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Mort d’Edmonde Charles-Roux, journaliste et romancière
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Mort d’Edmonde Charles-Roux, journaliste et
romancière
LE MONDE | 21.01.2016 à 08h24 • Mis à jour le 21.01.2016 à 09h10 | Par Philippe-Jean Catinchi
Edmonde Charles-Roux (née en 1920), écrivain français, chez elle. Paris, 1966. © JEAN MOUNICQ/ROGER-VIOLLET
Femme de lettres et journaliste dont le parcours épouse l’histoire culturelle française depuis près de
soixante-dix ans, Edmonde Charles-Roux est morte mercredi 20 janvier à Marseille, à l’âge de 95
ans.
Farouchement méridionale – si ses parents sont marseillais, son ascendance annexe aussi les pays
cévenol et avignonnais –, résolument cosmopolite par son éducation, elle naît à Neuilly-sur-Seine,
dans les Hauts-de-Seine, le 17 avril 1920. Fils d’un armateur marseillais, son père, François
(1879-1961), est certes un homme d’affaires, mais aussi un diplomate. S’il devient membre de
l’Institut (Académie des sciences morales et politiques), ses postes officiels l’entraînent, lui et les
siens – son épouse, Sabine, et leurs enfants, Cyprienne, qui deviendra princesse del Drago, Jean,
diplomate converti à la congrégation des rosminiens, et Edmonde donc – à vivre, selon ses
affectations, à Saint-Pétersbourg, Istanbul, Le Caire, Prague – la ville de la petite enfance –, et
Londres. Déménageant avec armes et bagages, chiens, chevaux et selleries.
Rien d’étonnant à ce que l’écrivain se voit en « bébé cosmopolite ». Jusqu’au répit romain, lorsque
Charles-Roux est nommé ambassadeur auprès du Saint-Siège en 1932. La famille y demeurant
près de huit ans, la future femme de lettres fait donc une bonne part de ses études au lycée
Chateaubriand à Rome.
La mission romaine de son père est interrompue par la guerre de 1939, lorsque celui-ci est appelé à
prendre le secrétariat général des affaires étrangères quand Alexis Léger (Saint-John Perse en
littérature) est démis de la fonction par Paul Reynaud en juin 1940. Lorsque la guerre éclate,
Edmonde Charles-Roux prépare un diplôme d’infirmière. Volontaire, la voilà bientôt affectée dans un
corps d’ambulancières, dans une unité de la Légion étrangère, l’éphémère 11e régiment étranger
d’infanterie.
Une audace impardonnable
Dans le secteur de Verdun, à Bras-sur-Meuse, elle est blessée en mai 1940, lors du bombardement
de l’hôpital de campagne ; elle continue néanmoins son secours aux blessés. Décorée de la Croix
de Guerre, elle est nommée caporal d’honneur de la Légion étrangère et citée à l’ordre du corps
d’armée.
De retour à Marseille – son père démissionne lorsque Laval, vice-président du Conseil de Vichy
devient secrétaire d’Etat aux affaires étrangères –, Edmonde Charles-Roux continue le combat dans
les rangs de la Résistance. Disposant d’un véhicule de la Croix-Rouge et de bons d’essence, elle
est approchée par des membres des FTP-MOI (francs-tireurs et partisans - main-d’œuvre
immimgrée) pour qui elle assure des transports clandestins, et intègre le réseau Brutus.
Au lendemain du débarquement des troupes françaises sur les côtes de Provence, le général de
Lattre de Tassigny, qui rencontre Edmonde par l’entremise de son frère Jean, l’affecte à son
état-major. Elle restera attachée à son cabinet pendant la première partie de la campagne de
France. Seul livre du voyage, Guerre et Paix, de Tolstoï. Peu avant les combats meurtriers pour la
libération de Colmar, Edmonde Charles-Roux est nommée au poste, créé à cette occasion,
d’assistante sociale divisionnaire de la 5e division blindée, sous le commandement du général de
Vernejoul. C’est lors de l’entrée de la Ire armée française en Autriche que la jeune femme est
blessée pour la deuxième fois et citée à l’ordre de la division.
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A la fin de la guerre, son père renoue avec ses premiers engagements – parallèlement à ses
responsabilités à la tête du Secours catholique qui vient de naître, il sera le dernier président de la
Compagnie universelle du canal maritime de Suez (1948-1956). Rendue à la vie civile – elle menace
de déserter, insoumise, quand on tarde à la démobiliser –, Edmonde Charles-Roux se voit fermer
les portes de son milieu. Elle a vécu au milieu des soldats. Et fréquenté nombre de communistes.
Impardonnable. Ce mauvais exemple doit être sanctionné.
Edmonde Charles-Roux à Paris, le 7 janvier 2014. KENZO TRIBOUILLARD/AFP
Pour trouver un emploi, elle quitte donc Marseille et s’essaie au journalisme ; par hasard elle croise
un armateur marseillais qui, actionnaire d’un nouvel hebdomadaire féminin, Elle, la présente à ses
fondatrices, Hélène Lazareff et Marcelle Auclair. Son premier papier : le retour de Toscanini à Milan !
Passionnée de musique, elle accompagne la naissance, voulue par Lily Pastré et Gabriel Dussurget,
du Festival d’Aix-en-Provence, lancé par un Cosi fan tutte interprété par un chef autrichien (Hans
Rosbaud) et un orchestre allemand (celui de la radio Südwestfunk de Baden-Baden) ! Un pied de
nez aux ostracismes et à l’héritage de la haine… Convoquant les peintres les plus créatifs pour les
décors des productions lyriques d’Aix, Edmonde Charles-Roux rayonne et André Derain, qui se lie à
elle, la prend pour modèle.
Courriériste, elle passe deux ans à la rédaction de Elle (1947-1949), avant de travailler à l’édition
française du journal Vogue (1950). Elle en devient rapidement rédactrice en chef, succédant à
Michel de Brunhoff. Elle y impose très vite sa marque, tant dans la maquette et la mise en pages
que le contenu. Sur 70 pages, elle en assigne 30 à la mode et autant à la culture !
Elle y révèle ou y impose des talents nouveaux. Dans le domaine des arts plastiques (le peintre
Hervé Dubly), la photographie (le Français Guy Bourdin, après l’Américain Irving Penn qu’elle
accueille dès juin 1951 dans la revue où Henry Clarke et Richard Avedon officient déjà, bientôt
rejoints par William Klein), la littérature (François-Régis Bastide, François Nourissier, Violette Leduc,
Alain Robbe-Grillet), les créateurs de mode (après Dior, Ungaro et Saint Laurent). Jouant d’une
synergie créatrice pour promouvoir le pop art comme le prêt-à-porter, le dialogue des audaces et
des aspirations contemporaines. Ce n’est pas sans risque : Edmonde Charles-Roux doit quitter le
magazine en 1966, sur rumeur de scandale, pour avoir voulu imposer une femme de couleur en
couverture. Une audace impardonnable ; de fait, le premier mannequin noir à faire la couverture de
Vogue Paris (le titre change en 1968) sera Naomi Campbell, plus de vingt ans plus tard (1988).
Mais 1966 n’est pas une année sombre pour Edmonde Charles-Roux. A l’automne, elle publie chez
Grasset son premier roman, Oublier Palerme. Tiré d’un souvenir d’enfance en Sicile – un fait divers
sanglant mettant aux prises un marchand de fleurs palermitain avec un touriste américain candidat à
la mairie de New York qui retrouve là soudain la logique archaïque de la violence de la terre de ses
ancêtres –, le livre, ardemment soutenu par Louis Aragon et Elsa Triolet, est aussitôt couronné par
le prix Goncourt.
Ce n’est pas vraiment le coup d’essai de l’écrivaine, qui avait participé dix ans plus tôt à l’atelier
littéraire constitué par Maurice Druon en 1955 en vue de la rédaction des Rois maudits (6 vol.,
1955-1960). Réveillant l’intérêt pour le roman historique qu’elle réhabilite et rajeunit, la saga
capétienne fait aujourd’hui partie des œuvres qu’assume la romancière : « J’ai été un de ses nègres,
en somme, mais des nègres qui disaient leur nom. »
Justesse et sobriété
Si le Goncourt lui offre une rencontre inattendue mais déterminante – chargé de lui remettre la
médaille de la ville de Marseille, le maire Gaston Defferre fait la connaissance de la romancière : le
coup de foudre est si fort qu’il bouleverse leurs vies désormais liées et Edmonde devient Mme
Defferre en 1973 –, l’écrivain ne cède pas à la fébrilité. Elle prend son temps. Et poursuit son
investigation de mondes enfuis ou obscurs. Suivront donc, chez Grasset, Elle, Adrienne (1971),
intrigue sous l’Occupation où une couturière libre et renommée semble préserver son mystère,
L’Irrégulière ou Mon itinéraire Chanel (1974), plongée biographique dans une vie maquillée à
dessein par son héroïne, et la biographie d’Isabelle Eberhardt (1877-1904), « la femme des
extrêmes » dont la vie errante et passionnée fascine la femme de lettres (Un désir d’Orient, 1988 et
Nomade j’étais, 1995). Aux confins de son amour de la Sicile et de son attachement au Temps
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Chanel (1979).
Lire aussi : Edmonde Charles-Roux : Marseille en héritage (/disparitions/article/2016/01
/21/edmonde-charles-roux-marseille-en-heritage_4850832_3382.html)
Edmonde Charles-Roux se fait aussi traductrice pour Une enfance sicilienne (1981), reprise en
français des Mémoires de Fulco di Verdura (1898-1978), cousin de Giuseppe Tomasi di Lampedusa
(1896-1957), auteur du Guépard. Le duc, dont l’enfance tient d’un paradis évanoui, précocement
ruiné, avait été embauché par Gabrielle Chanel comme dessinateur de tissus, et finalement comme
joaillier e t concepteur de bijoux pour sa maison.
Pas de place pour l’invention romanesque donc, mais un art de l’évocation de personnages, de faits
ou de contextes historiques qui éblouit tant par sa justesse que sa sobriété. L’empathie ténue que
propose Edmonde Charles-Roux a le charme et l’élégance de sa conversation, dont la vivacité
enthousiasmait chaque année les jeunes réunis à Rennes pour les Rencontres Goncourt des
lycéens qu’elle a défendues avec une constance et un enthousiasme spectaculaires.
Ce parcours sans faute ouvre sans surprise les portes de l’Académie Goncourt à l’ancienne
lauréate. Le 13 septembre 1983, Edmonde Charles-Roux est élue au 2e couvert, celui de
Huysmans, Jules Renard, Judith Gautier et Sacha Guitry, succédant à Armand Salacrou. Son action
en faveur de l’ouverture du vénérable cénacle est à l’image de son parcours : libre et indocile. Aussi
quand les jurés s’inquiètent, voire s’indignent de voir le label « Goncourt » dévoyé par un prix de
lecteurs lycéens, elle se bat et convainc ses confrères que l’image de l’institution quelque peu
entachée ne peut qu’en bénéficier, rajeunie et dynamisée. Dès 1988, sur la base de la première liste
d’automne en vue du prix, en partenariat avec la FNAC et l’éducation nationale, ce trophée
d’automne a sa championne, souveraine et malicieuse.
Toujours sous la houlette d’Edmonde Charles-Roux, qui succède à François Nourissier à la
présidence de la compagnie, le 5 mars 2002, l’Académie connaît sa plus profonde mutation avec la
réforme des statuts actée en 2008 (dont l’honorariat automatique à 80 ans pour les membres élus
depuis cette date). Elle laissera sa place à Bernard Pivot en janvier 2014 et laissera son couvert à
Eric-Emmanuel Schmitt début janvier.
« L’artiste doit être dangereusement seul », se plaisait-elle à répéter en citant Derain. Mais elle qui
soutint aussi que « rien n’est plus égoïste qu’un écrivain » a démenti, par sa curiosité, son art du lien
et son empathie, cette sombre vision qui n’éclaire que l’œuvre. Grande dame des lettres, elle a
marqué de son empreinte la vie culturelle avec une autorité tranquille et un goût propre qui l’ont
placée hors du commun. Indocile et singulière toujours.
17 avril 1920 Naissance à Neuilly-sur-Seine
1940 Croix de guerre caporal d’honneur de la Légion étrangère
1950-1966 Les années « Elle »
1966 « Oublier Palerme », Prix Goncourt
1973 Mariage avec Gaston Defferre
1983 Entre à l’Académie Goncourt
2016 Mort à Marseille
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