Copy of polarisation de la société américaine

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Copy of polarisation de la société américaine
La polarisation de la société américaine
Gérard Grunberg 26 juillet 2012
La dernière vague de l’enquête du Pew Research Center sur les valeurs des américains
fait ressortir une polarisation croissante de la société américaine qui se traduit par une
distance de plus en plus grande entre électeurs démocrates et électeurs républicains. Les
clivages partisans que l’on dit affaiblis en Europe redeviennent très prégnants aux EtatsUnis. A la veille des élections américaines cette réalité mérite d’être examinée de près.
L’écart gauche (démocrates)/droite(républicains) le plus important concerne la
protection sociale. La polarisation, ici, est récente et découle des réformes du président
Obama, notamment l’ « Obamacare ». Entre 2007 et 2012, l’écart entre les opinions
des démocrates et des républicains s’est accru de 14 points à propos du rôle qui doit être
celui du <em>government</em> (l’Etat, les institutions publiques) dans l’organisation
de la protection sociale. Mais cette conjoncture nouvelle réactive des positions latentes
dans l’électorat. Ainsi, entre 1987 et 2012, l’écart sur l’acceptation d’un
accroissement de la dette publique pour aider les personnes les plus nécessiteuses est
passé de 25 à 42%. Une majorité croissante d’Américains se disent préoccupés par
l’intervention croissante de l’Etat dans le système d’assurance maladie (Healthcare).
Le rôle de l’Etat est en effet aujourd’hui la question politique la plus clivante aux
Etats-Unis.
Cette question est liée à celle de la perception qu’ont les Américains des inégalités
sociales. Entre 1987 et 2012, si la proportion de ceux qui estiment que les riches sont de
plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres est stable dans l’ensemble, elle
a diminué chez les républicains tandis qu’elle a progressé chez les démocrates. A la
question de savoir si les pauvres doivent leur situation aux circonstances ou à leur
manque d’effort et de travail, les républicains répondent respectivement 28% et 57% et
les démocrates, à l’inverse 61% et 24%. Et s’agissant enfin de la question de la
discrimination positive, le soutien à celle-ci est devenu légèrement majoritaire chez les
démocrates tandis que chez les républicains, il ne dépasse pas les 12%.
Dans le domaine économique, la polarisation s’est accrue particulièrement sur la
question de la régulation du business. Entre 1987 et 2012 en effet la proportion des
républicains qui estiment qu’une telle régulation fait en réalité plus de mal que de bien à
l’économie s’est accrue tandis qu’elle décroissait chez les démocrates.
La polarisation des opinions s’est également accrue fortement dans le domaine des
questions de société. Comme en Europe, les attitudes à l’égard des mœurs et des valeurs
traditionnelles se sont transformées profondément depuis les années soixante-dix. Le
libéralisme culturel s’est développé. Mais contrairement à l’Europe, où ces questions
sont moins clivantes aujourd’hui qu’il y a quelques décennies, elle le sont au contraire
davantage aujourd’hui qu’hier aux Etats-Unis. En 1987, ces questions ne divisaient
pas significativement démocrates et républicains. Si 88% des républicains disent
aujourd’hui qu’ils partagent les valeurs traditionnelles en matière de famille et de
mariage, c’est au contraire le cas de 60% des démocrates et en particulier des libéraux
(44% contre 81%). Ainsi, comme en Europe, le libéralisme culturel est devenu une
composante essentielle de l’idéologie de la gauche américaine.
Ces thèmes se rattachent étroitement à celui de l’immigration. Si une majorité
d’Américains demeurent favorables à une augmentation des restrictions à
l’immigration, la polarisation des attitudes s’est cependant accrue également dans ce
domaine. 84% des républicains y sont favorables contre 58% des démocrates. Notons
également que la question de la protection de l’environnement est devenue elle aussi
très clivante politiquement : tandis qu’entre 1992 et aujourd’hui, la proportion des
démocrates favorables à l’édiction de lois de protection de l’environnement demeure
stable à 93%, celle des républicains partageant cet avis s’est effondrée de 86% à 47%.
La polarisation s’est aussi et enfin accrue dans le domaine des valeurs religieuses.
Ainsi, sur un indexe général de croyances religieuses, les républicains se révèlent plus
religieux aujourd’hui qu’hier (83% contre 70% en 1987) tandis qu’à l’opposé, chez
les démocrates, cet indicateur est passé de 64% à 50%. La proportion d’Américains
pour lesquels prier est important dans leur vie est de 85% chez les plus de 65 ans contre
61% chez les moins de 30 ans. La polarisation politique dans ce domaine oppose surtout
les Blancs évangélistes dont près de la moitié d’entre eux se disent républicains et les
libéraux qui ne sont que 12% à exprimer la même proximité partisane. La polarisation
politique est liée à des clivagesethniques et sexuels : 87% des sympathisants républicains
sont des Blancs non hispaniques mais seulement 55% des sympathisants démocrates.
50% des républicains sont des femmes contre 60% chez les démocrates.
La polarisation politique s’exprime en particulier par la tendance croissante à la
radicalisation dans chacun des deux camps. Ainsi, chez les républicains, la part de ceux
qui sedisent conservateurs est passée depuis 1990 de 60 à 68% tandis que chez
lesdémocrates la part de ceux qui se disent libéraux est passée de 28% à 38%. Les
présidences Bushet Obama, ont entrainé une forte augmentation de la polarisation
politique.
Il faut cependant noter qu’au cours des douze dernières années, à l’exception de la
question de la protection sociale, l’ensemble des oppositions observées a joué
politiquement en défaveur du parti républicain, aujourd’hui sur la défensive. En effet, la
proportion de sympathisants du parti républicain est passée de 31% à 24% depuis 1990.
Celle des sympathisants démocrates est restée stable à 32% tandis que la part des
indépendants a augmenté sensiblement, de 29% à 38%. Ce phénomène renvoie surtout à
un effet de génération. Au sein de la cohorte la plus récente, 18% se disent républicains,
31% démocrates mais 45% indépendants. Le poids des indépendants va donc peser lourd
lors de la prochaine élection présidentielle. De même celui des indécis (<em>swing
voters</em>) qui, pour une large part, recoupe le groupe des indépendants. Ainsi, ces
indécis sont plus proches des électeurs qui se disent décidés à voter pour Obama sur les
thèmes du libéralisme culturel et de l’attitude à l’égard des syndicats, mais ils se
sentent plus proches des électeurs ayant décidé de voter en faveur de Romney sur les
thèmes de l’immigration et de l’Obamacare. Enfin, ils occupent une position
intermédiaire sur les thèmes de la régulation de l’économie et sur le principe général de
l’engagement général du gouvernement dans le domaine général de la protection
sociale. Ainsi, bien que l’ensemble de ces analyses laissent penser qu’à la veille de la
prochaine élection le président sortant possède un certain avantage, les questions lourdes
de l’immigration et de l’Obamacare font de cette élection une consultation ouverte.
Si la polarisation politique s’est accrue depuis une quinzaine d’années, il ne faut
cependant pas oublier que l’opinion américaine demeure dans l’ensemble assez
homogène du point de vue de ses valeurs, qu’elles soient stables ou qu’elles se
transforment avec le temps.
En dépit des évolutions analysées ci-dessus, certaines des valeurs fondamentales du
peuple américain sont toujours très largement partagées en son sein. Ainsi, sur l’index
général de valeurs religieuses, la proportion des Américains pour lesquels la prière est
une part importante de leur vie quotidienne est restée stable et à un très haut niveau entre
1987 et aujourd’hui (76%) et la part de ceux qui croient au jour du Jugement dernier
n’a baissé que de 5 points, de 81% à 76%. Et 80% aujourd’hui contre 88% en 1986
disent n’avoir jamais douté de l’existence de Dieu. L’Amérique demeure ainsi un
pays profondément religieux.
De même, la valeur de la réussite sociale demeure très élevée. Ainsi, 88% des Américains
disent admirer ceux qui deviennent riches en travaillant dur (90% en 2003). Les
Américains demeurent également très confiants dans leur destin collectif : 69% d’entre
eux estiment qu’en tant qu’Américains, ils pourront résoudre leurs problèmes et
atteindre leurs objectifs.
Par ailleurs, en dépit de la polarisation croissante sur de nombreux thèmes, l’ensemble
de la population américaine évolue dans la même direction sur certaines dimensions.
Ainsi, le libéralisme culturel progresse globalement. L’index de conservatisme social
est passé ainsi entre 1987 à 2012 de 3,2 à 2.7 chez les républicains et de 2.8 à 2.0 chez
les démocrates. Si, par exemple, en 1987, la majorité des Américains estimaient qu’il
faudrait licencier un enseignant homosexuel, cette proportion n’est plus que de 21%
aujourd’hui. Et si les sympathisants démocrates sont 70% très largement favorable à la
fréquentation entre personnes de couleur différente (<em>interracial dating</em>), elle
est également très légèrement majoritaire chez les républicains.
Au terme de cette étude, il paraît que la société américaine apparaît solide mais que les
transformations rapides qui l’affectent, qu’il s’agisse de son métissage croissant ou
de l’évolution rapide des mœurs, ont entraîné une polarisation politique croissante entre
une partie de cette société, celle en particulier qui se reconnaît dans le Tea Party et qui se
sent menacée dans son statut social et ses valeurs, et une partie des jeunes générations qui
adhère de plus en plus aux valeurs du libéralisme culturel voire exige une laïcisation plus
forte de la société.
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