Les anges de Machiavel : 140 ans de fiction d`espionnage en France
Transcription
Les anges de Machiavel : 140 ans de fiction d`espionnage en France
PAUL BlfTON LES ANGES DE MACHIAVEL Après un doctorat à l'École Pratique des Hautes études à Paris sous la direction de Roland Barthes, des expériences d'enseignement en lycée technique en France, au Collège Stanislas de Montréal et à l'Université McGill, Paul Bleton œuvre depuis 1982 à la TÉLUQ (l'université à distance de l'Université du Québec), où il est professeur titulaire en lettres. Ce travail de Paul Bleton a été communiqué à la Bibliothèque des littératures policières et d’espionnage dans le cadre de son exposition : EXpionnage, les espions se livrent (du 15 novembre 2013 au 24 mars 2014) Exposition conçue et réalisée avec Bruno Fuligni, écrivain, historien, auteur de Dans les archives inédites des services secrets et du Livre des espions, aux éditions L’iconoclaste. À partir des fonds de la bibliothèque, mais aussi des collections historiques des services français, l'exposition se propose de dévoiler la relation trouble et complexe entre les services de renseignement et l’écrit, de 1800 à 1989. Les anges de Machiavel 140 ans de fiction d’espionnage en France Paul Bleton Paul Bleton, Les anges de Machiavel. SOMMAIRE FICTION D’ESPIONNAGE ? ............................................ 4 LE SECOND PLUS VIEUX MÉTIER DU MONDE ? ..................... 6 Effectivement, Il y avait bien eu… ................................ 6 Le franc-tireur de la nuit. ........................................... 8 Premières variations sur le thème. ................................ 9 Espions sériels. ....................................................... 12 L’ENTRE-DEUX-GUERRES ............................................ 15 L’émancipation du genre. .......................................... 15 LA GUERRE FROIDE .................................................. 18 Hésitant retour. ...................................................... 18 L’âge d’or des collections. ......................................... 19 La crise 007 ........................................................... 25 UNE NOUVELLE CONFIGURATION .................................. 29 Et après les collections ? ........................................... 29 BD,TV : intégration de l’espion à la culture médiatique ? ... 30 En contraste, le cinéma… .......................................... 33 Un Changement de la garde ....................................... 35 DEMAIN ? ............................................................... 44 Pour en savoir plus : ................................................ 46 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. FICTION D’ESPIONNAGE ? La fiction d’espionnage occupe aujourd’hui un espace compris entre l’exténuation du récit que proposent les jeux vidéo et la narration sérieuse, voire sourcilleuse, de l’espionnage réel. D’un côté, DARK, No One Lives Forever, Secret Services, GoldenEye : Au service du Mal, CellFactor: Revolution, Mission Impossible, Syphon Filter ; voire jeux déclinés en plusieurs versions comme Project IGI, Splinter Cell, Metal Gear, James Bond 007... Pour les joueurs, plus qu’à la guerre secrète réelle, c'est de films, de séries télévisées, de BD (comme XIII, rare jeu français, créé à partir de la série de Jean Van Hamme et William Vance) que ces jeux doivent leur univers ; et aux formes concurrentes de jeux vidéo qu’ils se comparent – combat de rue, guerre des étoiles, châteaux de Zelda… D’un autre côté, les ouvrages de témoins, historiens, encyclopédistes servant de mémoire, de conservatoire à l’espionnage réel : • Ouvrages techniques, comme Michel Auer et Eaton S. Lothrop (1978), Georges Moréas (1990), Gérard Desmaretz (1999), Alain Charret (2006). • Ouvrages vulgarisateurs, comme Kurt Singer (1963), David Wise et Thomas Ross (1975), Jean-Pierre Alem (1980, 1987), JeanJacques Cécile (2005). • Synthèses thématiques, comme Vernon Hinchley (1969), Jacques Bergier (1971, 1973), Jacques Bergier et Jean-Philippe Delaban (1973), Roger Faligot et Remi Kauffer (1983), Bertrand Warusfel (2000), général Jean Guyaux (2002), Frédéric Moser et Marc Borry (2002). • Synthèses historiques, comme Stewart Alsop et Thomas Braden (1964), Pierre Faillant de Villemarest (1969), Jean-Pierre Alem (1977), Pascal Krop (1994), David J. Alvarez (1999), Genovefa Étienne et Claude Moniquet (2000, 2002), Rodney Carlisle (2007). • Histoire anecdotique, historiographie et études de cas, comme Allen Dulles (1969), Janusz Piekalkiewicz (1977), Joseph Doudot (1977), Kirill Khenkin (1981), Fabrizio Calvi et Olivier Fiction d’espionnage ? 4 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. Schmidt (1988), Gilbert Bloch (1999), Jean Deuve (2000), Jean Guisnel (2002). • Dictionnaires – ceux où l’ordre alphabétique n’est qu’un artifice de présentation, comme Nicolas Fournier et Edmond Legrand (1979), Ronald Payne Christopher Dobson (1985), ou réels dictionnaires comme le bilingue de Jean-Paul Brunet (2000) ou l’encyclopédique de Thierry Vareilles (2001). • Colloques savants, comme le recueil du Centre d'études d'histoire de la défense, Commission Histoire du renseignement (2000). Première approximation : Entre jeu et savoir, prenant pour objet la guerre secrète, version vénéneuse des relations internationales, la fiction d’espionnage a d’abord emprunté des formes de la narration populaire à des genres qui l’avaient précédée (l’action au roman d’aventures, l’enquête au roman policier), quitte à ultérieurement innover avec l’intrigue du démontage d’une intoxication. Une certaine plasticité idéologique lui vient des proportions relatives de trois discours que chaque roman amalgame : « les faits parlent d’eux-mêmes » de l’immanentisme libéral, « la remise en cause du délicat équilibre actuel conduira à la catastrophe » du conservatisme, « tout est la faute d’une cause cryptique et malveillante qu’il faut inlassablement dénoncer » du ressentiment. Elle doit son paradoxe fondateur de s’ancrer dans la culture médiatique, transparente, grand public, alors qu’elle évoque des choses tenues jalousement secrètes par les États : comment un genre fictionnel dépeignant un milieu professionnel ésotérique, dépendant d’appareils d’État énigmatiques, livrant des guerres secrètes aux objectifs inquiétants, apocalyptiques mais flous, en est venu à plaire au public de la culture médiatique, elle-même très exotérique ? Voilà qui pourrait permettre de dévider un fil historique remontant au choc de la défaite de 1870. Fiction d’espionnage ? 5 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. LE SECOND PLUS VIEUX MÉTIER DU MONDE ? Mais pourquoi se contenter de 140 ans, alors que l’espionnage a cette sulfureuse réputation de s’enraciner dans un passé bien plus archaïque ? Effectivement, Il y avait bien eu… Par la scène primitive que mobilise le mot, le regard caché d'un agent fixé sur un patient sans défiance, cet agent (secret) se trouve à l'intersection de plusieurs logiques : • Militaire – l'espion se définit par rapport à l'éclaireur, au soldat en service commandé, au déserteur, etc. • Policière – il se définit par rapport au policier, à la mouche, au délateur, etc. • Politique – il se définit par rapport au diplomate, au traître, etc. • Éthico-psychologique – il se définit par rapport à l'indiscret, au fouineur, au jaloux, etc. Et depuis l’origine, l’espionnage traîne une connotation péjorative étroitement attachée à la fonction – « l'infamie nécessaire de l'espion fait juger de l'infamie de la chose », Montesquieu… Infâme, peut-être, mais nécessaire. L’espionnage est en effet discuté, raconté, recommandé, théorisé depuis longtemps : • Dans L’Art de la guerre de Sun Tzu, paru au IVe siècle avant notre ère, sans doute le plus ancien traité de stratégie au monde. • Avec l’Arthashastra [l'« Enseignement du profit »], le brahmane Chanakya, surnommé Kautilya [le Retors], rédige le premier traité de réalisme politique connu. Chandragupta, en réponse aux conquêtes d’Alexandre, devait fonder l’empire Maurya, conquérir l’empire Nanda battu par les Macédoniens, éliminer les satrapes laissés par Alexandre dans le nord-ouest de l’Inde, enfin conquérir presque tout le sous-continent. Et Kautilya était son conseiller… Le second plus vieux métier du monde ? 6 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. • Dans Stratagèmes, Frontin (Julius Frontinus) commence les quatre livres de son traité par l'art de cacher ses entreprises et de découvrir celles de l'ennemi, et ne néglige pas son pendant, la conduite à tenir à l'égard des transfuges et des traîtres. • Dans Nombres (XIII), Moïse envoie une mission de reconnaissance dans le pays de Canaan, sur l’ordre de Yahvé. Après quarante jours, de retour à Cadès, les éclaireurs choisis pour représenter les douze tribus reviennent avec des opinions divisées : bien que le pays « ruisselle de lait et de miel », « le peuple qui l'habite est puissant ». Sauf Caleb qui se prononce pour l’invasion, les autres défendent une opinion de prudence en distordant ce qu’ils ont observé. • Dans Josué (II, 1-21), Josué expédie deux espions dans Jéricho. Rahab, la courtisane qui les cache et les aidera à fuir, leur décrit l’état d’esprit calamiteux des habitants de la ville, apeurés par les épisodes de la traversée de la Mer Rouge et des défaites des Amorrhéens de Séhon et de Og, roi de Basan ; information déterminante pour la suite du projet d’invasion. Rahab ment aux soldats pour sauver les deux espions ennemis, alliance des deux plus anciens métiers du monde ; indirectement, ce mensonge mènera les compatriotes de Rahab à leur perte. Péché ? Sans doute pas si l’on en croit l’abondance de commentaires rabbiniques ou chrétiens sur ce point ; de mécréante et pécheresse, voilà la prostituée convertie et devenue, selon telle tradition, épouse de Josué, selon telle autre prophétesse. Il suffit de mentir pour le bon dieu. Mais attention : • La première rencontre de l’espion et d’un genre littéraire en français n’a pas institué le roman d’espionnage. Gian-Paolo Marana, dans L'Espion Du Grand-Seigneur, Et Ses Relations Secrètes : Envoyées au Divan de Constantinople, et découvertes à Paris, pendant le Règne de Louis le Grand (1684) invente, avec l’espion, l’artifice narratif d’un regard culturellement extérieur et philosophiquement critique. Cette variante du roman épistolaire sera immortalisée par Les lettres persanes (1721) de Montesquieu. Le second plus vieux métier du monde ? 7 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. • Dans L’Espion de police (1826) d’Étienne-Léon baron de Lamothe-Langon, l’espion est un mouchard de police. En outre, ce premier roman de mœurs insiste sur la seule dimension éthique, méprisable, de ce type romanesque. Le franc-tireur de la nuit. Les défaites de l'été 1870 contre la Prusse et l’occupation inspirent moins de romans marquants que le siège de Paris, ou la Commune. Mais un genre patriotique exaltant l'héroïsme des vaincus fait florès dans la décennie soixante-dix ; il efface la défaite par d’innombrables victoires en escarmouche. Remémoration douloureuse, dénégatrice, rassurante : oui, une revanche est possible. Par leur conduite, ces braves défaits qui ne méritaient pas de l'être serviront de modèle aux jeunes générations. Ces récits ont pour héros le franc-tireur. Ce genre émule les Romans nationaux d’Erckmann-Chatrian, parus sous le Second empire, évoquant une invasion précédente, à la fin de l'épopée napoléonienne. Le franc-tireur romanesque est aux antipodes du Prussien, être essentiellement militaire, défini par son appartenance à l’armée et à un État militarisé, sujet d'un État quasi-dépourvu de société civile, réactivation de l'archaïque modèle des chevaliers teutoniques. L'explication de l'inimaginable défaite ne gît-elle pas dans un comble de ce sujet d'un État sans société civile, à la fois civil et militaire, faux civil mais vrai militaire : l'« espion prussien » ? Criminel, ce dernier est d'abord un scandale, le court-circuit d'un des universaux indo-européens, l'opposition entre civil et militaire, la coprésence simultanée mais cryptique, dans un même type d'apparences civiles mais trompeuses qui dissimulent une réalité militaire menaçante. Pour le contrer, Les Espions (1874) d'Alphonse Brot appelle le franc-tireur à imaginer l'inimaginable, à combattre le perfide sur son propre terrain pour le démasquer. Ce roman invente le « franctireur de la nuit », figure éponyme de tous les contre-espions amateurs. Le second plus vieux métier du monde ? 8 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. Dans cette inspiration, on peut aussi lire : • Victor Valmont, L'Espion prussien, roman anglais (1872). • Paul Féval, L'Homme du gaz (1872) – réédité sous le titre Les Éclaireurs secrets (1929). • Paul Féval, L'Ogresse. Histoire de Pierre Pentecôte dit Parisien-la-Belle-Humeur – seulement parue (et incomplètement) sous forme de feuilleton dans Le Petit Moniteur universel, du 5 novembre 1874 au 27 mars 1875. • Alfred Assollant, Le Dr. Judassohn (1873). Premières variations sur le thème. La veine anti-allemande reste longtemps structurante. Elle se poursuit notamment dans : • Gustave Aimard, Les Aventures singulières de Michel Hartman [1887-1888]. • Jean-Louis Dubut de Laforest, Les Dévorants de Paris et sa suite L'Espion Gismarck (1885). • Georges Pradel, Les Drames de la frontière et sa suite L'Espion Rabe (1894). La forte homogénéité idéologique et narrative ne doit toutefois pas faire oublier une première apparition de l’ambiguïté pragmatique (témoignage ? fiction ?) dans la fiction d’espionnage. L’histoire secrète réinvestie par le point de vue de l’espion sert de modèle d’interprétation à la réalité historique : • Théodore Labourieu, Mystères de l’Empire par un espion politique et militaire recueillis et mis en ordre par Th. Labourieu (1874) – cette féroce critique de la mise en coupe réglée de l’État par le régime bonapartiste ne succombe pas aux fantasmes antisémites quant au capitalisme bancaire international juif mais, à plus juste titre, évoque la fortune de Charles de Morny, de très loin supérieure à celle des Rothschild de Londres. Le second plus vieux métier du monde ? 9 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. • Paul Mahalin, Les Espions de Paris (s.d.) Au tournant du siècle, cette homogénéité s’infléchit, conjugue revanchisme et impérialisme, espionnage et exotisme, en écho à l’expansion coloniale : • Armand Dubarry, Les Clefs de Paris, roman de grand espionnage (1895). • Léon Chabaud, La Fille d'Alsace (l896), une pièce de théâtre. C’est aussi par rapport à ce noyau idéologique manichéen que se singularisent l’espionnage d’un tiers, ni Français ni Allemand : • Georges Le Faure, Nicolas Pépoff. Aventures extraordinaires d’un explorateur (1902). ou les tentatives d’échapper à la réticence éthique suscitée par les moyens propres à l’espionnage, notamment en mobilisant, dans le déchirement intérieur, les règles d’une morale supérieure : • Hugues Rebell, L'Espionne impériale (1899). La fiction d’espionnage permet à une société militairement vaincue de tenter de nouvelles synthèses du héros et de la victime, entre la reterritorialisante vox clamans in deserto de L'Homme du gaz de Féval et l’extranéité culturelle de Nicolas Pépoff qui permet d’amener à son haut degré tragique la solitude de celui qui avance masqué. L’époque est marquée par l’Affaire Dreyfus (1894-1905), bien sûr. Il s’agit alors moins, rétrospectivement, de déplorer l’espionnage prussien contre l’empire et l’aveuglement des trop crédules Français de naguère que de s’inquiéter de menées souterraines allemandes tout à fait contemporaines. L’Affaire croise la fiction d’espionnage et a des incidences sur l’organisation de l’espionnage français. Le complot contre le capitaine Dreyfus a sans doute été inspiré par un feuilleton, Les Deux frères (1894) de Louis Létang : Le second plus vieux métier du monde ? 10 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. • Paru du 27 avril au 20 juillet 1894 dans le supplément illustré du Petit Journal, il a pour héros Philippe Dormelle, un militaire en butte à la haine de méchants, dont un officier rival envieux. En novembre, la troisième et dernière partie, « Le faussaire » comprend cet épisode : dérobés dans le bureau du chef de Dormelle devenu capitaine, et glissés dans une enveloppe adressée à l'agent de l'attaché allemand, des documents secrets accompagnés d'une lettre à l'écriture imitée à la perfection sont retrouvés grâce à une dénonciation, au domicile du capitaine dans une enveloppe prête à partir. Prévenue par l’officier félon, la presse nationaliste s’empare de l’affaire et la monte en scandale, ce qui devrait indélébilement éclabousser l’honneur du pauvre capitaine. L’Affaire aura provoqué la dissolution de la Section de statistique du ministère de la Guerre en 1899. Le contre-espionnage n’allait plus relever du ministère de la Guerre mais du ministère de l’Intérieur (Sûreté générale) ; la recherche de renseignement serait une simple et modeste section rattachée au Deuxième Bureau de l’Armée. Mais le développement du genre semble aussi obéir à d’autres ressorts, idéologique (comme le déverrouillage de la reterritorialisation patriotique) ou littéraire (comme la sérialisation). Affirmation de l’autonomie des règles du spionspiel, suspension des interdits de la morale sur la tromperie, la dissimulation, le meurtre : • Georges Le Faure, Mémoires d’un espion militaire, feuilleton de La Vie populaire illustrée (1895-1896) signé S***, puis repris en 40 minces volumes chez Juven (en 1905 ? puis en 1910 ?). Prise en écharpe du patriotisme, notamment par l’insolite déterritorialisation d’une mise en réseau des orphelins de Paul d’Ivoi : Le second plus vieux métier du monde ? 11 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. • Dans trois romans de sa série des Voyages excentriques, La Capitaine Nilia (1898), L’Aéroplane fantôme (1910), L'Ambassadeur extraordinaire rééd. sous le titre Message du Mikado (1912). Espions sériels. Avec l’inquiétude montante générée par des crises à répétition avec l’empire de Guillaume II et alimentée par une violente campagne de presse lancée dans l’Action française en 1911-1912, bien plus que d’autres secteurs de l’industrie culturelle (théâtre, cinéma, BD, belles-lettres), c’est la littérature populaire qui investit le genre. Dans des collections comme Le livre populaire ou Les maîtres du roman populaire de Fayard, Le livre de poche ou Le livre national de Tallandier, Méricant, Rouff, Ferenczi, Nillson, se retrouvent nombre de signatures connues. Le chansonnier Aristide Bruant, le boulangiste Michel Morphy, Jules Mary, le spécialiste du pathos militaro-patriotique, Georges Spitzmuller plus porté au roman historique, Maurice Landay, auteur de la célèbre série Carot coupetête, l’humoriste Jean Drault, Paul Bertnay, spécialisé dans le roman de mœurs... Même s’ils restent des auteurs d’espionnage occasionnels, trois d’entre eux n’en montreront pas moins une forte affinité pour l’espionnage, Gustave Le Rouge, Gabriel Bernard et Paul d’Ivoi. S’y ajoutent d’autres romanciers populaires qui, débutant leur carrière à ce moment, passent par l’espionnage : Arthur Bernède, Louis Sollard, Robert Florigni et Charles Vayre, Fernand Peyre, Marcel Priollet, H. R. Woestyn, Charles Dodeman… Mais surtout, les héros récurrents de séries célèbres comme Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel Allain, Zigomar de Léon Sazie confirment leur statut de Méchants absolus en espionnant la France : • • L’Agent secret (1911). Zigomar au service de l’Allemagne (1916). Le second plus vieux métier du monde ? 12 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. À une telle perfidie, Souvestre et Allain doivent même rétorquer par une série en 15 volumes entièrement dédiée au contreespionnage. • Naz-en-l'air (1912), 2. Le Secret de Naz-en-l'air (1912), 3. L'Ongle cassé (1912), 4. Les Tueuses d'hommes (1913), 5. Traître et ministre (1913), 6. L'Armoire de fer (1913), 7. Le Mystérieux clubman (1913), 8. Le Roi des flics (1913), 9. Évadés du bagne (1913), 10. Espions de l'air (1913), 11. Crimes d'empereur (1913), 12. Épouse de forçat (1913), 13. Haine de bandit (1913), 14. L'Échéance fatale (1913), 15. La Victoire de Naz-en-l'air (1913). La mobilisation se poursuit évidemment durant le conflit et même un peu dans les années 1920. On espionne ou contre-espionne par inflexion momentanée d’une série, comme les John Strobbins, Marcel Dunot ou Jean Flair de José Moselli, par raccroc comme dans L'Éclat d'obus (1916) de Maurice Leblanc, par marcottage comme Les Mystères de la cour de Berlin (1916) de P. de Chantenay se poursuivant dans Les nouvelles aventures de Tony, série signée Gabriel Bernard, ou comme les 188 feuilletons de Cœur de Française (1916) par Arthur Bernède dans Le Petit Parisien à partir d’une courte pièce cosignée avec Bruant, poursuivis par une série, Chantecoq (1921), doublés par une autre, L'Espionne de Guillaume (1919) elle-même ultérieurement réactivable, L'Espionne d'Hitler (1934)… On espionne ou contre-espionne à la limite du tragique – Rouletabille chez Krupp (1920) de Gaston Leroux –, par répétition d’un drame passé (spécialité de Maurice Leblanc), en parodiant l’enflure wagnérienne – Leblanc, L’Île aux trente cercueils (1919) – , en recourant à la cruauté – Zigomar – mais en ne négligeant jamais le panache patriotique. Une fois imposée la guerre secrète aussi bien aux Bons qu’aux Méchants, la fin patriotique a tôt fait de justifier les moyens. Un milieu social, un territoire peuvent aisément devenir la cible de la puissance dissolvante de l’espionnage. Les Bons peuvent-ils réellement, sans altérer leur essence, instrumentaliser ces moyens que l’axiologie patriotique juge pervers dans l’arsenal des Le second plus vieux métier du monde ? 13 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. Méchants ? Le roman d’espionnage pose la question dans le registre psychologique (l’intégrité psychique ne résiste pas toujours au chassé-croisé d'identités empruntées) et dans le registre éthique (dont les règles entrent en contradiction avec les règles pragmatiques) : une fois acceptée la spirale de la ruse, comment être assuré que le Bien et le Bon ne sont pas imitables par quelque grimace, quelque stratagème ? Le second plus vieux métier du monde ? 14 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. L’ENTRE-DEUX-GUERRES L’émancipation du genre. La fiction de guerre secrète d’après la guerre ouverte se développe dans quatre nouvelles directions. S’instaure une forme de tradition, alimentée par des rééditions (Paul Féval, Paul d’Ivoi, Gabriel Bernard, commandant de Wailly, Albert de Pouvourville…), par des romanciers à l’inspiration conservatrice (Gabriel Bernard, Arthur Bernède, Francis Carco, le comte de Lignières, Guy de Téramond, Jean de la Hire), ou des émules du Lupin de Maurice Leblanc (Jean-Joseph Renaud, RogerFrancis Didelot, Alain Martial). Le genre devient plus redevable aussi aux traductions de la spy fiction britannique – Somerset Maugham, Eric Ambler, Agatha Christie, Edward Phillips Oppenheim, Peter Oldfield, Joseph-Smith Fletcher, Lawrence G. Blochman ou la série du Pied bot de George Valentine Williams… Selon une formule de la fiction populaire, l’espionnage romanesque procède aussi par hybridation : Hybridation sous forme de tressage lorsque, articulé par l’expérience de l’incertitude quant au sentiment du partenaire, l’espionnage croise la thématique du roman d’amour : Charles Robert-Dumas, Charles de Richter, Alfred Machard, Paul Darcy, Jean Bommart… Hybridation sous forme d’emprunt lorsque l’histoire d’espionnage se coule dans un genre populaire déjà autonome – le roman d’aventures scout (Jean de la Hire), le roman militaire colonial (Maurice de Moulins), le roman d’aventures exotiques (André Armandy), mais surtout le roman policier (Jacques Decrest, André Martial, Jean-Toussaint Samat, Pierre Nord). Enfin, le genre s’en remet à l’innovation. Notamment, il s’ambiguïse (« fait ou fiction ? » se demande-t-on à la lecture) en adoptant des formes de la littérature testimoniale (Gilbert L’Entre-deux-guerres. 15 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. d’Alem), ou en la mettant au service d’une posture polémique de dénonciation (Paul Allard, Robert Boucard, Xavier de Hauteclocque). Mata-Hari devient une figure emblématique de cette zone ambiguë. L’espionnage essaime dans des collections populaires ne se spécialisant pas dans ce genre – Grandes aventures et voyages excentriques, Roman mystérieux, Criminels et policiers, le petit roman d'aventures, Police, Police et mystère, Le petit roman policier, Le Masque. Parallèlement, émanent du genre des séries à héros récurrent : • Du côté de la littérature populaire traditionnelle, Thérèse Arnaud, espionne française, Miss Téria de Marcel Allain. • Du côté du roman d’espionnage innovant, La guerre secrète du contre-espionnage. Les aventures de Jean-Marie Le Coudrier de Jean-Toussaint Samat. La place de l’espionnage dans la culture médiatique change sous l’effet de deux facteurs : les collections spécialisées et le débordement du côté de la culture moyenne, par le roman et le film. L’émergence des premières collections spécialisées s’effectue en profitant de la proximité de la fiction et du documentaire en matière d’espionnage : • Charles Lucieto, principal pourvoyeur d’une collection chez Berger-Levrault, La Guerre des cerveaux. • Mémoires de guerre secrète de la Librairie des ChampsÉlysées. • La guerre secrète chez Baudinière. L’espionnage sort de la littérature populaire : Du côté de la culture moyenne : • Maurice Dekobra : le personnage du Prince Séliman articule Mon Cœur au ralenti (1924) à La Madone des Sleepings (1925) et celui de Lady Diana à La Gondole aux chimères (1926). L’Entre-deux-guerres. 16 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. • Pierre Mac Orlan : Filles d'amour et ports d'Europe (1932) et La Nuit de Zeebruge (1934). Le roman militaire conçu comme extension du roman de truands dans Le Camp Domineau (1937). • Francis Carco : Blümelein 35 (1937). Du côté du cinéma : • Adaptations de biographies romancées : Jean Choux, Espionnage ou la guerre sans armes (1928), Raymond Bernard, Marthe Richard au service de la France (1937). • Adaptation de romans : ceux de Charles Robert-Dumas, portés à l’écran par Pierre Billon, Deuxième Bureau (1935), Léon Mathot, L’Homme à abattre (1936) et Les Loups entre eux (1936), Maurice de Canonge, Capitaine Benoît (1938) ; ceux de Pierre Nord par Félix Gandera Double crime sur la ligne Maginot (1937) et par René Jayet et Robert Bibal Deuxième Bureau contre Kommandantur (1939) ; celui de Jean Bommart, Le Poisson chinois, par Pierre Billon sous le titre La Bataille silencieuse (1937). • Novellisations : roman de Thea von Harbou tiré de son propre scénario réalisé par Fritz Lang, Spione (1928) ; sa novellisation est traduite et publiée la même année sous le titre Les espions. Sœurs d’armes (1938) de Léon Poirier, tiré de son propre film (1937), source des illustrations de la novellisation ; le film est lui-même tiré de La guerre des femmes. Histoire de Louise de Bettignies et de ses compagnes (1924) d’Antoine Rédier. L’Entre-deux-guerres. 17 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. LA GUERRE FROIDE Hésitant retour. Le retour à la paix fonde-t-il un nouveau modèle français pour la fiction d’espionnage ? On a beau tenter l’invention d’un saint patron national (Schulmeister), opérer un retour au familier avec les collections petit format (Mon roman policier ou Le petit roman policier de Férenczi, 078 Service secret de SEG), ou aux anciennes signatures – Jean Bommart, Jean Bardanne, Charles Robert-Dumas, LouisThomas Jurdant, Alfred Machard , Paul Maraudy…–, tenter le pullulement d’éditeurs et de collections éphémères – à Lyon (PuitsPelu, Optic, Audin, la collection Azur-Riviera), Toulouse (STAEL), Marseille (Oris), Monaco (EPMG), Alger, Casablanca, Bruxelles (Notez, Draps, EDIMCO, le Globe) – voire à promouvoir la Résistance dans la littérature-jeunesse (Les enfants de la Lorraine, agents secrets de la Résistance d'Henri d'Alzon, Jean-Paul et France Le Lorrain de Georges Fronval, les collections Les Alliés chez J. Notiez ou Jeunesse héroïque des Éditeurs réunis), ce n’est pas ainsi que le genre reconquiert son autonomie. En fait, qu’il soit ancré dans l’expérience non-fictionnelle de la guerre secrète (Pierre Nord, George Langelaan) ou dans la fiction populaire (Edward Brooker, Maurice Limat), ce ne sera pas un modèle français qui devait servir à la refondation de la fiction d’espionnage – même s’il ne devait pas y être inconnu. La formule de l’avenir, c’est ailleurs qu’elle s’invente, par le truchement de Peter Cheyney. À la fin des années quarante et au début des années cinquante, le modèle du thriller américain « cheyneyisé » reçoit trois interprétations dans le roman d’espionnage français : • La formule du tout-anglo-saxon avec les fausses traductions – comme la série faussement traduite de John Silver Lee, dissimulant deux duos français. La Guerre froide. 18 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. • La formule de la francisation du thriller – Roger Duchesne, Léo Malet, André Héléna ou Frédéric Dard. • La formule des espions américains pourvus d’une French connection – OSS 117 de Jean Bruce. C’est elle qui s’imposera. L’âge d’or des collections. Cette période d’intense crispation Est-Ouest a constitué l’âge d’or du genre si l’on en croit cette chronologie des grandes collections : NDLR : le chiffre indique la quantité de titres de chacune des collections. Fleuve noir, Espionnage, 1904 de 1951 à 1987. L'Arabesque, Espionnage, 622 de 1954 à 1970. Librairie des Champs-Élysées, Le Masque, Dossiers secrets, 19 de 1956 à1957. Librairie des Champs-Élysées, Le Masque, Roman d’espionnage, 33 de 1958 à 1961. Librairie des Champs-Élysées, Le Masque, Espionnage, 19 de 1961 à 1963. Librairie des Champs-Élysées, Le Masque, Espionnage, 15 de 1962 à 1964. Librairie des Champs-Élysées, Le Masque, Service Secret, 37 de 1964 à 1965. Atlantic (Grand Damier), Top Secret, 198 de 1955 à 1962. Les Elfes, Top Secret, 17 en 1963. Galic, Carnets des services secrets, 65 de 1961 à 1964. Galic, Contre-espionnage, 21 de 1961 à 1962. La Guerre froide. 19 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. Presses noires, Espionnage, 176 de 1964 à 1970. Eurédif, Espionnage, 33 de 1970 à 1972. Presses internationales, Jet Espionnage, 73 de 1959 à 1965. Presses internationales, Choc Espionnage, 23 de 1962 à 1963. Presses internationales, Inter-Espionnage, 210 de 1964 à 1971. Presses internationales, Inter Choc Espionnage, 19 de 1964 à 1965. Fayard, L'aventure de notre temps, 42 de 1956 à 1965. Flammarion, Agent secret, 31 de 1964 à 1966. L’Aventure de notre temps (Fayard) ne publie qu’un seul auteur, Pierre Nord, ex-officier, déjà connu dès les années 30 et lui-même praticien spionspiel. Alors que le roman d’espionnage n’y était qu’occasionnel avantguerre, Le Masque décide de créer des collections spécialisées. Collections essentiellement alimentées par des auteurs français, cherchant de nouvelles formules – avec héroïnes, écriture humoristique, voire les deux : Charles Exbrayat, Pierre Jardin (alias Michel Durafour), Cornil Marcus (alias Raymond Lasuye)… Ce n’est que progressivement que les Presses de la Cité séparent l’espionnage en une collection distincte, pour répondre au succès de la série de Jean Bruce OSS 117 : • 24 millions de copies vendues pour l’ensemble des 87 titres. • OSS 117 survit à son créateur, dans 143 volumes (1966-1985) signés J. Bruce (J. pour Josette, l’épouse de Bruce) et 24 (1987-92) par leurs enfants François et Martine. C’est Espionnage (Fleuve noir) qui aura la plus grande longévité avec ses 1904 titres. La collection recourt surtout à des héros sériels, inlassables et hebdomadaires, défenseurs de l’Occident contre de malfaisants La Guerre froide. 20 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. agents soviétiques, des agents doubles et des concitoyens naïfs ou pollués par l’idéologie (autre nom du communisme, auquel seul le bon sens partagé par auteurs et lecteurs s’opposait) : • • • • • • • • • Mr Suzuki de Jean-Pierre Conty. Face d’Ange d’Adam Saint-Moore. Alex Glenne de M.G. Braun. Calone d’Alain Page. TTX 75 de Richard Caron. Bonder de Marc Revest. le Délégué de Pierre Courcel. Gérard Lecomte KB-09 de F. H. Ribes. Kristian Fowey de Marc Arno. À l’autre extrémité du spectre du succès, voici la chronologie des petites, voire minuscules, collections : Étoile, Série Choc, 6 de 1949 à 1959. Champ de Mars, coll. Moulin noir, 18 de 1959 à 1962. C.P.E., Agent spécial, 13 de 1952 à 1953. C.P.E., Guerre secrète, 4 en 1955. C.P.E., Le roman d'espionnage, 8 en 1955. Le Trotteur, Espions et agents secrets, 25 de 1952 à 1954. Flamme d’or, Missions secrètes, 20 de 1952 à 1953. Roger Séban, Espionnage-Aventures-Police, 18 de 1953 à 1958. Nouvelles presses mondiales, Contre-espionnage, 5 de 1954 à 1955. La Seine, Espions, 8 de 1955 à 1956. La Seine, Agents secret contre X, 8 en 1956. Thill, Espionnage, 4 en 1956. Thill, Stop Espionnage, 4 en 1956. La Guerre froide. 21 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. Thill, Le Loup, 4 en 1956. Marcel Dauchy, Espionnage / Rouge et Noir, 4 en 1957. Gerfaut, Chut espionnage, 8 de 1957 à 1959. Gerfaut, Espionnage, 8 de 1963 à 1964. Gerfaut, Espionnage, 30 de 1967 à 1969. Le Cobra, Espionnage, 6 de 1959 à 1960. Au milieu du spectre se trouvent des collections génériquement éclectiques, publiant de l’espionnage, certes, mais parmi des titres policiers : La Chouette (Ditis), la Série noire (Gallimard) et Un Mystère (Presses de la Cité). Déjà largement consacrée à la traduction de thrillers américains, la Série noire n’en publie pas moins une poignée d’auteurs français d’espionnage, à commencer par la série du Gorille d’Antoine L. Dominique : • 50 titres entre 1954 et 1961. • Certains adaptés à l’écran, par Bernard Borderie – Le Gorille vous salue bien (1958) et La Valse du Gorille (1959). • Et par Maurice Labro – Le Gorille a mordu l’archevêque (1962). • En 1990 Le Gorille allait devenir aussi une série télévisée de 13 épisodes. Aux Presses de la Cité, la collection Un Mystère adopte une stratégie inverse de celle présidant à ses romans policiers. Traduction d’auteurs anglais et américains pour ces derniers, contre auteurs surtout français pour l’espionnage (Jean Bruce, Jean-Pierre Conty, G. Morris, Michel Lebrun, Alain Yaouanc, Michel Carnal…) – ce qui ne doit pas faire oublier Peter Cheyney. Le mot espionnage n’apparaissait d’abord qu’occasionnellement en première de couverture avant d’y figurer de manière plus consistante pour refléter adéquatement le contenu des romans. La Guerre froide. 22 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. Sur fond de collection, la série et son héros récurrent constituent la principale forme de reconnaissance, de consécration. Mais pas la seule, puisque reconnaissance internationale, reconnaissance institutionnelle, reconnaissance commerciale ou reconnaissance intermédiatique peuvent singulariser certaines œuvres. Si l’on excepte OSS 117, traduit en 17 langues, la fiction d’espionnage n’a certes guère bénéficié ni de traductions (reconnaissance par des cultures étrangères, alors que certaines collections françaises traduisaient abondamment), ni de prix (reconnaissance par l’institution). Toutefois, même dans une collection apparemment homogène comme celle du Fleuve noir, quatre séries s’imposaient par leurs ventes (reconnaissance par le lectorat) : • • • • Gaunce. L’équipe polycéphale de Rank. Coplan. L’Agent spécial. Et en matière d’adaptation pour l’écran (reconnaissance intermédiatique), le cinéma français de la période puisait presque exclusivement dans la production romanesque : 1950-1962 Qté adaptations 1950 1 1 1951 2 2 1955 2 2 1956 3 2 1957 3 3 1958 2 2 1959 4 4 1960 1 1961 2 1 1962 1 1 Au moment de la Guerre froide, des grands producteurs de fictions d’espionnage, les États-Unis, l’Angleterre et la France, seule cette dernière a directement affaire avec la montée en puissance d’un parti communiste. Non pas une puissance armée, puisque en 1944, le Parti communiste français a accepté le désarmement de ses milices ; mais une puissance politique (aux élections de 1945, 26 % du vote et 159 députés) qui participe au gouvernement jusqu’en 1947 et la Guerre d’Indochine. Grève quasi-insurrectionnelle de 1947, coup de Prague en 1948 : même si les communistes jouent le jeu électoral, leur loyauté nationale est suspectée, possible, voire probable ennemi intérieur dans cette guerre entre Blocs. La La Guerre froide. 23 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. résurgence de la fiction d’espionnage se fonde sur un anticommunisme nationaliste populaire. Après les années sombres de l’Occupation et de la Collaboration, cette idéologie ne trouvait qu’une diffuse expression politique dans le cadre d’une IVe République gouvernée au centre du spectre politique par socialistes ou socio-démocrates. La franche bipolarisation n’arrive qu’avec la constitution de la Ve République. À défaut d’expression politique (le Front national n’arrivera à jouer ce rôle qu’à partir de 1987), cette idéologie trouve une représentation dans un genre fictionnel dont l’inspiration puise largement (mais pas uniquement) dans l’anticommunisme, le racisme et l’élitisme. Dans la culture médiatique de l’âge d’or des séries d’espionnage, ni la radio, ni la télévision, ni la BD n’ont significativement participé au développement du genre. Bien peu d’adaptations, même si on peut relever : • Le feuilleton radio hebdomadaire OSS 117 sur Europe 1 en 1962 – Bruce y présentait l’épisode de la semaine et discutait avec l’acteur jouant le rôle d’Hubert Bonnisseur de la Bath. • Trois romans de Pierre Nord adaptés en strips quotidiens dans les journaux. Dans la BD, l’espionnage n’avait qu’une présence clignotante : • Ses origines caricaturales chez les Pieds Nickelés de Louis Forton (1916-1917) avaient harnaché l’anarchisme du trio de malfrats pour le mettre au service de l’effort de guerre. • On ne trouve pas souvent le genre dans un média alors largement destiné à la jeunesse, ce qui rend Sogny (1939-1942) d’autant plus remarquable dans Le Journal de Mickey. • L’espionnage de la Guerre froide trouve à s’immiscer occasionnellement dans des séries ne relevant pas du genre, comme L'Affaire Tournesol (1956) d’Hergé ou Ling l'espion (1960) dans Garry, la série de guerre de Félix Molinari… • Bien peu d’espions professionnels apparaissent dans les albums de la ligne claire. Et dans la série Blake et Mortimer d’Edgar P. Jacobs (7 titres mais 9 albums dûs à l’auteur lui-même La Guerre froide. 24 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. entre 1950 et 1967, plus deux volumes de Bob de Moor), Blake, agent du MI5, doit non seulement partager la vedette avec un scientifique, Mortimer, mais aussi combattre Olrik dont la malveillance est moins redevable à la guerre secrète de l’époque qu’à la SF. • C’est inspirés par la télésérie britannique The Avengers qu’André-Paul Duchâteau et Jean Van Hamme (sc.) et Géri (ill.) essaient une approche plus légère avec Mr Magellan, une série de 5 titres (1970-1975). • La politique d’adaptation d’Artima se fonde plus sur une décision d’affaires (étendre les ventes de séries des Presses de la Cité à des non-lecteurs) qu’à un choix esthétique. À la télévision, c’est tardivement et dans une série courte mais étirée que les premiers héros sériels allaient faire leur apparition : • Les 10 épisodes de Commandant X (1962-1965) de Jacques Antériou et Guillaume Hanoteau. La crise 007 James Bond contre Dr. No (1962) rapporte au box-office français presque 5 fois ses coûts de production. Un tel succès affecte non seulement la carrière cinématographique de 007 (avec ses hauts et ses bas, il règne sur le cinéma d’espionnage bien au-delà de l’effondrement du bloc soviétique), mais aussi l’évolution de l’industrie culturelle. Coproductions continentales, parodies ou imitations, auxquelles participent des producteurs, des scénaristes ou des acteurs français. De 1 à 4 par an, le nombre de films relevant du genre bondit durant la spy craze de 1963-67 : Qté adaptation novellisation La Guerre froide. 1963 5 5 1964 10 2 2 1965 17 5 1966 14 9 1967 7 3 25 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. On assiste surtout à une baisse du lectorat de romans d’espionnage. À la baisse générale du lectorat s’ajoute ce qui semble être le déplacement de ce qu’il en reste de la guerre secrète vers le roman de guerre (Baroud, Feu, Gerfaut…) Dans les années 70, toutes les petites collections d’espionnage auront disparu. Espionnage (Presses noires) a beau changer son apparence et devenir Espionnage (Eurédif), rien n’y fait. À la fin des années 60, la Série noire diversifie son espionnage, mais il y reste très minoritaire : • • • • Triste fin de la carrière de Jean Bommard. André Gex. Jean Delion. Inhabituel et pessimiste scepticisme de Francis Ryck. Les Presses de la Cité réagissent au nouveau contexte par la collection Espiorama, les auteurs reçoivent des instructions plus serrées, mais rien n’y fait. Le Fleuve noir s’en sort mieux. Les couvertures identifient plus explicitement les séries, les anciennes comme : • Gaunce et Tamara de Serge Laforest. • Francis Coplan de Paul Kenny (plus tard FX18, K, Paul Kenny). • Les confusionnantes mutations de Claude Rank avec Combat de l'ombre, Force M, Série Force M, Le monde en marche, Priorité rouge. Et des nouvelles : • Depuis le flop (2 volumes) de Lieutenant ZAC de Robert Travis (1996). • Jusqu’au succès relatif du burlesque Espiomatic (102 volumes, de Vic Saint-Val alias Gilles Morris-Dumoulin, 1970-1979). • En passant par deux séries James Bond (13 volumes en 197982, et 12 en 1996-1997). La Guerre froide. 26 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. Mais, dans l’esprit du temps, on demande aux auteurs d’aborder des thèmes plus à gauche. Si l’on excepte G. J. Arnaud, critique de la politique internationale US depuis le golpe de Pinochet en 1973, ces romanciers droitiers ne s’avèrent guère convaincants et le lectorat ne suit pas. La collection ne sait pas renouveler son inspiration, et finalement l’éditeur jette l’éponge en 1987. Initialement, Plon avait fondé sa collection Espionnage pour accueillir James Bond et 6 séries françaises ; mais le succès du SAS de Gérard de Villiers amène à redessiner le concept : 007 part ailleurs, Espionnage garde les séries (pas longtemps) et SAS s’autonomise. La signature et le très reconnaissable logo vont passer, inchangés, à travers plusieurs configurations commerciales et presque cinq décennies, un record. Son Altesse Sérénissime Malko Linge, authentique prince autrichien travaille en freelance pour la CIA afin de retaper son château. Il a commencé à défendre l’Occident en 1965 et y est encore. Gérard de Villiers (1929-2013) a été le prolifique survivant d’un état passé du genre : plus de 200 titres en 2013, 5 par an, 200 000 exemplaires chacun. Jusqu’à la chute du mur de Berlin, la fiction d’espionnage sérielle française s’était réduite à ce noyau, la seule série-collection SAS. SAS n’a pas inventé la série-collection ; mais son succès a poussé d’autres éditeurs à émuler la formule, sans grand succès. SAS est traduit en Allemagne, en Russie, en Turquie, au Japon. Il a suscité deux films, des parodies, quelques BD. Pourquoi tant insister sur l’industrie culturelle pour évoquer l’évolution du genre ? Parce que, de la Guerre froide à la fin de la détente, l’âge d’or du roman d’espionnage français est fortement marqué par son mode de production sérialisé : héros éponymes, collections spécialisées, signatures reconnus par les aficionados, reconnaissance trouvée dans la sérialisation et pas chez les prescripteurs culturels ; les best-sellers individuels sont rares, et le genre méprisé par l’institution littéraire. Parce que, du point de vue du genre, 1962 a moins été le début de la détente que celui de 007, et que 1966, date du retrait français de l’OTAN, s’est avéré La Guerre froide. 27 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. moins significatif que 1969, date de la disparition de la majorité des collections. Pour son lectorat, la pertinence sociale du genre dépasse la pertinence politique qu’il s’arroge. La Guerre froide. 28 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. UNE NOUVELLE CONFIGURATION La survie de SAS ne doit pas masquer la quasidisparition des collections en format de poche spécialisées. En fait, la nouvelle configuration de la fiction d’espionnage pourrait se synthétiser en quelques grandes tendances : un développement en silo de chaque média assez pauvre en adaptations, une nouvelle diversité en matière de formats, de sociologie des auteurs, une nouvelle diversité en matière de narration, un élargissement en direction de la littérature générale. Et après les collections ? Si les collections disparaissent, que deviennent les séries ? Dans la génération de cette reconfiguration, Henri Coupon, Éric Laurent ou Antoine Bello tentent de maintenir une production sérialisée (même éditeur, même signature, même héros) ; mais leur succès est bien plus modeste que celui de de Villiers. Ces séries courtes partent dans deux directions : • Percy Kemp, Guillaume Lebeau, et Philippe Cavalier proposent une forte intégration narrative de leurs séries (trilogie, tétralogie). • Contrairement à Bernard Besson et Daniel Hervouët (même éditeur, même signature, mais pas le même héros), Jean-Paul Jody (même signature, même héros mais pas le même éditeur), Jean-Marie Albert, Yves Bonnet et Vincent Crouzet (même signature, mais de nombreux éditeurs et pas le même héros). Une nouvelle configuration. 29 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. • Par ailleurs, ce n’est qu’occasionnellement qu’un romancier à succès comme Jean-Loup Sulitzer verse dans l’espionnage. Fréquemment, dans la fiction elle-même, c’est le récit qui se refuse à la sérialisation : • Ainsi, telle une fugue musicale d’amour et d’espionnage, Le Violon d’Hitler (2008) d’Igal Shamir tresse la résolution d’une énigme politique et musicologique et la lente constitution d’un couple. Si l’énigme trouve bien sa solution, l’histoire d’amour tourne court : l’espionne est tuée en mission et la conclusion ne laisse guère de doute sur le tragique destin attendant le héros violoniste virtuose et exespion. BD, TV : intégration de l’espion à la culture médiatique ? Le roman d’espionnage continue à n’être que faiblement intégré dans la culture médiatique, ce qui a pour conséquence que le roman sériel de la phase précédente n’est remplacé ni par la BD, ni par la télévision, ni par le cinéma ou les jeux. En comparaison avec les créateurs italiens traduits, Pratt, Giardino, Micheluzzi, Dal Pra’ et Torti, qui n’hésitent pas à mettre en vedette des espions professionnels, la BD franco-belge semble bien timide. Jusque dans les années 80, l’esprit des années 70 propose des alternatives à la BD d’espionnage pour la jeunesse : Une nouvelle configuration. 30 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. • Parodies – comme la série Les aventures de la James du Tiers-Monde de Françoise Prévost et Georges Pichard (1975), SAR, Son Altesse Rarissime d’Alain Krief (1982). • Érotisme – comme L’Inconnu de Hong-Kong de la série Scarlett Dream de Claude Moliterni et Robert Gigi (1979), la série Félina de Victor Mora et Annie Goetzinger (1979-1986). • Esthétique échappant à la ligne claire – comme la série Les Aventures de Brian et Alvès de Frédéric Charpier (un journaliste qui devait beaucoup écrire sur l’histoire secrète) et José Abel (1984). • Essais sans lendemain – comme Le Tombeau de l’ombre de L.E. Garcia (1980), Une Valise pour Jupiter G. Bouchard (1982). Selon une formule éprouvée, une synthèse de la ligne claire et de l’espionnage pour un lectorat plus adulte rencontre un (modeste) succès en se glissant dans des séries établies : • Lloyd d’Antoine Andrieu et Philippe Berthet. • Une aventure de Condor de Jean-Pierre Autheman et Dominique Rousseau. • Jenny Jones de Martin Lodewijk et Eric Heuvel. • s (1986) dans lequel le scénariste Marc Barcelo fait prendre une intéressante tournure espionnage à la série de Jean-Louis Tripp Une aventure de Jacques Gallard. L’espion de métier sérialisé ne s’impose pas tout de suite. Mais il ne perd rien pour attendre : • Stone (1984-1986) de Jan Bucquoy l’illustratrice Marianne Duvivier ouvre la voie. et Une nouvelle configuration. 31 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. • Dans une veine paranoïde, inspiré par la trilogie Bourne de Ludlum, la série XIII de Jean Van Hamme (sc.) et William Vance (ill.) (1984-2007) qui rencontre le plus grand succès – 19 albums, plus 1 ajouté par Yves Sente (sc.) et Youri Jigounov en 2011, un autre plus ou moins directement lié à l’intrigue principale en 2004, par Van Hamme (sc.) et Jigounov (ill.) et, depuis 2008, XIII Mystery, de 4 albums et une préquelle développant le passé de quelques personnages de la série originale est toujours en cours. • Un tel succès ne passe pas inaperçu. Pascal Renard (sc.) lance en 1997 Alpha, série développant un univers de Russie post-soviét que (suite à la mort de Renard après 2 volumes, Mythic écrit 7 autres titres, toujours dessinés par Jigounov, et ce dernier en scénarise un autre en 2009). • Associé à un autre dessinateur, Philippe Aymond, Van Hamme développe une série d’espionne-malgréelle à partir de 2004, Lady S. • Quant à Tarek, il fait suivre son cycle de guerre de 3 albums Sir Arthur Benton par un second cycle de 3 albums couvrant la période du procès de Nuremberg à la mort de Staline, ce dernier illustré par Vincent Pompetti. Aux débuts de la télévision, les séries d’espionnage américaines étaient absentes des écrans français ; il leur faudra partager la vedette avec les séries britanniques lors de la spy craze : • La formule <humour + hédonisme + gadgets> est commune à Des agents très spéciaux de Norman Felton et Sam Rolfe (105 épisodes) et à Chapeau melon et botte de cuir de Sydney Newman et Leonard White (161 épisodes) – diffusés à partir de 1967. Mission Impossible Une nouvelle configuration. 32 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. de Bruce Geller (171 épisodes) retient, elle, la formule < professionnalisme + gadgets> et Max la Menace de Peter Segal (138 épisodes) la formule <parodie des gadgets et du professionnalisme>. Quant aux séries françaises, leur succès reste modeste, et l’adaptation peu fréquente : • Les Atomistes de Léonard Keigel (26 épisodes, sur la Première chaîne). • L’humoristique Espionne et tais-toi de Claude Boissol (13 épisodes, 1986-1989, sur Antenne 2). • Coplan adapté de la série de Paul Kenny par différents réalisateurs (6 épisodes, 1989-1991, sur Antenne 2). En contraste, le cinéma… Le cinéma puise plus régulièrement son inspiration dans l’univers de l’espionnage. L’adaptation reste même importante dans la période qui a succédé à la spy craze : Qté Adaptations 1 9 6 8 3 1 19 68 19 70 19 71 19 72 19 73 19 78 19 79 19 80 19 81 19 84 19 89 1 1 1 1 1 3 3 1 2 1 1 1 1 1 2 1 3 1 1 1 • L’Orchestre rouge (1989) de Jacques Rouffio adapte l’ouvrage non-fictionnel de Gilles Perrault paru deux décennies auparavant. Une nouvelle configuration. 33 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. • L’Affaire Farewell (2009) de Christian Carion adapte Bonjour Farewell. La vérité sur la taupe française du KGB (1997) de Serguei Kostine paru 12 ans plus tôt. Une Affaire d’État (2009) d’Éric Valette adapte le roman de Dominique Manotti Nos fantastiques années fric (2001). • Imogène McCarthery (2010) d’Alexandre Charlot et Franck Magnier adapte le premier d’une série humoristique d’Exbrayat (Ne vous fâchez pas Imogène ! 1959). Six remakes sont tirés de films français contre un remake français de film américain : • Nikita (1990) de Luc Besson inspire Stephen Shin à Hong Kong et John Badham aux USA, sans parler des deux téléséries (une canadienne et l’autre américaine). • La Totale (1991) de Claude Zidi inspire True Lies (1994) de James Cameron. • Anthony Zimmer (2005) de Jérôme Salle inspire The Tourist (2010) de Florian Henckel von Donnersmarck. • En revanche, Double zéro (2003) de Gérard Pirès est un remake de Spies Like Us (1985) de John Landis. Réédition et suites singularisent occasionnellement tel roman, telle BD, alors que les novellisations restent rares : • Réédition dans un nouveau format comme Alpha, Intégrale : Un agent à Moscou (2005). • Préquelles de XIII Mystery. • Seul Olivier Douyère, qui avait scénarisé le film de Frédéric Schoendoerffer Agents secrets (2003), tire un roman de son propre scénario. Une nouvelle configuration. 34 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. Un Changement de la garde Si l’on compare avec le groupe des écrivains sociologiquement homogène de la période précédente étudiés par Érik Neveu dans L'Idéologie dans le roman d'espionnage (1985), le paysage du genre a beaucoup changé. Le roman d’espionnage a toujours ses idéologues (mais l’idéologie change), ses journalistes, ses spécialistes de la guerre secrète ; mais il gagne aussi des universitaires : • Les fictions de Clément Weill-Raynal (2006) et Pierre Rehov (2008) s’avèrent moins simplistes, moins stridentes que leurs déclarations publiques antipalestiniennes. • Alors que les romans de Jean-Pierre Perrin (2006) ou Edmond Zuchelli (2008) ne tirent pas trop des carrières des romanciers (vie aventureuse en Afghanistan pour l’un, dans les médias pour l’autre), la série Commissaire Martucci d’Yves Mamou profite de l’expérience de l’auteur, journaliste économique au Monde. Olivier Weber et Michel Crespy sont journalistes et universitaires. L’un est correspondant de guerre (The Sunday Times, The Guardian, Libération, Le Point…) ; il a beaucoup publié sur les guérillas (Tamouls, Karens et Shans, FPLE en Erythrée, Front Polisario au Maroc, talibans, rebelles tchétchènes, SPLA au Soudan, Khmers rouges, maquis anti-Saddam, fondamentalistes kashmiri, peshmergas). L’autre préfère la politiquefiction. Après une carrière de journaliste (AFP, FranceSoir, Géo, Paris-Match), la fiction de Patrick Hutin laisse transparaître son scepticisme quant à l’espionnage. Une nouvelle configuration. 35 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. • Bernard Besson est membre du Secrétariat général de la Défense et de la sécurité nationale, exdirecteur de la Police des jeux. Yves Bonnet a dirigé la DST et fondé le Centre international de recherches et d’études sur le terrorisme et l’aide aux victimes du terrorisme. Ex-militaire et connaisseur d’histoire des religions, Jean-Marie Albert entremêle ces deux domaines dans ses romans. Claude Thévenet, exenquêteur à la DST a pour héros un ex-enquêteur à la DST. Les compétences aérospatiales d’Éric Dautriat ou de recherche sur les économies souterraines de Michel Koutouzis profitent à leurs romans. Prolifique, polyglotte, consultant en Études tactiques du MoyenOrient, Percy Kemp vend de l’information à des intérêts privés. • Tous ces spécialistes n’empêchent pas des romanciers plus insolites. Comme Éric Laurent qui à ses best-sellers sur des sujets politiques, tresse des romans d’espionnage depuis 1988, passant de l’ambitieux KarlMarx avenue (1987) à la série Seth Colton. Ou comme Jean-Jacques Reboux, poète, pamphlétaire, éditeur en délicatesse avec l’Opus Dei. En comparaison avec la minuscule minorité de romancières de l’époque précédente (Josette et Martine Bruce écrivaient une série, mais Rita Kraus, Sylvette Cabrisseau n’ont contribué qu’occasionnellement au genre, Monique Henry et Anne-Mariel cosignaient avec un homme, Anne Gatineau se cachait derrière une signature masculine, Mike Cooper…), leur pourcentage est aujourd’hui plus important, leurs profils plus diversifiés : • Claude d’Abzac, docteur en histoire, travaille au Centre d’études d’histoire de la Défense. Catherine Une nouvelle configuration. 36 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. Fradier est ex-barmaid, ex-policière, ex-vendeuse. Corinne Evens se consacre au Musée de l’histoire des Juifs polonais à Varsovie, Anne Rambach à l’activisme gay, Stéphanie Benson à la littérature jeunesse, Elena Arseneva à sa série sur les enquêtes du boyard Artem dans la Russie médiévale, Christine Kerdellant à l’Entreprise et au Figaro Magazine. • La situation est moins différente au cinéma et en BD où les femmes sont relativement peu nombreuses, comme scénaristes ou réalisatrices au cinéma, comme scénaristes ou dessinatrices en BD. Aucune n’a réalisé de film d’espionnage. Marianne Duvivier dessine les scénarios de Bucquoy pour Stone, Natacha ceux de Crisse pour Les Ombres du passé (1986), Annie Goetzinger ceux de Victor Mora pour la série Félina et de Pierre Christin pour Le Poisson rouge (2004). Toutefois la série Les aventures de la James du Tiers-Monde dessinée par Georges Pichard est écrite par Françoise Prévost et la série KGB dessinée par Malo Kerfriden, est écrite par Valérie Mangin. Même si les importations anglo-saxonnes dominent, on constate aussi une importante diversification dans l’origine des traductions, voire dans les profils interculturels des auteurs : • Certains remplissent le vieux moule de la série : Richard Sapir et Warren Murphy, Mark Burnell, George Chesbro, Paul Eddy, Andy McNab. D’autres ont un héros récurrent mais pas toujours : Barry Eisler avec John Rain, Allan Folsom avec John Barron, Jack Higgins avec Sean Dillon, Daniel Silva avec Gabriel Allon, Robert Ludlum et ses franchises… • Une signature connue fidèle à un même éditeur publicise la spécialisation de l’auteur : James Grady Une nouvelle configuration. 37 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. chez Rivage, Henry Porter chez Balland et CalmannLevy, Olen Steinhauer surtout chez Liana Lévi, David Baldacci surtout chez Belfond, tout comme Joseph Kanon, Nelson De Mille surtout chez Michel Lafon. Contrairement à David Ignatius, Charles McCarry, Christopher Reich dont chaque roman paraît chez un autre éditeur. Certaines signatures sont bien connues, voire reconnues : John Le Carré, Robert Littell, Ken Follett, Frederick Forsyth, Ian Rankin, Philip Kerr. D’autres sont encore riches de promesses ; ainsi, seuls cinq des romans policiers historiques d’Alan Furst sur dix sont traduits. • Belén Ruiz de Gopegui et Alicia Dujovne-Ortiz sont traduits de l’espagnol, Leif Davidsen du danois, Arnaldur Indridason de l’islandais, Angel Wagenstein et Alex Popov du bulgare, Pavel Vilikovský du slovaque, Alexandre Zviaguintsev du russe… • Du point de vue thématique, nonobstant l’insistance des éditeurs à traduire des thèmes clichés sans grande pertinence pour un lectorat français, comme la énième tentative contre la vie du président américain, le cliché lui-même peut redevenir une situation fraîche quand, comme dans Madame la Présidente (2009 [2006]) d’Anne Holt (elle-même exministre de la Justice), l’affaire devient norvégienne. Et dans l’autre sens, des auteurs américains comme Olen Steinhauer ou Alan Furst réussissent à donner un authentique point de vue de l’ennemi, pour faire saisir non seulement ses choix politiques mais aussi la phénoménologie de sa situation. • Quant aux profils interculturels des auteurs, en voici un bouquet. Nicolas Verdan est publié en Suisse et Jean-Jacques Pelletier au Québec. Lionel Noël, né en Belgique, vit et publie au Québec; le romancier JeanHugues Oppel et le bédéiste Daniel Ceppi sont Suisses Une nouvelle configuration. 38 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. mais publient en France, contrairement aux Suisses Dominique Willemin et Sébastien Pet publiés à Genève. Né en France, Patrick de Friberg vit au Québec, est publié dans les deux pays et signe aussi Mornevert. Percy Kemp est né à Beyrouth d’une mère Libanaise et un père Britannique; Corinne Evens en Belgique d’une mère Polonaise et un père Flamand, Elena Arseneva en Russie d’une mère Russe et un père Italien – elle vit à Paris. Tout comme Stéphanie Benson, qui elle est née à Londres. Traduit du russe, Boris Akounine est assez interculturel en lui-même : de père Georgien, de mère juive russe, il vit à Moscou où il enseigne la culture japonaise. De même, Nury Vittachi, traduit de l’anglais, est né au Sri Lanka, vit à Hong Kong, est maître de fengshui. Christopher Gérard né à New York est un journaliste et romancier belge de droite, néo-païen. Igal Shamir est né à Tel-Aviv et vit à Paris; Pierre Rehov à Alger et vit aux USA; Michèle Mazel est l’épouse d’un ambassadeur israélien; tous écrivent en français et thématisent leur propre interculturalité dans leurs fictions. En revanche, Robert Littell, né à New York dans une famille juive lithuanienne et qui partage sa vie entre USA et France, n’écrit pas français ni n’écrit sur la France. On constate aussi une diversification du mode de narration. À l’époque des collections spécialisées, les histoires étaient massivement contemporaines (écrivains, lecteur et personnages partageant grosso modo le même temps). Si la forme du commentaire sur les aléas du temps présent reste dominante, elle doit partager la vedette avec trois autres rendus du temps : prospectif, rétrospectif et intriqué. Une nouvelle configuration. 39 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. Otages pris dans un théâtre moscovite par un commando tchétchène, criminels en col blanc, détournement de la recherche scientifique, délit d’initiés sur une ressource vitale au Moyen-Orient, génocide rwandais… : les thèmes des romans continuent à être inspirés par les nouvelles internationales. La fiction se présente comme la narration paradoxale d’une vérité qu’elle décrit mieux que les médias, ou dont elle ose dénoncer les causes cachées : • (2003) (2003) (2004) Les exemples renvoient à La Tête du cobra de Vincent Crouzet, Les Eaux d’Hamourabi de Bernard Besson et La Position du Missionnaire de Jean-Paul Jody. L’anticipation peut s’avérer plus ou moins marquée, plus ou moins précise, voire le céder à l’uchronie : • Alors que l’histoire de chacun des volumes de la trilogie de Guillaume Lebeau, Pentagone (2007), Hexagone (2008) et Trigone (2010) n’anticipe que de très peu par rapport à leurs années de parution, Michel Crespy situe son thriller politique rejouant Caïn et Abel, L’Affaire Léopold (2007), vingt ans après la date de parution, en 2027. • Les six volumes de la série EPICUR de Stéphanie Benson se déroulent aussi dans les années 2020 ; tout comme Les Allumettes de la sacristie (1998) de Willy Deweert. • En BD, Avant guerre (1985) de Guillaume Faye, Jean-Marc et Eric Simon, est une classique anticipation. En revanche, J'ai épousé une communiste (2003) de Willemin et Pet est une uchronie rétrospective : l’affaire se passe en dans une Confédération helvétique du côté du Pacte de Varsovie, en 1963, le scénariste et Une nouvelle configuration. 40 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. acteur d’une télésérie à succès prévoit narrativement l’assassinat de Kennedy… C’est toutefois la montée en puissance du roman d’espionnage historique, rétrospectif, qui se remarque le mieux : • Retour sur la Guerre froide, modeste toutefois : distance ironique de OSS117 : Le Caire, nid d’espions (2006) de Michel Hazanavicius ; BD du second cycle de la série Pin-up de Berthet et Yann (1998, 1999, 2000) explicitement inspiré de Milton Caniff, série KGB (20062010) de Valérie Mangin (sc.) et Malo Kerfriden (ill.). • Retour plus insistant sur la Seconde Guerre mondiale : romans de Patrick Rotman L’Âme au poing (2004), de Joseph Bialot 186 marches vers les nuages (2009), de Claude d’Abzac Opération Cyclope (2010), de Jean d’Aillon Juliette et les Cézanne (2010)… ; BD de Stéphane Perger et Tarek avec la série Sir Arthur Benton (2005-2006), de René Sterne avec la série Adler (1987-2003). • Accroissement du nombre de périodes historiques visitées, tendance soutenue par les romans en traduction : o La Guerre de 14 – la série BD La Croix de Cazenac de Pierre Boisserie (sc.) et Éric Stalner (ill.) les romans Vert et florissant (2005) de Pavel Vilikovský et Zanzibar 14 (2008) de Jean-Jacques Langendorf. o La Révolution bolchévique – la BD de Crisse et Natacha, Les Ombres du passé (1986) ; o Les années 30 – le film d’Éric Rohmer Triple agent (2004) ; la tétralogie de Philippe Cavalier Le Siècle des chimères (2005-2008). Une nouvelle configuration. 41 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. o 1756 et les Lumières pour L’Homme de jade : un roman d’espionnage (2001) de Jacques Baudouin ; 1643 et les négociations pour mettre fin à la Guerre de Trente ans pour pour Jean d’Aillon La Conjecture de Fermat (2006) ; relations entre Bogomils et Cathares dans L’Épopée du livre sacré (1999) d’Anton Dontchev ; croisade des Albigeois au XIIIe siècle pour L’Espion du pape (2009) de Philippe Madral et François Migeat. o On traduit aussi La Spirale (2005 [2004]) de Gayle Lynds, L’Homme du bunker (2005 [2003]) de Jack Higgins, Le Roi de la soie (2006 [2002]) de Francine Mathews, La Variante Istanbul (2010 [2007]) d’Olen Steinhauer, L’Affaire Crownhill (2009) de Georges et Corinne Evens, Le Silence des héros (2007 [2005]) de Scott Turow, La Femme de Bratislava (2006 [2001]) de Leif Davidsen. • Parfois, la relation entre le présent et le passé est organiquement thématisée par une fiction qui les entremêle : o La BD d’Isabelle Kreitz L’Espion de Staline. o Après moi, Hiroshima (2001) de Franck Pavloff, Le Vengeur (2003 [2003]) de Frederick Forsyth. o Les romans-choral de Robert Littell La Compagnie : le grand roman de la CIA (2003 [2002]) et de Hédi Kaddour Waltenberg (2005). Enfin, l’espionnage longtemps délaissé par les Belleslettres à la culture médiatique, semble gagner en légitimité culturelle : • Jean-Christophe Ruffin ne contribue peut-être que très occasionnellement au genre, il n’en est pas moins membre de l’Académie française. Anne Parillaud, Une nouvelle configuration. 42 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. la Nikita d’Arnaud Despléchin (et Luc Besson), a remporté le César de la meilleure actrice et Emmanuel Salinger celui du meilleur jeune espoir masculin en 1991 ; Nicolas Saada, le Prix Louis Delluc du meilleur premier film pour Espion(s) (2009) ; Jean-Paul Jody, le Grand prix du Festival de Cognac pour La Position du missionnaire (2004) ; DOA le Grand Prix de littérature policière pour Citoyens clandestins (2007) ; Nicolas Verdan, le Prix Schiller et le Prix du public de la RTS pour Le Patient du Dr Hirschfeld (2011). Le premier cycle de la série BD Sir Arthur Benton a valu plusieurs prix à Tarek et Perger. • Style impeccable, biculturalisme franco-russe, carrière dans le renseignement et forte inspiration mystique : Le Retournement (1979) de Vladimir Volkoff, par son titre et son histoire superpose guerre secrète et conversion religieuse. Ce succès est suivi de celui d’une histoire de désinformation, Le Montage (1982). Encore plus ambitieux, sous forme de roman-choral, Waltenberg (2005) d’Hédi Kaddour, cette histoire secrète du XXe siècle sous l’angle d’une opération d’infiltration profonde relisant le Faust de Goethe, paru dans la prestigieuse Collection Blanche de Gallimard est aussitôt traduit (en anglais, en allemand), primé, commenté par des universitaires. Une nouvelle configuration. 43 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. DEMAIN ? Génériquement étriquée si on la compare à des genres apparentés, initialement modeste dans l’institution littéraire, voire dans la littérature populaire elle-même où elle n’a acquis son autonomie que très progressivement, connaissant des hauts et des bas, genre dont l’univers semble a priori bien loin des préoccupations immédiates de ses lecteurs et les codes narratifs bien proches de l’aventure ou du policier, politiquement plutôt conservateur (revanchard avant 1914, méfiant à l’endroit de l’Allemagne et des bolchevicks entre-deux-guerres, farouchement anticommuniste depuis la Guerre froide) tout en se montrant composite en intégrant à doses variables du ressentiment et de l’immanentisme libéral, la fiction d’espionnage en est venue à dire des choses touchant au plus intime de son public. Résistance d’une conception du pouvoir d’État comme secret préservé face à l’actuel credo libéral ; envers sombre, pervers, des valeurs de transparence de l’air du temps, du tout-communication ; justification narrative et non argumentative du recours à la tromperie, à la ruse, à la violence pour résoudre les frictions ; rappel d’insécurités fondamentales – l’indécision sur l’allégeance réel de tel ou telle partenaire fait résonner celle des relations amoureuses ; l’indécision sur le statut de vérité des apparences fait résonner celle de nos incompréhensions face au monde, que l’on aimerait réduites, locales, circonscrites. L’action est certes une réponse tranchante à l’indécision, l’espion s’en sort parce qu’il connaît son métier, qu’il a les bons réflexes, qu’il peut dominer toute situation potentiellement menaçante. C’est la Demain ? 44 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. voie de l’optimisme emblématisé par 007, sorte de version benthamienne de l’hédonisme utilitariste – les actions et leurs conséquences sont mesurées au seul critère du bien de la communauté (nationale, politique). La méfiance qui enquête, voire qui soupçonne les apparences, est bien plus pessimiste. Elle met le doigt sur trois névralgies majeures : • L’identité, que l’on croit un socle, s’avère altérable, n’est peut-être qu’apparences trompeuses. • Le seul socle fiable, celui du corps, déjà saisi par la logique de l’action ou par celle de la tromperie, s’avère un piètre coffre-fort à secrets : la torture sait le forcer – que la maxime machiavélienne de la fin et des moyens ait été rendue explicite ou pas. • La sécurité trouvée sous la protection de l’État, dont la raison serait la fin justifiant tous les moyens, s’avère rongée par le retournement de la hiérarchie entre fins et moyens : alors que le jeu de l’espionnage fait que les anges de Machiavel ont plus en commun avec leurs collègues ennemis qu’avec les lecteurs de leur propre camp, ils deviennent pour leurs lecteurs les instituteurs d’un soupçon généralisé, d’une suspension du jugement éthique au profit de l’efficience pragmatique, d’un approfondissement de la complexité de ce qu’est le service public et de notre relation à l’État. De plus en plus réduite par les cultures médiatique et numérique aujourd’hui, la fiction d’espionnage serait comme la paradoxale revanche de la littérature. Certes, le romancier peut aspirer son lecteur dans son univers de fiction, le fasciner le temps d’une lecture. Demain ? 45 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. Romancier au carré, l’agent de désinformation, cet intoxicateur, machine la réalité comme une fiction. Emblème de la prochaine fonction de l’État dans l’univers du marché ? Pour en savoir plus : Aronoff, Myron J. The Spy Novels of John le Carré: Balancing Ethics and Politics, New York. St. Martin's, 1999. Atkins, John. The British Spy Novel: Treachery, London, John Calder, 1984. Styles in Barley, Tony. Taking Sides: The Fiction of John le Carré, Milton Keybes and Philadelphia, Open University Press, 1986. Baudus, Florence de. Le Monde de Vladimir Volkoff, Monaco, Paris, Éd. du Rocher, Collection Documents, 2003. Bleton, Paul. Les anges de Machiavel. Essai sur l'espionnage, Québec, Nuit blanche éditeur, Collection Études paralittéraires, 1994. Bleton, Paul. La Cristallisation de l’ombre. Les origines oubliées du roman d’espionnage sous la IIIe République, Limoges, PULIM, Collection Médiatextes, 2011. Boesche, Roger. The First Great Political Realist: Kautilya and His Arthashastra, Lanham, Lexington Books, 2002. Demain ? 46 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. Bloom, Clive (ed). Spy Thrillers. From Buchan to le Carré, Basingstoke, Macmillan, 1990. Britton, Wesley. Spy Television, Westport, Conn., Praeger Publishers, 2003. Brunet, Jean-Paul. Dictionnaire du renseignement et de l'espionnage : français-anglais, Paris, la Maison du dictionnaire, 2000. Craig, Patricia et Mary Cadogan. The Lady Investigates: Women Detectives ans Spies in Fiction, London, Gollancz, 1981. Hache-Bissette, Françoise, Fabien Boully et Vincent Chenille (sous la dir. de). James Bond (2)007 – Anatomie d'un mythe populaire, Paris, Belin, Collection Histoire et Société, 2007. Kackman, Michael. Citizen Spy: Television, Espionage, and Cold War Culture, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2005. Merry, Bruce. Anatomy of the Spy Thriller, Montreal, McGill-Queen's University Press, 1977. Neveu, Érik. L'Idéologie dans le roman d'espionnage, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1985. Palmer, Jerry. Thrillers. Genesis and Structure of a Popular Genre, London, E. Arnold, 1978. Demain ? 47 Paul Bleton, Les anges de Machiavel. Panek, LeRoy L. The Special Branch: The British Spy Novel 1890-1980, Bowling Green OH, Bowling Green Popular Press, 1981. Schweighauser, Jean-Paul. Panorama du roman d'espionnage contemporain, Paris, L'Instant, 1986. Smith. Myron J. et Terry White. Cloak and Dagger Fiction : An Annotated Guide to Spy Thrillers, Westport, Greenwood Press, 1995. Spehner, Norbert. Écrits sur le roman d’espionnage. Bibliographie analytique et critique des études et essais sur le roman et le film d’espionnage, Québec, Nuit Blanche éditeur, Collection Études paralittéraires, 1994. Stafford, David A. T. The Silent Game (The Real World of Imaginary Spies), Toronto, Lester Orpen Dennys, 1988. Véraldi, Gabriel. Le Roman d’espionnage, Paris, Presses universitaires de France, Collection Que sais-je ? n°2025, 1983. Wark, Wesley K. (ed.) Spy Fiction, Spy Films and Real Intelligence, London, F. Cass, Collection Cass series. Studies in intelligence, 1991. Demain ? 48 Bibliothèque des littératures policières 48-50, rue du Cardinal Le moine 75 005 Paris Tél : 01 42 34 93 00 bilipo®paris. fr TOUTE L'INFO a u 3975*et s ur PARIS . FR 1• Pme: d'un :appel klcal à pan.r d'un posla fixe :saut larll propre à votre opétotet~•