Enregistrament radiofònic, París 1938. Toccata, Pagodes

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Enregistrament radiofònic, París 1938. Toccata, Pagodes
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RICARD VIÑES al piano - Obres d’Albéniz, Debussy, Falla, Turina, Blancafort…
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BONUS TRACK
RICARD VIÑES PARLA DE CLAUDE DEBUSSY
Enregistrament radiofònic, París 1938.
Comment vous parler de Claude Debussy, mon cher Henry Malherbe? D’abord, je ne suis
pas orateur. Et puis, bien que j’ai vécu à Paris depuis mon enfance, j’ai gardé un petit
accent de terroir espagnol dont je n’ai jamais pu me défaire. Et, enfin, d’innombrables
souvenirs se rattachent pour moi à Claude Debussy. Je ne sais lesquels évoquer parmi tous
ceux qui se pressent à mon esprit.
Mais, je ne peux me dérober à l’appel que vous me faites, cher ami, puisqu’il s’agit de
célébrer le 20e anniversaire de la mort d’un musicien glorieux que j’ai tant aimé et que
j’admire entre tous.
Je suis très fier et à jamais reconnaissant à Claude Debussy de m’avoir choisi pour exécuter,
en premières auditions presque, toutes les œuvres qu’il a écrites pour le piano. J’ai été,
pendant de longues années, l’interprète attitré –l’on disait même le compère- de Claude
Debussy.
Il m’avait demandé de jouer pour la première fois devant le public Prélude, Sarabande et
Toccata, Pagodes, Jardins sous la pluie, La soirée dans Grénade, Masques, L’isle joyeuse,
Reflets dans l’eau, Hommage a Rameau, Mouvement, Cloches a travers les feuilles et La
lune descend dans le temple qui fut, Poissons d’or, etc.
Cette dernière pièce, Poissons d’or, m’a même été dédiée. J’ai été d’autant plus sensible à
cet honneur que jamais Claude Debussy n’a dédié l’une de ses œuvres à un pianiste.
Un soir, Debussy et Mme. Debussy m’avait invité à dîner. Je le voyais nerveux, gêné,
faisant des signes à sa femme. S’était un ami exquis, mais d’humeur très difficile. Je
m’attendais à une algarade amicale et me demandais avec inquiétude ce qui allait m’arriver.
Debussy se mit au piano et joua, avec ça façon souple et veloutée, Poissons d’or. Puis, il me
montra en riant sous cape, la dédicace. Je l’en remerciai, profondément ému et troublé. Il
n’avait accordé pareille faveur qu’a Chopin, à la mémoire duquel il avait dédié un recueil
pour piano.
Claude Debussy était un tantinet effrayant avec sa caboche au visage magnifiquement laid,
avec le si curieux surplomb d’un front mal équarri –un peu à la Verlaine. Sous le sombre
auvent de ce front, faisaient le guet d’immenses yeux félins, au lourd regard passablement
ironique et ambigu. Tout cela suggérait la très romantique image de quelque condottiere ou
celle encore, je m’excuse de le dire, d’un honorable bandit calabrais.
Il y avait en Claude Debussy -deux bons tiers de son œuvre en témoignent– un élément
magique extraordinairement incantatoire, diaphane, éthéré, irradié eut en dit, d’un autre
monde.
L’art debussyste était marié aux puissances de l’âme, comme l’a dit Stanislas Fumet à propos
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RICARD VIÑES al piano - Obres d’Albéniz, Debussy, Falla, Turina, Blancafort…
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du romantisme. Et c’est ce mariage mystique qui donne à la musique de Claude Debussy
son si mystérieux caractère et cet accent poétique étrangeté, accent qui la rend comme
irréelle, paradisiaque, j’ose dire, et d’un si intense potentiel de persuasive émotion.
Et ne croyez pas que Debussy fût un personnage imposant et austère. Il y avait des heures
où il s’amusait comme un enfant. Je me rappelle qu’après un dîner nous avons passé notre
soirée, avec deux autres invités, à dessiner, les yeux fermés, des petits cochons, mais avec
cette particularité qu’en ne devait lever le crayon qu’une seule fois, pour marquer la place
des yeux. J’ai toujours regretté de n’avoir pas gardé les dessins cocasses que Debussy avait
esquissés ce soir-là.
Un autre jour, mis en confiance, je voulus lui jouer l’un de ses préludes intitulé La fille aux
cheveux de lin et lui dis en manière de plaisanterie : « Veuillez écouter la fille aux cheveux
de ripolin? » Debussy, qui blaguait tant les autres, ne goûta pas
-oh ! mais pas du tout !- ce mauvais jeu de mots.
J’ajoute que j’ai été indirectement cause de la composition d’un des plus pittoresques
préludes du grand musicien. Je lui avais envoyé d’Espagne une carte postale qui représentait
la « Puerta del Vino ». Debussy garda longtemps l’image coloriée devant ses yeux et finit par
écrire, sous le titre même de « Puerta del Vino » un prélude magnifiquement ensoleillé et
suggestif.
Jusqu’un 1914, Debussy fut de formation cosmopolite. On distinguait chez lui, au début,
une forte et double aimantation de polarité anglo-slave, très fin de siècle. Plus tard, pour ce
qui touche au pittoresque et à l’exotisme, il subit l’influence d’Extrême Orient et l’influence
méditerranéenne ou italo hispanique. Mais, soudain, l’explosion de la Grande Guerre, au
pathétisme transcendent, réveille les fibres raciales secrètes et engourdies du bourgeois de
St-Germain-en-Laye. Et c’est à partir de cette secousse décidément régénératrice, que
Claude Debussy fut enfin, et cela volontairement, un Musicien français, ou, selon le mot
royal de d’Annunzio, Claude de France.
Ricardo Viñes
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