Fluctuat_mai 07

Transcription

Fluctuat_mai 07
–APPARAT
Fluctuat.net_mai 2007
Une perle dans un océan de sons
Apparat - Walls
Chez Shitkatapult/Discograph, mai 2007
Avec Walls, Apparat alias Sascha Ring, offre à l'electronica son plus beau cadeau : un disque de
toute beauté, à la fois accessible et expérimental. Lardé de glitch et de saturations, bordé de
mélodies délicates et armé de véritables pop songs électroniques, Walls est peut-être le premier
véritable album d'electronica populaire. Un manifeste d'élégance et de complexité, un joyau pour
le prochain millénaire.
Dans le domaine des musiques électroniques, si les années 90 furent réellement celles de l'electronica
triomphante avec une pléthore d'œuvres majeures amplement médiatisées comme Tri Repetae d'Autechre,
le Richard D. James Album d'AFX, Advance de LFO, Not for Threes de Plaid, Moist de Schneider TM, Iaora
Tahiti de Mouse On Mars ou Music Has The Right of Children de Boards of Canada, les années 00's
s'affichent clairement comme celles d'une domination minimale sans partage. Il ne s'agit pas de renier
l'existence d'autres courants importants (r&b, dubstep, grime, renouveau progressive house, etc.) mais il
faut bien avouer que globalement depuis 2000, l'auditeur à la recherche d'œuvres avant-gardistes assez
pertinentes pour séduire l'amateur de musique pointu tout en étant capable de séduire un large public
devait, peut soit se rabattre sur l'obscur et se condamner à passer pour un éternel élitiste, soit rester sur sa
faim. Bien sûr, cela ne nous a pas empêché d'apprécier le talent d'excellents artistes, ni de découvrir des
disques magnifiques, intriguants et passionnants, même si souvent mal distribués et à la renommée
confidentielle. Parmi ceux-là, citons les albums de DNTEL, Murcof, Matmos, Mouse on Mars toujours,
Arovane, Isan, Lusine ou Apparat.
Apparat justement, qui nous offre avec Walls, l'un de ces disques que nous réclamions de tous nos
vœux depuis un moment. Par quelques mystérieuses intuitions artistiques Sascha Ring aurait-il senti
que la musique électronique avait besoin d'une œuvre phare en ce début de millénaire ? Une pièce de
musique savante sachant rester accessible ? Un manifeste pour les temps futurs qui ferait office de porteflambeau pour une nouvelle génération de producteurs et l'éclairerait de sa lumière ? On se prend à le
croire à l'écoute de ce Walls de toute beauté qui appelle immanquablement une cohorte de superlatifs. La
première qualité de cet album est d'avoir su réconcilier deux ingrédients longtemps antinomiques
(exception faite de quelques rares exemples) : la complexité instrumentale de l'IDM et l'immédiateté de la
pop. Pour cela, Sascha Ring n'hésite pas à investir dans l'utilisation de voix (la sienne sur plusieurs morceaux
et non des moindres) outrepassant la règle immuable du genre electronica sans pour autant perdre son
identité, ni sombrer dans la facilité d'une electro pop formatée. Pour s'en convaincre il suffit d'écouter
"Hailin From The Edge" (feat. Raz Ohara, également présente sur quatre autres morceaux), tube en
puissance avec sa basse new wave et ces lyrics funky, le totalement pop "Arcadia", "Holdon" oscillant tout
du long entre pop et r&b classieux grâce, toujours, au featuring de Raz Ohara, ou "Bird" et "Over rand
Over", deux pures ballades néo-soul satinées et mélancoliques. Ses mélodies, à la fois elliptiques,
cryptiques et psychédéliques, empreintes de tout ce que la musique vocale a fait de bon ces dernières
années n'excluent pas non plus les intermèdes purement électros comme le somptueux "Not A Number" et
ses cordes synthétiques, qui ouvre l'album, ou encore "Limelight" qui pourrait passer comme un clin d'œil
aux années 90, sans oublier un "Like Porcelain" à la fois plombé et aérien que n'aurait pas renié un groupe
shoegaze britannique des années 80. Une influence anglaise également présente sur "Useless Information",
"You Don't Know Me" ou "Headup" qui lorgnent tous trois vers le romantisme assumé d'un Cocteau Twins ou
d'un Slowdive, par exemple.
Ce qui pointe vers une autre des grandes qualités d'Apparat, d'ailleurs présente sur chacun de ses albums :
une pulsion quasi-darwiniste d'évolution. En effet depuis Multifunktionsebene son premier album, Apparat
Contact InFiné : [email protected], www.infine-music.com
−1
–APPARAT
Fluctuat.net_mai 2007
passe lentement d'une musique de l'âge des machines à quelque chose de plus organique (Duplex en 2003)
et accessible (Walls en 2007), tout en restant parfaitement branché sur l'univers mécanique jusqu'à dans
ses formes naturelles et spontanées comme l'illustre très bien sa collaboration avec Ellen Allien en 2006
(Orchestra of Bubbles) ou sur Walls, "Fractales pt1" et "Fractales pt2", hommages aux qualités
mathématiques de la nature (les bulles et les fractales) et aussi, en ce qui concerne le diptyque "Fractales",
deux des meilleurs morceaux de l'album réussissant l'hybridation sans faille des musiques électroniques et
de la pop la plus vivace. Pour conclure, ajoutons que si, comme le dit notre collègue François Clos : "en
venir à un format plus rassurant était la plus osée des postures" et bien Apparat a bel et bien réussi l'album
le plus osé de l'année ainsi que le plus populaire, et pour une fois, cela n'aura rien de péjoratif.
Apparat, Walls
Chez Shitkatapult/La Baleine, mai 2007
Maxence Grugier
Contact InFiné : [email protected], www.infine-music.com
−2
–APPARAT
Fluctuat.net_mai 2007
Dandy electro, artiste émérite
Interview d'Apparat
Entretien avec Sascha Ring
Auteur d'un des albums électro de l'année avec Walls, Sascha Ring nous accorde un peu de son
temps pour répondre à nos questions. Grand dandy à l'accent teuton, mais très sympathique et
avenant, le DJ allemand nous éclaire un peu plus sur sa carrière, la conception de son dernier
Cet album suit votre collaboration avec Ellen Allien, qui est bien différent d’Orchestra Of Bubbles,
comment le décririez-vous ?
La grosse différence est que Orchestra Of Bubbles était un album conceptuel, tandis que Walls est plutôt
une compilation de beaucoup de démos que j’avais stockées sur mon disque dur et que j’ai finalisé. Mais en
fait, c’est plutôt similaire à la manière dont la collaboration Ellen Allien & Apparat a commencé, car
lorsque j’ai conçu cet album avec Ellen, nous avons puisé dans diverses idées que nous avions déjà, pris des
restes de nos albums et nous les avons rassemblés pour constituer les chansons. La grosse différence
cependant est que lorsque l’on est assis à côté de quelqu’un d’autre dans un studio, on n’a pas réellement
le temps de rester sur les petits détails, c’est un processus plus rapide et plus ciblé. Travailler seul
implique de passer plus de temps sur ces petits détails, et parfois on y consacre trop de temps et on finit
par détruire tout ce que l’on a fait. C’est pour cela que cette fois, j’ai décidé de faire appel à quelqu’un
d’autre, au moins pour la phase de mixage, Josh Eustis de Telefon Tel Aviv. Il est venu avec son oreille
fraîche et pour cet album, j’ai eu le "luxe" d’avoir un petit producteur à la fin, ce qui n’est pas une
mauvaise chose.
Aviez-vous beaucoup de matière pour constituer votre album ? Auquel cas, n’était-ce pas trop difficile
d’aboutir sur un album cohérent ?
Oui, j’avais environ 70 chansons inachevées sur mon disque dur, dont certaines dataient d’il y a deux ou
trois ans. C’était comme une sorte de "safari" dans mon ordinateur. J’ai retrouvé des choses intéressantes,
mais pour beaucoup, c’était directement pour la corbeille, comme pour nettoyer mon passé. J’arrivais à
me rendre compte rapidement de ce qui était bon et ce qui ne l’était pas.
Votre album Walls a justement des influences multiples. Quelles sont vos influences personnelles et
spécialement pour cet album ?
J’ai des racines techno, j’ai été DJ techno, je passais du gros son. Mais c’était il y a longtemps, et quelque
part, la musique électronique a un peu perdu de sa magie pour moi et j’ai commencé à écouter pas mal de
musique atmosphérique à guitares comme Godspeed You! Black Emperor ou Mogwai . Et récemment, je
me suis mis à écouter des choses que je ne pensais pas écouter un jour, comme J Dilla par exemple, ou des
albums de hip-hop. Ce sont plein de musiques complètement différentes, et ça influence à un certain
niveau. Et on entend ce que ça donne ! Ca peut être déroutant. Même pour moi.
Il y a un côté très éclectique à cet album, avec des passages pop, tantôt électro, tantôt trip-hop.
Souhaitiez-vous donner cette teinte particulière à Walls ?
C’est un peu arrivé accidentellement à vrai dire. J’aimerais pouvoir faire un album conceptuel un jour, me
concentrer sur une chanson, un son, un style. Mais j’ai bien peur d’avoir perdu la capacité à faire cela. Il y
a également toute une question de discipline à respecter ce qui est impossible pour moi. Au bout d’un
moment, je me lasse et je passe à autre chose. Alors le mieux que je puisse faire est de tout mettre en
commun en espérant que même si tout est un peu différent, que ce soit cohérent à la fin. Et j’avais un peu
peur que cet album ne le soit pas, qu’il sonne juste comme une compilation de chansons, mais les gens
disent qu’on y décèle tout de même un fil rouge.
Il s’agit d’un album en soi assez pop, aux structures classiques, est-ce voulu ?
Ce ne doit être probablement que moi, car je n’écoute pas de pop musique. Je ne pense pas qu’on pourrait
Contact InFiné : [email protected], www.infine-music.com
−3
–APPARAT
Fluctuat.net_mai 2007
me passer sur MTV. Mais ça doit être intrinsèque, même si j’ai toujours combattu cette image, car
lorsqu’on se lance dans l’electro, un peu underground, tu fais peur aux gens. Je me dis "tant pis", je fais ce
que j’ai envie et j’espère que les gens ne me détesteront pas pour ça. C’est ce que j’ai fait pour cet
album, j’ai essayé de ne pas être piégé derrière mes murs ("walls" comme le nom de l’album – NDLR).
Comment vous êtes-vous retrouvé à chanter sur votre album ?
J’ai découvert que chanter était facile. J’avais cherché pendant
des années le chanteur parfait, sans n’avoir jamais essayé de
chanter moi-même. C’était stupide, j’avais juste peur de le faire.
C’est une autre sorte de mur. "Tu es un musicien electro, tu es
trop mauvais pour chanter… ". Et même écrire des paroles de
chansons, qui était la partie que je redoutais le plus parce que je
ne voulais pas écrire de trucs stupides, s’est finalement révélé un
autre moyen de pouvoir m’exprimer dans ma musique. Mais je me
considère comme un musicien. Je ne suis pas fan du terme
"artiste". Ce que je fais est créatif et peut se rapprocher d’une
certaine idée de l’art. La musique devrait être du divertissement,
si ça devient vraiment de l’art, complètement expérimental, ce
n’est pas non plus ce que je veux.
Vous ne vous définissez pas comme un artiste, quelle est pour
vous
la
définition
d’un
artiste
et
de
l’art
?
Je me dis que c’est à d’autres personnes de me considérer comme un artiste. Si tu es créatif et que tu
arrives à faire ce qu’il se passe dans ton esprit, il s’agit d’une sorte d’art. Mais je ne considère pas la
musique comme totalement de l’art. Je pense que dans mon album il y a des morceaux arty, d’autres pop.
Dans le monde de l’electro, il y a des gens comme Christian Fennesz, je trouve que ce qu’il fait peut être
considéré comme de l’art.
Quelles
musiques
à
part
l’electro
écoutez-vous
?
J’aime les musiques à guitares comme Godspeed, ou même Bloc Party. J’écoute aussi Eric Satie, ou des
choses comme Steve Reich ou Terry Riley. Le seul genre de musique que je n’apprécie pas trop est le jazz.
Ce qui me dérange, c’est leur maniérisme à devenir complètement fou avec leurs instruments. Je préfère
quand c’est répétitif, c’est la raison pour laquelle j’aime Steve Reich, parce que c’est minimal et le jazz
est son opposé.
Quelle vision avez-vous de la scène allemande vis-à-vis des autres scènes européennes ?
Ce qui est évident, c’est que l’Allemagne n’a jamais eu de gros tubes électro qui se vendent bien,
l’Allemagne a toujours été plutôt tournée vers la techno underground. Il s’y trouve cependant une grosse
culture des clubs, il doit y avoir une cinquantaine de clubs à Berlin, mais ça reste toujours un peu
underground et les gens préfèrent garder cet esprit intact. En France, vous avez Daft Punk ou Air qui sont
de gros vendeurs de disques, ou en Angleterre, ils ont les Chemical Brothers. Ca a peut-être aussi un lien
avec le fait que ces pays sont aussi meilleurs au niveau business, car tous les gens en Allemagne que je
connais et qui possèdent leurs propres labels ou boîtes de productions n’en tirent pas beaucoup d’argent,
ils le font par plaisir et pour garder cette scène vivante d’une certaine façon.
Etes-vous dans ce même état d’esprit de garder la scène allemande underground ?
Je ne sais pas si les gens ont pour but de faire ainsi ou bien s’ils aiment juste ce genre de musique qui a
moins de potentiel populaire. En France, les artistes signés sur le label Ed Banger par exemple, pourraient
passer sur MTV. Personnellement, je me fiche de l’underground, tant que l’on continue à faire des choses
qui nous plaisent, et non pas à cause de la motivation de vendre beaucoup de disques. Se mettre en studio
et se dire "Fais un tube maintenant !", c’est la pire des attitudes que l’on peut avoir. Certaines personnes
disent que la musique electro doit mourir à un moment, mais je ne pense pas qu’elle doive mourir. Ce n’est
qu’une question d’exposition dans les médias qui peut faire penser que la musique électronique est morte.
C’est pour cela que je pense que ça va rester tel quel, les clubs seront toujours là parce que les gens
aiment sortir, mais pour moi cela va changer, car je vais probablement changer, peut-être que ma musique
Contact InFiné : [email protected], www.infine-music.com
−4
–APPARAT
Fluctuat.net_mai 2007
ne sonnera plus électro du tout. C’est difficile à savoir car je change tout le temps sans savoir où ça me
mène. J’aimerais par contre trouver des personnes qui ne seraient pas connus pour les aider à produire
leurs disques. Cependant, c’est plus difficile à Berlin à cause de cette culture electro, même s’il y a tout
de même une jeune scène indie mais qui n’est pas très développée. Mais j’aimerais bien trouver un jeune,
et devenir en quelque sorte son producteur, ce serait cool.
Kristoffe Biglete
Contact InFiné : [email protected], www.infine-music.com
−5