts non négligeables, résidant à la fois dans la
phase amiable de diligences faites auprès de l’administration (souvent à-même de
régler à elle seule le problème lorsque celui-ci n’est que superficiel) et dans la prérogative d’astreindre dont il est susceptible d’user face à une situation de réel blocage,
ou afin d’accélérer un paiement qui, sans cela, pourrait tarder outre mesure. Si l’on
comprend parfaitement que la simple injonction fasse double emploi en cas de condamnation à payer, il n’en va pas de même des interventions pratiques a posteriori
d’un magistrat chargé de l’exécution d’un jugement, ni de l’astreinte qui constitue
parfois un moyen de contrainte irremplaçable.
Ne serait-il pas alors opportun, pour reprendre l’image du Président Labetoulle,
que la jurisprudence du Conseil d’Etat prenne son « envol » par rapport au texte et
51
amende en ce sens la rigueur de sa logique actuelle ? Le moins qu’on puisse dire,
c’est que les juridictions inférieures ont moins de scrupules à s’affranchir de ces rigidités !
2. La « résistance » des cours administratives d’appel et des tribunaux administratifs
Si je n’ai pas trouvé d’arrêt du Conseil d’Etat qui dévie de la ligne tracée par la jurisprudence Lother, nombreux sont en revanche les exemples d’une telle hétérodoxie
dans les positions prises par les juridictions inférieures, qu’il s’agisse indifféremment
de tribunaux administratifs ou de cours administratives d’appel. Je ne vais pas, ici, en
égrener le chapelet, mais elles constituent une liste vraiment significative Pareille
fronde, d’une ampleur assez exceptionnelle dans l’ordre juridictionnel administratif,
s’explique d’abord par les inconvénients de la position la Haute juridiction que je
viens de développer, mais aussi – et le Conseil d’Etat lui-même le reconnaît dans son
rapport public de 2003 – parce que le premier réflexe du justiciable, c’est de saisir le
juge de l’exécution, les procédures administratives de contrainte restant souvent
confidentielles. Pour citer ce même rapport, « tout laisse à penser que les dispositions
de la loi […] ne sont connues ni des justiciables, ni de leurs avocats, ni même du service du trésor […] ».
***
Pour conclure, je signalerai une autre vertu des mécanismes administratifs de contrainte au paiement, commune d’ailleurs à de nombreux modes coercitifs d’exécution
de la chose jugée : la simple menace de leur utilisation suffit souvent à convaincre la
collectivité débitrice à payer la somme due. La Section du rapport et des études du
Conseil d’Etat en use souvent de la sorte (pour un exemple, voir Cons. d’Et., Rapport
public 2006, n° 57, p. 128), de même que les autorités de tutelle ou les services préfectoraux vis-à-vis, respectivement, d’établissement publics et de collectivités
territoriales. A condition bien sûr, dans ces deux dernier cas, que ces autorités aient
connaissance des mécanismes étudiés, ce qui n’est pas forcément le cas…
52
Questions au Professeur Jean Gourdou
M. Jean-Noël Caubet-Hilloutou : N’est-il pas paradoxal que la jurisprudence Société Campoloro fasse supporter au contribuable national, c’est-à-dire à nous tous, la
charge de l’indemnisation d’une dette qui pesait sur une personne morale à laquelle
il est extérieur ?
Jean Gourdou : Une telle situation peut en effet choquer de prime abord. Mais il
faut savoir que les conclusions du commissaire du gouvernement sur l’affaire Société
Campoloro suggèrent que l’Etat dispose toujours de la faculté d’intenter une action
récursoire contre le débiteur de l’obligation initiale. Dans l’affaire de l’AFUR, les anciens membres de celle-ci pourraient ainsi, après coup, être éventuellement sollicités
par le préfet pour contribuer à la dette acquittée par celui-ci. Mais la logique de
l’arrêt Société Campoloro reste quand même de transformer l’Etat en une sorte
d’assureur des collectivités territoriales et établissements publics qui ne peuvent pas
payer, ce qui a été d’ailleurs critiqué par les chroniqueurs de la décision à l’AJDA…
Jean-Noël Caubet-Hilloutou : Dans l’affaire de l’AFUR, le Conseil d’Etat avait finalement estimé que la procédure d’expropriation n’était pas entachée d’illégalité. On
peut dès lors s’étonner que l’Etat se voie finalement contraint de payer une somme
en lieu et place de l’exproprié…
Jean Gourdou : Il ne faut pas se méprendre sur l’origine de la somme finalement
versée par l’Etat : elle se situe dans un jugement qui le contraint à un paiement relatif
à une représentation en justice, et non dans la question de savoir si le justiciable avait
ou non raison sur le fond. Appliquer une logique inverse reviendrait à dénier à celui-ci
tout droit de se défendre. On peut établir un parallèle avec la récente jurisprudence
Société Brétim relative à la garantie du fonctionnaire. Le Conseil d’Etat dénie à
l’administration la faculté de supprimer rétroactivement cette garantie alors même
qu’il apparaît, en cours d’instance, que l’intéressé a commis une faute personnelle :
ici aussi, la source de l’obligation (l’article 11 de la loi de 1983) se distingue de la
question de savoir si elle s’est ou non appliquée à bon escient, ce qu’on ne sait avec
certitude qu’en toute fin de parcours.
Jean-Noël Caubet-Hilloutou : Je vois une nette différence entre l’affaire Société
Campoloro et celle de l’AFUR. Dans la première, le justiciable avait une créance
contre une commune, donc il n’était pas illogique que la solidarité nationale joue,
comme le prévoit, vous l’avez rappelé, le Code général des collectivités territoriales ;
tandis que dans la seconde, il s’agit simplement d’une personne publique qui s’est
défendue. Le fait qu’elle n’ait pas eu les moyens de payer son avocat ne prouve pas
une créance sur le fondement de la rupture d’égalité devant les charges publiques
contre l’Etat.
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Jean Gourdou : La rupture de l’égalité de la charge publique, c’est l’avocat qui s’en
prévaut ici, et non l’établissement public, l’avocat titulaire d’une décision de justice
dotée de la force exécutoire qui lui garantit logiquement un paiement.
M. Patrick Mindu, président de la Cour administrative d’appel de Bordeaux : Je
voudrais revenir sur les rapports entre mécanismes administratifs et juridictionnels
de contrainte au paiement et vous dire qu’en pratique, le juge de l’exécution fait
preuve sur ce sujet d’un grand pragmatisme. J’ai moi-même tout fait dans ce domaine : quand je présidais le Tribunal administratif de Paris, j’appliquais la
jurisprudence Lother avec la plus grande fermeté, probablement parce que les demandes d’exécution étaient plus nombreuses qu’elles ne le sont à la Cour de
Bordeaux. A la Cour de Bordeaux, je vais faire un autre aveu, la jurisprudence Lother
n’est pas franchement appliquée parce qu’en réalité, on s’aperçoit qu’il suffit très
souvent de passer un coup de fil à la collectivité locale ou d’envoyer un courrier pour
leur dire de régler les frais irrépétibles (car c’est souvent cela qui est en jeu). Quinze
jours après, c’est terminé, la commune nous écrit : « on avait perdu ça de vue, on
vient de payer, il n’y a plus de problème, on y ajouté les intérêts ». Une nonapplication de la jurisprudence Lother s’avère donc souvent plus efficace qu’une application stricte de celle-ci, notamment vis-à-vis de justiciables extrêmement
modestes (par exemple des étrangers qui ont gagné au titre des frais irrépétibles) : si
on renvoyait ceux-ci vers le comptable public, ils se diraient « nouveau guichet administratif » et le pire serait à craindre… j’estime ainsi que, dans beaucoup
d’hypothèses, il est préférable de faire preuve de bon sens plutôt que de juridisme.
Jean Gourdou : Je ne peux que souscrire à une telle conclusion !
2nde PARTIE
LA MISE EN ŒUVRE DES POUVOIRS
D’EXECUTION DES DECISIONS DE JUSTICE
Chapitre 1
La pratique du Tribunal administratif de Pau
Injonction a posteriori – Bilan des saisines du
Tribunal administratif de Pau
M. Jean-Yves MADEC
Président du Tribunal administratif de Pau
Notre propos concerne uniquement l’injonction a posteriori prévue par l’article
L.911-4 du CJA et exclut donc l’injonction concomitante au jugement des articles
L.911-1 et L.911-2. Nous nous trouvons ici dans l’hypothèse de l’inexécution d’un jugement, plus précisément dans le cas d’un requérant qui a obtenu satisfaction devant
le tribunal administratif et qui y revient quelques temps après en disant : « le jugement rendu en ma faveur n’est pas exécuté, faites quelque chose ! ».
Pour faire cette présentation, je m’inspirerai en partie des travaux réalisés par
Melle Valérie Daban qui, dans le cadre du Master 2 droit public fondamental de la
faculté de droit de Pau, a effectué un stage au tribunal administratif au printemps
dernier, son rapport de stage ayant porté sur ce thème.
Ces injonctions constituent une procédure rarement utilisée (§ 1) mais efficace
(§ 2), même s’il existe encore quelques zones d’ombre (§ 3).
§ 1. Une procédure rarement utilisée
L’étude réalisée sur ces trois dernières années (2005-2006-2007) montre que le
tribunal administratif a été saisi de quarante-sept demandes d’exécution, ce qui concerne 1,5 % de l’ensemble des jugements où la question pourrait se poser (c’est-àdire hors jugements frappés d’appel dont l’exécution est confiée à la juridiction
d’appel et hors jugements de rejet) dont le nombre s’élève à environ trois mille.
Quand intervient cette saisine ? Elle intervient relativement tardivement. L’article
R.921-1 du CJA interdit, sauf cas particulier (notamment pour les ordonnances de référé), de revenir devant le tribunal administratif moins de trois mois après la
notification du jugement, délai accordé à l’administration pour l’exécution. En fait,
cette saisine est encore plus tardive que cela puisqu’elle n’intervient en moyenne que
sept mois après le rendu du jugement ; parfois même beaucoup plus (jusqu’à dix ans
dans une affaire récente relative à un agent de la fonction publique qui, durant des
années et pour des raisons personnelles, n’avait pas souhaité poursuivre l’exécution
d’un jugement et qui a subitement trouvé intérêt à réintégrer son administration, La
Poste en l’occurrence).
De qui émanent ces saisines ? Quasi-exclusivement de personnes privées. On est
dans le cas où la personne publique a perdu dans l’instance de fond et où la personne
60
privée revient devant le tribunal pour se plaindre d’une absence d’exécution. On n’a
trouvé qu’un seul cas où la saisine émanait d’une personne publique qui n’arrivait pas
à se faire régler des frais irrépétibles auxquels son adversaire – une association –
avait été condamné.
Pour quels types de litiges ces demandes interviennent-elles ? Le plus souvent pour
des condamnations pécuniaires, notamment à verser des frais irrépétibles.
Si l’on regarde les matières concernées, on s’aperçoit que cela touche pratiquement tous les types de contentieux, l’urbanisme et la fonction publique étant tout de
même légèrement surreprésentés.
Le taux de demandes d’exécution respecte peu ou prou la répartition générale
entre jugements collégiaux et ordonnances de référé (17 % des demandes environ).
Pour quelles raisons cette procédure est-elle peu utilisée ? Je ne pense pas que ce
soit en raison d’une méconnaissance de son existence. Les particuliers l’utilisent très
souvent directement, sans passer par le ministère d’avocat. En réalité, on peut avancer une raison plus simple : les jugements exécutoires sont le plus souvent exécutés.
Une autre explication vient du fait que l’appréciation que l’on peut porter est un peu
faussée car, en cas d’appel, c’est la cour administrative d’appel qui est compétente
pour assurer l’exécution du jugement de première instance.
§ 2. Une procédure néanmoins efficace
Lorsqu’elle est utilisée, la procédure se révèle assez efficace. Ce qui frappe en effet, c’est que beaucoup des affaires dont j’ai donné le nombre tout à l’heure ont été
réglées au stade de la phase amiable.
Cette phase amiable est organisée de façon très informelle par le Code de justice
administrative puisque, vous le savez, l’article L.921-5 définit très peu son déroulé,
demandant seulement au président du tribunal administratif ou au rapporteur
d’opérer « toute diligence utile ». Cela peut prendre des formes très diverses, et il
n’est pas interdit de décrocher son téléphone à ce stade. Lors de cette phase qui peut
durer quelques mois, énormément d’affaires sont réglées : dans ce cas, il est procédé
à un classement administratif du dossier qui peut être contesté dans le délai d’un
mois par le demandeur (on n’a relevé que très peu de cas de demande « forcée »
d’ouverture d’une procédure juridictionnelle à l’initiative d’un demandeur). J’ajoute
que la tradition à Pau (que j’ai poursuivie, même si ce n’est pas tout à fait conforme
aux textes) consiste à prolonger cette phase amiable au-delà du délai de six mois
lorsque l’on sent que l’affaire va être réglée ; l’article R.921-6 du code nous imposerait normalement d’ouvrir la phase juridictionnelle au bout de six mois : un vrai
dossier contentieux, c’est assez lourd… Très souvent un dernier courrier menaçant
d’ouvrir une action juridictionnelle suffit à débloquer la situation.
Admettons cependant à présent que nous en arrivons à cette phase juridictionnelle. Nombre d’affaires vont encore se régler pendant celle-ci, en conséquence de
quoi beaucoup de non-lieu ou de désistements interviennent à ce stade.
61
Les cas où l’on est en présence d’une mauvaise volonté manifeste à exécuter le
jugement se révèlent ainsi très minoritaires. Le juge dispose-t-il alors des moyens efficaces pour contraindre à l’exécution ? Je pense que oui, comme en attesteront les
cas très concrets que vont vous présenter mes collègues tout à l’heure. Le tribunal
n’a pas hésité, à plusieurs reprises, à aller jusqu’au prononcé de l’astreinte et même
jusqu’à sa liquidation. Donc, aujourd’hui, même s’il n’y a pas de voie d’exécution forcée contre l’administration, les procédures d’exécution prévues par les lois de 1980
et 1995 donnent au juge administratif des moyens suffisants pour assurer l’effectivité
de ses jugements.
§ 3. La persistance de zones d’ombre
Dernier point : j’ai dit que subsistaient certaines zones d’ombre. J’en citerai simplement deux : l’une en excès de pouvoir ; l’autre en plein contentieux.
En excès de pouvoir, je crois qu’existe une certaine ambiguïté sur les pouvoirs du
juge de l’exécution. Ce dernier ne peut qu’assurer l’exécution du jugement initial,
éventuellement après avoir défini les mesures d’exécution qu’il implique (si les articles L.911-1 et L.911-2 du CJA n’ont pas été appliqués précédemment). Il est lié par
ce jugement initial, il ne peut même pas en corriger une erreur ou une maladresse
(on le verra tout à l’heure avec le dossier « Razel »), il ne peut pas non plus juger
autre chose. Or très souvent, ce que l’on nous demande, c’est de juger autre chose !
Beaucoup de justiciables se méprennent sur la portée du jugement en annulation,
et notamment dans le cas très fréquent où la décision de rejet d’une demande qu’ils
avaient adressée à l’administration est annulée, ils s’imaginent qu’ils ont droit à ce
que l’administration leur accorde l’autorisation qu’elle leur avait dans un premier
temps refusée (alors que, dans un tel cas de figure, l’annulation prononcée par le tribunal, sauf cas particulier, n’implique que le réexamen de leur situation par
l’administration). Evidement, la question de la légalité de la nouvelle décision qui est
prise par l’administration après réexamen de leur demande constitue – pour reprendre les termes de la jurisprudence – un « litige distinct » qui échappe à la
compétence du juge de l’exécution puisqu’il ressort de la compétence du juge de
l’excès de pouvoir. Ces procédures recèlent d’ailleurs un certain piège, puisque si
l’intéressé a fait trop grande confiance au juge de l’exécution et négligé de former un
recours en annulation contre la décision nouvelle, il risque d’être forclos à le faire le
jour où le juge de l’exécution déclinera sa demande. C’est un des soucis qu’engendre
cette législation et qui pourrait peut-être être revu sur certains points : je pense à
une possibilité, pour le juge de l’exécution, de renvoyer au juge du fond la question
qui lui est souvent posée de la légalité de cette nouvelle décision prise après réexamen.
Le deuxième point, qui relève cette fois du plein contentieux, a été largement
évoqué par Jean Gourdou ce matin : c’est la contrainte au paiement. Rappelons que
l’article L.911-9 du CJA issu de la loi de 1980 prévoit des modalités particulières de
contrainte au paiement ; et que, lorsque ces procédures administratives peuvent
jouer, la jurisprudence Lother du Conseil d’Etat de 1998 impose normalement
62
l’irrecevabilité de la saisine du juge de l’exécution. Si cette jurisprudence peut se prévaloir d’une parfaite rigueur logique et juridique, il n’empêche que nous l’appliquons
avec beaucoup de pragmatisme. Mais peut-être le nouveau décret du 20 mai 2008
(qui remplace celui de mai 1981) va-t-il clarifier les choses puisqu’il permet une meilleure information du bénéficiaire du jugement sur les conditions d’exécution des
condamnations pécuniaires.
En conclusion, je vous propose un petit retour en arrière de trente ans. En 1978,
préparant le concours de l’ENA, nous avions comme livre de chevet le livre d’Alain
Peyrefitte sur le mal français où il raconte comment il a ferraillé pendant des années
de 1967 à 1973, en tant qu’élu local et en tant que ministre, pour faire renoncer
l’administration à la ZAD de Montereau qui avait pour but d’alimenter en eau potable
la région parisienne à partir de captages. Incidemment, l’arrêté préfectoral créant à la
ZAD avait été annulé dès 1970 par le tribunal administratif, mais, je le cite, « les bureaux ne tinrent aucun compte de ce jugement. Un particulier est obligé de s’incliner
devant une décision de justice, fût-ce sous la contrainte de la force ; pas l’autorité publique. Elle n’use pas de la force contre elle-même. Les verdicts des juges
administratifs demeurèrent lettre morte »… Trente-huit ans après, une telle histoire
ne serait plus possible et apparaît même particulièrement choquante.
63
Trois exemples de prononcé d’injonction
M. Jean-Michel RIOU
Conseiller au Tribunal administratif de Pau
§ 1. Deux injonctions concomitantes au jugement d’annulation
Je vais d’abord revenir un peu en arrière dans l’exécution normale d’un jugement
et évoquer deux cas d’injonctions concomitantes au jugement d’annulation au travers des jugements Mme Fouga en date du 22 novembre 2007 (req. n° 0501107) et
Otchoantesana rendu le 10 avril 2008 (req. nos 06011802, 0700186 et 0701744) :
l’injonction de prendre une mesure déterminée et celle de réexaminer le dossier du
requérant.
A. Injonction de prendre une mesure déterminée
Le premier de ces jugements n’est qu’une illustration ordinaire d’une utilisation
désinhibée des pouvoirs d’injonction. Mme Fouga avait demandé le versement d’une
prestation sociale, l’allocation équivalent retraite. Le contentieux des prestations sociales me paraît être un terrain favorable aux injonctions de prendre une mesure
déterminée. Ces prestations sont attribuées en fonction d’une situation de fait, selon
des critères précis et prédéterminés. La logique de leur attribution est binaire : ou
bien le demandeur remplit les conditions légales et l’attribution est de droit ; ou bien
il ne remplit pas toutes les conditions posées et l’autorité administrative ne peut que
refuser l’attribution de la prestation. Le plus souvent, dans un cas comme dans
l’autre, l’autorité administrative se trouve donc en situation de compétence liée. De
plus, le droit à prestation est en général ouvert en fonction d’éléments de fait situés
dans le passé et sur une période donnée, faits connus du juge puisque figurant au
dossier.
En l’espèce le litige portait sur la date d’effet de la prestation. Le texte, à savoir
l’article R.351-15-1 du Code du travail, prévoyait que la condition de ressources exigée pour bénéficier de la prestation fût examinée en fonction des ressources des
douze mois précédant la demande de prestation. La disposition législative instituant
la prestation, l’article L.351-10-1 du Code du travail, fixait une condition de durée
d’assurance de cent soixante-trois trimestres sans faire référence à la date de la demande. Enfin une disposition réglementaire, l’article R.351-17 du Code du travail,
laissait un délai de deux ans aux demandeurs potentiels pour présenter leur demande, le point de départ de ce délai étant fixé au « jour où les personnes intéressées
remplissent l’ensemble des conditions exigées pouvoir prétendre au bénéfice desdites
allocations ». Se fondant sur la rédaction de la condition de ressources mais aussi sur
64
sa propre circulaire, pourtant dépourvue du caractère réglementaire à défaut
d’habilitation du ministre en ce sens, l’administration a estimé que la prestation ne
pouvait pas prendre effet avant la présentation de la demande. Le tribunal, dans un
domaine peu exploré par la jurisprudence, a estimé que le législateur avait permis
une prise d’effet de la prestation dès que la condition d’assurance est remplie sous
réserve que la condition de ressources, examinée selon la situation prévalant dans les
douze mois précédant la demande – comme le prévoit expressément le texte – soit
également remplie. Le refus de verser la prestation (qui était demandée avec effet à
compter du 20 février 2004), refus fondé exclusivement sur l’interprétation des
textes relatifs à la date d’effet de la prestation, a donc été annulé. Dans la mesure où
le dossier montrait, sans que cela soit contesté par l’administration, que la condition
de ressources était remplie à la date de la demande, soit le 1er février 2005, et que la
condition d’assurance était remplie à la date du 20 février 2004, la formation de jugement qui était saisie de conclusions à fin d’injonction présentées dans le troisième
mémoire de la requérante, a fait droit à ces conclusions et a enjoint à l’Etat de verser
la prestation à compter de la fin février 2004.
B. Injonction de réexamen
Le cas de M. Otchoantesana se révèle un peu plus complexe. Dans ces trois affaires liées, l’enjeu pour le requérant n’était rien moins que le droit de continuer à
exercer sa profession. Il faut savoir que « les personnes physiques dont l’activité consiste en la conception architecturale dans le domaine de la construction de
bâtiments », mais qui n’ont pas pour autant le diplôme d’architecte, avaient la possibilité, jusqu’à une ordonnance du 26 août 2005 relative à l’exercice et à l’organisation
de la profession d’architecte, d’exercer cette activité à la condition de justifier d’une
demande d’inscription au tableau régional de l’ordre des architectes, seule obligation
prévue par la précédente législation de cette profession : la loi du 3 janvier 1977.
Cette situation étrange et apparemment peu confortable de personnes officiellement
en attente d’une réponse de l’administration représentait en réalité un bon millier de
cas sur tout le territoire. L’ordonnance précitée de 2005 avait pour but de fixer le sort
professionnel de cette catégorie en créant – le mot n’est pas neutre – un tableau annexe de « détenteurs de récépissé », expression certainement limpide dans le milieu
concerné mais dont on peut douter de la clarté pour la clientèle. Ce texte a ouvert un
délai d’un an pour que ces professionnels demandent leur inscription qui donne tout
simplement les mêmes droits et obligations que ceux des architectes. Au cas de refus,
au contraire, le demandeur cessait de pouvoir exercer son activité.
Pour le litige soumis par M. Otchoantesana, il s’agissait, on s’en doute, d’un refus
d’inscription. L’administration, en l’occurrence le conseil régional de l’ordre, devait
examiner la continuité, depuis la demande initiale de 1977, de l’exercice indépendant
de la profession d’architecte non diplômé. S’agissant du requérant, le conseil régional
de l’ordre avait exigé la preuve de l’assujettissement à la taxe professionnelle de
1978 à 2006. En effet, le champ d’application de la taxe professionnelle est défini par
l’article 1447 du Code général des impôts comme l’exercice d’une profession non sa-
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lariée. Cette preuve n’était pas exigée par l’ordonnance qui n’évoquait que la justification, par le demandeur, d’une activité de conception architecturale sous sa
responsabilité personnelle. En l’espèce, cette preuve se heurtait à de sérieuses difficultés pratiques, l’administration fiscale expliquant que des documents aussi anciens
n’étaient plus à sa disposition. Cette exigence occultait de plus les justificatifs apportés par le requérant, à savoir la série complète de ses attestations d’assurance pour
responsabilité décennale de 1978 à 2006. Le tribunal a annulé le refus en considérant
que le ministre de la culture, statuant sur le recours administratif préalable obligatoire du demandeur – c’est là la petite particularité par rapport au dossier précédent
–, avait commis une erreur de droit en posant une condition non prévue par les
textes. Le dossier montrant clairement que le demandeur remplissait les conditions
nécessaires et suffisantes pour obtenir son inscription, l’administration n’ayant pas la
faculté de refuser l’inscription à une personne remplissant les conditions légales pour
l’obtenir, le tribunal a fait droit à la demande d’injonction formulée par le requérant.
Conséquence du recours administratif préalable obligatoire, c’est au ministre dont la
décision a été annulée que l’injonction d’inscrire à l’annexe au tableau de l’ordre régional des architectes fut adressé, comme le sollicitait d’ailleurs le requérant.
§ 2. Une injonction prononcée a posteriori
La troisième affaire que nous nous proposons d’évoquer, qui a donné lieu au jugement Epoux Cazottes du 29 mars 2007 (req. n° 0700263), nous ramène à une
injonction a posteriori prononcée ultérieurement à un jugement d’annulation. On va
dérouler ici toute la procédure d’exécution d’un jugement de tribunal administratif.
Les cas de liquidation effective d’une astreinte, c’est-à-dire de forte réticence de
l’administration à exécuter un jugement, sont heureusement rares. L’exemple que je
vais retracer combine à la fois cette réticence et, dès le départ, la méconnaissance de
la règle de droit qui s’entend aussi au sens premier du mot : la mauvaise connaissance de la norme. Cette norme est le droit pour les propriétaires riverains de la voie
publique de voir fixer par l’administration la limite du domaine public routier au droit
de leur propriété. Lorsqu’il ne prend la forme d’un plan d’alignement, ce droit consiste en un alignement individuel pour lequel l’article L.112-4 du Code de la voirie
routière – dont le caractère univoque n’est pas étranger à la liquidation de l’astreinte
– dispose que « l’alignement individuel ne peut être refusé au propriétaire qui en fait
la demande ». Les faits remontent au moins à 2001, date à laquelle un couple de propriétaires d’un bourg du Sud du Gers, voulant créer une ouverture supplémentaire
par le jardin de sa maison d’habitation, a demandé à la commune un alignement individuel de sa propriété par rapport à la rue. Cet alignement lui fut refusé au double
motif qu’il disposait déjà d’un accès à la rue et que l’accès envisagé compromettait la
sécurité publique du fait de la circulation. Ces motifs montrent que c’est la création
de l’ouverture elle-même qui était visée par la commune et que la portée de
l’alignement – qui se borne à constater une limite de propriété – était perdue de vue
(pour l’anecdote, soulignons que ce refus se doublait d’un empiètement du conseil
municipal sur la compétence du maire, dès lors que c’est le conseil municipal qui
avait rejeté le recours gracieux exercé par les pétitionnaires contre le refus opposé).
66
Le double motif invoqué par l’administration fut censuré par un jugement du 19 avril
2005. Ni la circonstance que les pétitionnaires disposaient déjà d’un accès, ni de prétendus impératifs de sécurité publique ne permettent de refuser un alignement
individuel de la voirie. Les pétitionnaires avaient également demandé une permission
de voirie, le temps de faire réaliser les travaux d’ouverture de leur nouvel accès. Le
jugement annule également le refus opposé à cette permission de voirie, exclusivement motivé par de prétendus dangers pour la sécurité publique qui n’ont pas
convaincu la formation de jugement.
Le jugement du 19 avril 2005 est resté lettre morte assez longtemps, comme en
témoigne la succession des étapes nécessaires à son exécution : saisine par le requérant du tribunal pour demander l’exécution ; ouverture d’une procédure d’exécution
amiable ; relance de la commune ; ouverture, enfin, de la phase juridictionnelle. Ce
n’est qu’environ six semaines avant l’audience, soit dix-huit mois après le jugement,
que la commune commence à exécuter ce dernier en accordant la permission de voirie. En revanche, aucun alignement n’étant intervenu, le jugement sur la demande
d’exécution prescrivit l’éviction de cet arrêté en prononçant une astreinte provisoire
de cent euros par jour de retard à compter d’un délai de deux mois suivant sa notification. Face à l’inertie persistante de l’administration, qui portait même sur le
versement des frais irrépétibles, les requérants saisirent le tribunal d’une demande
de liquidation de l’astreinte. Pour la première fois, la commune tenta quelques explications sur son désarroi face à la difficulté, selon elle, de trouver un modèle pour se
conformer au jugement rendu presque deux ans plus tôt. Ce désarroi était, pour une
part, feint ; mais il ne faut pas sous-estimer le blocage culturel, principalement linguistique, que provoque le foisonnement législatif et réglementaire sur des
administrations peu étoffées comme le sont les petites communes, assaillies de demandes des administrés qui ne relèvent pas forcément, loin de là, de leurs
compétences. La commune trouva tout de même les moyens d’assurer l’exécution
puisqu’elle finit, vingt-deux mois après le jugement, par délivrer l’arrêté sollicité. Le
tribunal liquida l’astreinte pour la durée écoulée entre le jour où elle avait commencé
à courir et l’exécution du jugement, soit une période de vingt-huit jours. La somme
de deux mille huit cents euros fut attribuée pour moitié aux requérants et pour moitié à l’Etat.
Je ne sais pas si cela peut constituer une morale pour cette petite fable, mais le
tribunal a été saisi d’une autre requête par les mêmes requérants à l’encontre du
même défendeur. Et il est cette fois question de la numérotation d’une rue…
67
Injonction de prendre une mesure
déterminée – Le cas de la démolition d’un
ouvrage public
M. Frédéric FAICK
Premier conseiller au Tribunal administratif de Pau
Par jugement M. Jean-Louis Aynié rendu le 6 juin 2006 (req. nos 0400504 et
0401258), le Tribunal administratif de Pau ordonnait à l’administration, pour la première fois de son histoire, de démolir un ouvrage public.
§ 1. Règles générales
Afin de comprendre le raisonnement mis en œuvre et qui a conduit à ce prononcé
d’injonction, il paraît nécessaire de rappeler au préalable les principes dégagés par le
Conseil d’Etat dans son arrêt très important du 29 janvier 2003, Commune de Clans
(qui n’est pas à proprement parler un arrêt de revirement : il y avait eu des frémissements auparavant, notamment avec l’arrêt Epoux Denard de 1991).
Par cette décision de 2003, de manière tout à fait nette, le Conseil d’Etat juge que
« le principe de l’intangibilité des ouvrages publics en vertu duquel le juge, qu’il soit
administratif ou judiciaire, n’a pas le pouvoir d’ordonner la démolition d’un ouvrage
affecté à l’intérêt général », ne fait pas obstacle à l’exercice par le juge administratif
des pouvoirs d’injonction qu’il tient de la loi du 8 février 1995. Autrement dit, le Conseil d’Etat considère aujourd’hui que le juge administratif peut ordonner la
démolition d’un ouvrage public si cela s’avère nécessaire à l’exécution de son jugement, dans l’hypothèse où il a annulé une décision qui a servi à l’édification et à la
construction de cet ouvrage. Cela dit, l’injonction ne sera pas systématiquement prononcée dès lors que le tribunal annule l’autorisation de construire :
- la première condition n’amène pas de commentaire particulier tant elle est
évidente : il faut que l’autorisation qui a servi à édifier l’ouvrage public, en général un
permis de construire ou une déclaration d’utilité publique, soit illégale ;
- le motif que le juge retient pour annuler l’autorisation doit ensuite impliquer
nécessairement le prononcé de l’injonction, condition qui figure expressément à
l’article L.911-1 du CJA. Pour schématiser, si l’annulation est due à un vice de forme
ou de procédure, en règle générale, l’annulation sera prononcée mais pas
l’injonction, parce que le juge considère que l’administration peut reprendre une
nouvelle autorisation respectant cette fois les formes et les procédures requises, ce
68
qui aboutira à une régularisation a posteriori de l’ouvrage (situation assez courante
notamment dans le droit de l’urbanisme). En revanche, si l’annulation est prononcée
pour un vice de fond, un vice qui touche à la légalité interne de l’acte, la régularisation ne sera en principe pas possible et le juge peut envisager de prononcer
l’injonction ;
- encore convient-il toutefois de s’assurer qu’une troisième condition est bien
respectée : « il faut que les éléments de fait et de droit qui existent à la date à laquelle
le juge se prononce ne s’opposent pas au prononcé de l’injonction ». Cela signifie que
si le juge constate qu’une procédure de régularisation est en cours et qu’elle a des
chances d’aboutir, l’annulation sera prononcée mais pas l’injonction. Le juge peut
aussi constater que l’administration a décidé de son propre chef de déplacer ou de
démolir l’ouvrage public, puisque le principe de l’intangibilité ne s’applique pas à elle
comme il s’applique au juge. On peut aussi envisager une hypothèse un peu plus subtile : celle dans laquelle l’intérêt général de l’ouvrage, à l’origine discutable, ne l’est
plus au moment où le juge se prononce. Je reprends à cet égard l’exemple
qu’imagine Mme Maugüé dans ses conclusions sur l’arrêt du Conseil d’Etat de 2003 :
supposons une ligne électrique implantée irrégulièrement dans un secteur non urbanisé. On est en présence d’un ouvrage public mal planté qui ne dessert que quelques
constructions. Mais le juge, se prononçant deux ans après, constate qu’entre-temps
des constructions à usage d’habitation ont été édifiées autour de la ligne, si bien que
celle-ci dessert un nombre important de riverains. Dans ce cas là, on voit bien que
l’appréciation sera différente de ce qu’elle aurait été si le juge s’était prononcé à la
date à laquelle la ligne avait été édifiée.
- cela nous amène à la dernière condition posée par le Conseil d’Etat, la plus délicate, celle pour laquelle le pouvoir d’appréciation du juge s’exerce pleinement : « il
faut que l’injonction, si elle a été prononcée, ne porte pas une atteinte excessive à
l’intérêt général ». Le juge va ici tenir compte de différentes considérations : il va mesurer de manière aussi précise que possible le degré d’intérêt général auquel
l’ouvrage public satisfait ; il doit parallèlement mesurer l’atteinte que l’ouvrage peut
apporter à l’environnement ou bien à la propriété privée ; il peut aussi s’interroger
sur l’opportunité de la destruction de l’ouvrage public si elle était prononcée : est-ce
qu’elle sera facile à mettre en œuvre, est-ce qu’elle ne va pas coûter cher au contribuable (si l’ouvrage public appartient à une personne publique – car l’ouvrage public
peut aussi appartenir à une personne privée) ? Le juge administratif doit apprécier
toutes ces considérations, en soupeser le poids respectif pour dire si, au final, les
avantages attachés à la présence de l’ouvrage ne l’emportent pas sur ses inconvénients. On aura reconnu ici l’analyse du bilan coût-avantage que le juge administratif
connaît et pratique, notamment dans le contentieux de l’expropriation.
69
§ 2. Application en l’espèce
Comment le tribunal administratif a-t-il appliqué ces principes dans son jugement
du 6 juin 2006 ?
A l’origine de l’affaire, le maire d’une commune du littoral landais (Mimizan) avait
autorisé sa commune à édifier une aire de stationnement sur une dune, près d’une
plage. Des riverains avaient saisi le tribunal administratif d’une requête en annulation
de cette autorisation. Le tribunal a fait droit à ces conclusions, après avoir relevé que
l’ouvrage avait été implanté en méconnaissance de la loi Littoral, et notamment de la
règle posée par cette loi en vertu de laquelle des constructions de ce type sont interdites dans la bande littorale des cent mètres des espaces non urbanisés des
communes. Le tribunal a donc annulé l’autorisation d’édification de cette aire de stationnement.
Les requérants ont ensuite demandé au tribunal « d’enjoindre à l’administration
de remettre les lieux en l’état », autrement dit de démolir l’ouvrage.
Avant de se prononcer, notre juridiction a dû s’interroger sur sa compétence pour
se prononcer sur cette injonction. Naturellement, dans la plupart des cas, lorsque le
tribunal est compétent pour se prononcer sur les conclusions à fin d’annulation qui
constituent le litige principal, il l’est également pour statuer sur la demande
d’injonction. Mais ce n’est pas une règle absolue. Prenons l’exemple d’un permis de
construire qui est annulé : le tribunal administratif est bien sûr compétent pour contrôler la légalité d’un permis de construire (décision administrative) ; il ne l’est pas
pour statuer sur la demande d’injonction de démolir l’ouvrage si celui-ci est un ouvrage privé, par exemple une construction à usage d’habitation. Je fais cette
remarque parce que souvent nous rendons des jugements d’incompétence sur ce
point : on nous demande d’enjoindre la démolition d’un ouvrage privé, ce qui ne relève pas de la compétence du juge administratif. Dans l’affaire Aynié, le tribunal a pu
relever sans difficultés que l’ouvrage était un ouvrage immobilier affecté à l’intérêt
général et résultant de travail de l’homme, c’est-à-dire que les trois critères servant à
définir l’ouvrage public étaient réunis, si bien que nous étions compétents pour statuer sur la demande d’injonction.
Les deux premières conditions posées par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Commune
de Clans étaient ici remplies : l’autorisation était illégale et l’illégalité n’était pas régularisable puisque l’aire de stationnement avait été implantée dans un espace où la loi
interdit ce type de constructions. En outre, aucun élément de fait ou de droit ne faisait a priori obstacle au prononcé d’injonction. Par exemple, on aurait pu imaginer
qu’entre le moment où le permis avait été délivré et le moment où le tribunal a rendu sa décision, il y ait eu un afflux considérable de touristes dans la zone. Mais ce
n’était pas le cas. Le tribunal a ensuite appliqué la méthode du bilan coût-avantage.
Au rayon des avantages on pouvait être sensible au fait que l’aire de stationnement
permettait aux vacanciers de se garer facilement et gratuitement sur la plage avant
de s’installer sur celle-ci, quelques mètres plus loin. Je précise que l’aire proposait
cent dix places de stationnement, ce qui n’était pas négligeable. Mais à la réflexion,
70
c’était sans doute le seul avantage que l’on pouvait trouver à cet ouvrage. Il n’était
pas particulièrement « remarquable ». On aurait pu envisager, même si ce n’est pas
quelque chose que l’on inscrit dans un jugement, que la commune ait pu implanter
cet ouvrage ailleurs, dans un espace où la loi autorise ce type de constructions. Le
tribunal a été sensible au fait que l’ouvrage a été construit en violation de la loi Littoral, violation manifeste d’une règle qui vise à protéger notre littoral des constructions
intempestives. D’autre part, l’ouvrage en question pouvait être démoli facilement, il
n’y avait pas de fondations, et les contribuables locaux n’allaient pas payer grandchose pour faire exécuter la démolition. Le tribunal a donc mis en balance tous ces
éléments pour considérer que l’injonction devait être prononcée.
Autre point à souligner : le délai que nous avons imparti à la commune pour exécuter l’injonction a été fixé à cinq mois, ce qui peut paraître assez long pour ce genre
d’ouvrages. Cependant, le tribunal a été guidé par des réflexions pragmatiques ou
réalistes : en laissant un délai aussi long, on donnait la possibilité à la commune, si
elle le souhaitait, de maintenir l’ouvrage en l’état le temps de la saison estivale qui
arrivait à grand pas (le jugement est rendu au mois de juin), charge à elle ensuite de
le faire démolir définitivement.
Pour terminer, je dirais que la jurisprudence Commune de Clans et la manière
dont le tribunal l’a appliquée dans son jugement de 2006 montrent la manière dont
le juge réagit lorsqu’il est en présence de principes qui sont reconnus par le droit positif mais qui se contredisent : comment concilier le pouvoir d’injonction conféré au
juge administratif pour assurer la bonne exécution de ses jugements et l’intangibilité
des ouvrages publics ? La réponse donnée par le Conseil d’Etat à ce problème repose
sur une logique de conciliation. La solution qu’il a dégagée en 2003 permet d’éviter
que le pouvoir d’injonction soit systématiquement sacrifié sur l’autel du sacro-saint
principe de l’intangibilité de l’ouvrage public, ou l’inverse. A partir de là, comme le dit
le Conseil d’Etat dans un de ses considérants de principe, c’est au juge administratif,
au cas par cas, d’effectuer une analyse très concrète des données de l’affaire pour
dire si, oui ou non, l’intérêt public auquel satisfait l’ouvrage justifie qu’il soit porté
atteinte au pouvoir d’injonction. En l’espèce, le tribunal a pris une solution qui, dans
ses effets, porte nécessairement atteinte au principe d’intangibilité (puisqu’a été ordonnée la démolition de l’ouvrage) mais qui, dans son raisonnement, ne le méconnaît
pas frontalement puisque le raisonnement appliqué s’intéresse d’abord à l’intérêt
général que satisfait cet ouvrage. Ce n’est que parce qu’il a été constaté que cet intérêt n’était pas suffisamment fort que nous avons exercé notre pouvoir d’injonction de
prendre une mesure déterminée et irréversible, la démolition de l’aire de stationnement.
71
Injonction de prendre une mesure
déterminée – Un cas particulier tiré du contentieux fiscal
M. Eric REY-BETHBEDER
Premier conseiller au Tribunal administratif de Pau
L’affaire SA SN Modis, qui a donné lieu à un jugement du 23 novembre 2006 (req.
n° 061612), présente un relief particulier : d’abord, parce que le dossier s’insérait
dans le très abondant contentieux de niveau national relatif à la taxe sur les achats de
viande, taxe créée pour financer le service public de l’équarrissage à la suite de la
crise de l’ESB (maladie dite de la « vache folle »). La masse considérable de requêtes
portées devant la juridiction administrative représentait un enjeu financier qui
s’élevait à des centaines de millions d’euros. Ensuite, parce que cela a eu des conséquences juridiques intéressantes pour le sujet que nous évoquons aujourd’hui.
A l’origine de cette affaire, nous étions saisis (comme beaucoup de tribunaux administratifs) de conclusions qui tendaient à une décharge d’une taxe sur les achats de
viande postérieure au 1er janvier 2001, c’est-à-dire alors que l’affectation de la taxe
pour le service public d’équarrissage n’était plus évidente. Or, l’administration fiscale
avait prononcé, en cours d’instance, un dégrèvement. Cependant, de façon assez
surprenante, l’administration fiscale nous a ensuite demandé de ne pas tenir compte
de ces dégrèvements. Il y a même un directeur des services fiscaux qui a présenté des
conclusions tendant à ce que le juge administratif remette lui-même à la charge du
contribuable la taxe sur les achats de viande qui avait été dégrevée par
l’administration.
Nous n’avons pas suivi l’administration dans ses raisonnements et avons constaté
l’existence d’un non-lieu à statuer (une décision de Section de Conseil d’Etat de 1979
indique que l’on ne peut pas demander au juge, lorsque l’on a prononcé un dégrèvement en cours d’instance, de remettre à la charge du contribuable les impositions qui
ont été dégrevées).
Dans cette affaire SA SN Modis et dans cinq autres affaires, nous avons donc constaté ce non-lieu, mais, encore plus étonnant, ces dégrèvements ne se sont pas
traduits par des restitutions effectives des sommes qui avaient été dégrevées. Nous
avons en conséquence été saisis par la SA SN Modis, ainsi que par les autres sociétés
qui étaient dans le même cas, d’une demande d’exécution du jugement du 21 juin
2005 par lequel nous avions prononcé le non-lieu à statuer. Etait sollicité le prononcé
72
d’une injonction de restitution de la somme correspondante assortie d’une astreinte
de deux cents euros par jour de retard (il s’agit là des conclusions principales). La
phase amiable n’a pas permis de résoudre la question. Le passage à la phase juridictionnelle a été accéléré parce que le directeur des services fiscaux, dans le cadre de la
procédure amiable, nous a écrit qu’il estimait que le jugement avait reçu une pleine
et entière exécution du seul fait du versement, par l’administration, des huit cents
euros de frais irrépétibles. Son courrier ajoute qu’ « aucune autre obligation
n’incombe à l’administration en raison du non-lieu à statuer et du rejet du surplus des
conclusions ». La position de l’administration était claire : elle considérait que les requérants avaient tort et qu’elle n’avait rien à faire d’autre pour assurer l’exécution.
Cette cristallisation du débat a fait que, sans attendre le délai de six mois, la phase
juridictionnelle a été ouverte. Ce qui est de nature à étonner quelque peu, c’est le
raisonnement que l’administration a tenté d’avancer pour justifier l’absence de restitution effective des sommes concernées par le dégrèvement, sachant que les motifs
du jugement ne se contentaient pas de constater l’existence d’un non-lieu à statuer ;
ils rappelaient que l’administration ne pouvait, en cours d’instance, nous demander
de ne pas tenir compte d’un dégrèvement qu’elle avait prononcé, ce qui impliquait
donc que ce dégrèvement reçoive plein effet. De surcroît, il avait été jugé –certes par
une décision relativement ancienne du Conseil d’Etat du 13 février 1974 – que
l’administration n’a pas le droit de revenir légalement sur une décision de dégrèvement prononcée en cours d’instance contentieuse, sauf éventuellement, pour elle, si
tant est que le délai de reprise ne soit pas expiré, de rétablir l’imposition en ayant
repris au préalable la procédure de redressement.
Dans cette affaire, nous avons tiré les conséquences des motifs du jugement de
non-lieu parce qu’on ne saurait tolérer que l’administration, lorsqu’elle prononce un
dégrèvement, n’en tire pas toutes les conséquences, la première d’entre elles étant
que la somme dégrevée soit effectivement restituée au contribuable.
73
Deux types d’injonction consécutive à
l’annulation du refus de renouvellement d’un
agent contractuel
Mme Valérie REAUT
Conseiller au Tribunal administratif de Pau
§ 1. Injonction de réexamen
Le jugement du tribunal administratif du 11 juillet 2006, Mme Françoise MarcosRigaldies (req. n° 0400284), constitue presque le cas d’école d’une injonction de
réexamen basée sur l’article L.911-4 du CJA.
Le tribunal avait annulé, par un jugement du 2 octobre 2002, une décision du ministre de la culture en date du 12 mai 2000 refusant de renouveler Mme MarcosRigaldies dans les fonctions qu’elle occupait en qualité d’agent contractuel.
Le contexte était le suivant : l’intéressée avait accédé aux fonctions de conservatrice des antiquités et objets d’art du département des Hautes-Pyrénées à temps
partiel, non par la voie du concours et d’une intégration dans la fonction publique
d’Etat par titularisation, mais par voie contractuelle. Un premier contrat avait été signé avec le ministre de la culture d’une durée d’un an, contrat qui avait été plusieurs
fois renouvelé. Le dernier renouvellement avait été accordé pour une durée de six
mois seulement par décision du 9 mai 2000 et valait rétroactivement à compter du 31
décembre 1999. De façon presque concomitante, le ministre a informé Mme MarcosRigaldies, le 12 mai 2000, de son intention de ne pas donner suite à la demande de
renouvellement de son contrat. C’est cette décision qui a été annulée par le jugement de 2002, annulation fondée sur un vice de procédure tiré du non-respect du
principe du contradictoire. Le jugement est devenu définitif et n’a pas connu les
suites logiques que l’exécution de la chose jugée emportait, à savoir le réexamen de
la demande de renouvellement du contrat formée par Mme Marcos-Rigaldies. C’et
pourquoi celle-ci nous saisissait, le 16 février 2004, de deux types de conclusions :
- de conclusions indemnitaires en réparation du préjudice que lui aurait causé le
refus de renouvellement de ce contrat, qui ne seront pas évoquées ici car ne relevant
pas du thème choisi ;
- et de conclusions tendant à ce que le tribunal « ordonne le réexamen de sa
demande de renouvellement dans les fonctions de conservatrice des antiquités et objets d’art du département des Hautes-Pyrénées ».
74
Ces dernières conclusions ont été directement présentées sous la forme juridictionnelle alors qu’elles auraient pu prendre la forme d’une demande administrative
d’exécution. Mais les conditions de la saisine, avec ces doubles conclusions présentées dans une même requête, ont fait que le tribunal a statué directement en
application de l’article L.911-4 et s’est donc interrogé sur la portée de la chose jugée
le 2 octobre 2002.
C’est à ce stade que le litige relève en apparence du cas d’école parce que le ministre de la culture reconnaissait lui-même, dans le mémoire en défense, qu’il n’avait
pas procédé au réexamen de la demande en respectant le principe du contradictoire.
Mais cas d’école seulement en apparence, car il ressortait en fait des écritures du
ministre qu’il interprétait les conclusions en injonction comme une voie de recours
devant amener le juge à reconsidérer ce qu’il avait précédemment jugé : aussi réaffirmait-il, dans son mémoire en défense, qu’il n’y avait pas lieu de respecter la
procédure du contradictoire. Devant le constat que les conditions en étaient réunies,
le tribunal a prononcé une injonction de procéder au réexamen de la demande de
renouvellement de Mme Marcos-Rigaldies dans des conditions cette fois régulières,
injonction ayant été assortie d’une astreinte – pour renforcer son caractère comminatoire – de 100€ par jour de retard.
§ 2. Injonction de faire
Nous allons maintenant évoquer l’affaire n° 0501921 du 22 mai 2008, M. José
Guimaraes. M. Guimaraes a trente-trois ans lorsqu’il souscrit, le 3 novembre 1990, un
contrat d’engagement dans l’armée de terre (au trente-cinquième régiment parachutiste de Tarbes). Cinq ans après, soit en 1995, le ministre de la défense met fin à ce
contrat, décision annulée par jugement du 23 avril 2003 (l’écart de date s’expliquant
par une saisine tardive du tribunal, en 2001). Confronté à l’inexécution de ce jugement de 2003, M. Guimaraes demande au tribunal d’y remédier.
Cette affaire concerne donc une question à laquelle faisait allusion, ce matin, le
président Labetoulle : les conséquences d’une annulation prononcée contre une mesure d’éviction d’un agent public (qu’il soit titulaire ou contractuel). Les règles
jurisprudentielles – concernant notamment l’éventuelle réintégration de l’intéressé –
ont été fixées à la fois par décision Rodière de 1925 et, pour ce cas particulier, par la
décision Deberles de 1933. Cette particularité du dossier de M. Guimaraes venait
d’abord de ce que la réintégration réelle n’était plus possible parce que le contrat
d’engagement de dix ans était expiré. L’arrêt Deberles juge qu’en pareil cas, il convient de prononcer une réintégration non pas effective mais simplement juridique, ce
que l’administration n’avait pas fait. En outre, l’intéressé, contractuel dépendant du
ministère de la défense, était déjà en situation de faire valoir ses droits à la retraite ;
l’administration devait en conséquence, après reconstitution fictive de sa carrière
militaire, s’interroger sur les répercussions de celle-ci sur ses droits à pension militaire.
75
Voilà pourquoi ce jugement prononce une double injonction à l’encontre du ministre de la défense en vue :
- de reconstituer fictivement la carrière de M. Guimaraes en liquidant ses droits
à la solde, devant conduire à ce que le ministre verse une indemnité équivalente à la
solde qu’il aurait dû percevoir, déduction faite (c’était le cas en l’espèce) des rémunérations que l’intéressé avait pu percevoir sur cette même durée ;
- de liquider, le cas échéant, ses droits à pension s’il était en situation de les
faire valoir.
76
Injonction de réexamen consécutive à
l’annulation d’un titre de séjour
M. Jean-Michel RIOU
Conseiller au Tribunal administratif de Pau
Le jugement Bouzaghar en date du 21 juin 2007 (req. n° 0700637) présente une
nouvelle illustration d’injonction de réexamen, cette fois-ci concomitante au jugement d’annulation et prononcée dans le contentieux des étrangers. Cette affaire
illustre le lien entre le motif d’annulation et la nature de la mesure d’injonction que le
juge peut prendre.
Il s’agissait ici d’un refus de titre de séjour qui avait été opposé à M. Bouzaghar. Il
ressortait clairement du dossier que l’intéressé avait demandé un titre de séjour à
deux titres, à savoir un titre de séjour mention « vie privée familiale » et un titre de
séjour mention « salarié ». L’administration avait pourtant statué sur le seul titre de
séjour mention « vie privée familiale », sans dire un mot sur la demande de titre de
jour présentée en qualité de salarié. Elle l’avait complètement ignorée, y compris
dans le débat contentieux. On avait donc un moyen de légalité externe tiré du défaut
de motivation du refus de titre de séjour et, comme vous le savez, en matière de motivation d’une décision prise sur demande, il convient d’examiner (c’est la fameuse
décision de section Leduf du 11 juin 1982) si la décision se réfère à la situation de
l’intéressé telle qu’elle ressort du dossier déposé par celui-ci. Le tribunal a par suite
tiré les conséquences du défaut de motivation et annulé, pour ce motif, la décision de
refus de séjour. L’étranger demandait de surcroît qu’il soit enjoint à l’administration
de réexaminer sa demande en qualité de salarié, ce que le tribunal a prescrit sans
qu’il y ait eu lieu de prononcer une astreinte.
Ce type d’annulation-injonction de réexamen peut typiquement s’avérer une victoire à la Pyrrhus pour le demandeur puisque M. Bouzaghar (ce qui apparaît dans un
jugement ultérieur) a bien obtenu un réexamen de sa demande, mais qui s’est soldé
par un nouveau refus. L’intéressé est revenu devant le tribunal pour contester cette
dernière décision mais ce nouveau refus était parfaitement fondé en l’espèce, à défaut d’avoir respecté le préalable en matière d’autorisation de titre de séjour en
qualité de salarié, à savoir la demande de l’employeur. Le tribunal, statuant de nouveau, a cette fois rejeté la demande M. Bouzaghar, y compris ses nouvelles
conclusions à fin d’injonction qui tendaient à la délivrance d’une carte de résident de
longue durée.
77
Refus de donner suite à une demande
d’exécution – Cas particuliers
M. Eric REY-BETHBEDER
Premier conseiller au Tribunal administratif de Pau
Les deux affaires évoquées ici – jugements L’Huillier du 13 mars 2008 (req. n°
0702386) et Joly du 22 mai 2008 (req. n° 0800443) – s’inscrivent dans des litiges à
répétition qui s’étalent sur de très longues années, largement d’ailleurs en raison
d’une multiplication d’erreurs procédurales imputables à l’administration.
§ 1. L’affaire L’Huillier (TA Pau, 13 mars 2008)
Je vous ferai grâce des très nombreux contentieux relatifs à la situation de M.
L’Huillier formés devant le tribunal administratif, mais aussi d’ailleurs devant le conseil d’Etat qui s’était prononcé à plusieurs reprises. L’intéressé, lieutenant-colonel en
retraite, voulait devenir officier de la légion d’honneur ; il était déjà chevalier de la
légion d’honneur et aussi officier dans l’ordre national émérite, mais tenait à devenir
officier de la légion d’honneur. Plusieurs refus lui ont été opposés, refus annulés par
le Conseil d’Etat, par le tribunal administratif, toujours pour des motifs qui tenaient à
des irrégularités de procédure ; et M. L’Huillier a fini par voir dans cette obstination à
lui refuser ce qu’il estimait lui être dû une sorte de volonté de lui nuire de la part de
l’administration. Il a donc sollicité du ministre de la défense la communication des
procès verbaux des commissions consultatives compétentes pour l’examen des candidatures à la légion d’honneur pour l’armée d’active. Malgré un avis de la CADA qui
était favorable à cette communication, le ministre a refusé celle-ci et M. L’Huillier
demandait l’annulation de ce refus. Le ministre s’est borné à défendre en soulevant
l’incompétence du Tribunal administratif de Pau pour connaître de ce litige. Il estimait que, comme il s’agissait d’un requérant qui était officier, son sort contentieux ne
pouvait être réglé que par la Haute juridiction administrative qu’est le Conseil d’Etat.
Il se trompait puisque le Conseil d’Etat lui-même, depuis une décision du 28 juillet
2004, L’Huillier justement, avait estimé qu’on était en réalité face à un litige portant
sur l’attribution d’une décoration et qu’il n’y avait donc pas lieu, dans une telle hypothèse, de déroger à la compétence de premier ressort du tribunal administratif. Faute
d’autre moyen en défense de la part du ministre, nous avons, après avoir constaté le
caractère communicable des documents en question, annulé le refus de communication et enjoint au ministre de procéder à cette communication dans un délai de
quinze jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 euros par
jour de retard. Mais le ministre, au stade de l’exécution, a cette fois défendu comme
78
il aurait dû le faire pendant l’instance qui avait débouché sur l’injonction et
l’astreinte, expliquant de façon tout a fait convaincante qu’en réalité ces procès verbaux n’existaient pas, l’administration n’étant pas dans l’obligation de les établir ; et
nous avons fait application d’une jurisprudence peu utilisée du Conseil d’Etat du 12
novembre 2007, Le Bigre, qui, alors même que nous étions au stade de la liquidation
de l’astreinte, nous oblige à vérifier l’existence du ou des documents dont la communication a été ordonnée avant de procéder à cette liquidation. En d’autres termes, au
stade de l’exécution, on en arrive ici à bel et bien rejuger l’affaire ! Mais le Conseil
d’Etat avait assurément ouvert la voie par cette décision Le Bigre qui est mentionnée
au Recueil Lebon. Nous avons donc constaté, en résumé, que l’administration était
dans l’impossibilité matérielle de communiquer ce document dont l’existence n’était
pas du tout établie. Ce qui fait que M. L’Huillier, alors qu’on était au stade de la liquidation de l’astreinte, s’est retrouvé face à une décision qui, non seulement lui refusé
la liquidation de l’astreinte, mais qui en réalité a tranché au fond ce litige.
§ 2. L’affaire Joly (TA Pau, 22 mai 2008)
L’affaire Joly s’étale elle aussi sur une très longue période de temps puisque les
décisions qui avaient été opposées à l’intéressé, puis annulées, avaient refusé
d’admettre l’imputabilité au service d’affections dont M. Hubert Joly avait été atteint
en 1984 et 1986. M. Joly s’est mépris sur le sens de notre dernier jugement
d’annulation de la décision administrative qui lui était opposée. Dans ledit jugement,
nous avions annulé la décision en raison d’un vice de procédure, à savoir l’absence de
transmission au comité médical supérieur, qui doit être saisi dans ce cas de figure,
d’un rapport d’expertise médical, ce qui faisait que ce comité ne disposait pas de la
totalité du dossier du fonctionnaire concerné. Ce dernier, impatient que son affaire
soit enfin traitée au bout d’une vingtaine d’années, nous a saisis dès septembre 2007
de ce qu’il estimait être une absence d’exécution du jugement. Mais l’administration,
dans le cadre de la phase amiable, nous a informés qu’elle avait en réalité repris la
procédure, qu’elle avait saisi à nouveau le comité médical supérieur en lui transmettant l’intégralité du dossier, dont le fameux rapport d’expertise. Elle nous a d’ailleurs
précisé que le comité s’était réuni, qu’il avait rendu un avis défavorable et qu’une
décision allait intervenir incessamment. On a appris quelque temps après que, le 9
novembre 2007, un nouveau refus avait été opposé à la demande de M. Joly. Le président du tribunal administratif, Jean-Yves Madec, a donc décidé de classer la
demande d’exécution sur le fondement de l’article R.921-5 du CJA puisque
l’administration avait manifestement mis en œuvre le jugement qui lui prescrivait de
reprendre la procédure. Mais M. Joly nous adressa, le 22 décembre 2007, une nouvelle lettre dans laquelle il maintenait sa demande d’exécution. Dans ce cas,
l’ouverture de la phase juridictionnelle est de droit en vertu de l’article R.921-6 du
même code. Nous avons été donc contraints d’ouvrir celle-ci et de rendre un jugement qui a repris l’analyse qui avait poussé le président Madec à classer la demande
d’exécution : la nouvelle décision de l’administration étant intervenue après une procédure régulière, le jugement initial avait reçu pleinement exécution. Cela illustre le
fait déjà signalé que, d’une part, dans l’esprit de nombreux requérants, existe une
79
confusion entre l’exécution et le jugement au fond, et que, d’autre part, ceux-ci tirent
souvent des conséquences excessives de jugements d’annulation qui reposent uniquement sur des motifs touchant à des vices de forme ou de procédure, c’est-à-dire,
dans l’énorme majorité des cas, des vices régularisables.
Jean-Yves MADEC : J’ajoute que M. Joly n’est pas totalement tombé dans le piège
puisqu’il a pensé à nous saisir également d’une demande d’annulation de la nouvelle
décision de rejet qui lui était opposée vingt ans après la première.
80
Pouvoir d’injonction et référé suspension
M. Jean-Noël CAUBET-HILLOUTOU
Premier conseiller au Tribunal administratif de Pau
Ce qui est tout à fait particulier dans le positionnement des juges des référés, c’est
qu’il peut constituer une sorte de juge de l’exécution autoritaire provisoire d’une ordonnance suspendant une décision en refus. Il peut ainsi créer quelque chose à partir
de rien. En voici deux illustrations différentes.
§ 1. L’affaire Giles (TA Pau, 4 octobre 2007)
Dans la première affaire, l’affaire Giles du 4 octobre 2007 (req. n° 0500619), le
juge des référés va en quelque sorte se transformer en juge de l’exécution d’une décision de justice antérieure. Présentons au préalable les faits de l’espèce : à
Beaumont-sur-Lèze, dans le Gers, un litige opposait, d’un côté, M. Giles, qui voulait
construire un hangar agricole sur un terrain situé au pied d’un château ainsi que le
maire de la commune qui en était d’accord et, d’un autre côté, les services de l’Etat
qui souhaitaient qu’il fût édifié plus loin (l’objectif poursuivi étant que le propriétaire
du château ne voie pas le hangar agricole). M. Giles s’est heurté à un refus de permis
de construire là où il envisageait de réaliser son projet ; par contre le préfet a autorisé
le permis de construire à un endroit qu’il privilégiait. La commune a attaqué le permis
de construire et M. Giles a attaqué le refus de permis de construire.
Le 4 octobre 2007 sont intervenus deux jugements du Tribunal administratif de
Pau : l’un a annulé le refus de permis de construire (sans que toutefois, selon une
règle assez générale, cela implique nécessairement la délivrance d’un permis de construire) ; l’autre a rejeté la demande d’annulation du permis de construire délivré, le
tribunal ayant estimé celui-ci légal.
Le préfet a évidemment fait appel du premier jugement, mais il était automatiquement ressaisi de la demande de permis de construire. Il instruit cette demande et,
le 31 décembre 2007, refuse à nouveau le permis de construire. M. Giles attaque ce
nouveau refus et saisit le tribunal de conclusions accessoires tendant à obtenir la
suspension de cette décision négative, assortie d’une injonction au préfet d’instruire
à nouveau sa demande de permis de construire. Dans la mesure où les considérations
de droit et de fait n’avaient pas changé entre le 4 octobre 2007 et le 31 décembre
2007, la suspension du refus de permis de construire s’imposait au juge de référé qui,
rendu méfiant par la façon dont le préfet avait exécuté le précédent jugement, lui
prescrit en outre une nouvelle instruction du dossier dans un délai très bref, seulement deux semaines à compter de la notification du jugement, avec 300 euros
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d’astreinte par jour de retard. C’était une invitation relativement ferme à exécuter la
décision de justice et, le quinzième jour, le tribunal a été avisé que le permis de construire avait été délivré à M. Giles. Ce dernier a toutefois attendu que les droits des
tiers (et notamment du propriétaire du château) soient définitivement purgés avant
de se désister.
§ 2. L’affaire Centre hospitalier de Lannemezan (TA Pau, 21
novembre 2007)
La deuxième affaire (ordonnance du 21 novembre 2007, Centre hospitalier de
Lannemezan, req. n° 0702078) s’est moins bien terminée : malgré l’intervention du
juge des référés et le fait que l’analyse de celui-ci ait été confirmée par la juridiction
de fond, l’administration a maintenu sa décision initiale. Il s’agissait d’un problème
d’agrément de maternité (ces agréments sont délivrés pour cinq ans puis, régulièrement réexaminés en regard de l’activité de la maternité). Vous connaissez tous
Lannemezan, région peu populeuse mais ayant la particularité de se situer au droit de
la vallée d’Aure, la seule a avoir gagné de la population depuis les années 1960 parmi
laquelle un certain nombre de femmes susceptibles d’accoucher – plus précisément
entre cent et deux cents par an. L’agence régionale d’hospitalisation (ARH), chargée
de gérer les crédits sociaux de façon extrêmement sévère, a refusé de renouveler
l’autorisation d’ouverture de la maternité. Saisi en suspension, le juge des référés a
estimé que l’ARH aurait dû renouveler l’autorisation d’ouverture : il a donc suspendu
le refus d’y procéder et a prescrit à l’agence de prendre une nouvelle décision sur ce
dossier. L’ARH a toutefois pris la même décision que celle qui avait été suspendue et
cela malgré la survenance rapide d’un jugement au fond. L’hôpital n’a pas, quant à
lui, intenté de recours contre cette deuxième décision refusant l’autorisation
d’ouverture de la maternité. Le jeu institutionnel ne s’apparente pas, en effet, aux
relations entre un particulier et l’administration. D’autres paramètres entrent en
ligne de compte, d’autres conciliations s’y opèrent : un hôpital ayant énormément
besoin de ménager l’ARH peut, le cas échéant, préférer renoncer à une autorisation
qui lui a été pourtant refusée à tort. A l’inverse du dossier Giles, l’intervention du juge
des référés, loin de se révéler efficace, n’a eu ici aucune portée pratique.
82
Pouvoir d’injonction et différents référés
Mme Mireille MARRACO
Vice-présidente du Tribunal administratif de Pau
§ 1. L’affaire Association départementale des parents d’élèves de
l’enseignement public et autres
Pour illustrer ce thème, nous avons d’abord sélectionné l’affaire Association départementale des parents d’élèves de l’enseignement public et autres (ordonnance du
22 novembre 2007, req. n° 0702294) relative aux « événements » – comme on a pu le
dire très pudiquement à d’autres époques – de l’automne dernier dus au projet de
réforme des universités. Les locaux de l’université faisant l’objet d’une occupation
depuis le 9 novembre, il a été demandé, le 20 novembre, au juge des référés
d’ordonner leur « libération » en application de l’article L.521-2 du CJA. Ce dernier
autorise en effet le juge à ordonner, sous quarante-huit heures, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde urgente d’une liberté fondamentale, liberté à laquelle
l’administration porte une atteinte grave et manifestement illégale. Voilà, très synthétisée, la règle du jeu.
En l’occurrence, les locaux étaient occupés depuis le 9 novembre. Le juge, saisi le
20 novembre, a retenu la condition d’urgence à reprendre les cours ; il a également
identifié une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale : le
droit à l’éducation. Signalons que pour des événements comparables – blocages résultant des manifestations contre le contrat première embauche (CPE) en mars 2006
–, avaient été plutôt retenues des atteintes à la liberté aller et venir et au droit de
chacun au respect de sa liberté personnelle (devant le Tribunal administratif de Toulouse notamment). Quoi qu’il en soit, dès l’instant où l’atteinte grave et
manifestement illégale à une liberté fondamentale est reconnue, il incombe au juge
de prendre toutes les mesures nécessaires. Cela s’est manifesté, en l’espèce, sous la
forme d’une injonction de prendre toutes mesures pour faire cesser l’occupation des
locaux dans les trois jours, l’administration ayant la liberté de choisir les mesures les
plus opportunes à cet effet, assortie d’une astreinte de 100 euros (le dixième du taux
demandé par les requérants) pour inciter l’université à s’exécuter dans le délai imparti (l’astreinte ne courait qu’à partir de son expiration).
Pourquoi un tel délai de trois jours ? Tout à l’heure M. Faïck a présenté la raison
d’être du délai de cinq mois accordé à la commune de Mimizan pour remettre en état
la dune littorale. Le choix de trois jours est, dans notre cas, lié au fait que le 22 novembre était un jeudi, et qu’il importait que l’université puisse recommencer à
83
fonctionner à partir du lundi suivant, et non le week-end (ce qui n’avait guère de
sens). Un peu de sens pratique s’avère ainsi nécessaire afin de laisser à
l’administration la possibilité d’agir correctement et de la manière la moins complexe
pour elle.
Voyant que l’injonction n’avait pas été exécutée dans le délai imparti, le requérant
a demandé la liquidation de l’astreinte. Le tribunal y a procédé par un calcul arithmétique (100 euros multipliés par le nombre de jours d’inexécution, à savoir 15 entre le
26 novembre et le 11 décembre, jour de libération effective des locaux, soit au total
1500 : v. TA Pau, 13 décembre 2007, Association départementale des parents d’élèves
de l’enseignement public et association des parents d’étudiants de l’enseignement
public des Pyrénées-Atlantiques - PEEP SUP 64, req. n° 0702431) alors que le caractère provisoire de l’astreinte prononcée aurait pu l’autoriser à moduler celle-ci.
§ 2. Les affaires Commune d’Hossegor et Mme Sylvie Brossard
Un deuxième cas a appelé notre attention car il met bout à bout quatre procédures d’urgence, dont l’une a aujourd’hui disparu : il s’agit notamment des
ordonnances Mme Sylvie Brossard d’avril 2007 (req. n° 0800828) et Commune
d’Hossegor de mai 2007 (req. n° 0801024).
La commune d’Hossegor s’était délivrée un permis de construire, le 7 octobre
2007, relatif à l’extension et au réaménagement d’un poste de maîtres-nageurs. Pour
des raisons diverses, notamment à cause des remous que le projet avait suscités, ce
permis est retiré le 21 décembre 2007. Cependant, au printemps, des travaux sont
engagés. A partir de là, se sont succédé quatre mesures d’urgence :
• la première requête engagée le 1er avril 2007, s’est soldée par une ordonnance
du 9 avril 2007 (ce qui atteste une grande réactivité de la juridiction). Il s’agissait d’un
référé mesures utiles prévu à l’article L.521-3 du CJA (en cas d’urgence, même en
l’absence d’un jugement administratif préalable, le juge des référés peut ordonner
toute mesure utile sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative).
Le juge des référés constate, d’une part, que la commune fait entreprendre divers
travaux, que la condition d’urgence est remplie et, d’autre part, que ces travaux sont
entrepris sur des dépendances du domaine public maritime. Il enjoint en conséquence à la commune d’interrompre tous les travaux sous astreinte de centcinquante euros par jour de retard. Nous avons eu recours à l’astreinte parce que
l’injonction prononcée seule demeure souvent un vœu pieux. Nous sommes loin du
juge virtuel que nous avons vu se dessiner à travers les réflexions des années
soixante-dix : l’astreinte pousse évidemment à l’exécution du jugement.
• Faisant suite à cette ordonnance du 9 avril, intervient, le 14 avril, une nouvelle
ordonnance, accessoire par rapport à la première. La requérante ayant l’impression
que l’injonction du 9 avril n’était pas suivie d’exécution, nous saisit à nouveau, dès le
11 avril, pour solliciter cette exécution. Comme ce personnage de bande dessinée qui
« tire plus vite que son ombre », elle a ainsi attendu un seul jour (l’ordonnance du 9
avril ayant été notifiée le 10) pour faire jouer la procédure de l’article L.911-4 du CJA.
84
Cette nouvelle démarche se solde par un rejet puisqu’il apparaît que la commune,
dès le 10 avril, a en réalité exécuté ce qui lui était demandé et que les quelques travaux qui ont été assurés n’étaient que des travaux minimaux et nécessaires de mise
en sécurité.
• Nous en arrivons au deuxième « bloc » d’ordonnances rendues dans cette affaire qui comprend d’abord une suspension (le juge de la suspension est intervenu et
a suspendu la décision révélée par l’engagement des travaux) et la réponse à une
demande présentée au titre de l’article L.521-4 du CJA (qui permet au juge de corriger la mesure qu’il a prise précédemment, cette dernière étant secondaire et annexe
par rapport à la première).
Ces quatre procédures successives nous montrent l’art de combiner les différents
outils au service du juge des référés et illustrent leur compatibilité. Cette compatibilité entre le référé mesures-utiles du premier bloc et le référé-suspension du deuxième
bloc s’explique ici dans la mesure où la suspension exige environ trois semaines pour
être prononcée alors que le référé mesures-utiles a demandé huit jours. En d’autres
termes, le référé mesures utiles ordonnant la suspension des travaux (huit jours) a
permis au requérant d’attendre tranquillement (les travaux étant arrêtés)
qu’intervienne, au bout de trois semaines, l’ordonnance de suspension de la décision
de les exécuter.
85
Un problème d’exécution d’une
condamnation pécuniaire dans le
contentieux des marchés publics
Mme Sylvande PERDU
Conseiller au Tribunal administratif de Pau
L’affaire n° 0701242, Société Razel, du 4 décembre 2007, a trait au contentieux
des marchés publics. Il s’agissait d’un marché conclu en 1997 entre l’Etat et la société
requérante pour la réalisation de travaux de terrassement sur une route nationale
« deux fois deux voies » (RN 21) entre Lourdes et Argeles-Gazost. Le contentieux était
né en 2000 du refus de l’Etat de payer à la Société Razel des sommes supplémentaires au titre de sujétions imprévues et travaux supplémentaires. Par un jugement
rendu le 29 mai 2006, le tribunal a condamné l’Etat à verser à la société, pour aller à
l’essentiel, 663 000 euros, sans précisions (cela sera important pour la suite), avec
intérêt au taux légal à compter du 21 avril 2000, mis à sa charge les frais d’expertise
ainsi qu’une somme au titre des frais irrépétibles. Ce jugement étant devenu définitif,
faute pour la société ou pour l’Etat d’avoir interjeté appel, l’entreprise saisit à nouveau le tribunal, par mémoire enregistré le 4 décembre 2006, sur le fondement de
l’article L.911-4 du CJA. Elle estime en effet incomplète l’exécution du jugement rendu en mai 2006 dans la mesure où l’Etat, quoiqu’ayant versé deux acomptes aux 5
septembre et 19 septembre 2006, n’aurait pas tenu compte de ce que les montants
fixés par le juge doivent être entendus hors taxes. Or, elle considère pouvoir prétendre à percevoir le montant principal TTC. En outre, la société Razel interprète le
jugement comme ayant condamné l’Etat à lui verser les intérêts à taux légal majoré,
taux moratoire contractuel, contestant la lecture de l’Etat qui, faute de précision, a vu
dans les taux d’intérêts légaux ceux de l’article 1153 du Code civil, sans majoration
particulière. Le litige portait tout de même sur une somme d’environ 400 000 euros !
Sur la première question (montant TTC ou HT), il a d’abord fallu se poser la question classique de savoir s’il appartenait au juge de l’exécution de donner cette
précision, étant entendu que la société Razel n’avait ni formé un recours en rectification d’erreur matérielle, ni interjeté appel (ne contestant pas le montant global des
sommes allouées). Le tribunal a ici appliqué à ce litige d’ordre « général » une solution classique en contentieux fiscal connue sous le nom de « jurisprudence du comité
de propagande de la banane » selon laquelle, lorsqu’une somme est mentionnée sans
précision dans un jugement, elle doit être regardée comme étant TTC. Les premières
conclusions de la société ont en conséquence été rejetées.
86
La seconde question – relative aux intérêts – s’avérait plus complexe. La société
Razel faisait valoir le fait que, se situant dans le cadre d’un marché public, elle avait
droit au taux d’intérêt moratoire contractuel majoré. Elle invoquait à ce titre les articles 181 et 182 du Code des marchés publics en vigueur à la date de conclusion du
marché (qui ne sont plus en vigueur depuis 2001). Après avoir considéré que la demande relevait bien de l’office du juge de l’exécution, ce qui n’était pas totalement
évident (seules deux ou trois décisions de cours administrative d’appel avaient auparavant statué sur ce problème), le tribunal a accordé à la société requérante des
intérêts moratoires au taux contractuel majoré de deux points à l’époque.
La requérante avait enfin formé des conclusions tendant à ce que, eu égard au retard d’exécution qu’elle considérait avoir subi, l’on applique l’article L.313 du Code
monétaire et financier. Là aussi, aujourd’hui, tout est balisé : cette disposition permet
à une partie qui n’obtiendrait pas exécution du jugement dans un délai de deux mois
de bénéficier sur la somme principale d’intérêts majorés de cinq points. Le tribunal a
également donné droit à la Société Razel sur ces conclusions dans un dispositif nécessairement complexe parce que le calcul des différents intérêts a dû prendre en
considération les acomptes versés en deux temps par l’Etat.
Chapitre 2
L’avis des praticiens
89
La mise en œuvre des pouvoirs d’exécution
des décisions de justice (1)
M. François COLLET
Directeur de l’agence publique de gestion locale 64
L’agence publique de gestion locale est un syndicat mixte qui regroupe la plupart
des communes du département, les établissements publics de coopération intercommunale et le département lui-même. Elle a pour objet de mutualiser des moyens
humains, notamment dans le domaine juridique au travers du service administratif
intercommunal qui renseigne et conseille sur des questions d’ordre juridique et administratif, sauf celles des personnels (problèmes traités quant à eux par le centre de
gestion de la fonction publique territoriale – 64).
L’idée de l’agence est de permettre à toutes les collectivités, et particulièrement
les plus petites, de disposer des capacités « d’expertise » que seules les grandes
communes peuvent se payer.
§ 1. Le premier cas que je souhaite exposer est celui d’une commune qui avait
engagé et mené à bien une procédure d’expropriation pour l’agrandissement de son
cimetière. Ladite procédure était achevée, les indemnités d’expropriation fixées et
payées, lorsque le juge administratif a annulé l’arrêté de cessibilité en excipant de
l’illégalité de la déclaration d’utilité publique. Mettant en œuvre la théorie du bilan,
le tribunal a en effet estimé « qu’eu égard aux besoins de la commune, à l’importance
et au coût du projet, les atteintes à la propriété privée sont excessives par rapport à
l’intérêt que présente l’opération ».
C’était la première fois que nous étions confrontés à un tel cas de figure. La commune n’avait pas encore pris possession des terrains expropriés puisque la procédure
venait juste de s’achever. L’exproprié a saisi le juge de l’expropriation pour qu’il constate, sur le fondement de l’article L.12-5 du Code de l’expropriation, que
l’ordonnance portant transfert de propriété était dépourvue de base légale. Le juge
l’a suivi et a ordonné la restitution du bien (symétriquement, fort heureusement, à la
restitution des indemnités de l’expropriation).
Le maire, un peu vexé et contrarié, a immédiatement pris un arrêté pour « interdire de mourir » dans sa commune puisque le cimetière existant est saturé… Plus
sérieusement, la commune n’a d’autre issue que d’engager une nouvelle procédure
d’expropriation. La difficulté à laquelle nous sommes confrontés à cet égard consiste
à dimensionner le nouveau projet en sorte qu’au cas – probable – de nouveau re-
90
cours contre la déclaration d’utilité publique, ce projet passe sous les fourches caudines du tribunal administratif. On le vérifiera à l’usage. Relevons enfin que le juge de
l’expropriation ayant condamné la commune à des dommages et intérêts, on s’est
demandé à la fois si c’était bien de sa compétence (et non de celle du juge administratif) et, sur le fond, s’il n’était pas quelque peu choquant qu’une commune fasse les
frais d’une illégalité commise par l’Etat.
§ 2. Une deuxième affaire – plus délicate – est née de la décision d’une commune
de vendre une maison avec plus d’un hectare de terrain attenant. Pour d’obscures
raisons, le conseil municipal a cru devoir prendre le même jour deux délibérations : la
première décide de vendre la « propriété communale » à tel prix, sans autre précision
sur sa consistance, sachant que le contenu de cette délibération ne fait référence
qu’à la maison ; la seconde expose que, « suite à la vente de la maison », la commune
s’engage à céder à l’acquéreur environ un hectare et demi de terrain, sans autre précision sur le prix. A la suite de quoi, un acte de vente à été passé.
Ces deux délibérations ont été annulées à la demande d’un voisin au motif notamment que « la cession gratuite, en sus du prix fixé pour la vente de la maison, d’un
hectare et demi de terrain attenant, constitue une libéralité ayant eu pour objet de
satisfaire un intérêt privé ». Pour exécuter cette décision, la commune s’est référée à
un avis du Conseil d’Etat du 3 décembre 1997 d’où il ressort en substance qu’en cas
d’annulation de l’acte détachable d’un contrat, il appartient d’abord à
l’administration d’apprécier si, eu égard au motif de l’annulation de cet acte détachable, le contrat doit être résilié ou non ; ensuite, dans la négative, de prendre un
nouvel acte se substituant à celui qui a été annulé. C’est cette seconde branche de
l’alternative qui a été retenue ici, dans la mesure où il ne faisait pas de doute, pour la
commune comme pour nous à ses côtés, qu’au-delà de ces maladresses procédurales
et rédactionnelles, la commune avait bien entendu vendre l’ensemble « maison +
terrain » au prix qui avait été fixé. Le conseil municipal a donc pris une nouvelle délibération en ce sens. Mal lui en a pris puisque, sur un nouveau recours des mêmes
requérants, le tribunal, persistant dans son analyse selon laquelle le prix qui avait été
fixé ne l’avait été que pour la seule maison, a annulé cette nouvelle délibération au
motif qu’elle méconnaissait l’autorité de la chose jugée.
La commune n’a pas spontanément exécuté ce jugement, étant – disons indécise
– sur la façon de le faire et pensant que le requérant se satisferait d’une victoire platonique, ce qui a effectivement été le cas pendant quatre ans. A l’issue de ces
années, ce dernier a pourtant de nouveau saisi le juge administratif, cette fois afin
d’obtenir l’exécution du jugement. Le juge n’a pas eu à trop s’employer : rendant les
armes en accord avec l’acquéreur lassé de toutes ces procédures (il faut savoir que
nous étions en 2005 et que la vente remontait à 1994 !), le conseil municipal,
s’appuyant toujours sur l’avis du Conseil d’Etat précédemment évoqué, a voté une
nouvelle délibération décidant derechef la vente de l’ensemble, mais en majorant le
prix fixé initialement de la valeur du terrain telle qu’elle avait été estimée par le service des domaines. Un acte rectificatif a été passé dans ce sens. Un nouveau recours
91
entrepris par les requérants à l’encontre de cette ultime délibération a été heureusement rejeté en 2007 par le tribunal administratif, et les requérants n’ont pas fait
appel.
§ 3. Je terminerai par une affaire – qui nous a laissés quelque peu perplexes – relative à un chemin rural qui dessert une seule propriété et en traverse une autre.
Après enquête publique, le conseil municipal décide de déplacer ce chemin pour qu’il
passe en limite de cette seconde propriété, l’intéressé prenant en charge tous les
frais afférents et cédant gratuitement le terrain nécessaire au nouveau tracé. Par
cette même délibération, il est décidé de lui laisser gratuitement l’ancienne emprise
du chemin. Le propriétaire desservi par le chemin attaque la délibération. Débouté
par le juge du tribunal administratif, il interjette appel et, juste avant la clôture de
l’instruction, invoque le moyen selon lequel la délibération déciderait un échange. Le
Conseil d’Etat a effectivement plusieurs fois censuré ce type d’opération, estimant
que l’article 161.10 du Code rural (article relatif aux aliénations des chemins ruraux
qui ne sont plus affectés à l’usage public) n’offre aux communes pas d’autre procédure que la vente pour l’aliénation d’un chemin rural, et exclut donc tout échange. Le
requérant est suivi par la cour administrative d’appel qui annule la délibération. La
commune ne s’est pas pourvue en cassation, ce qui peut entre autres s’expliquer par
le fait que l’arrêt a été notifié à la commune le 5 mars 2008, date à laquelle les élus
avaient d’autres préoccupations… et il est peut-être dommage qu’il n’y ait pas eu un
tel pourvoi car la jurisprudence du Conseil d’ Etat dont je viens de faire état me paraît
difficile à comprendre et qu’il est délicat d’en mesurer la portée, notamment en
l’espèce. Comment admettre en effet que, pour le juge administratif, il ne soit pas
légalement possible d’acquérir d’un même propriétaire l’assiette du tracé du nouveau chemin et de lui vendre l’ancienne emprise ? Ou que ce même juge pousse le
formalisme jusqu’à exiger qu’un prix soit stipulé pour chacune de ces ventes, quitte à
ce que ce soit le même ?
Dans cette situation, faute de meilleure option, la commune a retenu la solution
consistant à prendre une nouvelle délibération portant une triple décision :
- un nouveau déplacement du chemin (le principe de ce déplacement n’ayant été
censuré par aucune des juridictions de premier ressort ou d’appel) ;
- l’acquisition à titre gratuit du nouveau tracé ;
- une nouvelle aliénation, mais dans le respect à la lettre de l’article L.161.10 du
Code rural qui dispose que « lorsque l’aliénation est ordonnée, les propriétaires riverains sont mis en demeure d’acquérir les terrains attenants à leur propriété. Si, dans
un délai d’un mois à dater de l’avertissement, ils n’ont pas déposé leurs soumissions
ou si leurs offres sont insuffisantes, il est procédé à l’aliénation des terrains selon les
règles suivies pour la vente de propriétés communales ». Le conseil municipal a ainsi
fixé un prix pour la vente de l’ancienne emprise du chemin, il a mis en demeure
d’acquérir à ce prix l’unique propriétaire riverain qui a accepté ce prix. On espère que
si le juge est saisi de cette nouvelle délibération, il la validera et j’ajoute que, pour les
92
voies communales et de façon plus large pour le domaine routier, le Code de la voirie
routière permet l’échange dans ce type de cas. On peut se demander pourquoi le législateur, qui a introduit cette possibilité d’échange lorsqu’il a mis en place en 1989 le
Code de la voirie routière, ne l’a pas étendue aux chemins ruraux.
93
La mise en œuvre des pouvoirs d’exécution
des décisions de justice (2)
M. Philippe SAUVAL
Directeur divisionnaire à la direction des finances publiques, responsable du
service juridique
Pour le service auquel j’appartiens (issu de la fusion de la direction générale des
impôts et de celle de la comptabilité publique), le tribunal administratif, c’est le juge
de l’impôt et, à ce titre, une institution crainte et respectée. Crainte dans le bon sens
du terme, car nous partageons la plupart du temps ses analyses ; respectée car nous
nous plions aux instructions qu’elle nous donne. Nous sommes aussi en contact de
façon régulière avec les conseillers du tribunal administratif par le biais d’une commission précontentieuse présidée par un membre du tribunal administratif et qui
permet à un contribuable, à la suite d’un contrôle fiscal, de solliciter un avis. Cette
commission se compose à parité de professionnels et de membres de
l’administration fiscale.
Il m’a été demandé d’intervenir plus particulièrement sur une affaire relative à la
taxe sur les achats de viande et de produits à base de viande prévue par l’article 302
bis ZD du Code général des impôts. C’est une histoire assez complexe que je vais vous
relater et qui a passionné, car des questions de principe ont été posées et ont abouti
à des contentieux de série. Même si cette émulation intellectuelle est tout à fait
louable, elle a cependant alourdi considérablement les travaux des tribunaux administratifs et des services fiscaux.
Cette taxe est crée au 1er janvier 1997, dans un contexte d’urgence relatif à la maladie dite de la « vache folle ». Du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2000, le produit
de la taxe contribue au financement du service public de l’équarrissage ; à partir du
1er janvier 2001 il alimente le budget de l’Etat, ce qui n’est pas neutre. Finalement, ce
prélèvement sera supprimé en 2004.
La taxe en question s’est révélée non conforme au droit communautaire à l’issue
d’une question préjudicielle posée à la Cour de justice des Communautés européennes par la Cour administrative d’appel de Lyon. Il s’agissait de déterminer si l’on
avait affaire à une aide directe ou indirecte ou à une véritable taxe d’Etat. La Cour de
justice a estimé, le 20 novembre 2003, qu’il s’agissait bien d’une aide « déguisée » qui
n’avait pas été notifiée à Bruxelles et permettait finalement aux éleveurs et abattoirs
français de procéder gratuitement, par des subventions indirectes, à la collecte et
l’élimination des animaux. Cette position de la Cour de justice a été confirmée par le
94
Conseil d’Etat le 15 juillet 2004. Parallèlement, la Commission européenne a demandé le remboursement de la taxe sur les viandes importées perçue sur la période
1997-2000, puisqu’il y avait concurrence déloyale avec nos partenaires. L’Etat français, par le biais de l’administration fiscale, s’est exécuté et s’est rallié à cette position
en deux temps : pour la période 1997-2003, des remboursements avec des intérêts
moratoires ont été opérés auprès des personnes qui avaient payé cette taxe ; puis
l’administration fiscale s’est ravisée en précisant que la décision de la Cour de justice
comme celle de la Commission de Bruxelles ne portaient que sur la période de 1997 à
2000. En conséquence, il a été décidé non seulement de ne plus rembourser pour la
période de 2000 à 2003, mais également de mettre en place une procédure de répétition de l’indu, c’est-à-dire de restitution de ce qui avait été remboursé à tort.
Tentons de résumer la situation : de 1997 à 2000, nous avons affaire à une aide
alimentant le fonds pour l’équarrissage public ; en revanche du 1er janvier 2001 jusqu’en 2004, on est passé à un versement au budget de l’Etat. Cela emporte plusieurs
conséquences sur les droits des redevables. Trois périodes doivent être distinguées à
cet égard :
- pour celle allant 1997-1998, pour laquelle les délais de réclamation étaient forclos, l’administration a décidé de ne pas faire obstacle à la demande de
remboursement ;
- pour celle allant de 1999 à 2000, par application du délai de réclamation, les intéressés avaient jusqu’au 31 décembre 2005 pour formuler une demande de
remboursement assortie des intérêts moratoires. Aussi, sauf cas exceptionnels, ontils été remboursés ;
- en revanche, pour la période 2001-2003, l’administration a désormais rejeté les
demandes de remboursement.
Ces rejets vont faire l’objet de nombreux contentieux juridictionnels, les redevables soutenant que, bien qu’en apparence l’Etat soit le bénéficiaire du produit de la
taxe, il s’agissait toujours d’un aide déguisée et demandant des intérêts moratoires.
Leurs mémoires utilisaient la notion de « lien contraignant », c’est-à-dire qu’ils tentaient d’établir un tel lien entre l’existence de la taxe et celle du fonds pour
l’équarrissage public. Dans la mesure où la question revêtait une portée nationale,
l’administration centrale de la direction générale des impôts a mis au point un argumentaire-type de façon à harmoniser les réponses, les moyens des redevables étant
identiques puisqu’ils concernaient l’affectation budgétaire. Cette réponse consistait à
leur opposer que « toutes les ressources et les charges de l’Etat sont réunis dans une
masse globale. Cette règle de non affectation fait obstacle au fait qu’il puisse exister
un lien contraignant entre la taxe et le service public de l’équarrissage »…
Pour terminer, j’évoquerai la situation dans le département (où quatre-vingts cas
ont été enregistrés). Dans l’ensemble, à l’image de ce qu’on constate au niveau national, les décisions de première instance sont favorables à l’administration fiscale.
Nous avons trente dossiers actuellement pendants devant la Cour d’appel de Bor-
95
deaux et nous attendons la position de celle-ci. Vous pourrez en savoir plus en vous
reportant au bulletin officiel des impôts 3P2 du 6 juin 2005, même s’il commence à
dater un peu aujourd’hui…
96
La mise en œuvre des pouvoirs d’exécution
des décisions de justice (3)
Me Jean-Michel GALLARDO
Avocat au Barreau de Pau
Je vais évoquer quelques difficultés provoquées par la création de ces « nouveaux » instruments d’exécution qui nous occupent aujourd’hui. On a pu souligner
tout au long de la journée combien ces procédures constituent un progrès énorme
pour le justiciable, un progrès incontestable pour l’Etat de droit, ainsi qu’une véritable révolution culturelle pour le juge administratif qui a repensé sa relation avec
l’administration. Sur un terrain plus prosaïque, pour l’avocat, c’est surtout une source
de difficultés importante !
Auparavant, si on veut schématiser, pour attaquer une décision administrative, on
cherchait uniquement à établir son illégalité. Le travail de l’avocat s’arrêtait là. Aujourd’hui, lorsqu’on pense qu’une décision est illégale, il faut se poser de nombreuses
questions complémentaires : par exemple si l’annulation de cette décision appelle
inévitablement l’édiction d’une autre décision, une injonction de réinstruction ou
toute autre décision d’exécution. Evidemment, ce travail supplémentaire s’avère
souvent problématique. Je vais illustrer ces difficultés au travers de procédures juridictionnelles dans lesquelles j’ai eu à me demander si je devais utiliser les articles
L.911-1 et L.911-2 du CJA et solliciter le prononcé de mesures d’injonction, avant
d’évoquer une affaire où j’ai actionné le juge de l’exécution à défaut d’obtenir un
paiement.
§ 1. La première affaire a été traitée par la Cour administrative d’appel de Bordeaux. Les données en sont très simples : une petite commune est propriétaire, sur
son domaine privé, d’une parcelle à destination agricole. Le maire et le conseil municipal veulent sans l’ombre d’un doute attribuer un bail à ferme à un agriculteur, M. A.
Mais il y a un second agriculteur sur le territoire communal, M. B., qui lui aussi souhaite exploiter ce champ. Pour donner une apparence de légalité à l’attribution de la
parcelle, la commune met en place une procédure de tirage au sort. Evidemment,
c’est M. A. qui en sort gagnant ; nous dirons qu’il a donc de la chance… Le problème
est que celui-ci n’avait pas été autorisé par l’administration à exploiter ladite parcelle,
puisque vous savez qu’il existe en la matière un régime d’autorisation des exploitations. On pourrait penser que dès lors que M. A. ne peut pas être choisi, M. B. devient
naturellement le seul candidat à l’exploitation de ce champ et a donc vocation à son
97
attribution. Mais ce n’est pas l’avis de la commune qui revient sur son intention de
donner ce champ en bail à ferme, arguant de vagues projets pour l’utilisation de ce
champ, des motifs d’intérêt général qui pourraient justifier la construction, notamment, d’un aéroport… En tant qu’avocat de M. B., je pensais bien être en présence
d’une illégalité, je savais que le maire de la commune n’aimait pas mon client. Et la
Cour administrative d’appel de Bordeaux a d’ailleurs annulé la décision de la commune sur le terrain – je crois que c’est une « gentillesse » de sa part – non pas du
détournement de pouvoir, mais du détournement de procédure, peut-être pour tenir
compte du fait que la volonté de nuire à un particulier n’avait pas été aussi nette
qu’elle aurait pu l’être.
L’enjeu de ce contentieux était que la commune se voie imposer l’attribution de la
parcelle à mon client. Cependant, pour qu’en application de l’article L.911-1, le juge
puisse imposer à la commune d’y procéder, il fallait que la commune se trouve dans
une situation de compétence liée. Or, une telle situation ne résulte pas du simple fait
que M. A. ne peut plus se voir attribuer le terrain en litige, puisque la commune a la
possibilité de ne pas donner cette parcelle de terre en location. Elle a la possibilité de
choisir un autre régime d’occupation. En fin de compte, alors même qu’à un moment
donné, on peut avoir l’impression d’être dans une situation de compétence liée, il
existe en réalité une infinité de solutions possibles pour la commune dans la mesure
où les modes de régimes d’occupation sont quasiment illimités. Aussi n’ai-je pas demandé le prononcé d’une injonction particulière et je remercie les élections
municipales, grâce auxquelles le maire de la commune a changé et la parcelle a été
attribuée. Mais je n’y suis malheureusement pour rien.
§ 2. Une deuxième difficulté que j’ai rencontrée (vous allez penser que je n’aime
pas les élus locaux, mais ce n’est pas vrai) se rapporte à une hypothèse dans laquelle
deux parents veulent inscrire leur enfant, non pas dans l’école de leur commune,
mais dans celle de la commune voisine plus proche de leur domicile. Le Code de
l’éducation précise qu’une commune qui se situe à proximité du domicile a
l’obligation d’accueillir l’enfant à condition que le nombre maximum d’enfants autorisé par voie réglementaire ne soit pas dépassé. Dans mon cas, les clients
satisfaisaient à ces deux conditions. Le maire leur a toutefois refusé l’inscription pour
une raison d’intérêt général, qui peut d’ailleurs se comprendre, même si elle est illégale : elle s’appuie sur l’idée qu’une partie du budget communal étant attribué au
service scolaire, il n’y a pas de raison que le maire de la commune voisine n’assume
pas le coût lié à l’éducation de chacun des élèves domicilié sur son sol. Le maire saisi
de la demande des parents a donc exigé du maire de la commune voisine qu’il participe au coût représenté par la prise en charge de l’élève en question, ce qui n’est pas
possible dans ce cas de figure.
Je me retrouve ainsi face à un refus d’inscription de cet enfant. Même si le droit à
l’éducation n’est pas à proprement parler bafoué (il s’agit d’une inscription en classe
de maternelle, c’est donc un contexte un peu particulier), toujours est-il que je pense
que cette décision est illégale, et le préfet également puisqu’il rédige, à ma demande,
98
une lettre circonstanciée expliquant que le refus d’inscription procède d’une erreur
de droit. Pourtant, l’élu local ne veut absolument pas modifier sa décision.
L’annulation semblant inévitable, se pose la question de savoir si cela vaut la peine de
demander au juge administratif d’enjoindre à l’administration de procéder à
l’inscription litigieuse. Il y a encore une fois apparence d’une compétence liée : le
nombre maximum d’inscriptions n’était pas atteint, la commune avait donc a priori
l’obligation d’accueillir cet enfant. Sauf que, conformément à l’arrêt Leveau du 4 juillet 1997 évoqué ce matin par le Président Labetoulle, l’existence d’une situation de
compétence liée ou d’une situation de pouvoir discrétionnaire ne doit pas s’apprécier
au moment où est prise la décision illégale mais au moment du jugement. Or, quand
ce dernier surviendra, deux ou trois rentrées auront eu lieu. A l’heure de préparer ma
requête, je ne possède pas en conséquence toutes les données qui conditionneront
le prononcé ou le rejet d’une injonction de faire : comment savoir si le nombre
maximal d’enfants dans la classe supérieure sera atteint (je ne connais pas, en tout
état de cause, les effectifs dans deux ou trois rentrées), si l’enfant de mes clients ne
va pas redoubler, etc. ? Autrement dit, une annulation ne me sert pas à grand-chose,
puisque j’ai affaire à un élu local un peu têtu dont je sais qu’il réitérera son refus. Je
lancerai peut-être une nouvelle procédure pour l’inscription dans une autre classe,
mais l’enfant sera majeur avant que j’obtienne quelque chose de sérieux !
Ces difficultés montrent bien que cet instrument supplémentaire qui a été créé
par le législateur ne solutionne pas tout ; et elles s’avèrent encore plus importantes
dans le cadre d’un référé, comme l’a exposé tout à l’heure Antoine Bourrel. On dispose de très peu de temps pour agir de manière utile. Alors s’il faut de surcroît se
poser des questions subtiles sur la distinction entre situations de compétence liée et
de pouvoir discrétionnaire, l’analyse devient extrêmement compliquée.
§. 3. Un autre exemple de difficulté que je souhaiterais présenter s’est manifesté
consécutivement à une décision de la Cour administrative d’appel de Paris. Dans
cette affaire, j’ai pu obtenir que l’assistance publique hôpitaux de Paris verse une
somme de sept cent mille euros à mes clients. Evidemment, je me réjouis de cette
victoire contentieuse et ce, d’autant plus que j’avais une convention d’honoraire…
vous l’avez compris, il faut que je me préoccupe de l’exécution de l’arrêt. Dans cette
affaire, je n’étais pas l’avocat de première instance ; il s’agissait d’un avocat pénaliste
qui ignorait que l’appel n’était pas suspensif. Pour une indemnité de plusieurs centaines de milliers d’euros, il n’avait pas fait de demande d’exécution ! Je saisis donc
l’assistance publique hôpitaux de Paris pour qu’elle s’acquitte de la somme due, je
n’ai pas de réponse. Cependant, mes clients reçoivent ultérieurement un règlement
de quatre-vingt-quatre mille euros. On est loin de la somme espérée. Il faut dire que
la situation de fait qui a été jugée revêt un caractère particulièrement dramatique :
une petite fille victime d’une infraction pénale – de violences – est soignée dans un
hôpital parisien et, à la suite d’un cumul d’erreurs médicales, son état de santé
s’aggrave. Vous avez compris avec le niveau de l’indemnité que cette enfant est polihandicapée : elle est aveugle et handicapée moteur. La difficulté d’ordre juridique
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vient de ce qu’à l’origine de ce préjudice, il y a une faute médicale –incontestable au
regard du dossier – mais qu’il y a également une faute pénale. La Cour d’assises, puis
la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (qui est une juridiction civile
qui intervient lorsque l’auteur d’une infraction pénale n’a pas d’argent, je ne rentre
pas dans les détails), bref l’ordre judiciaire a retenu une responsabilité du chef de la
faute pénale de l’ordre de 35 %. La Cour administrative d’appel de Paris, sur la base
d’une jurisprudence aujourd’hui obsolète, a décidé une indemnisation intégrale du
préjudice nonobstant le fait qu’il y avait peut-être la perte d’une chance. Donc, si l’on
cumule les indemnités accordées par les différentes juridictions, j’arrive à une indemnisation de 165 % du montant du préjudice (ce qui est toujours intéressant
lorsqu’on a une convention d’honoraires !). L’assistance publique hôpitaux de Paris
ne l’entend pas évidemment ainsi et souhaite ne régler que quatre-vingt quatre mille
euros à mes clients, pour verser le solde au Fonds de garantie.
Reste que je peux me prévaloir d’un arrêt définitif de la Cour administrative
d’appel de Paris – donc revêtu de l’autorité de la chose jugée – condamnant l’AP-HP à
payer sept cent mille euros à mes clients, et non à un tiers. Je tente donc de faire
jouer les mécanismes de contrainte au paiement (l’article L.911-9 du CJA évoqué ce
matin par Jean Gourdou), j’écris au représentant de l’Etat, mais mon courrier demeure sans réponse. Je saisis ensuite la Cour administrative d’appel de Paris d’une
demande d’exécution sur le fondement de l’article L.911-4 du CJA ; j’ai affaire à des
magistrats extraordinairement disponibles, qui ont conscience de la situation dramatique de mes clients, qui font beaucoup pour obtenir une solution amiable, mais en
vain. On passe donc en phase juridictionnelle, mais la Cour administrative d’appel de
Paris rejette ma requête en estimant que, certes l’autorité de chose jugée était attachée à son arrêt, mais qu’au nom du principe en vertu duquel l’administration ne doit
pas payer une somme qu’elle ne doit pas, l’intégralité de l’indemnité ne doit pas être
réglée à mes clients. J’ai contesté cette décision et espère en obtenir la réformation.
§. 4. Je souhaiterais ensuite souligner que, si les mesures de contrainte au paiement prévues par l’article L.911-9 du CJA constituent un instrument utile, elles ne
sont pas forcément les mieux adaptées à certaines espèces. J’ai été ainsi porté, dans
quelques cas, à préférer éviter la décision de justice administrative pour passer par
une procédure devant la chambre régionale des comptes.
Lorsqu’on pense qu’on pourrait obtenir facilement du juge administratif la condamnation d’une collectivité territoriale, et que cette condamnation constituerait
pour elle une dépense obligatoire, existe la possibilité de saisir la chambre régionale
des comptes. Cette démarche permet, au terme d’un délai extrêmement bref
(quelques mois au maximum), d’obtenir l’inscription du mandatement de la dépense
sur le budget de la collectivité concernée. L’avantage est que la durée maximale de la
procédure est encadrée par la loi, en l’occurrence le Code général des collectivités
territoriales. Le pendant devant la juridiction administrative de cette procédure est le
référé provision. On peut certes intenter ce dernier avec profit, mais ici, on ne maîtrise pas le délai de jugement. Pour un résultat similaire (l’inscription d’une dépense
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au budget de la commune), je privilégie en conséquence le recours devant la
chambre régionale des comptes, alors même que ce n’était pas ma culture initiale.
Car pour le client d’un avocat, connaître la durée d’une procédure peut constituer
une considération importante.
J’ai fait notamment ce choix dans un litige entre une commune et un syndicat
communal. Cet établissement public et cette collectivité territoriale étaient liés par
un contrat depuis vingt ans quand, soudain, la commune à arrêté d’exécuter ce dernier. Il n’existait aucun problème ni sur le principe, ni sur le montant du paiement :
dans ce contexte, j’ai fait le choix de saisir la chambre régionale des comptes et cela
m’a permis avec une extrême rapidité – peut-être plus vite que devant la juridiction
administrative – d’obtenir un règlement.
§. 5. Je ne saurais terminer sans exposer un problème qui se pose quasi systématiquement en matière d’exécution des décisions de justice et qui nous place, en tant
qu’avocat, toujours en porte-à-faux. Le plus souvent, lorsque nous obtenons une
condamnation sur le fondement de l’article L.761-1 du CJA (il ne s’agit pas de sommes
importantes : huit cents, mille, deux mille euros), nous ne savons jamais quand elle
sera réglée. Donc, on réfléchit à l’exécution de la mesure : on prépare soit des courriers, soit des saisines du juge, et l’on apprend au bout d’un moment que le montant
est déjà réglé et que l’on a travaillé dans le vide, ce qui, en soi, n’est déjà guère satisfaisant, mais au surplus fragilise notre crédibilité vis-à-vis de nos clients. On s’occupe
d’une procédure juridictionnelle et, au moment où l’on peut encaisser de l’argent, on
disparaît complètement de celle-ci ! Il conviendrait peut-être (peut-être est-ce possible ?) d’apporter une modification au Code de justice administrative pour que les
exécutions soient notifiées aux représentants des parties, voire que les éventuels règlements passent par la comptabilité de l’avocat.
Table des matières
PRINCIPALES ABREVIATIONS ..................................................................................................................... 7
AVANT-PROPOS ......................................................................................................................................... 9
ERE
1
PARTIE - LES POUVOIRS D’EXECUTION DES DECISIONS DE JUSTICE ................................................... 11
L’OCTROI D’UN POUVOIR D’INJONCTION D’EXECUTION AU JUGE ADMINISTRATIF : DE LA PREPARATION
DE LA LOI DE 1995 A SON APPLICATION ACTUELLE (M. DANIEL LABETOULLE).......................................... 13
QUESTIONS AU PRESIDENT DANIEL LABETOULLE ..................................................................................... 20
JUGE DES REFERES ET POUVOIR D’INJONCTION (M. ANTOINE BOURREL) ................................................ 25
§ 1. L’existence d’une convergence des pouvoirs d’injonction du juge des référés d’urgence............... 26
§ 2. Le maintien d’une dualité des pouvoirs d’injonction du juge des référés d’urgence ...................... 32
LA CONTRAINTE AU PAIEMENT (M. JEAN GOURDOU) .............................................................................. 42
§ 1. Un cloisonnement procédural en principe étanche......................................................................... 43
§ 2. Des porosités apparues en pratique ............................................................................................... 48
QUESTIONS AU PROFESSEUR JEAN GOURDOU ........................................................................................ 52
NDE
2
PARTIE - LA MISE EN ŒUVRE DES POUVOIRS D’EXECUTION DES DECISIONS DE JUSTICE .................. 55
CHAPITRE 1 - LA PRATIQUE DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PAU ......................................................... 57
INJONCTION A POSTERIORI – BILAN DES SAISINES DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PAU (M. JEAN-YVES
MADEC) ................................................................................................................................................... 59
§ 1. Une procédure rarement utilisée .................................................................................................... 59
§ 2. Une procédure néanmoins efficace................................................................................................. 60
§ 3. La persistance de zones d’ombre .................................................................................................... 61
TROIS EXEMPLES DE PRONONCE D’INJONCTION (M. JEAN-MICHEL RIOU) ............................................... 63
§ 1. Deux injonctions concomitantes au jugement d’annulation........................................................... 63
§ 2. Une injonction prononcée a posteriori ............................................................................................ 65
INJONCTION DE PRENDRE UNE MESURE DETERMINEE – LE CAS DE LA DEMOLITION D’UN OUVRAGE
PUBLIC (M. FREDERIC FAICK).................................................................................................................... 67
§ 1. Règles générales ............................................................................................................................. 67
§ 2. Application en l’espèce ................................................................................................................... 69
INJONCTION DE PRENDRE UNE MESURE DETERMINEE – UN CAS PARTICULIER TIRE DU CONTENTIEUX
FISCAL (M. ERIC REY-BETHBEDER) ............................................................................................................ 71
DEUX TYPES D’INJONCTION CONSECUTIVE A L’ANNULATION DU REFUS DE RENOUVELLEMENT D’UN
AGENT CONTRACTUEL (MME VALERIE REAUT) ........................................................................................ 73
§ 1. Injonction de réexamen .................................................................................................................. 73
§ 2. Injonction de faire ........................................................................................................................... 74
INJONCTION DE REEXAMEN CONSECUTIVE A L’ANNULATION D’UN TITRE DE SEJOUR (M. JEAN-MICHEL
RIOU) ....................................................................................................................................................... 76
REFUS DE DONNER SUITE A UNE DEMANDE D’EXECUTION – CAS PARTICULIERS (M. ERIC REYBETHBEDER) ............................................................................................................................................ 77
§ 1. L’affaire L’Huillier (TA Pau, 13 mars 2008) ..................................................................................... 77
§ 2. L’affaire Joly (TA Pau, 22 mai 2008)................................................................................................ 78
POUVOIR D’INJONCTION ET REFERE SUSPENSION (M. JEAN-NOEL CAUBET-HILLOUTOU) ........................ 80
§ 1. L’affaire Giles (TA Pau, 4 octobre 2007).......................................................................................... 80
§ 2. L’affaire Centre hospitalier de Lannemezan (TA Pau, 21 novembre 2007) ..................................... 81
POUVOIR D’INJONCTION ET DIFFERENTS REFERES (MME MIREILLE MARRACO) ...................................... 82
§ 1. L’affaire Association départementale des parents d’élèves de l’enseignement public et autres ... 82
§ 2. Les affaires Commune d’Hossegor et Mme Sylvie Brossard ........................................................... 83
UN PROBLEME D’EXECUTION D’UNE CONDAMNATION PECUNIAIRE DANS LE CONTENTIEUX DES
MARCHES PUBLICS (MME SYLVANDE PERDU) .......................................................................................... 85
CHAPITRE 2 - L’AVIS DES PRATICIENS ....................................................................................................... 87
LA MISE EN ŒUVRE DES POUVOIRS D’EXECUTION DES DECISIONS DE JUSTICE (M. FRANCOIS COLLET) ... 89
LA MISE EN ŒUVRE DES POUVOIRS D’EXECUTION DES DECISIONS DE JUSTICE (M. PHILIPPE SAUVAL) .... 93
LA MISE EN ŒUVRE DES POUVOIRS D’EXECUTION DES DECISIONS DE JUSTICE (Me JEAN-MICHEL
GALLARDO) .............................................................................................................................................. 96
TABLE DES MATIERES ............................................................................................................................. 101
L’exécution des décisions de justice administrative
La journée d’études portant sur « l’exécution des décisions de justice administrative » coorganisée par, d’une part, les Professeurs Jean Gourdou et Olivier Lecucq de l’Université de Pau et
des Pays de l’Adour et, d’autre part, le Président du Tribunal administratif de Pau Jean-Yves Madec, s’est tenue le mardi 23 septembre 2008 à l’occasion de la rentrée solennelle du tribunal. Il
s’agissait d’abord de marquer les 25 ans de l’installation de ce dernier dans ses locaux actuels, mais
également de profiter de cette occasion pour renforcer davantage les liens que les deux institutions et leurs membres ont tissés au fil des années.
Dans un souci de tirer au mieux parti de la complémentarité des compétences des juristes publicistes de la Faculté de droit de Pau et des magistrats du Tribunal administratif, la ligne
scientifique choisie a consisté, autour d’un thème majeur du contentieux administratif, à mêler
étroitement les interventions des universitaires et des praticiens. L’objectif avoué est de tenter de
combiner les nécessaires présentations académiques des règles applicables en la matière avec des
exemples significatifs d’affaires traitées par le Tribunal administratif de Pau, afin de cerner la question sous ses divers aspects théoriques autant qu’appliqués.
La question de l’exécution des décisions de justice se prêtait tout particulièrement à ce double
exercice tant il est vrai qu’elle offre aux universitaires comme aux praticiens l’occasion de réfléchir
sur un aspect fondamental de l’effectivité du droit tenant à l’obligation d’exécuter la chose jugée
et aux outils juridiques qui permettent de surmonter les difficultés qu’elle peut rencontrer.
Le présent ouvrage retranscrit l’ensemble des interventions qui, mises bout à bout, offrent un
panorama synthétique à la fois critique et constructif de cet aspect si essentiel de la réception du
droit qu’est l’exécution de la décision du juge. A sa lecture, on comprendra pourquoi les intervenants, tout comme le public, ont largement plébiscité cette formule combinant les deux approches
théorique et pratique et souhaité que se pérennisent ces rencontres à l’occasion de chaque rentrée
solennelle du Tribunal administratif de Pau.