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"NOU VEU PAS PROF KOMOR" : DU RACISME À LA RÉUNION
Jennifer ALBARET, Anne-Sophie GAUDENS et Wilfrid SELLY
Lycée Sarda Garriga - Saint-André (Ile de la Réunion) - 2003
La Réunion, Mesdames et Messieurs, membres du jury, est plus particulièrement connue aujourd'hui
pour l'image multiraciale qu'elle dégage. Mais sachez que, même si en apparence l'île revêt une
image harmonieuse, derrière celle-ci se cache un problème plus profond et récurrent : le racisme.
Notre plaidoirie s'appuie sur un fait divers relaté par les médias, le 4 octobre 2002. En effet, des
élèves de 5e du collège Hubert Delisle de Saint-Benoît, ville située à l'est de l'île, ont refusé d'entrer
en cours. L'explication ? "Nou veu pas prof komor ! komor dehors !" qui signifie : "nous ne voulons pas
d'un prof comorien ! Les comoriens dehors !"
Cependant, puisque les élèves sont âgés de onze à treize ans, il est probable que ces insultes ne leur
sont pas venues spontanément. Difficile d'admettre qu'il s'agissait d'une manière comme une autre
de ne pas aller en cours. Pour la Principale de l'établissement, il est plutôt question d'un problème de
communication. En revanche, les élèves ont-ils pris conscience que leur comportement peut être
puni par la loi ? Ainsi, si l'on se réfère au code pénal, cela relève d'un délit dont les chefs
d'accusations sont :
- Outrage à un enseignant
- Atteinte à la dignité d'autrui.
Et, si l'on veut aller plus loin dans le raisonnement, une problématique s'impose : ces insultes ne
pourraient-elle pas êtres taxées d'un crime contre l'humanité ? Nous pourrions même employer le
terme de déshumanisation pour qualifier l'attitude des élèves face au professeur comorien.
En outre, les élèves réagissent-ils au fait qu'ils peuvent être sévèrement punis et qu'ils sont passibles
d'une amende qui peut s'élever jusqu'à sept mille euros puisque ces dix dernières années les délits
touchant au racisme ont été sanctionnés de manière plus rigoureuse par le Tribunal de Grande
Instance. En effet, il devient de plus en plus inacceptable de tolérer au sein de notre société de telles
réactions vis-à-vis d'un étranger, et surtout de la part de jeunes adolescents. Les véritables questions
qui se posent ici sont les suivantes : d'où peut venir ce mépris ? Pour quelles raisons sont-ils si
méchants à l'égard de personnes d'une autre origine ?
Depuis l'enfance, à l'école, ils côtoient différentes ethnies telles que les Arabes qui sont des IndiensMusulmans, des Indous provenant de l'Inde, des Malabars ou Tamouls issus du sud-ouest de l'Inde,
des Cafres descendant d'Africains esclaves, des "Zoreils" originaires de métropole ou encore des
Malgaches qui viennent de Madagascar. Normalement, n'auraient-ils pas dû s'adapter et prendre
conscience que les personnes étrangères ne sont pas si différentes ?
Quelle serait l'origine des propos racistes tenus à l'encontre de ce professeur ? Cette attitude est
probablement due à la méconnaissance des autres ethnies. D'une part, ce pédagogue n'est pas
comorien, il est en réalité d'origine capverdienne, le Cap-Vert étant une ancienne colonie portugaise
qui est devenue indépendante depuis 1971, au large du Sénégal. Il y aurait donc eu une confusion du
fait que cet enseignant est noir de peau et a un accent prononcé. Cette méprise n'est pas un motif
pour le rejeter. Pour pouvoir déclarer son incompétence, il aurait fallu que celui-ci échoue dans sa
tâche d'éducateur. D'autre part, ces élèves doivent le respect à leur enseignant même s'il ne leur
convient pas. De plus, il est possible qu'il y ait un problème de communication avec le professeur qui
n'est pas formé spécifiquement à adopter l'attitude adéquate face à des adolescents réticents. Cette
situation d'échec a probablement incité les élèves à être désinvoltes. Mais après les faits, le ton est à
l'excuse au collège Hubert Delisle. L'indécence des injures a provoqué une mortification collective
dans l'établissement, confirmée par un communiqué de presse signé par six élèves composant la
délégation au conseil, mais est-ce suffisant ? La Principale cherche à rétablir l'image du collège et
déclare : "Je suis désolée parce que l'incident ne reflète vraiment pas l'état d'esprit général du
collège". Des mesures ont été prises pour faire adopter aux collégiens un sentiment d'indulgence :
par conséquent, la semaine suivant l'affaire est déclarée semaine pour la tolérance et contre le
racisme. La sensibilisation de ces jeunes les incitera à ne plus réagir de manière ethnocentrique. Ces
diffamations blessantes ne sont pas jugées importantes pour les adolescents qui se retournent sans
doute ce genre d'invectives dans la cour de récréation. Néanmoins, pour le professeur, c'est aussi
une question d'amour propre. Une loi récente réaffirme la protection de l'enseignant dans l'exercice
de ses fonctions car son intégrité physique et morale doit être sauvegardée. Les élèves ont donc
largement payé leurs propos à l'issue de cet incident car le professeur a porté plainte, suivi par la
direction du collège. De plus, le conseil de discipline doit se prononcer sur une exclusion temporaire
des quatre élèves. Mais à qui revient la faute ? Comment ces jeunes ont-ils pu proférer de telles
phrases à leur âge ? Les Comoriens font effectivement partie d'une ethnie très différente des autres
mais ce n'est pas un motif plausible pour les rejeter ainsi. Toutefois, les Comoriens sont rejetés à la
Réunion tout comme le sont les Maghrébins en France métropolitaine. Nous trouvons dans cette
affaire médiatisée un paradoxe car l'école est considérée comme l'institution remplissant le mieux
son rôle d'intégration des personnes d'origine étrangère au sein de la société.
Nous pouvions longtemps chercher les causes de ce racisme. Et quand bien même les élèves ont été
excusés et ont été punis, cela ne change rien au fait que l'incident survenu dans ce collège est
révélateur d'une certaine mentalité xénophobe. Ce fait n'entame-t-il pas le mythe de toutes les races
et religions qui cohabitent sur l'île de la Réunion ?
En Métropole comme à la Réunion, les jeunes se mobilisent volontiers pour des causes qui leurs
paraissent nobles. La lutte contre le racisme est l'une de ces causes. Ne voit-on pas, dans l'exemple
de ces jeunes collégiens de Saint-Benoît, un paradoxe ?
L'insulte proférée à Saint-Benoît reflète de la xénophobie. N'est-ce pas étonnant sur une île marquée
par le métissage ?
On y trouve quasiment toutes les ethnies et si ce mépris des élèves face aux Comoriens est
réellement dû à la xénophobie, n'y a-t-il pas ici un problème d'éducation à la fois à l'école et aussi à
la maison ?
Cependant, on ne peut pas nier le fait que sur l'île de la Réunion se sont développés depuis maintes
années des préjugés contre l'étranger noir. Les Comoriens sont non seulement assimilés à des
sorciers, mais en plus la population réunionnaise reproche aux Comoriens de s'installer dans l'île.
N'est-ce pas de la discrimination puisque le peuplement de la Réunion provient essentiellement de
l'immigration ? Les Chinois, les Cafres, les Arabes, les Malabars, les métropolitains ne sont-ils pas des
immigrés eux aussi ? Il faut avoir à l'esprit que cet événement a eu lieu dans un établissement
scolaire. Les questions qui se posent à présent sont : les parents ont-ils pris conscience de la gravité
de l'acte de leurs enfants ? Étaient-ils au courant de ce qu'ils risquaient ?
Si l'on considère que de nombreux organismes se mobilisent pour lutter contre le racisme comme la
GISTI, le MRAP, la LICRA, il n'est pas moins vrai que le racisme, les préjugés, le mépris envers
l'étranger persistent dans les mentalités. Ceci prouve que l'on aura beau inventer des lois qui
évoluent dans le sens où l'on doit punir les propos qui touchent à la dignité d'autrui, cela ne changera
rien aux opinions.
Pour ma part, j'ai personnellement connu ce professeur. Étant donné qu'il est capverdien, son accent
affirmait son origine. Il y a quelques années de cela, je l'avais pour enseignant. C'est vrai, on avoue
que les cours n'étaient pas compréhensibles dans notre cas. Bien que l'on ait remarqué ses lacunes
en matière d'expression et même s'il était de couleur différente et ressemblait à un Comorien, nous
n'avions pas eu l'idée de le rejeter ; au contraire, mes camarades et moi lui faisions part de nos
difficultés à suivre ses cours.
En conclusion, nous pouvons affirmer que les différentes couleurs de peau, de culture, de race
restent un réel problème au sein de notre société. En effet, si l'on arrive parfois à cacher sa haine
envers l'être différent, il n'en reste pas moins vrai que la peur et les préjugés sur les différences
restent dans le cœur de certaines personnes. Ce qui est scandaleux c'est que, malgré l'évolution des
hommes dans la société, les mentalités restent inchangées.
La Déclaration des droits de l'homme n'est donc qu'un texte sur lequel peuvent s'appuyer les
personnes victimes des violations de ces articles mais il faut se dire que ce ne sont pas des mots
écrits sur du papier qui influenceront la pensée des hommes.
Nou veu pa prof komor
C'est une situation tragique qu'à notre époque il existe de tels problèmes mais elle est devenue
encore plus dramatique à l'île de la Réunion sachant qu'elle est appelée "île du métissage" où Blancs
et Noirs se confondent et vivent ensemble.
Ainsi nous dirons que ce que nous trouvons réellement au cœur du problème, c'est la question de la
reconnaissance de l'autre comme tel. Suis-je capable de reconnaître l'autre, non pas seulement en
tant que mon semblable, mais dans ce qui fait son altérité ?