Un quartier des spectacles Montral

Transcription

Un quartier des spectacles Montral
Un « Broadway montréalais » dans l’est du centre-ville ?
Sylvain Lefebvre
Professeur au département de géographie de l’UQAM
Directeur du chantier de recherches « Sports et villes festives »
L’annonce récente au Sommet de Montréal d’un projet de « Quartier des
spectacles », projet présenté et défendu par l’ADISQ (Association québécoise de
l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo) et autres représentants des arts
de la scène, soulève des enjeux urbanistiques intéressants pour tout un secteur
stratégique du centre-ville de Montréal. Le projet est porteur voire même
rassembleur mais il pose des défis urbanistiques importants à un territoire qui
subit plusieurs transformations ces dernières années.
Tout d’abord, il faut préciser que l’idée d’un périmètre spécialisé dans le secteur
des arts et de la culture est plus ou moins bien délimité spatialement. L’annonce,
il y a quelques mois, du projet de « Broadway montréalais » ou plus précisément
de « Carrefour culturel » du promoteur Socrate Goulakos visait essentiellement
le secteur entre les rues Clark, la rue Sainte-Catherine, le boulevard SaintLaurent et le boulevard René-Lévesque. Cinq groupes artistiques (Ateliers de
danse moderne, École Nationale de l’humour, Circuit Est Centre chorégraphique,
théâtre De L’Opsis et Atelier circulaire) tentaient alors d’obtenir du financement
des gouvernements pour créer un nouveau complexe culturel sur ce quadrilatère
jugé par plusieurs, déstructuré et morose. Le projet de « Quartier des
spectacles » de l’ADISQ proposé au Sommet de Montréal est plus ou moins
délimité par les rues de Bleury, Saint-Hubert, Sherbrooke et Viger. Finalement,
Alain Simard, fondateur et président de plusieurs festivals de prestige et de
l’équipe Spectra, proposa lui aussi au Sommet de Montréal, une « Cité de la
Culture et des Communications » comme axe de développement économique,
social et culturel d’une zone plus élargie et délimitée par les rues de Bleury à
Papineau et approximativement de Sherbrooke à la rue Viger. La délimitation de
la zone visée est un enjeu en soi. Faire partie ou non d’un périmètre ayant un
statut particulier peut signifier l’absence ou la présence d’un support financier et
technique non négligeable.
Peu développé pour le moment, le concept général du « Quartier des
spectacles » prévoit quatre types d’intervention : l’amélioration des
infrastructures souterraines (services publics, égouts, eau, électricité),
l’amélioration des infrastructures de surface (trottoirs, éclairage, mobilier urbain)
de même que l’aménagement d’espaces publics spécialisés (à des fins de
spectacle et d’animation), l’uniformisation de la signalisation (affichage, publicité,
éclairage des édifices) et finalement, le redéveloppement des terrains vacants du
périmètre visé.
Selon l’ADISQ, 80% de la production culturelle de l’île de Montréal serait
concentrée dans le secteur Est du centre-ville. Avec plus de 23 000 places de
spectacle, les promoteurs de ce projet comptent miser sur l’effervescence et la
concentration d’activités et d’équipements culturels, artistiques et festifs qu’on y
retrouve.
Plusieurs projets culturels et artistiques, tous annoncés ces derniers mois,
viennent aussi renforcer l’idée d’une spécialisation thématique de cette zone du
centre-ville. Ainsi, une entente entre le Cirque du Soleil et l’Université du Québec
à Montréal permettra la construction d’un complexe multifonctionnel (salles de
spectacle, hôtel, etc.) sur le terrain à l’angle des rues Sherbrooke et SaintUrbain. On sait que l’Équipe Spectra vient d’acquérir l’édifice du Spectrum et que
le projet du « Centre Spectrum » (un complexe culturel composé de commerces,
de services, d’un club de jazz, etc.) y est prévu de même qu’un projet de salles
de cinéma en partenariat avec la Caisse de dépôt et de placement du Québec.
Tourisme Montréal a déjà entrepris une étude de faisabilité pour implanter dans
le secteur un nouveau comptoir de billetterie.
Daniel Langlois, déjà propriétaire des salles de cinéma des Complexes ExCentris et du Parc a annoncé la construction de l’Hôtel Godin au coin de
Sherbrooke et du boulevard Saint-Laurent et étudie la possibilité d’aménager
d’autres salles à la Place des Arts. Il y a bien sûr le projet de relocalisation de
l’Orchestre Symphonique de Montréal dans une nouvelle salle de 2 000 places
avec des bureaux et les conservatoires de musique et de théâtre sur l’ilôt
Belmoral au coin des rues Sainte-Catherine et de Bleury. Un « Parc des
Festivals de Montréal » sera aménagé en face de la Maison de l’OSM et se
transformera en patinoire pendant la saison hivernale.
Plusieurs autres projets semblent tout aussi pertinents : la Grande Bibliothèque
du Québec sur la rue Berri, le projet de rénovation du cinéma Impérial sur la rue
de Bleury, le projet de complexe culturel porté par la Société des Arts
technologiques (SAT) auquel participeraient plusieurs organismes culturels dont
l’École nationale de l’humour, le projet de relocalisation près de la station de
métro Saint-Laurent de l’École de nouvelle danse (les 4C), la rénovation du
Métropolis et le projet d’agrandissement des Foufounes électriques.
Plusieurs projets en effet… et il y en aura d’autres… Car tous voudront profiter
de la vague sollicitée et prévisible qui déferlera sur ce secteur du centre-ville :
des commandites, des subventions, des incitatifs et des mesures fiscales. À
l’image de la Cité du Multimédia et de toutes les autres « zones spécialisées ou
thématiques », on voudra rapprocher géographiquement un maximum
d’équipements et d’intervenants espérant ainsi consolider les acquis de
« l’industrie » et des promoteurs mais surtout pour créer une synergie et une
croissance encore plus forte de cette plateforme d’activités identifiée comme un
instrument de valorisation et de dynamisation des grandes villes. Evidemment,
plusieurs intervenants sont sollicités pour financer et/ou subventionner une telle
opération d’envergure. Des décideurs publics ont déjà été ou seront interpellés
par quelques grands promoteurs pour des études de faisabilité, des études
d’impact, etc., mais surtout, pour soutenir financièrement la réalisation du projet.
Au premier plan, certains ministères provinciaux et fédéraux (Patrimoine,
Finances, Culture, communications, Affaires municipales et Métropole, etc.) et la
Ville de Montréal sont concernés.
Tout d’abord, contrairement à ce que prétend l’ADISQ, on ne peut faire naître un
esprit de quartier en utilisant l’uniformisation de l’affichage pour un territoire aussi
vaste. Consolider le cadre bâti, redonner les rues aux piétons et embellir les
édifices restent des objectifs forts louables en soi mais la justification d’une
concentration spatiale accrue des lieux de production et de diffusion d’un
créneau d’activités n’est pas encore faite. Les enjeux urbanistiques sont pourtant
énormes pour tout l’est du centre-ville. La pénurie de logements et le besoin
urgent de logements sociaux, la revitalisation de certaines artères commerciales
ou de bâtiments présentant un intérêt patrimonial et l’utilisation optimale de
certains espaces vacants ou des terrains de stationnement de surface peuvent
bien sûr s’accommoder d’un projet de « quartier des spectacles » mais les
impacts sur la vie de quartier actuelle, sur la circulation, sur les valeurs foncières
et locatives, sur les activités et équipements culturels/artistiques situés à
l’extérieur du périmètre sont autant d’éléments à analyser avec soin. Il n’est pas
sûr qu’il faille prioriser des affectations urbaines ou des projets qui relèvent
uniquement de la production et de la diffusion des arts et de la culture. On peut
comprendre que les grands joueurs
Utiliser une signature territoriale pour concentrer ou renforcer des activités et des
équipements dans un même secteur n’est pas une panacée.