La vie théâtrale à Toulon 1870-1914

Transcription

La vie théâtrale à Toulon 1870-1914
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Le théâtre de Toulon au début de la IIIe République
(1870-1879)
Pour distraire les civils et les militaires résidants ou de passage, Toulon avait toujours attiré de nombreuses
troupes d’artistes qui donnaient leurs représentations dans des lieux hétéroclites, aménagés en salles de
spectacles1. En l’absence de bâtiment spécifique, on aménagea qui des granges, qui des tréteaux dans des
endroits souvent peu commodes d’accès et parfois éloignés du centre de la ville. Cependant, à deux reprises
au XVIIe siècle la ville tenta d’aménager une salle de spectacle dans un local existant. La première fois ce
fut dans le collège des Oratoriens, en 16562 ; la seconde fois, ce fut dans la salle du jeu de paume, en 1695,
lorsque Lully donna ses premières représentations d’opéra en Provence3. Au XVIIIe siècle, devant
l’accroissement du public, Nicolas Boulet4, reprenant une tradition ancienne du mécénat, proposa en 1765
de faire construire à ses frais un théâtre sur le même emplacement que le jeu de paume, « sans autre
condition que d’obtenir le privilège exclusif de l’exploitation théâtrale »5. L’autorisation lui fut accordée le
28 juin 1765 par un arrêt du Parlement de Provence. C’est ainsi que fut édifié, le tout premier théâtre
toulonnais. Nicolas Boulet n’était pourtant pas un artiste. A sa mort en 1787, la salle de spectacle devint la
propriété d’une société financière, qui fut chargée de l’exploitation théâtrale, recrutant un directeur et une
troupe. La municipalité n’avait pas encore de rôle à jouer dans cette affaire, elle n’intervenait que pour
renouveler annuellement le privilège. Avec ce théâtre, Toulon parvint à se hisser au rang des grandes villes
culturelles, où de nombreux artistes vinrent y donner des représentations6. C’est en 1830 que la municipalité
se porta acquéreur de ce théâtre pour la somme de 6 000 F et institua un mode d’exploitation rigoureux. Elle
en confia la gestion à un directeur, institua le système de la saison théâtrale, et arrêta le registre aux drames,
comédies, vaudevilles, mais aussi déjà l’opéra.
Cependant, le public ne cessait d’augmenter, tout comme la population, et l’expédition d’Alger amena un
afflux de militaires que ce vieux théâtre ne pouvait plus contenir 7. Il apparut nécessaire pour la ville de se
doter d'un bâtiment plus représentatif de sa dimension culturelle et le projet germa dans l’esprit des édiles de
construire un édifice plus important.
L’affirmation de la légitimité politique se faisant par l’encouragement et la création d’institutions culturelles,
l’élite dirigeante, alors d’origine bourgeoise et militaire, voire aristocratique, fit pression pour que la
municipalité édifia une salle de spectacle en rapport avec la dimension de la cité. Ce projet put voir le jour
lorsque Napoléon III autorisa en 1852 l’extension du périmètre fortifié, mais il fallut dix ans pour sa
réalisation. Avec son nouveau théâtre, Toulon se portait en rivale des autres villes qui possédaient ce genre
de divertissement. Il était, et est toujours, un des plus beaux de France, après Paris.
Après une rapide description du bâtiment, nous étudierons les modalités de l’administration du théâtre par la
ville et nous analyserons la gestion théâtrale de chacun des directeurs de la difficile installation de la IIIe
Les premières représentations furent données dès 1333. Le jour de Noël 1333 est donnée une manifestation scénique intitulée
La jeunesse de la Vierge et la Naissance de Jésus.
2
Comité municipal du centenaire, Le Centenaire du théâtre de Toulon 1862-1862 (BMT 4296) : La ville vota le 20 mars 1656
une dépense de dix livres pour aménager ce théâtre. Le collège des Oratoriens devint le Palais de justice, aujourd’hui la Bourse
du travail.
3
Amann (Dominique).
4
Nicolas Boulet exerçait la profession d’orfèvre à Toulon, mais mu par son amour du théâtre, ainsi que son amour pour sa ville
d’accueil, il avait décidé de consacrer une partie de sa fortune personnelle à l'épanouissement d'activités théâtrales à Toulon
5
Comité municipal du centenaire, Le Centenaire du théâtre de Toulon 1862-1862 (BMT 4296). Ainsi naissait le nouveau temple
du bel-canto dans la rue du Jeu de Paume devenue pour la circonstance rue de la Comédie, puis par décret municipal du 15 juin
1883, rue Denfert-Rochereau.
6
Notamment Paganini, Offenbach.
7
Cette salle, dépourvue de sièges, pouvait accueillir jusqu’à 900 spectateurs, mais à condition qu’ils restent debout.
2
1
République après Sedan.
I – Description du nouveau théâtre
Ainsi, dès 1853, la municipalité Bourgarel proposa la réalisation de ce projet 8. Le théâtre fut édifié par trois
entrepreneurs toulonnais, MM. Serres, Falco et Meyer, et fut achevé en septembre 1862. Il peut contenir
1797 spectateurs au moment de sa construction 9, soit deux fois plus que dans l’ancien théâtre rue de la
Comédie (rue Denfert Rochereau), et a coûté à la ville 1 991 003 F :
- 1 090 000 F pour l’achat à l’Etat des immeubles sis entre la rue Royale et le boulevard Napoléon (devenu
après 1870 le boulevard de Strasbourg), entre les rues Racine, Molière et Corneille,
- 901 003 F pour la construction du bâtiment.
Ce nouveau théâtre fut inauguré solennellement le 1er octobre 1862, en présence du maire, des conseillers
municipaux, et d’un important public10. L’ouverture s’est faite avec Guillaume Tell, chef d’œuvre de
Rossini, suivi d’une cantate de Gonnod, enfin Les Mousquetaires de la Reine.
1 – Le bâtiment
Les monuments d’une ville ont un rôle d’éducation pour sa population en étant les témoins de nos gloires et
de nos souvenirs. Ils servent ainsi de vecteurs à la propagande idéologique.
Le théâtre municipal, de style romain, construit en pierres blanches, offre à la vue des Toulonnais une
architecture correspondant aux goûts de l’époque napoléonienne du Second Empire. Si la municipalité eut
recours à un architecte marseillais pour dresser les plans de l’édifice, elle se retourna auprès d’artisans
toulonnais pour sa construction. De nombreuses statues en marbre ornent les différentes façades. Au sud, audessus de l’escalier permettant l'accès du public, Pierre Louis Joseph Daumas 11 sculpta la Comédie et JeanBaptiste Klagmann12 la Musique. Sur la façade nord, des muses sont représentées : Calliope (la poésie
épique, l’éloquence), Melpomène (la tragédie), Euterpe (la musique), Polymnie (l’hymne sublime),
Terpsichore (la danse et le chant choral), Thalie (la comédie), sculptées par Marius Montagne13. De plus,
l’ensemble de la décoration, intérieure et extérieure du théâtre, fut exécutée par d'autres artistes et artisans
toulonnais : la marbrerie fut l’œuvre de Prosper Rossi, les hauts reliefs de Marius Montagne, la plâtrerie et la
serrurerie furent également l’œuvre d’entrepreneurs toulonnais, dont les noms sont moins connus
2 – Un escalier monumental
Un escalier d’honneur permet l’accès aux étages supérieurs. Ce qui domine, ce n’est pas seulement le côté
monumental de cet escalier, mais aussi la décoration qui lui a été attribuée. La ville a acquis un tableau
représentant La Farandole de Pétrarque, œuvre du peintre d’histoire Valentin Sellier14. Cette œuvre
Le 16 mars 1853, la municipalité Augustin Reynaud (ancien fonctionnaire de marine) adopta le plan d’agrandissement de la
ville. Le 20 mars 1856, la municipalité Bourgarel adopta le projet de l’architecte Feuchères pour la construction d’un nouveau
théâtre.
9
A ce jour, suite aux derniers travaux de rénovation effectués au début de la saison 2004-2005, le théâtre ne compte plus que 1
298 places.
10
Le Toulonnais, 2 octobre 1862, « A propos de l’inauguration du théâtre », p. 2. Le discours d’inauguration fut écrit par le poètemaçon Charles Poncy (voir le texte intégral en annexe). La première représentation qui fut donnée, sous la direction de Tony, fut
un opéra comique : Les Mousquetaires de la Reine.
11
Pierre Louis Joseph Daumas (1801-1887).
12
Jean-Baptiste Klagmann (1810-1887).
13
Pierre Marie Montagne, né à Toulon le 4 septembre 1828 et mort dans la même ville le 17 janvier 1879. Il fut l’élève de Rude,
ancien pensionnaire de la ville, après avoir étudié durant de nombreuses années dan l’atelier de sculpture du port de Toulon. Il
exposa au Salon de 1840 à 1875.
14
Marie Alexandre Valentin Sellier fut un peintre d’histoire du XIXe siècle, dont le musée de Toulon possède certaines de ses
3
8
représente la Fontaine de Vaucluse auprès de laquelle Laure, la jeune amante de Pétrarque, venait se
rafraîchir. L’acquisition de ce tableau a été motivée par la volonté de rendre hommage au musicien
toulonnais Hippolyte Duprat, auteur d’un opéra en cinq actes Pétrarque15. Nous verrons plus loin comment
cette pièce fut mise en scène, après de nombreuses péripéties.
3 – Le plafond
Le plafond du théâtre est une toile peinte, d’une dimension de 15 mètres de diamètre, et dont le travail a été
confié à Louis-Noël Duveau16. Cette peinture présente différentes scènes, que l’on peut couper en cinq
parties. Voici la description qu’en fit Charles Ginoux en 189117 :
« A droite : Corneille, Racine, Guétry, Mozart,
- A gauche : Molière, Beaumarchais, Goethe, Shakespeare,
- Au milieu : une figure de femme personnifiant la ville de Toulon, assise sur un canon et adossée contre des
trophées de drapeaux de diverses nationalités et les débris d’une palissade, attributs des victoires de sa
marine
- A sa gauche, deux personnages symbolisant la marine militaire et la construction navale
- A sa droite, une femme affaissée, soutenue par Mercure conciliateur : elle présente à la ville de Toulon le
caducée, symbole de la paix qui fait fleurir le commerce et les arts ».
Déjà en 1862, sous l’impulsion de maires issus de la bourgeoisie progressistes, les décorations avaient pour
objectif de transmettre au peuple « l’influence morale des classes moyennes »18, en présentant les portraits
des grands hommes le la littérature et des arts qu’ils affectionnaient et qui leur servaient de référence. Ce
furent en effet d’une part des écrivains classiques choisis parmi les plus célèbres dramaturges des XVIIe et
XVIIIe siècles, français et étrangers, mais aussi des compositeurs tout aussi célèbres, toujours dans la
référence du classicisme, période qui prend comme référence esthétique les chefs-d’œuvre de l’Antiquité
gréco-latine.
Corneille fut le représentant le plus emblématique de la tragédie classique française dans la seconde moitié
du XVIIe siècle19. Avec lui, la tragédie s’affirma comme un genre dramatique à part, privilégiant le thème
héroïque et le dépassement de soi. Il fut suivi de près par Racine qui remporta, avec Andromaque en 1667,
un succès public quasi égal à celui qu’avait eu Corneille trente ans plus tôt avec le Cid (1637). Beaumarchais
fut un autre représentant du genre dramatique, dont l’œuvre apparut novatrice à la veille de la Révolution par
l’intérêt porté aux classes modestes dans le Mariage de Figaro en 1784. Molière, bien que dramaturge,
s’imposa dans un genre nouveau, la comédie classique, et incarna l’auteur classique français par excellence.
En effet, avant lui, la comédie se composait surtout de pièces grossières, inspirées de la farce ou de la
commedia dell’arte. Beaumarchais utilisa après lui ce genre pour dresser une satire de la société française,
condamnant notamment les privilèges de la naissance et de la fortune.
Quant aux deux auteurs étrangers, qui ne sont pas contemporains de la période classique, ils furent
cependant choisis pour leur renommée dans leur pays. Le poète allemand Goethe (1749-1832) était auteur de
toiles.
Hippolyte Duprat, né à Toulon le 31 octobre 1824, mort à Paris le 20 mai 1889, fit carrière dans la Marine en tant que médecin,
avant de démissionner de ce corps après dix-huit ans de service pour se consacrer entièrement à la Musique. Il écrivit un opéra,
Pétrarque, qui fut joué pour la première fois à l’opéra de Marseille le 19 avril 1873 et remporta un vif succès dans toute la
région durant le dernier tiers du XIXe siècle (Toulouse, Avignon et même Lyon). Lorsque la pièce fut jouée à Toulon, la
municipalité vota une somme de cinq mille francs en plus de la subvention ordinaire qui était de 22 600 F.
16
Louis-Jean-Noël Duveau est un peintre né à Saint-Malo le 25 décembre 1818, qui meurt à Paris le 26 mai 1867. Entré à l’Ecole
des Beaux-Arts en 1840, il obtient le deuxième prix au concours de Rome en 1848 et de nombreuses médailles. Il exposa au
Salon de 1842 à 1867 des tableaux de genre. Il fut choisi par la municipalité de Toulon pour son expérience de décoration de
théâtre, celui de la Gaîté.
17
Charles Ginoux, Histoire et description des monuments publics de Toulon, Paris, 1891, pp. 17 à19.
18
Maurice Agulhon, La République au village, Paris, Plon, 1970, p. 473.
19
Les deux grands genres classiques sont l’épopée et la tragédie. Corneille fut l’un des plus grands auteurs de tragédies de son
siècle.
4
15
romans et de pièces de théâtre aux XVIIIe-XIXe siècles20, mais il fut surtout l’une des plus grandes
références littéraires après son installation à la cour de Weimar, centre intellectuel et littéraire de
l’Allemagne, où il occupa des postes importants au sein du gouvernement. Son œuvre est généralement
considérée comme l’une des plus importante de la littérature mondiale. Shakespeare (1564-1616), en
revanche, fut choisi pour ses qualités de poète et de dramaturge anglais. Il écrivit des pièces historiques
influencées par le théâtre classique avant le classicisme, et c’est en cela qu’il fut novateur. Il fut l’auteur
d’une des plus grandes œuvres de la littérature universelle. Ces six hommes représentaient l’ensemble des
arts littéraires que le théâtre devaient prendre en exemple dans leurs pièces et que tout Toulonnais se devait
de connaître dans sa culture de base.
Comme la destination de ce nouveau bâtiment était essentiellement des œuvres musicales, cette pléiade
d’hommes illustres fut complétée par deux compositeurs classiques tout aussi célèbres, et non des moindres :
Mozart et Grétry, un Belge et un Autrichien, qui furent les principaux compositeurs d’opéra et d’opéracomique en France pour cette époque. Grétry (1741-1813) fut considéré, avec Pierre Monsigny, comme l’un
des fondateurs de l’opéra-comique français ; quant à Wofgang Amadeus Mozart 1756-1791) il fut l’un des
grands musiciens de la période classique composant des opéra serie et des opéras bouffe, mettant en scène
des pièces de Beaumarchais (notamment les Noces de Figaro, un de ses plus grands succès, tiré du Mariage
de Figaro)21. A début du XIXe siècle, le style classique viennois illustré par Mozart domina toute l’Europe.
C’est en raison de ce fait qu’il fut digne de figurer à vie sur le plafond de l’opéra de Toulon.
Le classicisme en France est un cas singulier parce qu'il se donnait comme idéal l'imitation des Anciens22,
mais aussi parce qu'il était devenu une période de référence de la culture nationale. L’institution scolaire fit
du classicisme, dès le début de la IIIe République, un mythe national, un moment de perfection de la
langue et de la littérature, effaçant le multilinguisme des parlers régionaux.
Tous ces hommes représentaient, pour la bourgeoisie toulonnaise, les auteurs et compositeurs à connaître et
à faire connaître à la population toulonnaise pour qu’ils servent d’exemple. En effet, la musique classique
d’époque prérévolutionnaire et contemporaine de la Révolution française, devait dépasser le simple
divertissement. Dans l’opinion de la bourgeoisie du milieu du XIXe siècle, elle devait s’adresser désormais
au grand public, non plus à un petit cénacle d’experts. Cette toile est encore visible aujourd'hui. La seule
modification qu'elle connut fut opérée en 1898 par le maire Pastoureau qui fit restaurer le plafond par Joseph
Grandy23, ne modifiant que quelques points de la toile, encadrant les auteurs et compositeurs célèbres dans
des cartouches décoratives, et rajoutant des ornements à la fresque pour rehausser l’ensemble. Cette
présentation, qui a pour vocation d’amener le citoyen à honorer les grandes figures de l’histoire, a aussi pour
objectif d’amener à suivre l’exemple de ceux que l’on proposer comme guide. Ce plafond, particulièrement
visible du « Paradis », est donc, plus que n'importe quel autre tableau, une propédeutique de la littérature
française et de la musique classique.
Ce n’est pas le Goethe des Souffrances du jeune Werther (1774) qui est pris comme référence, où il est plutôt considéré comme
un précurseur du romantisme, mais plutôt le Goethe « le classicisme de Weimar » entre 1786 et 1805.
21
Mozart était aussi l’un des plus célèbres membres de l’ordre maçonnique dont l’opéra la Flûte enchantée est empreint du rituel
maçonnique.
22
La poétique classique se place sous le signe de celle d’Aristote. Elle reprend à l’Antiquité la définition de la littérature comme
« imitation » et le précepte « plaire et instruire », qui servira entre autre à justifier l’existence du théâtre contre les attaques des
catholiques rigoureux.
23
Joseph Grandy,
5
20
Photographie du plafond du théâtre
(Société des Amis des Vieux Toulon)
6
II – Le cahier des charges sous le contrôle de la municipalité
Le cahier des charges règle les conditions de recrutement du personnel, l’exploitation du théâtre et constitue
le lien avec les autorités supérieures. Il était rédigé par une commission municipale de dix membres qui le
soumettait au conseil, puis à l’approbation du préfet avant d’être mis en vigueur. Il prévoyait donc le prix
des places et des abonnements, le nombre d’artistes à recruter, le montant de la subvention, mais aussi le
nombre de personnes autorisées à assister gratuitement aux représentations.
A Toulon, le cahier des charges était rédigé par une commission municipale de dix membres qui le
soumettait au conseil municipal. Une fois accepté par ce dernier, il était soumis à l’approbation du préfet et
mis en vigueur. Ce cahier des charges réglait les conditions de recrutement du personnel, l’exploitation du
théâtre et le lien avec les autorités supérieures.
1 – Un répertoire digne des plus grandes scènes
a) Tous les genres sont exploités
La municipalité avait prévu de faire représenter au théâtre de Toulon tous les genres. Pendant les six mois
d'exploitation, le directeur était tenu de faire représenter le grand opéra, l'opéra comique, les traductions, le
drame, la comédie de genre, l'opérette et le vaudeville, auxquels furent rajoutés la grande opérette en 1895 et
le ballet à partir de 1896. Certaines années toutefois, des assouplissements furent accordés au directeur du
théâtre et l’on vit que les drames furent quelques fois facultatifs24 ; parfois aussi, les genres obligatoires
furent seulement restreints à la grande opérette, le drame, la comédie de genre et le vaudeville25.
Les représentations de comédie, drame et vaudeville étaient plutôt appréciées de la masse de la population
alors que celle d’opéra restaient la prédilection de la classe aisée, plus cultivée, dans les premières années de
la IIIe République. Cette tendance évolua au cours de la période. A Toulon, l’opéra régnait d’habitude en
maître sur la scène du grand théâtre et reléguait au troisième plan le genre dramatique, après la comédie.
Les représentations de drame, comédie et vaudeville pouvaient avoir lieu avec le concours des troupes de
passage à la condition que le nombre de représentations ne dépassait pas deux par mois pendant la période
des débuts, c’est-à-dire pendant les deux premiers mois d’exploitation. Les mois suivants, le directeur restait
libre de les donner quand il le voulait.
Le Directeur ne pouvait faire représenter des pièces dites Féeries sans en avoir, au préalable, obtenu
l'autorisation expresse du Maire. Ce type de représentation n’était pratiquement jamais donné à Toulon en
raison des dangers d’incendie.
b) Des représentations soumises à autorisation.
En France, une censure était exercée par le gouvernement sur les auteurs et les pièces à donner en
représentation. Le gouvernement avait réalisé une liste de pièces interdites. Lorsqu’un directeur établissait
son programme pour la saison théâtrale, il devait soumettre le contenu à la municipalité qui l’examinait et
comparait avec les prévisions du gouvernement. Si une pièce interdite figurait sur la liste du directeur, il
Durant la saison 78-79, le drame n’était pas obligatoire, mais le redevint dès la saison suivante. Il sera à nouveau facultatif dans
la saison 85-89.
25
Durant trois saisons, de 82 à 85 et en 87-88.
7
24
contraignait ce dernier à la retirer ; si une pièce n’y figurait pas, il devait solliciter le gouvernement
l’autorisation de la faire représenter à Toulon.
Les titres qui avaient obtenu un grand succès à Toulon, ou qui avaient nécessité de la ville un investissement
important, notamment dans un décor coûteux, étaient inscrits d’office dans le programme de chaque saison
théâtrale dans le but d’amortir les dépenses occasionnées pour la première mise en scène. Ce fut notamment
le cas pour l’Africaine, le Trouvère, Faust26.
2) Une subvention pour redonner vie au théâtre
La ville apportait son aide et son soutien au théâtre pour alléger ses charges. Cette aide pouvait être soit en
nature, soit en argent, selon l’état du budget municipal.
a) De la prise en charge des frais afférents au directeur…
La commune prenait parfois à sa charge certaines dépenses pour aider le directeur dans son exploitation. Ce
pouvait être la prise en charge du droit des pauvres (qui représentait généralement une somme de 1 000 F
pour la saison), ou bien l’exonération des frais d’éclairage (pour un montant global de 9 000 F). C’est ce
qu’elle fit notamment pour aider M. André Tallon, en 1873-1874, à poursuivre son exploitation et maintenir
le théâtre ouvert jusqu’à la fin de la saison.
Le « droit des pauvres », que nous verrons plus en détail plus loin, est un impôt que tous les établissements
de spectacle doivent payer. Son origine remonte à François 1er et représentait 1/9° des recettes brutes des
spectacles. Il fut aboli en 1789 et remplacé, le 16 août 1790, par une représentation mensuelle au bénéfice
des pauvres dont la recette devait être versée à la caisse des hôpitaux. Ce droit des pauvres est prélevé sur les
recettes du théâtre seulement durant toute la saison théâtrale pour le théâtre, alors que pour les autres
établissements de spectacle il est dû tout au long de l’année.
b) … à une aide pécuniaire plus ou moins importante.
La municipalité toulonnaise versait, depuis 1862, une subvention annuelle au directeur pour la saison
théâtrale allant généralement de la mi-octobre à la mi-avril. Cette subvention, qui était alors de 80 000 F, a
été supprimée dans les premières années qui suivirent la guerre. Jusqu’en 1874, les directeurs ont dû faire
face avec leurs seules ressources. Puis Toulon, comme le reste de la France, se remit du déficit financier
consécutif au paiement de la dette de guerre de 3 milliards à l’Allemagne, mais entre 1874 et 1880, la vile ne
pourra verser qu'une somme allant de 15 000 F à 25 000 F. Si, par la suite, la subvention vit une
augmentation, elle n'atteindra jamais les sommes versées avant la guerre.
Montant de la subvention entre 1870 et 187927
Année
1870
1871
1872
1873
1874
1875
1876
1877
1878
1879
Montant
0
0
0
0
19 000
22 600
19 000
15 000
25 000
25 000
AMT, 3 R IV 9, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1867-1872, Toulon le 7 décembre 1871, lettre de Mounier de Joly au
maire de Toulon.
27
AMT, cahiers des charges de 1870 à 1879.
8
26
Ce n'est qu'au-delà de ces années difficiles, à partir de 1880, que la subvention augmentera de façon plus
conséquente grâce à l’action de la municipalité radicale de Henri Dutasta, qui versera les premières années
36 000 F, puis 400 000 F à partir de 1885, et son successeur 50 000 en 1891. L’arrivée à la municipalité de
républicains modérés modifia ces conditions avantageuses (35 000 F en 1892). Mais les socialistes
reprennent l’élan des radicaux (75 000 F en 1893). Même les nationalistes ont tenté de séduire les directeurs
de théâtres avec une subvention de 80 000 F en 1899 et 1900. Mais le maximum a été atteint avec le
socialiste Marius Escartefigue qui offrit 100 000 F de subvention à son directeur de théâtre.
Cette subvention est versée en espèces, mensuellement, à raison de un sixième à la fin de chaque mois
d’exploitation et après justification faite par le directeur du paiement du droit des pauvres, de l’éclairage et
du personnel (choristes, musiciens, machinistes et employés administratifs). Cette somme ne pouvait en
aucun cas être augmentée au cours de la saison, quels que fussent les motifs invoqués.
c) Le budget théâtral en constante augmentation
Mais les dépenses communales en matière de théâtre ne concernait pas que la subvention. La ville devait
assurer l’entretien du bâtiment, et payer le salaire de certains employés qui n’étaient pas à la charge du
directeur, sommes pouvant fluctuer de 2 000 à 5 000 F.
Nous voyons dans le tableau ci-dessous la somme dépensée annuellement par la ville en matière de théâtre et
le pourcentage de ce chapitre dans le budget communal en matière des Beaux-arts, Sciences et Agriculture
pour les premières années de la IIIe République.
Les dépenses communales, en Francs, pour les chapitres Beaux-Arts,
Sciences et Agriculture28
Budget communal
1872
1873
1874
1875
1876
1877
1878
1879
6 200
6 800
500
5 600
1 000
3 000
6 300
0
22 600
1 000
4 000
5 800
0
21 100
1 000
3 600
5 550
0
23 634
1 250
5 100
5 550
0
22 600
1 800
4 200
6 827
25
22 600
1 000
4 200
6 250
0
31 400
1 000
5 500
7 850
40
30 305
1 000
6 500
5 145
500
5 500
5 415
0
4 000
2 915
0
4 532
2 915
0
6 000
2 415
0
5 600
3 015
0
5 600
2 500
0
5 787
2 415
0
500
0
0
0
0
0
0
0
32 745
43 815
38 815
41 481
43 465
43 267
50 950
52 897
17,10 % 51,58 % 54,36 % 56,98 %
52,00 %
52,23 %
Beaux-Arts, sciences,
agriculture
Musée communal
Bibliothèque communale
Bibliothèque populaire
Théâtre
Encouragement aux
artistes toulonnais
Jardin public
Reboisement du Faron
Subvention à la société
académique
Subvention au comice
agricole
Total
Pourcentage du budget
consacré au théâtre
28
61,63 % 57,29 %
Archives municipales de Toulon.
9
3) Une caution pour garantir l’achèvement de la saison théâtrale
Le directeur devait verser un cautionnement d’un montant allant de 15 000 à 25 000 F en garantie des
obligations imposées par ce cahier des charges. La somme était déposée à la Caisse des Dépôts et
Consignations le jour de la signature de ce document par le nouveau directeur et restituée à la fin de
l’exploitation. Le cautionnement était confisqué et devenait la propriété de la ville si le directeur quittait son
entreprise avant les six mois réglementaires,.
Evolution du montant du cautionnement
entre 1870 et 1879
1870
0
1871
0
1872
0
1873
0
1874
19 000
1875
22 600
1876
19 000
1877
15 000
1878
25 000
1879
25 000
4) Le prix des places et abonnements
Le prix des places était fixé par la municipalité dès la création de l’institution. Le montant évolua peu au
cours de la première partie de la IIIe République, seules furent diminuées les prix des places de troisième
catégorie après 1885. On peut se procurer des billets directement au théâtre, mais aussi à plusieurs points de
vente, chez un bijoutier, M. Allègre, rue d’Alger, chez le coiffeur Madon, rue de l’Arsenal, chez la mercière
Robert, place de la cathédrale et chez le libraire Danillon, rue Nationale29.
a) Prix ordinaires
Le salaire moyen d’un ouvrier de l’arsenal étant à ce moment de 2,90 F/jour30 (soit 27 F/mois), cette
catégorie de personnes ne pouvait avoir accès qu’aux amphithéâtre, les autres places aux tarifs plus élevés
étant évidemment accessibles aux personnes aux revenus plus importants.
Le prix de ces places pouvait toutefois être augmenté par le directeur pour des représentations
extraordinaires, avec l'autorisation du Maire31. En revanche, il avait la possibilité de les diminuer sans son
autorisation.
La Sentinelle du Midi, 2.4.1875, « Chronique méridionale », p. 2.
Agulhon (Maurice), Histoire de Toulon, Privat, 198 .
31
Il n’y a pas de prix de places pour les matinées qui ne verront le jour qu’en 1896.
29
30
10
Prix des places et abonnements32
Prix des places
Fauteuils d’orchestre
Fauteuil de balcon
Stalles de parquet
Stalles de 1ère galerie
de 1870 à 1884
4F
4F
3F
2,50 F
Secondes de côté
Parterre
1er amphithéâtre
2F
1,50 F
1F
2ème amphithéâtre
0,50 F
Prix de l'abonnement à l'année :
Hommes
Dames
Fauteuils d'orchestre
Fauteuils de balcon
Parquet
Stalles de première galerie
Loges à l'année :
Baignoires de côté et loges de balcon
Baignoires du fond
Baignoire n° 1
Baignoire n° 2
Loges de galerie
Loge d'avant-scène avec salon
90 F
60 F
60 F
60 F
45 F
30 F
300 F
250 F
1 600 F
2 699 F
220 F
425 F
Supplément pour loges :
plus 4 places
plus 5 places
plus 6 abonnements
plus 7 abonnements
plus 4 abonnements
plus 7 abonnements
La municipalité autorise le directeur à louer à l’année la moitié des places, notamment celles des loges des
baignoires et de la première galerie, des fauteuils d’orchestre et de balcon et des stalles de parquet et de
première galerie, ceci dans le but de laisser un certain nombre de places disponibles pour le public qui ne
venait pas régulièrement. Pour les locations au mois, le directeur ne pouvait disposer que du quart de
certaines places : loges des baignoires de la première galerie, fauteuils d'orchestre et de balcon, stalles de
parquet et de la première galerie. Les autres loges et les autres places étaient toujours réservées aux
personnes qui ne pouvaient ou ne voulaient s'abonner ni à l'année, ni au mois. Les deux loges du milieu du
balcon n’étaient louées qu'à la soirée. Tous les abonnements étaient payables d'avance, la sous-location étant
formellement interdite.
b) Entrées gratuites, places réservées
Le cahier des charges prévoyait en outre des représentations gratuites une fois au cours la saison théâtrale au
bénéfice de la caisse des écoles dont le produit était versé au maire qui le transmettait à la caisse en question.
A partir de 1878, cette clause fut modifiée et permit au directeur de verser au maire la somme forfaitaire de
cinq cent francs correspondant au produit de cette représentation 33. Aucun autre type de représentation
gratuite n’était prévue avant 1895, date à laquelle le directeur fut tenu de donner une représentation
populaire le jour anniversaire de l’établissement de la Seconde République, radicale et sociale, le 24 février.
La République, avait à ce moment, besoin de soutient et l’activité artistique était sollicitée pour participer au
mouvement34.
AMT, Cahier des charges du Théâtre municipal.
Plus tard, le cahier des charges imposera des représentations pour les enfants des écoles communales tous les jeudis, en matinée.
34
La saison théâtrale se déroulant entre le 1er octobre et le 30 avril, seule la commémoration de la naissance de la Seconde
République pouvait être réalisée. Les autres commémorations se situant à l’extérieur de ce créneau de dates : la 1ère République a
sa fête le 21 septembre, la 3ème le 4 septembre.
11
32
33
12
En dehors des places payantes, un certain nombre était réservé à des personnalités importantes de la ville qui
bénéficiaient d’une entrée gratuite. Il s’agissait du Préfet du département, du sous-Préfet de Toulon, du
Maire et de ses adjoints, du commissaire central de police, du Commissaire de police de service, des deux ou
officiers de service, de l’adjudant de place, du directeur des travaux de la ville, et des agents des compagnies
qui ont assuré le Théâtre. Cette liste ne verra pas de modification avant 1894, date à laquelle le Préfet
maritime aura à son tour une entrée gratuite et réservée, dans la grande loge de face de balcon35.
D’après le plan ci-dessus, nous pouvons situer les loges réservées : le maire et le sous-préfet avaient les deux
grandes loges sur l’avant-scène ; celle du côté droit était à la disposition du préfet du Var et du sous-préfet
de Toulon (Le préfet du Var siégeant à Draguignan, sa venue à Toulon était rare) ; celle du côté gauche était
à l’usage personnel des adjoints au maire.
Ce n’est donc qu’en 1894 que le vice-amiral, préfet maritime, se vit pour la première fois octroyée une place
réservée et gratuite, sous la municipalité socialiste Prosper Ferrero. Les tensions entre pouvoir civil et
pouvoir militaire étaient désormais apaisés. A partir de cette date, d’autres personnalités auront également
une entrée gratuite et une place réservée : le médecin de service, le directeur des travaux de la ville, un agent
de la compagnie d’éclairage, ainsi que le conservateur et le sous-conservateur du théâtre. L’année suivante,
ce fut le tour des sept membres de la commission consultative des Beaux-Arts, en 1900 le receveur
municipal, en 1901 le directeur des travaux communaux et le fourrier de la ville de service.
5) Des Artistes en tous genres
Le directeur du théâtre devait, pendant la durée de sa gestion, fournir une troupe complète d’artistes lyriques
et dramatiques. Il présentait à la municipalité le tableau de sa troupe avant de commencer l’exploitation,
comprenant les noms, prénoms, surnoms et emploi des acteurs, actrices et musiciens. La troupe était
généralement composée d’artistes de chant, d’artistes de danse, d’un chœur et des musiciens de l’orchestre.
A ce tableau, le directeur joignait l’engagement de chacun des acteurs et des actrices de sa troupe. La ville
avait un délai de huit jours pour accepter ou refuser les artistes proposés.
Drame, Comédie, vaudeville
Hommes
un grand premier rôle de drame
un jeune premier rôle des premiers rôles
un jeune premier amoureux
un grand troisième rôle
un grand premier comique
un premier comique marqué
un jeune premier comique
un deuxième comique
un grime rôle de genre
un père noble
35
Dames
un grand premier rôle
une ingénuité
une soubrette
une grande coquette
une jeune première
une duègne
un rôle de genre
une deuxième soubrette
A cette date également, le cahier des charges nommera les places individuelles réservées à chaque personnalité :
MM. Le Préfet du département,
loge d’avant-scène, côté droit
Le Sous-Préfet de Toulon,
loge d’avant-scène, côté droit
Le Maire,
loge d’avant-scène, côté gauche
Les Adjoints du Maire,
loge d’avant-scène, côté gauche
Le Secrétaire général
un fauteuil de balcon, côté droit, n° 20
13
a) Des artistes de chant de qualité
A partir de 1892, le cahier des charges prévoyait deux catégorie d'artistes de chant : ceux qui exécuteront un
répertoire d'opéra comique, et ce qui exécuteront un répertoire de drame, de comédie, de vaudeville.
Artistes de chant
hommes
1er fort ténor
1er ténor léger et des traductions
2° ténor léger,
ténor comique trial
baryton de grand opéra
baryton d’opéra comique
basse noble
basse chantante
basse tablier
laruette
grand coryphée et utilité
dames
Forte chanteuse falcon
Forte chanteuse stoltz (chanteuse contralto)
Chanteuse légère d’opéra comique
Première dugazon (Galli-Marié)
Une dugazon d’opérette
Une seconde dugazon
Une Desclauzas
Une duègne d’opéra et d’opéra comique
b) Des artistes de danse pour le ballet
Pour la bonne marche du répertoire de l’opéra, un corps de ballet était composé au minimum d’un danseur et
de plusieurs danseuses, dont le nombre variait d’un directeur à l’autre. Généralement on comptait entre huit
à dix danseuses.
Artistes de Danse
Hommes
Un maître de ballet
Dames
Une première danseuse
Une à deux deuxièmes danseuses
Deux à quatre coryphées
Deux à quatre marcheuses
c) Un orchestre bien fourni
Le directeur devait recruter une troupe d’orchestre évoluant entre 30 et 50 musiciens. Le cahier des charges
imposait qu’il soit au grand complet uniquement pour les représentations du grand opéra et de l’opéracomique.
Personnel de l'orchestre
en 1896
Qualité
Nombre
1er chef d’orchestre
sous chef répétiteur
premiers violons
seconds violons
altos
violoncelles
contrebasses
clarinettes
1
1
6
6
4
4
4
2
14
d) Un chœur mixte
2
2
2
1
4
1
3
1
1
1
1
47
flûtes
haut bois
bassons
saxophone
cors
pistons
trombones
timbalier
pianiste
grosse caisse
harpiste
TOTAL
Un chœur de chanteurs et de chanteuses devait accompagner la troupe lors des représentations d’opéra, mais
aussi des drames, comédies et vaudevilles. Le personnel des chœurs évoluait de 28 à 50 chanteurs. Leur
nombre sera fixé ainsi à partir de 1885 sous la municipalité Dutasta :
Personnel
Hommes
20
des
Dames
12
chœurs
Total
32
L’objectif était de fournir une troupe « de telle sorte qu’elle puisse jouer d’une manière digne d’une grande
ville »36 les différents genres de spectacles imposés par le cahier des charges.
III – Les premiers directeurs de la IIIe République
Les Républicains héritaient d’un théâtre splendide, aux vastes proportions, l’un des plus grands et des plus
beau de France, mais ils auront à regretter cette magnificence qui en rendait l’exploitation d’autant plus
difficile37.
L’élite dirigeante, jusqu’alors d’origine bourgeoise, allait laisser la place, après 1870, à une élite issue « la
classe moyenne », séduite par le radicalisme (petits fonctionnaires, professeurs, avocats), celle dont
pressentait le fondateur de la République Gambetta dans son discours de Belleville en 1869 et qui allait
prendre une importance croissante, notamment suite à la révolution industrielle et la révolution économique.
Ces nouveaux acteurs aidèrent à l’affirmation d’une nouvelle légitimité politique du pouvoir en France, et
Toulon sera une des villes précurseurs en ce domaine, non seulement dans la région, mais aussi dans toute la
France. Leurs premières missions concerneront l’éducation et la formation des citoyens, tâche qui sera
confiée par le gouvernement à la cellule régionale. Toulon adhéra très tôt à ces nouvelles idées. En effet,
« un conseil municipal républicain doit se préoccuper d’élever le niveau intellectuel et moral de la
population »38. Ils estimèrent que le théâtre était un bon enseignement qui développait le goût de la musique
et des Beaux-Arts. Les Républicains utilisèrent donc ce moyen pour transmettre aux populations une
éducation plus large.
Les directeurs du théâtre étaient nommés par la municipalité et voyaient leurs droits, devoirs et obligations
réglementés par le cahier des charges. Tous les théâtres de France fonctionnaient selon le même principe :
l’autorité municipale accordait le privilège à un directeur qui recrutait une troupe et devait organiser les
spectacles pendant une saison, ou plus s’il avait donné satisfaction. A Toulon, 25 directeurs se sont succédés
Cahier des charges du théâtre, article 2.
AMT, Délibération du Conseil municipal du 26 juillet 1871.
38
AMT, Délibération du Conseil municipal du 12 avril 1880, p. 37.
36
37
15
en 44 ans, dont certains en plusieurs mandats. Ce nombre traduit une certaine instabilité si l’on compare avec
os voisins marseillais qui ont employé dix-huit directeurs pour la même période39.
Comment ce directeur est-il choisi par la municipalité ? Quelles références exige-t-elle d’eux ? Est-il
toulonnais ou vient-il de l’extérieur ? Comment faire pour attirer les artistes de grande renommée ?
Comment cet homme organise-t-il la saison à venir ? Toutes ces question peuvent trouver une réponse dans
les choix que va effectuer la municipalité pour attribuer la première scène toulonnaise à tel ou tel autre
directeur artistique.
A – Direction Mounier de Joly (1870-1873)
En septembre 1870, alors que la France est encore en guerre, il faut se rendre à l’évidence : exploiter une
scène de spectacle est devenu impossible. Avant 1870, le directeur Antoine Pétrin, dit Tony avait laissé un
grand souvenir aux Toulonnais par la qualité de sa direction et des spectacles proposés. Il avait conservé la
direction du théâtre de 1861 à 1865, et la municipalité lui confia de nouveau cette fonction durant la saison
1869-187040. Jean-Baptiste Bellet en 1866, Floris Louis Joseph Defrenne en 1867 et Octavin Jenselme en
1868 ont effectué des mandats plus courts. Le 29 juin 1870, la municipalité Audemar (maire de 1864 à 1870)
confia la direction à Mounier de Joly41. Quinze jours plus tard, la guerre était déclarée.
1 – La saison 1870-1871 : un mandat impossible
Pour la saison 1870-1871, plusieurs candidats se présentèrent auprès de la municipalité, attirés à la fois par
la qualité du théâtre et le montant de la subvention, qui était de 60 000 F avant la guerre42. La municipalité,
après discussion, porta son choix sur M. Vizentini qu’elle nomma directeur du théâtre de Toulon le 26 mars
1870 pour la saison 1870-187143. Mais, n'ayant pas trouvé les fonds nécessaires au versement du
cautionnement (5 000 F), il fut contraint de démissionner avant l'ouverture de la saison.
Un autre candidat se présenta dans le courant du mois d’avril, M. Mounier de Joly, qui venait d’achever son
mandat de directeur du théâtre de Dijon. Il avait appris par son agence théâtrale parisienne la défection de M.
Vizentini44 et s 'adressa directement à la municipalité de Toulon pour le remplacer à pied levé, précisant
qu’il avait un « désir réel […] depuis longtemps de prendre ce magnifique théâtre, et d’en faire une scène de
premier ordre »45. Compte tenu de la période tardive de prospection pour un nouvel appel de candidatures, la
ville de Toulon accepta46. L’arrêté fut signé le 29 juin 1870, maintenant le cahier des charges signé au mois
de mars 1870, notamment concernant la subvention d’un montant de 50 000 F47.
Cependant, la guerre fut déclarée le 19 juillet 1870. Napoléon III, qui avait sollicité l'opinion des Français
par plébiscite sur sa politique en mai 1870, avait obtenu sept millions de Oui contre un peu moins de deux
millions de Non48. On pouvait supposer que sa politique ne serait donc pas remise en question. Pourtant, des
problèmes dans le domaine international ont entraîné des dissensions qui entraînèrent la déclaration de la
guerre. Celle-ci éclate à la suite de la candidature d’un Hohenzollern au trône d'Espagne49. Cette prétention
Il est vrai que la subvention évoluait entre 120 000 et 250 000 F.
La Sentinelle du Midi.
41
AMT, série 2 D 1-11, arrêté du 29 juin 1870.
42
AMT, 3 R IV 9, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1867-1872, dossier « Direction théâtrale 1870-1871 ». Propositions
de MM. Longemasine, Vizentini, Tholozé, Moreau, Tony, Allié, Roux.
43
AMT, 3 R IV 9, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1867-1872, lettre du maire à Joly du 21.4.1870.
44
Ibidem, lettre de Joly au maire de Toulon du 19.4.1870.
45
Ibidem.
46
AMT, 3 R IV 9, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1867-1872, Lettre du maire de Toulon à M. Mounier de Joly,
directeur de théâtre, 3 boulevard St Denis à Paris. Toulon, le 15 juin 1870
47
AMT, 2 D I 10, arrêtés municipaux.
48
Pierre Marc Renaudeau, La Troisième République.
49
La reine d’Espagne, Isabelle II, qui a succédé à son père Ferdinand VII en 1833 à l’âge de trois ans, commence son
gouvernement personnel en 1854. Mais l’opinion publique dénonçait l’influence de la Camarilla. Deux généraux prennent la tête
d’un soulèvement qui contraignit Isabelle à se réfugier en France en octobre 1868. Elle refuse cependant d’abdiquer, mais l’un
des généreux eut l’idée d’offrir la couronne au prince de Hohenzollern-Sigmariengen en 1870.
16
39
40
irrita la France qui, même s'il se retira, demanda au roi de Prusse l'engagement d'interdire cette candidature.
Devant le refus de celui-ci, la France, marquée par la défaite de Sadowa, et quoique isolée
diplomatiquement50, se sentit assez puissante pour déclarer la guerre à la Prusse. Mais les effectifs de l'armée
allemande étaient beaucoup plus nombreux que ceux de l'armée française et le commandement de cette
dernière présentait des lacunes. Les échecs des armées françaises s'accumulèrent et l'empereur malade fut
incapable d'en assurer le commandement. À Paris le ministère Ollivier étant renversé à la suite des premiers
désastres de l’armée impériale, c’est l'impératrice qui dirigea le gouvernement en l’absence de l'empereur
parti délivrer Bazaine. Mais il fut rejeté dans la cuvette de Sédan et dut capituler le 2 septembre. L’annonce à
Paris de la défaite de Sedan entraîna la déchéance de l’empereur et la proclamation de la République. Le 4
septembre, la foule parisienne envahit le palais Bourbon et les députés républicains proclamèrent la
République à l'hôtel de Ville de Paris. Un gouvernement de Défense nationale, composé de députés
républicains51 et présidé par le général Trochu, prit la direction des opérations. Allait-t-il opter pour la paix
ou pour la continuation de la guerre ? Sa volonté fut de poursuivre la guerre.
La France subit de nombreux désastres dans le courant du mois d’août 1870. Les levées en masses prirent la
plupart des jeunes artistes52. Les subventions furent supprimées dans tous les théâtres, réservant les dépenses
municipales aux frais de guerre53. Les préoccupations artistiques furent laissées bien en arrière et rendirent
l’exploitation du théâtre de Toulon impossible. D’autres théâtres en France fermèrent leurs portes, Paris en
premier, ne pouvant résister aux recettes dérisoires qu’ils faisaient. Pourtant Mounier de Joly persista à
vouloir ouvrir les portes du théâtre de Toulon à la date prévue du 15 septembre, même sans subvention. Il se
sentit le courage de surmonter tous les obstacles, mais en réalité espérait surtout que la situation allait
changer d’un jour à l’autre54. En attendant l’ouverture de la saison qu’il escomptait faire, il demanda l’appui
de la municipalité pour modifier un article du cahier des charges, celui concernant les débuts des artistes. Il
souhaitait éviter à sa troupe l’épreuve des débuts, non par charité envers ses artistes, mais surtout parce qu’il
lui serait impossible de pourvoir à de nouveaux remplacements. Il souhaitait également récupérer son
cautionnement et une avance sur recettes de 15 000 F afin de payer les artistes qu’il avait déjà engagés,
moyennant un versement mensuel de 2 000 F55. Le 4 septembre, le régime de Napoléon III s’effondra et la
République fut proclamée. La situation en France était loin de se régler.
Mounier de Joly, qui espérait tellement donner le meilleur de lui-même à Toulon, se vit contrait de donner sa
démission avant même l’ouverture de la saison théâtrale, constatant que le théâtre ne pouvait fonctionner en
ces temps troublés de guerre56.
2 – La saison 1871-1872
Cependant, dès la fin de l’hiver, Mounier de Joly renouvella sa candidature pour la prochaine saison
théâtrale 1871-1872. La situation en France était plus calme, quoique plus critique. La guerre avait pris fin le
28 janvier 1871 par la capitulation de Paris. Gambetta avait démissionné du gouvernement le 6 février et
deux jours plus tard les élections législatives avaient fait apparaître une majorité monarchiste et bonapartiste.
Le 17 février, Tiers fut nommé chef du pouvoir exécutif et signa les préliminaires de la paix dix jours plus
tard. Le pays s’organisa alors sur les conditions signées, notamment le paiement à l’Allemagne d’une « dette
de guerre » de 3 milliards.
La Grande-Bretagne était irritée des prétentions de Napoléon sur la Belgique. La Russie ne pardonne pas la guerre de Crimée.
L’Autriche ne pardonne pas à la France de ne pas l’avoir soutenu à Sadowa. En Italie, les troupes françaises occupent Rome
pour protéger le pape.
51
Léon Gambetta, Jules Favre, Jules Ferry, Jules Simon.
52
AMT, Délibération du Conseil municipal du 12 septembre 1870 : En dehors des levées de masse, les engagés volontaires se
présentent en grand nombre. Au 12 septembre, 700 jeunes se sont déjà fait inscrire.
53
Ibidem, Toulon en fait de même et attribue ses crédits aux dépenses de guerre.
54
Les armées de Mac-Mahon et de Bazaine repoussent l’agresseur vaillamment. Elles obtiennent certaines victoires face aux
Prussiens à la frontière.
55
AMT, 3 R IV 9, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1867-1872, lettre de Joly au maire de Toulon.
56
AMT, Délibération du Conseil municipal du 9 septembre 1870. Le 11 septembre, la ville lui rembourse le montant de son
cautionnement.
17
50
La perturbation causée par la guerre avait pesé d’une manière toute particulière sur l’industrie théâtrale
qu’elle avait réduite au silence depuis près d’une année. La plupart des communes de France avaient du
cesser leur activité en même temps que Toulon du fait de la situation financière du pays et des lourdes
charges supportées pour faire face aux nécessités de la défense.
a) Les candidatures
Puis la Commune de Paris apporta ses troubles. Le conseil municipal qui délibérait d’ordinaire sur la
question théâtrale dans le courant du mois de février, reporta cette année l’examen des candidatures en juin
du fait des circonstances exceptionnelles qu’a connue la France. La ville eut à choisir entre Mounier de Joly
et sept autres candidats qui avaient presque tous à leur actif d’avoir déjà dirigé un ou plusieurs théâtre dans
le passé57.
La subvention municipale de 60 000 F que versait la ville de Toulon avant la guerre n’était probablement pas
étrangère à cet attrait subit, certes moins importante que celle qui était versée par les villes de Lyon et
Bordeaux58. De plus, le train direct de nuit entre Bordeaux, Lyon et Marseille fonctionnant depuis le 22
décembre 1870, rendait la concurrence théâtrale pour le Midi encore plus sévère. La gare de Toulon, achevée
en 1852, amenait également un grand nombre de touristes dans la ville.
Six de ces candidats ne posèrent aucune condition : M. Mounier de Joly (qui souhaite exercer enfin ses
fonctions de directeur) ; M. Giraud (qui a dirigé les théâtres de Draguignan et d’Aix) ; M. Leveaux (ayant
exercé la direction théâtrale à Lille, St Quentin, Besançon, Nancy) ; M. Pilliard (qui a dirigé le théâtre
d’Aix) ; M. de Tholozé (ancien directeur des théâtres de Nîmes, Grenoble, Oran, Anger, Perpignan, etc…).
Seule Mme Gabrielle, veuve Palyad, n’avait pas encore dirigé de théâtre, mais était considérée comme une
artiste dramatique de premier ordre. Elle proposa de faire jouer le drame, la comédie, le vaudeville et la
grande opérette, sans aucune subvention.
Les deux autres demandèrent une aide financière : M. Bouscarle (du théâtre Chave à Marseille) demanda
l’exonération des frais d’éclairage. Il s’engageait à fournir une troupe complète d’opéra comique et à faire
représenter l’opérette, le drame, la comédie et le vaudeville. M. Bellevaut [(Rouen, Marseille (Gymnase) et
le Caire (Egypte)], s’engageait à donner du 1er octobre au 30 avril au moins quatre représentations par
semaine de drame, comédie, vaudeville et opérette, et de temps en temps, au moyen d’artistes de passage,
l’opéra comique et le grand opéra. Il demandait la jouissance gratuite de la salle et des magasins de décors,
l’éclairage gratuit et l’exonération du droit des pauvres.
La commission, composée de MM. Tardy, Matheron, Guiol, Giroud et Boué, retint la candidature de M.
Mounier de Joly59.
b) M. de Joly et la subvention
Mounier de Joly fut donc reconduit dans ses fonctions pour la saison suivante, choix que le préfet Laporterie,
républicain modéré, ratifia60. L’orchestre était dirigé de main de maître par M. Steck, secondé par M. Bellet
et des 24 musiciens de la Société l’Harmonie61.
Le problème de la subvention fut vivement discuté par la commission municipale avant le début de la saison
théâtrale. M. Oscar Tardy, rapporteur, soutenait que la municipalité ne devait pas s’immiscer dans
l’exploitation du théâtre, car c’était une industrie privée, mais devait se contenter d’en assurer le
AMT, Délibération du Conseil municipal du 7 juin 1871.
La direction de ces deux grandes scènes artistiques était octroyée à des directeurs qui ont fait leurs preuves dans de nombreuses
autres villes.
59
AMT, Délibération du Conseil municipal du 27 février 1871.
60
Laporterie est préfet du Var du 12 mars 1871 au 25 mai 1873.
61
La Sentinelle du Midi, 29.9.1871, « Chronique théâtrale », p. 3. Article signé Paul Ignac.
18
57
58
fonctionnement régulier et garantir en même temps les intérêts de la commune. Il désapprouvait le régime
précédent qui subventionnait largement les directeurs, grevant le budget municipal de façon très importante,
versant des sommes qui « ont trop souvent dépassé les bornes de l’économie » 62. Il proposa donc de
supprimer tout simplement la subvention en numéraire et la municipalité posa comme principe qu'aucune
subvention ne devait être accordée pour satisfaire les plaisirs d'une partie du public préférant accorder son
attention et ses moyens à l’enseignement ou à l’alimentation publique. En revanche, il était favorable à une
concession gratuite de la salle de théâtre, avec comme garantie le versement d’un cautionnement de 4 000 F
pour les dégâts éventuels63.
La « liberté » des théâtres accordée par la loi permettait à chaque municipalité de consacrer la somme qu’elle
voulait au budget théâtral, ce qui, en fait, était la négation absolue du principe qu’on avait voulu établir. Et
ce fut une des grandes erreurs du régime précédent dont la République allait supporter longtemps l’héritage.
En effet, aucun texte concernant le théâtre ne sera rédigé avant 1884, d’autres priorités occupèrent les
Républicains dans cette période d’installation de la République. Pour que la liberté théâtrale soit une vérité,
il faut que toutes les communes de France soient placées sur le pied de l’égalité, car si un certain nombre
d’entre elles accordaient des subventions aux entrepreneurs de spectacles, et que les autres s’abstenaient d’en
donner, les premières attiraient forcément à elles tous les avantages, tandis que les autres subissaient tous les
inconvénients de cette inégalité plus ou moins volontaire. Or, ne l’oublions pas, le théâtre faisait vivre un
personnel nombreux, il constituait l’aliment principal d’une multitude de petites industries qui lui devaient
leur prospérité, et il fournissait au service de l’assistance publique, par les produits du droit des pauvres, des
ressources qui, sans cela, devraient être puisées dans les caisses municipales.
c) Les artistes
Le directeur du théâtre avait mis tous les moyens à sa disposition pour donner le meilleur de lui-même aux
Toulonnais. Il n’avait pas hésité à investir lourdement pour faire venir à Toulon des artistes de grande
réputation. Les archives ne nous ayant pas permis d’établir la liste complète de la troupe du théâtre pour les
années concernées, nous avons dû chercher l’information dans les différents journaux de l’époque qui
s’occupaient de la vie théâtrale. Pour la saison 1871-1872, la Sentinelle du Midi et le Carillon64 nous
permirent de connaître quelques-uns des artistes dont les journalistes s’étaient intéressés. C’est ainsi que
nous savons que la troupe de M. Mounier de Joly était composée notamment de MM. Collomb, premier
ténor en tous genres, Hauterre, Marion, Fronty, Chérubini, Deval, Laurent, Chaulan, et du côté des dames,
Mmes Cavailhès, Robert, Jaune, Dumoulin, Steck (l'épouse du chef d’orchestre). Le Carillon présenta
également le portrait de certains de ces chanteurs et chanteuses, sur l’intégralité d’une page, en hommage à
leur talent. Ce fut le cas pour Mme Dumoulin65, 1ère chanteuse légère d’opéra-comique, de M. Collomb,
présenté dans le costume de Roland à Roncevaux66, et de M. Fronty67,
Celui qui eut le plus d'articles à son avantage, fut incontestablement, pour cette saison, M. Collomb qui
remporta en effet de nombreux succès. Sorti du conservatoire avec deux premiers prix, il possédait une voix
extraordinaire et savait émouvoir le public. Pourtant, à l’origine, il se destinait aux ordres et avait déjà reçu
les quatre ordres mineurs quand il décida de changer d’orientation pour entrer au conservatoire. Après deux
années d’étude, il débuta au théâtre lyrique et chanta sur les principales scènes des théâtres de France68.
Quant au baryton Fronty, il montra ses qualités dans le Barbier de Séville et dans Guillaume Tell dès les
premiers jours de la saison. Il joua dans plusieurs opéras, dont Charles VI, La Juive et l’Africaine.
62
AMT, Délibération du Conseil municipal du 26 juillet 1871.
Ibidem.
64
Les articles du Carillon sont signés X. de Briey, allias Antoine Dominique.
65
Le Carillon, 25 février 1872, p. 3.
63
66
Le Carillon, 3 mars 1872, p. 3.
Le Carillon, 25 février 1872, p. 2.
68
Le Carillon, 3 mars 1872, p. 4 « revue théâtrale ; grand théâtre » non signé.
67
19
Répertoire des pièces qui furent jouées au Théâtre durant l’année théâtrale 1871-187269 :
Marie-Jeanne
Les mémoires du Diable
Le Canard à 3 becs
Par droit de conquête
Lazare de Pâtre
Lucrèce Borgia
Nos intimes
La Closerie des genêts
Les Brigands
Les Domestiques
Les Crochets du père Martin
Le Juif errant
La vie de Bohême
Le Courrier de Lyon
Les chevaliers du Pince-Nez
Le Siège de Paris
Les deux Veuves
Le Caprice
Les dirules de la Savanne
Les Jocrisses de l’amour
Jean le Cocher
Le Tigre du Bengale
L’article 47
La Poudre aux yeux
La Tour de Nesle
Trente ans ou la vie d’un joueur
Latude
La Bergère
Le Pacte de famine
Les deux Merles blancs
La Mariée du Mardi gras
Le Naufrage de la Méduse
Le Bossu
La tasse de thé
Un crime dans une valise
La case de l’oncle Tom
Gaspard le pêcheur
Don César de Bazan
Une corneille qui abat des noix.
Les Huguenots
Roland à Roncevaux
Faust
Les amours du Diable
Les Martyrs
La reine de Chypre
Charles VI
Lucie de Lammermoor
Les Mousquetaires de la Reine
La fille du Régiment
La dame Blanche
Haydée
Le Barbier de Séville
Les Dragons de Villars
Le songe d’une nuit d’été
La Muette de Portière
Le Chalet
Guillaume Tell
La Favorite
Si j’était Roi !
Galathée
Fra Diavolo
Le Trouvère
Les Noces de Jeannette
Le Postillon de Longjumeau
La Juive
Robert le Diable
Le Caïd
Norma
Du côté des dames, une actrice avait séduit journalistes et public toulonnais, la jeune Mlle Robert, « une des
meilleures élèves qu’ait fait le conservatoire de Marseille »70. Elle occupait l’emploi de dugazon et était
première chanteuse légère à Marseille. Les Toulonnais la connaissaient déjà pour l’avoir vue jouer dans
l’opéra Les amours du diable douze ans auparavant, pièce dans laquelle elle faisait l’ange. Elle n'avait alors
que 9 ans. En 1872, elle revint à Toulon chanter le rôle de Lilia dans l’œuvre d’A. Grisar après avoir été à
Toulouse deux ans plus tôt et Genève l’année suivante. Elle était devenue une des meilleurs dugazon de
province. Enfin, l’actrice Mlle Agar, de la comédie française, est une tragédienne qui enchanta le public
AD 9 T 5-2, Beaux arts, monuments historiques, théâtres, an 10-1902. Liste soumise à la séance du conseil municipal du 26
juillet 1871 et approuvée par la commission chargée d’examiner la question théâtrale.
70
Le Carillon, 17 mars 1872, p. 2 « galerie artistique, Mlle Robert » signé X. de Briey.
20
69
toulonnais. Après avoir été applaudie tous les jours à Marseille, elle interpréta le rôle de Phèdre qui
déclencha l’enthousiasme du Tout Toulon artistique qui est venu l’applaudir au théâtre.
d) Les genres
Malgré l’absence de moyens financiers, M. de Joly donna l’opéra et l’opéra-comique, ces genres si appréciés
des Toulonnais71. Il espérait ainsi remplir la salle, et du même coup augmenter ses recettes. Et en effet, dès
de la première représentation d’opéra (de Donizetti), la salle était comble 72. Les autres grandes pièces qui
furent données étaient de Rossini, Meyerbeer, et autres grands noms. Cependant la malchance semblait
s’acharner sur lui dès le début de la saison : un chanteur était rapidement tombé malade et il fallut le
remplacer sur le champ, une chanteuse a rompu son engagement, une autre perdit sa garde robe, un autre se
luxa la jambe, un dernier tomba malade. Malgré cela, le directeur s’obstina et surmonta tous les obstacles. Le
public était venu nombreux assister à ses spectacles. Les pièces qui remportèrent les plus grands succès
furent essentiellement des opéras. Néanmoins, au cours de cette saison, les bénéfices réalisés furent bien
maigres 73.
e) Le droit des pauvres
Le droit des pauvres, dans les conditions où il existait, constituait une véritable entrave à l’exploitation des
grandes scènes. Mounier de Joly rendit compte de la mauvaise situation qui lui était faite par le manque de
recettes en face des frais énormes de son exploitation. Il demanda au conseil municipal soit le versement
d’une subvention, soit l’exonération pure et simple du droit des pauvres, sinon il sera contraint de résilier son
marché74. Il précisait que le public désaffectait le théâtre car l’opéra n’y était as assez donné. Et pourtant, il
souhaiterait satisfaire les goûts naturels du public toulonnais. Le drame, la comédie, le vaudeville et
l'opérette ne conviennent pas au sentiment artistique de la population, et l'exploitation de la scène
toulonnaise n'était rendue possible qu'avec l'adjonction du répertoire lyrique au répertoire ordinaire. Si
aucune aide ne pouvait lui être versée, il préférait être déchargé de la gestion du théâtre.
Le droit des pauvres était l'une des plus lourdes charges qui pesait sur l’industrie théâtrale avec le versement
de près de 10 % (1/9ème) de ses recettes après de l’administration hospitalière. Oter au théâtre cet impôt
serait faire acte de justice sans porter atteinte aux intérêts des contribuables, pensait-on alors. En effet, si, à
cause de cet impôt important, le théâtre devait fermer ses portes, le droit des pauvres ne pourrait plus entrer
dans les caisses des hospices et du bureau de bienfaisance, et ce serait à la commune à combler le déficit
produit par ce manque de recettes. Donc il serait juste que la ville assure directement cette charge. C’est
pourquoi Oscar Tardy, rapporteur de la commission du théâtre, proposa à la municipalité de décharger le
directeur de l’impôt perçu par les administrations hospitalières et en retour imposa au directeur d’ajouter à
son répertoire dramatique l’opéra-comique et les traductions 75. Le droit des pauvres pourrait être versé par la
commune, à raison de 10 000 F par an. La commission précisa bien que cet impôt est pris en charge par elle
uniquement pour le théâtre municipal, et non pour les autres établissements de spectacles. En effet, le théâtre
est un établissement communal dont l’exploitation est régie par un cahier des charges imposé aux directeurs
par l’administration municipale, les autres établissements de spectacle étaient tous des entreprises privées.
71
La municipalité, dans son cahier des charges, n’a pas rendu l’opéra obligatoire, laissant au directeur la faculté de le faire
représenter au moyen des troupes de passage. Il devait, en revanche, donner l’opérette, la tragédie, le drame, la comédie et le
vaudeville.
72
La Sentinelle du Midi, 25.10.1871, « Revue théâtrale », p. 2. Article signé Paul Ignac.
73
L’Illustration du Var, 31 mars 1872, « Revue théâtrale », p. 3.
74
AMT, Délibération du Conseil municipal du 13 octobre 1871.
75
Ibidem.
21
Allégé de cette lourde charge, ce fut alors un succès pour ce jeune directeur qui fut renouvelé la saison
suivante. Mais le théâtre ne ferma pas ses portes pour autant. La saison terminée, la société l’Harmonie, sous
la direction de M. Jouffroie, sollicita l’autorisation de louer le théâtre pour les mois d’avril et mai 187176. La
municipalité, en date du 24 mars 1871, et vu qu’aucune autre proposition ne lui était parvenue, concéda à la
société l’Harmonie, représentée par son gérant, le théâtre pendant ces deux mois77. Un cahier des charges fut
rédigé, signé par M. Vincent Allègre78.
3 – La saison 1872-1873
La France n'avait toujours pas fini de payer sa dette à l’Allemagne, trois milliards de francs. Les Toulonnais,
en cette circonstance, donnèrent la plus grande preuve de patriotisme et de confiance. A la recette générale,
on fit la queue pour déposer l’argent : « même des veuves de marins ou d’ouvriers de la Marine, qui
s’étaient privées pour amasser un pécule pour leurs vieux jours, vont déposer leur argent avec la plus
grande confiance »79. Des moyens furent également mis en œuvre pour mobiliser les bonnes volontés. Une
cavalcade80 est organisée sous la présidence d’un libraire, avec participation de la Musique des Equipages de
la Flotte ce qui rapporta une somme de 14 000 F. Sur les quarante-deux milliards récoltés en France, Toulon
offrit 312 000 F81. Ainsi, compte tenu de ces circonstances, la ville ne pouvait toujours pas donner de
subvention pour l’exploitation du théâtre.
a) Les candidatures
Pourtant, sept candidats se présentèrent pour la saison 72-73 : Mounier de Joly, Richard Mazure, Eugène
Moreau, A. Poyard, B. Maraccett, Clément de Guinot et E. Bellevaut.
M. de Joly souhaitait renouveler son mandat et offrait en garantie le bilan de la saison qui venait de
s’écouler82. Il demanda cependant, pour que son exploitation ne subisse pas de perte la prochaine saison,
l’exonération du droit des pauvres, de l’éclairage et des pompiers, ainsi que la prise en charge par la
municipalité des machinistes qui, d’après lui, doivent être considérés comme des employés d’un
établissement communal. Il s’engageait, en outre, à fournir du 15 octobre 1872 au 15 avril 1873, une troupe
complète de grand opéra, opéra comique, petites opérettes et grand vaudeville.
E. Bellevaut fut présenté par l’Agence générale de correspondance des Théâtres de France et de l’Etranger,
dirigée par Louis Bart, à Paris, mais l’agence ne donna pas son curriculum. Le candidat à la direction exposa
des solutions pour gérer le théâtre, au vu des résultats qu'il jugeait peu encourageants de M. de Joly. En effet,
M. de Joly, « malgré l’équivalent d’une subvention de 6 000 F par mois, accuse un déficit de plus de 30 000
F pour ces six mois de campagne, ce qui donnerait, s’il n’avait pas eu cette subvention un déficit de 66 000 F
pour la saison »83. Déficit que l’on peut réduire de 18 000 F compte tenu de l’exonération du droit des
pauvres et la prise à sa charge par la ville de l’éclairage et des employés imposés, tels que les pompiers. M.
Bellevaut proposait de donner tous les genres, sauf l’opéra, même si très apprécié à Toulon. Pour lui, pour
donner ce genre de représentation, il faudrait que la ville donne une subvention de 150 000 F. Restaient les
autres genres pour lesquels il demanda une aide importante également, car « pour les autres genres, le théâtre
AMT, 3 R IV 9, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1867-1872, lettre de la société l’Harmonie en date du 22 mars 1871.
Ibidem, délibération du CM en date du 24.3.1871
78
Ibidem, cahier des charges manuscrit, sur le modèle de celui rédigé pour l’exploitation saisonnière d’hiver. L’exploitation
commencera le 26 mars et finira le 26 mai. M. Jouffroie devient directeur pour ces deux mois et est soumis aux mêmes
obligations que les autres directeurs : veiller au bon entretien de la salle, des dépendances et du mobilier, exécuter les réparations
si nécessaires, rémunérer le personnel sous ses ordres et le service des pompiers (excepté le concierge et le conservateur), donner
une représentation gratuite pour une œuvre de charité, fixer le prix des places selon le barème imposé par la municipalité, et
verser un cautionnement (300 F). Il ne perçoit pas de subvention mais a la disposition gratuite de la salle.
79
Rossi (Prosper) Mes souvenirs, Toulon, Imprimerie régionale, volume 4 (1871-1884), 1897, p. 19
80
Une cavalcade est un défilé de gens à cheval, de chars, avec pompe et cérémonie.
81
Idem, p. 21
82
Ibidem, lettre de Joly au maire du 5 août 1872.
83
Ibidem.
22
76
77
à les inconvéniens (sic) de sa grandeur qu’il n’est pas juste de faire supporter au directeur » 84. En effet, pour
lui, dans un théâtre ordinaire, il faut 16 choristes pour l’opérette alors qu’à Toulon, il en faut de 24 à 28 peutêtre même 30. Ainsi, pour cette ville, le directeur a un surcoût dans les appointements, mais aussi dans les
costumes, maillots, armes, accessoires qu’il faut en plus. C’est donc pour parer à tous ces frais inhérents au
seul théâtre de Toulon que M. Bellevaut demandait à être allégé du droit des pauvres, de l’éclairage et des
employés imposés pour les besoins du théâtre. Pour l’éclairage, ce sont encore les mêmes raisons qu’il
invoquait : dans un autre théâtre, où il faut 2 becs de gaz pour illuminer la scène, à Toulon il en faut dix, il
est donc juste que le directeur ne soit pas victime de cet état de choses. Il ferait mauvais effet de n’allumer
qu’un nombre de becs restreint pour éviter des frais. Une salle mal éclairée est triste et ne fait ni honneur à la
ville ni plaisir aux spectateurs qui risquent de se retrouver dans une clarté douteuse et s’entrevoir à peine.
M. de Guinot était directeur depuis plusieurs années, et venaitt d’achever à Perpignan la saison 1871-1872.
Il « présente toutes les garanties pécuniaires et administratives désirables »85. Comme tout bon
administrateur, il réclamait à l’avance le cahier des charges pour s'informer sur ses futures obligations.
Richard Mazure avait déjà exercé les fonctions d’administrateur mais il était aussi artiste dramatique et
lyrique depuis vingt ans à Paris, en province et à l’étranger. Il jouait depuis huit ans au théâtre de l’Odéon,
les premiers rôles, les financiers et rôles de genre86. Il assurait que ses relations lui permettraient de
composer une troupe d’ensemble supérieure et d’engager, malgré la distance, plusieurs de ses camarades en
représentation, venant du théâtre français, de l’Odéon, de l’Opéra, de l’Opéra comique, des Variétés et un
noyau du théâtre italien. Il déclarait accepter le cahier des charges dans son intégralité. Il assurait que le
directeur des Beaux-Arts, Monsieur Charles Blanc, serait prêt à l’appuyer si besoin.
Eugène Moreau était lui aussi intéressé par la direction du théâtre de Toulon87. Ancien directeur des théâtres
de Cambrai, Tournay, Laval, puis du théâtre de Lorient depuis trois ans, il se voyait contraint de quitter cette
dernière direction à cause du retrait de la subvention de dix mille francs que la ville donnait habituellement
pour la gestion du théâtre municipal. Pour M. Moreau, le drame était impossible à jouer sans subvention. Il
se contenterait donc de genres mineurs si la ville ne pouvait pas financer.
B. Maraccett écrivit à son tour le 9 avril 1872 au maire de Toulon. Il n’avait aucune expérience de direction
théâtrale puisqu’artiste dramatique88. Mais il avait bien étudié la question et proposait de fournir une troupe
complète de grand opéra, opéra comique, drame, comédie et vaudeville. Il offrait aussi de donner l'opéra du
compositeur toulonnais Hyppolite Duprat. Il prévoyait même de faire venir des artistes de la capitale de
manière à varier le répertoire et faire entendre les sommités artistiques. Mais tout cela avait un coût. Il
réclamait à la ville 2 000 F d’allocation mensuelle ainsi que l’exonération du droit des pauvres, de
l’éclairage de la salle, et du paiement des pompiers. Pour lui, le seul moyen de faire venir le public en grand
nombre et augmenter ainsi les ressources du théâtre est de permettre au directeur, grâce à une subvention
conséquente (soit 12 000 F en espèces, plus les prises en charge), de proposer les meilleurs spectacles.
Une dernière candidature parvint à la ville de Toulon, celle de A. Poyard, ancien directeur des théâtre de
Beauvais et Compiègne, et actuellement régisseur général du théâtre de Caen89.
Muni de ce dossier de diverses candidatures, le conseil municipal dut se réunir pour statuer et fixer son
choix. Avant de désigner le directeur, il fallait fixer le montant du financement que la ville était prête à
attribuer cette année au théâtre. Le 24 avril 1872, il fut décidé que le crédit relatif à l’entretien du théâtre
serait porté de 3 600 à 6 000 F, que le directeur sera exonéré du paiement des droits des pauvres, (la ville les
Ibidem.
AMT, 3 R IV 9, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1867-1872, lettre de M. Louis Baret de 17 décembre 1871, au maire
de Toulon.
86
Ibidem, lettre de M. Richard Mazure au maire de Toulon en date du 9 mars 1872.
87
Ibidem, lettre de M. Eugène Moreau au maire de Toulon.
88
Ibidem, lettre de M. B. Maraccett au maire de Toulon en date du 9 avril 1872.
89
Ibidem, lettre de M. A. Poyard au maire de Toulon en date du 24 mai 1872.
23
84
85
prenant à sa charge), et que l’éclairage de la salle serait fourni par la commune jusqu’à concurrence de la
somme de 9 000 F pour la saison théâtrale90.
Ainsi, on constate que cette année encore, la municipalité décida de ne pas octroyer de subvention au
directeur du théâtre. Le choix fut donc assez restreint parmi les candidats qui s’étaient présentés, et se
reporta sur celui que la ville connaissait déjà, et qui avait donné satisfaction la saison précédente, sans
l'apport de subvention.
B – Direction André Tallon (1873-1874)
L’élection d’un nouveau président de la République91 et les « grandes fêtes toulonnaises » entre le 29 juin et
le 7 juillet 1873 avaient suffisamment occupé la municipalité pour ne pas avoir le temps de s’occuper de la
succession du directeur du théâtre pour la saison à venir. De plus, elle n’avait reçu aucune demande de
candidature. Les dernières troupes d’occupation avait quitté Verdun le 13 septembre 1873, marquant ainsi la
fin de l’occupation allemande. Ce n’e fut donc pas avant le mois d’octobre que le maire Vincent Allègre
signa l’arrêté de nomination de M. André Tallon, seul candidat, comme directeur du théâtre de Toulon pour
la saison 1873-1874.
1 – Un homme de longue expérience
M. de Joly avait assuré la direction du théâtre durant deux saisons consécutives avec satisfaction, mais il ne
renouvela pas sa candidature, découragé de ne pas recevoir de subvention. M. Talon fut le seul candidat et
fut nommé par M. Vincent Allègre par arrêté du 15 octobre 187392. Ce fut sa première direction théâtrale.
Ancien ténor léger de l’opéra de Toulon93, il forma, pour cette première direction, une troupe d’opéra
complète de qualité dans le but d’offrir au public toulonnais non seulement des représentations d’opéra, mais
aussi des représentations de comédie, de drame et de vaudeville. En effet, « l’esprit des masses réclame des
pièces conformes à ses goûts : des tableaux vivants »94. On s’était rendu compte, en effet, que les théâtres en
France faisaient font des recettes conséquentes grâce à la venue en masse des prolétaires qui venaient y
dépenser le fruit de leur travail. La presse le poussait également à monter une troupe de vaudeville « pour
reposer un peu les abonnés de la musique à perpétuité »95. Même si on aimait beaucoup la musique à Toulon,
il craignait que l’abondance, sinon l’excès, nuise aux meilleures choses. C’est pourquoi la municipalité
invita le directeur à créer quelques vaudevilles, quelques comédies, qui faciliteraient la digestion des grands
drames lyriques en 4 ou 5 actes. C’est ce qu’il fit dès le mois d’octobre96. Ce fut un grand succès sur la scène
toulonnaise, malgré que le public toulonnais n’y était pas habitué. L'oncle Sam, la célèbre comédie de
Sardou, avait servi de spectacle d'ouverture. Il présenta aussi la Belle Miette, un drame sombre emprunté à
une affaire criminelle qui avait passionné l'opinion vers 1846 à Marseille97.
En fait, le nouveau directeur avait compris que pour faire recette, il fallait donner tous les genres et permettre
ainsi à toutes les catégories de la population de venir au théâtre. L’opéra régnait d’habitude en maître à
Toulon, attirant principalement l’élite de la population locale aux places les plus coûteuses. Mais le port de
guerre comprend également une masse importante d’ouvriers qui ne demandaient qu’à dépenser leur salaire
pour se distraire et se cultiver.
AMT, délibération du conseil municipal du 24 avril 1872.
L’élection de Mac Mahon, le 24 mai 1873, coïncida avec la période de la campagne théâtrale.
92
AMT, série 2 D I 10.
93
AMT, délibération du Conseil municipal d'août 1873.
94
La Sentinelle du Midi, 29.8.1873, « Du théâtre sous l’ex-république des Simon, Picard, Thiers, Ferry frères, Lavertujon,
Camescasse, etc. », p. 1. Article signé H. M.
95
Ibidem.
96
Ibidem.
97
La Sentinelle du Midi, 29.5.1874, « Chronique théâtrale », p. 3, Article signé E. de Saint-Yves.
24
90
91
M. Talon ne percevait pas de subvention mais était, en revanche, exonéré des frais d'éclairage de la salle de
spectacle pour la saison allant du 15 octobre 1873 au 10 avril 1874 jusqu'à concurrence de la somme de
9 000 F. Le conseil municipal proposa également d'offrir le dégrèvement du droit des pauvres, d’un montant
de 10 000 F, puisqu’il se proposait de jouer l’opéra et l’opéra-comique, ce qui était la condition sine qua
non98. Tous ces dégrèvements représentaient une somme totale de 19 000 F, que l’on peut considérer comme
une subvention en nature.
La guerre finie, le territoire libéré de l’occupant, la population songeait à nouveaux à se distraire. Chose
étrange, c’est au moment où la plupart des grandes villes supprimaient leurs théâtres comme une « récréation
ruineuse ou comme un luxe incompatible avec l’austérité des institutions démocratiques »99 que Toulon, dont
le budget était absolument vide et dont la municipalité passait pour une des plus radicales de France, se
donnait ce luxe, y compris l’opéra et le ballet. La série d’opéras qui devaient y être représentés cet hiver fut
inaugurée par la Juive. Il fallait certes un grand courage pour risquer une pareille entrepris sans subvention.
Ce courage M. Tallon l’a eu. Il était venu comme Toulonnais, comme directeur et comme ténor léger. Et le
public se présenta en grand nombre.
Mais ces succès d'enthousiasme n'avaient pas été des succès d'argent pour le directeur. En effet, si la foule
était nombreuse lors de ces représentations, elle ne remplissait pas totalement la salle comme lors des soirées
d’opéra, ce qui constitua un manque à gagner pour le directeur. Le public, en effet, peu habitué à voir
interpréter correctement les œuvres dramatiques, perdit confiance et déserta quelque peu le théâtre lorsque
l’opéra n’était pas à l’affiche. Les places les plus chères n’étaient pas occupées, et ce n’était pas avec les
places à petit prix qui pouvaient permettre au directeur de combler le manque à gagner. Le directeur, ayant
en effet privilégié le genre lyrique vers lequel il porta tous ses soins, avait sacrifié le genre dramatique.
2 – Les artistes, les chœurs et l’orchestre
M. Talon s’était beaucoup investi dans la formation de la troupe. Il avait choisi des artistes de grand nom,
n’hésitant pas à donner un cachet important pour les inciter à venir, à la grande satisfaction du public
toulonnais. Seuls deux des artistes qui formaient la troupe actuelle du grand théâtre avaient joué la saison
précédente à Toulon, M. Laurent, deuxième basse d’opéra-comique et troisième de grand opéra et M.
Chauland, troisième ténor, grand coryphée. Les autres venaient de grandes scènes de France et de l’étranger.
Certains étaient pour la plupart empruntés au gymnase de Marseille, notamment MM. Roman, fort ténor
double, Neveu, laruette d’opéra et d’opérettes, premier comique marqué, Dermond, première basse de grand
opéra, Henry, première basse d’opéra-comique et deuxième de grand opéra, Rougier, premier danseur, et
Mlle Guerra, première danseuse100.
D’autres venaient de Rouan (M. Baldy, premier fort ténor), de Limoges (M. Gomard, deuxième ténor en tous
genres), d’Alger (MM. Adrien Favre, premier trial, ténor d’opérettes et premier comique, et Mme Favre,
coquette et jeune première), de Liège (M. Classens, baryton de grand opéra), de Lyon (Mme FontenaisLadois, forte chanteuse falcon) ou de Bruxelles (Mlle Peyret, forte chanteuse en tous genre).
Les chœurs étaient composés de dix hommes et dix dames pour l’opéra-comique et vingt-deux hommes et
dix dames pour le grand opéra. Quant à l’orchestre, il était placé sous la direction de Hugh Cas 101, assisté de
M. Veyren, second chef d’orchestre, répétiteur des chœurs102, et composé de quarante musiciens103.
AMT, Délibération du Conseil municipal du 18 juin 1873.
La Sentinelle du Midi, 21.10.1873, « Théâtres », p. 2.
100
La Guêpe de Toulon, 19 octobre 1873, « Grand théâtre de Toulon, tableau du personnel », p. 3.
101
Nous allons voir qui est Hugh-Cas un peu plus loin.
102
La Guêpe de Toulon, 19 octobre 1873, « Grand théâtre de Toulon, tableau du personnel », p. 3.
103
AD 9 T 5-22.
98
99
25
3 – Le résultat de l’exploitation
L’opéra n’avait pas été joué depuis fort longtemps. Dès le début de la saison, M. Tallon promit de jouer ce
genre si apprécié de l’élite toulonnaise. Il débuta en effet la saison par Lucie de Lamermoor, de Donizetti
puis il fit donner l’opéra de Verdi le Trouvère créé en 1853, Galathée de Haendel, Guillaume Tell de Rossini
(1829), cet immortel de la liberté reconquise, le Maître de Chapelle, les Noces de Jeannette et les Huguenots
de Giacomo Meyerbeer (1836)104. Ce fut donc à nouveau la musique italienne qui domina sur la scène
toulonnaise. Mais la musique d’autres compositeurs n’est toutefois pas absente.
C – Direction François-Louis Lauton-Mazurini (1874-1875)
Pour la saison suivante, il fut difficile de trouver un directeur qui acceptât l’entreprise dans les conditions
proposées par la ville, c’est-à-dire toujours sans subvention105. Le conseil municipal choisit un directeur dont
les offres furent les plus intéressantes pour la ville, lui aussi étant un ancien artiste ayant chanté à Toulon, M.
Lauton-Mazurini. La direction lui fut même concédée pour trois années consécutives, mais il n’effectua
qu’une seule saison106.
1 – La saison 1874-1875
Douze candidats présentèrent leurs candidatures, tous des artistes confirmés et certains ayant déjà une longue
expérience de la direction théâtrale107 :
M. Dumery veaint de la Côte d’Or. Il avait administré des scènes importantes telles que celles de Bruxelles,
Auvar, Bordeaux, Paris. Actuellement, il terminait l’exploitation du Théâtre Valette à Marseille. Il dit être
parvenu à « élever ce théâtre au rang que mérite la première scène d’opéra du Midi. Mais que l’abstention du
conseil municipal dans la question de la subvention a seule entravé [ses] efforts, au moment où le succès se
dessinait »108. Il promettait de donner à Toulon le genre lyrique si la subvention était suffisante.
Tallon, l’actuel directeur, renouvela sa candidature, mais précisa qu’il est impossible d’exploiter le théâtre
sans subvention, et réclamait pour la prochaine saison la somme de 40 000 F, l’exonération du droit des
pauvres, de l’éclairage ainsi que du salaire des employés (machinistes, pompiers, concierge, personnel du
contrôle), soit pour une somme supplémentaire de 20 000 F109. En contrepartie, il s’engageait à réunir une
troupe de premier ordre susceptible de jouer l’opéra, l’opéra comique, les traductions, les opérettes et les
vaudevilles. Il souhaitait même de la municipalité qu'elle le nommât directeur pour les deux campagnes à
venir.
Les autres candidats sont Borssat et Bernard de Lavarrière110, Marck, De Tholoze111, Bouvard112 et Formelle
(de Paris), Claudius (de Bayonne).
Ces candidats ne formulaient aucune demande particulière. Il n’en fut pas de même des autres candidats :
Toulon-Journal, 9 novembre 1873, « Semaine artistique », p. 3.
AMT, Délibération du Conseil municipal du 24 mai 1874.
106
La Sentinelle du Midi, 2.10.1874, « Semaine théâtrale », p. 2.
107
AMT, 3 R IV.
108
AMT, 3 R IV, lettre du 13 mars 1874.
109
AMT, 3 R IV, lettre du 7 mai 1874.
110
Il est actuellement directeur à Limoges. Finalement, il va retirer sa candidature à Toulon et conserve la direction de Limoges
(lettre du maire de Limoges au maire de Toulon du 17.6.1874).
111
De Tholoze a derrière lui douze années de direction : Nîmes (grand théâtre), Grenoble, Boulogne sur mer, Oran, Perpignan,
Verviers. Actuellement il achève son mandat de directeur à Nantes.
112
Bouvard achève la direction du théâtre de Paris
26
104
105
Joanny demanda la direction pour trois ans113. Il avait déjà présenté sa candidature l’année précédente, mais
il n’avait pas accepté les conditions du cahier des charges, principalement l’absence de subvention.
Lauton-MazuriniI a déjà exercé la fonction de directeur de théâtre plusieurs années consécutives. Il vient
d’achever l’exploitation du Théâtre de Béziers. Les Toulonnais le connaissent pour l’avoir applaudi neuf ans
auparavant en tant qu'artiste114.
Bellevaut précise qu’il a été six ans directeur du théâtre du Gymnase à Marseille. Il avait déjà été en relation
avec l’administration de la ville alors que M. Audemar était maire et pense que sans les événements de 1870,
il aurait été agréé par lui.
La municipalité de Toulon adressa le cahier des charges à tous ces candidats pour obtenir leur accord sur les
conditions d’exploitation. Finalement, elle porta son choix sur M. Lauton-Mazurini et le nomma directeur du
théâtre de Toulon pour les trois saisons à venir : 1874-75, 1875-76, 1876-77115.
Mais il faut se rendre à l’évidence : la subvention était indispensable, d’autant plus que la ville pouvait
désormais concéder à la vie artistique quelques subsides, maintenant que la dette de guerre était totalement
payée. Le nouveau maire Martin de Roquebrune se pencha sur la question et soumit au vote le chiffre de
19 000 F pour subvention en espèce, ce qui correspondait au montant accordé en nature la saison précédente,
projet qui fut adopté par le conseil. Le directeur reprenait à sa charge les frais d’électricité et le paiement des
employés imposés, ainsi que le droit des pauvres116. Cependant, deux mois après, le conseil décida de lui
faire un cadeau énorme en l’exonérant des frais d’éclairage de la salle de spectacle jusqu’à concurrence de la
somme de 9 000 F, ainsi que du montant du droit des pauvres.
a) Un homme de grande expérience
M. Mazurini était un chanteur et un tragédien de grand talent. Il possédait un organe vocal qui avait séduit le
public toulonnais qui l’avait déjà entendu chanter quelques années auparavant car il s’était déjà produit sur la
scène toulonnaise. Son nom sur l’affiche attirait alors une foule nombreuse et remplissait la salle. Au lieu de
poursuivre comme artiste une carrière déjà brillante, il avait accepté cette lourde charge qu’était la direction
théâtrale. Les Toulonnais s’en félicitèrent car ils pourront ainsi conserver dans leur ville un artiste de qualité
que d’autre ville auraient pu employer.
Né à Montpellier, attiré très jeune vers le théâtre, il eut la chance d’avoir des parents qui l’envoyèrent au
conservatoire de Paris. Après trois années d’études incessantes, il débuta à Avignon, puis se fit remarquer à
Rouen dans le rôle d’Eléasar de la Juive. Le succès qu’il remporta lui ouvrit les portes de La Haye, Nantes,
Toulouse, Montpellier, Anvers, Toulon, Marseille et Bordeaux. De plus, ce qui ne gâtait rien, c’était « un
homme bon, honnête, charmant, et d’une politesse exquise »117.
b) Un programme sans surprise
M. Mazurini avait prévu de donner seulement seize opéras au cours de cette saison118.
AMT, 3 R IV, lettre du 14 mai 1874. Joanny demeure à Paris, et vient d’exploiter durant les trois dernières années le théâtre
du Mans.
114
La Guêpe de Toulon, 1.11.1874, p. 4 : « Semaine artistique ; grand théâtre ».
115
AMT, 3 R IV 9, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1867-1872, arrêté du 20 juillet 1874 signé par le contre-amiral
Martin. Et 2 D I 11, 1871-1875. Il devra verser une caution de 3 000 F.
116
AMT, Délibération du Conseil municipal du 24 juin 1874. Pourtant, un mois auparavant, le conseil avait discuté de cette
question et proposait même de supprimer toute espèce de subvention, non seulement en espèces, mais aussi en nature, et laisser
le droit des pauvres à la charge du directeur, dans le but de faire des économies.
117
La Guêpe de Toulon, 1.11.1874, p. 3 : « Silhouettes théâtrales », signé Léo de Karuly..
118
La Sentinelle du Midi, 25.9.1874, p. 3.
27
113
En octobre, il fit donner Haydée, Le Lion Amoureux, Le Châlet, Les Domestiques, Les Dragons de Villaret
La Dame-Blanche119. T. de Réal Martin, le chroniqueur théâtral de la Sentinelle du Midi, estima cependant
que « les spectacles de la semaine ont été excellents, mais ils ont été d’une insuffisance notoire » 120.
En novembre, M. Lauton-Mazurini, fit jouer la Favorite et le Trouvère121. Mais la pièce qui obtint le plus de
succès fut le drame de Cormon et de d’Ennery, Les Deux Orphelines. C’était une pièce qui avait déjà paru
dans tous les théâtres de France où partout elle avait tenu l’affiche très longtemps avec un succès toujours
croissant. Et chose étonnante, ce n’était pas un ouvrage qui faisait appel aux passions politiques ni ne
caressait par certains côtés les opinions avancées. Ce n’était pas non plus un de ces drames historiques, dont
la population commençait à s’intéresser. C’était un roman dicté par le cœur et qui parle au cœur, un de ces
romans dont affectionnaient la population du milieu du XIXe siècle.
C'est l'histoire de deux jeunes filles, deux orphelines, l'une riche (Henriette) et l'autre aveugle
(Louise) et recueillie jadis par les parents de la première, qui arrivent à Paris où Henriette vient
chercher à Paris un médecin pour rendre la vue à Louise, sa sœur d'adoption. Pendant le trajet,
le marquis de Presle s’est épris d'Henriette, de sa beauté, et a résolu de la faire enlever. Un
infâme mendiant exploitera l'infirmité de la jeune fille. Au deuxième acte, un chevalier, un vrai
gentilhomme, prend Henriette sous sa protection. Au troisième acte, une vieille femme
persuade Henriette de chanter dans les rues et de tendre la main lui assurant que c'était le
meilleur moyen d'attirer l'attention des passants. Toutes deux arrêtées pour mendicité, elles se
font jeter à la Salpétrière où Henriette entend dans la rue la voix de Louise. Les deux orphelines
se retrouvent ainsi et la morale est sauve car le mendiant est lui aussi arrêté122.
Quant aux Deux Orphelines, Toulon tout entier est allé voir ce drame. Cet ouvrage fut représenté sept fois et
produisit une recette brute de 7 676,50 F. À cette somme il faut ajouter 1200 F environ produits par les deux
représentations de ce drame donné à Draguignan par les artistes toulonnais.
Les Deux Orphelines est une pièce qui tenait le troisième rang parmi les ouvrages qui eurent de fructueuses
représentations consécutives :
Les quatre premières de Roland à Ronceveaux ont produit 6 578,80 F.
Les quatre premières de la fille de Mme Angot ont produit 5 777,30 F.
Les quatre premières des Deux Orphelines ont produit
4 379,00 F.
Trois semaines plus tard, la pièce produisit une recette de 936,50 F.
La Guêpe de Toulon, 18.10.1874, « semaine artistique ; grand théâtre », p. 3, signé T. de Réal-Martin.
Ibidem, 25.10.1874, p. 3.
121
Ibidem, 1.11.1874, p. 4.
122
La Sentinelle du Midi, 29.11.1874, « Semaine théâtrale », p. 3.
119
120
28
29
La Traviata fut la seule nouveauté de la saison qui parut sur l'affiche, et obtint un grand succès grâce à une
exécution très brillante123.
En décembre, Faust fut à nouveau à l’affiche, ainsi que Les Deux Orphelines. Cet opéra fut suivi d’un autre,
Mignon, d’Ambroise Thomas qui obtint également un grand succès124. Le nouveau directeur donna
également des pièces qui attirèrent une foule importante au théâtre. Il sut séduire le public en donnant des
succès nationaux.
Les représentations de Faust avaient mis l’enthousiasme du public à un niveau où il n’avait jamais été, même
dans les plus beaux jours125. Dans cette pièce, M. Mazurini tenait le premier rôle126. Son nom seul sur
l’affiche attira grand monde dans la salle qui était comble, et cela malgré l’ouverture du cirque dont les
Toulonnais sont pourtant très friands.
En janvier, « toutes les soirées sont prises par un spectacle toujours renouvelé. De plus, la direction semble
avoir à cœur de composer ses spectacles de manière à ce qu'un père de famille n'hésite pas à les montrer à
ses enfants »127. Le directeur avait fait donner Rigoletto, dans lequel M. Mazurini tenait le rôle du duc de
Mantoue128. Ce mois-ci, le théâtre donna les reprises de La Traviata, Mignon et de la Favorite. En février, la
représentation donnée au bénéfice de M. Férénoux avait attiré une foule de spectateurs. La salle du théâtre
était littéralement comble. En mars, le théâtre avait donné, pour le bénéfice de Mme Lagier, deux pièces à
recette : les Diamants de la Couronne et le Supplice d’une femme, chef d’œuvre de M. Emile de Girardin.
En avril, les pièces qui jouées furent : A la porte, Le Gentilhomme pour eux, Les Méli-mélos de la rue
Meslay.
c) Des nouveautés issues de créateurs locaux
Le nouveau directeur venait d'acquérir le privilège de faire représenter Pétrarque du compatriote toulonnais
Hippolyte Duprat. Cet opéra dont Marseille et Lyon avaient consacré le mérite, était prévu pour la première
quinzaine de décembre à Toulon. Mais Pétrarque ne sera pas encore joué cette année à Toulon. En effet, la
scène toulonnaise n'est pas subventionnée comme le sont celles de Marseille et de Lyon et M. Mazurini ne
put se lancer dans une dépense que les recettes de cette pièce couvriraient difficilement. L'opéra de Duprat
est peut-être supérieur à l'œuvre de Mermet, mais sa valeur a été contestée par une partie de la presse
parisienne, même si certains disent qu’il contient des beautés indiscutables.
Le directeur décida donc de donner d’autres œuvres du cru en remplacement de cet opéra. Il donna un opéra
comique inédit, les Papillons, d'un jeune Toulonnais, Victor Pietra129. Il comptait aussi donner un opéra en
quatre acte, lui aussi inédit, Gheyza, dont l'auteur est le Toulonnais Paul Aube130.
Les Papillons de Victor Pietra
Ibidem.
La Sentinelle du Midi, 13.12.1874, « Semaine théâtrale », p. 3.
125
La Guêpe de Toulon, 20.12.1874, « Semaine artistique ; grand théâtre », p. 3, signé T. de Réal-Martin.
126
Il peut chanter car le cahier des charges ne le lui interdit pas.
127
La Sentinelle du Midi, 5.1.1875, « Semaine théâtrale », p. 3.
128
La Guêpe de Toulon, 10.1.1875, « Semaine artistique ; grand théâtre » p. 4. Article signé T. de Réal-Martin.
129
Victor Piétra, né à Toulon le 2 décembre 1853, est un tout jeune avocat au Barreau de Toulon. A ses moments libres, il
compose des œuvres qui se contente de donner dans sa ville natale, sans prétention de rêves de gloire. Victor Piétra sera plus
tard candidat aux législatives (1885), sans succès. En revanche, il fut admis comme membre à la loge maçonnique La Réunion
dont il deviendra vénérable en 1887. Il décède à Toulon en 1939, quatre ans après avoir été admis à l’Académie du Var.
130
Paul Aube était dès l'âge des 10 ans un des meilleures et la élève de Monsieur Thurner père un des professeurs qui a fait le
plus grand nombre de musiciens dans notre ville. Plus tard, en 1856, alors qu'il était au collège Sainte-Barbe, il suivit
assidûment les cours du conservatoire de musique. Il n'a pas cessé de travailler depuis et les nombreuses bluettes, romances,
valses, polkas qu'il a éparpillées prouvent que Monsieur Paul Aube a fait de la composition musicale son unique occupation.
Gheysa n'est donc pas oeuvre du hasard : elle est le résultat d’un labeur continu et d'études est spéciales.
30
123
124
L’opéra en 4 actes les Papillons, dont les paroles sont de Georges Wilson et la musique de Paul Aube, a été
représenté en même temps qu’un autre opéra, Mignon, devant une salle comble. La salle était comble :
d’abord, toute la presse locale était présente ; ensuite, aux premières places, l’aristocratie au grand complet ;
dans les baignoires, un grand nombre des petites dames de la bourgeoisie. Nombreux étaient ceux qui
voulaient assister à la premières de Papillons131.
L’opéra de M. Piétra a produit une bonne impression. Pourtant, la presse spécialisée en fait en commentaire
acerbe : « Le poème est bien intrigué et parsemé de bons traits d’esprit, mais il maque de surprise et d’effet.
Le dénoûment (sic) prévu est mal amené et on ne sait à quelle époque appartient le sujet, qui, du reste, n’est
pas neuf » 132.
Le même journaliste conteste les qualités musicales de la pièce. Le spécialiste ne reconnaît pas les talents
d’un élève du Conservatoire, encore moins ceux d’un un prix de Rome. En fait, l’œuvre de Victor Piétra a
été écrite dans les moments de loisir que laisse l’étude du droit, car cet avocat n’a jamais étudié la musique
dans un établissement consacré. En revanche, si le sujet n’est pas une nouveauté, la mélodie y est neuve,
originale, inspirée, et d’un rythme agréable, toujours d’après les échos de la presse. « Elle est presque
toujours appliquée à la circonstance, à la situation dans laquelle se trouvent les chanteurs » 133.
L’orchestration est également critiquée. Elle est de très bonne qualité, mais il y a des passages où elle est
faible, « dépourvue de sonorité et de vigueur ». Il est vrai que l’orchestration est une affaire d’habitude et
d’expérience, et pas seulement de science et de travail. « On sent que Victor Piétra n’a pas été guidé et qu’il
aurait eu besoin de conseils »134.
Quoiqu’il en soit, les Papillons ont fait plaisir. L’interprétation a été excellente. Des éloges reviennent aux
artistes qui l’ont interprété : MM. Taxil, Albert et Courtois ainsi qu’à Mme Rivière 135. Un journaliste d’une
autre journal local, celui de La Sentinelle du Midi, estime que cette œuvre est appelée à obtenir un grand
succès.
Les recettes de la soirée ont cependant rapporté une somme de 1 496,50 F, somme relativement importante
pour le mois de décembre 1874 dont les recettes de l’ensemble des pièces évoluaient de 333,50 F à 1771,50
(moyenne 916,02 F)136.
Gheisa de Paul Aube
Avant que le nom de l’auteur de cet opéra ne soit connu, certains journalistes avaient attribué la paternité des
paroles de cette œuvre à Antoine Dominique, que l’on va voir plus loin. C’est le cas notamment des
journaux marseillais le Petit Marseillais et le Sémaphore.
L’action principale de l’opéra de M. Paul Aube137, Gheisa, se passe sous Charles XII de Suède138. L’histoire
de cette pièce est puisée dans l’histoire de la Poméranie et de la Suède.
Le premier acte commence sur le dénouement de cette guerre qui devait soumettre le faible au fort.
Les Poméraniens groupés en partisans autour de Réginold, un de leurs chefs apprennent qu’ils vont
La Guêpe de Toulon, 13.12.1874, « Semaine artistique ; grand théâtre » p. 3. Article signé T. de Réal-Martin.
La Guêpe de Toulon, 13.12.1874, « Semaine artistique ; grand théâtre » p. 3. Article signé T. de Réal-Martin.
133
Ibidem.
134
Ibidem.
135
Ibidem.
136
3 R IV 10, 1870-1879, « Etat des recettes et dépenses faites au théâtre de Toulon pendant le troisième mois d’exploitation, du
1er au 31 décembre 1874 » : état des recettes de chaque soirée.
137
Paul Aube était dès l'âge des 10 ans un des meilleures et la élève de Monsieur Thurner père un des professeurs qui a fait le
plus grand nombre de musiciens dans notre ville. Plus tard, en 1856, alors qu'il était au collège Sainte-Barbe, il suivit
assidûment les cours du conservatoire de musique. Il n'a pas cessé de travailler depuis et les nombreuses bluettes, romances,
valses, polkas qu'il a éparpillées prouvent que Monsieur Paul Aube a fait de la composition musicale son unique occupation.
Gheysa n'est donc pas œuvre du hasard : elle est le résultat d’un labeur continu et d'études spéciales.
138
La Guêpe de Toulon, 20.12.1874, « Semaine artistique ; grand théâtre » p. 3. Article signé T. de Réal-Martin.
31
131
132
être attaqués par des forces supérieures : désespérés d’abord ils reprennent courage et se préparent à
une résistance énergique. Cet épisode est l’introduction du drame qui commence aussitôt sur
l’entrée de Gaston, jeune officier français que son roi rappelle au moment où son épée pourrait être
d’un si grand secours pour la cause que défend Réginold, père de celle qu’il aime, de Gheysa. Au
moment de quitter le Poméranie pour obéir aux ordres de son souverain, il vient dans les environs
du château de Réginold, avec l’espérance de revoir Gheysa et de lui dire adieu. La jeune fille
demande à l’officier les motifs de sa tristesse et Gaston les lui dit : il va partir. Gheysa supplie
Gaston d’oublier son roi et son devoir et de demeurer auprès d’elle. Gaston cède à ses instances, il
restera. Survient Réginold qui, en retour du bras que Gaston consacre au duché, accorde à ce dernier
la main de Gheysa. Au même instant un des serviteurs du comte, Fridor, vient annoncer que le
château est cerné par les Suédois. Les Poméraniens courent aux armes, mais trop tard, une décharge
de mousqueterie atteint le comte Réginold qui tombe dans les bras de Gaston et de Gheysa, en
recommandant sa fille au jeune français. Le rideau tombe sur ce tableau.
Au deuxième acte, le spectateur est transporté au milieu du camp des Suédois vainqueurs, où se font
les préparatifs de la vente des femmes prisonnières. Au lever du rideau, Gaston, qui, en sa qualité de
Français a été rendu à la liberté se promène au milieu du camp, attiré par l’espoir de retrouver
Gheysa parmi les esclaves. Une courtisane célèbre, Isabelle, qui l’aime et le poursuit de ses
obsessions, le rencontre et le supplie de céder à son amour. Gaston, indigné, la repousse et la
courtisane, exaspérée, jure de se venger. La vente va commencer, les esclaves sont amenés, Isabelle
la reconnaît, la rassure et promet de la racheter. Mais Isabelle poursuivant un but de vengeance
pousse son amant le général suédois à racheter cette esclave. Le général obéit et paye Gheysa son
pesant d’or. Gaston est vaincu et Gheysa emmenée chez Isabelle.
C’est là où nous la retrouvons au troisième acte, esclave, mais toujours fière et indomptable devant
Isabelle. Le général entreprend de séduire Gheysa. La jeune fille vaincue par la faiblesse et par
l’émotion va succomber lorsque Gaston entre, arrache Gheysa au général et le tue en duel, puis
s’enfuit avec sa fiancée. Les deux jeunes gens sont égarés dans le parc d’Isabelle ; celle-ci, entourée
de ses gens, les poursuit et Gheysa exténuée ne peut plus avancer. C’est toujours l’esclavage qui la
menace, mais plutôt que d’y retomber, elle se donnera la mort avec le poignard que Gaston lui
donne. Mais Fridor, le serviteur de Réginold veille sur eux et leur amène une barque grâce à
laquelle ils pourront passer sur l’autre rive et fuir. Fridor reste et lorsque Isabelle arrive, il punit la
courtisane en lui plongeant son poignard dans la poitrine139.
Informés ainsi sur cette nouvelle pièce, les spectateurs toulonnais sont venus en masse assister au spectacle.
Les portes du théâtre furent assaillies une heure avant l’ouverture. Dans la salle, de nombreuses
personnalités occupèrent les premiers rangs et les sièges réservés : en premier le maire accompagné de ses
deux filles, le directeur de la Porte-Saint-Martin, le sous-préfet de Brignoles, M. L’Hôte, ex-président de
l’Académie du Var, M. Mathieu, ex-président de la Société des Beaux-Arts, M. Ballot-Beaupré, procureur
de la République, M. Mouttet, ancien rédacteur en chef du Toulonnais, M. Legay, chef de la musique des
Equipages de la Flotte. De nombreux journalistes se pressaient également aux premiers rangs pour assister à
cette première dans l’objectif d’en faire le commentaire : Oscar Tardy, rédacteur en chef du Progrès du Var,
Célestin Sénes, chroniqueur de la Sentinelle du Midi, Méré de la Revue et Gazette des Théâtres, Léo de
Karuly et T. de Réal Martin de la Guêpe de Toulon.
Déjà en 1871, la musique de cette pièce était connue des Toulonnais car l'ouverture de Ghéysa fut jouée par
l'orchestre de grand théâtre dirigé par M. Steck, comme intermède entre deux comédies. Plus tard cette
même ouverture fut exécutée par la société des concerts populaires et vivement applaudis. L'opéra de
Monsieur Paul Aube aurait même été représenté dès cette année 1871, mais un différend était intervenu à la
dernière minute entre l'auteur et le directeur140.
139
140
La Guêpe de Toulon, 17.1.1875, p. 4 : « Semaine artistique ; grand théâtre » : signé T. de Réal-Martin.
La Sentinelle du Midi, 5.1.1875, « Semaine théâtrale », p. 3 (rez-de-chaussée). Article non signé.
32
Paul Aube ne s'en tiendra pas à cet ouvrage car dès 1873 il mettait la dernière main à la partition d'un opéra
comique en trois actes dont le libretto est tiré d'un des plus jolis contes des Mille et Une Nuit dont le titre est
Ithurièle 141. Les critiques acerbes de certains journalistes142 (notamment de la Gazette du Midi) n’ont pas ôté
à M. Aube de l’envie de composer des opéras, ce donc le public toulonnais ne se plaignit pas.
La Ronde de Nuit de Hugh-Cas
D’autres productions locales furent données cette année 1873. En effet, le chef d’orchestre Hugh-Cas, auteur
du Légataire et de la Croix de Jeannette et d’une foule de petits ouvrages ravissants, travaille avec ardeur à
un opéra en cinq actes, dont quelques privilégiés, qui ont pu en entendre des bribes, disent énormément de
bien143.
Autre nouveauté dans un genre différent : La ronde de nuit, opéra-bouffe en un acte144, un véritable éclat de
rire en musique signée Hug-Cas, œuvre à laquelle l'auteur travaille depuis de longues années.
A quoi sert un cousin ? de Xavier de Briey
Enfin, le Toulonnais Xavier de Briey (pseudonyme d’Antoine Dominique) 145 donna une comédie, A quoi
sert un cousin146. Si le public est venu nombreux à l’appel de ce nom, en revanche la presse n’a pas apprécié
la comédie, trouvant que les premières scènes traînaient en longueur, mais ont apprécié le dénouement
imprévu. Le défaut capital de cette comédie est d'être mal conçu. : « Il faut s'appeler Alfred de Musset ou
Octave Feuillet pour oser entreprendre de charmer tout en public avec des phrases et des réparties » critiquait
le journaliste de la Sentinelle du Midi147.
La décentralisation n’est pas qu’un vain mot. Des artistes locaux permirent d’admirer des œuvres qu’on peut
dire qu’elles sont aussi belles que celles des compositeurs applaudis dans la capitale. On peut cependant se
demander pourquoi ils refusent de jouer dans les théâtres parisiens en donnant leurs œuvres uniquement en
province. Pourquoi Paul Aube ne veut-il point profiter de l'exemple d’Hippolyte Duprat ? Pourquoi se
condamne-t-il à ne devenir qu'une célébrité de clocher lorsque avec de la patience il pourrait arriver à
rayonner à Paris ? La réponse pourrait être l’amour de leur contrée locale.
d) Des artistes empruntés au gymnase de Marseille
Le premier artiste de la scène toulonnaise pour cette saison est incontestablement M. Lauton-Mazurini. Il est
le seul à ne pas être soumis aux « débuts ». Le public le connaît pour l’avoir déjà entendu chanter à Toulon
neuf ans auparavant, et il apprécie l’artiste consacré qu’il est. Le seul nom de Monsieur Mazurini écrit sur
l'affiche suffit à faire venir la foule.Tous les autres artistes sont soumis aux « débuts ».
Les « débuts » des artistes
Le système des « débuts » était imposé à tous les artistes de la troupe. Tous les abonnés du théâtre, à l'année
et au mois, ainsi que les porteurs des billets de dizaine, votent au scrutin secret après le début de chaque
artiste sur le rejet ou l’admission de celui-ci. Les votes sont personnels. Le directeur est tenu de remplacer
les sujets non admis dans le délai de 15 jours sous peine d'une amende de 20 à 100 F par jour de retard. Une
fois la troupe définitivement constituée, aucun changement ne peut plus être porté jusqu'à la fin de la saison
théâtrale sans l'accord du maire. Les débuts ne peuvent avoir lieu le dimanche, les jours de fête et de
La Guêpe de Toulon, 31.1.1875, p. 4 (signé Cétoi).
Le journaliste de La Gazette du Midi avait reproché à Paul Aube d’avoir imité, dans son libretto, des situations prises dans
Lucie, de la Dame Blanche, et même un peu de Pétrarque. Pourtant, l’opéra de Paul Aube fut réalisé en 1871 et celui de
Pétrarque ne fut connu qu’en 1873.
143
La Guêpe de Toulon, 31.1.1875, p. 4.
144
La Sentinelle du Midi, 5.1.1875, « Semaine théâtrale », p. 3.
145
Merle (René).
146
La Sentinelle du Midi, 14.1.1875, « Semaine théâtrale », p. 3.
147
Ibidem.
33
141
142
représentation extraordinaire, sauf en ce qui concerne les artistes de drame. Ce système est assez
contraignant pour les artistes et l’on tenta de le supprimer en 1880 sous la municipalité Dutasta, mais sans
succès.
Si les « débuts » étaient une épreuve difficile pour les artistes, ils l’étaient aussi pour le jury. L’artiste se
trouvait dans une situation de stress intense lorsqu’il se présentait devant ce jury qui pouvait être indisposé
par l’angoisse de l’acteur. Pour des artistes débutants, l’épreuve était encore plus difficile. Pendant le
premier mois d'exploitation le théâtre n'était donc une agréable distraction que pour ceux qui rêvaient de
plaies et bosses et qui se réjouissaient du malheur d’autrui.
Voici les résultats du vote du 17 octobre 1874, lors de la représentation de La Juive : 79 abonnés ont exprimé
leurs suffrages, la majorité relative était donc de 40. Six artistes ont été rejetés148 :
NOM
Artistes refusés
M. Bataille
M. Frugier
M. Méran
M. Francis
Mme Longuefosse
Mme Lagier
Artistes admis
M. Ghelheyns
M. Duméry
M. Moine
M. Perron
M. Taxil
Mme Duméry
Mme S. Léon
Mme Clotilde Moine
Mlle Nelly
OUI
NON
Résultat
1
12
38
7
35
36
78
67
41
72
44
43
Refusé
Refusé
Refusé
Refusé
Refusé
Refusé
67
77
78
43
79
78
76
69
79
12
2
1
36
0
1
3
10
0
Admis
Admis
Admis
Admis
Admis
Admis
Admis
Admis
Admis
Le rejet de Mademoiselle Longuefosse a suscité des réactions d’incompréhension de la part de la presse.
Pour le rédacteur de la Sentinelle du Midi, l’emploi de la première dugazon a souvent été tenu par des
artistes plus contestables que cette jeune fille qui satisfait à toutes les exigences : un organe vocal de qualité,
de la méthode et la science de la scène. Pour le journaliste, « les honorables du théâtre font un coup d'Etat
pour le seul plaisir de montrer leur puissance »149. Il espère que, sous la pression du public, les membres du
jury, qui ne sont en fait que les mandataires de ce public qui n’est pas abonné à l’année mais qui payent plus
cher les pires places, changeront leurs votes contre le rejet de Mlle Longuefosse. Il faudrait, pour ce faire,
que le directeur demande un nouveau début à la suite duquel aurait lieu un deuxième scrutin. Pourtant, le
même journaliste n’hésite pas à reconnaître un faible talent de cette même artiste dans l’œuvre de Aimé
Maillart, Les Dragons de Villars, une semaine plus tard150. Ce qui confirme l’aptitude des abonnés à se faire
un jugement rapide sur les capacités des artistes.
Deux artistes ont obtenu l’unanimité dans ce vote : M. Taxil et Mlle Nelly, première chanteuse légère des
théâtres de Nîmes, Angers et Versailles, de même qu’un troisième, M. Gelhyens, baryton en tout genre,
venant de Mons, et qui a conquis les sympathies du public.
La semaine suivante, d’autres artistes sont soumis aux débuts : M. Stratmann, ténor en tout genre des
théâtres du Havre, de Gand et de Mons, Mme Deville, forte chanteuse venant du théâtre d'Avignon et qui
Ibidem, 24 .10.1874.
Ibidem.
150
La Guêpe de Toulon, 25.10.1874, p. 3 : « Semaine artistique ; grand théâtre » : signé T. de Réal-Martin.
148
149
34
vient d'obtenir à Marseille, au théâtre Valette de très honorable succès. Puis ce fut le tour de Mme Rivière, la
nouvelle dugazon, qui vient remplacer Mlle Longuefosse. Elle est une heureuse acquisition pour la direction
qui espère faire oublier celle qui a été renvoyée. Enfin, la toute jeune Mlle Coulon, 16 ans, 2ème dugazon, 2ème
ingénue, qui paraît pour la première fois sur les planches dans les rôles de dugazon, mais qui a déjà chanté
dans d’autres rôles de moindre importance151. Son inexpérience et son émotion ne jouent pas contre elle, car
elle a une voix fraîche et pure qui lui ouvre un brillant avenir artistique152.
La presse spécialisée loue le mérite des artistes les plus réputés. La Guêpe de Toulon, par le crayon de
Adolphe Bonny, présente le portrait du directeur, du chef d’orchestre, et de quelques autres artistes qui ont
retenu l’attention du peintre153.
L’orchestre
L’orchestre est dirigé par Hug-Cas154, ce qui contribue à une large part dans les succès que compte déjà cette
année théâtrale. Sous sa savante direction, l'orchestre toulonnais tend à devenir l'un des meilleurs orchestres
de la province : chaque année il se renforce de quelques premiers sujets155.
2 – Un mandat inachevé
Malheureusement, tous les efforts de M. Mazurini ne lui permirent pas de réaliser les bénéfices qu’ils
espéraient. Pour des raisons « de force majeures indépendantes de sa volonté », il ne peut continuer son
exploitation156.
En effet, dès le début de la saison 1874-1875, la situation commença à se compliquer. Les sujets de premier
ordre exigeaient des salaires plus importants que les saisons précédentes où la guerre les forçait à émigrer
des pays envahis ou près d’être occupés et les contraignait, pour ne pas mourir de faim, à s’engager dans le
premier théâtre venu qui leur ouvrait ses portes. Le public, habitué à ces artistes di primo cartello, est devenu
capricieux et blasé. Il demande maintenant des chanteurs « irréprochables » et fait de chaque début une
martingale à laquelle on ne peut rien comprendre. La guerre finie, le nombre de bons chanteurs diminua,
mais en revanche leurs prétentions augmentèrent.
De plus, le directeur eut à se défendre encore contre toutes sortes de mauvais vouloirs qui gravitent autour de
lui. Il n’est pas parvenu à faire face à ses dépenses, malgré la subvention. Il a tenu à faire représenter le
grand opéra, bien que le cahier des charges ne l’obligeait pas à le faire, ce qui a concouru à sa perte car cela
nécessitait une augmentation de subvention qui lui a été refusée.
Il présente à l'administration municipale l'état des recettes et dépenses faites au théâtre de Toulon pendant la
saison 1874-1875 :
Décembre : excédent des pertes
1 489,75 F
Mlle Sophie Coulon, est née à Orléans le 13 juillet 1858. Elle est la fille de Louis Coulon, laruette, grand premier comique,
est né à Bordeaux le 15 août 1836. Il obtint d’étourdissants succès à Reims, au Havre, à Brest, à Tours, à St-Etienne, à Genève,
à Troye, à Besançon et à Agen.
152
La Sentinelle du Midi, 20.11.1874, « Semaine théâtrale », p. 3.
153
La Guêpe de Toulon, 7.2.1875, p. 4 : « silhouettes théâtrales : M.C. Dazémar, 1er ténor léger » : Camille Dazémar est né à
Lyon le 6 juin 1846. Il fit ses premières études musicales au conservatoire de Paris (signé T. de Réal-Martin)
La Guêpe de Toulon, 29.11.1874, p. 3 : « Semaine artistique ; grand théâtre » : portrait de M. Lauton-Mazurini, directeur.
(signé A. Bonny)
La Guêpe de Toulon, 29.11.1874, p. 3 : « Semaine artistique ; grand théâtre » : portrait de Mlle Emma-Nelly, première
chanteuse légère. (signé A. Bonny)
Ibidem, 13.12.1874, p. 3 : portrait de M. Gelyns, baryton.
Ibidem, 20.12.1874, p. 3 : portrait de Mlle Deville, forte chanteuse-falcon.
Ibidem, 3.1.1875, p. 4 : portrait de M. Hugh-Cas, chef d’orchestre.
Ibidem, 14.3.1875, p. 3 : portrait de deux artistes : M. et Mlle Coulon.
154
Nous étudierons la biographie de Hugh-Cas lorsque nous aborderons sa direction théâtrale.
155
La Sentinelle du Midi, 24 .10.1874, « Semaine théâtrale », p. 3.
156
Arrêté du 5.10.1875.
35
151
Janvier : excédent des pertes
Février : excédent des recettes
Mars : excédent des pertes
412,65 F
3 136,99 F
1 359,30 F
A la suite de ces circonstances malheureuses, il s’est trouvé dans la nécessité d’abandonner l’exploitation du
théâtre. C'est donc pour des raisons majeures et indépendantes de sa volonté qu'il ne peut continuer
l’exploitation du théâtre.
Avant de se retirer, il a usé de la faculté contenue dans l’article 25 du cahier des charges : « le directeur,
nommé par le maire, ne pourra sous-traiter de son entreprise sans l’autorisation préalable de l’administration
municipale »157. L’autorisation lui fut accordée. Or, le sous-traitant présenté par M. Lauton-Mazurini n’est
autre que M. Beysson, directeur du Gymnase à Marseille.
Voulant offrir à Toulon le meilleur des directeur, il choisit donc M. Beysson, un directeur de grande
réputation. Celui-ci déclare accepter cette cession et s’engage à remplir toutes les conditions du cahier des
charges. Il fut agréé par l’administration municipale qui a recueilli les renseignements les plus rassurants sur
ses aptitudes professionnelles, sur sa moralité et sur sa solvabilité. La municipalité veut aller toujours plus
loin dans la qualité des spectacles et se donne les moyens d'y arriver.
D – Direction Beysson (1er octobre 1875 - 27 février 1877)
Les renseignements pris par la municipalité de Toulon sur Beysson auprès de la municipalité de Marseille
sont excellents comme solvabilité, aptitude et moralité158. Il fut donc nommé directeur pour les deux saisons
restantes 1875-1876 et 1876-1877159, et percevra à ce titre une subvention annuelle de 19 000 F.
La subvention
Il fallait se rendre à l’évidence, l’exploitation du théâtre de Toulon ne pouvait se faire sans subvention. Elle
fut donc de nouveau versée dans le courant de la saison 1874-1875. Mais le montant à accorder souleva de
vives discussions, non seulement au sein du conseil municipal, mais aussi de la part des administrés. En
effet, en mai 1875, La Sentinelle du Midi rapporte les propos d’un contribuable qui lui a écrit et qui s’élève
contre le projet de subvention, le trouvant « contraire à la justice et antidémocratique »160. Il estime qu’il est
juste que celui qui a les bénéfices doit supporter toutes les charges et que le prix élevé des places donne au
spectacle « un certain cachet d’aristocratie que les démocrates eux-mêmes ne dédaignent pas »161. Il
considère le théâtre comme une entreprise privée qui doit fonctionner de façon indépendante de la
municipalité.
La ville, de son côté, maintient le principe de la subvention, mais refuse de verser des sommes importantes.
Une demande d’augmentation de la subvention théâtrale pour 1875 a d’ailleurs été rejetée.
1 – L’homme
Beysson est un artiste particulièrement réputé, qui a dirigé avec beaucoup de succès les plus grands théâtres
de France (Toulouse, Versailles, Montpellier, Alger) et même de Belgique (Gand et celui de la Monnaie à
Bruxelles). Un autre directeur avait posé sa candidature, M. Vachot, mais il exigeait une subvention trop
importante162. Ainsi, l'administration municipale n'a pas laissé échapper l’occasion d'accepter les offres plus
AMT, Délibération du Conseil municipal du 8 novembre 1875.
AMT, 3 R IV 9, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1867-1872,Télégramme de la mairie de Marseille à la mairie de
Toulon du 6.10.1875.
159
2 D I 12, 1875-1884, arrêté du 5 octobre 1875. Le cautionnement est fixé à 3 000 F pour l’année théâtrale.
160
La Sentinelle du Midi, 29.5.1875, « Chronique méridionale », p. 2.
161
Ibidem.
162
Ibidem, 8.10.1875, « Chronique méridionale », p. 2.
36
157
158
avantageuses de M. Beysson qui veut faire à Toulon ce qui se fait dans les théâtres de premier ordre.
Désormais on ira au théâtre pour entendre chanter des artistes de renom (Mme Arnaud, M. Rohani, Mme
Soustelle) et pas seulement pour le nom de compositeur qui est à l’affiche.
M. Beysson a été présenté à M. Mazurini par l’Agence Théâtrale du Midi, dirigée par M. J. Terris, 1 rue
Sainte, Marseille163. Quelques personnes s'étaient particulièrement occupées de procurer à la ville de Toulon
un directeur qui avait géré avec succès plusieurs des grands théâtres de France, tels que ceux de Toulouse,
Versailles, Montpellier, Alger et même de Belgique, Gand et celui de la Monnaie, de Bruxelles 164. Beysson
est prêt à venir dès qu’on l’appelle : « D’après convention verbale arrêtée entre nous, j’ai complété troupe,
j’ai expédié avances aux artistes. Attends votre lettre pour verser cautionnement. Puis-je partir demain.
Télégraphiez. Beysson »165.
Après bien des tiraillements, la direction, définitivement abandonnée par Monsieur Mazurini, et passée à
Monsieur Beysson directeur du gymnase de Marseille et la salle a rouvert ses portes le 21 octobre. En
acceptant la troupe formée par Monsieur Mazurini, Monsieur Beysson semble avoir subi l'une des clauses de
la session, mais en réalité c'est un pur sentiment d'humanité qui a été le mobile du nouveau directeur qui n'a
pas su laisser à une époque si avancée de la saison tant d'artistes sur le pavé.
L’arrivée à Toulon d’un directeur venant de Marseille satisfait le public toulonnais qui rêvait depuis
longtemps de réunir dans une même main un théâtre de Marseille et celui de Toulon, solution qui pouvait
avoir pour le port de guerre de très heureux résultats. Le gymnase marseillais est d'ailleurs la pépinière où les
théâtres de Paris prennent aussi leurs premiers sujets.
2 – Le répertoire
M. Beysson envisage de donner le grand opéra, l’opéra comique, la comédie, le vaudeville et le drame. Il
prévoit également de donner mensuellement, avec la troupe du Gymnase de Marseille, les grands succès
d’opérette et de comédie. A cet effet, il fera venir les premiers sujets de comédie de Marseille et espère ainsi
faire représenter les ouvrages à grand spectacle et les pièces littéraires de l’année166. Il espère également
donner l’opéra Pétrarque.
M. Beysson commença la saison par un opéra désormais célèbre, La Juive. Il s’est assuré le concours de
grands noms, M. Dermont, un excellent chanteur qui est déjà eu des succès sur notre scène, M. Viard, un
ténor qui l'an dernier à créer à Avignon l'œuvre du Toulonnais Duprat, Pétrarque167.
a) Des pièces traditionnelles
M. Beysson donne bien sûr des opéras italiens, très appréciés des Toulonnais, dont le Requiem de Verdi pour
lequel il demande au maire l’autorisation d’augmenter le prix des places car ce ne sont pas les artistes
toulonnais qui jouent, mais une troupe de passage168.
b) Pétrarque, la gloire locale
AMT, 3 R IV 9, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1867-1872, lettre du 1er octobre 1875.
La Sentinelle du Midi, 8.10.1875, « Chronique méridionale », p. 2. Article non signé.
165
AMT, 3 R IV 9, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1867-1872, Télégramme de Beysson du 2.10.75.
166
AMT, 3 R IV 10, Tableau de la troupe de M. Beysson présenté à la municipalité avant le début de la saison théâtrale.
167
Ibidem, 17.10.1875, « Chronique méridionale », p. 2..
168
AMT, 3 R IV 9, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1867-1872.
163
164
37
La seule œuvre locale qui sera donnée par M. Beysson est l’opéra du Toulonnais Hippolyte Duprat 169,
Pétrarque. Représenté pour la première fois à Marseille le 19 avril 1873, l’opéra du compatriote toulonnais
fut successivement joué sur les grandes scène de Lyon le 20 mars 1874, d'Avignon le 5 mars 1875, de
Toulouse le 12 mai suivant avant d’être donné à Toulon enfin, pour la première fois, le 8 mars 1876. Succès,
ovation, triomphe, sont les trois mots qui permettent de résumer l'existence de cette oeuvre. Unanimement
applaudi, rappelé, acclamé, couvert de fleurs, il a reçu la plus enviée des récompenses qu'il méritait. Toulon
est fier de lui170.
M. Beysson avait sollicité auprès de la ville une allocation de 10 000 F pour l’aider à monter cette pièce171.
En contrepartie, il s’était engagé à abandonner à la ville les décors et l’orgue à trois jeux dont il fit
l’acquisition. Mais la commission limita l’allocation à 7 000 F destinée plus particulièrement à l'acquisition
des décors et d'un orgue.
Mais le succès ne s’arrêta pas là. La pièce fut jouée à Toulon plusieurs fois par semaine, puis elle continua sa
tournée à Dijon, Alger, Milan, et même Paris, au théâtre populaire de la Gaîté. Duprat reçut partout l’accueil
le plus flatteur.
Portrait d’Hippolyte Duprat
Était-il possible de choisir un sujet plus politique, plus populaire que les chastes amours des Pétrarque et
Laure, consacré par la légende ?
Le succès est du au thème magnifique de l’amour de Pétrarque pour Laure, la lutte entre la
passion et le devoir. Pétrarque eut une immense popularité de son vivant comme humaniste, l’un
Hippolyte Duprat naquit à Toulon le 31 octobre 1821, de parents commerçants rue d’Alger et mourut à Paris le 20 mai 1889.
Son père était musicien amateur à l’orchestre du Vieux Théâtre et membre de nombreuses sociétés philharmoniques où le petit
Hippolyte l’accompagnait dans les dix premières années de sa vie. Il fit ses études au collège de Toulon puis entre à l’Ecole de
Médecine Navale d’où il sortit avec le grade de médecin de la Marine. Quoique attiré très jeune par la musique, il ne put se
consacrer à sa passion qu’à la mort de sa mère qui l’avait poussé dans la voie maritime d’où il démissionna. Il partit alors en
Italie prendre des leçons des grands maîtres italiens et composa Pétrarque. Il revint à Paris en 1870, juste avant le début de la
guerre. Mais la musique italienne n’était alors plus aussi goûtée du public parisien.
170
La presse relate sans modération la fierté de cette réussite musicale : La Sentinelle du Midi, 8.3.1876, « Chronique
méridionale », p. 2.
171
AMT, Délibération du Conseil municipal du 22 janvier 1876.
38
169
des plus grands du XIVe siècle : il révéla aux temps modernes les trésors de la pensée antique. Il
vint d’Italie en Avignon en 1312, âgé de 7 ans, avec son père qui se réfugia à la cour du pape
Clément V après son exil politique de Florence. Puis il retourna en Italie vers 22 ans où il étudia
le droit à Bologne. Son père mort, il retourna en Avignon, où il reçut les ordres mineurs, attiré à
la fois par ses souvenirs et par la cour du pape où il put se faire une situation, car son héritage a
été dilapidé par ses tuteurs. Et ce fut à ce moment que se produisit le plus grand événement de sa
vie : à 23 ans, le 6 février 1327, dans la chapelle des religieuses de Sainte-Claire, il rencontra
Laure de Novès, épouse d’Hugues de Sade, si charmante dans ses vingt ans et avec sa chevelure
blonde. Dès lors, il poursuit la dame de ses assiduités, et à force de séduction nourrit l’espoir de
la posséder un jour. Mais la chaste épouse ne veut pas compromettre sa situation.
Les années passent et Pétrarque voit que ses démarches sont inutiles. Le cœur de Laure ne fléchit
pas et Pétrarque court l’Europe, tentant de fuir son amour qui l’obsède, allant de Paris à Gand et
de Liège à Lisbonne. Puis, en 1337, il revint en Avignon et la torture reprit. Il sent bien que son
amour est éternel. Il songe alors à la mort. Mais il écarta l’idée de suicide et souffrit en silence.
Durant de nombreuses années, Pétrarque lutta contre cet amour sans gage, retiré à Vaucluse dans
une modeste maison rustique. Pour adoucir ses tourments, il se livra à un labeur acharné, écrivit
de grands ouvrages et rechercha dans la gloire des lettres une consolation. Il fit aussi un grand
travail de copiste, sauvant ainsi de nombreux textes antiques de la destruction. Et sa renommée
grandit au point qu’on l’appella à Rome pour y recevoir la couronne poétique. C’est alors qu’il
quitta le Vaucluse en 1841 pour ne plus y revenir. Dans son apothéose, une atroce nouvelle le
frappa : le 6 avril 1348, sa bien-aimée mourut, loin de lui, emportée par la Peste Noire. Le
souvenir de Laure le hantera toujours, et il ne trouvera un apaisement que dans un travail acharné
jusqu’à la fin de sa vie.
Ses poèmes lyriques devaient immortaliser la jeune femme sous le prénom de Laure, figure
idéalisée de la Femme. Ce chant d’amour, dont on ne sait s’il fut réel ou créé par Pétrarque luimême (il se maria quand même, en Italie, et eut deux enfants d’une femme autre que Laure), se
chante depuis plusieurs siècles et ravit toujours les hommes.
L’œuvre reprise par Hippolyte Duprat est un drame puissant, riche en scènes gracieuses et en
situations pathétiques. Duprat, dans son libretto, a modifié un peu la vérité historique. Il a bien
rendu l’atmosphère du temps où l’action se situe, mais a situé l’histoire de Pétrarque dans l’Italie
divisée par les luttes intestines des Guelfes et des Gibelins, donnant un rôle plus politique aux
personnages, notamment à Pétrarque à qui il attribue la prouesse de redonner le pouvoir aux
Guelfes le comte Colonna, à Rome. Et lorsque les honneurs du triomphe lui sont rendus, une
femme voilée vient lui apporter un message : un rendez-vous qu’on lui fixe. C’est la comtesse
Albani qui veut l’entretenir de son amour pour lui. Pétrarque, amoureux fou de Laure, refuse la
fortune et la noblesse que la comtesse lui offrait. Folle de rage, elle tue Laure. Pétrarque ne peut
survivre à celle qu’il a perdue, mais Colonna le retient de se tuer car la patrie a encore besoin de
lui172.
L’œuvre de Duprat, si l’on se fie aux dires des journalistes de l’époque, mit le compositeur au rang des plus
grands musiciens français de l’époque, notamment Auber et Halévy. C’est pourquoi la municipalité décida
de se porter acquéreur de la partition et de l’intégrer dans le cahier des charges de chaque année théâtrale,
obligeant ainsi tous les directeurs à donner cette œuvre une à plusieurs fois au cours de chaque saison.
Une autre œuvre d’un auteur local non encore dévoilé sera peut-être jouée sur la scène toulonnaise si le
public en apprécie le texte qui est donné dans la Sentinelle du Midi173. L’auteur, en livrant au public les
premières scènes de cet ouvrage, espère des encouragements qui le motiveront à poursuivre et achever son
172
173
Vérany (Félix), Hippolyte Duprat et Pétrarque, Paris, lib. Ch. Vanier, 1875, 60 p.
La Sentinelle du Midi, 6.12.1875, « Quinzaine théâtrale », p. 3.
39
drame. Il s’agit d’une page palpitante de l’histoire de Toulon, sous la Terreur, pendant et après le siège de
cette ville par l’armée républicaine. Mais cette pièce ne verra jamais le jour,le sujet n’étant plus d’actualité.
3 – Les artistes
M. Beysson a embauché des artistes qu’il a recrutés essentiellement à Marseille, mais il fait également venir
des artistes qui ont une grande réputation dans toute la France. Parfois il n’hésite pas à faire de lourdes
dépenses pour rehausser le prestige de l’opéra de Toulon, sauf lorsque les exigences des artistes sont trop
élevées. Il ne fera exception que pour Mlle Nilson, « la première cantatrice de l’Europe » qui a sollicité la
faveur de chanter sur la scène toulonnaise avec une compagnie d’artistes éminents. Il a alors sacrifié ses
intérêts pour être agréable au public de Toulon174.
a) Les débuts des artistes
L’acceptation ou le rejet des artistes occupant les premiers et les seconds emplois était prononcée par les
abonnés à l’année au moyen du scrutin secret175. Le jour fixé pour le vote, les abonnés à l’année reçoivent en
entrant au théâtre, un bulletin sur lequel seront inscrits les noms des artistes sur le sort desquels ils auront à
se prononcer. Aucun autre bulletin n’est admis au moment du vote. Les abonnés devront se borner à rayer
sur ce bulletin le nom de l’artiste qui ne serait pas à leur gré, les bulletins remis sans rature exprimeront
l’acceptation du sujet en cause. Une commission composée de trois abonnés choisis par le maire, sera
chargée de procéder au dépouillement des bulletins et au recensement des votes. Le scrutin est ouvert dès le
premier entracte qui suit la pièce dans laquelle joue l’artiste soumis au vote. Le vote de chaque abonné est
constaté sur une liste préparée à l’avance par le paraphe d’un membre du bureau. Ce vote est personnel et
chaque abonné doit le déposer lui-même dans l’urne. Après la clôture du scrutin, le bureau procède
immédiatement au dépouillement. Aucun artiste n’est admis s’il ne réunit au moins la moitié plus un des
suffrages exprimés. Un procès-verbal de cette opération est dressé par les membres de la commission. Le
résultat du scrutin est proclamé par le régisseur du théâtre dans la même soirée ou au plus tard au
commencement de la représentation suivante.
Toulon possède un trio de chanteuses que doivent lui envier, d’après la presse, bien des villes même plus
importantes : Mmes Arnaud, Soustelle et Bressoles. Elles ont été admises dès le premier tour du vote176. Du
côté des hommes, hormis M. Dermont et M. Sureau qui ont également été admis au premier tour d’élection,
M. Bressoles est contesté, malgré tous ses efforts, et M. Louvrier, le nouveau baryton, a été ballotté par 52
Oui contre 52 Non, même un mois après le début de la saison 177. Les abonnés se montrent exigeants et
réclament des artistes de qualité, même s’ils ne peuvent les payer aussi bien que Marseille et Toulouse, ces
deux théâtres sont fortement subventionnés.
b) L’opinion du public sur les nouveaux artistes de M. Beysson
Monsieur Beysson s'est assuré le concours de M. Dermont un excellent chanteur qui a déjà eu des succès sur
la scène toulonnaise et de M. Viard, le ténor qui l'année précédente avait créer à Avignon l'œuvre de Duprat,
Pétrarque. Il a également fait venir Mme Arnaud, qui avait joué en 1873 quelques passages de Pétrarque178.
En choisissant des artistes qui ont fait partie des créateurs de l’opéra de Duprat, il montre son intention de
réussir cette pièce.
Il compte, bien sûr, dans sa troupe, son épouse, Mme Beysson, une actrice qui a créé à Marseille le rôle de la
jeune aveugle dans les deux Orphelines et qui a beaucoup été appréciée. Monsieur Moine, pris de nostalgie,
174
AMT, 3 R IV 10, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1870-1879. Lettre de Beysson au maire de Toulon du 2 décembre
1875.
175
AMT, 1 D I 12, 1875-1884 : Arrêté du 18 décembre 1875.
176
La Sentinelle du Midi, 8.11.1875, « Quinzaine théâtrale », p. 3.
177
La Sentinelle du Midi, 19.12.1875, « Quinzaine théâtrale », p. 3.
178
La Sentinelle du Midi, 21.11.1875, « Quinzaine théâtrale », p. 3.
40
a résilié l'engagement qui le liait loin de Toulon et revient. Ces artistes appartenant à la troupe de Marseille
réclament un émolument supérieur aux artistes toulonnais. M. Beysson doit donc s’imposer de lourds
sacrifices car la subvention n’est pas aussi importante que celle qu’il percevait à Marseille. Non seulement il
emploie des artistes marseillais, mais il fait également venir l’ensemble de la troupe du Gymnase de
Marseille pour donner à Toulon certaines représentations. Ces artistes sont d’une telle qualité qu’ils peuvent
à eux seuls sauver des pièces médiocres. Ce fut le cas de La Petite marquise, comédie en trois actes de
Meillac et Halevy où, grâce à la présence de Mme Beysson, la pièce ne fut pas un fiasco.
4 – Encore un mandat inachevé
L’année théâtrale 1875-1876 a été positive, avec une recette globale de 187 527,80 F, subvention y
compris179. Et cela malgré des débuts difficiles. En effet, dans un premier temps, la municipalité avait
autorisé un cirque à donner ses spectacles au mois d’octobre, ce qui pouvait être nuisible à l’un comme à
l’autre directeur, sachant que c’est le premier mois de l’année théâtrale et que la concurrence entre le théâtre
et le cirque pouvait être sévère180. D’autre part, la subvention de 19 000 F était loin des 60 000 à 80 000 F
qui étaient versés à ses prédécesseurs avant 1870181. M. Beysson avait fait appel à tous ses amis des arts afin
qu’ils l’aident, au moyen de leur présence au théâtre. Et comme les Toulonnais étaient reconnaissant envers
Monsieur Beysson de la tentative très risquée, mais certainement très favorable au développement des goûts
artistiques dans la ville, ils vinrent en grand nombre soutenir son entreprise.
M. Beysson se plaint d’une diminution de recettes de 18 000 F depuis la période d’ouverture du théâtre au
31 décembre 1876 par rapport à la période correspondante de l’année dernière182. Mais Beysson,
probablement habitué à être largement subventionné à Marseille, ne put gérer la saison 1876-1877 avec
« seulement » 19 000 F, somme qu’il avait pourtant demandée pour l’exploitation de la saison183, avant de
réclamer un peu plus tard 40 000 F à la municipalité qui n’avait pu lui accorder 184. La seule aide qu’elle avait
pu fournir consistait en l’abandon du droit des pauvres jusqu’à la fin de la saison185.
Beysson expose les pertes qu’il a essuyées dans sa gestion le mettant dans la nécessité de fermer le théâtre
avant la fin de l’année théâtrale. Le conseil est opposé à toute augmentation de subvention à cause de l’état
précaire de la situation financière de la ville. Pour ces raisons, Beysson fut contraint d’abandonner la
direction du théâtre au cours de la saison186. Il sera remplacé en janvier 1877 par Hugh-Cas qui achèvera la
saison sans dépense supplémentaire pour la municipalité187. Conformément à l’article 26 §2 du cahier des
charges, le cautionnement est confisqué au profit de la ville188.
E – Direction Hugh-Cas (28 février 1877-30 avril 1878)
Hugh Cas est un jeune chef d'orchestre que les Toulonnais connaissaient bien pour l'avoir vu exercer ses
talents dans de nombreuses sociétés musicales, orphéons et harmonies. Les chanteurs et musiciens ainsi
formés purent même participer à l'orchestre du théâtre. Il dirigeait non seulement le chœur de l’Orphéon de
179
AMT, 3 R IV 10, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1870-1879, Année théâtrale 1875-1876. Etat des recettes et
dépenses mensuel.
180
AMT, 3 R IV 10, Action culturelle, lettres, sciences et arts, 1870-1879. Lettre du 1er août 1874 de MM. Priami et Pierantoni
qui contestent la décision du maire d’autoriser le cirque au mois d’octobre.
181
La Sentinelle du Midi, 21.11.1875, « Quinzaine théâtrale », p. 3 (rez-de-chaussée).
182
AMT, Délibération du Conseil municipal du 29 décembre 1876.
183
La Sentinelle du Midi, 5 décembre 1875.
184
AMT, 1D I 48, Délibération du Conseil municipal du 29.12.1876. M. Beysson avait estimé que cette somme était
« indispensable pour donner à la ville de Toulon une troupe digne de sa population et de ses goûts artistiques ».
185
AMT, 1 D I 49, Délibération du Conseil municipal du 3 mars 1877.
186
Par lettre du 27 février 1877, M. Beysson, directeur du théâtre, faisait connaître à l’administration municipale que faute de
ressources et se voyant dans l’impossibilité de tenir ses engagements envers la ville et qu’il donnait sa démission de directeur.
187
AMT, 1 D I 49, Délibération du Conseil municipal du 22 mai 1877.
188
AMT, Délibération du Conseil municipal du 3 janvier 1878.
41
St Jean du Var de Toulon depuis 1871, mais aussi la musique de la Toulonnaise en 1874 et la musique de La
Lyre de Toulon en 1876, société dont il est le fondateur. Né à Marseille le 15 février 1839, il y dirigea, dès
l’âge de 15 ans, l’orchestre du Gymnase et quelque années plus tard celui du théâtre municipal.
Les orphéons, les sociétés musicales et l’orchestre du théâtre étaient étroitement impliquées du fait que
l’orchestre utilisait les services des sociétés toulonnaises pour les besoins de ses spectacles. La lutte était
parfois sévère entre les orphéons de la ville pour obtenir le privilège de chanter au théâtre 189. Cette
compétition était alimentée par le directeur du théâtre qui avait pour obligation de fournir une troupe
complète d’artistes. Le cahier des charges du théâtre préconisait au moins quarante musiciens, dont six
premier violons et six seconds violons.
En 1877-1878, Hugh-Cas fut propulsé directeur du théâtre, nommé par la municipalité pour ses antécédents
musicaux à Marseille, mais aussi pour ses qualités de chef de musique à l’Orphéon de Saint-Jean-du-Var et
à la la Lyre de Toulon. Hugh-Cas proposa donc tout naturellement les musiciens qu’il connaissait pour
composer la nouvelle troupe du théâtre municipal et remplacer une partie des artistes qui, jusqu’à présent,
étaient empruntés au Gymnase de Marseille190. Devant le succès de son entreprise, il fut reconduit la saison
suivante.
1 – La fin de la saison 1876-1877
Depuis la séance du 26 février, M. Beysson s’estimait contraint d’abandonner la direction théâtrale devant
les difficultés de sa situation financière qui l’a obligé à ne donner à ses créanciers, artistes et employés du
théâtre, qu’une très faible portion de ce qu’ils avaient doit. M. Hugh-Cas, chef d’orchestre du théâtre, a
consenti à se mettre à la tête des artistes réunis en société pour poursuivre l’année théâtrale jusqu’à la fin. Le
conseil reporte donc sur sa tête en sa nouvelle qualité de directeur le bénéfice de la concession que le conseil
a faite en faveur de M. Beysson du droit des pauvres à prélever sur le produit des représentations qui restent
à donner jusqu’à la fin de l’année théâtrale, à la condition de poursuivre ces représentations jusqu’à la fin de
cette année191.
A peine la saison théâtrale achevée, la municipalité en profita pour faire des travaux au théâtre. Elle a
souhaité installer une grille autour du théâtre. Cette affaire fit beaucoup de bruit dans la ville, pas seulement
au sens propre, mais permit aux divers groupes politiques opposés de verser leur rancœur sur la majorité
radicale. Mais ceci sera l’objet d’un autre article.
2 – La saison 1877-1878
A l’issue de l’exploitation 1876-1877, de nombreuses candidatures affluèrent sur le bureau du maire pour la
saison suivante. Seize directeurs se montrèrent intéressés par la direction du théâtre de Toulon en plus de la
candidature de Hugh-Cas. Ce fut une des années les plus demandées dans le début de la IIIe République. Ils
viennent d’un peu partout en France métropolitaine, mais aussi de la Belgique, de la Suisse et de l’Algérie.
Certains sont déjà connus des Toulonnais comme J.-Louis Dufrenne qui avait dirigé deux fois l’ancien
théâtre192 et M. Neuchatel qui était musicien de l’orchestre toulonnais sous la direction de M. Beysson et qui
s’était imposé des « efforts pour éviter les suites fâcheuses de la retraite de M. Beysson au mois de mars
dernier ». D’autres viennent de théâtres environnants : Gustave Cavé qui était à Perpignan depuis 2 ans, A.
Coste, un ami d’enfance de M. Beysson qui terminait la direction du théâtre de Béziers, G. Allié, qui venait
de Nîmes, ou M. Bessière, présenté par l’Agence Codérat, à Paris, et qui a dirigé le théâtre de Montpellier il
y a 3 ans. Lorsque ce dernier acheva cette direction, il avait postulé pour Toulon. N’ayant pas été retenu, il
AMT, délibération du conseil municipal du 7 avril 1879 : après La Lyre de Toulon et le départ d’Hugh Cas, l’Orphéon Piffard
fait acte de candidature en 1879.
190
La Sentinelle du Midi, 30 mai 1874, « Chronique théâtrale », p. 2.
191
AMT, Délibération du Conseil municipal du 3 mars 1877.
192
AMT, lettre du 3.1.1877.
42
189
avait décidé de vivre de ses rentes. D’autres encore venaient de plus loin, du centre de la France, de Paris ou
de villes situées sur la côte ouest. N. Legénisel venait de Grenoble, en Isère, où il a dirigé de 1870 à 1873 le
Casino d’Enghien. Il en était à la fois directeur et chef d’orchestre et avait une profonde connaissance de la
musique et une longue fréquentation des premières scènes de Paris. Depuis 15 ans, il occupait la fonction de
soliste au théâtre national de l’Opéra-Comique. A.J.Defossez, qui avaiat dirigé durant deux ans le théâtre de
Lahaye, est actuellement au théâtre de Dijon.
Deux candidats venaient de Paris : Guérinot, ex-directeur des théâtres de Versailles et A. Tallon que nous
venons de voir le succès de sa direction en 1873. Depuis sa gestion, deux directeurs ont fait de mauvaises
affaires, c’est dire que le théâtre de Toulon ne peut pas vivre sans subvention. Il réclame donc une
subvention raisonnable pour se mettre sur les rangs pour l’année 1877193.
Hugh-Cas fut aussi bon directeur du théâtre qu’il était dirigeant des sociétés orphéoniques et musicales.
Conclusion
D’autres directeurs lui ont succédés et en 1875, pour tenter de faire de Toulon un centre d’attraction culturel,
la municipalité n'hésitant pas à faire venir des directeur de loin dans l’espoir qu’ils placent la scène
toulonnaise au premier rang des scènes de province. Après ces années difficiles succédant à la guerre, les
finances municipales autorisèrent une subvention qui ira croissante d'année en année afin de permettre aux
divers directeurs une meilleure gestion de leur entreprise. Ce fut le maire radical Henri Dutasta qui inaugura
une nouvelle vie culturelle à Toulon, que ses successeurs radicaux poursuivirent, les maires plus
conservateurs étant moins généreux en matière culturelle.
193
AMT, lettre du 1.3.1877.
43
ANNEXE
La ville de Toulon à l’inauguration du théâtre.
Dans ce palais qu’aux arts élève la cité,
Hôte qu’on n’entend pas, que nul n’a présenté,
Séduite par l’éclat des chants, de la lumière,
A la fête du jour j’apparais la première.
Qui suis-je ? vous savez, vous tous qui m’écoutez,
Mon nom qu’avec orgueil dans le cœur vous portez.
Je m’appelle Toulon. – Transfuge de la Grèce,
J’eus pour berceau vos bords que la vague caresse,
Vos bords couverts de fleurs, Eden dont le soleil
Dans l’Argolide seule éclaira le pareil !
Par votre rade immense ouverte aux nefs amies,
Par vos écueils, couchés dans les eaux endormies,
De leur patrie absente, aux aïeux exilés,
Les souvenirs heureux étaient tous rappelés.
Le rythme de la mer, qui dans la brise arrive,
Guida mes premiers pas hasardés sur la rive,
Et depuis deux mille ans, vingt siècles bien comptés,
J’ai grandi sur ces bords que je n’ai plus quittés.
Ah ! Lorsque je naquis sur cette place nue,
Comme vous eussiez fui si vous m’aviez connue !
Les sauvages indiens que cache la forêt
Pourraient seuls aujourd’hui rappeler mon portrait.
Car la mode d’alors serrait ma taille svelte
Dans la peau de brebis dont se couvrait le Celte,
Et, lorsque de la faim je sentais l’éperon,
Je disputais aux loups le gibier de Faron,
Sur ce rivage, en proie à d’effroyables luttes,
Je n’avais d’autre abri que quelques pauvres huttes,
Noir mélange de boue et de roseaux du bord.
A la place des quais, sur le carré du Port,
Où Puget a sculpté ses deux caryatides,
Croupissaient des marais et des varechs fétides,
Et mes premiers enfants n’eurent pour oreiller
Que l’algue qu’à leurs seuils le flot venait mouiller.
Tribus qui n’ont laissé de traces dans l’histoire
Que leur pêche célèbre au pied d’un promontoire :
La pêche du murex dont on faisait sortir
Un sang plus éclatant que le pourpre de Tyr.
J’ai végété longtemps, obscure colonie,
Ou plutôt j’ai vécu d’une lente agonie.
Le javelot de Rome ou le fer sarrazin
Pendant quinze cents ans ont déchiré mon sein.
Pestes, sièges, combats, famines, deuil, misère,
J’ai tout subi : la mort m’étreignait dans sa serre
Et m’arrachait des mains, tyran sombre et jaloux,
Mille prospérités que je tressais pour vous.
Je résistais pourtant ; mes familles accrues
Construisaient, s’entassaient, mais dans d’immondes rues,
Dans Magnaque et Bastide, affreux échantillons
De ce passé couvert et d’ombre et de haillons.
C’était là le Forum, l’Agora des ancêtres,
Coupé d’impurs ruisseaux, large au plus de deux mètres,
Noir cloaque, terreur de l’odorat, égoût
Dont chacun maintenant s’éloigne avec dégoût.
44
Cependant le destin m’ouvre une ère nouvelle.
A la France, à ses rois enfin je me révèle.
Le Maure ne vient plus ravager mes moissons ;
On bâtit sur mes quais et l’essor des maisons
Monte au Pavé-d’Amour, doux nom dont je regrette
Qu’on l’ait débaptisé même pour La Fayette.
Henri quatre, ce roi que le peuple bénit,
Fait entourer mes flancs de bronze et de granit ;
Puis, grâces à Vauban, ma poitrine meurtrie,
Devient le boulevard, la clé de la patrie !
Les échos de la mer qu’attristaient mes sanglots,
Retentissent au loin du chant des matelots ;
Et mes golfes déserts, avec leurs monts pour cadres,
Se peuplent tout à coup de puissantes escadres.
Où vont-ils, où vont-ils ces vaisseaux que je vois
Déployer dans les airs leurs frissonnants pavois ?
Ils vont, sous le guidon d’illustres capitaines,
Faire admirer la France aux nations lointaines ;
En Egypte, par eux, Bonaparte et Kléber
Pour vaincre l’Orient tombent comme l’éclair :
Ils vont à Navarin où la Grèce asservie
Recouvrera par eux la liberté, la vie ;
Des pirates d’Alger ils vont purger les mers
Et des chrétiens captifs ils vont briser les fers ;
A travers le Bosphore, ils vont, mêche allumée,
Devant Sébastopol foudroyer la Crimée ;
Enfin, cherchant plus loin de plus rudes exploits,
Ils vont, pour y semer nos progrès et nos lois,
Planter notre drapeau jusqu’au fond de la Chine.
Eh bien, vive Toulon ! et vive la Marine !
Ce sont ses arsenaux où tant de gloire a lui
Qui m’ont faite et si belle et si forte aujourd’hui !
Pourtant, en comparant ce premier port de guerre
Au Toulon dont j’ai peint la détresse naguère,
J’entendais chaque jour dire de toutes parts
Que je n’avais rien fait encore pour les arts.
C’est vrai. Je gémissais qu’à Racine, à Molière,
Notre ville ne fut pas plus hospitalière ;
Qu’à leur royal génie, en tous lieux célébré,
Elle ne put offrir qu’un grenier délabré.
Qu’y pouvais-je, mon Dieu ? Les remparts d’Henri quatre
Ne m’avait pas laissé la place d’un théâtre.
Celui qu’on décorait de ce nom, était né
Sous d’Anjou, le roi-moine, ou sous le bon René ;
Vos aïeux avaient vu, sur son étroite scène,
Pleurer la Cendrillon, rire la belle Arsène ;
Puis vos pères, friands du patois familier,
Y vinrent applaudir Maniclo bouan Groulier.
Les générations se léguaient d’âge en âge
Au péril de leurs jours, ce sordide héritage ;
Vous-même, après avoir vainement protesté,
Vous-même en rougissant vous l’aviez accepté,
Et vous auriez fini, martyrs de l’habitude,
Par être ensevelis sous sa décrépitude.
Mais un jour, franchissant le Faron à cheval,
Napoléon Trois vient. Son geste impérial
Fait tomber ces vieux murs dont m’étouffait l’étreinte
Et rétablit leur ligne en doublant mon enceinte ;
Et pour lui l’Empereur entend sur nos chemins
45
Battre cent mille cœurs et deux cent mille mains.
Depuis ce jour j’ai vu grandir mes destinées.
Depuis, j’ai vu Marseille et Nice, mes aînées,
Se rapprocher de moi par des chemins de fer ;
J’ai vu mes arsenaux s’étendre sur la mer,
Mes flottes se tripler plus belles et plus fortes,
La fortune m’ouvrir à deux battants ses portes.
Depuis, il est venu le jour que j’appelais
Où la Muse et les arts ont ici leurs palais ;
Où nos édiles vont, pour ma gloire civile
Me doter d’un lycée et d’un Hôtel-de-Ville,
D’une bibliothèque et d’un musée, enfin
De tous les monuments qu’on réclamait en vain.
Oubliez, maintenant, mon obscure origine,
L’avenir est plus beau que nul ne l’imagine.
A ses premiers rayons qu’ici vous saluez,
Pour m’ouvrir la mer Rouge on éventre Suez.
Ce grand œuvre accompli, ma rade aux eaux profondes
Sera le rendez-vous des vaisseaux des deux mondes ;
Vous possédez l’Afrique aujourd’hui. – Vous aurez
Demain la Chine et l’Inde ; et les nababs dorés,
Accourus de Madras, étranges estafettes,
Souriront aux Thouaregs (sic) assis sur ces banquettes.
Tout vous le prédit donc : la ville avant cent ans
Comptera dans ses murs deux cent mille habitants.
Le spectre du passé devant cet horoscope
Va se voiler la face et tomber en syncope.
Qu’importe le passé, le présent est vivant.
Il n’est qu’un mot qui serve ; en avant ! en avant !
Qu’il soit de mes enfants la devise unanime.
Oui, marchons vaillamment vers l’avenir sublime
Plus riche de faveurs qu’on n’ose en désirer.
Conquérons l’avenir… et pour l’inaugurer,
Consacrons aujourd’hui ce temple, digne d’elle,
A la muse qu’aima la Grèce maternelle.
Comme j’en ai moi-même inspiré les travaux,
J’ai réclamé ma part de fleurs et de bravos ;
J’ai voulu présider ma fête de famille
Et, dans la noble enceinte où tant de splendeur brille,
Complétant le bonheur qu’enfin je lui donnais.
Dire toute ma joie au peuple Toulonnais.
Charles Poncy.
Le Toulonnais, jeudi 2 octobre 1862
46
Table des matières
I – DESCRIPTION DU NOUVEAU THÉÂTRE...................................................................................3
1 – Le bâtiment..............................................................................................................................................................................3
2 – Un escalier monumental..........................................................................................................................................................3
3 – Le plafond................................................................................................................................................................................4
II – LE CAHIER DES CHARGES SOUS LE CONTRÔLE DE LA MUNICIPALITÉ..........................7
1 – Un répertoire digne des plus grandes scènes...........................................................................................................................7
a) Tous les genres sont exploités...............................................................................................................................................7
b) Des représentations soumises à autorisation........................................................................................................................7
2) Une subvention pour redonner vie au théâtre ...........................................................................................................................8
a) De la prise en charge des frais afférents au directeur…........................................................................................................8
b) … à une aide pécuniaire plus ou moins importante..............................................................................................................8
c) Le budget théâtral en constante augmentation......................................................................................................................9
3) Une caution pour garantir l’achèvement de la saison théâtrale...............................................................................................10
4) Le prix des places et abonnements..........................................................................................................................................10
a) Prix ordinaires ....................................................................................................................................................................10
b) Entrées gratuites, places réservées......................................................................................................................................11
5) Des Artistes en tous genres.....................................................................................................................................................13
a) Des artistes de chant de qualité............................................................................................................................................14
b) Des artistes de danse pour le ballet.....................................................................................................................................14
c) Un orchestre bien fourni......................................................................................................................................................14
d) Un chœur mixte..................................................................................................................................................................15
III – LES PREMIERS DIRECTEURS DE LA IIIE RÉPUBLIQUE....................................................15
A – Direction Mounier de Joly (1870-1873)...................................................................................................................................16
1 – La saison 1870-1871 : un mandat impossible.......................................................................................................................16
2 – La saison 1871-1872..............................................................................................................................................................17
a) Les candidatures..............................................................................................................................................................18
b) M. de Joly et la subvention..............................................................................................................................................18
c) Les artistes.......................................................................................................................................................................19
d) Les genres........................................................................................................................................................................21
e) Le droit des pauvres.........................................................................................................................................................21
3 – La saison 1872-1873 .............................................................................................................................................................22
a) Les candidatures.............................................................................................................................................................22
B – Direction André Tallon (1873-1874)........................................................................................................................................24
1 – Un homme de longue expérience.........................................................................................................................................24
2 – Les artistes, les chœurs et l’orchestre...................................................................................................................................25
3 – Le résultat de l’exploitation..................................................................................................................................................26
C – Direction François-Louis Lauton-Mazurini (1874-1875).........................................................................................................26
1 – La saison 1874-1875..............................................................................................................................................................26
a) Un homme de grande expérience........................................................................................................................................27
b) Un programme sans surprise...............................................................................................................................................27
c) Des nouveautés issues de créateurs locaux..........................................................................................................................30
Les Papillons de Victor Pietra.............................................................................................................................................30
Gheisa de Paul Aube............................................................................................................................................................31
La Ronde de Nuit de Hugh-Cas...........................................................................................................................................33
A quoi sert un cousin ? de Xavier de Briey.........................................................................................................................33
d) Des artistes empruntés au gymnase de Marseille................................................................................................................33
Les « débuts » des artistes ..................................................................................................................................................33
L’orchestre...........................................................................................................................................................................35
2 – Un mandat inachevé..............................................................................................................................................................35
D – Direction Beysson (1er octobre 1875 - 27 février 1877)..........................................................................................................36
La subvention......................................................................................................................................................................36
1 – L’homme...............................................................................................................................................................................36
47
2 – Le répertoire..........................................................................................................................................................................37
a)Des pièces traditionnelles.....................................................................................................................................................37
b)Pétrarque, la gloire locale.....................................................................................................................................................37
3 – Les artistes.............................................................................................................................................................................40
a) Les débuts des artistes ........................................................................................................................................................40
b) L’opinion du public sur les nouveaux artistes de M. Beysson ...........................................................................................40
4 – Encore un mandat inachevé..................................................................................................................................................41
E – Direction Hugh-Cas (28 février 1877-30 avril 1878)................................................................................................................41
1 – La fin de la saison 1876-1877................................................................................................................................................42
2 – La saison 1877-1878..............................................................................................................................................................42
Conclusion.......................................................................................................................................................................................43
ANNEXE...........................................................................................................................................44
48

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