Le dossier du spectacle - CDN Orléans Loiret Centre

Transcription

Le dossier du spectacle - CDN Orléans Loiret Centre
ELDORADO
DIT LE POLICIER
Conception
Denis Lachaud, Laurent Larivière,
Vincent Rafis
Interprétation
Pascale Calvet, Emmanuel Matte,
Lucie Muratet
Collaboration à la dramaturgie
Sophie Wahnich
Travail corporel
Nathalie Ageorges
Scénographie
Franck Jamin
Lumière
Jérémie Alexandre
Son
Florent Dalmas
PRODUCTION DÉLÉGUÉE
CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL
ORLEANS/LOIRET/CENTRE
Direction Arthur Nauzyciel
Théâtre d’Orléans, Bd Pierre Ségelle,
45000 Orléans
Tel : + 33 (0) 2 38 62 15 55
Sophie Mercier, administratrice
[email protected]
Anne Cuisset, secrétaire générale
[email protected]
Presse:
Nathalie Gasser : +33 (0)6 07 78 06 10
[email protected]
CRÉATION
CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL
ORLÉANS/LOIRET/CENTRE
JEU 10 MAR 2011 20H30
VEN 11 MAR 2011 19H30
SAM 12 MAR 2011 19H
MAR 15 MAR 2011 20H30
MER 16 MAR 2011 19H30
JEU 17 MAR 2011 2030
DURÉE 3H ENTRACTE COMPRIS
REPRÉSENTATIONS PARISIENNES
GRANDE HALLE DE LA VILLETTE
DU 22 MARS AU 2 AVRIL 2011
COPRODUCTION
Centre Dramatique National
Orléans/Loiret/Centre; Parc de la Villette
dans le cadre des Résidences d’artistes,
Paris
Ce projet est lauréat de la Villa Médicis Hors
les Murs 2010 (Résidence Culturesfrance
à Malte)
Denis Lachaud est soutenu par le Conseil
général de la Seine-Saint-Denis dans le
cadre du dispositif In Situ — artistes en
résidence dans les collèges
ELDORADO DIT LE POLICIER s’attache à suivre le parcours d’individus
dits « sans-papiers », à examiner les
difficultés auxquelles ils s’affrontent,
leurs interactions avec les autorités, et
à envisager pourquoi et comment, du
bon côté de la loi, d’autres individus
entreprennent, ou non, de les aider.
Ce projet est né de la rencontre de trois
artistes, l’écrivain Denis Lachaud, le
cinéaste Laurent Larivière, et le metteur en scène Vincent Rafis. Ils ont
voulu éclairer les présupposés idéologiques qui sous-tendent les décisions
prises par les gouvernements français et européens depuis trois décennies à l’encontre des sans-papiers, et
décrypter l’inertie citoyenne face au
traitement particulièrement brutal
qui leur est aujourd’hui réservé.
Écrit collectivement au fil des répétitions et nourri d’un travail d’enquêtes
et d’entretiens, ELDORADO DIT LE
POLICIER explore les thèmes de l’altérité, de la citoyenneté et du pouvoir.
LE PROJET
Nous faisons du théâtre pour parler du
monde tel qu’il est. Jamais cette nécessité
ne nous a paru aussi urgente.
Notre projet traite de la situation des sanspapiers en France aujourd’hui.
Nous souhaitons témoigner de ce que vivent ces hommes, ces femmes et ces enfants, et interroger ce qui, dans la mise en
œuvre de sa politique, permet au gouvernement français d’agir sans susciter d’opposition massive.
Comme toute politique, la politique migratoire française produit ses effets dans
le réel. Ce qui nous intéresse, c’est la façon dont ces effets sont difficilement observables, tant les dirigeants politiques
semblent soucieux de les dissimuler,
d’en brouiller la perception – ceci de trois
manières :
— les lois et les règlements manquent de
clarté et obligent les agents chargés de les
exécuter à une interprétation subjective ;
— aucun citoyen n’est autorisé à pénétrer dans les centres de rétention, hormis
les membres d’associations et les députés
(qui n’usent pour la plupart jamais de ce
droit) ;
—le discours politique déréalise l’existence
des sans-papiers et les violences qui leur
sont faites, par exemple via le lexique des
« flux », des « chiffres » et des « quotas ».
Ces dispositifs ne sont pas ignorés : on
peut, par le moyen d’Internet, de la presse,
des rapports d’associations, y avoir accès.
Pourquoi n’en mesure-t-on alors, en tant
que citoyens, ni l’impact ni la gravité ?
Nous répondons que ce réel fabrique de
la fiction – c’est-à-dire que cet ensemble
de moyens politiques, légaux, rhétoriques, crée de fausses représentations en
maintenant hors de notre conscience les
humiliations infligées aux sans-papiers. A
son tour, cette fiction accentue la mise à
distance de la réalité vécue par les sanspapiers : elle les éloigne de nous.
Notre projet est précisément de retourner
cet enchaînement de causes et de conséquences : il s’agira pour nous, en passant
par la fiction, de rendre réel pour le spectateur ce qui, dans le réel, lui apparaît
comme une fiction.
Si l’histoire d’ELDORADO DIT LE POLICIER est inventée, c’est qu’elle obéit à
une construction dramaturgique. Mais
elle s’appuie également sur des éléments
documentaires : elle s’inspire d’un certain
nombre de « faits divers » qui ne renvoient
nullement à un traitement journalistique
de notre sujet, mais à la nécessité d’apporter, pour chaque événement relaté, la
preuve incontestable de son existence.
En juillet 2004, plusieurs demandeurs
d’asile sont arrêtés au guichet de la préfecture de Paris alors qu’ils y avaient été
convoqués pour un réexamen de leur situation administrative.
En 2005, la Police aux frontières tente de
faire embarquer de force une jeune femme
d’origine congolaise demandant l’asile politique, sans lui laisser le temps de faire
valoir sa demande. La jeune femme, enceinte, est injuriée, tirée par les vêtements, les bras et les cheveux.
Le 30 janvier 2007, sur ordre du procureur
de la République, la police organise une
rafle place de la République à Paris, au moment où les Restos du Cœur y distribuent
leurs repas. Vingt-et-une personnes sont
interpellées.
Le 20 mars 2007, la police arrête devant
la maternelle Rampal à Paris un homme
d’origine chinoise venu chercher ses
petits-enfants à l’école. Des parents présents avec leurs enfants tentent de s’interposer, la police asperge la rue de gaz
lacrymogène et les brutalise. Trois jours
plus tard, la directrice de l’école est placée
en garde à vue pour « outrage et dégradation de biens publics en réunion ».
Le 9 août 2007, à Amiens, un jeune garçon
de douze ans tombe d’un balcon du quatrième étage en tentant d’échapper à des
policiers venus appréhender sa famille.
En septembre 2008, la police reconduit un
homme en Algérie alors qu’il s’apprête à
épouser une femme de nationalité française avec laquelle il vit depuis trois ans.
L’expulsion a lieu quelques jours avant la
publication des bans.
Il ne s’agit là que d’exemples auxquels
notre choix ne se limite pas, mais qui inscrivent notre projet dans une logique de
témoignage.
LES INTERPRÈTES
Un projet comme le nôtre présente un danger majeur : en s’emparant d’une « question d’actualité », susceptible de faire
moins, en vérité, débat que consensus, on
prend le risque de conforter une opinion
déjà pensée et assumée par un spectateur
qui, aujourd’hui par trop éclairé, ne choisit
plus innocemment les œuvres qu’il vient
regarder.
S’il y a en d’autres termes, sur la question des sans-papiers, deux partis antagonistes – celui qui prônerait un principe
général d’hospitalité ; celui qui s’y opposerait –, il faut, dans la mesure où le cadre
étroit de la manifestation « culturelle »
nous condamne (les statistiques le prouvent…) à nous adresser moins au second
qu’au premier, poser à nouveaux frais la
question de l’altérité.
Car en portant sur le plateau la vie
d’hommes, de femmes et d’enfants dits
« sans-papiers », on peut être enclin à investir fantasmatiquement cette situation
de radicale étrangeté, croyant ainsi mieux
s’en approcher ; mais alors on peut, malgré soi, reconduire le processus de désubjectivation et d’assujettissement que le
pouvoir politique inflige quotidiennement
à ces réfugiés, ces déportés, ces enfermés.
Un spectacle dont l’un des enjeux est la représentation des sans-papiers est donc susceptible d’échouer sur un double écueil : celui
qui, d’une part, répliquant des stéréotypes
existants, viendrait essentialiser une « condition du sans-papiers » ; celui qui, de l’autre,
le priverait de sa parole, ne le considérant
plus comme sujet ni de son discours ni de
son action.
Il faut prendre, par conséquent, le théâtre
comme ce qu’on n’admet qu’avec peine
qu’il est : un art de la connivence, de
l’entre-soi sociologique et intellectuel.
D’où le choix de ne pas jouer la carte trompeuse de la « mixité », presque inexistante
sur et face aux scènes, mais de faire au
contraire appel à trois interprètes blancs.
Mais s’employer ensuite à tordre ou à suspendre cette donnée en rendant à cet art
sa part interactive, c’est-à-dire en se questionnant ensemble, acteurs et spectateurs,
dans le confort du théâtre et la chaleur de
cette proximité.
L’« incarnation », alors, ne sera guère plus
que ponctuelle, fragmentée ; car les acteurs, tout autant, parleront d’eux, depuis
eux.
Dans leur conscience intime et citoyenne,
face à ceux qui, avec eux, auront fait le
choix d’être là, ils (s’)interrogeront :
— comment agir, comment ré-agir, face
aux violences politiques ?
— comment mettre fin – avec quels
moyens ? –, à l’exercice sans médiation,
sur les existences d’autres corps humains,
d’une force de punition, d’enfermement, de
relégation ?
DÉLOCALISATION
SUR PLACE, LIBRE
CIRCULATION ET DROITS
DES MIGRANTS
Entretien avec Emmanuel Terray
Si nous regardons dans quels secteurs
d’activités on rencontre des sans-papiers,
on s’aperçoit qu’ils se retrouvent principalement dans cinq secteurs : le BTP, l’hôtellerie et la restauration, la confection,
les services à la personne et l’agriculture.
C’est intéressant de regarder ces cinq secteurs parce qu’ils ont une caractéristique
commune. […]
Tout le monde sait ce qu’est une délocalisation : une entreprise où les frais de
main-d’œuvre comptent beaucoup dans les
dépenses, dans le chiffre d’affaire et qui,
afin de faire des économies sur ses frais de
main-d’œuvre, stoppe sa production dans
son pays d’origine et exporte sa production
dans un pays, en général un pays du sud,
où les salaires sont nettement plus bas et
où la main-d’œuvre dispose de beaucoup
moins de droits et est plus docile. Ce qui
caractérise les cinq secteurs dont j’ai parlé
tout à l’heure réside dans le fait que physiquement, matériellement, ils ne peuvent
pas être délocalisés. Pour des raisons tout
à fait évidentes : un chantier du bâtiment
doit être là où l’immeuble sera utilisé par
les usagers, un restaurant doit être là où se
trouvent les clients. Cela n’est pas tout à
fait vrai de la confection mais, au moins en
France, on y travaille à flux extrêmement
tendu : il y a donc là aussi un avantage
à procéder à une délocalisation sur place.
Les services à la personne ont lieu là où
se trouvent les personnes et l’agriculture
saisonnière là où sont les champs. L’idée
de la délocalisation sur place consistait
à dire que précisément le recours au travail des étrangers en situation irrégulière
permet de reconstituer dans nos propres
villes, dans nos propres pays les conditions
qui sont celles de la main-d’œuvre dans
les pays du Tiers-Monde. C’est-à-dire des
salaires extrêmement bas, des protections
réduites au minimum : pas de droits syndicaux, des conditions de travail effroyables,
un temps de travail illimité, des contrats
en matière de salaire pas respectés parce
que les paiements se font toujours de la
main à la main, etc. Par conséquent, les
entreprises qui ne peuvent pas délocaliser
recourent au travail illégal comme un substitut aux délocalisations : c’est cela qui
m’a amené à parler de délocalisations sur
place. D’une certaine façon la délocalisation sur place est encore plus avantageuse
que la délocalisation à l’étranger parce que
lorsque vous délocalisez à l’étranger, d’une
part vous avez le problème des délais (les
frais de transport pour rapatrier votre production) et d’autre part, en général, vous
êtes obligé d’exporter quelques cadres ou
quelques techniciens qui coûtent très cher.
Lorsque vous délocalisez sur place, il n’y a
pas de frais de transport, pas de délais et
pas de cadres expatriés. […]
Si vous prenez la société européenne telle
qu’elle se dessine au travers des législations, qui sont très convergentes d’un
pays à l’autre, nous avons :
— Le cercle des citoyens de pleins droits.
— Le cercle des ressortissants de l’Union
européenne qui circulent librement à l’intérieur de l’UE et qui n’ont le droit de vote
qu’aux élections municipales et aux élections européennes.
— Les étrangers en situation régulière,
qui possèdent donc un permis de résidence
selon les pays (de 10 ans pour la France)
et qui peuvent effectivement circuler sur
le territoire de l’UE, sans réserve mais qui
n’ont pas de droit de vote du tout.
— Les étrangers qui sont en situation légale mais qui n’ont que des cartes de séjour temporaires (d’un an par exemple) et
qui n’ont pas le droit de vote. Ils ne peuvent pas circuler librement sur le territoire
de l’Union européenne parce qu’ils sont
astreints au système des visas Schengen,
c’est-à-dire qu’ils peuvent se déplacer 3
mois seulement dans un territoire autre
que celui dans lequel ils ont été enregistrés. Leurs conditions d’intégration sont
déjà mauvaises parce qu’avec une carte de
séjour d’un an, ils ne peuvent pas obtenir
un CDI, ils ne peuvent pas signer un bail
d’appartement de 3 ans, ils ne peuvent pas
contracter un prêt dans une banque, etc.
— Les demandeurs d’asile qui, en France,
ne sont pas autorisés à travailler. Ils sont
en bonne voie d’être assignés à résidence,
ils ne sont pas encore enfermés, mais au
moins assignés à résidence. Ce qui signifie
que dès que leur demande d’asile est refusée, la police peut facilement leur mettre
la main dessus pour les reconduire à la
frontière.
— Les travailleurs étrangers illégaux.
Donc en réalité nous avons une société en
six strates. C’est une espèce de reconstitution en plus hiérarchisée de la société
d’apartheid. […]
Il faut d’ailleurs distinguer entre deux
apartheids. Le premier apartheid en
Afrique du Sud, institué par le Docteur
Malan, qui était exclusivement fondé
sur l’inégalité raciale et qui considérait
les Africains comme des gens de race inférieure, raison pour laquelle leur statut
était très défavorable. Puis, à partir des
années 1960, en raison des protestations
dans le monde et des sanctions prises par
différents pays, il y a eu un deuxième
apartheid, celui de Monsieur Botha. On a
effacé les références à l’inégalité raciale
parce que du point de vue « cosmétique
» ce n’était plus possible. On a créé les
Bantoustans, États formellement indépendants, dans les zones pauvres et arides de
l’Afrique du Sud où vivait la majorité de la
population africaine. A partir du moment
où les Africains sont venus travailler dans
les grandes villes d’Afrique du Sud, comme
à Pretoria, au Cap ou à Johannesburg, à
ce moment-là, ils étaient des étrangers et
par conséquent ils bénéficiaient de droits
au titre d’étrangers, réduits à vrai dire à
très peu de chose. On effaçait la référence
à l’inégalité raciale mais, puisque c’était
des « étrangers », ils ne pouvaient donc
pas avoir les mêmes statuts légaux que
les « nationaux ». On veillait à ce qu’ils se
tiennent à leur place, et par conséquent on
pouvait les renvoyer dans les réserves, qui
étaient formellement indépendantes.
C’est ce système qui est en cours d’application. En Europe, nous sommes en train
d’avoir une société à trois anneaux : l’anneau central constitué par les pays européens et quelques autres ; l’anneau de
la périphérie immédiate avec des États
qui sont vivement invités à coopérer au
contrôle et à la répression de l’immigration illégale et qui sont payés pour cela
(l’Ukraine, le Maroc et la Libye notamment) ; et nous avons enfin les autres
pays qui eux représentent les « bantoustans » dont l’Europe souhaite s’entourer.
De sorte que la hiérarchie, nous la trouvons à la fois à l’intérieur de la société et
aussi entre les pays de l’espace géopolitique européen.
— Entretien avec Emmanuel Terray,
Revue-site À L’ENCONTRE, février 1999.
AU-DELÀ DES DROITS
DE L’HOMME,
in MOYENS SANS FINS,
NOTES SUR LE POLITIQUE
de Giorgio Agamben
Vu le déclin désormais inéluctable de l’Étatnation et la décomposition des catégories
juridico-politiques traditionnelles, le réfugié est peut être la seule figure pensable du
peuple de notre temps, la seule catégorie
dans laquelle nous est donné d’entrevoir
les formes et les limites d’une communauté à venir, du moins tant que le processus
de dissolution de l’État-nation et de sa souveraineté ne sera pas parvenu à son terme.
Il est possible que, si l’on voulait être à la
hauteur des tâches absolument nouvelles
auxquelles nous sommes confrontés, il
faudrait nous décider à abandonner sans
réserves les concepts fondamentaux par
lesquels ont été pensés jusqu’à présent les
sujets du politique (l’homme et le citoyen
avec leurs droits, mais aussi le peuple souverain, le travailleur etc.) et à reconstruire
notre philosophie politique à partir de cette
unique figure. […]
Il est important de remarquer qu’à partir
de la Première Guerre mondiale, nombre
d’états européens commencèrent à introduire des lois qui permettaient la dénaturalisation et la dénationalisation de
leurs propres citoyens. La France le fit la
première, en 1915, avec les citoyens naturalisés d’origine « ennemie » ; en 1922,
l’exemple fut suivi par la Belgique, qui
révoqua la naturalisation des citoyens
qui avaient commis des actes antinationaux pendant la guerre ; en 1926, le régime fasciste promulgua une loi analogue
envers les citoyens qui s’étaient montrés
indignes de la citoyenneté italienne ; en
1933, ce fut le tour de l’Autriche, et ainsi
de suite jusqu’en 1935, lorsque les lois de
Nuremberg séparèrent les Allemands en
citoyens de plein droit et en citoyens sans
droits politiques. Ces lois – et l’énorme
masse d’apatrides qui allaient en résulter – ont marqué un changement décisif
dans la vie de l’État-nation moderne, qui
s’affranchit définitivement des notions
naïves de peuple et de citoyen. […]
Il faut résolument séparer le concept de réfugié de celui de Droits de l’homme et cesser de l’interpréter uniquement en termes
de droit d’asile (lequel est d’ailleurs de
plus en plus réduit dans une législation
des états européens). […]
Le réfugié doit être considéré pour ce
qu’il est, c’est à dire rien de moins qu’un
concept limite qui met radicalement en
crise les fondements de l’Etat-nation et,
en même temps, ouvre le champ à de nouvelles catégories conceptuelles.
En fait, le phénomène de l’immigration dite
illégale dans les pays de la Communauté
européenne a pris (et prendra de plus en
plus les prochaines années avec les 20 millions prévus d’immigrés de l’Europe centrale) des caractères et des proportions
propres à justifier pleinement le renversement de cette perspective. […]
Avant qu’en Europe on rouvre de nouveau
les camps d’extermination (ce qui commence à se faire), il est nécessaire que
les États-nations trouvent le courage de
mettre en question le principe même d’inscription de la nativité et la trinité Étatnation-territoire qui se fonde sur lui.
Il n’est pas facile d’indiquer dès maintenant les modalités par lesquelles cela pourra se passer concrètement. Il suffit d’indiquer une voie possible. On sait qu’une des
options prises en compte pour la solution
du problème de Jérusalem est qu’elle devienne, en même temps et sans partage
territorial, la capitale de deux différents
organismes étatiques. La condition paradoxale d’extraterritorialité réciproque (ou
mieux d’a-territorialité) que cela implique
pourrait être généralisée comme modèle
de nouvelles relations internationales. Au
lieu de deux États nationaux séparés par
des frontières incertaines et menaçantes,
il serait possible d’imaginer deux communautés politiques appuyées sur une même
région et en exode l’une dans l’autre, articulées entre elles par une série d’extraterritorialités réciproques, dans lequel le
concept conducteur ne serait plus le jus du
citoyen mais le refugium du singulier. De
manière analogue, on pourrait considérer
l’Europe non pas comme une impossible
« Europe des nations » dont on commence
à entrevoir la catastrophe à court terme,
mais comme un espace a-territorial ou
extraterritorial, dans lequel tous les résidents des États européens (citoyens et
non-citoyens) seraient en position d’exode
et de refuge, le statut européen signifiant
alors l’être en exode (même immobile, évidemment) du citoyen. L’espace européen
marquerait ainsi un espace irréductible
entre la naissance et la nation, dans lequel
le vieux concept de peuple – et le peuple, on
le sait, est toujours minorité – pourrait retrouver un sens politique, par opposition à
celui de nation (qui l’a jusqu’à aujourd’hui
usurpé de manière illégitime).
En ce nouvel espace, les villes européennes
entrant en relation de réciproque extraterritorialité, retrouveraient leur ancienne
vocation de villes du monde.
LA POLICE SOUVERAINE
in MOYENS SANS FINS,
NOTES SUR LE POLITIQUE
de Giorgio Agamben
La police, contrairement à l’opinion commune qui voit en elle une fonction purement administrative d’exécution du droit,
est peut être le lieu où se manifeste le plus
nettement la proximité sinon l’échange
constitutif entre la violence et le droit qui
caractérise l’image du souverain. Si le
souverain, en effet, est celui qui, en proclamant l’état d’exception et en suspendant la validité de la loi, marque le point
de confusion entre violence et droit, la police évolue toujours pour ainsi dire, dans
un tel « état d’exception ». Les raisons d’«
ordre public » et de « sécurité » dont elle
doit décider pour chaque cas représentent
une forme d’indistinction entre violence et
droit, parfaitement symétrique à celle de
la souveraineté. Cette contiguïté embarrassante entre souveraineté et fonction policière s’exprime dans le caractère sacral
et intangible qui, dans les systèmes politiques des sociétés antiques, associe la figure du souverain à celle du bourreau. […]
L’entrée de la souveraineté dans la figure
de la police n’a donc rien de rassurant. Le
fait, qui ne laisse de surprendre les historiens du IIIe Reich, que l’extermination
des Juifs a été conçue exclusivement, du
début à la fin, comme une opération de
police en est la preuve. C’est uniquement
parce qu’elle fut conçue et réalisée comme
une opération de police que l’extermination des Juifs a pu être si méthodique et si
meurtrière. […]
Mais l’investiture du souverain comme
agent de police a une autre conséquence :
elle rend nécessaire la criminalisation de
l’adversaire. Nous avons pu voir de nos
yeux comment, suivant un processus
commencé à la fin de la Première Guerre
mondiale, l’ennemi est d’abord exclu de
l’humanité civile et déclaré criminel ; c’est
seulement ensuite qu’il devient légitime
de l’anéantir par une « opération de police »
qui n’est soumise à aucune règle juridique
et peut dès lors confondre, en remontant
aux conditions les plus archaïques de la
guerre, la population civile et les soldats,
le peuple et son souverain-criminel. Ce
glissement progressif de la souveraineté
vers les zones les plus obscures du droit
de police a, toutefois, au moins un aspect
positif, qu’il convient de signaler. Ce dont
les chefs d’Etats, qui se sont lancés avec
tant de zèle dans la criminalisation de
l’ennemi, ne se rendent pas compte, c’est
que cette même criminalisation peut se retourner à tout moment contre eux. Il n’est
aucun chef d’Etat au monde, en ce sens,
qui ne soit aujourd’hui virtuellement un
criminel. Quiconque endosse aujourd’hui
la triste redingote de la souveraineté sait
qu’il peut un jour être traité à son tour de
criminel par ses collègues.
Et ce ne sera certes pas nous qui le
plaindrons.
— Giorgio Agamben, MOYENS SANS
FINS, NOTES SUR LE POLITIQUE,
Rivages Poche, coll. « Petite bibliothèque »,
2002.
ÉQUIPE ARTISTIQUE
Nathalie Ageorges
Travail corporel
Elle travaille comme danseuse auprès de
Georges Tugdual, Joseph Russillo, Peter
Goss, Yvan Mérat, Dominique Petit,
Sophie Lessard, Betty Jones, Fritz Lüdin,
Josée Cazeneuve et pour le Groupe de
Recherche Chorégraphique de la Sorbonne.
Chorégraphe, elle collabore avec des plasticiens, compositeurs, musiciens et chanteurs. En France et à l’étranger, elle dispense des stages dans des écoles de danse,
en milieu scolaire et à destination de personnes handicapées. Elle est titulaire du
C.A. en danse contemporaine. À Orléans,
elle enseigne au conservatoire et travaille
en collaboration avec le CCN (dir. Josef
Nadj) et la Scène Nationale.
Jérémie Alexandre
Lumière
En tant que régisseur, il a accueilli différents spectacles dans des lieux tels que le
Théâtre du Lierre, le Studio et la Comédie
des Champs-Elysées, Gare au Théâtre. Il
est régulièrement régisseur d’accueil au
Studio-Théâtre de Vitry où il participe au
processus de création sur LE CERCEAU
de Laurent Gutmann ou LES VAGUES
de Marie-Christine Soma. Il assiste Anne
Vaglio durant la création de CHEZ LES
NÔTRES du Moukden Théâtre et s’occupe
de la régie lumière de la tournée. Il crée les
lumières des spectacles de la compagnie de
marionnette, LE CRI DE L’ESCARGOT.
Pascale Calvet
Interprétation
Elle travaille comme comédienne auprès de
Claude Bardouil, Francis Azéma et MarieJosé Malis : ENTER THE GHOST d’après
Pasolini ; NOUS AUTRES ; C’EST ICI QUE
NOUS VIVONS (d’après H. Müller, M.
Zotchenko, A. Tchekhov) ; LES UTOPIES.
En danse, elle travaille sous la direction de
Caroline Marcadé, Cécile Loyer, Murobushi
Ko, Yann Lheureux, Wes Howard. Elle
travaille au sein du collectif QU’EST-CE
À DIRE, axé sur les écritures contemporaines, où elle crée et interprète NOUS
NOUS CONNAÎTRONS MIEUX, JE ME
SOUVIENS, SOUTERRAINS. Formatrice
diplômée du D.E. et du C.A., elle enseigne
le théâtre depuis une dizaine d’années.
Florent Dalmas
Son
Régisseur son, il partage son travail entre
l’accueil de spectacles dans différents
théâtres (Théâtre National de la Colline,
la Maison de la Poésie de Paris, l’Opéra
Comique) et le suivi en tournée de projets artistiques de compagnies. Il a ainsi
collaboré avec Stéphane Braunschweig,
Charles Tordjman, Guillaume Vincent,
Claude Guerre, Arnaud Meunier, Arthur
Nauzyciel… Il est également créateur sonore, pour le théâtre avec Patrick Zuzalla
(PHILOCTETE & RAVACHOL) et sur des
courts-métrages comme STRANGE LOVE
de Xavier Bonnin ou MADEMOISELLE
CHLOÉ de Rémi Durin, film pour lequel il
obtient le prix de la meilleure bande son au
Festival du Film de Namur.
Franck Jamin
Scénographie
Architecte et scénographe, il travaille
depuis 2004 avec Daniel Larrieu sur
LUX, SAISONS-EXPERIENCE CHORÉGRAPHIQUE À PROPOS DU PAYSAGE,
ACTE DE PRÉSENCE AVEC PETITES
TROUVAILLES, NEVER MIND... Il a également collaboré à la création UNLIMITED
WALKS au Grand Palais, à l’occasion de
l’exposition Monumenta / Richard Serra.
Il a aussi travaillé pour Osman Kassen
Khelili : FESTIN FINAL ; Dominique
Hervieu et José Montalvo : PORGY AND
BESS ; Marie-Hélène Dupont : ON EST
FOU QUAND ON PARLE AUX ÂNES,
DOUBLE DIMANCHE et HOMMES DE
MA VIE EN PAYSAGE.
Il réalise la scénographie de plusieurs expositions, dont ICE DREAM, VERNISSAGE
et LA FORÊT AUX HISTOIRES.
Denis Lachaud
Conception
Auteur
des
romans
J’APPRENDS
L’ALLEMAND, LA FORME PROFONDE,
COMME PERSONNE, LE VRAI EST AU
COFFRE et PRENEZ L’AVION, il a écrit
quatre pièces de théâtre dont HETERO
et L’UNE, ainsi que deux pièces radiophoniques pour France Culture : SANS VOIR
et MOI ET MA BOUCHE. Ses ouvrages
sont publiés aux éditions Actes Sud. Il a
écrit les journaux des répétitions de quatre
mises en scène d’Arthur Nauzyciel. Il a mis
en scène sa pièce MA FORÊT FANTÔME
à l’occasion d’une résidence à la Fonderie
(Le Mans). Il se produit sur scène avec
Olivia Rosenthal dans le cadre de performances qu’il écrit et met en scène avec
elle. Il est membre du collectif La Forge.
Laurent Larivière
Conception
Il a écrit et réalisé cinq courts-métrages,
L’UN DANS L’AUTRE, J’AI PRIS LA
FOUDRE, AU BOUT DES BRANCHES (écrit
avec Vincent Rafis et Denis Lachaud), LES
LARMES (écrit avec Olivia Rosenthal), et
LES ÉLUS DE LA TERRE. Sélectionnés et
primés en festivals, ses films ont été diffusés sur France 2, France 3 et TV5Monde.
Avec Olivia Rosenthal, il écrit et joue
des performances sur le cinéma : LES
LARMES (Actoral, Théâtre national de la
Colline, Le Trident à Cherbourg), LA PEUR
(Montévidéo à Marseille, Spirale à Poitiers).
Il a également réalisé des images pour les
chorégraphes José Montalvo et Dominique
Hervieu, Kettly Noël et Camilla Saraceni.
Emmanuel Matte
Interprétation
Formé au Conservatoire national de
Région d’Amiens et à l’École internationale de Théâtre Jacques Lecoq, Emmanuel
Matte travaille notamment sous la direction de Vincent Macaigne : IDIOT !
(d’après Dostoïevski), REQUIEM 3,
INTRODUCTION A UNE JOURNÉE SANS
HEROÏSME ; Julia Vidit : MON CADAVRE
SERA PIÉGÉ (d’après P. Desproges),
FANTASIO (Musset) ; Edward Bond :
L’OBJET CACHÉ ; Jérôme Hankins :
LE NUMERO D’ÉQUILIBRE (E. Bond) ;
Marc Lainé : CAGE(S) ; Céline Nogueira :
L’AMOUR DE PHÈDRE (S. Kane) ; Vincent
Rafis : LE LION QUI RIT ET LA FEMME
EN BOÎTE (D. Lachaud), EXÉCUTEUR 14
(A. Hakim). Il a mis en scène SAUVÉS (E.
Bond). Par ailleurs, il écrit pour le cinéma.
Lucie Muratet
Interprétation
Formée au Conservatoire national de
Région de Toulouse, elle travaille au
théâtre sous la direction de Simon
Abkarian, Ron Burrus (Stella Adler Studio
NYC), Florence Giorgetti, Vincent Rafis,
Jacques Rosner, Jean-Pierre Tailhade…
Metteur en scène et auteur, elle fonde la
compagnie PROMISCUITA, au sein de laquelle elle crée et interprète LE MONDE
OÙ NOUS VIVONS et CONCERTA, série de performances présentée de 2004 à
2007 dans des lieux hétéroclites : Palais de
Tokyo, Atelier Picasso, Flèche d’Or, ParisParis, Scène Nationale de Poitiers… Pour
Radio France et Radio Nova, elle écrit des
feuilletons radiophoniques (LA CRÉATION
DU MONDE, CRUCIRAMA…).
Vincent Rafis
Conception
En tant que dramaturge et acteur, il a pris
part à une quinzaine de créations théâtrales et chorégraphiques, notamment auprès de Christian Colin, Arthur Nauzyciel,
Sébastien Ramirez, José Montalvo et
Dominique Hervieu. Il a mis en scène
MANQUE (S. Kane), TENTATIVE
INTIME (S. Revillet), LE LION QUI RIT
ET LA FEMME EN BOÎTE (D. Lachaud),
EXÉCUTEUR 14 (A. Hakim). Chercheur
à l’École des hautes études en sciences
sociales (Paris) et à l’OGC (Utrecht), il
enseigne les études théâtrales. Ses essais sont publiés aux Presses du réel :
MÉMOIRE ET VOIX DES MORTS DANS
LE THÉÂTRE DE JON FOSSE (2009), et
PS : SK. ESSAI SUR SARAH KANE (printemps 2011).
Sophie Wahnich
Collaboration à la dramaturgie
Directrice de recherche au CNRS, elle
travaille dans un rapport passé/présent
sur les liens entre émotions et politique
(LES ÉMOTIONS, LA RÉVOLUTION
FRANÇAISE ET LE PRÉSENT, Paris,
Éditions du CNRS, 2009). Après avoir analysé la figure de l’étranger dans la période révolutionnaire (L’IMPOSSIBLE CITOYEN,
L’ÉTRANGER DANS LE DISCOURS DE
LA RÉVOLUTION FRANÇAISE, Paris,
Albin Michel, 1997), elle a travaillé sur la
violence, ses dynamiques et sa retenue.
Elle a écrit avec Pierre Kuentz le livret de
l’opéra ALLÉGORIE FOREVER et avec
la réalisatrice Dominique Cabrera et le
coscénariste Laurent Roth le scénario de
BEAU DIMANCHE, moyen-métrage sur la
fusillade du Champ-de-Mars.

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