La guerre informationnelle de l`Etat islamique

Transcription

La guerre informationnelle de l`Etat islamique
1
La guerre informationnelle
de l’État islamique
Sommaire
I.
Présentation de l’État Islamique. .................................................................................................... 2
A.
Comment ce proto-état a-t-il pu naitre si rapidement? ............................................................. 2
B.
Les causes de l’État islamique ..................................................................................................... 2
1.
Les causes lointaines ............................................................................................................... 2
2.
Les causes proches .................................................................................................................. 5
3.
Les dates Clefs ......................................................................................................................... 6
C.
L’implantation GéographiquE...................................................................................................... 6
D.
Financement ................................................................................................................................ 9
E.
Alliances ..................................................................................................................................... 10
II. La stratégie de communication de État islamique ........................................................................ 11
A.
A destination des populations locales ....................................................................................... 11
1.
Le retour au califat, symbole d’un âge d’or........................................................................... 12
2.
Stratégie d’adhésion : l’État islamique, un « État » fonctionnel ........................................... 13
3.
Stratégie de la terreur et anéantissement de l’opposition ................................................... 16
B.
La stratégie de communication externe de l’Etat islamique .................................................... 18
1.
Une guerre informationnelle contre les pays de « l’axe anti-État islamique » et la
« Communauté Internationale » : la communication de l’horreur. ...................................................... 18
2.
Les messages de recrutement et d’enrôlement de combattants et sympathisants
étrangers : la communication de promotion. ....................................................................................... 21
Conclusion : ........................................................................................................................................... 23
Annexes : ............................................................................................................................................... 25
L’empire Abbasside : ............................................................................................................................. 25
La démographie au moyen Orient :....................................................................................................... 25
l’État Islamique carte des principaux enjeux. ....................................................................................... 26
Bibliographie ........................................................................................................................................ 27
Publications Académiques .................................................................................................................... 27
2
I.
Présentation de l’État Islamique.
Un Etat peut se définir comme une « adunatio hominum ad agendum communiter bonum
commune ». Une société est donc: une pluralité d’hommes ayant une vie commune
recherchée ensemble avec pour but final recherché le bien commun, et pour cause
efficiente : une autorité.
L’État islamique est une union d’hommes (de confession musulmane sunnite) voulant vivre
sous la charia en vue d’obtenir le ciel, ou plus prochainement de revivre l’apogée de l’Islam.
Pour cela ils se mettent sous l’autorité d’un calife. Aussi, entre organisation terroriste et
véritable société, la distinction est délicate. Il semble cependant que Walzer dans de la
guerre et du terrorisme, ou Aron, dans La guerre est un caméléon, ne classerait pas l’État
islamique comme étant essentiellement un mouvement terroriste.
Cependant cette définition demeure incomplète, et on ne peut passer sous silence qu’un
État se définit aussi au niveau du droit international par la reconnaissance officiel d’autres
pays. L’État Islamique au niveau du droit ne remplit donc pas toutes les conditions qui
permettent d’acquérir le titre d’État. Aussi devons-nous parler de proto-État.
A.
Comment ce proto-état a-t-il pu naitre si rapidement?
Pour tenter de comprendre l’État Islamique, il nous est absolument nécessaire de changer
de paradigme, pour entrer dans la mentalité Moyen Orientale. Pour cela, deux notions, deux
principes directeurs permettent de dégrossir seulement, pour un européen, les logiques de
cet « autre monde ». Il s’agit de la religion et de l’ethnie.
Il est impossible de comprendre la naissance de l’État Islamique, en comparant les différents
pays du Moyen Orient aux pays européens. En effet, si en Europe les différents pays ont
chacun des références culturelles propre, qui sont les mêmes sur un certain territoire
physique, au Moyen Orient, ces références sont en fonction de l’appartenance ethnique, et
religieuse. Aussi peut-on dire que de ce point de vue, le territoire est au vieux continent, ce
que la religion et l’ethnie sont aux pays du croissant fertile. Les pays sont donc au Moyen
Orient mobile avec les peuples, mobile avec les religions.
Un autre point divergent est la religiosité du Moyen Orient. Si le pluralisme appartient
actuellement au politiquement correct européen, si l’Européen est persuadé que rien ne suit
la mort, l’homme qui a de la religion ne fera pas le même constat. L’importance de cela, qui
apparaît trop souvent comme un détail, est absolument immense. Si en effet on est capable
de réunir une certaine motivation pour s’assurer un petit plaisir, quelle motivation peut
mettre quelqu’un pour qui une éternité est en jeu après sa mort.
B.
Les causes de l’émergence de l’État islamique
Afin d’être le plus exhaustif possible, avant de passer aux faits proprement dit de
l’instauration de l’État islamique, il nous est apparu judicieux d’étudier ses causes, de
chercher la réponse à pourquoi l’instauration d’un État Islamique.
1.
Les causes lointaines
Le présent est-il le fruit du passé ? Il est de toute évidence que les époques sont intimement
liées, et que l’on ne peut expliquer notre époque sans un rapide retour sur les évènements
3
qui lui sont antérieurs. Depuis toujours, le Moyen Orient est un lieu instable, à cela on peut
trouver comme cause l’emplacement de carrefour, qui réunit de nombreuses peuplades et
religions bien différentes.
a.
Politique
Pas de concept d’État nation, différentes ethnies internationales. Le dessin actuel des
frontières est plus le fruit du travail colonialiste des Français et des Anglais qu’une réelle
réalité ethnique ou religieuse.
b.
Religieuses
Il nous faut aussi noter l’importance des religions monothéistes, avec la proximité de villes
saintes : Jérusalem, La Mecque…
Cependant actuellement presque totalement musulman, ce lieu pourrait retrouver une
certaine stabilité. Ce serait mal connaitre l’islam que d’affirmer une telle chose : En 634, Abu
BAKR, calife, meurt après avoir réprimé les révoltes. Sa mort précipite la séparation entre
chiites et sunnites : c’est la FITNA, la rupture inacceptable de la communauté. Les califes
suivants ne parviendront pas à rétablir l’unicité de l’islam. L’État islamique a pour cause
profonde une réelle volonté de vivre un idéal religieux. 1
http://blog.libnanews.com/frenchy/files/2010/08/Middle-East-Religious-CompositionMap.mediumthumb.jpg.
1
4
2
c.
Ethniques
Nous avons vu qu’une société, c’est un agir commun en vue d’une fin commune. Il est de
toute évidence que plus les différences sont grandes, plus des tensions peuvent en résulter.
Ces cartes nous montrent la diversité incroyable de peuples et donc de cultures, de but
différents qui peuvent exister entre ces populations. Parmis les éthnies on doit noter les
kurdes, les perses, les lors, les arabes…
2
http://blog.libnanews.com/frenchy/?p=1654.
5
3
d.
Economie ²
Les plus grandes réserves d’hydrocarbure, ces lieux que l’on nomme le croissant fertile ne
sont pas étrangère à l’instabilité, les guerres sont facilement financées, et l’appât du gain est
un facteur de tension.
2.
Les causes proches
L’intervention américaine en Irak a exacerbé les tensions entre les différentes communautés
religieuses. De plus les américains ont formé les jeunes djihadistes, et les ont armées par le
biais de l’armée Irakienne, ou de la lutte en Syrie en armant les opposants à Bachar al Assad
Le Conflit syrien a servi à entraîner les hommes à se battre.
Un jeu d’alliances qui sépare les antioccidentaux et les pro-Occidents donnent dès sa
naissance de nombreux alliés à l’EI.
AQ est un expert en guerre de l’information, en action terroriste… leur savoir-faire a
largement servi l’EI.
Une région riche en ressources naturelles, des puits de pétroles qui permettent de financer
la guerre, des pays prêts à le revendre sans trop de scrupule.
http://2.bp.blogspot.com/-4GJd0ncB6Mo/UtXaLsjGa2I/AAAAAAAAASk/UYK1ZdrOzk/s1600/Mid_East_Ethnic_lg.jpg.
3
6
Une population composée majoritairement de jeunes (Irak : population la plus jeune du
Moyen Orient), en âge d’aller se battre, une soif d’idéal et d’aventures, des chefs
charismatiques, un rêve de vivre leur foi, selon leur volonté, une nostalgie de la puissance de
leur religion, un combat qui apparaît facilement comme objectivement légitime, sont autant
de facteurs qui permettront à cette EI de naître si facilement.
3.
Les dates Clefs
Il convient de retenir quelques dates clefs dans la formation et l’évolution de l’État Islamique
(EI) :
 L’invasion américaine et la décomposition de l'Irak (2003-2011)
 Le 15 Octobre 2006, date de la création de l’État Islamique d’Irak (Dawlat al-’Irâq
al-Islâmiyya)
 La guerre en Syrie en arrière-plan (2011-2014)
 2013, série d’attentats en Irak
 Avril 2013, l’extension de l’EII en Syrie qui devient l’État Islamique en Irak et au
Levant (EIIL).
 Le 30 décembre 2013, la ville de Falloujah tombe aux mains de l’EIIL, allié aux
islamistes révolutionnaires de la région d’al-Anbar et avec la complicité des tribus.
C’est la première ville de cette importance – plus de 300 000 habitants – à
basculer. L’État islamique obtient une réelle crédibilité internationale.
 Le 29 juin 2014 où le mouvement prend le nom d’État Islamique (EI) lorsqu’il
annonce la restauration du califat.
Une nouvelle appellation sans précision géographique qui témoigne de la volonté du
mouvement d’établir un califat universel.
C.
L’implantation géographique
Le contrôle permanent d’un ensemble de territoires en Irak et en Syrie distingue
immédiatement l’État islamique (EI) des différentes organisations jihadistes et constitue le
socle de sa puissance. La conquête de cette assise territoriale a légitimé l’établissement du
« califat » lors de la prise de Mossoul en juin 2014 et l’auto-proclamation du chef de
l’organisation, Abou Bakr al-Baghdadi, comme calife et commandeur de l’ensemble des
musulmans. Cette implantation permet à l’organisation de disposer d’importantes sources
de financement et d’afficher les signes extérieurs de la souveraineté étatique. En outre ces
conquêtes territoriales font de l’EI le champion de la cause islamiste, encourageant ainsi les
ralliements d’organisations ou d’individus isolés. Le degré de contrôle des régions occupées
est très variable et dépend des alliances locales conclues avec les autres organisations
combattantes ou tribus présentes sur ces territoires.
L’Irak est le berceau historique de l’organisation, elle y contrôle la majorité des provinces de
Salahuddin, Al-Anbar et Nineveh 4, la population des zones contrôlées par l’EI est estimée à
3,6 millions de personnes 5. L’offensive militaire de l’organisation, lancée en janvier 2014, lui
a permis de chasser les forces irakiennes de tout le quart nord-ouest du pays jusqu’à
menacer d’atteindre Bagdad. Face au danger la réaction de l’armée irakienne ainsi que des
ISIS Sanctuary Update, McFATE, J. L. (2015, 4 Mars ). ISIS Sanctuary Update. Consulté le 15 Mars, 2015, sur
www.understandingwar.org.
5
OCHA, Global Humanitarian Overview, 2015, December 2014.
4
7
milices chiites et des forces kurdes jointes aux bombardements de la coalition
internationale, dès septembre 2014, ont permis de bloquer l’avance de l’EI. A la suite
certaines zones de front ont pu être reconquises, notamment dans l’est du pays les villes de
Jalula, Sadia et une large partie de Tikrit. Cependant tous les acteurs s’accordent pour
reconnaître qu’une reconquête totale des régions occupées s’inscrit dans une action à long
terme.
Le conflit syrien a joué un rôle clef dans le développement de l’État islamique. Présent dans
le centre-ouest du pays dès avril 2013 les succès initiaux de l’organisation lui ont permis
d’attirer de nombreux combattants et de contrôler une partie de la frontière turco-syrienne
s’assurant ainsi des voies d’approvisionnement extérieurs. A partir de janvier 2014, la
volonté hégémonique de l’EI a déclenché un conflit armé avec les autres organisations
rebelles. Après un repli initial, l’organisation a graduellement pris le contrôle des zones
rebelles du nord-est syrien. Dans un second temps, les efforts de l’EI se sont dirigés vers
l’ouest, aux mains de l’armée gouvernementale et le nord, contrôlé par les forces kurdes.
Dans cette région l’EI a été bloqué, puis repoussé à Kobané (2) mais son avance se poursuit
dans la province de Hasaka (3). Cette assise territoriale comprend 3 millions d’habitants et
permet à l’État islamique de contrôler six des dix champs pétroliers syriens 6.
6
HOYAKEM, J. (2015). L'État islamique: état des lieux.
8
La conquête du Nord-Liban figure dans les objectifs de l’EI. L’organisation étend ses positions
le long de la frontière entre le Liban et la Syrie (4) et mène régulièrement des actions sur le
sol libanais. En novembre 2014 une importante attaque de l’EI sur Tripoli, deuxième ville du
pays par sa population, a été repoussée.
La situation chaotique de la Lybie post-Kadhafi favorise l’expansion de l’État islamique sur ce
territoire. L’organisation y contrôle depuis novembre 2014 la ville côtière de Derna 7, située
dans l’est libyen, et multiplie les attentas dans l’ensemble du pays. En février 2015 des
djihadistes se réclamant de l’EI ont conquis des positions dans la ville de Syrte, située à 500
km à l’est de la capitale libyenne.
L’influence de l’EI s’étend au-delà des territoires sous son contrôle. En témoigne les
attentats revendiqués par l’Etat islamique au Moyen-Orient comme au Maghreb ou encore
en Europe. L’organisation entretient une présence au sein de plusieurs pays limitrophes tels
la Turquie ou la Jordanie afin d’assurer ces approvisionnements. En outre la proclamation du
califat en juin 2014 a suscité une vague d’allégeances de plusieurs organisations islamistes
dans tout le monde musulman. Ces reconnaissances de la primauté de l’EI recouvrent des
réalités variables et ne supposent pas un contrôle effectif de l’État islamique sur les
organisations lui ayant fait allégeance. Enfin les multiples supports de communication émis
par l’EI lui assurent une influence planétaire, notamment auprès des minorités musulmanes
en dehors du Moyen-Orient.
7
ENGEL, A. (2015, Février 11). The Islamic State's Expansion in Libya. PolicyWatch.
9
D.
Financement
L’EI est considéré comme le groupe terroriste le plus riche 8 au
monde, grâce aux revenus tirés des territoires sous son contrôle et
au pillage des fonds de la banque centrale irakienne à Mossoul,
estimés à 430 millions de dollars 9. Ces revenus lui permettent
d’être autosuffisant et de s’affranchir de toute influence étrangère.
De surcroit, ils assurent à l’organisation les moyens de continuer à
mener des offensives armées sur plusieurs fronts ainsi qu’à assurer
le maintient d’une administration dans les territoires occupés. Enfin
ces ressources financières et l’équipement qu’elles supposent,
attirent bon nombre de combattants sous la bannière de l’EI.
Les revenus du pétrole constituent plus d’un tiers des ressources de
l’organisation. L’EI a conquis une dizaine de champs pétroliers dans
l’est de la Syrie et dans le nord de l’Irak.
Source : BRISARD, J.-C., & Damien, M. (2014). Islamic
State: The Economy-Based Terrorist Funding
Une partie de cette production pétrolière est exporté vers la Turquie, le Kurdistan et la
Jordanie 10. Vendu entre 25 et 40% du prix de marché, ces ventes représentent, selon le
gouvernement des États Unis, un revenu de 2 millions de dollars par jour 11.
Au pétrole s’ajoutent les revenus issus de l’exploitation du gaz, du phosphate ainsi que la
production de ciment et de blé. Dans la province d’Al-Anbar, l’EI contrôle la plus grande
réserve de gaz d’Irak, le champ d’Akkas ainsi que la mine de phosphate d’Akashat. En outre
cinq cimenteries appartenant au groupe Lafarge sont situés dans les territoires conquis par
l’organisation, leur production cumulée théorique s’élève à 7,3 millions de tonnes par ans. Á
ces revenus s’ajoute l’exploitation du sulfure et la production de sel de la mine d’al-Tabani,
en Syrie. Enfin L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture estime
que l’État islamique contrôle 30 % de la production de blé irakienne et 40 % de la production
d’orge 12. En considérant une importante réduction de la production et un prix de vente
diminué de 50% ces ressources représentent néanmoins un financement de plusieurs
centaines de millions de dollars par an.
La volonté de l’EI d’établir un État se concrétise par l’établissement d’une série de taxes sur
les activités économiques des zones occupées. Le secteur financier est particulièrement
concerné, l’ensemble des banques présentes dans les villes contrôlées par l’EI continuent de
fonctionner sous le contrôle de l’organisation. La « People’s Credit Bank » de Raqqah est
ainsi utilisée par l’EI pour centraliser la perception des impôts, la banque prélève 20 dollars
par mois à l’ensemble de ses clients. A ces taxes s’ajoute un impôt obligatoire pour les non
musulmans le « jizya », l’ensemble des prélèvements est estimé à 30 millions de dollars 13 par
mois.
JOHNSTON, P. B. (2014). Countering ISIL's Financing.
Brookings Doha Center (2014). Profiling the Islamic State.
10
LEVITT, M. (2014). Terrorist Financing and the Islamic State.
11
Ibid.6.
12
BRISARD, J.-C., & Damien, M. (2014). Islamic State: The Economy-Based Terrorist Funding;
13
BRISARD, J.-C., & Damien, M. (2014). Islamic State: The Economy-Based Terrorist Funding.
8
9
10
L’EI dispose de ressources considérables, mais leur exploitation est conditionnée à la
conservation de l’appareil productif et des réseaux d’exportations. Les revenus cumulés de
l’organisation peuvent être estimés à 2,9 milliards d’euros annuels. Ce financement est issu à
75 % de l’exploitation des matières premières dans les territoires occupés. Le maintien de
cette exploitation est tributaire de la présence d’une main d’œuvre formée et d’un constant
entretien des structures d’extraction. Ces installations constituent des cibles faciles pour les
bombardements de la coalition internationale. L’écoulement de ces matières premières ne
peut se faire qu’à travers les régions limitrophes du territoire de l’État islamique, la plupart
contrôlées par des autorités farouchement opposées à l’expansion de l’organisation.
E.
Alliances
Les accords passés entre l’EI et d’autres entités permettent de comprendre la genèse de
l’organisation et son succès fulgurant. Constitué à partir de l’alliance d’un ensemble de
groupes islamistes sunnites autour de l’organisation Al-Qaeda en Irak, l’EI a largement
bénéficié du sentiment de frustration des sunnites d’Irak face aux actions du gouvernement
pro-chiite de Nouri al-Maliki 14. L’organisation a ainsi bénéficié du soutien d’une partie des
tribus sunnites du nord-est de l’Irak et d’anciens membres du parti Baas de Saddam Hussein.
Ces derniers, nostalgiques du contrôle sunnite de l’Irak sous l’ancien dictateur, constituent
un important vivier d’experts militaires dans lequel puise l’État islamique.
La capacité de l’EI à contrôler le territoire sunnite d’Irak et de Syrie dépend de ces alliances
avec les groupes armées locaux. Ainsi le soutien de l’Armée des hommes de la
Naqshbandiyya d’obédience bassiste dirigé par l’ancien vice-président de Sadam Hussein,
Ezzat Ibrahim Al-Duri s’est avéré crucial dans la prise de Mossoul. Néanmoins ces alliances
de circonstances sont fragiles comme en témoignent les nombreux heurts qui opposent l’EI à
certaines tribus sunnites de la province d’al-Anbar. Un soulèvement d’une fraction
importante de la population sunnite contre l’EI briserait sa légitimité à conduire la lutte au
nom de ce courant religieux face au chiisme.
Depuis la proclamation de l’État islamique plusieurs organisations islamistes ont exprimé
leur soutien ou leur allégeance à l’EI. Ces déclarations, motivées par l’extrême médiatisation
de l’État islamique suite à ses victoires syriennes et irakiennes s’accompagnent rarement
d’une aide effective à l’EI sur le terrain. Un affaiblissement de l’État islamique pourrait
conduire ses organisations à reporter leur allégeance vers Al-Qaeda, seule organisation à
avoir incarné le visage du djihadisme à l’échelle mondiale.
L’EI a bénéficié d’une complaisance variable de plusieurs structures et États de la région.
Ainsi la Turquie, bien qu’allié des États Unis et membre de l’OTAN a refusé de participer aux
bombardements contre les positions de l’EI et constitue la voie de passage privilégiée pour
les combattants étrangers souhaitant rejoindre les rangs de l’État islamique. En outre une
part importante des exportations de matières premières de l’EI se font à travers ses
frontières. Ce soutien indirect peut s’expliquer par la lutte de l’EI contre les combattants
Kurdes ainsi que la pression de l’opinion publique turque. Ainsi 37,5 % 15 des sympathisants
de l’AKP, le parti de l‘actuel président turque Recep Tayyip Erdoğan, ne considèrent pas l’EI
comme une organisation terroriste.
FLICHY DE LA NEUVILLE, T., & HANNE, O. (2014). L’État islamique, Anatomie du nouveau Califat. Bernard
Giovanangeli Editeur.
15
BARNES-DACEY, J., GERANMAYEH, E., & LEVY, D. (2015). The Islamic State Through The Regional Lens.
14
11
Au début de son engagement dans le conflit syrien l’État islamique a de plus directement
bénéficié du financement et de l’équipement réuni par l’Arabie Saoudite et le Qatar.
D’autres pays, notamment les États-Unis, ont financé des groupes de rebelles identifiés
comme « modérés ». Il est possible qu’une partie de cette aide ait pu être récupérée par l’EI.
Néanmoins le poids acquis par l’EI et sa volonté hégémonique ont obligé ces pays à
rapidement prendre leur distance puis à participer activement à la lutte contre
l’organisation.
Réalisation de l’auteur, Sources : globalterrorwatch.ch
II.
La stratégie de communication de l’État islamique
A.
A destination des populations locales
12
Alors que la plupart des combattants d’Al-Qaëda ont fait leurs premières armes en
Afghanistan pendant la guerre froide, les ddjihadistes qui soutiennent et rejoignent l’État
Islamique ont un tout autre profil, à tel point que l’on peut parler de gap générationnel entre
les membres des deux groupes. En effet, les supporters de l’État islamique ont pour
référentiel l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Certains (plusieurs milliers selon Romain
Caillet, chercheur spécialisé sur les mouvements ddjihadistes) 16 ont combattu sous les
ordres d’al Zarqawi, fondateur du mouvement l’Unicité et le Djihâd dans les années 1990,
avant que ce dernier ne devienne l’État Islamique en Irak. Ils sont beaucoup plus jeunes et
appartiennent à la génération des digital natives : ils ont grandi avec l’informatique et
Internet et maîtrisent naturellement la communication 2.0, ce qui explique l’efficacité de la
communication du groupe.
L’ascension fulgurante de l’EI entre 2013 et 2014 ne peut s’expliquer sans tenir compte de
l’importance de l’aura diffusée par le groupe. En effet, une fois les territoires conquis, l’État
islamique a su les tenir, ce qui signifie aussi tenir la population. Les ddjihadistes, qui sont
entre 40 000 et 55 000 selon les estimations, contrôlent désormais un territoire aussi grand
que la moitié de la France, sur lequel vivent plus de 10 millions de personnes. Ainsi, l’État
Islamique ne pourrait perdurer sans le soutien d’une partie de la population. Trois axes
semblent pouvoir expliquer ce soutien ou cet assentiment : l’aura symbolique que
représente la restauration du califat, qui renvoie à un âge perçu par certains musulmans
comme l’âge d’or de l’Islam, l’efficacité apparente de cet État islamique, plus fonctionnel
que l’État irakien corrompu mis en place par les Américains, et la terreur inspirée par
l’anéantissement de toute forme d’opposition.
1.
Le retour au califat, symbole d’un âge d’or
Le califat a été officiellement aboli en 1924 suite à la disparition de l’Empire Ottoman et à
l’abdication d’Abdülmecid II, 101ème et dernier calife officiel. Toutefois, le califat proclamé
par l’État Islamique renvoie à celui de la dynastie des Abbassides, qui a régné de 750 jusqu’à
la prise de Bagdad en 1258. 17 En effet, par sa piété et son exercice de la sharî’a – la loi
islamique – cette dynastie a su porter l’empire islamique à son apogée. Plus tard, l’Empire
Ottoman a tenté de s’approprier le titre mais les arrangements opérés se sont fortement
éloignés de la pureté religieuse et de la grandeur des Abbassides. En faisant référence à cet
idéal collectif et à ce passé glorieux, l’État islamique s’appuie donc sur des éléments qui
d’une part sont connus de tous, et d’autre part lui confèrent une légitimité à la fois
historique et symbolique. Les références à cet âge d’or vont bien au-delà de la simple
restauration « déclarative » du califat suite à la prise de Mossoul en juillet 2014. Comme
l’expliquent Olivier Hanne et Thomas Flichy de la Neuville dans l’État Islamique, Anatomie du
nouveau Califat, c’est un « programme d’action politique ». 18
Abû Bakr al Baghdadi n’a pas choisi son nom par hasard : il fait référence à Abû Bakr,
premier calife à avoir succédé au prophète Muhammad après sa mort. Le discours qu’il a
prononcé lors de son intronisation est calqué sur celui du premier calife :
« Allah a soutenu [vos frères] et leur a donné le califat pour réaliser leur objectif, alors ils se
sont empressés de proclamer le califat et de nommer un îmam. Et ceci est une obligation
pour les musulmans, une obligation qui a été délaissée très longtemps… J’ai été désigné
pour vous diriger, mais je ne suis pas meilleur que vous. Si vous voyez que j’ai raison, alors
Reportage Arte.
Hanne & Flichy de la Neuville (2014), p.51.
18
Ibid.
16
17
13
soutenez-moi, et si vous voyez que j’ai tort, alors conseillez-moi et remettez-moi sur le droit
chemin. » 19
Ainsi, al Baghdadi se présente comme un arbitre, chargé de guider les musulmans et de faire
appliquer la sharî’a, et non comme un dictateur ou un monarque absolu. Il tient son pouvoir
d’Allah mais n’est que son serviteur et par conséquent se présente comme humble. Sa
communication personnelle est donc très efficace, signe d’un travail et d’une maîtrise total
du discours. Il ne fait que peu d’apparitions pour préserver son image mystérieuse et
s’entourer d’une aura quasi-divine, tous comme les Abbassides n’apparaissaient que peu en
public. 20 Cela lui permet également de rester suffisamment discret pour ne pas être ciblé par
une attaque de drone américain. De son vrai nom Ibrâhîm Awwad Ibrâhîm ‘Alî al-Badri, il est
né en Irak en 1971, ce qui est un des rares éléments de sa biographie à ne pas être remis en
doute. En effet, afin de légitimer son ascension au califat, il s’est réclamé de la tribu des
Quraysh, tribu de La Mecque du prophète, dont les membres sont les seuls à pouvoir
légitimement accéder au califat. 21 De même, il est difficile de confirmer son parcours
religieux et ses années d’études en sciences islamiques, un attribut nécessaire à sa position
d’autorité du monde islamique. Pour apparaître comme une référence de l’Islam pouvant
légitimement établir des fatwa, il fallait au calife Ibrâhîm une certaine origine qu’il s’est
logiquement attribuée. Cela ne veut pas pour autant dire que l’autorité religieuse du
personnage est entièrement usurpée : al Baghdadi demeure un érudit qui maîtrise
parfaitement la symbolique et sait l’utiliser pour assoir son pouvoir et s’assurer le respect de
ses fidèles.
Le drapeau de l’État islamique fait également référence à l’âge d’or des Abbassides. Tout
comme les vêtements portés par al Baghdadi lors de ses apparitions publiques, le noir du
drapeau renvoie à la couleur de ceux des califes abbassides. Le cercle fait référence au sceau
du prophète, tandis que le blanc est un symbole de piété. L’aspect le plus symbolique
demeure probablement la police d’écriture, calquée sur celle des premiers Corans du
VIIIème siècle. 22 Enfin, la phrase « il n’y a de dieu que Dieu » est également un symbole de
piété et d’intransigeance à l’égard de tous ceux qui ont pris des libertés et de la souplesse
par rapport aux écritures originelles (les occidentaux autant que les musulmans chiites, ou
les yézidis, considérés comme des adorateurs de Satan). Tous ces éléments contribuent à
l’image que l’État islamique souhaite incarner, celle du groupe qui a permis le rétablissement
du califat et qui se veut le cœur du monde islamique. Mais au-delà de cet aspect symbolique
et religieux, l’État islamique tente de remporter l’adhésion des populations qu’il conquiert
en se présentant avant tout comme un État fonctionnel.
2.
Stratégie d’adhésion : l’État islamique, un « État » fonctionnel
Contrôlant un territoire sur lequel vivent plus de dix millions de personnes, l’EI ne pourrait
prospérer sans le soutien d’une partie au moins de ces populations. Les raisons derrière
cette adhésion sont multiples : certains y voient un retour du bâton de la politique
américaine à l’égard du Moyen-Orient ces dernières années, qui a sans aucun doute
contribué au succès que l’État islamique rencontre aujourd’hui. La politique de Nouri al
Maliki, ancien Premier Ministre iraquien mis en place par les Américains, est sans doute
responsable du mécontentement d’une grande partie des populations locales, à tel point
que certains en sont venus à regretter Saddam Hussein. Al Maliki, chiite de confession, a en
http://www.youtube.com/watch?v=2oiKPnrDEZU.
Hanne & Flichy de la Neuville (2014), p.56.
21
Ibid. p.57.
22
Ibid. P.164.
19
20
14
effet écarté les sunnites et les baasistes du pouvoir, alors qu’il avait promis une meilleure
répartition des charges, ce qui a conduit à radicaliser nombre d’entre eux qui se sont par la
suite retrouvés dans l’armée de l’État islamique. Tous les éléments initiaux était donc déjà
présents : l’Irak était un État qui ne fonctionnait plus depuis 2003, tandis que la situation en
Syrie constituait un terreau parfait pour le terrorisme, dès lors que ces groupes s’opposaient
à Bachar al Assad, et ce quelques soient leurs motifs ultérieurs. Sur tous ces territoires
ravagés par les conflits, l’émergence de l’État islamique et la consolidation de ses positions
ont pu apparaître comme des éléments de stabilisation pour une population qui a souvent
fait figure de victime collatérale ou de bouclier.
L’État islamique a donc orienté une grande partie de sa communication sur la vie au sein de
l’État islamique, le but affiché étant de se présenter comme un État réellement fonctionnel,
et finalement plus juste que la corruption incarnée par les politiciens qui ont précédé le
calife. On remarque une différence frappante entre l’agressivité des combats qui se
déroulent aux frontières de l’État islamique et l’image relativement paisible de la vie entre
ses murs. L’EI a créé en mai dernier son propre organe de presse : al Hayat Media Centre, 23
qui diffuse plusieurs magazines à destination des populations locales et extérieures. The
Islamic State Report, en langue anglaise, est un très bon exemple de cette dichotomie entre
guerre et paix évoqué précédemment : on y retrouve aussi bien des articles glorifiant le
succès de l’État islamique au combat que des articles de société. Le numéro 2 consacrait
notamment un article au zakah, une aumône à destination des plus démunis, qui constitue
le troisième pilier de l’Islam et une obligation de la sharî’a. 24 Dans la tradition musulmane,
c’est l’État qui est chargé de collecter ce zakah et de le redistribuer aux plus pauvres. Dans
les territoires conquis par État islamique, les autorités de l’EI récoltent directement cette
aumône et s’acquittent de cette tâche. L’article insiste également sur l’aide fournie par l’État
islamique aux fermiers et agriculteurs pour faciliter leurs récoltes, ainsi que sur les mesures
de justice sociale entreprises pour faciliter la vie des plus démunis, dont l’État islamique se
place comme protecteur. L’article est également illustré par de nombreuses images de
champs à perte de vue, qui renvoie à une image de prospérité sous l’État islamique plus
importante que ce que le pays a pu connaître précédemment.
Cet idéal de paix et de justice sociale constitue un élément central de la propagande de État
islamique. Une taxe de 10$ par mois est demandée à toutes les populations des territoires
occupés, une participation à l’effort collectif, mais certains commerçants estiment que la
somme à payer est nettement inférieure à ce qu’il fallait verser aux autorités corrompues du
gouvernement d’al Maliki. 25 Interrogés par des journalistes d’Arte qui se sont rendus en Irak,
des habitants ont également affirmé que la vie sous l’État islamique n’était pas vraiment
différente d’avant, et que le conflit religieux ou politique ne les concernait pas
directement. 26 Et pour cause, l’EI a conscience de la nécessité du soutien ou du moins de la
passivité des populations locales, et fait en sorte de limiter le plus possible l’impact de leur
présence sur la vie quotidienne. Ainsi, lors de son dernier discours pour le Ramadan, al
Baghdadi avait appelé tous les candidats ayant une expérience utile au maintien des services
publics tels que la distribution d’eau et d’électricité à rejoindre son administration : « Je fais
un appel particulier aux professeurs, aux juristes, et surtout aux juges, à tous ceux qui ont
Le Figaro, 23 décembre 2014, « L’État islamique lance un magazine en français ».
The Islamic State Report, issue 2, al Hayat Media Center.
25
Reportage Arte.
26
Ibid.
23
24
15
une expérience militaire, administrative, aux médecins et aux ingénieurs dans leurs
différents champs de spécialisation ». 27
L’État islamique donne l’illusion d’un État fonctionnel. Il est doté d’une armée. Il assure la
sécurité des citoyens en patrouillant dans les rues, en contrôlant la circulation, en mettant
en place une police de proximité vêtue en uniforme de police pour assoir sa légitimité
auprès de la population comme représentant de l’ordre. Il fait appliquer la sharî’a islamique
qui a remplacé la loi sur l’ensemble de son territoire, établissant des tribunaux islamiques
pour juger et sanctionner les populations locales selon la loi du talion. Toujours en
application de la sharî’a, les terroristes de l’EI marquent les habitations des chrétiens après
avoir conquis un nouveau territoire et leur laissent un choix : la conversion, l’exile ou la
mort. Ils sont en revanche beaucoup moins cléments à l’égard des Yézidis, qu’ils exécutent
systématiquement. L’alcool est interdit, conformément à la loi islamique. Pour apparaître
concrètement comme les autorités légitimes qui administrent leur territoire, État islamique
remet une facture portant le logo du groupe aux habitants en percevant les taxes. Tout est
fait pour que les populations locales aient l’impression de vivre normalement comme suite à
un coup d’État classique. Le choix des autorités politiques iraquiennes contribuent par
ailleurs à rendre cette continuité de la vie dans l’État islamique possible. En effet, afin de ne
pas contribuer à radicaliser les populations vivant dans le territoire de l’EI, les salaires sont
toujours versés aux employés du secteur public. 28 Par conséquent, l’État islamique n’a
même pas besoin de les rémunérer et la vie continue comme si aucun bouleversement
majeur n’avait eu lieu.
Au-delà de la recherche d’un fonctionnement étatique, la communication d’adhésion mise
en place par l’État islamique passe par l’efficacité de sa propagande et sa maîtrise de l’image
et des technologies modernes de l’information et de la communication. Depuis une
quinzaine d’années, il a été possible d’observer l’importance pour les groupes affiliés à AlQaëda de légitimer leur existence et leurs déclarations par le sceau d’Al-Qaëda , ce qui se
retrouvait notamment dans les liens très étroits entretenus entre les nombreux sites officiels
et organes de production de ces différents groupes, qui passaient tous par le « branding »
officiel de plusieurs organismes permettant « d’authentifier » les sources. 29 L’EI s’est inspiré
de ce modèle dès 2007, alors qu’il était encore l’État Islamique en Irak et qu’il représentait la
branche locale d’Al-Qaëda , en se dotant de son propre organe de production vidéo : AlFurqan Media Production. 30 Les combattants sont généralement directement équipés de
caméra GoPro ou similaires. Chaque bataille, chaque élément de la vie quotidienne est
archivé par État islamique, qui peut par la suite choisir dans une banque d’archives
colossales les images les plus adaptées à transmettre le message souhaité. La plupart des
membres de l’EI sont des digital natives, ce qui se ressent dans le montage des clips de
propagande du groupe : des vidéos souvent à la première personne, qui font passer le conflit
pour un jeu vidéo, accompagnées d’une bande-son et de musiques hollywoodiennes. Ces
messages s’adressent avant tout aux jeunes, qui sont les plus réceptifs à ces images, et qui
demeurent une cible prioritaire pour l’État islamique, y compris au niveau local : dans la
mesure où l’EI pense s’inscrire sur la durée, ce sont ces futures générations qui vont grandir
dans cet État islamique et qui constitueront son premier soutien de demain. Sur certaines
vidéos, on peut voir des membres de l’État islamique distribuer des jouets aux enfants, dans
Hanne & Flichy de la Neuville (2014), p.92.
Entretien personnel avec les auteurs du reportage d’Arte.
29
Kimmage (2008).
30
Ibid. p.79.
27
28
16
le but de remporter ainsi l’adhésion des plus jeunes. 31 L’État islamique maîtrise bien les
codes de la communication d’aujourd’hui et la recette du buzz. Il est parvenu à se créer une
« tagphrase » connue par tous les habitants de son État, mais également par des jeunes à
l’autre bout de la planète. A chaque victoire militaire, l’EI célébrait sa victoire en criant
« barî’a », ce qui signifie « restera », sous-entendu l’État islamique a triomphé et demeurera.
Le succès phénoménal de cette simple phrase, chez les jeunes en particulier, est interprété
par Romain Caillet, chercheur spécialiste des questions islamistes, comme une victoire qui
témoigne de capacités en termes de communication bien supérieures à tout ce qu’Al-Qaëda
a pu faire par le passé. 32
Si la stratégie de communication interne est relativement centralisée et fonctionne sur un
modèle décisionnel top down, l’État islamique laisse tout de même une grande liberté
d’action à tous ses membres (du moins, jusqu’à récemment). 33 La seule obligation qui leur
est faite avant la diffusion de contenu est d’insérer le logo du groupe. C’est ainsi que de très
nombreuses vidéos sont apparues sur internet, alimentant la machine de propagande du
groupe (mais contenant également de nombreuses métadonnées utilisées par la suite par
les forces de la coalition). Il en est de même pour les réseaux sociaux, qui contribuent
fortement à l’image du groupe, et notamment Twitter. Une analyse de nombreux tweets
envoyés par des supporters de l’État islamique montre que les twittos les plus assidus,
capables d’envoyer plus de 150 tweets par jour, sont des locaux. Entre 500 et 2000 comptes
twitter « hyperactifs » ont ainsi été repérés. 34 Si les comptes officiels de l’État islamique ont
été plus ou moins fermés par Twitter ces derniers mois, le groupe a une fois de plus montré
son efficacité stratégique sur le plan de la communication en trouvant un moyen de
contourner cette censure : certains éléments du groupe se créent des comptes individuels
qu’ils utilisent pour diffuser les sources primaires fournies par la hiérarchie, qui sont très vite
reprises par leurs « followers » et disséminées à très grande échelle. Si ces comptes sont
supprimés, ils en créent de nouveau. Les capacités du groupe en termes de propagande sont
ainsi inégalées : lors de la prise de Mossoul, plus de 40000 tweets ont été envoyés en une
journée par Al-Furqan Media Production. 35 Ce rythme effréné, rendu possible par le travail
des mujtahidun (nom donné aux twittos prolifiques locaux qui supportent l’EI), a un
avantage considérable en termes de visibilité : il améliore le référencement et permet ainsi
aux mots-clés liés à l’État islamique d’apparaître en priorité dans les résultats de
recherche. 36
3.
Stratégie de la terreur et anéantissement de l’opposition
Lorsque la stratégie d’adhésion ne fonctionne pas, l’État islamique utilise un autre mode de
communication : la terreur. Car les images chocs diffusées par le groupe ne s’adressent pas
qu’aux occidentaux. En effet, avant d’appeler aux meurtres d’occidentaux, le combat de
l’État islamique était avant tout territorial (et il le demeure en grande partie). Par
conséquent, l’EI est passé maître dans l’art de la guerre informationnelle, en particulier
contre les ennemis qu’il affronte physiquement sur le terrain. L’usage de la terreur afin de
rompre le moral de l’adversaire lui permet non seulement de mettre les forces armées en
Reportage Arte.
Ibid.
33
Voir Zerrouky Madjid, « Le changement de stratégie de l’EI sur Internet », Le Monde, 27/11/2014.
34
Berger & Morgan (2015), p.3.
35
Hanne & Flichy de la Neuville (2014), p.79.
36
Berger & Morgan (2015), p.29.
31
32
17
déroute, mais également de les ridiculiser et de réduire leur crédibilité, ce qui permet de
limiter toute velléité de soulèvement populaire.
Olivier Hanne et Thomas Flichy de la Neuville évoquent dans leur ouvrage l’exemple de la
prise de Mossoul.
Le 10 juin 2014, l’armée et la police irakienne désertent leurs positions de combat,
abandonnant ainsi la deuxième ville du pays aux combattants de l’État islamique, après
quatre jours d’affrontements. Les soldats de l’État islamique avaient accompagné et précédé
leurs opérations de la diffusion par moyens multimédias de vidéos montrant le sort réservé à
leurs prisonniers en Syrie et en Irak. On pouvait y voir des soldats humiliés, dévêtus,
marchant dans le désert, exécutés sommairement en grand nombre. Leurs dépouilles,
souillées, outragées étaient ensuite exhibées comme trophées. Certaines étaient même
fixées sur le capot de pick-up entrant dans les villages, reproduisant en cela des atrocités
vues pendant la seconde guerre mondiale (cas, par exemple, des cadavres de maquisards
fixés sur les véhicules de tête du bataillon de reconnaissance de la division « Das Reich » lors
de sa progression entre Tulle et Brive, 1944).
Devant ces atrocités, les soldats et policiers, démoralisés, incertains du soutien de l’État ont
préféré abandonner leurs armes et fuir leurs positions, préférant sauver leur vie à leur
honneur de combattants. Cela met également en lumière leur attachement moindre à l’État
irakien que celui des combattants djihadistes à l’EI, prêts à mourir « en martyrs » pour celuici.
L’EI mène par ailleurs une guerre confessionnelle et ethnique : les principaux ennemis de l’EI
sont les chiites, les yézidis et les kurdes, qui sont tous exterminés à la moindre occasion, ou
vendus comme esclaves. 37 Al Baghdadi règne en faisant de son intransigeance un symbole
de pureté religieuse qui légitime sa position. Les exactions à l’encontre de la population sont
donc quotidiennes, mais justifiées par des arguments religieux. Ainsi, en février 2015, un
homme a été lapidé par une foule après avoir été jeté d’une tour par des troupes de l’EI qui
l’accusait d’avoir eu des relations homosexuelles. 38 Lorsqu’un enfant se moque du prophète,
il est exécuté devant ses parents. 39 Les crucifixions d’opposants sont nombreuses : elles
s’inscrivent même dans la stratégie générale de l’EI. Selon des témoignages recueillis par des
journalistes d’Arte, lorsque les terroristes de l’État islamique arrivent dans un nouveau
territoire, ils se renseignent sur les habitants de chaque maison, les notables, les chrétiens,
etc. Ils tentent de rallier à leur cause les notables par des pots de vin afin que ceux-ci leurs
servent de levier d’influence, et choisissent une vingtaine de personnes qui seront crucifiés
et exécutés à la vue de tous, selon des motifs religieux quelconques servant essentiellement
de prétextes. 40 Ces exécutions publiques permettent ainsi de gagner soi l’adhésion de la
population (les tensions confessionnelles et ethniques étant largement préexistantes aux
succès de l’EI), soi sa crainte, et de maintenir ainsi un calme relatif.
Le règne par la terreur mis en place par l’État islamique est une des différences doctrinales
qui l’ont toujours opposé à Al-Qaëda . Ainsi, al Zarqawi, fondateur du groupe qui est
aujourd’hui devenu État islamique, est le premier à avoir filmé et diffusé sur Internet la
décapitation d’un otage occidental, Nicholas Berg, en mai 2004. 41 Cela lui a valu les
Reportage Arte
Atlantico, 5 février 2015, « État islamique : l’horrible vidéo qui montre un homme homosexuel se faire
lapider après avoir été jeté du haut d’une tour ».
39
Hanne & Flichy de la Neuville (2014), p.56.
40
Reportage Arte.
41
Conway (2012), p.5.
37
38
18
reproches d’Ayman al Zawahiri, alors numéro 2 d’Al-Qaëda, pour qui cette action risquait
d’aliéner une partie des musulmans sur lesquels ils pourraient s’appuyer : en un mot,
Zarqawi allait trop loin dans l’horreur et dans sa mise en scène. 42 C’est pourtant un choix
assumé, qui semble pour l’instant faire mentir tous les analystes occidentaux pour qui cette
stratégie devrait se retourner contre le groupe à moyen terme. Mais tout comme la
réputation d’Al-Qaëda a conduit de nombreux groupes à chercher son approbation et à
s’imprégner de son savoir-faire, l’EI domine aujourd’hui le champ de la communication et
ses compétences et capacités sont enviées par tous, y compris Al-Qaëda . C’est ainsi que si le
ralliement récent de Boko Haram à l’État islamique a pu en surprendre certains, de
nombreux éléments semblent indiquer un rapprochement antérieur, et notamment un
élément essentiel : la communication de Boko Haram a récemment progressé en efficacité,
probablement grâce aux conseils de l’EI.
Ainsi, le soutien d’une partie des populations locales à l’État islamique peut s’expliquer par
sa maîtrise redoutable des moyens de communications et du web 2.0. Entre symbolisme,
adhésion et terreur, l’EI s’assure de récompenser ses supporters et de punir ou contraindre
au silence ses opposants. Le contexte géopolitique local explique également l’existence
préalable de tensions importantes, sur lesquelles les terroristes ont pu s’appuyer. Toutefois,
l’un des principaux succès de l’EI est matérialisé par le ralliement de nombreux étrangers,
qui viennent de partout et notamment d’Occident pour se battre en Syrie et rejoindre les
rangs de l’État islamique. Comment expliquer l’efficacité de cette communication externe ?
B.
La stratégie de communication externe de l’Etat islamique
L’État Islamique a mis en place une stratégie de communication « extérieure » (qui s’adresse
à des acteurs absents de son territoire) sur deux axes principaux.
Chacun de ces axes cible un acteur différent. Fort logiquement ils reposent sur des thèmes
différents, et utilisent des canaux de diffusion différents.
Les points forts de cette stratégie sont une maîtrise parfaite tant des messages à délivrer
que des communications à mettre en œuvre pour atteindre les cibles visées. Cette efficacité
est héritée d’Al-Qaëda et Oussama Ben Laden 43, et s’inspire aussi d’autres exemples plus
anciens.
1.
Une guerre informationnelle contre les pays de « l’axe anti-État islamique » et la
« Communauté Internationale » : la communication de l’horreur.
Ici, le but est de s’opposer aux gouvernants des pays qui tentent de fédérer les énergies
dans une coalition contre l’État Islamique tout autant que de démontrer aux populations
de ces pays que ce combat est voué à l’échec. Les populations « occidentales » perdraient
donc confiance en leurs gouvernements et refuseraient d’apporter leur soutien à cette
campagne.
La lutte se situe clairement au niveau des valeurs.
Dans les sociétés occidentales, la mort a un poids de plus en plus difficile à supporter.
42
43
Ayman al Zawahiri (2005), “Letter to Abou Moussab al Zarqawi”.
Olivier Hanne, Thomas Flichy dela Neuville, « L’état islamique, anatomie du nouveau califat ».
19
Or, en attaquant sur le front des images de mort violente, en particulier d’otages
occidentaux, qui plus est considérés comme des personnes non belliqueuses et animées de
bonnes intentions, les combattants islamistes cherchent à montrer clairement le peu de prix
accordé à la vie des « Kufar ».
Ces otages étaient membres d’ONG, d’une part, avec la mission d’apporter aux populations
victimes de guerre des soutiens tant matériels que psychologiques, et journalistes, d’autre
part, pour informer le monde de la « réalité » de la guerre en Syrie et Irak.
Ces deux types de victimes vont particulièrement heurter la sensibilité des populations
occidentales.
En effet, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la plupart des grands pays
industrialisés vivent une période de paix et prospérité prolongée. Cette sensation de sécurité
grandissante s’était bien grandement accélérée avec la fin de la guerre froide, jusqu’aux
attentats du 11 septembre 2001. Quelques conflits avaient eu lieu, notamment les épisodes
de « décolonisation », mais sans toucher les territoires nationaux. Les attentes sont donc
passées de la protection à l’assistance, notamment chez les plus défavorisés. Les ONG se
sont ainsi particulièrement développées dans las années 1980, symbolisant le désir
d’assistance aux plus pauvres et la bonté. Le changement de perception du climat de
sécurité postérieur aux attentats du 11 septembre 2001 a renforcé encore ce capital
sympathie pour ces humanitaires qui s’engagent dans des situations très tendues. S’en
prendre à eux est donc un acte extrêmement violent et d’une cruauté qui dépasse le seuil de
ce qui est tolérable pour les sociétés occidentales.
Les assassinats de journalistes sont tout autant symboliques et traumatisants pour nos
sociétés que ceux d’humanitaires. Car, eux aussi symbolisent l’évolution « pacifiée » de nos
sociétés. La presse est libre de travailler et la liberté d’expression gagne du terrain. C’est
précisément ce à quoi veulent s’attaquer les salafistes. Dans leur démarche, les prédicateurs
salafistes adoptent des moyens proches de ceux qu’avaient utilisés avant eux, notamment
les nazis. Aref Ali Nayed note que les ressorts psychologiques et rhétoriques des leaders et
fondateurs de la pensées salafistes sont étrangement similaires aux méthodes fascistes et
nazies 44. Eux seul sont dépositaires de la vérité. Ce qui a pu être dit et écrit précédemment,
de même que ce qui l’est actuellement, et qui est en dissonance n’est que pur mensonge et
propagande contre LA vérité. Reprenant et déformant l’Histoire, ils sont les seuls à pouvoir
incarner ici bas le Calife et dieu lui-même. Hier, selon les mêmes argumentaires, les chefs
nazis se prétendaient seuls fondés à représenter et incarner l’État, seule vérité absolue. Dieu
est réduit à une volonté. Celle-ci guide le Djihad, cette lutte que chacun doit mener pour que
la volonté de Dieu s’impose tout à la fois en chacun des hommes mais aussi comme mode de
gouvernance de la société.
Evidemment, les journalistes sont donc des cibles prioritaires dans ce cadre, car
personnifiant la parole libre et indépendante en complète opposition avec cette détention
de LA vérité.
Le troisième élément qui vient heurter de plein fouet les sociétés occidentales dans le cœur
de leurs valeurs et références est la destruction systématique et médiatisée des richesses
culturelles historiques et archéologiques, comme le musée de Mossoul.
En se livrant à ce saccage et le filmant, l’État islamique s’assure une couverture médiatique
énorme, cet acte heurtant nos consciences occidentales. Il s’agit ici de l’application du
phénomène de dissonance cognitive. Cette destruction n’a aucun intérêt stratégique, mais
44
Aref Ali Nayed, “Isis in Lybia winning the propaganda war”, Kalam research and medias.
20
elle place les sociétés occidentales en état de dégout, entretenant un climat de terreur, et
d’inconfort cognitif. Faisant cela, l’État islamique met en application le phénomène
d’ «adhésion émergentiste ».
Selon Yannick Bressan, «Le principe d’adhésion émergentiste est le moment où un individu va
adhérer à une réalité construite de toutes pièces au point que sa réalité quotidienne va
s’effacer au profit de la réalité émergente. (…) le sujet est amené à se repositionner face à sa
réalité quotidienne, suite à une «dissonance cognitive», afin d’en faire émerger une autre qui
pourra totalement ou en partie se substituer à la première. L’«individu dissonant» trouvera
ainsi, dans la réalité émergente qui a été construite à cet effet et qui lui est proposée, une
forme de (ré)confort dont l’esprit humain a besoin pour fonctionner correctement.(…) Ces
violences entretiennent un climat de terreur, de violence et d’inconfort cognitif de la planète
» 45.
Les propagandistes de l’État islamique utilisent donc de manière puissante les moyens de
manipulation sociale pour créer une forte distanciation des populations occidentales des
éventuelles intentions guerrières de leurs gouvernants contre le « califat ».
Car, les gouvernants sont également visés par cette communication de l’horreur.
Les éléments de communication seront alors à la fois axés sur les difficultés des opérations
militaires à mener et sur le niveau de violence.
Concernant la difficulté des opérations militaires, l’accent est mis sur la maîtrise parfaite du
terrain et des techniques de combat en zone urbaine. La meilleure des préparations
n’empêcherait pas le caractère inéluctable de pertes de soldats engagés au sol. Or, le
précédent de l’Afghanistan a bien montré à quel point les populations sont pour la plupart
peu enclines à supporter le poids de telles pertes, y compris chez des soldats professionnels.
Les États-Unis et l’Angleterre, pourtant durement frappés sur leur sol, ont vu
progressivement le soutien de la population s’effriter. Quant à la France, l’embuscade
d’Uzbeen a créé un véritable traumatisme national. Et aux Pays-Bas, le « cas afghan » a
carrément causé la perte du gouvernement, conduit à la démission début 2010. La structure
même de la démocratie, qui conduit les élus à rythmer leurs prises de positions en fonction
du calendrier électoral à venir, les conduit inéluctablement à réfléchir plusieurs fois à tout
engagement. C’est ce qu’ont parfaitement compris les stratèges du groupe islamiste.
De plus, ils capitalisent sur cette expérience afghane en instillant le doute sur la capacité
d’armées modernes suréquipées, technologiquement très évoluées, à défaire des
combattants idéologisés. Les talibans ont été combattus plus de dix ans par une coalition
supérieure en nombre et en moyens et pourtant ils n’ont pas été éliminés. Au contraire
même, ils sont considérés comme partie incontournable à toute solution durable dans le
pays.
De plus, étant donné le caractère extrêmement violent des meurtres commis, la plupart des
populations redoutent que les soldats, y compris leurs dépouilles mortelles aient à subir des
outrages totalement insupportables à leurs morales. Là encore, le traumatisme de
l’embuscade d’Uzbeen est emblématique, avec la revendication des familles de savoir et
connaître les circonstances, de désigner des responsables, témoignant en cela du recul de la
résilience sociale de la société française. Les vidéos mises en ligne sur Youtube ou
Dailymotion, qui sont les plus faciles à trouver, répondent à cet objectif de terreur. Les
soldats syriens, pourtant considérés comme des combattants aguerris y sont montrés
Yannick BRESSANT, « La force des psyops de DAESH. Leurs méthodes analysées à l’aune du phénomène
neuropsychologique d’adhésion émergentiste : quelles perspectives de lutte ? », Centre français de recherche
du renseignement.
45
21
exécutés en grand nombre, dans des postures outrageantes. Les menaces adressées aux
soldats « occidentaux » y sont très claires.
2.
Les messages de recrutement et d’enrôlement de combattants et sympathisants
étrangers : la communication de promotion.
Il s’agit ici de montrer aux yeux de potentiels combattants et soutiens à la cause de l’État
islamique que le Califat est une réalité concrète, qui fonctionne et dans lequel ils
trouveraient une place et un rôle qui les glorifieraient.
Dans ce but, l’État Islamique utilise avec une grande dextérité et beaucoup d’efficience les
moyens de communication 2.0, en particulier Twitter, de manière semblable à ce qui a déjà
été évoqué au sujet de la stratégie de communication locale du groupe. On estime que l’État
islamique est en mesure de produire 90 000 tweets en langue française en une seule
journée. Pour cela, des « relais » sont mobilisés : des tweets sont postés de pays
francophones africains et du Maghreb, à destination claire de la France 46. Berger et Morgan,
du Brookings institute estiment qu’entre septembre et décembre 2014, de 46 000 à 70 000
comptes twitter ont été créés et ont été actifs 47.
Cette utilisation intensive des moyens de communication 2.0 est destinée à montrer aux
jeunes candidats potentiels au Djihad que l’EI maîtrise parfaitement ces réseaux. Ici, il s’agit
de montrer la « modernité » du mouvement, afin de venir battre en brèche la rhétorique de
nombreux gouvernements qui l’opposent à toute idée et valeur de modernité.
Le message qui est diffusé glorifie les combattants, mettant en scène la violence. Dans ce
cadre, on cherche à entrer en contact avec les plus fragiles des potentielles recrues,
notamment européennes. Ce sont les jeunes en situation sociale précaire, ayant eu une
enfance chaotique, et/ou souffrant de maladies psychologiques. « Quelle que soit la place
des individus sur le spectre, les recherches indiquent que les maladies mentales jouent un rôle
significatif dans le terrorisme solitaire, et la propagande ultraviolente de l'EI fournit un
niveau de stimulation inhabituellement élevé pour ceux qui pourraient être enclins à la
violence » 48. Cette démonstration a été validée par les faits à l’occasion de l’attaque
conduite à Paris les 7, 8 et 9 janvier 2015. Amedy Coulibaly, petit délinquant multirécidiviste
a alterné les périodes de difficultés d’insertion sociale avec les séjours en prison. Fragilisé,
non suivi psychologiquement, il a été une proie facile des discours de radicalisation.
D’autres moyens de diffusion sont utilisés par État islamique, tels que les journaux de la
presse écrite. Parmi eux, « Dabiq » est tiré dans différentes langues dont l’anglais pour
s’adresser aux potentiels candidats au Jihad ne maîtrisant pas l’arabe. Dans cette
publication, L’EI construit une image toute entière dédiée à la justification dogmatique,
idéologique et politique de son action, ainsi qu’une glorification multiforme de ses membres.
L’attaque perpétrée à Paris est exemplaire de cette utilisation de l’actualité aux fins de
propagande.
Les thèmes d’exploitations sont : lecture dogmatique des textes sacrés, glorification des
combattants quelque soit leur fonction et leur zone d’action, promotion des opérations
autres que militaires.
Source opérationnelle.
The Brookings project on US relations with islamic world: the ISIS twitter census;
48
Ibid.
46
47
22
Sur ce dernier point, Dabiq va ainsi mettre en valeur les actions de type social : aides à un
orphelinat, reconstruction de bâtiments publics, distribution de nourriture à la population.
Cet axe de communication vise à démontrer que l’action de l’Etat islamique permet de
ramener une vie normale dans les zones de combat dès la fin de ceux-ci. Il tente ainsi de
démontrer qu’il réussit là où l’État en place a échoué. Cet argument permet d’élargir le
recrutement vers des jeunes qui n’auraient sans doute pas rejoint les zones de combat, mais
s’enrôlent pour des missions « humanitaires » donc nobles. Cependant, il s’agit aussi là
d’une faille dans le discours de l’EI, car le bilan est moins flatteur : dans la province de
Mossoul, l’adduction d’eau n’est plus systématiquement assurée, les magasins pas
régulièrement achalandés.
Concernant les aspects opérationnels et dogmatiques, Dabiq n°7 a une teneur particulière
car il exploite les attentats à Paris de janvier 2015. De longs développements expliquent le
bien-fondé de ses actions et dresse un portrait de « collaborateurs » de la part des
responsable musulmans de France qui prônent un Islam tolérant et en accord avec les lois de
la France. A ce titre, il est emblématique tant de l’aspect lecture dogmatique des textes
sacrés que de l’organisation de la diffusion de la parole de l’EI 49. De nombreux prédicateurs y
exposent la vision de l’Islam originel de l’EI. Quant à l’aspect opérationnel, ce numéro dresse
un état des ressources et de l’emploi de celles-ci. Les « combattants » du net sont ainsi
clairement désignés comme aussi nécessaires et essentiels que les combattant sur le terrain
physique tant en Syrie/Irak qu’en Afrique du Nord et subsaharienne.
49
https://azelin.files.wordpress.com/2015/02/the-islamic-state-e2809cdc481biq-magazine-722.pdf.
23
Conclusion :
Les attentats de janvier 2015 ont obligé la France à changer de politique sécuritaire : le
déploiement de 10 000 militaires 50 français dans le cadre de l’opération Sentinelle, un plan
Vigipirate renforcé qui se traduit économiquement par une dépense d’un million d’euros
chaque jour, l’envoi contre l’État Islamique d’un plus grand nombre de forces armées.
Cependant, la réponse ne peut pas être seulement d’ordre sécuritaire. Cet aspect est bien
entendu fondamental. Il doit, pour être pleinement efficace englober les volets de police
judiciaire, de justice pénale, mais aussi d’actions ouvertement offensives et pleinement
assumées en et hors des frontières par des unités dédiées des forces armées, seules
capables de disposer des moyens techniques et humains nécessaires pour traquer les
djihadistes partout dans le monde. Car, sur cet aspect sécuritaire, c’est bien d’une réponse
centralisée, englobant tous les moyens disponibles que viendra la victoire contre le danger
islamiste radical.
Mais, la défaite à long terme de l’État Islamique ne pourra être obtenue que par une
connaissance approfondie de ce qu’il est : ses fondements, ses méthodes de recrutement,
ses cibles de recrutement, ses financements, sa rhétorique de propagande, les vecteurs et
canaux de diffusion de celle-ci, ses relais. Pour cela, tous les acteurs crédibles devront être
mis à contribution. Cette connaissance de la nature véritable de l’EI et de son danger devra
être diffusée à un large spectre de population. En effet, une prise de conscience est
nécessaire pour expliquer et convaincre de la nécessité de l’urgence d’une stratégie de lutte
contre l’EI. Celle-ci s’articulera nécessairement autour de quatre axes : prévention,
dissuasion, opérations offensives et répression.
Les mesures actuelles ont montré une certaine efficacité. Le numéro vert mis en place a
permis à de nombreux proches de candidats potentiels au Djihad d’alerter les autorités, des
cas de préparations d’actions violentes ont été déjoués. Le ministre de l’Intérieur a annoncé
la création d’un état-major opérationnel de prévention du terrorisme. Cette structure de
coordination est rattachée au cabinet du ministre et coiffe donc l’UCLAT 51 et se déclinera sur
plusieurs échelons du national au départemental 52. Les compartimentations des services
spécialisés et la difficile mutation de la DGSI ont amené le pouvoir politique à reprendre en
main le système sécuritaire étatique pour le rende plus cohérent. Au cours de la guerre
d’Algérie, les autorités avaient été amenées à créer un Bureau de Liaison pour lutter à la fois
contre les réseaux du FLN et de l’OAS. Cette expérience fut très constructive et démontra
son efficacité dans le démantèlement des structures terroristes. Une fois la mission
accomplie, le système fut démonté sans qu’on prenne el soin de tirer des enseignements
durables de cette expérience.
Le déploiement s’est fait en une journée. L’armée a dû s’adapter. Certains militaires déposés en camion sur
des sites parisiens n’avaient pas de gite lors de leur première nuit et ont dû demander un hébergement dans
des casernes de pompiers.
51
Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), rattachée au cabinet du directeur général de la police
nationale.
52
Cet état-major opérationnel coordonnera l’action antiterroriste et sera composée de représentants de la
Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), de la police judiciaire, de la sécurité publique, de la
préfecture de police de Paris et de la gendarmerie.
50
24
La création de deux structures de community managers pour contrecarrer la propagande de
l’État islamique va être un test intéressant à suivre dans les moyens utilisés et surtout les
éléments de langage utilisés car les autorités répugnent toujours à assumer publiquement le
fait de mener une lutte offensive contre l’Etat islamique. Les contradictions qui sont rendues
publiques aujourd’hui par l’amorce d’un débat politique obligent ces mêmes autorités à ne
pas se retrouver en situation de grand écart. Lorsque le député Claude Goasguen interpelle
le gouvernement en soulignant que la France arme des groupes proches d’ Al-Qaëda, il crée
une brèche importante dans le discours gouvernemental. Dans le même ordre d’idées, la
multiplication des mosquées salafistes 53 sur le territoire français est devenue une source de
danger rampant qui ne peut plus être traité avec la seule argumentation des services de
sécurité qui plaident pour leur non interdiction afin de mieux les pénétrer. Cet argument ne
tient plus dès lors que Yassin Sahli, accusé de la décapitation de son patron et de la première
tentative d’attentat suicide en Isère a été fiché par cette forme d’identification mais n’a pas
pour autant été empêché d’agir.
C’est pourtant sur cette volonté assumée que se bâtira la victoire à long terme contre État
islamique. Car, une attitude claire et ferme permettra de créer une volonté nationale et de
renforcer la résilience de la société française face à ce danger désormais fortement
prégnant.
La France est un État de Droit, dans lequel les institutions démocratiques priment sur le droit
canon, tout en respectant et assurant la liberté de culte dans le cadre de la République. C’est
nécessairement en respectant ce cadre que toute solution pourra être pérenne.
L’équipe de Knowckers.org
89 lieux de culte musulman sont déjà sous influence et 41 font l'objet d'entrisme de la part des salafistes et
des islamistes radicaux.
53
25
Annexes :
L’empire Abbasside :
54
La démographie au moyen Orient :
L’Irak est un des pays qui plus de 50% de sa population qui a moins de 21ans. Pour se
donner une idée, en France nous sommes à 25%. Selon Aron, un pays jeune est un pays qui a
plus de chance de faire la guerre
55
54
55
http://www.lesclesdumoyenorient.com/L-État-islamique-en-cartes.html.
http://pratclif.com/islamism/todd-courbage.
26
L’État Islamique : carte des principaux enjeux.
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