TCHÉKHOV La Mouette

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TCHÉKHOV La Mouette
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XIXe SIÈCLE
Théâtre : texte et représentation
TCHÉKHOV
La Mouette
(237– 3,50 €)
I. Pourquoi étudier La Mouette
en Première ?
La Mouette répond au programme des classes de Première, et plus précisément à l’objet d’étude intitulé « le théâtre : texte et représentation ».
La pièce de Tchékhov permet en outre d’aborder une réflexion sur le
statut de l’artiste dans la société de la fin du XIXe siècle et éventuellement
sur la décadence et le symbolisme. L’étude de La Mouette permet d’envisager différents points :
– notions fondamentales de l’analyse dramaturgique : exposition,
dénouement, péripétie, personnage, didascalie, réplique, tirade ;
– réflexion sur l’inscription générique de la pièce : comédie ? drame
bourgeois ? tragédie ?
– étude des différents registres : comique, pathétique, lyrique, polémique.
L’étude mettra en jeu des méthodes variées :
– lectures analytiques ;
– questions synthétiques ;
– analyses de films ;
– lectures cursives.
À noter : l’édition « Étonnants Classiques » confronte les mises en
scène d’Antoine Vitez (1984), d’Alain Françon (1995), de Stéphane
Braunschweig (2001) et de Jacques Delcuvellerie (2005).
La séquence proposée suggère la réalisation par les élèves de différents exercices (recherches documentaires, écrit d’invention, commentaire, réflexion sur l’adaptation de la pièce à l’écran, lectures expressives). Cette étude trouvera un prolongement dans la lecture de textes
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portant sur les figures de l’artiste, qui s’inscrivent dans l’objet d’étude
« poésie » (voir dossier, p. 140).
II. Présentation de l’œuvre
Pour une présentation de l’auteur et un exposé plus détaillé de la
pièce, on se reportera à l’édition, p. 7.
La pièce met en scène un jeune dramaturge qui aimerait révolutionner le théâtre, Trépliev. Il a écrit une œuvre novatrice interprétée
par Nina, une comédienne qui rêve de gloire et dont il est amoureux.
La représentation a lieu dans la propriété de Sorine, un vieillard qui n’a
pas su réaliser ses désirs les plus simples, en présence de la mère de Trépliev, une actrice célèbre, et de son amant Trigorine, un auteur réaliste
de renom. La pièce est un échec et Nina abandonne Trépliev pour
suivre Trigorine, qui l’abandonnera à son tour… Ici, point de héros
grandiloquents, nulle action spectaculaire, mais des personnages qui, au
fil de dialogues ténus, laissent entendre leur drame – celui de l’indécision et de l’inachèvement.
L’œuvre de Tchékhov interroge le statut de l’écrivain et se fait l’écho
des différentes esthétiques qui s’expriment sur les planches européennes à la fin du XIXe siècle ; elle donne aussi à voir les difficultés
d’être femme à cette époque.
• Les figures de l’écrivain
LE SUPPLICE DE L’AUTEUR
L’artiste vit sa vocation comme une fatalité, un poids accablant qui lui
interdit tout bonheur. Créer est une tâche douloureuse, pénible, qui
confine à la « torture » comme l’affirme Trigorine (acte II). Dans une
longue tirade de l’acte II, Trigorine confie la peine qu’il a à écrire : tout
d’abord, le travail d’écrivain ne lui laisse aucun répit, accapare tout son
temps (« J’écris sans arrêt ») et occupe son esprit jusqu’à l’obsession
(« Jour et nuit la même pensée obsédante me vient : je dois écrire, je
dois écrire, je dois… ») ; ensuite, il est hanté par la peur de la page
blanche, persuadé que l’absence d’inspiration le guette (« je me rappelle que ma nouvelle inachevée m’attend ») ; enfin, il se doit d’être
toujours aux aguets (« Je nous épie tous les deux à chaque phrase, à
chaque mot et je me dépêche d’enfermer ces phrases et ces mots dans
mon garde-manger littéraire ») – ainsi, à chaque instant, « note[-t-il]
quelque chose dans son carnet ». L’artiste porte les stigmates du Christ :
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THÉÂTRE
: TEXTE ET REPRÉSENTATION
Trépliev dit avoir comme un « clou à travers le cerveau » (acte II). Trigorine, lui, assimile sacerdoce littéraire et « passion » (acte IV) : l’écrivain
souffre le martyre pour « donner du miel à je ne sais qui dans le vaste
monde » (acte II). Loin de la « gloire » et de « l’éclat » (acte IV),
l’artiste connaît une existence torturée.
LE SACRE DE L’ÉCRIVAIN ?
Quelle récompense reçoivent cette souffrance et ces sacrifices ? Naïvement, Nina interroge : « Est-ce que l’inspiration et tout le processus
de la création ne vous donnent pas des moments sublimes de félicité ? »
(acte II). En Trigorine, elle voit et admire un « écrivain illustre, le favori
du public, dont on parle dans tous les journaux » (acte II). Loin de ces
clichés idéalistes, l’artiste reste angoissé par la réception de son œuvre.
Il craint le jugement de la critique et de la postérité. Trigorine, qui ne
s’« aime pas comme écrivain » (acte II), ne supporte pas d’être comparé
à des écrivains illustres (« Ci-gît Trigorine. C’était un bon écrivain mais
il écrivait moins bien que Tourguéniev », acte II). Quant à Trépliev, il en
est réduit à tout « brûl[er], jusqu’au dernier feuillet », méprisant sa
propre création ; redoutant d’affronter le jugement public, il fait interrompre sa pièce (« Assez ! Rideau ! Baissez le rideau ! », acte I).
Cette vision de l’artiste, sinon maudit du moins torturé, reflète les
perpétuelles inquiétudes de Tchékhov lui-même qui, après avoir écrit La
Mouette, n’hésite pas à affirmer avec amertume : « je constate une fois de
plus que je ne suis pas du tout dramaturge 1 ».
RÉALISME ET SYMBOLISME
Deux esthétiques s’affrontent sur scène à travers les personnages de
Trigorine et de Trépliev : l’un est un écrivain réaliste, l’autre un écrivain
« décadent » (acte I).
Pour le premier, l’art doit être une copie du réel ; le monde est sa
source d’inspiration. Parlant de sa technique d’écriture, il dit puiser ses
« sujet[s] » dans la vie courante pour bâtir des « petit[s] conte[s] ». S’il
ne s’inspire pas de la réalité, ses personnages restent « artificiel[s] » ;
aussi se lance-t-il dans une conversation avec Nina pour « savoir ce
qu’[elle] pens[e] et d’une manière générale quelle créature [elle est] »
(acte II). L’écrivain est un observateur des mœurs de son temps, attentif
à la vie politique et sociale (« je suis aussi un citoyen, […] je suis obligé
de parler du peuple, de ses souffrances, de son avenir, de parler de la
science, des droits de l’homme, etc., etc., et je parle de tout », acte II).
Il admire la science qui explore les mystères du réel avec plus d’acuité
1. Cité par Sophie Laffitte, Tchékhov, Seuil, coll. « Écrivains de toujours », 1971,
p. 94.
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que l’artiste (« je vois que la vie et la science vont toujours plus avant,
tandis que moi, je suis toujours en retard, comme un paysan qui a raté
son train », acte II). Tchékhov lui-même, qui ne « sai[t] écrire que
d’après [s]es souvenirs », s’inspire de son existence pour composer La
Mouette. Dans une lettre à l’un de ses amis, datée du 8 avril 1892, il
raconte comment il a dû tuer une bécassine blessée qui le fixait « avec
son regard étonné » et il conclut : « ça a fait un être magnifique et plein
d’amour en moins sur cette terre, et deux idiots qui sont rentrés dîner
à la maison 1 ». On peut aisément rapprocher de cet épisode le portrait
de Nina en mouette, à l’acte IV de la pièce. De même, certains ont
reconnu dans Trigorine l’écrivain Potapenko, qui séduisit Lika, l’amie
de Tchékhov, avant de l’abandonner alors qu’elle était enceinte. Toutefois, on ne peut identifier pleinement les conceptions littéraires de Trigorine à celles du dramaturge. En effet, Tchékhov suggère que le réalisme revendiqué par Trigorine est sclérosant. On ne peut pas copier le
réel sans lui ôter toute vie : la mouette que Trigorine a fait empailler
(acte IV) est un oiseau sans vie, à l’image des œuvres réalistes qui
s’emparent du réel mais ne peuvent restituer l’humanité, sa vie, ses sentiments.
À l’opposé, Trépliev ignore le réel pour lui préférer le rêve (« Il ne
faut pas représenter la vie comme elle est, ni comme elle devrait être,
mais comme elle se présente dans les rêves », acte I). Trépliev entend
réagir à la valorisation – qu’il juge excessive – de la science, vecteur de
désenchantement du monde. Contre une pensée rationaliste, il manifeste un besoin de spiritualité (« L’âme du monde, l’âme universelle,
c’est moi… », acte I). C’est la raison pour laquelle il condamne l’esthétique réaliste, dont il moque la vulgarité et l’utilitarisme : « pour moi, le
théâtre d’aujourd’hui n’est que routine et préjugé. […] quand avec
leurs images et leurs phrases triviales, ils [les dramaturges réalistes]
essaient de pêcher une morale, une petite morale bien facile à comprendre, utile à la vie domestique […], alors je fuis » (acte I). Au
contraire, l’artiste doit être « décadent » (acte I). Le terme est employé
par Irina et s’entend comme une injure. Pour elle, la création de son fils
n’est qu’un « délire décadent » (acte I). Pourtant, ce terme peut aussi
recevoir une acception positive. Ainsi Verlaine affirme-t-il dans Poètes
maudits (1884), une œuvre dans laquelle il rend hommage au « Parnasse
français décadent » : « J’aime le mot de décadence, tout miroitant de
pourpre et d’ors. J’en révoque, bien entendu, toute imputation injurieuse et toute idée de déchéance. Ce mot suppose au contraire des pen1. Cité dans Tchékhov, La Mouette, trad. André Markowicz et Françoise Morvan,
Actes Sud, coll. « Babel », 1996, p. 204.
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sées raffinées, d’extrême civilisation, une haute culture littéraire, une
âme capable d’intenses voluptés… Nous pouvons faire une application
ironique et nouvelle de ce mot en y sous-entendant la nécessité de réagir
par le délicat, le précieux, le rare, contre les platitudes des temps
présents. » À la fin du XIXe siècle, les artistes décadents aspirent à une
« nouvelle ère artistique ». Dans toute l’Europe, des poètes comme Baudelaire, des romanciers comme Huysmans, des dramaturges comme
Ibsen ou Maeterlinck, que Tchékhov découvre l’année où il écrit La
Mouette, définissent alors de nouveaux principes esthétiques. Le primat
est accordé aux sens et aux notations sensorielles. C’est ce que
remarque Dorn, lecteur attentif de Trépliev : « Il pense par images, ses
récits sont colorés, enlevés, je les sens très fortement » (acte IV). Au lieu
de décrire minutieusement, comme le « paysagiste » réaliste (acte II),
l’artiste décadent ou symboliste, préfère un art évocatoire et suggestif.
La « lumière tremblotante », le « doux scintillement des étoiles » et les
« sons lointains » (acte IV) dessinent un paysage aux nuances et aux
contours subtils et estompés. Les personnages symbolistes fuient la réalité et se réfugient dans un ailleurs onirique. La peur du réel peut les
conduire au suicide. Ainsi Trépliev se donne-t-il la mort à la fin de la
pièce. La littérature décadente n’a donc jamais de visée morale ou
politique ; l’artiste n’est nullement engagé ; au contraire, il « flân[e] par
[un] chemin pittoresque sans but précis » (acte I). La grandeur de l’art
réside dans sa gratuité esthétique.
Tchékhov, même s’il présente deux esthétiques opposées, manifeste
un élan de sympathie pour l’art décadent et le jeune idéaliste Trépliev.
• La femme
Outre la figure de l’artiste, Tchékhov donne à voir dans sa pièce la difficulté d’être femme à la fin du XIXe siècle. C’est un thème récurrent
dans les œuvres du dramaturge. Dans Platonov, il dresse déjà une galerie
de portraits féminins 1 : Alexandra Pétrovna, jeune veuve qui affirme :
« Je la veux maintenant, tout de suite, ma vie, et non devant moi 2 ! »,
Grekova, femme libérée et indépendante mais très sensible, Sofia Iegorovna, amoureuse transie, et enfin Sacha, épouse aimante et mère attentive. À la même époque, le dramaturge norvégien Henrik Ibsen campe
1. Platonov met en scène un instituteur de province, mélancolique, incapable
d’agir et de prendre en main son existence. Il séduit les femmes de la société qu’il
fréquente car il échappe aux stéréotypes : il n’est ni paysan, ni aristocrate, ni banquier. Toutefois, il est incapable d’offrir à ses amantes la vie dont elles rêvent. L’une
d’entre elles, Sofia, finit par le tuer.
2. Platonov, trad. Serge Rezvani, Actes Sud, coll. « Babel », 2003, acte II.
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des héroïnes bourgeoises aux trajectoires originales. Hedda Gabler
(Hedda Gabler, 1890), comme Nora (Maison de poupée, 1879) sont des
épouses soumises, qui s’ennuient, et cherchent à échapper à une vie
morne et étouffante en s’adonnant à l’adultère ou au luxe. En France,
on retrouve ce thème, traité sur un mode comique, dans les vaudevilles
de Feydeau ou de Labiche : dans ces comédies, on se marie par intérêt
et on se trompe par désœuvrement…
Selon Tchékhov, La Mouette réunit « trois rôles féminins 1 ».
NINA, LA MOUETTE
Nina est une jeune fille malheureuse, soumise à des contraintes familiales rigides. En effet, elle ne peut quitter librement le domaine
parental (« Mon père et sa femme m’empêchent de venir ici », acte I) ;
par ailleurs, elle est déshéritée (« […] la petite est restée sans rien »,
acte I). Elle nourrit des penchants idéalistes. La jeune fille fait une
déclaration romanesque à Trigorine, qu’elle est prête à suivre jusqu’à
« Moscou » : c’est au travers d’un texte littéraire qu’elle s’adresse à lui
pour lui avouer son amour passionné (« Si un jour tu as besoin de ma
vie, viens et prends-la », acte III). Cependant, cette pureté est entachée
par un attrait excessif pour la « gloire » (acte IV) et le succès : elle voue
une admiration démesurée à Trigorine, l’écrivain fameux, et à Arkadina, l’actrice célèbre (« Refuser quelque chose à Irina Nikolaïevna, une
artiste aussi célèbre ! […] C’est simplement inconcevable ! », acte II).
Nina est donc bien une « mouette » (acte I) : comme cet oiseau, elle est
attirée par le large mais revient toujours vers le rivage pour s’y échouer.
Elle rêve d’une réussite professionnelle et d’un amour exceptionnels
mais ne connaît que des échecs (« Nina n’a pas réussi pleinement sa vie
personnelle », « Elle s’attaquait toujours aux plus grands rôles, mais son
jeu était grossier, sans goût, elle hurlait, elle gesticulait », acte IV).
PAULINA ET MACHA, DES FEMMES MAL MARIÉES
Les femmes mariées de la pièce sont des épouses malheureuses. Paulina, femme de Ilia Afanassiévitch Chamraïev, le régisseur du domaine,
cherche dans des aventures extra-conjugales une échappatoire à une
existence étouffante. Elle est en effet la maîtresse de Dorn (« Mon
chéri ! », acte I) qui la dédaigne pourtant (« Devant une actrice vous
êtes tous prêts à vous mettre à genoux. Tous ! », acte I). Malgré sa jeunesse, Macha paraît âgée, accablée par le poids de l’existence. Dès sa
première apparition (acte I), elle déclare « porte[r] le deuil de [s]a vie »
et être « malheureuse ». De plus, elle boit pour oublier son existence
1. Dans une lettre à Souvorine, du 21 octobre 1895, cité dans Ivanov, La Mouette,
éd. Michel Cadot, GF-Flammarion, 1996, p. 21.
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oppressante et vaine (« Elle prise du tabac et boit de la vodka », acte II).
Amoureuse éconduite de Trépliev, elle renonce à cet amour idéal pour
épouser l’instituteur Medviédienko, qu’elle n’aime pas. Réaliste, elle est
convaincue que « l’amour sans espoir, c’est juste bon pour les romans »
(acte IV), et pense que le mariage doit la guérir de l’amour (« Une fois
mariée, plus de place pour l’amour, les nouveaux soucis effaceront tout
le passé », acte III). Elle se marie donc pour oublier l’amour, faire taire
ses sentiments. Même à ce titre, son mariage est un échec, puisque, à
l’acte IV, elle aime encore Trépliev (« On a promis de muter mon mari
dans un autre district. Une fois là-bas, j’oublierai tout… »).
UNE FEMME LIBÉRÉE : IRINA
Une seule figure féminine rayonne dans la pièce : c’est Irina, l’actrice
célèbre et célébrée, amante de Trigorine et mère fantasque. Malgré son
âge, elle est une « vraie poulette » et peut jouer les « fillettes de quinze
ans » (acte II). Frivole (« Oui, j’ai de l’argent, mais voilà, je suis actrice ;
rien qu’en toilettes, c’est la ruine », acte III), elle refuse d’aider financièrement son fils écrivain ; passionnée, elle est prête à tout pour garder
son amant volage (« Si tu me quittes, même une heure, je ne survivrai
pas, je perdrai la raison, mon merveilleux, mon sublime, mon
maître… », acte III). Irina se soucie peu des conventions sociales et
morales : elle n’est pas mariée à Trigorine et ne présente pas le visage
doux et protecteur de l’archétype maternel (« Irina, ma chère, il ne faut
pas traiter comme ça un jeune amour-propre. […] Tu l’as offensé », lui
dit Sorine, acte I). Son refus des conventions sociales suscita la réprobation des censeurs, en 1895, qui jugeaient particulièrement immorale
l’indifférence de son fils et de son frère à ses frasques. En marge des
normes, elle est un personnage qui aspire à profiter de l’existence et à
se divertir, repoussant de sa bonne humeur les « ennuyeux
personnage[s] » (acte IV).
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LA MOUETTE
III. Proposition de séquence
Plan de séquence
Cours
– Travail de recherche sur l’univers de Tchékhov (voir supra).
– Paratexte et scène d’exposition (notion d’horizon d’attente, le genre de
la comédie).
– Étude comparée de deux portraits de l’artiste (l’art du portrait, le personnage théâtral).
– Les trois femmes (le registre comique, la réflexion sur la condition
féminine, l’oralité et le naturel).
– Le dénouement (la notion de dénouement, l’efficacité dramaturgique,
entre comédie et drame).
Modules
Une fiche synthétique sur la figure de l’artiste à la fin du XIXe siècle sera
proposée à partir du corpus de textes figurant dans le dossier de l’édition,
p. 140 :
– les principes esthétiques de la décadence ;
– la représentation du poète et ses relations avec la société : poète-citoyen
ou poète marginal ?
– les caractéristiques de l’écriture poétique (versification, rythme, sonorités, images…) ;
On proposera une autre fiche synthétique, à partir d’un corpus de documents iconographiques évoquant différentes mises en scène ou adaptations
de La Mouette.
Travail d’écriture et exercice oral
– Plusieurs travaux d’écriture sont proposés dans ce dossier : en particulier,
une préparation au commentaire comparé ; un sujet de dissertation sur le
théâtre ainsi qu’un sujet d’invention sur le jeu théâtral ;
– Préparation à l’entretien : débat oral sur la pertinence des adaptations
théâtrales et cinématographique et les interprétations qu’elles impliquent
(voir fiche de synthèse n° 2, p. 128).
Paratexte et scène d’exposition
Objectifs → Étudier la valeur programmatique du paratexte et de la scène
d’exposition, et définir l’horizon d’attente.
Supports → Titre, inscription générique, liste des personnages, et texte,
du début à « servez-vous », acte I, p. 37-38.
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THÉÂTRE
: TEXTE ET REPRÉSENTATION
• Le paratexte
Définir le paratexte. Le faire lire. Quelle est la fonction du paratexte ? Donner
des informations au lecteur ou au metteur en scène. Classez ces informations. Quel horizon d’attente programment-elles ?
LE TITRE : LA MOUETTE
Soit réaliste, soit métaphorique. Hésitation initiale.
INSCRIPTION GÉNÉRIQUE : « COMÉDIE EN QUATRE ACTES »
Rappeler les caractéristiques du genre comique. On s’attend à une fin
heureuse, des personnages appartenant à des catégories sociales variées,
aux prises avec des problèmes quotidiens.
PERSONNAGES
Les personnages principaux appartiennent à la même famille (« fils »,
« frère »). Ce sont des propriétaires terriens (« riche propriétaire ») et
leurs employés (un cuisinier, une femme de chambre, un régisseur).
Personnel attendu dans une comédie (couple : maître et valet). Les
autres personnages, définis par leur métier (écrivain, médecin, instituteur), rappellent les questions traitées dans la comédie (éducation,
santé…). On note deux personnages atypiques : l’actrice et l’écrivain.
Thème de l’artiste et de la marginalité.
DÉCOR : « LA PROPRIÉTÉ DE SORINE »
Décor réaliste, conforme aux codes de la comédie.
TEMPS : « DEUX ANS S’ÉCOULENT »
Pas d’unité de temps.
Bilan. Informations nombreuses qui suggèrent que l’on va assister à
une comédie, à un spectacle divertissant. Rien ne laisse présager le
dénouement.
• La scène d’exposition
Faire lire le début de la pièce (lecture à plusieurs voix par des élèves,
réflexion sur la pertinence de la lecture des didascalies).
La scène d’exposition correspond-elle à l’horizon d’attente dressé par le
paratexte ?
CADRE SPATIO-TEMPOREL
Cadre naturaliste : « parc », « propriété de Sorine », « large allée »,
« parc buisson ». Réflexion sur la précision de la didascalie initiale : le
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décor doit-il impérativement être conforme aux instructions du dramaturge ?
Quelles sont les difficultés posées au décorateur ?
Commentez les termes « profondeur », « barrée », « soleil vient de se coucher ».
Ils évoquent le moment de la journée : tombée de la nuit. À la fois
annonce du spectacle, et, pour le lecteur averti, atmosphère vespérale
qui symbolise le déclin.
PERSONNAGES
Ouvriers qui préparent le spectacle, instituteur pauvre (« vingt-trois
roubles »), jeune fille audacieuse (« en noir », « prise du tabac »).
GENRE
Relevez ce qui est conforme à l’horizon d’attente de la comédie : les
thèmes – les questions d’argent (« vingt-trois roubles »), l’amour et le
mariage (« Pourquoi épouser un homme qui n’a déjà pas de quoi
manger ? »), la fête (« le spectacle va bientôt commencer ») ; la langue
– une langue naturelle : prose, contractions orales (« ça »), phrases
nominales (« du tabac »).
Les indices dysphoriques : le thème du malheur (« noir », « deuil »,
« malheureuse », « cafard »), l’amour malheureux (« mais je ne peux
pas y répondre »).
Bilan. Informations parcellaires (personnages principaux ?) et
déroutantes (comédie ?).
• Conclusion
Le dramaturge, tout en donnant des informations, séduit le lecteur et
le spectateur en lui offrant une scène d’exposition ambiguë : faudra-t-il
rire ou pleurer de l’intrigue à venir ?
Étude comparée de deux portraits : Trigorine et Trépliev
Objectifs → définition du personnage théâtral ; analyse d’une tirade ;
étude de deux portraits antithétiques ; mise en évidence de
la démarche comparatiste (entraînement aux épreuves du
bac : le commentaire comparé, dissertation, invention).
Support → De « Il faut des formes nouvelles » à « la fin des fins », acte I
(p. 43-45), et de « Qu’a-t-elle donc de si agréable ? » à
« moins bien que Tourguéniev », acte II (p. 81-84).
Identifiez les points communs entre les deux passages.
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: TEXTE ET REPRÉSENTATION
• Des artistes tourmentés
DES ÊTRES MALHEUREUX
Identifiez le registre employé dans les deux tirades.
Registre pathétique :
– champ lexical du malheur. Pour Trépliev : « vie insensée », « traîne »,
« fatigue », « je serais bien plus heureux », « désespérée », « ni talent ni
argent », « je me sentais humilié » ; pour Trigorine : « Quelle vie absurde ! », « je dévore ma propre vie », « quelle torture c’était ! », « dégoûté », « écœuré » ;
– ponctuation expressive : « Quelle vie absurde ! », « quelle torture
c’était ! » ;
– première personne.
DES ÊTRES EN QUÊTE D’IDENTITÉ
Commentez la récurrence de la modalité interrogative dans les deux tirades.
Des personnages qui doutent et qui sont à la recherche de leur identité sociale (Trépliev : « Qui suis-je ? Que suis-je ? » ; Trigorine : « Qu’estce qu’il y a de beau et de lumineux là-dedans, je vous le demande ? »).
Ils souffrent tous les deux de l’absence de reconnaissance publique
(« leur regard prenait la mesure de mon insignifiance », « le public dit :
“oui, c’est gentil, il a du talent” »).
Quel autre signe typographique manifeste cette crise identitaire ?
Les points de suspension.
Bilan. Image conforme au cliché romantique : mépris de soi, mépris
de l’existence, méprisé par les autres.
• Deux visions antithétiques de l’art
L’ART COMME MÉTIER
Quelle vision de l’art Sorine et Nina défendent-ils ?
Ils en font une source de satisfaction personnelle (« C’est bien
agréable », « félicité »).
Commentez le parallélisme « Je voulais me marier et devenir homme de lettres ».
Vision bourgeoise de l’artiste qui embrasse ce métier pour réussir.
L’ART COMME MALÉDICTION
Les deux artistes partagent-ils ce point de vue extérieur ? Pourquoi deviennentils artistes ?
– La vocation comme fatalité : lexique du devoir, qui s’impose comme
une nécessité. Trépliev : « il faut », « nécessaire » et l’inscription dans
une lignée d’artistes (« je regrette que ma mère soit une artiste », « son
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nom traîne dans tous les journaux et cela me fatigue ») ; Trigorine : « je
dois écrire, je dois écrire, je dois… » et impuissance à infléchir le cours
des choses (« J’écris sans arrêt comme si je courais la poste », « je ne
peux pas faire autrement »).
– Une sensibilité exacerbée : Trépliev se voit comme un écorché vif, il
est sans cesse blessé par le monde : « je me sentais humilié » ; Trigorine
est à l’affût du monde : « on sent une odeur d’héliotrope. Vite, je note
dans ma tête : parfum sucré, couleur de veuve, à garder pour décrire
une soirée d’été ». Quelle figure de style repérez-vous dans « Je vois un
nuage qui ressemble à un piano à queue » : une comparaison. L’artiste
parle sur un mode métaphorique : langage codé. Voir la réflexion de
Sorine : « On ne le comprend pas. »
Bilan. Deux visions de l’art, une vision bourgeoise, défendue par ceux
qui ne sont pas écrivains, et une vision plus romantique, défendue par
les artistes eux-mêmes.
• Conclusion
Alors que les artistes défendent des préceptes esthétiques opposés, ils
partagent une même vision de la vocation artistique.
• Entraînement aux exercices du bac
1. Commentaire : entraînement au commentaire comparé.
2. Dissertation : peut-on s’identifier à un personnage de comédie ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur La Mouette, mais
aussi sur les pièces que vous avez lues ou vues.
Quelques pistes pour la dissertation :
I.
Les personnages comiques invitent à l’identification
– un statut social moyen
– des préoccupations quotidiennes
– des personnages incarnés par des comédiens, des êtres de chair et de sang
II. Mais il reste toujours une distance de soi au personnage
– les artifices de la pièce (personnages typés)
– les artifices de la mise en scène (costumes, décor ; réflexion sur le décor
dans la scène d’exposition)
– le rire
3. Invention : vous écrivez une lettre à Nina, pour lui déconseiller de
se faire artiste. Votre écrit sera argumenté et appuyé sur des exemples
précis. Vous pourrez vous appuyer sur votre lecture de La Mouette pour
approfondir votre argumentaire.
Quelques pistes pour l’invention :
– l’artiste vit une véritable souffrance intérieure ;
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THÉÂTRE
: TEXTE ET REPRÉSENTATION
– l’artiste est méprisé ;
– l’artiste vit dans des conditions matérielles difficiles.
Les trois femmes
Objectifs → Le genre de la comédie, le registre comique, le portrait des
trois femmes.
Support → De « Un terrain de croquet » à « On entend Sorine ronfler »,
acte II (p. 67-70).
• Une scène de comédie
UNE CONVERSATION BADINE
Commentez le cadre spatio-temporel de la scène. Quel horizon d’attente crée-t-il ?
« Terrain de croquet », « grande terrasse », « lac », « soleil » : ces éléments évoquent le loisir, le repos, la détente, ils appellent une conversation légère et badine.
Autour de quoi tourne la conversation ?
La coquetterie féminine (lexique du vêtement : « robe », « quatre
épingle », « vêtue », « coiffée », « en négligé », « décoiffée », « souillon ») ; l’amour (« amoureuse jusqu’aux oreilles ») ; les loisirs (« il
pèche ») et les lectures (« Maupassant, Sur l’eau »).
Commentez la longueur des répliques. Quel est le niveau de langue employé ?
Répliques brèves. Niveau de langue courant. Signes de l’oralité :
– phrases nominales « Élégante, intéressante… » ;
– contractions « ça » ;
– asyndète : « il est installé dans la cabine, il pèche » ;
– non-inversion du sujet dans une phrase interrogative : « Vous permettez quand même que je continue ? »
LE REGISTRE COMIQUE
Quel est le registre dominant dans cet extrait ?
Le registre comique :
– comique de mots : « une vraie poulette », « amoureuse de lui jusqu’aux oreilles » ;
– comique de situation : Sorine ponctue la conversation de ses ronflements et Dorn fredonne pendant qu’Arkadina bavarde ;
– comique de caractère : des personnages entiers, à la limite de la caricature. Commentez la ponctuation expressive dans la réplique de Sorine (« Alors,
c’est la joie chez nous ? On est heureux à la fin des fins ? C’est la joie ! ») et celle
de Nina (« Que je suis heureuse ! »). Exaltation ;
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LA MOUETTE
117
– comique de gestes : « les mains aux hanches, elle fait quelques pas
sur le terrain de croquet ». Arkadina défile devant un public indifférent.
Bilan. Scène de badinage légère qui pourtant est l’occasion d’une
réflexion sur la condition féminine.
• Les trois femmes
LA FEMME LIBÉRÉE ET SON ÉLÈVE
Commentez l’expression « comme il faut ».
Arkadina soigne son apparence. Elle semble mettre l’accent sur les
conventions, leur donner de la valeur, mais en réalité, ce n’est pas du
tout une femme conventionnelle. C’est un rôle qu’elle joue.
Montrez qu’Arkadina est une femme anticonformiste.
– Elle travaille : « je travaille, je ressens, je bouge sans arrêt » ;
– elle cherche à séduire et porte une attention toute particulière à son
apparence : « Tirée à quatre épingles » ;
– elle a un amant : « amoureuse jusqu’aux oreilles ».
Commentez la didascalie « Nina s’assoit à côté d’Arkadina et l’embrasse ».
Proximité physique qui traduit une volonté de rapprochement moral.
Elle veut ressembler à Arkadina. L’exclamative « Que je suis heureuse ! » montre qu’elle adopte à son tour le ton enjoué de l’actrice.
L’hyperbole « C’est si peu intéressant ! » montre que, dans le conflit
entre Arkadina et son fils, elle prend désormais le parti de la mère.
LA SPLEENÉTIQUE
Dressez le portrait de Macha.
– Sentiment de vieillesse : elle a l’air plus âgée qu’Arkadina alors
qu’elle n’a que « vingt-deux ans ». Ennui et spleen ;
– peu coquette : reproches déguisés d’Arkadina qui suggère qu’elle
est une « souillon » ;
– amoureuse introvertie : son admiration pour Trépliev qu’elle n’ose
avouer (« il a les manières d’un poète »).
Bilan. Deux visions antithétiques de la femme. Notons qu’elles sont
toutes deux originales : femmes marginales qui refusent, pour des raisons différentes, le rôle d’épouse soumise.
• Conclusion
Une scène de comédie qui tranche avec la gravité de l’ensemble. Personnages féminins qui laissent parler leurs sentiments.
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THÉÂTRE
: TEXTE ET REPRÉSENTATION
Le dénouement
Objectifs → Le dénouement et ses contraintes ; comédie et tragédie ;
l’efficacité dramaturgique.
Support → De « Trépliev, après une pause. Ce serait moche » à la fin,
acte IV (p. 136-137).
Situez le passage. Texte arrive à son terme. Dernières répliques échangées entre les personnages. Quelles sont les contraintes inhérentes au dénouement théâtral ? Sont-elles ici respectées ?
• Un dénouement ouvert
Le dénouement d’une pièce de théâtre doit venir clore l’intrigue ; il
doit être :
– rapide : Trépliev décide de mourir aussitôt après le départ de Nina
(« pendant deux minutes ») ;
– complet (tous les fils de l’intrigue doivent être dénoués) : Trigorine
et Arkadina forment de nouveau un couple (« Ça [le fait de croiser
Nina, l’ancienne maîtresse de Trigorine] pourrait mettre maman en
colère ») ; Trépliev est toujours un écrivain maudit et meurt (« déchire
tous ses manuscrits » ; « vient de se tuer »), Polina s’occupe toujours de
l’intendance (« Sers aussi le thé tout de suite »). Qu’en est-il de Nina ?
Avenir plus incertain : va-t-elle vraiment devenir comédienne ou va-t-elle
se suicider ? Reste présente sur scène sous la figure de la « mouette
empaillée » : signe d’une mort prochaine ? Refus de l’avenir (elle a fait
l’éloge du passé)… ;
– nécessaire (tous les éléments du dénouement doivent être préparés
dans les actes qui précèdent) : les retrouvailles de Trigorine et Arkadina
sont programmées avant même qu’il ne la quitte pour Nina
(« Trigorine : […] Je suis faible, indolent, toujours docile […] Arkadina,
à part : Maintenant, il est à moi ») ; Trépliev, dès le premier acte,
déchirait ses textes. Comment expliquez-vous le suicide final de Trépliev ? Il
peut surprendre chez un écrivain qui commence à connaître le succès.
Il meurt d’amour (« Ne plus vous aimer est au-dessus de mes forces. […]
la vie m’est devenue insupportable ») alors que Nina, si elle a refusé
d’entrer, lui promet pourtant qu’ils se retrouveront quand elle sera
devenue « une grande actrice ».
Bilan. Dénouement surprenant, très rapide, qui n’est ni tout à fait
complet (qu’advient-il de Nina ?), ni tout à fait nécessaire (suicide de
Trépliev qui connaît ses premiers succès et qui est assuré d’avoir été
aimé par Nina).
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LA MOUETTE
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• L’efficacité dramaturgique
LE SPECTACULAIRE
Quel est l’effet produit sur le spectateur par le coup de feu ?
Un effet de surprise : Trépliev n’a pas explicité sa résolution de se
suicider : on ne sait donc pas si quelqu’un est mort et qui cela peut être
(« Nina : ce qu’il faut faire, c’est me tuer »).
La révélation se fait en deux temps :
– dénégation : « un produit qui a sauté dans ma pharmacie » ;
– révélation : « Konstantin Gavrilovitch vient de se tuer ».
UNE FIN COMIQUE OU DRAMATIQUE ?
Commentez la didascalie : « Elle allume les bougies et s’assoit à la table de jeu. »
À la fois jeu, atmosphère légère, propre à la comédie, et évocation
d’une veillée funèbre, sombre et solennelle, qui annonce la mort.
Hésitation sur le genre de la pièce.
Faire réfléchir les élèves sur les moyens de mettre en scène ce dénouement en insistant sur l’aspect comique (voix fortes, gestes outrés, bruits
de bouteilles et de verres qui s’entrechoquent) ou au contraire sur
l’aspect dramatique (éclairage réduit, costumes sombres, voix atténuées).
Quels sont les éléments comiques qui subsistent dans ce dénouement ? Rappeler
que la pièce est une « comédie ».
– Atmosphère festive : « vin rouge », « bière », « jouer », « boire » ;
– comique de gestes : « (Il entre et remet en place le fauteuil.) Course
d’obstacles ».
Quels sont les éléments dramatiques ?
– L’obscurité (« les bougies ») ;
– la mouette empaillée, signe mortifère ;
– les sentiments des personnages qui apparaissent dans leur gestuelle
et dans le ton de leur voix (« avec effroi », « elle se couvre le visage de
ses mains ») ;
– l’attitude de Dorn, faussement gaie, pour dissimuler le drame : « Il
fredonne », « feuilletant une revue ».
Bilan. Dénouement efficace qui surprend le spectateur. Ne répond
pas à l’horizon d’attente établi par l’acte d’exposition et pose la question de l’inscription générique de la pièce.
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THÉÂTRE
: TEXTE ET REPRÉSENTATION
• Conclusion
Dénouement efficace, qui contraste avec l’atmosphère souvent légère
de la pièce. Projette rétrospectivement sur la pièce une lumière plus
sombre.
IV. Orientations bibliographiques
Découvrir l’univers de Tchékhov
La lecture de Oncle Vania, Les Trois Sœurs et La Cerisaie permet de se familiariser avec
la dramaturgie de Tchékhov. On peut ainsi repérer les personnages et les
thèmes récurrents. De plus, on pourra visionner la mise en scène d’Oncle Vania
par Julie Brochen (Arte) et celle de La Cerisaie par Peter Brook (CRDP).
Textes théoriques
BACKES, Jean-Louis, Revue de littérature comparée, no 276/4, 1995, « Nouveaux visages
de Tchékhov ».
PALACIO, Jean de, Figures et formes de la décadence, Séguier, 1994.
LAFFITE, Sophie, Tchékhov, Seuil, coll. « Écrivains de toujours », 1961.
Magazine littéraire, « Dossier Tchékhov », no 299, mai 1992.
Adaptation cinématographique
Claude MILLER, La Petite Lili, 2003.
Anne CASSOU-NOGUÈS
et Marie-Aude de LANGENHAGEN.
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Fiche de synthèse n° 1 : les figures de l’artiste
Support
→ Dossier, p. 140.
L’étude de ces poèmes pourra donner lieu à une fiche de
synthèse sur les figures du poète, qui sera une préparation à l’entretien.
• Poète et citoyen :
pour un art engagé
VICTOR HUGO, LES RAYONS ET LES OMBRES (1839), p. 140
Analysez les oppositions qui structurent le poème. Commentez.
Trois oppositions majeures structurent le poème de Victor Hugo :
– une opposition entre la lumière et la nuit (« ombres », v. 23 ;
« nuit », v. 33 1 ; « ombres » et « sombres », à la rime, v. 35 et v. 36 ;
« couvre », v. 46, vs « torche », v. 19 ; « flamboyer », v. 20 ; « éclairé »,
v. 34 ; « rayonne », v. 51 ; « flamme », v. 51 ; « resplendir », v. 53 ;
« clarté », v. 54 ; « lumière », v. 55 ; « étoile », v. 59) ;
– une opposition entre le ciel et la terre (« porte de la cité »,
v. 10 ; « les pieds ici », v. 14 ; « courbé dans vos ruines », v. 43 ; « le
monde », v. 46 ; « ville », « Louvre », « chaumière », v. 56 ;
« plaines », v. 57, vs « ailleurs », v. 14 ; « sacré », v. 32 ; « ciel », v. 47 ;
« hauteurs », v. 57 ; « d’en haut », v. 58 ; « étoile », v. 59 ; « Dieu »,
v. 60) ;
– une opposition entre un présent tourmenté et un futur radieux
(« temps contraires », v. 1 ; « haines », v. 6 ; « Tourmentent », v. 7 ;
« jours impies », v. 11 ; « ruines », v. 43, vs « jours meilleurs », v. 12 ;
« utopies », v. 13 ; « yeux ailleurs », v. 14 ; « avenir », v. 20 ; « rêves »,
v. 22 ; « Les choses qui seront un jour », v. 24 ; « temps futurs »,
v. 34).
Pour Victor Hugo, le poète, s’il est écouté, peut métamorphoser
le monde, lui apporter lumière et progrès.
Comment Hugo rend-il son discours persuasif ? Relevez et classez les procédés de la persuasion.
Implication du locuteur : utilisation de la première personne
(v. 4), verbes modalisateurs (« raille », v. 35, « plaint », v. 28), voca1. Les numéros de vers indiqués ici correspondent à une numérotation en
continu des extraits donnés.
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bulaire évaluatif (« haines », v. 5, « éclairé », v. 33, « doux », v. 38…),
ponctuation expressive (« Peuples ! Écoutez le poète ! », v. 31,
v. 50…). L’auteur croit en la grandeur du poète.
Implication du destinataire : impératif (« écoutez ! », v. 31 et 32),
utilisation de la deuxième personne (v. 32-33), anaphore de « il »,
vocabulaire généralisant (« le poète », v. 11 ; « Peuples », v. 31 ;
« tous », v. 58). Le lecteur est interpellé de façon frontale et il est
invité à réfléchir sur le statut et la fonction du poète, en mal de
reconnaissance.
En vous appuyant sur les quatre premières strophes, montrez que
le poète est différent des autres hommes et définissez son rôle.
Le poète est un être exceptionnel et à part :
– il s’intéresse tout particulièrement aux affaires de la cité (v. 1112) ;
– il est un visionnaire (v. 13, 14, 33) ;
– il éclaire les consciences (v. 19-20) ;
– il est l’objet du mépris des hommes (v. 25) ;
– il a une nature singulière (intellectuel, strophe 3 ; être hybride,
v. 39).
La fonction du poète est de :
– travailler au bien-être public (v. 2 et 9-10) ;
– prévoir l’avenir (v. 13, strophe 4) ;
– éclairer les hommes (v. 31-32).
• Le poète voyant :
pour un art suggestif
PAUL VERLAINE, « ART POÉTIQUE », JADIS ET NAGUÈRE (1874), p. 143
Que refuse Verlaine en poésie ? Quels sont au contraire les conseils qu’il
donne au poète ?
Les refus de Verlaine :
– le refus de l’éloquence ampoulée (v. 4) : refus d’une poésie inutilement compliquée, des grands effets oratoires un peu vains ;
– le refus de la rime trop voyante (v. 6 et 7) : elle est assimilée à un
faux bijoux, à du toc. Elle ne sert à rien mais, comme elle brille, elle
détourne l’attention du vrai sens du poème.
Les conseils de Verlaine :
– le mètre impair (v. 2) : apporte musicalité et légèreté. Primat de
l’harmonie sonore ;
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– l’hésitation et l’imprécision (strophes 2-3-4) : choix des termes
légèrement impropres, primat de la nuance, pour laisser une liberté
à l’imaginaire du lecteur. Il faut suggérer et non pas représenter.
En quoi le texte est-il un art poétique ?
Le poème ressemble à un art poétique traditionnel :
Il s’agit d’exposer ses idées : registre didactique (formules de
conseil : « il faut », v. 5 ; impératif : « préfère » ; tour général ; modalisateur : « nous voulons », v. 13).
Cependant, cet art poétique refuse tout dogmatisme et ressemble
plus à une chanson : primat de la musique sur la poésie :
– prudence et modération du ton : formules d’atténuation
(v. 23) ;
– une chanson : énnéasyllabe au rythme souple ; enjambement
(v. 5-6) ; jeu sur les sonorités (allitération en liquide et assonance en
« u », v. 3) ; quelques reprises lexicales (« nuance », strophe 4).
Dressez un parallèle entre les préceptes esthétiques de Trépliev et ceux de
Verlaine.
– primat des sens et des notations sensorielles : « Il pense par
images, ses récits sont colorés, enlevés, je les sens très fortement »
(acte IV) ;
– triomphe de la nuance et de l’art évocatoire : le « doux scintillement des étoiles », les « sons lointains » et la « lumière tremblotante » (acte IV) dessinent un paysage aux contours et aux
nuances subtils et estompés ;
– un art gratuit : plaisir esthétique et refus de l’engagement (il
« flâne […] par [un] chemin pittoresque sans “but précis” », acte I.
PAUL VERLAINE, « CHARLEROI », ROMANCES SANS PAROLE, 1872
Relevez les notations sensorielles dans le poème. Commentez.
La vue : « noire » ; « œil » ; « horizons » ; « rouges » ; « yeux »/
L’ouïe : « pleure » ; « siffle » ; « tonnent » ; « bruissait » ; « sistre » ;
« cris »/ L’odorat : « vent profond » ; « se sent » ; « sent » ; « parfums » ; « haleine » ; « sueur »/ Le toucher : « gifle ».
Les notations sensorielles sont abondantes et construisent un paysage qui fait participer, corps et âme, le lecteur. Les sensations
visuelles exhibent deux couleurs contrastées et franches : le rouge
et le noir (scène de nuit/ monde infernal de la mine). Les sensations auditives sont particulièrement agressives (sonorités stridentes). Les sensations olfactives sont enivrantes (paysage qui sent :
odeur agréable puis fétide. Métamorphose négative). Les sensations
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tactiles (« gifle ») disent une violence. Le paysage dysphorique est
donc placé sous le signe de la brutalité. Enfer du monde industriel.
Comment sont reliées entre elles les différentes strophes ? Qualifiez et analysez la syntaxe du poème.
– Enchaînement des strophes : pas de liens, principe paratactique. Brutalité des sensations juxtaposées de façon abrupte.
– Syntaxe du poème : la violence de l’univers se traduit dans la
violence du langage. Syntaxe abrupte : syntaxe nominale. Tour elliptique « Où Charleroi ? » ; ponctuation forte (rythme saccadé,
haché. Cinq points d’interrogation, quatre points d’exclamation) ;
brièveté des vers (tranchants) ; noter l’absence de conscience structurante (pas de « je » : paysage déshumanisé, sinistre).
Les perceptions sont brutes, à l’image d’une syntaxe abrupte et
heurtée.
Relevez les marques de la subjectivité dans le poème. Quelle image du poète
se dégage ?
Strophes 1-7 : « pleure » : douleur ; « on » : qui ? ; « veut » :
acharnement ; strophe 2 : « se sent » ; « gifle » : douleur ; strophe 3 :
« plutôt » : conscience qui juge ; « ! » : axiologie négative ; strophe 4 :
« on » ; « ? » : étonnement, désarroi ; strophe 5 : « sinistres » : axiologie négative ; « ! » : dépréciatif ; « ? » : désarroi, double interrogation. Perte de repères ; strophe 6 : « ! » : dépréciatif ; « votre » :
geste déictique ; « oh » : lamentation. Lyrisme épuré.
L’image d’un poète en crise se dégage. Les marques subjectives
sont très ténues mais il y a bien présence d’une conscience qui juge
et voit. Le poète est une âme souffrante (paysage noir, endeuillé ;
personnification des éléments : projection de ses sentiments sur un
paysage ; ponctuation : souffrance, colère du poète face à monde
industriel qui incarne le travail ; absence du « je » remplacé par un
« on » : crise de l’identité marquée par l’angoisse et la disparition
du sujet). Le poète est déboussolé et angoissé face à un monde
industriel dans lequel il ne s’insère pas et ne trouve pas sa place.
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• Le poète désenchanté :
déception du monde et appel du large
BAUDELAIRE, « L’ALBATROS », LES FLEURS DU MAL (1857), p. 146
Quelle est la figure de style qui structure le poème ?
Une comparaison : « Le Poète est semblable au prince des
nuées ». Comparé : « Poète », comparant : « prince des nuées »,
outil de comparaison : « semblable au ».
Explicitez le parallélisme entre le poète et l’albatros.
Le poète et l’albatros sont :
– épris de liberté : « vastes oiseaux des mers », « voyage » ;
– attirés par un monde spirituel : « Roi de l’azur », « voyageur
ailé » ;
– moqués par une société inculte : « pour s’amuser », « agacent
son bec avec un brûle-gueule », « mime » ;
– inadaptés à la vie sociale : « maladroits et honteux », « gauche
et veule ».
En quoi cette représentation du poète s’applique-t-elle au personnage de
Trépliev ?
Par sa pièce, Trépliev manifeste son attirance pour un monde spirituel : « l’âme du monde, l’âme universelle, c’est moi… » (acte I).
Il est moqué par la société : critique d’Arkadina : « C’est quelque
chose de décadent », acte I ; de Nina : « C’est si peu intéressant ! »,
acte II.
Il est inadapté à la vie sociale : l’acte IV montre qu’il vit dans l’isolement le plus complet et il finit par se tuer.
MALLARMÉ, « BRISE MARINE » (1845), p. 147
Expliquez le parallèle établi dans le premier vers entre « la chair » et « les
livres ». En quoi ce vers reflète-t-il la tonalité d’ensemble du poème ?
La « chair » évoque la sensualité et l’érotisme, donc des plaisirs
charnels ; les « livres » évoquent des plaisirs spirituels et culturels.
Ici les deux termes sont connotés négativement. Le « je » lyrique
refuse tout plaisir, qu’il soit sensuel ou intellectuel. Ce double refus
donne au poème une tonalité désenchantée.
Commentez la majuscule du mot « Ennui ».
Personnification qui renforce ce thème, majeur dans l’esthétique
décadente.
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Quel est le registre du poème ? Quels sont les sentiments exprimés par le
poète ?
Le registre est pathétique : forte présence de la première personne ; personnification de l’ennui (« Ennui ») ; tournures négatives (« Rien, ne, ni ») ; interjections déploratives (« Hélas ! »). Le
poète exprime son désenchantement et sa lassitude, mais également son désir de partir. Caractéristiques de l’ailleurs :
– bonheur absolu (« ivre »), en opposition avec sensualité insatisfaite (v. 1) ;
– monde immense : situation mi-céleste, mi-maritime (v. 3). Les
points de suspension (v. 15) ouvrent vers une immensité cosmique ;
– renouveau : charme de l’exotisme, de l’inconnu (v. 3, 5, 9, 10).
Importance du dépaysement, du lointain. Rêve enchanteur d’un
voyage exotique.
• Complément : analyse de documents iconographiques
EUGÈNE DELACROIX, LA LIBERTÉ GUIDANT LE PEUPLE (1831)
À lier à l’étude du poème de Victor Hugo.
Inspiré d’événements historiques réels : 27-28-29 juillet 1830 : les
Trois Glorieuses qui vont amener Louis-Philippe au pouvoir. « J’ai
entrepris un sujet moderne, une barricade, et si je n’ai pas vaincu
pour la patrie, au moins peindrai-je pour elle. »
Description
Composition complexe, profusion de personnages dans le tableau.
Décrivez le personnage central.
La Liberté (la dimension allégorique). Femme aux seins nus,
aspect érotique, saleté de la peau, poils perceptibles sous les aisselles, bonnet phrygien : femme du peuple, une « poissarde », une
Vénus des rues (vertus sociales de la république, idée de la maternité). Elle porte un fusil à la main et le drapeau français : incarne la
liberté (défense de la patrie et de la liberté).
Décrivez les personnages qui l’entourent.
Personnages autour de la Liberté (la dimension réaliste). Foule
furieuse entraînée par cette femme. Toutes les classes sociales sont
représentées : femme aux pieds de la Liberté, jeune garçon,
homme en chapeau haut de forme. Scène réaliste : thème social
(révolte), aspect cru, pas d’euphémisme dans la représentation
(charnier, corps démembrés), ville en arrière-plan.
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Interprétation
En quoi ce tableau illustre-t-il le poème hugolien ?
Le poète peut être rapproché de la Liberté : c’est un guide (position dominante en taille : disproportion symbolique), il montre le
chemin.
Double aspect caractéristique du poète selon Hugo : poète
engagé et poète guide. Fonction sociale du poète.
GUSTAVE MOREAU, LE POÈTE VOYAGEUR (1891)
À lier à l’analyse de « Brise marine ».
Description
Objets centraux ? Deux personnages :
– un cheval ailé : Pégase, cheval de la mythologie. Nom grec signifiant « source ». Ailes déployées, prêt à s’envoler ;
– un personnage au corps masculin mais au visage assez féminin.
Il porte des sandales, une peau de bête, une bandoulière. Il a le
visage rêveur. Qu’a-t-il dans le dos ? Plusieurs interprétations
possibles : flèches et carquois (le personnage pourrait être assimilé
à un chasseur) ou forme de lyre (le personnage serait alors assimilé
à un poète).
Deux êtres étranges qui évoluent dans un cadre montagneux et
isolé.
Interprétation
En quoi ce tableau peut-il être lu comme une illustration de la représentation du poète donnée dans « Brise marine » ?
– Poète isolé : au sommet d’un rocher, dans un décor hostile et
déserté ;
– regard rêveur ou mélancolique : ennui du monde, aspiration à
un autre univers, un ailleurs. Dans cette perspective, Pégase pourrait être vu comme l’objet de ses pensées : volonté de s’envoler, de
s’enfuir hors du monde. Noter que Pégase est bien prêt à s’enfuir :
ailes déployées et sabot qui frappe le sol ; voyage comme source de
l’écriture poétique. Si le personnage est un chasseur : poète comme
découvreur de nouveaux territoires. Noter la forme des flèches qui
rappellent des formes orientales : Orient comme pôle d’attraction
des poètes de l’époque.
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Fiche de synthèse n° 2 : La Petite Lili,
une adaptation cinématographique de La Mouette (2003)
Support
→ Le film : l’artiste et son public (0 h 14 à 0 h 20), le dénouement (1 h 23 à 1 h 35).
• Introduction
Le cinéaste Claude Miller s’empare de la pièce de Tchékhov mais
il n’est pas fidèle à la lettre du texte. La pièce est pour lui l’occasion
d’une réflexion sur les rapports entre fiction et réalité.
• L’artiste et son public (0 h 14-0 h 20)
Comment le réalisateur transpose-t-il la pièce dans le monde contemporain ? Pensez-vous qu’une telle transposition soit fondée ?
– Éléments de transposition : époque (costumes contemporains,
magnétoscope…) et lieu (les personnages portent des noms français), relations entre les personnages (Jeanne-Marie se permet
d’intervenir et de contester les propos de Mado : le rapport entre
les maîtres et les domestiques sont différents), art (on passe du
théâtre au cinéma).
– Justifications : 1. La pièce traite de questions universelles
(l’artiste et son public, la modernité artistique, l’amour et l’admiration…), la transposition manifeste l’actualité de la pièce ; 2. Julien
n’est plus écrivain mais dramaturge, ainsi le système de théâtre dans
le théâtre est remplacé par un système de film dans le film, ce qui
crée la même confusion entre le réel et la fiction. En revanche, par
cette transposition, le réalisateur occulte la valeur documentaire de
la pièce (décadence des grandes familles dans la Russie de la fin du
XIXe siècle, statut des comédiens…)
Faire noter aux élèves les réactions des différents personnages, spectateurs
du film de Julien.
Gestes désordonnés de Mado, mains serrées de Julien et Lili,
regard inquiet de Jeanne-Marie, échanges de regards entre Brice et
Lili… Les gestes explicitent les sentiments des personnages. Dans la
pièce, les didascalies, peu nombreuses, laissent dans l’ombre les
émotions de la plupart des personnages à l’exception d’Arkadina.
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• Le dénouement (1 h 23-1 h 35)
Julien tourne un film inspiré des épisodes survenus au début du
film de Claude Miller (et dans le premier acte de La Mouette).
Comment s’établit la confusion entre la réalité vécue par les personnages et
le film ? Commentez.
– Décors reproduits à l’identique (« Julien a tout fait pareil »)
mais tournage en studio.
– Certains personnages jouent leur propre rôle et se trouvent
mêlés à des comédiens qui n’ont pas vécu les événements.
– Scénario qui cite les personnages (phrase sur le carnet de
Brice).
Ainsi s’instaure une grande confusion entre le réel et la fiction.
Le réalisateur met en exergue le principe de la catharsis : Julien fait
jouer à son personnage dans le film ses émotions, son désir de mort,
et s’en libère. La fiction lui permet de vivre des passions qu’il ne vit
pas dans le réel.
Relevez les références à la pièce.
– Le héros est un écrivain et non un cinéaste.
– Il se suicide et le coup de revolver est pris pour un courant d’air.
Finalement, c’est le film dans le film qui respecte le mieux la
pièce : est-ce une façon de dire que la pièce est trop théâtrale ?
• Conclusion
Le réalisateur prolonge la réflexion de Tchékhov sur le réalisme
et sur les relations entre réalité et fiction, dans un film très sensuel
et très contemporain.