l`indépendance de la décision médicale
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l`indépendance de la décision médicale
Rapport de la Commission nationale permanente adopté lors des Assises du Conseil national de l’Ordre des médecins du 19 juin 2010 SYNTHÈSE L’INDÉPENDANCE DE LA DÉCISION MÉDICALE Rapporteur : Dr Marc BIENCOURT Ont collaboré au rapport : Dr Patrick BOUET Dr Jean-Alain CACAULT Dr Xavier DEAU Dr Jean-Marie FAROUDJA Dr Pierre JOUAN Dr Bertrand LERICHE Dr Jean-Claude MOULARD Dr François STEFANI Commission Nationale Permanente 2009-2010 Président : Dr Bertrand LERICHE CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010 INTRODUCTION Médecin en 2010, indépendante ? est-il possible de garder une décision médicale Docteur Marc BIENCOURT CHAPITRE 1 – Réglementation de l’exercice et indépendance professionnelle Docteur Jean-Marie FAROUDJA CHAPITRE 2 – Les aspects multifactoriels de la décision médicale Exercices multiples et indépendance Docteur Jean-Claude MOULARD Décision médicale et exercice de service public Docteur François STEFANI Décision conjoncturelle et décision médicale – Structure de la décision – Docteur Xavier DEAU Décision conjoncturelle et consensuels et normatifs – décision médicale – Aspects « techniques » Docteur Patrick BOUET Décision conjoncturelle et décision médicale – Docteur Bertrand LERICHE CHAPITRE 3 – L’exercice de la médecine devient-il commercial ? Qu’en est-il de l’indépendance de la décision médicale Docteur Jean-Alain CACAULT CHAPITRE 4 – Responsabilité et culpabilité Docteur Pierre JOUAN CONCLUSION Docteur Marc BIENCOURT Page 1 CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010 INTRODUCTION Médecin en 2010, est-il possible de garder une décision médicale indépendante ? Docteur Marc BIENCOURT L’exercice de la Médecine est un Art qui parmi les arts libéraux reste l’un dont les traditions éthiques et scientifiques sont spécifiques d’une manière d’être, d’une attitude privilégiée face à la mort, d’une humanité caractérisée par la personnalité toute particulière de son auteur : le médecin. Aujourd’hui, disséqué et analysé par tous, politiques, administratifs, philosophes et d’autres, l’exercice de la médecine semble pour certains d’entre nous devenir de plus en plus vite un nouveau métier. Doit-on accepter cette évolution comme une fatalité ou doit-on faire tout ce qui est en notre pouvoir pour garder à notre profession ses fondations traditionnelles hippocratiques ? L’Ordre est le garant de cette tradition, la rendant opposable tant aux médecins qu’à la population et à ses représentants. Depuis de nombreuses années, notre Institution a montré sa capacité et ses compétences à gérer les grands problèmes posés par l’évolution de notre société. Face à ce rôle intangible du médecin, au centre de la vie et de la mort, il importe que nous garantissions la « feuille de route » de ce nouveau médecin qui s’impose. La profession a su assumer toutes les révolutions scientifiques, informatiques, télématiques, technologiques et philosophiques que nous a imposées l’histoire. La tâche est dure et périlleuse, mais les forces morales et d’adaptation de notre confrérie sont capables d’assumer cette responsabilité pour laquelle nos malades nous font confiance et nous demandent d’assurer la pérennité des repères qui leurs restent indispensables à la sécurisation de leur vie et à la conservation de l’espoir en leur avenir. Les nouvelles « techniques » d’exercice imposent à la profession d’organiser une concertation et une coopération entre les différents acteurs de santé qui prennent en charge les malades. La sécurité du partage de l’information impose avant tout de garantir au patient une confidentialité que la rapidité de l’échange de données rend de plus en plus aléatoire de protéger. L’organisation en réseaux de soins, la problématique de la sortie de l’hôpital de ses murs, la nouvelle politique autrefois décriée des centres médicaux pluridisciplinaires, la mise en place d’équipe de soins dans le secteur libéral vont nécessiter de la part de notre Institution une imagination mais aussi une vigilance dans l’élaboration des protocoles de prise en charge du malade. Si encore récemment un malade pouvait se voir opposer de multiples dossiers médicaux, de l’école, du lycée, du travail à la retraite, de son généraliste aux différents spécialistes de la clinique où il se fera opérer, à l’hôpital où il sera hospitalisé en urgence, sans oublier pour nos aînés leur dossier militaire et j’en passe… Aujourd’hui le projet de DMP à l’accouchement si difficile, les interfaces informatiques entre les établissements de soins, de l’ HBprim et autre Apicrypt, du Wifi à la clé 3G, font que le secret professionnel ou pour le moins la confidentialité des données médicalisées ne sont plus garantis. Page 2 CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010 Il importe d’analyser toutes les missions médicales de prévention, de soins et d’expertise à travers l’analyse de la capacité d’indépendance du professionnel médical afin de formaliser les règles éthiques à protéger et à respecter dans l’exercice de la profession médicale. Toutefois, l’indépendance de l’acte médicale ne peut se concevoir sans contrainte. En effet, indépendance ne veut plus dire liberté car aujourd’hui, l’indépendance doit être nourrie par l’efficience et l’action médicale, indépendante, doit être marquée par la qualité fondée sur l’information claire et loyale du malade et fondée par son consentement obtenu sans contrainte. La décision médicale doit être unique et proposée au patient, et être ce que le médecin estimera le meilleur pour lui, à ses yeux. En effet, ce n’est qu’au sein du colloque singulier que l’indépendance de la décision médicale pourra être possible et garantie. Aujourd’hui, rien ne permet d’imaginer que la profession médicale ne dispose plus des outils nécessaires au maintien de l’indépendance de sa décision, même si beaucoup d’obstacles se dressent devant cette décision. Nous pouvons, à travers ce rapport, donner à notre Institution et à notre profession les outils nécessaires et indispensables à la performance de l’intervention médicale. CHAPITRE 1 Réglementation de l’exercice médical et indépendance professionnelle Docteur Jean-Marie FAROUDJA Presque tous les textes de référence semblent mettre le médecin à l’abri d’intrusions illégitimes dans le champ de son exercice « au service de l’individu et de la santé publique » et tout particulièrement en matière d'indépendance dans sa décision médicale. Il en est ainsi : Du Code de Déontologie : où de très nombreux articles rappellent que « le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit ». C’est en particulier de sa compétence, basée sur des référentiels et recommandations, en accord avec « les données acquises de la science », qu’il tirera les moyens de conserver son libre arbitre, « faisant appel » à l’avis de ses confrères soumis aux mêmes exigences que lui, dans un espace élargi où, désormais, collégialité et consensus aboutiront à une décision unique et responsable. Confronté aux besoins de ses patients, engageant aussi sa responsabilité citoyenne eu égard au coût de la santé, le médecin devra tenir compte uniquement de leur intérêt en respectant ses principes d’indépendance professionnelle avec une information « claire, loyale et appropriée » aboutissant à un « consentement éclairé » en vue de « délivrer des soins limités à ce qui est nécessaire » sans écarter la possibilité de faire valoir « sa clause de conscience » devant certaines situations particulières. Page 3 CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010 Le médecin, « payé pour son acte, honoré pour son savoir être », ne peut garder le principe de son indépendance qu’à travers une rémunération digne qui peut revêtir différentes formes à condition de ne pas créer de dépendance réciproque entre soigné et soignant. Quel que soit le mode d’exercice, l'indépendance du praticien doit être respectée. Même si on peut comprendre que sur des plateaux techniques d’exception, une clinique, par exemple, établissement à but lucratif hébergeant certaines spécialités, tende à imposer des objectifs proportionnels aux moyens développés. Même si, lors des staffs hospitaliers, la décision du responsable s’appuie sur des avis multiples et réputés compétents au service exclusif du patient. De même dans les EHPAD où les impératifs fixés par la direction et le médecin coordonnateur ne sauraient, au motif de la maîtrise des prescriptions, altérer l’indépendance des décisions du soignant au bénéfice du malade. Dans tous ces cas particuliers, il est heureux que l’Ordre, par le biais des contrats, puisse refuser toute clause prévoyant un abandon de l’indépendance de la décision médicale ou une rémunération fondée sur des normes de productivité. La Loi Le code de la santé publique et les lois, reprennent en grande partie les éléments du code de déontologie. Mais, même si ces textes réitèrent souverainement leur attachement au respect de l'indépendance de la décision médicale, ils introduisent tout de même des limites ou contraintes dictées par des impératifs essentiellement économiques. La survie du système est peut-être aussi à ce prix. Le code de la sécurité sociale proclame lui aussi « l'indépendance professionnelle et morale des médecins » dans leur exercice quotidien... mais l'article L162-2 se termine par la phrase : « ...sauf dispositions contraires... » La convention médicale Enfin si une convention médicale est censée établir les règles du jeu avec l'assurance maladie c'est le contrôle médical qui intervient pour sanctionner la moindre dérive par rapport aux consensus. En échange des aides et avantages promis ou octroyés au médecin, des obligations contractuelles individuelles ou collectives apparaissent tendant à imposer un strict respect des référentiels et des normes établies par les autorités de tutelle. Mais l'observance de ces « guides line » peut aussi servir au médecin. Elle peut le rendre efficient en lui permettant ainsi d'affirmer son indépendance et de justifier l'opportunité de ses décisions. Page 4 CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010 Indépendance de la décision et autres acteurs : mêmes exigences en toutes circonstances Il est bien évident qu'en face d'autres acteurs tels que mutuelles, assurances diverses, le médecin devra toujours exiger le respect de l'indépendance de ses décisions. Quant à certains professionnels de l'Administration, tels que les médecins de santé publique, ils verront leur indépendance décisionnelle contrainte et encadrée par les règlements législatifs qu'ils devront appliquer. Il ne s'agira plus de protéger seulement l'intérêt de l'individu mais plus souvent celui de la société. Ayant reçu de l'Etat une mission particulière lui accordant le pouvoir de faire valoir son indépendance, et à condition, comme tout citoyen, qu'il ne s'affranchisse pas de la Loi, le médecin pourra, en retour, assurer la protection des patients dans le respect de leurs droits touchant à la santé et en particulier en tant qu'auxiliaire de justice ou intervenant en milieu psychiatrique ou carcéral. Pour conclure L’indépendance de la décision médicale, à travers des textes fondamentaux, consacre le médecin dans son rôle de protecteur de l’individu. Et l’Ordre doit en être le garant. CHAPITRE 2 Les aspects multifactoriels de la décision médicale Exercices multiples et indépendance Docteur Jean-Claude MOULARD Exercices multiples et indépendance L'indépendance du médecin rarement contestée est en vérité toujours menacée. L'Ordre a pour mission de défendre cette indépendance qui ne peut être aliénée sous quelque forme que ce soit, chaque praticien demeurant responsable de ses actes. Tout contrat ne doit pas placer un médecin en situation de subordination et doit lui assurer une indépendance décisionnelle. Les Conseils Départementaux doivent toujours conseiller aux confrères de s'inspirer des documents validés par l'Ordre National en conformité avec les prescriptions du Code de Déontologie et les avertir sur la cohérence, la valeur juridique, l'opportunité de certaines clauses lors de la communication d'un projet de contrat. Cette indépendance concerne aussi bien l'exercice de médecins libéraux entre eux que l'activité au sein d'une structure de soins privés, une structure administrative ou dans le cadre d'une médecine de contrôle ou d'expertise. Le médecin doit s'assurer qu'aucune confusion ne s'instaure au cours d'exercices multiples et écarter toute situation altérant sa liberté d'action et de prescription notamment par contrainte financière. Vis-à-vis de l'administration il doit prendre toute disposition Page 5 CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010 pour ne pas trahir la personne examinée et décider en conscience en particulier en ce qui concerne les personnes privées de liberté. Le médecin de contrôle et d'expertise doit refuser d'être un agent d'exécution et conserver en toute circonstance l'objectivité pour maintenir sa liberté d'appréciation. Médecine du travail S'il existe une certaine subordination juridique vis-à-vis de l'employeur en ce qui concerne les contraintes administratives, elles ne doit pas être incompatible avec l'indépendance du médecin sur le plan professionnel propre. Le médecin du travail doit toujours avoir pour souci l'intérêt de la santé du patient et ne pas accepter que ses actes, ses prescriptions soient limités ou influencés par des directives administratives. Cette indépendance professionnelle est un élément de confiance essentiel vis-à-vis des employés au sein de l'entreprise. Décision médicale et exercice de service public Docteur François STEFANI Les médecins du service public comme tous autres médecins sont soumis au code de déontologie médicale, qui par le fait protège l'indépendance de leurs décisions. Aucune autorité, qu'elle soit administrative ou médicale ne peut les influencer dans ce domaine. La Loi, le règlement, et les juridictions chargées de les faire appliquer rappellent quand cela est nécessaire que l'indépendance décisionnelle du médecin est une garantie de la qualité des soins. Des difficultés surviennent cependant parfois avec des tentatives de pression toujours possibles. Les médecins du service public comme les autres trouveront toujours auprès de l'Ordre l'appui nécessaire à leur défense. La possibilité pour les conseils départementaux et le conseil national de saisir maintenant les juridictions disciplinaires à leur encontre est paradoxalement une garantie du respect de cette indépendance. Page 6 CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010 Décision conjoncturelle et décision médicale Structure de la décision Docteur Xavier DEAU STRUCTURE DE LA DÉCISION Eléments de la décision SCIENCE - CONSCIENCE CERTITUDE - CONVICTION CHOIX - DOUTE - DÉCISION ÉTHIQUE - LIBERTÉ - SAGESSE La décision médicale nécessite de faire de multiples CHOIX. Ces multiples choix aboutissent à une CERTITUDE qui engendre une DÉCISION. Cette décision médicale se veut personnelle, personnalisée et par là-même LIBRE. Cette certitude est l’assurance intellectuelle et morale fondée sur des conclusions scientifiques – LA SCIENCE -, sur l’EXPÉRIENCE et sur des ÉVIDENCES ou du moins de très grandes probabilités. Si la décision médicale s’inspire de nos certitudes, il n’en est pas moins vrai que chaque médecin a le droit et le devoir d’avoir librement ses CONVICTIONS fondées sur sa propre et légitime RÉFLEXION et sur des notions d’ÉTHIQUE médicale amenant un CHOIX clair et lucide. Ces certitudes doivent obligatoirement faire l’objet de DOUTE - doute sceptique et doute méthodique – et c’est ce DOUTE qui est la condition nécessaire et indispensable à la LIBERTÉ et l’INDÉPENDANCE de nos décisions. Car il n’y a pas de choix sans doute, il n’y a pas de liberté sans choix. L’unique certitude qui résiste au doute est celle du « cogito ergo sum » JE PENSE DONC JE SUIS… et c’est bien là notre ULTIME LIBERTÉ, SPÉCIFIQUE A TOUT ÊTRE HUMAIN. LIBERTÉ indispensable à l’émergence d’une pensée autonome au service de la créativité puis de la décision. Ainsi, si nos décisions sont éprises d’un doute mais libres et indépendantes, car personnelles à chaque médecin, elles n’en sont pas moins au cœur de la RELATION MÉDECIN-MALADE dans la rencontre ineffable de deux CONSCIENCES. Nous sommes bien là au cœur de la noblesse de la décision médicale qui confronte puis allie le RATIONALISME de la connaissance scientifique à l’EMPIRISME de la rencontre de deux consciences : celle du médecin et celle de son patient. Page 7 CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010 Facteurs de la décision Nous venons de voir que nos décisions s’inspirent de nos certitudes. Ces certitudes sont elles-mêmes le fruit d’une analyse méthodique de multiples facteurs : • La CONNAISSANCE SCIENTIFIQUE, qui repose sur des critères précis de vérification permettant une objectivité des résultats. • L’ENSEIGNEMENT de ces connaissances scientifiques se fait lors de nos études et font l’objet de contrôles, de thèses, de travaux qui forgent nos certitudes. • Le DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL CONTINU (DPC) se veut être l’accompagnement dynamique de toute vie professionnelle alliant en permanence formation, évaluation et collégialité. • Les RÉFÉRENTIELS, protocoles, recommandations, sont des guides évolutifs de bonnes pratiques confortant à tout moment nos certitudes. • La COLLÉGIALITÉ est un facteur indispensable de la prise de décision car ce « choc » des pensées est un moyen objectif de conforter et d’enrichir nos certitudes… en toute confraternité. • Le CONTEXTE SOCIÉTAL est indissociable de nos prises de décision car ce contexte prend en compte l’individu certes, mais au cœur d’un projet de société animé par une politique de santé qui se doit d’exister dans tout état démocratique. • Le PATIENT, sa conscience, son habitus, son contexte familial et professionnel restent l’ultime facteur de nos décisions dans l’intimité de la rencontre de la conscience du soignant et de la conscience du patient. Au terme de l’analyse de ces facteurs : « JE PRENDS LIBREMENT CETTE DÉCISION POUR CET ÊTRE HUMAIN CAR J’AI ACQUIS MON INTIME CONVICTION QUE C’EST CETTE DÉCISION UNIQUE QUI EST LA MEILLEURE POUR CE PATIENT ». C’est ainsi que nos décisions sont empreintes de « SAGESSE » - attitude pratique procédant d’une « parfaite » connaissance – Descartes -. C’est d’ailleurs cette structuration de la décision qui est rappelée tout au long du code de déontologie (articles 11 – 32 – 33). Page 8 CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010 Décision conjoncturelle et décision médicale Aspect «techniques» consensuels et normatifs Docteur Patrick BOUET La société médicale est passée d’un système basé sur le savoir à celui basé sur l’application d’indicateurs établissant des normes. Ces indicateurs sont multiples, des premiers issus de la déontologie à tous ceux qui les ont suivi fixés par la loi, les réglementations, l’économique, le politique les professionnels. Tous devraient avoir : • Un objectif commun : qualité des soins. • Une contrainte commune : fonder les décisions sur la connaissance. • Une limite commune : optimiser les dépenses. • Une règle commune : l’équité dans l’accès aux soins. A partir de ce constat deux réflexions, une affirmation : 1. La profession doit affirmer qu’elle est seule compétente pour mettre en place les éléments de bonne pratique professionnelle. 2. Toute mise en place de processus décisionnels médicaux est de la seule responsabilité du corps professionnel. Il nous appartient dès lors de ne tenir compte, dans cette élaboration, que des acquis de la science et ce de façon indépendante des autres facteurs en les rendant applicables à l’ensemble des exercices. Ainsi le savoir médical redevient le seul facteur opposable permettant de transcender les autres indicateurs et rendant au professionnel sa capacité d’indépendance. Décision conjoncturelle et décision médicale Docteur Bertrand LERICHE Le corps médical entend bien garder la maîtrise de la décision médicale désormais co-décision médecin-patient. La prise de décision individuelle, action du médecin au quotidien, est une démarche intellectuelle visant à la sélection d’une solution thérapeutique, parmi différentes alternatives et dans l’environnement de l’instant ce qui présuppose - un diagnostic exact de la maladie - la connaissance des alternatives thérapeutiques l’appréhension de l’environnement de l’instant, différente selon que l’on soit jeune médecin ou chargé d’une longue expérience. Page 9 CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010 La décision thérapeutique comporte trois volets successifs : la proposition thérapeutique elle-même - l’analyse de sa faisabilité - l’avis du patient fonction de sa capacité de critique : à ce stade, la réflexion médicale a pu rester indépendante de toute pression extérieure administrative ou économique. Néanmoins, cette décision n’a de véritable sens qu’à partir du moment où elle est exécutable et exécutée, et la concrétisation de la décision peut ne pas être évidente. La prise de décision collégiale s’impose de plus en plus : • Entre médecins, ce sont par exemple les réunions de concertation multidisciplinaire en matière d’oncologie. Apparemment contenues dans un cadre normatif, les personnalités en présence et leur poids hiérarchique peuvent modifier l’objectivité des discussions malgré tout et c’est tout l’art du meneur de jeu d’éviter des orientations et dérives partiales. Précisons le rôle essentiel du médecin traitant qui devrait être logiquement responsable de la restitution de cette décision collégiale. • Entre médecins et non médecins où chaque acteur de soins est partie prenante de façon égale à la discussion, décisions prises dans des domaines aussi variés que l’éducation thérapeutique, le médico-social, la psychiatrie, où interviennent infirmiers, kinésithérapeutes, ergothérapeute, diététiciens etc. : l’enjeu n’est pas alors le consensus mais l’accord de tous au terme de l’épreuve critique d’une confrontation d’arguments. L’initiateur de la décision collégiale, en assure la mise en œuvre et en assume la responsabilité. • La loi de bioéthique du 22 avril 2005 (Loi Léonetti) relative aux droits des patients en fin de vie a conduit à la modification de l’article 37 du code de déontologie et à la définition de la procédure d’appréciation collégiale de l’état du patient lorsque se pose la question de la poursuite d’un traitement devenu inutile ou disproportionné dès lors que le patient ne peut être ni informé ni consentir. Cette procédure comporte un avis motivé d’au moins un autre médecin que le médecin ayant en charge le patient et prévoit la consultation de l’équipe soignante. Le rôle de la personne de confiance et/ou de la famille y est clairement défini. La décision appartient au médecin en charge du patient, engageant sa responsabilité ; C’est dire l’importance de la consignation par écrit au dossier médical du patient de toutes les étapes de la procédure. • Il n’est pas impossible que cette procédure ne s’impose en modèle dans les cas de prises de décisions médicales ardues pour lesquelles on pourrait voir s’effacer progressivement le colloque singulier au bénéfice d’un colloque à plusieurs voix. Page 10 CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010 CHAPITRE 3 L’exercice de la médecine devient-il commercial ? Qu’en est-il de l’indépendance de la décision médicale ? Docteur Jean-Alain CACAULT L’acte médical a un coût quelles que soient les circonstances, mais cet acte ne vaut que s’il est « de qualité ». La liberté, c’est-à-dire l’indépendance de l’acte médical, ne se conçoit que garantie par la compétence de celui qui l’exécute. La responsabilité médicale est le corollaire de l’indépendance, elle est individuelle, elle ne se partage pas, elle s’assume. Le praticien est d’abord et avant tout au service de l’individu ; le patient doit en être conscient pour accorder sa confiance au médecin. Ce n’est que secondairement que le praticien devra se soucier des conséquences financières de ses décisions thérapeutiques. La réquisition du médecin implique qu’il mette sa compétence au service des autorités mais il est entendu qu’il reste alors totalement libre de ses prescriptions. La permanence des soins est désormais du domaine de la santé publique. Elle est indispensable. Le fait que la participation des médecins y relève du volontariat est donc incompatible avec son caractère incontournable. Le législateur devra donc reconsidérer les termes de la loi, comme il devra limiter le libre accès à l’hôpital. Différents dispositifs de remboursement ou de prise en charge de situations particulières des patients ont impliqué, à son corps défendant, le praticien dans la régulation des dépenses de santé. Il conviendrait, d’une part, que dans ce domaine les praticiens suivent une formation. D’autre part, qu’ils n’assument pas seuls, mais en partenariat avec les caisses d’assurance maladie cette responsabilité. Quant aux dispositifs d’intéressement des médecins ou des professions de santé à des procédés uniquement destinés à faire des économies (CAPI par exemple), ils soulèvent des interrogations déontologiques CHAPITRE 4 Responsabilité et culpabilité Docteur Pierre JOUAN « Responsable mais pas coupable ». Si le médecin est toujours responsable, il n’est pas toujours coupable. Mais pour être coupable, il faut qu’il y ait faute, dommage et lien de causalité. Le décalage entre Droit et Pensée est énorme, et il guide un bon nombre de nos réactions. L’actualité récente montre la détresse du médecin seul face à sa faute réelle ou supposée. Par ailleurs devant la judiciarisation croissante, il devient évident que l’exercice de certaines spécialité en ville va devenir de plus en plus difficile pour ne pas dire impossible. Page 11 CN P – Assises du Sa m edi 19 ju in 2010 CONCLUSION Docteur Marc BIENCOURT Avant la rédaction de ce rapport, la Profession pouvait s’imaginer qu’elle ne disposait plus des outils nécessaires, ni de la volonté qui lui permettraient de garder de façon pérenne l’indépendance de ses décisions. Il est apparu que la réglementation, les textes et les traditions qui le régissent, sa sectorisation comme son éclectisme font que l’exercice médical et les décisions qui en sont l’expression, restent reconnus comme nécessairement indépendants. Car bien que les malades possèdent l’information expressément claire, loyale et appropriée, et même s’ils ont gagné le droit de consentir et de refuser, ils nous opposeront toujours notre rôle incontournable « d’expert », pour lequel ils continuent de nous consulter. Si notre Société, ses Lois et sa jurisprudence sont contraignantes voire culpabilisantes pour les médecins, ces derniers reconnaissent les véritables dangers auxquels sont exposés leurs patients. Par la même, le malade, sait intimement que ses médecins, en qui il a confiance, vont savoir que ce qu’ils prescrivent est bon pour lui, et leur donnera le droit de l‘inciter à prendre la meilleure décision pour son avenir. L’indépendance de la décision médicale constitue la seule justification éthique et possiblement morale d’un pouvoir médical, si contesté soit-il, quelle que soit l’étendue des connaissances et des compétences des praticiens. Dès lors, qu’ils soient solitaires, ou qu’ils deviennent acteurs de réseaux, de filières de soins ou d’équipes multidisciplinaires, les médecins resteront les maîtres d’œuvre et le plus souvent les seuls responsables de la santé de leur patient, pourvu qu’on leur assure l’indépendance de leurs décisions. Cette indépendance est le facteur indispensable de la performance médicale, de la confiance et de la liberté du malade. Page 12