Immigration et escalade de la crise américano

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Immigration et escalade de la crise américano
Immigration et l’escalade de la crise
américano-mexicaine
Hall GARDNER
directeur des Études internationales
American University of Paris
L’administration Bush a laissé à la présidence Obama un certain nombre
de « bombes à retardement » politiques. En plus de la « guerre globale contre le
terrorisme » (guerres en Afghanistan et en Irak) couplée à la crise financière, il y
a au moins deux autres « bombes à retardement » concernant les relations USA/
Amérique latine.
La première est l’actuelle guerre contre la drogue. La deuxième est la question
toujours non résolue de l’immigration « illégale ».
L’administration Bush s’est peu préoccupée des problèmes de l’Amérique latine.
Bush a visité la région tardivement, sept ans après le début de sa présidence, lors
d’une visite éclair, et a été accueilli par des protestations considérables. Alors que
le président Obama s’est rendu au Mexique dans sa première année de présidence.
Réforme de l’immigration
Le président Bush a adopté une position modérée que l’on pourrait appeller
« conservatrice compatissante » (compassionate conservatism) quant à la question de
l’immigration illégale vers les USA. L’administration Bush a été incapable d’établir
un compromis entre les politiques anti-immigration dures et la position plus modérée « conservatrice compatissante » adoptée par Bush lui-même.
Le président Bush a fortement soutenu l’approche « compréhensive » de la réforme de l’immigration par le Sénat, divisant ainsi les républicains plus modérés et
les républicains conservateurs. De nombreux républicains conservateurs, ceux de la
Chambre des représentants en particulier, ont fait valoir que la politique du Sénat
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sur l’immigration pouvait constituer une forme d’amnistie permettant à davantage
d’étrangers de pénétrer le territoire US. Mais les opposants au projet de cette nouvelle loi et aux plans de Bush se sont érigés contre toute législation ou programme
d’amnistie qui interviendrait avant le renforcement de la sécurité aux frontières.
En accord avec sa philosophie du « conservatisme compatissant », le président
Bush a plaidé en faveur des émigrées qui « préfèrent travailler durement pour
5-7 dollars de l’heure aux États-Unis, contre 50 cents au Mexique », et a affirmé que
« les valeurs familiales ne s’arrêtent pas au Rio Grande ». Mais l’effort du président
Bush de parvenir à un compromis a, toutefois, été condamné par la fraction républicaine dure comme une « amnistie » pour les immigrants « illégaux » et comme
portant atteinte aux intérêts de ceux qui avaient appliqué la loi.
Projet de loi proposé
Il existe deux différentes lois qui ont été proposées par la Chambre des représentants et le Sénat. Cependant la loi la plus sévère a été votée par la Chambre de représentants, concernant le contrôle de l’immigration illégale : Border Protection, Antiterrorism, and Illegal Immigration Control Act of 2005, HR 4437 (Sensenbrenner
Bill).
Le Sénat a adopté une loi plus modérée : Border Protection, Anti-terrorism, and
Illegal Immigration Control Act of 2005, (109e congrès, 2005-2006) par le sénateur
Arlen Specter [PA] le 7 avril 2006, plus les sénateurs Hagel, McCain, Kennedy,
Graham, Brownback. Adoptée le 16 décembre 2005, par un vote de 239 à 182
(avec 92 % des oui républicains et 82 % des démocrates opposés à cette loi).
Un mur contre le trafic de drogue et l’immigration illégale
Aucun des projets de loi n’a été adopté et ils ont été abandonnés en janvier
2007. Mais un compromis partiel a été trouvé et a été adopté le 26 octobre 2006.
La Chambre des représentants et le Sénat ont accepté la construction d’un mur
contre le trafic de drogue et l’immigration illégale. La barrière est située dans les
zones où le plus grand nombre de passages clandestins et où le trafic de drogue le
plus important ont été observés dans le passé. C’est aussi une « barrière virtuelle »,
qui comprend un système de capteurs et de caméras contrôlés par les agents de la
patrouille frontalière.
Face à un nouveau Congrès en majorité démocrate en 2007, l’administration
Bush a proposé un nouveau plan de réforme de l’immigration. Un compromis
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au projet de loi de mai 2007 a été proposé pour permettre à la quasi-totalité des
12 millions d’immigrants sans-papiers entrés avant 2007 de faire une demande de
visa « Z » (statut légal temporaire) après avoir en première lieu quitté le pays et ensuite payé les frais pouvant aller jusqu’à 5 000 dollars. Une politique d’immigration
fondée sur la sélection des compétences, qui choisirait ses immigrants ainsi que les
besoins des Américains en main-d’œuvre étrangère, a également été à l’ordre du
jour.
D’autres propositions incluent :
– la suppression de Chain Immigration qui permet aux ressortissants étrangers
qui sont résidents permanents de bénéficier du regroupement familial ;
– l’abolition de la loterie, avec obtention de 50 000 cartes vertes par an ;
– la suppression de la citoyenneté de naissance qui offre automatiquement la
citoyenneté aux enfants nés sur le sol américain, y compris aux sans-papiers ;
– le Clear Law Enforcement for Criminal Alien Removal (CLEAR) Act of 2009,
visant à aider les « forces de l’ordre locales à arrêter et détenir des étrangers en situation irrégulière dans leurs communautés ». La loi autoriserait le gouvernement fédéral à rembourser les États et les localités pour les coûts d’incarcération des étrangers
en situation irrégulière avec un maximum de 400 millions de dollars ;
– l’option « Attrition » : la loi SAVE est considérée comme la réponse modérée
au problème de l’immigration clandestine. En opposition aux lois permettant des
déportations massives ou même des légalisations de masse. La loi SAVE prendrait
en charge l’attrition des immigrés par l’application de lois et de l’« autodéportation ».
Illégaux contre émigres non autorises
Pratiquement 45 % des clandestins sur 4,5 à 6 millions arrivent aux États-Unis
munis d’un visa de court séjour dont la date est vite dépassée. Le restant des clandestins (6 à 7 millions) traversent les frontières illégalement, souvent au péril de
leur vie. Toute législation future devrait prendre en considération le fait qu’il s’agit
de deux différents types de clandestins.
L’ironie est que le mouvement contre les clandestins grandit alors que la situation américaine, et particulièrement le chômage, a fait disparaître un grand nombre
de clandestins qui n’ont plus de travail, et qu’il existe une vigilance plus accrue de la
part des employeurs sur la validité des numéros de Sécurité sociale.
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Le flux de devises
Après plusieurs années de croissance à deux chiffres, le flux de devises (remittences) des États-Unis vers le Mexique a diminué : la Banque centrale du Mexique
a reçu près de 24 milliards en 2007, comparativement à 23,74 milliards de dollars
en 2006.
L’État d’Oklahoma a adopté une taxe sur les transferts de devises vers le Mexique.
Décrétés comme un « blanchiment de l’argent de la drogue et frais de transferts des
fonds », faisant injustement l’amalgame entre immigration et trafic de drogue. Le
Kansas envisage une même législation1.
D’après Hillary Clinton (24 mars 2010) : « Le récent ralentissement de la croissance économique et des transferts de devises a aidé les trafiquants de drogue dans
leur recrutement de jeunes. »
Impôts payés par les contribuables n’ayant pas de papiers d’identité
The Earnings Suspense File a été créé pour recueillir les montants de Sécurité
sociale payés par les contribuables déclarant sous des faux noms. En 2005, ils atteignaient 519 milliards de dollars, avec une augmentation d’environ 6 milliards
par an La Social Security Administration (SSA) a tenté de trouver l’identité des
déclarants, habituellement en communiquant avec les entreprises pour lesquelles
ils travaillent2.
La réforme de l’immigration et la loi sur le contrôle ont été adoptées en 1986,
demandant aux employeurs d’exiger une pièce d’identité, pénalisant les entreprises
qui emploient des immigrés illégaux. Cependant les sanctions contre les employeurs
n’ont jamais été très sévères. Le résultat a été une forte augmentation des déclarations multiples utilisant le même numéro, l’utilisation de faux numéros et l’essor du
commerce de numéros de Sécurité sociale volés ou frauduleux.
Si les travailleurs sans papiers utilisant de faux numéros de Sécurité sociale
avaient tout à coup eu la possibilité de réclamer les montants qui leur étaient dus,
le montant aurait été si élevé qu’il aurait pu servir à payer les frais de légalisation
d’immigrants illégaux.
1. http://www.euroinvestor.fr/news/story.aspx?id=10986210&bw=20100408006883
Le Congrès mexicain appelle à des représailles...
2. En savoir plus: http://www.consumeraffairs.com/news04/2006/02/ss_secret_stash.html
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L’Arizona
L’échec de l’adoption par le Congrès de la Border Protection, Anti-terrorism and
Illegal Immigration Control Act of 2005 (HR 4437) a conduit l’Arizona à prendre ses
propres mesures et à adopter des lois anti-immigration intransigeantes.
Le sénateur John McCain, qui a toujours été en faveur de la réforme de la loi
sur l’immigration du Sénat plus modérée a maintenant soutenu l’approche la plus
dure, représentée par l’Arizona.
Bien qu’elle ait été un sujet majeur dans l’élection présidentielle de 2008, la
réforme sur l’immigration semblait avoir perdu de son importance jusqu’en 2010 et
ceci en raison de la crise financière, de la réforme de la santé, de l’Irak et de l’Afghanistan. Pourtant, Obama ne peut plus ignorer la question en raison de la décision
de l’Arizona en avril 2010 de faire passer la très dure loi sur les clandestins. Les
républicains et les activistes de la Tea Party exploitent cette question pour affaiblir
Obama.
La loi sur l’immigration du gouverneur de l’Arizona, Jan Brewer, a obligé la
police à incarcérer des personnes suspectées d’être entrées dans le pays sans autorisation, ainsi qu’à vérifier avec les autorités fédérales toute situation.
L’Arizona est le premier État à exiger des immigrants qu’ils aient constamment
sur eux leurs pièces d’identité justifiant de leur présence sur le sol américain. Cela a
été dénoncé par les groupes hispaniques américains et les autorités mexicaines, qui
ont soulevé des protestations de délit de faciès. Il y a eu un boycott contre l’Arizona
par les syndicats et les groupes de « gauche ».
En mai, le conseil municipal de Los Angeles a voté contre tous les contrats avec
les villes de l’État d’Arizona pour protester contre cette loi dont les critiques disent qu’elle établit un profil racial. L’Arizona pourrait perdre 52 millions de dollars
dans les contrats avec la ville de Los Angeles. La menace de boycott de l’Arizona a
conduit un officiel de l’Arizona à menacer de couper l’électricité de Los Angeles.
L’Arizona fournit plus de 25 % de l’électricité de la ville.
La frontière de 2 000 miles
La frontière de 2 000 miles dans la région Sud-Ouest, en incluant la réserve
indienne américaine O’odham, est le principal point d’entrée des étrangers sans papiers venant du Mexique, de l’Amérique centrale, de l’Amérique du Sud. Ce point
d’entrée est aussi le même pour la plupart des drogues. 251
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En 2008, les douanes ont arrêté 792 321 personnes qui essayaient de pénétrer
les USA par la frontière du Sud-Ouest. Les douanes ont également expulsé plus de
369 000 personnes. On estime que l’Arizona compte 460 000 immigrants illégaux.
L’État de l’Arizona a une population de 6 595 778 habitants en 2009. Une quantité
importante d’armes et d’argent liquide ont transité par cette région.
Le nombre de tunnels entre le Mexique et les États-Unis ne cesse d’augmenter.
En 2008, les États-Unis ont découvert 16 tunnels souterrains, dont la majorité
étaient dans la région de Tucson, Arizona. En 2009, les USA ont découvert 26 tunnels : 20 étaient dans le secteur de Tucson et 5 en Californie, dans la région de San
Diego.
Les coyotes, qui conduisent les immigrants illégaux à travers la frontière, payent
souvent les cartels de drogue mexicains pour avoir le droit d’opérer le long de certaines routes dans quelques zones frontalières.
Environ 460 000 immigrants illégaux résident en Arizona. Tous ne sont pas des
« Latinos » à la recherche d’un travail. Il y aussi des étrangers sans papiers venus
de Chine, d’Afghanistan, d’Irak, d’Iran, du Pakistan. Certains sont des membres
de gangs transnationaux, tels que le Barrio Azteca, Mara Salvatrucha (MS 13),
Transnational Sureños (incluant la 18e Rue, Florencia et Los Wonders), et franchissent illégalement la frontière américano-mexicaine chaque année.
Un propriétaire de ranch dans le Sud de l’Arizona a été tué par un supposé
trafiquant quelques semaines avant l’adoption par l’Assemblée législative du projet mettant une pression politique sur le gouverneur Jan Brewer. Ironiquement, le
gouverneur précédent, Janet Napolitano, avait opposé son veto à une loi similaire à
plusieurs reprises en tant que gouverneur démocrate de l’État d’Arizona. Jan Brewer
a ensuite été nommée ministre du Department of Homeland Security par le président Obama. Elle a questionné la validité de cette loi.
Le gouverneur Brewer a également annoncé un plan afin d’inciter le gouvernement fédéral à envoyer des troupes de la garde nationale à la frontière. Elle a exigé
que les officiers de police, « lorsque cela est possible », détiennent les personnes
qu’ils soupçonnent d’être clandestines3.
En général, l’immigration « illégale » a trois principaux opposants, formant une
alliance populiste. Le premier groupe est composé des électeurs à revenus élevés
qui pensent que l’immigration clandestine augmente le fardeau fiscal. Le second
3. http://www.nytimes.com/2010/04/24/us/politics/24immig.html
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voit les immigrés comme augmentant les risques de criminalité et de terrorisme. Le
troisième comprend les électeurs les moins instruits, qui craignent que les immigrants volent leurs emplois. John McCain, Sarah Palin et Tea Party encouragent les
mesures sévères de l’Arizona.
Réactions
En mai 2010, le président Obama a annoncé qu’il allait envoyer jusqu’à
1 200 soldats de la garde nationale à la frontière sud-ouest. Il a dit qu’il exigerait
également une augmentation des dépenses afin de lutter contre le trafic de drogue.
Républicains et législateurs démocrates ont demandé que la sécurité des frontières
soit resserrée.
Le sénateur John McCain maintient que cette nouvelle loi de l’Arizona « était
une réponse au président et à l’échec de l’administration pour sécuriser nos frontières ». McCain, qui a sans cesse été critiqué pour la « faiblesse » de sa position
sur l’immigration lors de sa difficile campagne électorale de l’Arizona, a appelé à
l’envoi de 6 000 soldats de la garde nationale à la frontière sud-ouest, dont 3 000
pour l’Arizona. McCain a déclaré que 1 200 hommes ne suffiraient pas. McCain a
été un temps le coauteur d’une législation qui offrait aux immigrés clandestins une
voie vers la citoyenneté.
Nouvelle peur
La patrouille frontalière a été créée pour ne pas bloquer les Mexicains, mais les
Chinois et les immigrants qui tentent d’éviter le National Origins Act (1882).
En 1954, l’INS a lancé l’opération Wetback, une série d’expulsions en masse
de clandestins mexicains. Le but de l’opération a été d’expulser des milliers de travailleurs sans papiers mexicains que les États-Unis ont encouragés à franchir la
frontière pendant la Seconde Guerre mondiale. Des soldats américains revenant de
la guerre aux États-Unis, de sorte que les travailleurs immigrés ont été expulsés pour
faire place aux soldats américains de retour de la guerre.
Le Mexique a prévenu que l’adoption d’une loi d’immigration sévère a créé un
climat politique négatif pour les communautés de migrants et pour les touristes
mexicains.
En mai 2010, le président mexicain Felipe Calderon a condamné la nouvelle
loi de l’Arizona sur l’immigration devant le Congrès : « Je suis convaincu qu’une
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réforme globale de l’immigration est également essentielle pour assurer notre frontière commune. Cependant, je suis fortement en désaccord avec la loi récemment
adoptée en Arizona. »
Vol de surveillance
Les républicains conservateurs et le mouvement Tea Party ont déclaré que l’immigration illégale, la drogue et le terrorisme étaient liés. Le mouvement a mis une
pression politique sur Obama pour qu’il agisse avec force.
Dans la première semaine de juin 2010, un drone « Predator B » (fabriqué par
General Atomics) a effectué son vol de surveillance à la frontière américano-mexicaine dans l’Ouest du Texas et a commencé la collecte de renseignements. L’Arizona
a également demandé l’envoi de 8 à 10 « OH-58 Kiowa », hélicoptères utilisés pour
la reconnaissance militaire. À la mi-août, le président Barack Obama a signé un
projet de loi de 600 millions de dollars qui servirait à financer quelque 1 500 nouveaux agents de patrouille frontalière, des inspecteurs de douanes et autres responsables. Le gouvernement américain a prévu de superviser l’ensemble de drones aux
frontières sud-ouest de 2 000 miles avec le Mexique.
On pourrait soutenir que les États-Unis ont confondu la frontière mexicaine
avec la frontière avec le Pakistan, comme ils avaient confondu la guerre contre la
drogue, le trafic d’armes et l’immigration clandestine. La présomption est que les
moyens techniques aideront à résoudre cette crise qui représente les racines d’un
problème socio-économique et politique bien plus profond.
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