Charlotte de Turckheim : "Une lolita d`un certain âge","Que faire de

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Charlotte de Turckheim : "Une lolita d`un certain âge","Que faire de
Charlotte de Turckheim : "Une
lolita d'un certain âge"
Charlotte de Turckheim est revenue pour Arkult sur son rôle de
Kathy, « lolita d’un certain âge », qu’elle incarne dans « Que
faut-il faire de Mister Sloane »
On vous voit peu au théâtre, c’est une volonté de votre part ?
Depuis 20 ans, je joue mes one-woman-show sur scène, ajoutezça au cinéma, ça ne me laissait plus le temps pour le théâtre.
Sachez qu’en général, je joue mes spectacles 1 an à Paris puis
3 ans en tournée, donc chaque spectacle me prend 4 ans,
ajoutez-y la préparation et on arrive à 5. J’ai fais trois
spectacle, ça fait 15 ans !
J’ai la chance d’avoir beaucoup de succès avec mes one-womanshow, j’ai adoré les jouer dans toute la France. Mais c’est
vrai qu’on ne parle de vous que la première année parce que
vous êtes à Paris. Une fois en province, ça n’intéresse plus
les médias. Les gens ont l’impression que vous n’êtes pas là,
alors que vous êtes « sur le terrain », si j’ose
l’expression !
Vous avez arrêté les one-woman-show ?
Oh non ! J’y reviendrai certainement un jour. Mais là, j’avais
envie de jouer avec d’autres gens. Je me régale à me retrouver
dans les loges avec les acteurs, on s’entend tous super bien.
J’avais envie de partager les moments forts, les joies, les
peines. Surtout sur un spectacle comme ça que certains adorent
et d’autres détestent. On en rigole ensemble, on se soutient,
c’est extra.
Comment avez-vous rencontré Michel Fau qui vous met en scène ?
Je l’ai
Molière
j’avais
entendu
dans ce
endroit
rencontré il y 20 ans. On jouait « Le Misanthrope » de
à Nice. Je m’étais vachement bien entendue avec lui,
adoré sa folie, sa liberté, son insolence… On s’est
comme larron en foire. On était moyennement heureux
spectacle car on était assez contrains, c’était pas un
où on pouvait exprimer une folie. C’était difficile…
C’est marrant, parce que je m’aperçois… Je viens de la grande
époque du café-théâtre, et j’avais un peu minimisé l’influence
que ça aurait tout au long de ma carrière. Quand j’ai démarré,
je ne voulais pas jouer du boulevard, ni du classique. Dans ce
milieu, on voulait faire exploser les codes. À l’époque, le
Café de la Gare, c’était tout ce que j’aimais ! C’était
génial ! Et Coluche, le Splendid… Ils faisaient un théâtre que
je n’avais jamais vu. Après cette époque, je me suis retrouvée
dans une grosse structure subventionné où il fallait aller
faire des courbettes à la mairie, je rentrais dans un monde
très pyramidal, conventionnel, ce n’était pas mon truc.
J’avais décidé qu’après ce « Misanthrope », je ferais mes
spectacles toute seule !
Pour en revenir à Michel Fau, comment vous êtes vous retrouvé
aujourd’hui pour travailler sur la pièce de Joe Orton ?
On a le même agent, Jean-François Gabard. Plusieurs fois je
lui ai dit que si je retournais au théâtre, ce n’était pas
pour faire le premier boulevard venu, et que je n’accepterais
de jouer dans un boulevard que s’il est mis en scène par
Michel Fau.
C’était donc un désir de votre part de travailler avec lui.
Exactement. Du coup, c’est Jean-François qui a dit à Michel
Fau, « Tu sais, Charlotte a très envie de jouer avec toi », et
Michel Fau m’a proposé cette pièce.
Comment vous l’a-t-il présenté ? Vous connaissiez Joe Orton ?
Je ne connaissais pas Joe Orton, et quand il me l’a donné à
lire, il a dit à notre agent, « elle ne va pas accepter ». Il
pensait que je ne voudrais pas le rôle, c’est vrai qu’il ne me
met pas beaucoup en valeur…
Vous pouvez nous présenter ce personnage de Kathy ?
Je pense que c’est une nana qui a entre 40 et 50 ans… Ou
plutôt sans âge puisqu’elle tombe enceinte. Mais comme tout
est un peu irréel… Ne mettons pas d’âge, l’idée de l’âge me
vient parce qu’elle tombe enceinte. Mais est-elle vraiment
enceinte ? Elle est assez folle pour se faire croire qu’elle
l’est. Disons, une femme plus toute jeune, ni toute vieille.
C’est une lolita d’un certain âge qui séduit un espèce de
jeune homme mi-ange mi-demon qu’elle met aussi sec dans son
lit. Ce qui rend le frère abominablement jaloux. Kathy est à
la fois la grande gagnante et la grande perdante de la pièce.
On pourrait appliquer cette phrase au frère aussi…
Oui, sauf que dans l’histoire il y a une seule certitude,
celle que Sloane est mon amant. Il n’y a aucune certitude
concernant l’autre côté. Et dans le fond le frère n’assume pas
vraiment son homosexualité alors que moi j’assume totalement
d’être une cougar. Je passe à l’acte !
La situation de Kathy est plutôt inconfortable, et comme vous
le disiez le rôle ne vous met pas particulièrement en valeur.
Pourquoi l’avoir accepté ?
Je savais qu’avec Michel je pourrais aller très très loin dans
le personnage, tout en étant protégée.
Protégée ?
Je savais que ça allait être bien, je savais que ça allait me
plaire. Même si « bien » ça ne veut rien dire, car il y a des
gens qui détestent la pièce.
Vous ne pensez-pas que si des gens détestent cette pièce,
c’est probablement en partie à cause du traitement que subi
votre personnage ?
Vous voulez le fond de ma pensée ? Je pense que les gens qui
n’aiment pas cette pièce, sont des gens qui ont des zones
d’ombre en eux. Je vois des gens qui sont tellement choqués et
exaspérés en sortant ! Ça reste du théâtre tout de même, c’est
pas si grave… Mais il y en a qui ne sont pas prêt à entendre
des choses aussi dérangeantes sur la sexualité, sur la
violence et sur la manipulation…
Vous n’avez aucune difficulté à subir autant de violence
chaque soir sur scène ?
Honnêtement, si… Je fais des cauchemars toutes les nuits,
d’enfants morts ou d’enfants qu’on me confie et que j’oublie
dans des piscines, des gosses défenestrés… C’est dingue. Kathy
a eu un enfant, il est mort ou il a été adopté, on ne sait
pas.
Vous habitez complètement votre rôle…
Je m’aperçois que ça me remue beaucoup. Je suis très contente
d’être sur scène, mais la folie de ces personnages remue
terriblement. Je suis très fragile en ce moment, très
fatiguée. Physiquement aussi, moi qui suis une lève tôt, je ne
me lève pas un seul matin avant 11 heures. Ce n’est pas un
rôle qu’on peut jouer avec de la technique, il faut être
complètement dedans, on ne peut pas s’économiser, quand on a
un peu trop confiance ça ne marche pas. Si je rentre en scène
et que je ne suis pas au maximum de l’hystérie contenue, ce
n’est pas bon. La première réplique, « voilà le salon », il
faut que le public voit toutes les questions qui me passent
par la tête « je vais me le faire ? Il va rester ? J’ai
tellement envie »… Si je me contente de dire « voilà le
salon » comme Jacqueline Maillan, ça ne marche pas. C’est
incroyable.
Vous arrêtez « Que faut-il faire de Mr Sloane » le 31
décembre. Avez d’autres projets au théâtre en 2013 ?
Non je fais ça et c’est tout. Je me mets très à fond dans ce
que je fais, et là, j’en ai pour six mois à me remettre d’un
rôle pareil !
Voir notre critique de « Que faire de mister Sloane ? »
"Que faire de Mister Sloane
?", une folie à la Comédie
des Champs Elysées
Que faire de mister Sloane ? Ce jeune éphèbe mystérieux qui
débarque pour louer une chambre dans cette maison au milieu
d’une décharge ? On parle de « faire », comme si Sloane
n’était qu’objet de fantasme. Pour une femme (qu’il met
enceinte) et pour le frère, c’est bien le cas. Sans oublier le
père, témoin d’un meurtre de Sloane il y a quelques années et
dont la cécité grandit chaque jour, qui vient compléter ce
quatuor de folie. Chacun joue sa partition pour mener le
spectateur au cœur de sa folie.
Cette pièce est le premier succès de Joe Orton, un auteur
anglais au destin terrible disparu au milieu du XXe siècle. La
perversion, le sexe et la vulgarité s’y mélangent allègrement.
Une pensée toute particulière pour Charlotte de Turckheim qui
en est la principale cible et victime. D’ailleurs, elle doit
profondément donner de sa personne durant tout le spectacle :
parfois en nuisette, coiffée comme une anglaise des années
Folles, elle se fait copieusement insulter par son frère.
Rendu dingue par la jalousie, il ira jusqu’à hurler, « mais
regardez-là ! On dirait une pute qui recherche l’extase ! ».
Elle a juste peur d’avoir fait quelque chose de mal, comme une
enfant injustement grondée. D’ailleurs, tous les personnages
ont des réactions d’enfants pas sages.
Voilà pour la teneur de la pièce.
Le mauvais goût anglais y est poussé à son maximum (on y
cuisine du jambon bouilli) et de l’exagération extrême jaillit
un rire franc. Certes on a envie de prendre Charlotte de
Turckheim en pitié. Elle, cougar de banlieue gênée, aime que
son jeune amant (qui profite de sa générosité) l’appelle
« Maman ». Les quiproquos et les scènes équivoques ajoutent
beaucoup de force à ce cadre burlesque. Sans oublier les
costumes (créés par David Belugou) qui donne l’air à chaque
acteur de sortir de l’imagination de Lewis Carroll. Michel Fau
dans le rôle d’un Eddy aux manière de grande folle christique,
illuminée et miséricordieuse est totalement déjanté.
« Que faire de mister Sloane » peut être une pièce
douloureuse pour le spectateur embarrassé de pitié. Mais si
l’on fait fi de toute morale et de toute considération, se
contentant de jouir avec perversion de cette situation
terrible, alors le rire ponctue notre souffle.
Pratique : Jusqu’au 31 décembre à la Comédie des Champs
Elysées, 15 avenue Montaigne (75008, Paris) – Réservations
par
téléphone
au
01
53
23
99
19
ou
sur www.comediedeschampselysees.com / Tarifs : entre 10 € et
39 € – Du mardi au samedi à 21 h. Matinée le samedi à 16 h.
Durée : 2 h
Mise en scène : Michel Fau
Avec : Charlotte de Turckheim, Gaspard Ulliel,
et Jean-Claude Jay.
Michel Fau
En route pour "Néoplanete"
Avec « Néoplanète », le hongrois Árpád Schilling nous plonge
littéralement au milieu d’un monde qui change, où l’expérience
de l’exil est le point commun des habitants qui restent. Voulu
comme un véritable voyage, le contenu déroute, forcément, mais
il ne manque pas de trouver sa cible. Les spectateurs partent
par rang entiers durant toute la pièce, à contrario, le public
qui reste jusqu’au bout est aisément conquis.
Árpád Schilling utilise la vidéo, beaucoup. De très belles
images forment un film où les héros de la scène apparaissent
parfois à l’écran pour continuer l’histoire. Il y a du cirque
aussi, de la corde et de la barre verticale, mélangée à la
danse. Une intrigue (n’ayant pas grand intêret) prend forme à
un moment, puis s’arrête, c’est décousu. Le public réagit lui,
beaucoup, car il est invité à le faire. Un Rom (authentique)
vient sur scène, une traductrice hongroise permet à ceux qui
le souhaitent d’avoir une discussion avec lui, sur ses
conditions de vie et sur les raisons qui l’ont poussé à
partir. Beaucoup plus tard dans la pièce, deux autres Roms, à
peine adolescents, viennent se prêter au jeu des questions
dans un français impeccable. Symboles du non-retour, de la
nécessité de partir.
On oscille, entre la curiosité, l’ennuie, le désir d’en savoir
plus. On succombe à la beauté des images, on partage l’attente
des personnages dans des situations qu’ils n’avaient pas
prévues, ou souhaitées…
Pour tenter d’en donner une idée concrète (bouh! Le vilain
mot), « Néoplanète » est une sorte de work-in progress où les
personnages réfléchissent à des solutions pour pouvoir partir,
avec qui partir et quels sont les choix qui conduisent à
préférer ce départ, ou cette personne comme accompagnatrice.
Bel exemple de lâcher-prise, ce spectacle est loin d’être
évident, mais (chose importante) le public scolaire le soir de
la représentation à laquelle nous assistions était aux anges
d’avoir vu un théâtre au langage simple, posant les
problématiques de notre époque, mêlant les genres et les
surprises. Excellent baromètre de la scène que celui de la
génération en cours de construction…
Pratique : Jusqu’au 26 octobre au théâtre national de
Chaillot, 1, place du Trocadero (16e arrondissement, Paris) –
Réservations par téléphone au 01 53 65 30 00 ou sur theatrechaillot.fr/ / Tarifs : entre 8 € et 33 € – Du mardi au
vendredi à 20 h 30.
Durée : 2 h 30 (sans entracte)
Mise en scène : Arpad Schilling
Avec : Cristiana Reali, Rasha Bukvic, Léopoldine Serre,
Monique Chaumette et Grétel Delattre, Estelle Dore, Bérangère
Gallot, Jean-Yves Gautier, Martin Loizillon, Sandrine Molaro,
Sophie Nicollas, Nicolas Pujolle, Herrade Von Meier.
Pauline Bureau
"Modèles"
montre
ses
Après sa création en 2011 au Nouveau Théâtre de Montreuil,
« Modèles » s’installe jusqu’en novembre au Rond-Point. Cette
pièce signée Pauline Bureau est le fruit d’un travail
d’écriture collective effectué par la metteur en scène et les
actrices elles-mêmes, mêlé de textes de Pierre Bourdieu,
Marguerite Duras ou Virgine Despentes. Les femmes sont-elles
vraiment l’égal des hommes ?
Celles qui posent la question étaient gamines dans les années
quatre-vingt. Officiellement, elles ont les mêmes droits que
leurs homologues masculins, elles ont toujours eu la
possibilité de voter et de travailler… Mais dans « Modèles »,
elles parlent également de tout ce qu’on ne leur avait pas dit
: de la maîtresse de maison à celle qui s’est faite violer et
à qui on dit qu’elle ne s’en remettrai jamais. Des hommes, ces
héros, dès qu’il mettent les pieds dans un supermarché,
pendant que leurs épouses jouent à Cendrillon chez elles,
d’ailleurs, elles en sont ravies ! Pendant 1 h 45, on grandit
avec elles, elles nous guident par leurs expériences,
parodiant ce qu’on attend d’elles.
Le féminisme actuel, pilier de cette création, est évoqué de
façon poétique et ingénieuse, peu guerrière, jamais frontale.
L’approche humoristique et sincère fonctionne. Leurs
histoires, qu’elles soient tristes ou heureuses, nous
passionnent. Naturellement, l’évidence des mots employés
suffiraient à gommer la notion « d’avortement de confort » de
la pensée des êtres obtus qui imaginent que cela peut exister.
Il est difficile, d’autant plus pour un individu masculin,
d’imaginer le foyer comme une prison. Encore plus difficile
pour la société d’imaginer la Femme comme étant encore
asservie par son mari en 2012. Et pourtant, les questions
évoquées dans « Modèles » font mouche et posent de justes
bases de réflexions.
La mise en scène soutient finement le propos. Que les mots
soient déclamés face au public sur un plateau nu, au milieu
d’une cuisine ou bien à quelques mètres de hauteur, en studio.
La force du spectacle réside dans le jeu des cinq actrices qui
s’incarnent en donnant l’impression de jouer des rôles. Moment
magique où on ne sait plus trop si c’est la femme ou la
comédienne qui nous parle. On s’en fiche : c’est passionnant.
Pratique : Jusqu’au 10 novembre au théâtre du Rond-Point,
2bis av. Franklin D. Roosevelt (8e arrondissement, Paris)
– Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou
sur www.theatredurondpoint.fr / Tarifs : entre 11 € et 30 € –
Du mercredi au samedi à 21 h. Dimanche à 15 h 30.
Durée : 1 h 45
Mise en scène : Pauline Bureau
Avec : Sabrina Baldassarra, Laure Calamy, Sonia Floire,
Gaëlle Hausermann, Marie Nicolle (musicien live : Vincent
Hulot)
"J'habite
une
blessure
sacrée", cure de réalité
Nelson Mandela accède au pouvoir puis est obligé de céder aux
règles du commerce international. Dans son propre pays, il ne
peut pas reprendre leurs immenses terres aux Afrikaners pour
nourrir un peuple qui a faim. Son programme politique ne peut
être mis en place.
L’OMC, déesse de l’ultra-libéralisme veillant au bon
déroulement des transactions entre les pays, obéit a des
règles écrites par l’Occident. L’Afrique doit pourtant s’y
conformer.
125 000 paysans se sont donné la mort en Inde entre 2000 et
2007, incapables d’entretenir leurs champs devenus stériles à
cause des pesticides utilisés pour faire pousser les OGM.
En 1989, l’Exxon Valdez s’échoue en Alaska : la marée noire
qui en découle est une catastrophe. Toujours en 1989, les 70
000 km² de côte du delta du Nigeria sont défoncés par le
pétrole extrait dans le pays par des sociétés occidentales.
Personne n’en parle.
En Haïti, on mélange des herbes et de la boue pour faire des
gâteaux. Les Haïtiens appellent cette nourriture : le biscuit
dur.
Evo Moralès, premier président d’origine amérindienne de
Bolivie est élu en 2006. La première mesure de son mandat :
renégocier les contrats de production gazière et pétrolière
avec les multinationales afin d’en faire profiter le peuple
Bolivien.
Pendant ce temps en Occident, on se travestit en boite de nuit
et on danse sur des rythmes effrénés après avoir passé une
journée à boursicoter. Le videur à l’entrée raconte son
expérience : « Je suis obligé en un très court laps de temps,
de juger la maximisation du profit probable selon le look du
client qui se présente à la porte ».
C’est ce paradoxe, poussé aujourd’hui à son paroxysme (et plus
encore) que tente de montrer « J’habite une blessure sacrée »
de Mireille Perrier. Une histoire adaptée de « La Haine de
l’Occident » de Jean Ziegler. Moment court mais intense. Du
théâtre conscient au service du monde et de sa mémoire où
l’action est montrée du point de vue de ceux qui la vivent.
Ils sont quatre acteurs pour jouer des dizaines de
personnages. Les costumes sont pendus aux quatre coins de la
scène pendant que les intrigues se déroulent dans un cercle
tracé au moyen de tuiles brisées. A l’intérieur se dessine un
portrait du grand méchant Occident dans de courtes sceynettes.
Le travail d’adaptation est impressionnant car le résultat est
profondément théâtral. Les éclairages et la mise en scène sont
chargées d’une belle esthétique. Baignant la scène en pleine
lumière lors de discours, dans la pénombre de la fumée et des
cadavres le 11 septembre 2001.
Lorsqu’on participe à une expérience comme celle-ci (car c’est
une expérience, on ne subit pas ce qu’il se passe sur scène,
on y participe), on ne ressort pas indemne ou la tête vide.
Les questions fusent, la plus importante reste : qui sommesnous, humains ?
Un spectacle étonnant, essentiel. Espérons qu’il ne soit pas
qu’un prêche pour convaincus : il faut montrer cette réalité
au plus grand nombre, surtout quand c’est si bien fait.
Pratique : Jusqu’au 31 octobre à la Maison des Métallos, 94
rue Jean-Pierre Timbaud (75011, Paris) – Réservations par
téléphone
au
01
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00
25
20
ou
sur www.maisondesmetallos.org / Tarifs : entre 10 € et 14 € –
Du mardi au vendredi à 20 h. Samedi à 19 h, matinée le
dimanche à 16 h.
Durée : 1 h 20
Mise en scène : Mireille Perrier
Avec : Benjamin Barou-Crossman, Stéphanie Farison, Joël
Hounhouénou Lokossou, Mireille Perrier
Leçon
de
corruption
"Volpone ou le renard"
par
L’argent rend fou, ceux qui n’en n’ont pas comme ceux qui
l’amassent, c’est ce que voulait montrer Benjamin Jonson dès
1606 dans sa plus célèbre pièce, « Volpone ou le renard ». Ce
personnage, sorte d’Harpagon britannique, est doté d’un goût
prononcé pour le jeu de dupe. Roland Bertin, retraité de la
Comédie-Française, l’incarne avec beaucoup de justesse, de
talent et de finesse.
Les courtisans s’aglutinent au chevet de celui-ci, se faisant
passer avec la complicité de son valet (Nicolas Briançon) pour
mourant. On assiste à un grand bal des faux-culs, plein de
fausseté et de stratagèmes, chacun y va de ses présents pour
se faire coucher sur le testament. Empoisonnement, tentative
de fiançailles, étranglement et prostitution s’installent à
merveille dans ce beau décor de théâtre composé de coffres
forts sur deux étages, offrant la possibilité d’une mise en
scène dynamique et créative. Une mention particulière pour
Grégoire Bonnet, incarnant un Corvino à la gestuelle d’agent
immobilier maniaque.
Texte noir, acide, sombre et profondément cynique, Volpone a
été ré-adapté par Briançon lui même. Mordant, tordant, on
entend chaque syllabe et l’humour qui s’en dégage est incisif
et proprement irrésistible. Les propos dessinent une image de
l’argent comme étant un tuteur, cultivateur de désir, idée
décrite avec de belles allégories et autres métaphores. On y
voit aussi clairement le pouvoir des gens de l’ombre (ici, le
valet), dirigeant à la baguette le jeu voulu par son maître,
et auquel ce dernier se fera prendre par excès de gourmandise.
Tant il est vrai que la pièce dénonce ce que le genre humain
peut faire pour l’argent, elle est aussi un tableau sans
complaisance de ce que sont prêtes à faire les riches
personnes pour s’amuser et se sentir exister. Volpone qui
apparaît en Michou (le bleu en moins) en début d’acte 2 pour
n’être pas reconnu des gens dans la rue, illustre la futilité
à merveille. Il est aussi effroyablement crédible lorsqu’il
joue les vieux pervers lubriques avec la femme d’un autre et
presque bouleversant quand il se retrouve sans fortune face à
la seule personne en qui il avait confiance.
L’argent donne tous les droit aux riches, puisqu’avant son
déclin, le vieil animal sera au cœur d’un procès qu’il gagnera
avec toute l’aisance que permet une bourse bien pleine aux
yeux d’une justice
Grandiose !
aussi
corrompue
que
l’âme
humaine.
Enfin, Nicolas Briançon a fait le choix d’un final légèrement
différent de la pièce originale, une conclusion diabolique,
bien emmenée après deux heure de jeu très prenantes.
Pratique : Actuellement au théâtre de la Madeleine, 19 Rue de
Surène (8e arrondissement, Paris) – Réservations par
téléphone
au
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07
09
ou
sur www.theatremadeleine.com / Tarifs : entre 17 € et 54 €.
Durée : 2 h 05
Texte : Ben Jonson
Mise en scène : Nicolas Briançon
Avec :
Roland Bertin, Nicolas Briançon, Anne Charrier,
Philippe Laudenbach, Grégoire Bonnet , Pascal Elso, Barbara
Probst, Matthias Van Khache et Yves Gasc
Lee Jeffries, le photographe
illusionniste
Les mots de Bukowski sonnent juste pour expliquer la démarche
artistique du photographe Lee Jeffries. Cet artiste originaire
de Manchester a commencé par photographier des manifestations
sportives avant de se tourner vers la photographie sociale.
« Quand je sortirai, j’attendrai un moment et puis je
reviendrai ici, je reviendrai et je regarderai de l’extérieur
et je saurai exactement ce qui se passe de l’autre côté et
là, devant ces murs, je vais me jurer de ne plus jamais me
retrouver derrière. »
La légende veut qu’il ait volé
son premier portrait à une jeune
SDF blottie dans son sac de
couchage. Honteux d’avoir pris
la fuite avant qu’elle ne
s’indigne, il serait revenu sur
ses pas pour lui parler et
aurait changé par la même
occasion sa perception de ceux
qui devinrent ses modèles de
prédilection : les sans-abris.
Passer de l’autre côté et là,
devant ces murs, jurer de ne plus jamais me retrouver
derrière. Rendu célèbre par la chaîne de magasins Yellow
Corner, qui vend des reproductions de ses photographies à des
tarifs raisonnables, Lee Jeffries jure aujourd’hui qu’il
n’oublie pas la dimension humaine de son travail: « J’ai fait
un effort pour apprendre à connaître chacun des sujets avant
de leur demander leur permission de faire leur portrait. »
Finalement, ils sont des centaines à avoir été immortalisés
par le maître. Il a fait des rides et de la crasse sa
spécialité. Sur son compte Flickr, on peut les observer en
série. Ils ont les ongles sales, le nez tordu, des barbes
jaunies mais ils sont beaux. En grand illusionniste, Lee nous
donne à voir les hommes des marges et en fait des princes.
Avec son Canon EOS 5D, il parvient à mettre en lumière toute
la noirceur des rues. Il laisse aux modèles leurs filets de
bave, leurs sourires édentés et le droit de fumer et nous
rappelle par la même occasion que le beau est partout où l’on
veut bien le chercher.
Devant son objectif, les vieilles femmes se changent en
madones et les soûlards ressemblent à de beaux marins. Mais la
véritable métamorphose, c’est en chacun de nous qu’elle
s’effectue. Le tour de magie, c’est le message que l’œil
envoie au cerveau, demandant de faire fi de tout préjugé pour
ne plus voir que l’éclat des êtres vivants qui nous entourent.
La perfection des marges, la splendeur là où personne ne
l’attend. C’est là tout le génie du photographe qui bouscule
notre perception du réel et nous fait passer de l’autre côté
du mur.
Guillermo Calderon met en
scène le travail de mémoire
chilien
Villa + Discurso sont en fait deux pièces politiques du
chilien Guillermo Calderon. L’une est une discussion entre
descendantes de victimes de la Villa Grimaldi. Lieu de torture
sous la dictature de Pinochet. Celles-ci ont pour mission de
réfléchir à l’avenir du lieu. L’autre met en scène les mêmes
actrices, où elles jouent toutes les trois le rôle de Michelle
Bachelet, présidente du Chili entre 2006 et 2010. Le lien
physique n’est pas étranger entre les deux textes : Michelle
Bachelet a elle-même été détenue dans la Villa Grimaldi.
Travail de mémoire
Autour d’une table, elles viennent de se rencontrer. Et
pourtant ces trois jeunes filles doivent trouver que faire de
cet ancien palais de l’horreur qu’a incarné la « Villa ».
Créer un lieu de mémoire ? Détruire ces murs qui ont vu les
pires souffrances ? Le vote à bulletin secret n’a rien donné,
l’une a voté blanc et les deux autres ont voté pour des
options différentes. Elles essayent alors de trouver une
solution par la discussion.
Des paroles, il y en a malheureusement un peu trop dans cette
pièce. Créée à l’origine pour être jouée dans les lieux de
torture du Chili, la mise en abîme est écartée sur les
planches d’un théâtre. Les échanges sont longs et très
argumentés. Pas forcément passionnants, on a vite la sensation
que ça tourne en rond. Les mêmes réflexions reviennent
cesse. On assiste à une bataille de sophistes. L’une
créer un musée d’art contemporain au grenier, l’autre
équiper un sous-sol de Macs pour que des vidéos sur les
des victimes défilent.
sans
veut
veut
vies
Certes, par ces mots, elles interrogent le travail de mémoire
difficile au Chili où la justice est loin d’avoir été rendue.
Comment respecter celles de ceux qui ont disparu et comment
préserver les prochaines générations de telles horreurs.
Travail nécessaire outre-Atlantique, mais processus déjà bien
connu en Europe, notamment à cause de la guerre de 39-45. Ici
les héroïnes tâtonnent. L’approche choisie par Calderon est
très naïve, celle d’enfants qui réfléchissent au passé de
leurs parents.
Il y a peu d’action, la mise en scène est statique, c’est une
réunion autour d’une table, les verres d’eau qui s’empilent
sont le temps qui passe. A tour de rôle, elles vont aux
toilettes et les deux restantes tentent de savoir qui a voté
blanc lors des premières minutes de la pièce. Elles tentent de
se manipuler, chacune y met de sa vie personnelle pour
convaincre les autres jusqu’à ce qu’elles se rendent compte
qu’elles ont un terrible point commun…
Les adieux d’une politique
Une brève transition plus tard et nous voilà face à trois
visages qui ne sont qu’un seul personnage, celui de Michelle
Bachelet. Un carré de lumière sur scène délimite le pupitre.
Un verre d’eau est posé au sol, comme un outil indissociable
du bon fonctionnement du disours. Michelle sont là, face à
nous, et là, l’exercice est sublime. Si on peut piquer du nez
pendant la première partie, la seconde nous tient en haleine
avec force.
La présidente a décidé de ne pas suivre son discours écrit
pour faire ses adieux au pays, elle veut se laisser aller.
Exprimer librement les trois faces de sa personnalités, trois
visages et une multitude d’expressions possibles. En pratique
et sur scène, ça donne des croisements de phrases, parfois
l’une commence, l’autre hésite et la dernière tranche. D’autre
fois, c’est dit à l’unisson. C’est excellent et on voit là
tout le talent de ces jeunes actrices.
Elles sont une femme politique rêvée : sincère, cordiale, mais
avec ses travers, en un mot, humaine (enfin!). On l’imagine
aisément partageant notre vie. Un peu pessimiste, surtout
réaliste, drôle bien sûr.
Finalement, Villa + Discurso c’est une première partie
éprouvante, une seconde captivante. Peut-être un peu longue,
un peu trop de gauche aussi (les personnages se déclarent
comme tels toutes les trois phrases), mais c’est un travail
intéressant qui mérite, si ce n’est de l’intérêt, une belle
curiosité.
Pratique : Dans le cadre du Festival d’Automne, jusqu’au 19
octobre au théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses (18e
arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01
53451717 ou sur www.festival-automne.com/ / Spectacle en
espagnol surtitré en français.
Durée : 2 h 15
Texte et mise en scène : Guillermo Calderon
Avec :
Francisca Lewin, Macarena Zamudio, Carla Romero
Mailles à l'envers - Marlène
Tissot
La cruauté de la vie n’épargne pas la
narratrice de cette histoire, une petite tête blonde. Sous la
plume d’une enfant, d’une adolescente et d’une jeune adulte,
les faits les plus cruels et révoltants sont parfois bien peu
de choses.
Naïveté de l’écriture, innocence de l’enfance, la vie et ses
méandres apparaissent comme un concours de circonstances perdu
d’avance.
De l’ivresse alcoolique du père
à la débauche amoureuse de la
mère : la cellule familiale de la narratrice est en
perpétuelle mitose, perpétuelle séparation reproduisant à
l’infini le même cauchemar.
La violence du quotidien la frappe de plein fouet. Toutes les
violences y passent : verbales, physiques, psychologiques.
C’est trop pour une seule et même personne, surtout quand
cette jeune personne sort tout juste de l’enfance ou de
l’adolescence.
Extrait 1 :
« C’était pas de la jalousie que j’avais au fond du ventre.
Pour ça, il aurait fallu de l’amour. Et l’amour, j’y étais
réfractaire. Mon coeur dormait dans un congélateur. Mais la
fidélité avait un je-ne-sais-quoi d’essentiel à mes yeux. Le
genre de truc un peu étrange, un peu magique, auquel j’avais
besoin de croire. »
Marlène Tissot nous emmène, vous l’aurez compris, dans un
récit fort, dont on ne peut sortir indemne. Dans ce premier
roman, elle jongle entre les âges de sa narratrice, entre ses
souffrances, ses peurs, ses espoirs, aussi maigres soient-ils.
L’écriture est à l’image de celle qui écrit son journal :
crue, amère et directe. Parfois un peu trop directe
d’ailleurs, où l’on regrette alors le choix de l’auteure de se
fondre complètement dans la peau de son personnage, s’attacher
à un langage se voulant enfantin / adolescent, et s’y
retrouver comme coincée.
Une traversée de la souffrance humaine (hélas) ordinaire.
Poignant. Saisissant.
Extrait 2 :
« J’ai obtenu mon bac. Haut la main, avec un putain de
mention. Val était recalée. Apparemment, elle s’en foutait.
On s’est bu un jus au bistrot d’à côté. Puis elle
m’a raccompagnée. Rocade. Cent quarante kilomètres à l’heure.
Sa rage un peu plus appuyée sur l’accélérateur. Sirotant les
feux rouges comme des grenadines. Bercée par le cri du
moteur, je me suis remise à espérer un accident. Un truc
violent, rapide, définitif. Histoire de clore le chapitre en
beauté. Mais j’étais pas seule dans la carlingue. »
Mailles à l’envers, de Marlène Tissot
Editions Lunatique
www.editions-lunatique.com
156 pages
Date de parution : février 2012
Savages - Le mythe des bons
sauvages ?
Deux jeunes entrepreneurs
babacools et beaux gosses,
à la tête d’un business
florissant de marijuana,
sont confrontés à un cartel
mexicain.
Si belle que soit la gueule (cassée) de l’ancien marine Taylor
Kitsch (Chon) et si intello botaniste que soit Aaron Johnson
(Ben)… les rebondissements ne se feront pas trop attendre.
En effet, qui dit narcotrafic dit… gros fusils qui font pampam, mallette pleine de biftons, rendez-vous au milieu du
désert (avec des gros 4X4) et du sang qui gicle… en finalité.
Alors, qui sont donc les sauvages ? Nos gentils entrepreneurs
beach boy ou les vilains narco mexicains?!
Savages, le dernier film d’Oliver Stone, est doté en substance
des ingrédients habituels des films de ce réalisateur multioscarisé : une intrigue bien ficelée, de la testostérone et
des bigs stars américaines. Mais contrairement à JFK ou World
Trade Center ou encore son reportage sur la Palestine Persona
non grata on ne retrouve pas dans ce film les sujets
polémiques qui lui sont chers. Nous avons affaire à un film
d’action un vrai, un sympa… mais pas plus que ça.
Ce qui est chouette :
Une esthétique californienne lumineuse avec une B.O punchy.
Le héros de Kick Ass Aaron Johnson qui a bien grandi et pris
du poil de la bête!
Un trio amoureux pimenté, sulfureux et intriguant. 2 hommes
pour une femme, la rayonnante Blake Lively.
Benicio Del Toro en mécréant moustachu, sans scrupules est
parfaitement répugnant dans le rôle de Lado. Il est aussi
repoussant dans ce rôle qu’il pouvait être fascinant dans
celui du Che, c’est dire.
Ce qui est très bof :
Elena la « daronne de la drogue » très haute couture et qui a
une haute opinion d’elle-même, est interprétée par Salma Hayek
qui nous laisse de marbre.
Le flic véreux et bedonnant porte les traits de John Travolta.
Rien de « greasant » John a pris un coup de vieux radical mais
reste assez fun.
Une fois le décor posé et l’intrigue lancée, ce film est comme
un train (pas un TGV en plus) on sait pertinemment quelles
gares il va desservir et ça n’est pas parce que le réalisateur
propose deux fins que l’issue en est plus inattendue.
Si Oliver Stone, du haut de ses 66ans, a déjà prouvé qu’il
savait se lâcher et bien là il ne nous convainc pas… dommage
ça aurait pu être vraiment (plus) drôle.
Enfin, l’apologie totale de la drogue douce (et moins douce) à
base de scènes très poétiques et de culture massive laisse de
même planer quelques petites questions…
Le film est une adaptation cinématographique du best-seller
homonyme de Don Winslow, un bon divertissement en somme mais
trop « mou du genou » pour passer dans la catégorie bijou.
Savages n’est qu’un petit brillant sur le côté de la couronne
de Monsieur Oliver Stone. Il y a tout de même de quoi éclairer
un dimanche après-midi...
Réalisé par : Oliver Stone
Scénarisé par : Shane Salerno
Avec : Blake Lively, Aaron Johnson,Taylor Kitsch, Salma
Hayek, Benicio Del Toro, John Travolta.
Savages
Merlin
enregistre
la
"Dernière bande"
Copyright
:
Brigitte
Enguerand
Bon, quand on va voir Samuel Beckett, on sait que le metteur
en scène devra nicher son travail au milieu des didascalies
originales. Les ayants droits de l’auteur n’autorisant que
l’on monte l’une de ses œuvres uniquement si elle est
respectée à la virgule près.
Cette « Dernière bande » a donc les traits communs (outre le
texte) de toutes les autres. Krapp (Serge Merlin) va commencer
par manger une banane, puis en mordra une seconde avant de la
jeter. Il va aussi « fouiller dans la pile de bobines » ou
encore « se lever brusquement pour partir derrière un rideau,
duquel on va entendre un bruit de vaisselle qu’on cogne ».
La possibilité de mise en scène et de différentiation par
rapport aux autres versions est donc ailleurs, mais dans le
travail d’Alain Françon elle ne saute pas aux yeux. Ici, Serge
Merlin est excellent, il respecte parfaitement le souhait de
l’auteur. Faire de Krapp un vieil homme qui enregistre sa
dernière bande (audio). C’est le même rituel à chaque
anniversaire. Ce soir là, après avoir écouté la bande de ses
39 ans, il en prend une nouvelle au fond du tiroir (comme
indiqué dans les didascalies), et il s’énerve contre celui
qu’il a été, se reproche la perte du bonheur affectif, hurle
dans le micro sa noire solitude. Beckett a instauré un
décalage volontaire dans le personnage, ce qui ne le rend ni
touchant ni énervant, juste seul, c’est tout. Il est même plus
drolatique que triste, difficile à cerner.
Et Serge Merlin est cela. Plongé dans un beau décor (toujours
très respectueux des didascalies : un bureau au centre,
l’obscurité tout autour…), les lumières (de Joël Hourbeigt)
sont très belles, rebondissant dans les orbites et les rides
de l’acteur. C’est en elles que réside la beauté de la pièce.
Françon, lui, en faisant cette mise en scène, a voulu donner à
cette pièce l’essence que son auteur lui a originellement
insufflée. Le résultat est donc fidèle et nul doute que
Beckett en serait ravi. Sauf que l’écrivain a disparu en 1989…
Espérons qu’un jour nous verrons le monde moderne s’accaparer
cette pièce si elle n’était pas prisonnière de ses indications
de texte. Vous l’aurez compris, cette « Dernière bande » est
très réussie, mais la plume de Beckett continue de vieillir
dans un monde qui (bien évidemment) a changé.
Pratique : Actuellement au théâtre de l’Oeuvre, 55 rue de
Clichy (75009, Paris) – Réservations par téléphone au 01 44
53 88 88 ou sur www.theatredeloeuvre.fr / Tarifs : entre 10
€ (- de 26 ans) et 30 € (plein tarif) – Du mardi au dimanche.
Durée : 1 h 05
Mise en scène : Alain Françon
Avec :
Serge Merlin
Murat met en scène Arditi
dans "Comme s'il en pleuvait"
à l'Edouard VII
Bruno (Pierre Arditi) et Laurence (Evelyne Buyle) habitent
dans le 15e arrondissement de Paris. Leur vie est celle de
petits bourgeois, simple et sans prétention. Un soir, Bruno
rentre de l’hôpital où il est anesthésiste et trouve 100 euros
sur la table. Le lendemain, 1400 euros apparaissent comme par
magie au même endroit. Et leur chance ne compte pas s’arrêter
en si bon chemin…
Cette comédie contient tous les ressorts du théâtre de
divertissement : un couple auquel le public s’identifie
aisément, des personnages annexes qui sont des caricatures (de
voisins et autre femmes de ménage espagnole), et enfin, il est
montré que le rêve une fois réalisé n’est pas toujours si
rose.
Bruno devient fou de tout ce fric, sa femme panique à l’idée
de se retrouver riche. Quand il revient d’une journée de
shopping, des dizaines de sacs griffés des plus grandes
marques jonchent le sol autour du canapé. Manifeste du droit
au bonheur, qui montre que l’argent n’y contribue que
modestement, « Comme s’il en pleuvait » porte un message
semblant naïf mais il est bien conduit par le texte de
Sébastien Thiéry. Comment renie-t-on nos idéaux pour un
costume Dior ?
On rit, la pièce est rythmée, le couple moderne Arditi – Buyle
fonctionne très bien et nous mène à une chute complètement
inattendue à la Ionesco après de multiples rebondissements qui
nous tiennent en haleine pendant toute la pièce. Un bon moment
en compagnie du malheur des autres, en somme.
Pratique : Actuellement au théâtre Edouard VII, place Edouard
7 (9e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au
01 47 42 59 92 ou sur www.theatreedouard7.com / Tarifs :
entre 20 € et 53 €.
Durée : 1 h 30
Texte : Sébastien Thiéry
Mise en scène : Bernard Murat
Avec :
Pierre Arditi, Evelyne Buyle, Gilles Gaston-Dreyfus,
Véronique Boulanger.
May Day - La rencontre
Maud Naïmi, la voix du duo May
Day s’est prêtée au jeu et a
répondu longuement à la petite
question posée par Arkult.
Parce qu’après avoir écouté en boucle leur premier album
Somewhere to be Found, ça nous turlupine…
[Arkult] May Day / Votre 1er album est-il un appel à l’aide ou
un appel au rêve et au voyage ?
[Maud] « Ni l’un ni l’autre, à vrai dire. D’abord « May Day »
ne vient initialement pas du SOS international, c’est bien May
Day en deux mots, comme le premier mai. Le projet était solo
au départ, et on a conservé son nom initial. J’ai toujours eu
une affection particulière pour le mois de mai durant lequel
le hasard fait qu’il m’arrive souvent quelque chose de bien.
Donc l’idée au fond était peut-être d’attirer les bonnes
ondes.
Ensuite, et surtout, au commencement, j’ai enregistré les
premières démos guitare/voix des premières chansons (dont
celles de « Meet My Love », notre premier EP) avec un MD
(MiniDisc) et M et D sont les deux consonnes de mon prénom,
donc je cherchais – bêtement – quelque chose qui tournerait
autour de ces deux lettres.
May Day s’est imposé pour les raisons pré-citées. Si c’était
aujourd’hui, comme j’enregistre les démos que j’envoie à
Julien sur mon iPhone, peut-être qu’on s’appellerait iayPay!
Pour en revenir à « Somewhere to be Found », il a été écrit
quasi intégralement en dehors de chez moi (dans un avion audessus de l’Atlantique, dans des trains, des métros, à la
campagne, chez mes parents, …) mais je ne l’ai réalisé qu’a
posteriori, et qu’en me rendant compte que toutes les chansons
avaient un dénominateur commun: la notion d’appartenance.
J’englobe là-dedans les liens humains, ceux qu’on crée, ceux
qu’on souhaite, ceux qu’on fuit, ceux qui se brisent, ou bien
la famille, le foyer, la maison, comme la quête personnelle de
chacun, donc en résumé : ce de quoi on est fait, ce qui nous
habite. Pour moi, la résultante est plus complexe qu’un appel
au voyage ou au rêve, quoique les deux soient apparemment
bénéfiques, dans mon cas, à la création. Malgré ça,
« Somewhere to be Found » n’est pas un album concept, il ne
raconte pas nos dernières vacances et n’a pas non plus volonté
à inciter à une chose ou une autre. Les chansons sont toutes
différentes, évoquent des histoires et des situations
différentes, des personnes toutes différentes, et ont été
réalisées comme telles, chacune avec leur individualité. Et
comme nous sommes tous différents, j’aime à penser que chacun
préfèrera une chanson de l’album parce que la musique et /ou
le texte lui parleront plus que les autres, oui, peut-être en
le faisant rêver ou en le faisant voyager. Dans sa globalité,
ce disque ne sert pas un but unique, même si pour moi, oui,
c’est un album mobile, écrit en mouvement. Il sera toujours
reçu différemment selon où l’on est, où l’on va et le chemin
qu’on prend. Mais s’il pouvait avoir un pouvoir, celui que
j’aimerais qu’il ait c’est celui d’accompagner les gens, là où
ils sont, là où ils vont, sur leur chemin à eux. »
May Day que vous aviez découvert ici ou alors que vous allez
découvrir bien vite car une interview comme celle-ci vous aura
forcément intrigué, n’est-ce pas?!
"Vous n'avez encore rien vu"
- Cet étrange objet du cinéma
Un O.C.N.I., Objet Cinématographique Non Identifié.
C’était mon premier Alain Resnais. Ne vous attendez donc pas à
des parallèles à répétition, des analogies avec ses précédents
films, une analyse systématique de l’évolution de son style et
de sa pensée dans le temps …
Non, vraiment, rien de tout ça. Simplement cet étrange
sentiment qui gagne le spectateur tout au long de la séance.
L’ennui guette, il sent qu’il aurait une place attitrée dans
un tel film, personne n’oserait la lui contester. Et pourtant
il guette, mais ne trouve pas l’occasion de s’immiscer dans la
tête du spectateur. Car ce que nous propose Alain Resnais dans
son film est une véritable performance artistique, un coup
magistral tant dans l’histoire du cinéma que du théâtre.
Imaginez plutôt voir se représenter devant vous deux (voire
trois) écoles du théâtre, autour d’une seule et même pièce,
Eurydice de Jean Anouilh. Forcément, l’envie primaire est à la
comparaison, « le théâtre classique est quand même plus
fidèle », « les mises en scène modernes sont vraiment
spéciales » … Vous savez ce même « spécial » utilisé par
Xavier Dolan dans Laurence Anyways … Ce « spécial » passepartout et pourtant tellement signifiant, synonyme de rejet,
de dégoût.
Puis une fois la comparaison rapidement épuisée de son sens et
de son intérêt, surgissent l’intérêt et la complémentarité. Il
n’y a clairement pas une unique vision d’une même pièce, ni
d’une même mise en scène. On touche alors à l’épineuse
question de la liberté laissée à l’acteur par son metteur en
scène. Et de ce que le metteur en scène recevra de la part de
ses acteurs pour enrichir sa mise en scène, et la rendre
unique.
Car c’est bien là l’essence de la pièce. Prétexte pris du
décès d’un metteur en scène les ayant réunis par le passé pour
jouer Eurydice, 14 acteurs se retrouvent en huis clos dans une
cérémonie orchestrée par le majordome du défunt pour donner
leur point de vue sur une mise en scène moderne de cette même
pièce.
Formidable mise en abyme du jeu théâtral. Bouleversants
hommages à ses acteurs, jouant leur propre rôle.
Mais jusqu’où est-ce le rôle pensé par le metteur en scène, et
où commence la personnalité de l’acteur ?
Mention toute particulière et très personnelle pour quatre
d’entre eux : Pierre Arditi, impressionnant, Michel
Robin,
touchant,
Azéma, saisissante.
Mathieu Amalric, inquiétant et Sabine
Réalisation : Alain Resnais et Bruno Podalydès (pour la
captation Eurydice par la Troupe de la Colombe)
Scénario : Laurent Herbiet, Alex Reval1, d’après Eurydice
(1942) et Cher Antoine ou l’Amour raté (1969) de Jean Anouilh
Musique : Mark Snow
Distribution:
Sabine Azéma : Eurydice 1
Anne Consigny : Eurydice 2
Pierre Arditi : Orphée 1
Lambert Wilson : Orphée 2
Mathieu Amalric : monsieur Henri
Michel Piccoli : le père
Anny Duperey : la mère
Denis Podalydès : Antoine d’Anthac
Jean-Noël Brouté : Mathias
Hippolyte Girardot : Dulac
Michel Vuillermoz : Vincent
Andrzej Seweryn : Marcellin
Michel Robin : le garçon de café
Gérard Lartigau : le petit régisseur
Jean-Chrétien Sibertin-Blanc : le secrétaire du commissaire
La troupe de la Colombe
Vimala Pons : Eurydice
Sylvain Dieuaide : Orphée
Fulvia Collongues : la mère
Vincent Chatraix : le père
Jean-Christophe Folly : monsieur Henri
Vladimir Consigny : Mathias
Laurent Ménoret : Vincent
Lyn Thibault : la jeune fille et le garçon de café
Gabriel Dufay : le garçon d’hôtel
"La Mouette" et "Oncle Vania"
mettent le turbo
Ces deux mises en scène de Christian Benedetti avaient eu
tellement de succès au Théâtre Studio d’Alfortville que
l’Athénée les reprend pour une quinzaine de jours en
alternance avant le départ de la troupe en tournée. La Mouette
et Oncle Vania méritent l’engouement qu’elles ont engendré ces
dernières années.
La Mouette dure 1 h 45, Oncle Vania 1 h 20.
Cette brièveté n’est pas due à une découpe à la faux dans les
phrases de Tchekhov, mais à un rythme vertigineux dans lequel
nous plonge l’équipe. Pas le temps de s’ennuyer ! Dans les
deux pièces, les personnages bondissent sur scène et parlent
et piaillent jusqu’aux limites de l’inaudible (sans jamais s’y
fourvoyer). Et afin de ne perdre personne en route, Benedetti
a installé de longs moments de silence (parfois jusqu’à une
minute) afin que chacun reprenne son souffle avant de repartir
de plus belle.
Chaque comédien se plie au jeu sans le faire au détriment de
la construction du personnage. Ils sont tous excellents. La
doyenne, Isabelle Sadoyan (Marina dans Oncle Vania) en est la
preuve (très!) vivante. On reste bouche bée par tant de
maîtrise et d’humanité dans l’interprétation de chaque rôle.
Chacun y allant de sa petite pointe de folie contenue, ou non
… puisque la limite est franchie avec talent par Florence
Janas dans La Mouette et Pierre Banderet dans Oncle Vania.
Pour autant, la ruralité, l’esprit provincial des pères,
l’idéalisme face au pessimisme (La Mouette), l’ennuie et la
dureté de la vie poussant à un cynisme extrême (Oncle Vania)
sont très présents et visibles dans les deux mises en scène.
Deux sujets différents et pourtant les deux pièces marchent
avec force dans ces deux mises en scène très proches l’une de
l’autre. Place est laissée à une scène presque vide. Quelques
chaises, une petite estrade, quelques draps et la vodka font
l’affaire. Un samovar indique le salon (Oncle Vania) et un
tissu pendu sur un cadre indique la scène de théâtre (La
Mouette).
Ce théâtre qui est utilisé dans son ensemble. Le hors champ
est partie intégrante de la création. Et par ce procédé, le
spectateur se sent au cœur de l’intrigue collégiale
tchekhovienne. Grandiose.
Pratique : Jusqu’au 13 octobre (en alternance) au théâtre de
l’Athénée, Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau
(75009, Paris) – Réservations par téléphone au 01 53 05 19 19
ou sur http://www.athenee-theatre.com / Tarifs : entre 12 €
et 32 €.
Mise en scène : Christian Benedetti
Avec : La Mouette : Brigitte Barilley, Christian Benedetti,
Christophe Caustier, Philippe Crubézy, Marie-Laudes Emond,
Laurent Huon, Florence Janas, Xavier Legrand, Jean Lescot (ou
Jean-Pierre Moulin) et Nina Renaux. Oncle Vania : Pierre
Banderet, Brigitte Barilley, Christian Benedetti, Philippe
Crubézy, Laurent Huon, Florence Janas, Judith Morisseau,
Isabelle Sadoyan.
Tournée :
La Mouette
Du 12 novembre au 1er décembre 2012, Théâtre-Studio (en
alternance avec Oncle Vania), Alfortville
Du 11 au 13 décembre 2012 au NEST-Théâtre, centre
dramatique national de Thionville
Le 11 janvier 2013 au théâtre Jean-Marais, Saint Fons
Les 14 et 15 janvier 2013 au théâtre Gérard-Philippe,
Champigny-sur-Marne
Du 23 au 25 janvier 2013 à la Scène Nationale de
Cavaillon
Le 26 janvier 2013 au Centre culturel La Ferme des
Communes, Serris
Le 1er février 2013 à Ermont-sur-Scènes, Ermont
Le 2 février 2013 au Centre culturel des Portes de
l’Essonne, Juvisy-sur-Orge
Du 5 au 9 février 2013 au Théâtre des Deux-Rives,
centre dramatique régional de Rouen
Le 12 février 2013 au Tanit Théâtre / La Filature,
Lisieux
Le 15 février 2013 au théâtre de Fontainebleau
Le 12 mars 2013 au théâtre de la Place, AndrézieuxBouthéon
Le 2 avril 2013 au théâtre de Rungis
Le 4 avril 2013 au théâtre du Cormier, Cormeilles-enParisis
Le 19 avril 2013 au Centre culturel Aragon-Triolet,
Orly
Du 20 au 23 avril 2013 au théâtre de l’Ouest-Parisien,
Boulogne Billancourt
Oncle Vania
Du 12 novembre au 1er décembre 2012 au Théâtre-Studio
(en alternance avec La Mouette)
Du 24 au 27 octobre 2012 au théâtre de Beauvaisis –
Scène nationale de l’Oise, Beauvais