BuSiNESS CLASS - tabloid
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Texte Sandie Dubois business class Les liens entre marques et hip-hop ont toujours été forts, complexes et surtout lucratifs. C’est ce que met en évidence le livre The Tanning of America du businessman américain Steve Stoute, ou comment la culture hip-hop est devenue l’un des piliers de l’économie américaine. Spray revient sur les plus gros coups marketing qui ont définitivement fait rimer musique et fric. La première rencontre entre rap et marque a eu lieu le 19 juillet 1986, quand le Madison Square Garden de New York a accueilli pour la première fois un concert de rap, avec en tête d’affiche Run DMC. À l’époque, et sur la demande de leur manager Russell Simmons, le crew signe le morceau My Adidas en hommage à leurs sneakers, comme une métaphore du chemin qu’ils ont parcouru jusqu’ici. Sûr de son coup, Simmons fait venir les représentants de la marque au concert — il faut savoir qu’à cette époque, Adidas se mourait. Au moment où Run DMC entonne le début du morceau, 20 000 personnes tiennent une sneaker à la main. À leur sortie de scène, le groupe se voit offrir un deal de 1,5 million de dollars pour une collaboration. La formule rappeur / produit commence ici. Le hip-hop comme facteur de ventes Jusqu’à la fin des années 80, le hip-hop est encore vu comme une culture de niche avant de connaître une montée en puissance dans les années 90, au point d’atteindre la consécration en 1999 : les ventes de disques hip-hop battent alors celles des albums country, du jamais-vu. Si le hip-hop n’est pas resté dans l’ombre, c’est parce qu’il est né dans un milieu pauvre qui engendre le sens de l’union. Toute la crédibilité des rappeurs provient de ce postulat : « Je viens de rien mais j’en suis là aujourd’hui » et les marques citées sont vues comme des preuves de réussite. « Quand les consommateurs hiphop ont fait d’une marque quelque chose de gros, ils en sont fiers ! », souligne Russell Simmons. Parallèlement, les marques se doivent de prendre en compte le côté affectif qu’elles génèrent. Au top dans les 90’s, la marque Timberland ne s’est jamais souciée de remercier sa fanbase hip-hop, se contentant des bénéfices. Lorsque le vent tourne, la marque essaye enfin de communiquer… mais trop tard. Comme l’explique Jay-Z : « Tu fais la promotion d’un truc que tu aimes et ce n’est même pas de la pub, tu ne fais que parler d’un produit. Le rap, c’est l’expression d’un truc que tu aimes et tu n’es pas payé alors que les marques génèrent des millions de dollars grâce à toi et tu n’as même pas un merci. C’est une vraie claque. » Pass the Courvoisier En 2001, P.Diddy et Busta Rhymes, en featuring avec Pharrell Williams, sortent Pass the Courvoisier (en référence au cognac du même nom). Le morceau cartonne. Mais surtout, les ventes de la marque explosent, augmentant de 30 % en un an. Pourtant, le procédé ne plaît pas à tout le monde. En 2006, le boss de Roederer exprime son mécontentement : pour lui, associer le champagne Cristal au rap « n’est pas une attention bienvenue ». Mal lui en a pris, puisque Jay-Z trouve les propos racistes et n’hésite pas à boycotter la marque au profit de Dom Pérignon et Krug, aussi bien dans son club new-yorkais (le 40/40) que dans ses déclarations et clips. Le résultat ne se fait pas attendre : les ventes de Cristal plongent… La culture hip-hop prouve son influence sur la cote d’amour des marques, de luxe de surcroît. Kanye West lors de la tournée Watch the Throne. 118 119 Qui es-tu Steve Stoute ? Cinq facs, pas de diplômes : le parcours de Steve Stoute est celui du self-made man ancré dans la réalité. Né en 1971 dans le Queens, il assiste à la naissance du hip-hop et commence comme roadie manager avant de lancer sa propre boîte de management pour Nas ou encore La renaissance de Reebok grâce à Jay-Z et 50 Cent Mary J. Blige. Rapidement, il arrive à la tête de la division « urban music » de Sony avant de rejoindre Interscope / Geffen / A&M Records aux côtés de Jimmy Iovine, big boss et mentor. À la manière de Midas, tout ce que touche Stoute se transforme en disque d’or. Pourtant, il plaque la musique pour fonder Translation, une société présidée par Jay-Z et spécialisée dans la stratégie d’image et de com’, qui arrange des partenariats entre marques et artistes. Il est l’instigateur du « Tanning », un concept dont il fait l’éloge dans son bestseller outre-Atlantique The Tanning of America : soit, en gros, le fait que les États-Unis soient désormais un pays où les origines ethniques, sociales, culturelles, etc. contribuent à enrichir le pays. Un phénomène socio-économique qu’il explique et décrypte aussi sur son Twitter et à la fac de NYU, où il a désormais sa master-class. Au top dans les années 80 puis dans le rouge, Reebok souhaite revenir en force. Seule solution ? Recréer une connexion avec la culture hip-hop. La marque se réinvente en lançant la gamme RBK en 2002, faisant appel à des personnalités cool mais pas trop mainstream comme le joueur de basket Allen Iverson ou encore le rappeur Jadakiss. Le repositionnement prend tout doucement mais il faut frapper fort. Encore une fois, la personne convoitée est Jay-Z. Sauf que le rappeur a toujours aimé les Air Force 1. Alors comment rendre crédible son engouement soudain pour Reebok ? Lors des négociations, son ami Steve Stoute, chargé du partenariat, lui fait remarquer que Nike ne lui a jamais renvoyé l’ascenseur... L’amour propre et le sens des affaires du rappeur sont touchés. Jay-Z est le boss de Rocawear, une marque solide dans le hip-hop, et une association avec RBK est crédible : cette ligne s’appellera « S. Carter », du nom de baptême du rappeur, et sera lancée en 2003. Le produit star de cette collection — une sneaker inspirée d’un modèle vintage de Gucci très rare —, est même accompagné d’un teaser digne d’un blockbuster hollywoodien avec notamment un jet arborant ses couleurs. Jay-Z ayant décidé que cette sneaker serait une édition limitée, elle deviendra la vente la plus rapide de l’histoire de la basket. La même année sort la Reebok G-Unit de 50 Cent, précédée d’un teaser (histoire de faire monter la sauce) montrant le rappeur avec Jay-Z arborant leurs baskets respectives. Ses ventes crèveront littéralement le plafond. « I’m Lovin’ It » en 2003 sera la première à être aussi globale : 118 pays concernés, un chiffre vertigineux. À l’inverse, Chrysler souhaite redonner à son image à la fois un côté « back to the roots » en misant sur Detroit (la ville de production), mais aussi un côté « marque capable de faire du luxe ». Le coup de génie pour allier ces deux axes de com’ assez éloignés sera de faire appel au rappeur originaire de Detroit, Eminem. La pub, diffusée lors du Superbowl de 2011, fut un succès couronné par plusieurs prix. marché, contrôlant 75 % de la musique digitale. Quelques années plus tard, et sentant le bon filon, Iovine croise Dr. Dre et lui fait part de son envie de récidiver dans le secteur du hardware. Dre est emballé par le projet : « J’ai ce mot en tête, “Beats”. » Le nom, le fait d’associer un des plus grands producteurs de sons, tout est là. Les casques audio Beats seront finalement lancés en 2006. Amusez-vous donc à compter le nombre de casques que vous croiserez en une journée pour vous rendre compte du carton. De McDo à Chrysler : le storytelling D’iTunes à Beats : l’eldorado hardware Les rappeurs, des modasses comme les autres Même les géants ont parfois besoin d’un bon coup de pub. Au début des années 2000, McDonald n’est pas au mieux de sa forme : plutôt que du produit, l’enseigne veut vendre du lifestyle pour faire revenir les jeunes consommateurs. Pour endosser le rôle d’ambassadeur ? Justin Timberlake, ancien membre du boys band N’Sync et nouvellement star à la crédibilité R’n’B grâce aux prods des Neptunes. L’idée ? Faire un morceau pour le chanteur qui sera aussi utilisé pour la pub McDo. La campagne Si les associations entre rap, alcools de luxe ou fringues étaient jusqu’ici évidentes, un autre marché va s’imposer comme tel : celui de la technologie. En 2003, Apple s’associe au producteur Jimmy Iovine pour promouvoir l’iPod qui connaît des débuts difficiles. Pour booster les ventes, Iovine réquisitionne 50 Cent (alors numéro 1 des charts) pour faire du placement de produit : ça donnera le clip P.I.M.P. où l’on voit 50 Cent en compagnie du rappeur Pimp Don « Magic » Juan exhibant des iPods. En deux ans, Apple explose le Les années 2000 auront été marquées par l’adoubement du luxe : l’association avec les rappeurs les plus riches apparaît comme inévitable. Dans un entretien filmé accordé au businessman Steve Stoute, Pharrell Williams raconte que Louis Vuitton ne faisait pas de lunettes de soleil jusqu’au jour où il s’est pointé au show de la marque avec une paire sur le nez. Les gens de Vuitton lui font alors remarquer qu’il « ressemble à Notorious B.I.G., c’est cool… Faisons des lunettes ensemble. » Aussi simplement, sur un détail si infime, Louis Vuitton et Pharrell Williams empochent le jackpot en 2008. Comme des blogueuses mode, les rappeurs copinent avec les D.A. des marques de luxe, à l’instar de Kanye West et de Jay-Z qui se sont offert, l’année dernière, les services de Riccardo Tisci (directeur artistique de Givenchy) pour leur album Watch the Throne. En presque 30 ans, les rappeurs auront servi à vendre tout et n’importe quoi… Dernièrement, Beyoncé et Jay-Z ont déposé le prénom de leur fille Blue Ivy au registre des marques. Pour en faire une future ligne de fringues pour bébés ? The Tanning of America : How Hip-Hop Created a Culture that Rewrote the Rules of the New Economy de Steve Stoute, éd. Gotham Books (disponible uniquement en anglais). www.penguingroup.com