escoude bio - Karavane Productions
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escoude bio - Karavane Productions
KARAVANE christian escoudé Django d’Or 2008 de la Guitare Un père tzigane et guitariste, une mère charentaise, Christian Escoudé naît en 1947. Son père, fait les bals musette de la région. Il voue une passion sans bornes à Django Reinhardt qu’il transmet à son fils qu’il initie à la guitare à l’âge de 10 ans. A 15 ans Christian embrasse la carrière de musicien. Christian Escoudé fait partie de cette petite famille de guitarites de jazz issus du milieu manouche: à ce titre, il s'est forgé un style de guitare dans les canons du jazz bop, largement teinté d'influence tsigane. Il fait preuve d'un grand sens mélodique, où pointent des inflexions "gitanes", comme le vibrato et le portamento, de beaucoup de chaleur dans le phrasé et d'une belle générosité de son. Il se signale par sa façon toute personnelle d'utiliser les arpèges sur les systèmes demi-ton/ton. Au Jazz In, où il se produit en 1972 «after Hours», il rencontre Eddy Louiss, Bernard Lubat, Aldo Romano. Plus tard il rejoint Didier Levallet (Swing String System), Michel Portal Unit. En 1976, l'Académie du jazz lui décerne son prix Django Reinhardt, tandis qu'un nouveau quartet (avec Michel Graillier, Aldo Romano, et Alby Cullaz; puis Jean-François Jenny-Clark prend tournure. On l'entend (en free-lance) aussi bien chez Michel Portal qu'avec Slide Hampton, Martial Solal ou JeanClaude Fohrenbach. En 1978, le Festival de Nice est pour lui l'occasion d'enregistrer avec le quartet de John Lewis et de jouer avec Stan Getz, Bill Evans, Philly Joe Jones, Freddie Hubbard, Lee Konitz, Shelly Manne, Elvin Jones... A partir de 1978, il participe presque chaque année au Festival de Samois, organisé en hommage à Django Reinhardt. En 1979, il est au Festival de Dakar, complétant le trio René Urtreger-Pierre Michelot-Daniel Humair. Eté 1980 : John McLaughlin le convie à une tournée en duo qui le conduit aux Etats-Unis, Brésil et Japon. En 1981, il entre dans le grand orchestre de Martial Solal. L'année suivante, il se produit dans un quartet aux côtés de Shelly Manne. De retour en France, il en crée un avec Olivier Hutman (claviers), Nicolas Fitzman (b, bg) et Jean My Truong (perc) - ces deux derniers seront remplacés par Jean-Marc Jafet et Tony Rabeson. En 1983, débute un duo avec Didier Lockwood qui débouche en 1984 sur un trio avec Philip Catherine. En 1985, il joue avec Capon et Carter puis forme le "Trio Gitan" avec Boulou Ferré et Babik Reinhardt. KARAVANE PRODUCTIONS • 9 rue Ambroise Paré 75010 PARIS • Tél : 01 40 16 54 30 • email :[email protected] En 1987, il joue en duo avec Michel Graillier, John Thomas, avec le "Trio Gitan", puis encore avec CaponCarter. Début 1988 naît un nouveau quartet avec Jean-Michel Pilc, François Moutin et Louis Moutin. L'année suivante, il forme un octet à quatre guitares (Paul Challain Ferret, Jimmy Gourley, Frédéric Sylvestre), accordéon (Marcel Azzola), violoncelle (Vincent Courtois), basse (Alby Cullaz) et batterie (Billy Hart). New York, 1990 : il joue au Village Vanguard avec Pierre Michelot, Hank Jones et le batteur Kenny Washington. En 1991, entouré d'un orchestre à cordes, il enregistre onze compositions de Django Reinhardt. En 1992, son "Gipsy Trio" (Challain Ferret, Sylvestre) s'augmente de Babik Reinhardt ou Bireli Lagrene, et l'année suivante, à Los Angeles, il enregistre entouré de Lou Levy, Bob Magnusson et Billy Higgins. En 1998, il crée et enregistre A Suite for Gypsies, oeuvre de Jazz rock, fusion dédiée à la mémoire des enfants gitans morts dans les camps de concentration. En 2003, l'année du cinquantième anniversaire de la mort de DJANGO REINHARDT, il crée un big band (17 musiciens) avec lequel il explore l'héritage musical de Django en y apportant son style et ses propres idées harmoniques et rythmiques. En 2004 il constitue LE NOUVEAU TRIO GITAN, réunion de 3 guitaristes ayant l'ouverture d'esprit nécessaire à une expression musicale d'actualité, sans renier les racines dont ils sont issus (actuellement avec Jean-Baptiste Laya et David Reinhardt) . En mars 2005 est sorti, chez Nocturne, Ma ya. Ya avec son nouveau sextet (Progressive Sextet) composé de : Marcel Azzola, Jean-Baptiste Laya, Sylvain Guillaume, Jean-Marc Jafet, Yoann Serra Création en 2007 de GYPSIE PLANET avec Florin Niculescu, Marcel Azzola, Pierre Boussaguet, JeanBaptiste Laya et David Reinhardt. Concert entièrement consacré aux musiques gypsies, tziganes et swing musette avec les plus brillants musiciens représentatifs de ces langages. À l’occasion des 60 ans de CHRISTIAN ESCOUDÉ, le label Nocturne a sorti, en mars 2008, un coffret « CHRISTIAN ESCOUDÉ, 20 ANS DE TRIO GITAN » réunissant 3 CD : le concert donné au Festival de Marciac en Août 1987 avec Boulou Ferré et Babik Reinhardt, l’album enregistré à Antibes en Juillet 1981 avec Dorado Schmitt et Babik Reinhardt et l’enregistrement du NOUVEAU TRIO GITAN, réalisé en studio en Août 2006, avec Jean-Baptiste Laya et David Reinhardt. Le 15 Juin 2008, Christian ESCOUDÉ reçoit le trophée international Django d’Or 2008 de la Guitare. En avril 2010 sort « CATALOGNE » (Nocturne-Harmonia Mundi) avec Thomas Savy, Jean-Baptiste Laya, Anne Paceo, Fiona Monbet, David Reinhardt et Darryl Hall En avril 2010 également, Christian ESCOUDÉ et LE NOUVEAU TRIO GITAN sont les invités d’honneur des premiers Django d’Or d’ Afrique au Burkina Faso. Sous le label EmArcy, les bureaux parisiens de Verve lui proposent, de 1989 à 1994, 7 albums : Gipsy Waltz / 1989 / Marcel Azzola / Live at the Village Vanguard / Plays Django Reinhardt / In L.A.-Standards Vol.1 / Cookin’in Hell’s Kitchen En 96 sort At Duc des Lombards, en 98 : A suite for Gypsies. Christian Escoudé a composé ou participé à près de 60 albums. KARAVANE PRODUCTIONS • 9 rue Ambroise Paré 75010 PARIS • Tél : 01 40 16 54 30 • email :[email protected] Christian Escoudé Catalogne mai 2010 publié par Francis Couvreux * CHRISTIAN ESCOUDÉ CATALOGNE CD PLUS LOIN MUSIC/ HARMONIA MUNDI Manifestement, Christian Escoude aime toujours autant s'entourer de confrères guitaristes: on se souvient de ses collaborations avec John McLaughlin, Philip Catherine, et des différentes moutures de son Trio gitan. En sollicitant à nouveau les guitares de JeanBaptiste Laya et David Reinhardt, présents sur son album précédent, il s'entoure d'accompagnateurs efficaces et de solistes compétents (Moulln Rouge). Mais I'essentiel n'est pas là, car I'intérêt de ce nouvel album se situe plutôt du côté des couleurs orchestrales qu'offrent les combinaisons d'instruments. Ainsi, si le point d'ancrage de cette musique est résolument manouche, les clarinettes de Thomas Savy et le violon de la jeune Fiona Monbet, en plus d'être solistes, proposent des exposés de thèmes et des deuxième ou troisième voix (Gypsy Talk) qui ouvrent les perspectives (Catalogne) et font s'éloigner des conventions du genre, sans pour autant rompre avec elles. En officiant aux balais, Anne Paceo permet une alternative à la pompe systématique, et Darryl Hall, que I'on a I'habitude d'entendre dans des contextes plus aventureux, est sobre et élégant, aux doigts comme à I'archet. En tant que soliste, Escoudé a toujours ce phrasé ner veux, avec, comme le dit Sylvain Luc, « du poids dans les notes ». La photo intérieure du digipack évoque celle où Django et Joseph sont au milieu d’une ribambelle d’enfants. Christian Escoudé pose devant une caravane entouré d’une tribu au sein de laquelle on reconnaît David Reinhardt, Jean Baptiste Laya, Noé Reinhardt, Eddy Waeldo, Richard Manetti et Jean-Marc Jaffet. Pour ce nouveau CD à la prise de son remarquable, outre ses deux complices du trio gitan, Christian Escoudé s’est entouré de quelques sérieux clients comme Thomas Savy, clarinette, Darryl Hall, contrebasse, Anne Pacéo, batterie ou Fiona Montbet, la jeune violoniste qui monte, ce qui donne à l’ensemble une belle couleur orchestrale. Outre le fait d’être d’excellents solistes (cf les chorus de clarinette sur Begin the biguine ou un Tango pour Christian, composé par JB Laya, celui sensible et inspiré de la violoniste sur Moonlight serenade...), ces invités contribuent à la qualité des arrangements très soignés : exposés de thèmes, 2ème ou 3ème voix (cf l’intro de The Mooche ou les versions de Moonlight serenade et Made in France, par exemple). A part les standards précités auxquels il faut ajouter une version de Chicago où les guitaristes reprennent à l’unisson le chorus de Django, le répertoire alterne deux thèmes de Django (le magnifique et très poétique Pour que ma joie demeure, et Choti, merveilleuse valse composée par l’illustre manouche mais qu’il n’enregistra pas et qui nous est parvenue via un petit 45tours de Matelot Ferré dans les années 60, et dont Escoudé nous une relecture originale avec une jolie partie de contrebasse à l’archet), et 3 compositions ambitieuses du leader : Moulin rouge où il est à l’acoustique et David à l’électrique, le très inspiré Catalogne (Escoudé est un gitan d’origine catalane) et Gypsy talk sur lequel, boosté par la rythmique, le guitariste se fend d’un long chorus à l’électrique dans son style un peu heurté si caractéristique, suivi de dialogues enlevés avec ses petits camarades. On est assez loin ici des conventions du gypsy jazz ; le disque se termine par une version solo de Smoke gets in your eyes, celle d’un vrai jazzman ; mais attendez un peu car, après un silence de trente secondes apparaît un bonus caché, une magnifique valse jouée cette fois à l’ancienne. Le père de la toute nouvelle génération de guitaristes nous offre ici un disque tout à fait réussi ! Pascal Ségala *Francis Couvreux est rédacteur d’“Etudes Tziganes”, repère indispensable pour comprendre les gens du voyage. KARAVANE PRODUCTIONS • 9 rue Ambroise Paré 75010 PARIS • Tél : 01 40 16 54 30 • email :[email protected] par Francis COUVREUX A la mémoire de Babik Reinhardt Chroniqueur pour www.etudestsiganes.asso.fr Le trio Gitan Né en 1947 à Angoulême, passé professionnel très tôt, Christian Escoudé remporte en 1976 le prix Django Reinhardt de l’Académie du jazz, distinction chargée de symboles puisque ses racines le rattachent au monde gitan ; fils du guitariste Jean Sérani et petit-neveu de Gusti Malha, il a été nourri de musique gitane et a écouté les disques de Django bien avant d’apprendre à jouer de la guitare. Dès la fin des années 60 il veut se dégager de la présence écrasante de l’illustre manouche. Il découvre Wes Montgomery dont l’influence va se superposer à celle de Django. Escoudé a aussi d’autres idoles, celles de l’âge d’or des années 60, Sonny Rollins, Coltrane (l’adaptation du langage coltranien à la guitare a même été à une époque, une quasi obsession), les quintettes de Miles, Jimmy Raney… Attiré par le jeu harmonique et l’improvisation, Escoudé a toujours plus pensé musique que guitare. Lorsqu’il forme le trio gitan en 1985 avec Boulou Ferré et Babik Reinhardt (qui lui est manouche !), Christian Escoudé est déjà l’un des guitaristes européens les plus connus ; son parcours est riche en expériences diverses : enregistrements, concerts innombrables et tournées avec les plus grands : Jean-Charles Capon, Michel Graillier, John Lewis, John Mc Laughlin, Charlie Haden, Mike Zwerin, Didier Lockwood, Philip Catherine, NHOP, Toots Thielman… »Je crois que l’idée de créer ce trio est venue d’une discussion commune entre Babik, moi et Jean-Marie Salhani, notre éditeur producteur de l’époque. Après quoi nous avons décidé de faire appel à Boulou Ferré pour compléter. Pourquoi ces 3 guitaristes plutôt que d’autres ? Parce que nous étions de la même génération et que, bien qu’ayant été influencé par Django Reinhardt, nous avions vécu aussi la période extraordinaire du jazz des sixties, qui fait partie également de notre background musical »(1) ). Ces trois as de l’improvisation se connaissent bien et s’apprécient. Christian est un ami de longue date de Babik (il est le parrain de sa fille) ; quant à Boulou, il l’a vu grandir et a joué dès 1970 avec lui au sein du groupe de Steve Potts ; et puis son père, Matelot, jouait avec Django ! Si Christian Escoudé forme le trio gitan, contrairement à ce que le nom du groupe pourrait faire croire, ce n’est pas pour réciter du Django comme on récite du Chopin au Conservatoire ; ses deux acolytes sont sur la même longueur d’ondes ; le fils de Django, Babik, né en 1944, ne voulut jamais copier son père et chercha sa propre voie au contact de René Mailhes et Laro Soléro, deux guitaristes gitans très influencés par l’école américaine de guitare. Même s’il a grandi en écoutant sans arrêt la musique de son père (sa mère mettait les disques de son mari disparu du matin au soir), Babik veut jouer autre chose, exister par lui-même et prouver qu’il est capable d’être musicien. Mais il sera poursuivi par son propre nom ; évidemment, producteurs et organisateurs de concerts n’auront de cesse de lui remettre la tête dans la marmite (cf en 1974 le LP « sur le chemin de mon père »). Etre le fils de Django et jouer de la guitare ouvre beaucoup de portes qui se referment bien vite quand on s’aperçoit que le fils n’est pas disposé à être une pâle copie de son père. Babik a adopté d’emblée la guitare électrique (comme Escoudé et Boulou, il fait partie de la génération guitare électrique), continuant la direction qu’avait prise Django entre 47 et 53 ; « 3 of a kind », seul disque du trio gitan, avec un répertoire pour une large part original (chacun des protagonistes ayant composé 2 ou 3 thèmes), sera le premier album important pour Babik ; Pour lui, la musique est avant tout un échange et cette formule du trio lui convient à merveille. Pour suivre ces deux redoutables techniciens que sont Escoudé et Boulou, il va devoir travailler son instrument, ce qu’il n’a jamais tellement fait auparavant. En 1988, il enregistrera « All love » puis un live l’année suivante et « Nuances » en 92, peut-être son disque le plus abouti. Babik est devenu avec le temps un guitariste à la forte personnalité, ayant su se forger un langage en puisant son inspiration aux sources les plus diverses (école américaine de guitare, fusion, Brésil…). Texte figurant dans le coffret « CHRISTIAN ESCOUDÉ, 20 ANS DE TRIO GITAN » 1/4 C’est sur le plan du son qu’il assumait son héritage. Babik, c’est un romantique qui exprime par le son une musique qui sort du cœur ; c’est l’instinct, la spontanéité, la primauté de l’émotion sur l’intellect. Son toucher sensible, son phrasé aérien, parfois presque planant, son lyrisme sont immédiatement reconnaissables. Ses compositions raffinées conjuguant inspiration soutenue et sens mélodique exceptionnel ont conquis un large public. Ce coffret est aussi le plaisir de découvrir deux disques inédits de ce musicien trop tôt disparu et qui nous manque. Né en 1951, Boulou joue Django dès l’âge de 8 ans mais déchiffre aussi les solos de Charlie Parker, Dizzie Gillespie, étudie la guitare classique et le solfège…Il débute adolescent une carrière professionnelle (première partie de Coltrane au festival d’Antibes en 1964), bientôt rejoint par son jeune frère Hélios. Développant une curiosité pour la musique contemporaine il étudie l’harmonie et la composition avec Olivier Messiaen. Quand Escoudé l’appelle pour le trio gitan, ce guitariste exceptionnel au parcours singulier (il plongea notamment dans le free jazz avant de célébrer la musique de Jimi Hendrix en créant la Gypsy corporation), a déjà joué avec les plus grands. Ce surdoué de la guitare, autant fils de Bach que de Django est un cérébral dont le phrasé spectaculaire conjugue envolées aux citations toujours inattendues et expressivité héritée de l’illustre manouche. En 1979, pour son premier disque en duo avec Hélios, il rend hommage à Django (LP « Pour Django » steeplechase ) ; dans un excellent article des inrockuptibles, Richard Robert écrivait très justement combien ce disque et ce titre « avaient à la fois la ferveur d’un hommage et la fougue d’une déclaration d’indépendance » ; car il ne s’agit pas de jouer comme Django mais pour Django c-a-d de « faire fructifier l’or qu’il leur avait laissé ».. Si la sonorité et le phrasé de Boulou sont réminiscents de l’esthétique définie par Django, les musiciens dont ils se sent le plus proche sont plutôt ceux de l’école Tristano (qui fut l’un des pianistes de Parker), d’où sa prédilection pour des thèmes de Warne Marsh ou Lee Konitz. Il faut alors adopter pour la guitare l’articulation d’un sax. Les deux frangins vont mettre leur virtuosité, leur culture et leur humour (art de la citation) au service d’un jazz de chambre savant.. Ce trio gitan est donc constitué de trois personnalités énormes aux styles très différents mais qui ont tous un rapport étroit avec la musique de Django Reinhardt ; mais c’est pour eux une musique si aboutie si indépassable que ce qu’on appelle par commodité une école de swing manouche paraît vouée à l’impasse. « …Django ce n’est pas de la « manoucherie » ni de la « gitanerie » c’est de la djangologie ; c’est l’équivalent de Parker, vers autre chose, dans une autre direction » (2). Si nos trois guitaristes sont des héritiers de Django c’est en ce sens que comme lui ils appréhendent le jazz de façon évolutive ; l'inspiration qu'il leur donne est plus musicale que guitaristique.. Si l’on peut dire que le trio gitan est bien en 1985 un précurseur de la vague jazz manouche qui est à la mode aujourd’hui, il s’agit plutôt d’un jazz gitan progressiste que d’un swing manouche figé dans la tradition ! Car Boulou, Babik et Escoudé sont avant tout des musiciens de jazz (dont ils ont une parfaite connaissance), à l’écoute de leur temps; pour eux, jazz veut dire création constante, perpétuelle remise en question, prise de risque, mais certainement pas « batailles à coup de notes mitraillées « .(3). Si la formule du trio de guitares n’est pas nouvelle (cf Great guitars avec Charlie Byrd, Barney Kessel et Herb Ellis ou le trio McLaughlin, Diméola, Paco De Lucia…), il n’en reste pas moins que l’exercice est difficile ; c’est une musique sans filet ; pas de batterie, pas de basse ; le tempo est à l’intérieur ; il faut qu’il y ait à la fois qualité instrumentale et musique… La réunion de 3 leaders à la personnalité aussi contrastée aurait pu engendrer une certaine tension mais ces redoutables techniciens de la guitare, ont su trouver un bon compromis dans lequel personne n’est noyé et où ils ne s’annihilent pas l’un l’autre. Ils dialoguent et chorussent à tour de rôle avec dextérité et lyrisme, chacun sachant tirer parti au sein du trio de ses expériences passées, sans jamais négliger la complicité et l’écoute mutuelle. S’il arrive à nos 3 guitaristes de se lancer dans des courses folles, c’est toujours pour retrouver une sérénité bienvenue : climats apaisés, thèmes à l’unisson … Texte figurant dans le coffret « CHRISTIAN ESCOUDÉ, 20 ANS DE TRIO GITAN » 2/4 Le 1er CD de ce coffret « 20 ans de trio gitan » est un concert donné au festival de Marciac en 1986 ; l’occasion d’apprécier le trio live, d’y trouver une énergie supérieure à celle du LP : à part Old fashioned style ici dans une version plus longue, 7 titres différents de ceux du disque studio, comme cette somptueuse ballade de Boulou, Chez Boucharingue, du nom d’un bar fréquenté par les gitans à paris, Parker 51 de Jimmy Raney, dans une version échevelée (Boulou, véritablement déchaîné, aligne le chorus les plus fous y mêlant comme à son habitude moult citations), le long Mosaïque qui ouvre le CD ou 2 belles compositions de Babik, Coltrane’s memories dans une version plus nerveuse que celle figurant sur le LP « All love », avec là encore guitaristes déchaînés et chorus flamboyants, et One more time, le plus long titre du disque (8’44), des morceaux qui dénotent un amour de la belle mélodie et des belles harmonies, laissant place à de longues improvisations virtuoses souvent nerveuses mais toujours musicales. Ce disque inédit qui a plus de 20 ans n’a pas pris une ride. Ce premier trio aura duré à peu près deux ans ; Le groupe se produit avec succès dans les plus grands festivals (il fera notamment la 1ère partie de Miles Davis en Yougoslavie devant plus de 4000 personnes). D’après Christian Escoudé, « les raisons de la séparation sont les nécessités artistiques de chacun de vouloir expérimenter d’autres formules »(1). Différentes moutures verront le jour dans les années qui suivent ; s’y succèderont Frédéric Sylvestre, Paul Challun Ferret, Marie Ange Martin et quelques autres. « C’est une formule toujours stimulante et qui permet un choix de répertoire infini, avec la possibilité de 3 parties de guitare en forme d’arrangement aux multiples possibilités »(1) La reformation du trio avec Dorado et Babik peu de temps avant la disparition brutale de ce dernier, peut paraître plus surprenante, tant la différence est grande entre Escoudé et Dorado même si une culture en partie commune les rassemble. Figure emblématique du swing manouche, Dorado est sans nul doute l’un des plus brillants héritiers de Django Reinhardt. Ce remarquable instrumentiste tant au violon qu’à la guitare est aussi un compositeur inspiré dont certains morceaux sont devenus des standards. Styliste au jeu racé et nerveux, Dorado développe un langage personnel conjuguant sens inné de la mélodie, sens rare des nuances et sens aigu de l’improvisation ; Ce musicien ouvert peut s’exprimer aussi bien à la guitare acoustique dans la plus pure tradition qu’à la guitare électrique dans une esthétique résolument jazz influencée par l’école américaine de guitare ; il a croisé la route de quelques cadors comme Bireli, James Carter, Bucky Pizzarrelli ou Paquito D’Rivera sur la scène du mythique Birdland de New York, acquérant par la même une stature internationale. Dorado peut donc fréquenter différents sentiers du jazz comme le montre cet enregistrement studio inédit ; sur 12 titres : 3 de Babik dont 2 inédits (Nadine, très belle ballade d’une grande sensibilité où son toucher sensuel fait merveille et Nina un blues), deux de Dorado, la source de la vie, ballade romantique dont il a le secret et Dorado swing, tous deux extraits de son CD « Parisienne » de 96 et 3 d’Escoudé : swing bohémien, le titre le plus swing manouche de l’album : c’est tempête sur les cordes avec un long chorus nerveux d’Escoudé suivi d’un solo de Dorado dans son style acrobatique caractéristique, Boléro (là encore superbe mélodie, Dorado tout en virtuosité, Babik plus aérien) et Dialectique, composition au tempo vif moins gypsy et plus jazz, où les trois chorussent à tour de rôle pour finir à l’unisson. Les 3 complices rendent hommage à Django sous forme d’un medley de 11 minutes : Blues for Ike, puis Mélodie au crépuscule, l’occasion d’un long chorus sans esbroufe de Dorado ; les 3 affichent une vraie complémentarité (Dorado assurant les lignes de basse, Escoudé reprenant le thème avec des contrechants de Babik, l’ensemble sonnant alors comme un orchestre de cordes), pour terminer avec Belleville. Ils célèbrent aussi Stéphane Grappelli dont ils reprennent la magnifique musique du film Milou en mai, avec Dorado au violon. On sait que Christian a un faible pour les valses ; il interprète ici Balajo, le standard de Privat, dans une version très laid back où chacun prend un chorus. Il aurait été dommage de ne pas publier cet excellent disque même si l’on peut regretter que ce trio gitan là n’eut hélas pas l’occasion de donner toute sa mesure en concert. Texte figurant dans le coffret « CHRISTIAN ESCOUDÉ, 20 ANS DE TRIO GITAN » 3/4 Après avoir parcouru tout l’éventail du jazz ou presque, Christian Escoudé, bientôt sexagénaire, reforme en 2006 un nouveau trio gitan ; tout d’abord parce qu’il affectionne particulièrement cette formule du trio de guitares mais aussi parce qu’il a « le sentiment que ce groupe reconstitué participe aussi à une page de notre musique française (et gitane) ! »(1) ; Aimant s’engager dans de nouvelles voies avec de nouveaux partenaires, il s’est entouré de deux jeunes musiciens : JeanBaptiste Laya, 33 ans, vient des milieux du jazz ; il a créé Acoustic passion, sa première formation avant de s’ouvrir à Django et aux musiques tsiganes en général (il était notamment le guitariste du groupe O’Djila). David Reinhardt est né en 1986, l’année où son père (Babik) jouait à Marciac avec le premier trio gitan ! Son père lui a mis une guitare entre les mains quand il avait 4 ou 5 ans. S’il ne lui a pas à proprement parler enseigné la guitare, « lui montrant juste quelques petits trucs de temps en temps" » (4), il lui a fait écouter beaucoup de musique et donné des conseils. A 14 ans, David s’y met sérieusement (cours avec Frédéric Sylvestre, CIM…), apprend à lire et écrire la musique, compose, s’intéresse aux arrangements et surtout joue, joue, joue. Avec son cousin Noé Reinhardt et Samy Daussat, il a également créé un trio de guitares ; c’est dire si cette formule lui convient parfaitement ! Dans ce nouveau CD du trio gitan, Escoudé est peut-être davantage leader ; même s’il met ses acolytes sur les rails, c’est lui qui donne l’impulsion, qui drive l’ensemble avec maturité et sérénité ; s’il prend ici la majorité des chorus (c’est moins vrai en concert), ses deux collègues ne font pas de la figuration ; par la qualité de leur rythmique et par les lignes personnelles qu’ils développent (travail sur les textures et les couches sonores), ils concourent de manière indispensable à l’équilibre et à l’harmonie de l’ensemble (cf Chovendo na rosera d’Antonio Carlos Jobim). Ces trois guitaristes ne font pas les acrobates mais travaillent avec un grand sens poétique sur les harmonies et les arrangements dans une approche très jazz de chambre. Le répertoire, très éclectique, va de thèmes latins : Loro, magnifique composition d’Egberto Gismonti, avec un long chorus inspiré de Christian, ou le très sentimental Adios Noninos de Piazzola, avec là encore un solo très aérien du leader, sur de beaux arpèges de ses collègues, à des standards assez peu joués : Réflexion de Monk, interprété seul par Christian dans un style à la Joe Pass, jouant en véritable homme orchestre à la fois les basses le solo et les accords, ou It might as well be spring, ballade que Django avait enregistrée à Rome en 1949 dans une version très bluesy, ici interprétée de manière plus chantante et swingante ; Django qui lui aussi est là, bien sûr, avec Gagoug merveilleux thème qu’il n’enregistra pourtant jamais mais que Matelot nous révéla sur un petit 45tours des années 60 , réédité depuis par Jon Larsen. Christian en donne une interprétation très fidèle qui nécessite une technique sans faille et une grande maîtrise instrumentale ; on y retrouve le lyrisme de ses origines gitanes (notes roulées), de même que sur la folle, composition atypique de Baro Ferret, l’oncle de Boulou, valse be bop aux harmonies insolites, à la rythmique déconcertante et au phrasé acrobatique. Les trois guitaristes ont des styles assez différents ; Si Escoudé est un guitariste toujours très concentré, ses chorus au son puissant et chaleureux semblent toutefois moins marqués par l’urgence et l’impatience. Le phrasé de Jean-Baptiste Laya est plus linéaire et fluide, plus à l’américaine avec une belle clarté d’articulation ; celui de David est plus incisif ; on y retrouve cette approche sensuelle des cordes, ce son d’une belle sensibilité sans doute hérité de ses père (il joue d’ailleurs sur la Gibson 175 de Babik) et grand père. Aucun bavardage ; pas d’esbroufe ; que de la musique dans ces 9 titres pour la plupart assez courts comme Dancing de la plage, joli boléro nostalgique composé par Escoudé (à mon avis c’est la fin de la saison et le dancing s’apprête à fermer !) ; une musique à l’atmosphère raffinée où les guitares chantent avec finesse et élégance ! Le nouveau trio gitan a de beaux jours devant lui ! Notes (1) interview Christian Escoudé 01/2007 (2) interview Boulou Ferré, French guitar (3) Alain Antonietto (4) Interview jazz Hot mars 2006 Texte figurant dans le coffret « CHRISTIAN ESCOUDÉ, 20 ANS DE TRIO GITAN » 4/4