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“Un portrait intérieur fascinant de l’homme pris au piège de l’holocauste divin ou de la dégradante faiblesse par la peur”.
Philippe Gerbier s’évade du siège de la Gestapo à Paris où il devait subir un interrogatoire sur ses activités de résistant. Il rejoint son groupe
à Marseille et exécute, avec Félix et Lemasque, le responsable de son arrestation. Félix est arrêté et incarcéré à l’hôpital de la santé militaire
de Lyon, sa femme Mathilde, membre du réseau parisien, organise son évasion. Au cours d’une rafle dans un restaurant, Gerbier tombe une
nouvelle fois entre les mains de la Gestapo, Mathilde l’aide se libérer au cours d’un jeu de massacre organisé par un officier allemand. Blessé,
il reste quelque temps à l’écart du réseau. Mathilde est à son tour arrêtée...
“Le film de Melville fait référénce à ses propres souvenirs de résistant et à l’action menée par Lucie Aubrac. Réalisé en 1969, il clôture une
période pendant laquelle le cinéma, avec une sorte de consensus, s’est lancé dans une grande aventure qui alliait la mythologie gaulliste à la
fiction de la guerre. Les personnages de Melville sont à l’opposé des héros romantiques.”
FICHE TECHNIQUE
RÉALISATION
JEAN-PIERRE MELVILLE
ADAPTATION, DIALOGUES
JEAN-PIERRE MELVILLE
D'APRÈS L’OEUVRE DE
JOSEPH KESSEL
PHOTOGRAPHIE
PIERRE LHOMME
WALTER WOTTITZ
MUSIQUE
ERIC DEMARSAN
DÉCORS
THÉOBALD MEURISSE
SON
JACQUES CARRÈRE
INTERPRÉTATION
PHILIPPE GERBIER
LINO VENTURA
LUC JARDIE
PAUL MEURISSE
MATHILDE
SIMONE SIGNORET
JEAN-FRANÇOIS
JEAN-PIERRE CASSEL
FÉLIX
PAUL CRAUCHET
LE BISON
CHRISTIAN BARBIER
LEMASQUE
CLAUDE MANN
LE COIFFEUR
SERGE REGGIANI
PRODUCTION FILMS CORONA
FRANCE/ITALIE 1969 - DURÉE 2H30
EASTMANCOLOR
SORTIE
le 12 janvier 2005
copies neuves - version restaurée
Reflet Médicis 5ème
Mac Mahon 17ème
PRESSE
ANNICK ROUGERIE
Tél. 01 56 69 29 30
Entretien avec Jean-Pierre Melville
- Jean-Pierre Melville, peut-on considérer L’Armée des ombres, après Le Silence de la mer et
Léon Morin prêtre, comme la troisième étape d’une recherche du temps perdu ?
- Mettons qu’il s’agit d’un triptyque sur la vie des Français sous l’Occupation. L’Armée des
ombres en est le troisième volet - mais ce ne sera pas nécessairement mon dernier mot là-dessus.
Ce fut une époque extraordinaire. Et aussi une sorte de folklore. Les Américains ont eu la
Conquête de l’Ouest, nous avons, nous, la conquête de notre liberté entre 1940 et 1944. Je suis
d’ailleurs stupéfait qu’il n’y ait pas davantage de films tournés sur cette période - bons ou mauvais, il n’importe.
- Mais ce n’est pas le phénomène de la Résistance en soi qui vous intéresse, il s’y ajoute un coef ficient de nostalgie...
- Bien entendu. La Résistance n’est qu’en filigrane. Pour ce qui est de la nostalgie, je crois m’être
suffisamment expliqué avec la phrase de Courteline citée en épigraphe : “Mauvais souvenirs,
soyez pourtant les bienvenus, vous êtes ma jeunesse lointaine...”. C’est merveilleux d’avoir eu 20
ans en 1937 ! Je ne pense pas que ceux qui on eut l’Indochine ou l’Algérie, par exemple, puisse
éprouver la même nostalgie : car ce n’étaient pas là, si j’ose dire, de “bonnes” guerres, tandis que
nous, nous étions sûrs de notre cause. Comprenons-nous bien : je ne parle pas de patriotisme,
d’honneur national, nous n’avions pas le temps de penser à ces balançoires... Les Allemands
n’étaient pas des gens spécialement antipathiques, mais ils occupaient la France. Ils étaient là et il
ne fallait pas qu’ils y restent. C’était clair, c’était net. Nous ne pouvions tolérer qu’ils se promènent à Paris, comme chez eux...
- De là, je suppose, le terrible effet sonore du plan-générique : une image presque belle, plasti quement, mais un son martelé, lancinant, retentissant dans un Paris absolument désert....
- Le plan a été tourné à cinq heures du matin, il y avait déjà des curieux que j’aurais pu disposer
des deux côtés des Champs-Elysées ; j’ai préféré ce désert et cette ambiance funèbre. A vrai dire,
j’aurais souhaité un défilé de vrais Allemands. Cela a failli se faire, et puis, au dernier moment, le
ministère des Affaires étrangères s’y est opposé... J’ai donc engagé deux cent cinquante danseurs
parisiens et je leur ai appris à marcher au pas de l’oie. J’ai fait cinq prises avec trois caméras mais
je ne me suis servi, naturellement, que d’un seul de ces plans.
- Plus que jamais, il me semble, vous affirmez dans ce film “une certaine idée du cinéma”...
- De film en film, je crois que ma démarche s’épure. Peu à peu, je m’efforce de laisser de côté ce
qui a pu, un temps, embouteiller mes propos. L’Armée des ombres est une tragédie à sept personnages, ni plus ni moins. Cette “certaine idée
du cinéma”, il est vrai que je me la suis toujours faite, et, à mes risques et périls, je continue. Je crois encore dans le cinéma “classique”, dans
une certaine forme très élaborée, où la caméra ne fait pas n’importe quoi. La caméra, c’est comme le micro, il ne doit y avoir qu’une place à
lui trouver, pour chaque plan. L’ingénieur du son trouve bien, lui, la place idéale du micro, alors pourquoi pas le metteur en scène ?
- On trouve aussi dans chacun de vos films, et dans celui-ci en particulier, une certaine idée de l’amitié...
- Bien sûr. Nous vivons dans un monde atroce, où l’amitié n’est plus qu’un vague souvenir. L’amitié, qu’est-ce que c’est ? C’est d’avoir eu
20 ans ensemble. Il faut la préserver coûte que coûte, même si notre métier nous accapare, les uns et les autres. La seule façon que je sache
de retrouver ce qu’on a le plus aimé, c’est-à-dire l’amitié entre hommes, c’est de faire des films qui en parlent.
- Au delà de cette amitié virile, de cette solidarité des combats, qu’est-ce qui vous a le plus marqué à cette époque ? Vous avez été vous-même
agent de liaison...
- La vie clandestine avait du charme, indéniablement. Il y a eu des moments particulièrement intenses... d’émotion, de peur, d’astuce... J’ai
connu des gens qui avaient peur. Et j’ai connu aussi des hommes courageux. C’étaient les mêmes, le plus souvent.
- Et des héros ?
- L’héroïsme, c’est évidemment quelque chose de plus que la courage, et de plus rare. Je reconnais que les personnages héroïques m’attirent,
me fascinent. Presque tous mes films mettent en scène des héros. Ce sont parfois des personnages en marge, des hors-la-loi - mais qui ont tout
à coup cette espèce d’élan...
- Là encore, vous retrouvez le grand cinéma classique...
- Le cinéma classique, en effet, montrait des héros, le cinéma qu’on dit moderne montre des larves. Je me refuserai toujours à suivre cette
pente.
- Comment obtenez-vous cette tension à l’intérieur des plans, cette froideur (que l’on vous reproche quelquefois) ?
- Je ne crois pas que ce soit de la froideur. Des trucs, certes, j’en ai, que j’ai d’ailleurs appris, découverts tout seul. Disons que je m’arrange
toujours pour que mes personnages - mes “héros” - se conduisent dans leur milieu, quel qu’il soit, comme je me conduirais, moi. Je ne mets
dans leur bouche que des phrases que je pourrais prononcer moi-même. Pour être franc, je ne peux m’intéresser qu’aux personnages qui me
ressemblent (tous par quelque côté). Egocentrisme, paranoïa, mégalomanie ? Non : tout simplement l’autorité naturelle du créateur.
- Ne développez-vous pas, d’autre part, dans l’Armée des ombres, un thème qui vous est cher : celui du déguisement, du masque que chacun
doit porter, à certains moments cruciaux de l’existence - pour survivre ?
- Absolument ! Je l’ai déjà dit : il faut se déguiser. Il faut porter un faux nez. Ce n’est pas uniquement du fétichisme vestimentaire (bien qu’il
y ait un peu de cela, j’en conviens), c’est une motivation plus profonde. La tenue est une chose sacrée.
- Un mot de la couleur : comment êtes-vous parvenu à ces tons froids, neutres, tendant presque au noir et blanc ?
- J’ai triché sans arrêt, voilà tout. Et je crois que mon prochain film sera encore “pire” à cet égard. Je ne veux pas être prisonnier des rouges,
des bleu-roi, d’une certaine agressivité du technicolor. Je veux bien, en revanche, des verts ou des gris. C’est là qu’est le réalisme !
- L’Armée des ombres est-il un de vos films auxquels vous tenez le plus ?
- C’est celui auquel je tiens le plus. Des films policiers, j’en ferai d’autres, probablement meilleurs que ceux que j’ai tournés jusqu’à présent.
Celui-ci, je l’ai porté en moi vingt-cinq ans et quatorze mois exactement. Il fallait que je le fasse, et que je le fasse maintenant, complètement
dépassionné, sans le moindre relent de cocorico. C’est un morceau de ma mémoire, de ma chair. Dois-je dire que je l’ai montré aux vingtdeux plus grands résistants de France et que leur approbation sans réserve, leur émotion, leurs remerciements m’ont été très précieux ? Vous
savez lorsque les Américains étaient en Europe pour la libérer, ils disaient : “Was this trip necessary ?” (“est-ce que le voyage était nécessaire ?”). Je me suis demandé : est-ce que ce film était nécessaire ? Ce n’est peut-être pas à moi de répondre mais, très sincèrement, je crois qu’il
est, ou du moins qu’il deviendra, quelque chose de nécessaire.
Propos recueillis par Claude Beylie
(Cinéma 69, n° 140)
“D’un beau livre sur la Résistance, que l’on dirait avoir été écrit tout exprès pour lui, Jean-Pierre Melville a tiré un beau film, qui nous parle
de la Résistance, certes, mais aussi, et peut-être davantage, de la vie des hommes, de l’amitié, du mensonge, du courage, de la solitude et de
bien d’autres choses.
... Partons du roman de Kessel, puisque certains (qui l’on lu un peu vite, avec les oeillères de la mauvaise foi) ressortent ici le vieil argument
de la trahison. Que nous montre-t-il ? Je le cite : “Une guerre sans gloire. Une guerre d’exécutions et d’attentats. Une guerre gratuite en un
mot.” La France muée en une vaste prison, d’où il coûte cher de tenter de s’échapper. Un contact, jamais complaisant, avec les réalités souvent affreuses que découvre la Résistance. Un livre sans auréole, sans coup de clairon, écrit avec une espèce de détachement paradoxal, de
nostalgie rentrée. Et peuplé d’une cohorte de visages flous, d’où émergent Gerbier, Le Bison, Mathilde, Jean-François, “Saint-Luc”.
Ce livre, Melville l’a lu tandis qu’il circulait encore sous le manteau, et projetait déjà de l’adapter pour l’écran, “à chaud” si je puis dire. S’il
l’avait tourné alors, c’eût été, naturellement, quelque chose d’autre. Il a attendu un quart de siècle, le laissant mûrir, le réduisant d’année en
année à la pure trajectoire d’un souvenir. C’eût été un chant. Ce n’est plus aujourd’hui, qu’un cri, longuement et savamment modulé. Mais
j’affirme qu’il en va mieux ainsi. Car ce qui a été perdu en chemin d’exubérance juvénile est compensé, largement par la souveraine maturité du style.
Melville, on le sait, adore la nuit, le monde des ténèbres. Il fut un clandestin permanent, et l’est resté, sur l’écran non moins que dans la vie.
Or, cette ombre propice à l’éclosion de ses fantasmes règne ici en maîtresse. Elle correspond exactement à cette sorte de poix dont parle
Kessel, et qui était la vraie toile de fond de l’action secrète. Une nuit traversée d’éclairs et d’espérances confuses,
excellemment rendue par une couleur de demi-deuil ; des
hommes qui taisent leurs sentiments comme ils cachent
leur vraie figure, mais tous pétris de la même pâte d’humanité (que ne contredisent pas, au contraire, certains
actes inhumains d’apparence) ; un humour désespéré, une
angoisse viscérale camouflée en impassibilité. Un jeu,
dont Melville connaît les règles par coeur, et qu’il nous
ressert en virtuose. Parsemant le tout, avec un art que je
serais bien en peine de définir (c’est le secret du cinéaste,
lequel n’a sur ce point rien à envier à l’écrivain), une émotion presque mystique, à visage d’airain.
... Il me semble que dans un film aussi froid de façade,
aussi économe d’effusions, aussi détaché de toute vaine
turbulence extérieure, ce n’est pas une mince performance
que d’être parvenu à rendre sensible cette énergie souterraine, à faire vibrer ces coeurs à l’unisson, à nourrir ce feu
sous la cendre. J’affirme qu’il y a dans le jeu de Meurisse,
de Ventura, de Crauchet, de Signoret surtout (et qui donc a
pu le leur insuffler, sinon Melville ?) , un mélange de force
et de grâce, de tension contenue et de liberté dont notre
cinéma français, depuis Casque d’Or, nous a offert de trop
rares exemples.
Couleurs, décor, musique sont riches du même harmonieux dosage. Louons Melville d’avoir conçu son film à
l’image de cette stratégie de la clandestinité dont il se fait
le chantre. Chaque séquence, chaque plan sont préparés et
exécutés comme autant de missions de confiance ; pas un
mot prononcé qui ne le soit en réponse à un ordre exprès,
donné hors champ par la seule autorité légitime qui, dans
un film d’auteur, se puisse concevoir ; tout est calculé en
fonction d’un effet à produire, qui n’est jamais de vaine
exhibition, mais se répercute de proche en proche dans
tout l’édifice. Si c’est cela qu’on appelle pouvoir personnel, je l’accepte sans réserve, appliqué au domaine de l’art.
Du même coup, le créateur manifeste, dans cette Armée
des ombres, une quadruple et exemplaire fidélité : à une
oeuvre littéraire, à une certaine conception autocratique de
la mise en scène, à sa propre mythologie et à celle de ses
pairs.”
Claude Beylie
(Cinéma 69 - n° 140)
“Malgré les faits rapportés, L’Armée des ombres est une oeuvre anti-héroïque, non spectaculaire, construite sur des relations humaines d’une poignée
de gens ayant choisi la Résistance gaulliste, affrontant le danger, la solitude, avec leurs convictions idéologiques mais aussi leurs faiblesses. Melville
a fait apparaître la notion de clandestinité telle qu’elle a été ressentie par des hommes et des femmes, combattants de l’intérieur, guettés par la police de Vichy et la Gestapo. Tension des embûches, élimination des traites, changement d’identité, opérations difficiles, arrestations, condamnations à
mort : voilà ce qui se cachait dans l’ombre de la France occupée. Melville a traité ce sujet d’une façon austère, rigoureuse. Et si l’on ne voit pas les
combattants victorieux à la fin du film (la guerre continue), on comprend bien le sens de leur combat.”
Jacques Siclier