D-un(e)-prof-a-l-autre-Numero-83-Novembre-2015

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D-un(e)-prof-a-l-autre-Numero-83-Novembre-2015
Numéro 83 – Novembre
Novembre 2015
2015
... On
croirait qu’il neige de l’or...
François COPPÉE
Au sommaire :
Dossier Oralité (2)
p. 2
p. 5
p. 6
p. 7
Une difficulté : l'oral est évanescent...
L'oral, continent encore méconnu
Les outils de l'artisan d'oralité d'aujourd'hui
Parler et illustrer son discours : kamishibaï
p. 10
p. 12
Découvrir et dire 20 fables en 2 heures !
Débattre en FLES : les réseaux sociaux
p. 14
p. 18
p. 19
Compétence réflexive : même pas peur !
Petites annonces TFE (suite)
Lu dernièrement
D'un(e) prof ... à l'autre
La lettre du bac en français de HELMo Sainte-Croix
61, Hors-Château – 4000 Liège
Comité de rédaction : Sylvie Bougelet, Aurélie Cintori, Anne Dister, Pierre-Yves Duchâteau, Jean Kattus
Informations – abonnement – numéros précédents - index :
www.helmo.be > Formation continuée > D'un(e) prof à l'autre
Contact : [email protected]
1
Une difficulté : l'oral est évanescent...
Une difficulté méthodologique surgit lorsque l'on veut analyser l'oral en
classe, son évanescence. En effet, le message oral passe au rythme de la
parole et disparait dès qu'il est prononcé... D'où la tentative (honorable) de
nombreux professeurs, soucieux de travailler l'oral, de le fixer sur la page
blanche pour pouvoir l'étudier. Mais...
La transcription écrite ne peut refléter que très
maladroitement la réalité d'un échange oral entre deux
personnes. Et d'abord parce qu'elle n'arrive à prendre
en compte que le seul élément verbal (les mots) de la
communication. Comment en effet noter les
caractéristiques de la voix (intonation, accents
d'insistance, volume...) dans le texte lui-même ?
Comment y noter les éléments de l'image
corporelle projetée par celui qui parle (gestes,
mimiques, regards...) ? Il existe bien quelques
« béquilles » auxquelles recourir : les didascalies pour
les textes de théâtre, la ponctuation expressive (le
point d'exclamation, les points de suspension), les
émoticônes ou émojis dans les mails ou les sms, les
onomatopées, les dessins dans les bulles des bandes
dessinées, les élisions dans les paroles des chansons
(Je m' baladais, sur l'Avenue...)...
Mais la plupart du temps, à la lecture de ces transcriptions, c'est notre connaissance du type de
situation de communication en jeu qui nous permet de restituer au texte, très approximativement
d'ailleurs, quelques-unes de ses caractéristiques paraverbales (la voix de celui qui parle) et non
verbales (son image corporelle). Un exercice très intéressant consiste d'ailleurs à demander aux
élèves de se livrer au jeu de la lecture expressive accompagnée de gestes d'une transcription telle
que celle qui suit :
On dit toujours que la cigarette est mauvaise pour la santé, mais ça, on le sait, et on le dit
tellement... pardon, tellement souvent que ça n'a plus d'effet sur les jeunes, sur nous quoi. Mais je
trouve que la nouvelle campagne contre la cigarette... Quoi ?... Attends ! Je trouve que la nouvelle
campagne, surtout le slogan qui dit : « Sois gentil avec les fumeurs, ils vivront moins longtemps que
toi. » ! Ha, ha, ha !... Ben oui, c'est drôle... Je trouve ça bien. Ça peut changer les habi... les
comportements de gens, quoi, parce que ça..., ça joue sur l'humour..., sur l'ironie. Ben oui, tu
trouves pas ça drôle ? Moi oui.1
Pour compliquer le tout, l'élément verbal de l'oral spontané ne fonctionne pas non plus comme à
l'écrit... Pauses courtes ou longues, phrases incomplètes, incohérences, ruptures syntaxiques,
répétitions, retours en arrière2 et toute une série de « mots » que l'on a bien du mal à écrire (euh / ah
(ou ha ?) / ben / hum / mmmh, ...), qui remplissent diverses fonctions inexistantes à l'écrit, comme
1
2
D'après un exercice de Repères grammaticaux 3-4, Van In, 2008 (p. 13, Fiche 2 : Respecter la norme du code écrit).
Peut-on encore affirmer qu'il s'agit de phrases, dont la définition d'ailleurs ne semble convenir qu'à l'écrit puisque
« Une phrase est un assemblage de mots et/ou de groupes de mots organisés grammaticalement et ayant un sens »
(A. BRAUN et J.-F. CABILLAU, Le français pour chacun. Plantyn, 2007, p. 121) ?
2
prendre le temps de réfléchir ou attirer l'attention de l'auditeur, etc. (Bon, ben, voilà... / ... attends, ...
/ eh bien / en fait ...)3 Avez-vous déjà tenté de reproduire le plus exactement possible une
conversation animée entre deux personnes, et cela quel que soit le registre de langue qu'elles
utilisent ? Bon courage !
On confond aussi
souvent registre de
langue et code
oral, assimilant le
registre familier
au code oral. Et
pourtant, c'est la
situation de
communication
dans son ensemble
(qui parle à qui, de
quoi, dans quel
contexte, dans
quel but ?), et pas
seulement son
caractère oral, qui
guide le choix
d'un registre : un
conférencier
universitaire ne
recourra pas aux
« pô »,
« playstèche » et
autres « yes » ou
« chuis » de
Titeuf.
http://francofolies.over-blog.es/article-titeuf-20-ans-et-nouvel-album-109593952.html
Posons-nous donc la question suivante : quel est le but du professeur lorsqu'il tâche d'analyser
l'élément verbal des textes oraux ? Est-ce montrer que la langue orale est mal construite, que ce
n'est « pas bien » de parler comme ça ? Veut-il amener ses élèves à faire comme Basile, le disciple
de Léonard, c'est-à-dire à « parler comme un livre » ?
3
On a d'ailleurs attribué péjorativement à ces mots l'appellation de « scories de l'oral » lorsqu'on les retranscrit. C'est
dire si notre vision de la langue orale est conditionnée par des décennies de pensée unique : la langue (sous-entendu
la langue de qualité, la seule qui vaille la peine), c'est l'écrit...
3
Turk et De Groot, Léonard. Génie en herbe. Tome 13, Dargaud, 1990, p. 9.
On espère que non ! Par contre, il tente surement de rendre ses élèves conscients de :
1. l'importance de s'exprimer clairement à l'oral, en situation de classe. En effet, lorsqu'il répond à
une question du professeur (qui lui demande la plupart du temps de produire un énoncé explicatif,
informatif, descriptif ou argumentatif), l'élève se doit d'être le plus clair possible, car il ne s'agit pas
pendant un cours de permettre systématiquement à chaque élève du groupe qui n'aurait pas compris
immédiatement l'intervention de son camarade de lui poser une question d'explicitation : « Qu'est-ce
que tu dis ? J'ai pas bien compris.» C'est en général avant tout à l'enseignant que l'élève répond en
tâchant de produire un énoncé qui doit être aisément compréhensible pour que ses camarades
puissent en tirer profit. A noter que la disposition des tables en classe empêche élèves, la plupart du
temps, de retirer les informations non verbales du message produit par leur camarade qui répond à
la question du professeur. En effet, la disposition en rangées ne permet pas aux élèves de se voir les
4
uns les autres4...
2. l'importance d'automatiser les spécificités du code écrit5, à savoir
- une syntaxe rigoureuse6
- l'absence de redites
- le recours à un vocabulaire précis et adapté à la situation de communication (le destinataire
n'étant pas face à l'émetteur du message, l'exigence de précision est incontournable à l'écrit).
Deux objectifs absolument pertinents donc, mais limités à une forme d'oral très spécifique à la
situation scolaire, pour le premier, et visant l'amélioration de la langue écrite (et non la maitrise de
l'oral) pour le second.
Conclusion... Aujourd'hui, en 2015, à l'heure des nouvelles technologies presque omniprésentes
(elles entrent de plus en plus dans les écoles et c'est une excellente chose), l'oral n'est plus
évanescent ! L'ordinateur couplé au vidéoprojecteur et à une amplification du son permet d'écouter
le même document le nombre de fois que l'on souhaite, d'en sélectionner une partie, de mettre en
évidence les images ou la bande-son séparément, etc. On ne doit donc plus se contenter des ersatz
d'oral du siècle passé, les transcriptions maladroites et incomplètes d'énoncés qui ne se laissaient
pas enfermer dans des lettres posées sur du papier : toutes les catégories d'oral, du plus formel au
plus informel, sont là, sur internet, à portée de clic, en permanence et à profusion !
Encore faut-il apprendre à connaitre l'oral en finesse pour pouvoir l'enseigner avec efficacité (voir
ci-dessous l'article L'oral reste un continent méconnu) et apprendre à utiliser la technologie dont
l'usage, heureusement, se simplifie de jour en jour (voir ci-dessous l'article Les outils de l'artisan
d'oralité d'aujourd'hui) .
Sylvie BOUGELET et Jean KATTUS
L'oral, continent encore méconnu
On voit encore relativement peu de travail de l'oral en classe,
au-delà des habituels apprentissages concernant la gestion de
la voix (intonation, articulation, volume...) et du corps (regard,
gestes, posture...), souvent abordés lors d'activités où l'élève
s'exprime face à la classe, sans interaction immédiate avec elle
(exposé, lecture à voix haute, récitation, saynète...). Et
pourtant, il existe tant d'autres éléments qui interviennent dans la communication orale, qu'on
pourrait apprendre à observer, analyser, interpréter, puis à utiliser soi-même. C'est qu'ils sont situés
dans une autre famille de situations de communication orales, celles qui supposent une interaction
immédiate avec un ou plusieurs interlocuteurs. Dressons rapidement une liste non exhaustive de ces
objets d'enseignement : petite grammaire de l'oral7
L'écoute-compréhension : la construction des sens littéral, inférentiel, personnel
L'écoute active : mobiliser son attention, reformuler, poser des questions exploratoires, prendre en
compte la parole de l'autre
La gestion des tours de parole : comment donner, prendre, conserver la parole ?
4
5
6
7
C'est une absurdité d'ailleurs : pour quelle raison se priver de cette source d'informations ? Une disposition en U
permet à chacun de se voir et éloigne naturellement l'enseignant de la tentation de l'enseignement frontal. Mais cela
réfère à une conception sans doute plus progressiste de l'enseignement, dans laquelle les élèves ont réellement le
droit de prendre la parole, à l'égal de l'enseignant.
liées au fait que le destinataire du texte est absent et ne peut donc pas interagir avec l'auteur.
Voir l'intérêt de la maitrise grammaticale : http://www.orthographe-tv.com/A-quoi-sert-la-grammaire_a65.html
Tous ces éléments sont explicités notamment dans les manuels Repérages 2 et 4, aux éditions Van In.
5
L'interprétation des messages paraverbaux et non verbaux émis par les interlocuteurs
L'organisation et la cohérence des genres de l'interview orale ou du débat
La relation interpersonnelle entre les participants à une réunion, un débat, une interview: distance
>< familiarité / pouvoir >< soumission
Les règles de la courtoisie préventive ou réparatrice : respect du jardin secret, du territoire, de la
façade de l'interlocuteur
Les rôles de production, de facilitation et de régulation dans un débat, une réunion
Le rôle spécifique de l'animateur de débat, du conducteur de réunion
Le rôle des participants à un débat, une réunion
La gestion des supports de la communication : objets, affiches, tableaux, présentations Powerpoint
Les types de questions : leurs structures grammaticales, les questions ouvertes ou fermées, neutres
ou influencées
Et il reste encore le vaste domaine du théâtre et de la compréhension
de son langage spécifique : la scénographie, le jeu des acteurs, les
décors et costumes, le son...
On n'a jamais fini d'apprendre à écouter et à parler...
Explorez ce continent, vous en serez ravi !
Jean KATTUS
Les outils de l'artisan d'oralité d'aujourd'hui
un ordinateur pour visionner, enregistrer et projeter les documents audios et
audiovisuels.
une connexion internet : pour aller y chercher les documents intéressants permettant
d'observer-analyser et théoriser les paramètres de l'oral en interaction, les interviews, débats, jeux...
un programme de téléchargement des documents audio et audiovisuels permettant de les
conserver (par exemple Internet Download Manager).
un programme permettant d'effectuer un découpage du document : s'il est plus court, il sera plus
facile à manipuler. Les PC fonctionnant sous windows sont équipés d'origine du programme Movie
Maker, très simple d'utilisation.
un téléphone portable et son mémo vocal (pour enregistrer les élèves en train de
pratiquer et pouvoir retravailler de suite leurs productions). Enregistrer sur la carte
mémoire du téléphone (en général, une micro SD) permet, à l'aide d'un convertisseur
USB (très bon marché), de réécouter facilement l'enregistrement, effectué (sur mon
téléphone) au format MP3.
le même téléphone et sa fonction film (pour filmer les élèves en train de pratiquer et pouvoir
retravailler de suite leurs productions).
un projecteur, un écran et une amplification (beaucoup
d'écoles ont compris l'intérêt des nouvelles technologies et
s'équipent progressivement : on peut vraiment s'en réjouir).
Jean KATTUS
6
Parler et illustrer son discours : réaliser un kamishibaï
Enseigner l'oral, c'est apprendre aux élèves à être efficaces lorsqu'ils communiquent oralement, en
utilisant à bon escient la voix et le corps. Mais c'est aussi leur permettre de s'exprimer en jouant de
toutes les ressources de la voix et du corps pour « toucher » l'autre. L'oral, c'est donc aussi le lieu de
la sensibilité, de la nuance, qui relève bien plus du domaine de l'artistique et du plaisir gratuit que
de l'efficacité.
Apprendre à conter avec expression pour « donner » le texte au public (c'est un acte de générosité
que d'interpréter le mieux possible un texte pour le faire gouter aux autres), c'était l'objectif
principal d'un travail mené l'année dernière en 3 e année du bac français. Une contrainte : utiliser le
kamishibaï8 et élaborer soi-même les illustrations du texte choisi.
1. Point de départ : écouter un conte philosophique soufi,
raconté par le photojournaliste Reza DEGHATI lors de son
interview dans l'émission « Noms de dieux » (minutes 9' 24'' →
12' 24'')9
... et bien entendu amener les élèves à échanger pour interpréter
le sens de ce conte.
2. Ecrire le scénario du conte : en sous-groupes de deux élèves, effectuer le découpage du récit en
ses principales péripéties, et associer à chacune d'entre elles les paroles à prononcer et les éléments
visuels qui devront apparaitre sur les illustrations.
Exemple :
Etapes du récit
Dialogues
Illustrations
1
Trois fourmis se rencontrent.
Ah, bonjour ! Vous allez bien ?
- Oui, oui, très bien !
- Qu'est-ce que vous faites ?
- Eh bien, on discute.
- De quoi ?
- On voudrait savoir qui est Dieu...
Trois fourmis, sur une
feuille blanche, en train de
discuter.
2
Une fourmi prend la parole.
- Pour moi, ça doit être le créateur de la beauté.
- Pourquoi ?
- La beauté, c'est la meilleure chose qui existe...
- Ah oui, tu as raison.
- Eh bien, allons chercher qui crée la beauté
suprême pour nous !
Une fourmi enthousiaste, en
gros plan.
3
Les fourmis se mettent en route - Qu'est-ce que c'est ?
et découvrent une merveilleuse - Mais c'est magnifique !
calligraphie
- Splendide... J'en ai les larmes aux yeux
...
Une magnifique calligraphie
4
Etc.
Etc.
Etc.
3. Brain-storming : quelles techniques pour illustrer ?
« Je ne sais pas dessiner, moi ! Comment voulez-vous que je le fasse ? » : voilà probablement la
première réaction que vous entendrez lorsque vous demanderez aux élèves d'illustrer eux-mêmes les
8
9
Petit théâtre d'images japonais. Voir les articles consacrés au kamishibaï dans les numéros 69 et 70 de cette revue.
https://www.youtube.com/watch?v=Hv-Wr6zer_k
7
différentes étapes du récit. Il faut alors rassurer et aller chercher des solutions dans l'expérience et la
créativité du groupe. Quelques idées qui ont émergé dans le nôtre :
pour les personnages, utiliser des « bonshommes-allumettes »
ou des formes géométriques différentes, avec des couleurs différentes :
un carré bleu, un triangle rouge, un disque jaune
= 3 personnages et 3 caractères différents.
utiliser des dessins tout faits disponibles sur internet
utiliser des photos (symbolisant l'atmosphère ou représentant la réalité évoquées par le texte)
utiliser des accessoires en 3D qui, au moment du spectacle kamishibaï, viennent compléter les
illustrations
faire réaliser les illustrations par un « spécialiste » (voir page suivante). En effet, exposer ses
souhaits d'illustration à un tiers (et donc l'interprétation que l'on a faite du texte) est un exercice très
formateur.
4. Réaliser les illustrations prévues pour le début du conte des fourmis (3 à 5 illustrations).
5. S'entrainer à conter à l'aide du kamishibaï. Chaque binôme présente ses réalisations au groupe :
c'est l'occasion d'apprécier les différentes interprétations auxquelles l'écoute du conte a donné lieu,
tant le texte et les illustrations créés manifestent des lectures différentes. C'est donc un moment de
médiation10 de la compréhension très intéressant, qui peut mener à des échanges très riches.
6. Réinvestir en autonomie, en binômes :
- choisir le récit ou l'imaginer et l'écrire
- concevoir le scénario
- réaliser les planches du kamishibaï
- présenter les réalisations à la classe.
Commentaires didactiques
Confronter les élèves à l'obligation de recourir à des images pour illustrer leur récit présente à mes yeux de
nombreux avantages :
- il les met dans une situation de communication d'aujourd'hui, où le recours à l'image, vu son omniprésence,
est devenu presque indispensable pour communiquer un message11 ;
- il les pousse à affiner leur compréhension-production du récit, en les forçant à (se) représenter son univers,
une procédure de lecture-écriture déficitaire chez des élèves en difficultés ;
- il ouvre le cours de français à une dimension artistique, ô combien absente hélas des préoccupations de
l'école secondaire. Au premier degré, il pourrait être très porteur de travailler en interdisciplinarité avec le
professeur de dessin. Mais si cela n'est pas possible, on peut mettre les élèves face au défi créatif d'illustrer
un texte sans pour autant avoir à sa disposition des techniques de dessin. Suggestions ci-dessus et dans le
témoignage qui suit.
- dans toutes les classes (d'après mon expérience) se trouve toujours l'un ou l'autre élève qui aime dessiner :
lui demander de réaliser quelques illustrations est une excellente façon de le valoriser et de favoriser la
coopération entre élèves.
Jean KATTUS
10 On appelle médiation (de la lecture ou de l'écoute d'un texte) une manifestation (un résumé, un dessin, une
proposition de suite...) qui rend compte de la compréhension que l'auteur de cette médiation a construite du texte.
11 Un master en « communication graphique », intégrant donc des préoccupations abordées précédemment au sein
d'études différentes, la communication et le graphisme, vient de voir le jour à Saint-Luc Supérieur (Liège).
8
« J'suis pas mauvaise mais j'dessine pas comme Tintin ! »
12
Dans le cadre du cours de didactique de l’oral, nous avons produit en fin d’année un spectacle de
kamishibai, petit théâtre d’origine japonaise alliant texte et image.
Une des étapes importantes de la conception de ce spectacle consistait à concevoir et réaliser les
illustrations accmpagnant le texte... J'étais personnellement (légèrement) paniquée face à cette idée,
mais notre professeur a su nous rassurer en passant en revue différentes méthodes qui pouvaient
nous permettre d’illustrer le texte que nous avions choisi ou composé : dessins simples réalisés par
nos soins, symboles, collages, images trouvées sur internet, etc.
Mais lors d'un premier exercice mené en classe, je me suis aperçue que j’avais non seulement deux
mains gauches, mais que j’avais très certainement dû louper des cours de picotage durant mon
cursus scolaire, vu mon talent pour le découpage... Pourtant, j’avais un storyboard clair et précis en
tête et sur papier, mais j’étais totalement incapable d'illustrer mes idées...
Heureusement, une « pro » est venue à ma rescousse, une amie d'enfance, Floriane, qui a toujours
eu une véritable passion pour le dessin et qui n’a pas hésité une seule seconde à illustrer mon conte
africain.
Sur la base des indications précises que je lui donnais (elle n'a
pas cherché à interpréter le texte à sa façon), Floriane m’a
d’abord proposé quelques dessins pour vérifier qu'ils
correspondaient bien à mes souhaits : Pour la troisième image, il
faudrait dessiner un homme d’origine africaine au premier plan.
Pour montrer qu’il est sourd, j’imagine qu’on lui barre une
oreille avec une grosse croix. Dans le coin supérieur, pour
illustrer qu’il ne comprend rien à cette histoire de moutons, je
pense à un mouton au second plan qui serait entouré de gros
points d’interrogation.
Si cela s’avérait nécessaire, Floriane était évidemment ouverte aux critiques et suggestions et elle
modifiait ses dessins pour correspondre au mieux à mes attentes : Attention Flo, j’adore, ça
correspond à ce que je t’ai suggéré, mais j’ai complètement oublié de te
prévenir : tous les dessins doivent être en format paysage pour rentrer
dans le kamishibai... Donc, est-ce que tu pourrais faire deux planches
pour illustrer cette scène ?
C’est grâce à cette collaboration efficace et inédite que j’ai été
particulièrement fière et à l’aise durant le spectacle en fin d’année.
Evidemment, je n’hésiterai pas à faire à nouveau confiance à Floriane pour
illustrer mes prochains storyboards quand j’utiliserai le kamishibai dans
mes classes !
P.S. Si les illustrations de Floriane vous plaisent et que vous souhaitez
créer vous aussi vos propres histoires kamishibaï, n'hésitez pas à la
contacter en lui proposant un storyboard complet et précis.
Contact : [email protected] / Facebook : Flo Jolis
Frédérique HANSE
12 Réplique du Commissaire Laurence, interprétée par Florence FORESTI dans le film Dikkenek.
9
Découvrir et dire 20 fables en 2 heures !
Dire un texte à voix haute est une compétence que doivent acquérir les étudiants que nous formons
à une profession pédagogique13. En effet, l’enseignant devra notamment, par une bonne lecture à
voix haute des textes qu’il propose, en rendre le sens plus accessible aux élèves. Autres bénéfices,
non négligeables, d’une telle pratique : tous les élèves découvrent le texte au même rythme et
prennent du plaisir à écouter un texte bien dit.
Pour acquérir cette compétence, des exercices réguliers devraient suffire, pour autant que les
performances des étudiants soient systématiquement analysées à l’aide d’une grille qu’ils auront
eux-mêmes élaborée. De telles grilles constituent un gage d’efficacité, dans la mesure où les
étudiants qui en sont les auteurs les comprennent mieux et pointent ainsi avec finesse, pour chacun,
les réussites et faiblesses à améliorer.
Pour ma part, afin d’établir une grille d’analyse de la lecture à voix haute, j’ai conçu un exercice
initial assez exigeant : j’ai sélectionné 18 fables de La Fontaine14 courtes et peu courantes. J’ai
attribué à chacun des étudiants présents une fable à lire à la classe, avec comme objectif de la rendre
compréhensible aux auditeurs. Ils avaient bien sûr le loisir de préparer leur lecture individuellement,
avec mon aide si nécessaire.
Pourquoi des fables du XVIIe siècle ? Ces textes font partie de notre patrimoine, il faut d’une
certaine manière en assurer la subsistance dans les mémoires, mais ce n’était pas là ma motivation
principale. Ces fables vieillissantes font de nos jours presque figure de « textes résistants », c’est-àdire de textes dont le sens n’est pas immédiatement accessible, et cela pour trois raisons :
l’agencement des mots n’est pas courant, le vocabulaire est souvent soutenu et obsolète et les
moralités illustrées ne cadrent pas toujours avec les valeurs qui sont à présent les nôtres. Nos
étudiants semblent ainsi de moins en moins accoutumés aux mots et tournures qui relèvent de la
littérature classique française. Le défi pour les lecteurs était donc de taille : faciliter l’accès au sens
de textes compliqués en usant autant que possible des ressources de la voix et du corps.
Autre bonne raison : les fables sont des « petites comédies », récits vifs et concis, émaillés de
dialogues animés ; elles conviennent parfaitement pour expérimenter les ressorts de l’expressivité
(intonation, timbre de voix, volume sonore, accents d’insistance, rythme, etc.), l’un des premiers
reproches que l’on peut faire aux apprentis-lecteurs étant la pauvreté intonative de leur lecture.
Voici les 18 fables choisies : Le Coq et la Perle (p. 83)15, L’Oiseau blessé d’une flèche (p. 93), Le
Loup et la Cigogne (p. 123), Le Lion abattu par l’Homme (p.123), Le Renard et les Raisins (p. 124),
Le Lion devenu vieux (p. 127), Le Geai paré des plumes du Paon (p. 144), Le Renard et le Buste (p.
151), Le Laboureur et ses Enfants (p. 170), La Montagne qui accouche (p. 170), La poule aux œufs
d’or (p. 172), L’Âne portant des reliques (p. 172), Le Cerf et la Vigne (p. 173), Le Serpent et la
Lime (p. 173), L’Âne vêtu de la peau du Lion (p. 178), Le Vieillard et l’Âne (p. 188), Le Cheval et
l’Âne (p. 194), Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre (p. 195).
Ces fables sont toutes assez courtes et peuvent faire l’objet d’une préparation d’une dizaine de
minutes : l’étudiant doit en comprendre le récit (que se passe-t-il ?), la moralité (quelle est la leçon
du texte ?) et le lien entre récit et moralité. Il peut ensuite travailler sa lecture en la répétant à voix
basse. La seule consigne transmise à ce stade est d’aider par sa lecture à la perception du sens de ce
qu’il va lire.
13 Cette compétence fait également l’objet d’une fiche du programme de l’enseignement libre catholique du 1er degré.
14 Parmi les fables brèves, les plus compréhensibles. Deux fables seront lues 2 fois : cela nous fera 20 fables.
15 La Fontaine, Fables. Les Classiques de Poche, 2002.
10
Suite à la 1re lecture, les auditeurs sont sollicités sur le sens de la fable. Ensuite, les premières
remarques sur la lecture sont formulées. Les remarques seront notées progressivement au tableau
par l’enseignant et constitueront les critères d’une grille adaptée à l’évaluation formative de la
lecture à voix haute. Cette grille peut être élaborée complètement à la suite des 4 ou 5 premières
lectures. Elle sera ensuite ajustée ou enrichie d’indicateurs au fil des passages suivants.
Parmi les nombreuses ressources de la voix et de l’expression non verbale que nous avons à notre
disposition, seules quelques-unes méritent en fait toute l’attention de l’enseignant. Non que les
étudiants maitrisent la plupart d’entre elles… loin s’en faut, mais vous constaterez bien vite que des
faiblesses rédhibitoires requièrent une intervention ciblée et empêchent du même coup de se
pencher sur chacun des aspects de la lecture à voix haute. Je vais quant à moi m’attarder sur deux
lacunes récurrentes.
1. La voix est fréquemment peu claire, dans la mesure où le regard du lecteur, rivé sur le texte,
entraine une augmentation des résonateurs pharyngo-buccaux, ce qui a pour effet un
assombrissement des sons émis. Le conseil consiste ici à demander au lecteur de maintenir sa tête
bien droite et d’élever la feuille à hauteur des yeux ou mieux, de détacher le regard de la feuille
pour fixer l’auditoire. Ainsi, la voix paraitra moins caverneuse et le texte sera plus confortablement
audible.
2. Autre problème récurrent : la difficulté de placer des accents d’insistance aux bons endroits. Or,
ceux-ci, utilisés avec pertinence (et donc parcimonie), aident à la compréhension du texte. Ils vont
de pair avec le rythme : les pauses permettent de souligner les mots qui les précèdent, de même
qu’un subit ralentissement du débit permet de mettre en évidence des parties de phrases. On pourra
donc demander à l’élève d’entourer, lors de la phase de préparation, les mots qu’il jugera utile de
mettre en relief ; il le fera par divers moyens : articulation plus claire, volume plus élevé, pause
juste après, débit plus posé (syllabes bien détachées).
La strophe qui suit, notée au tableau, pourrait donner lieu à un exercice collectif. On demanderait
aux élèves de choisir un maximum de trois mots qui selon eux devraient être accentués lors de la
lecture. Ensuite, des volontaires lisent le texte en soulignant ces mots d’une manière ou d’une autre.
La classe repère les mots mis en relief ainsi que les moyens mis en œuvre pour ce faire.
Une Montagne en mal d'enfant
Jetait une clameur si haute,
Que chacun au bruit accourant
Crut qu'elle accoucherait, sans faute,
D'une Cité plus grosse que Paris :
Elle accoucha d'une Souris.
Et l’intonation, la posture, les gestes… ? Nous n’avons pas fait le tour complet des paramètres de la
lecture à voix haute. Ceux-ci ont déjà été évoqués dans ces pages (lire notamment « D’un prof à
l’autre » n°50). En ce qui me concerne, j’ai été agréablement surpris par la facilité avec laquelle
mes étudiants ont énoncé ces différents paramètres, soit en décrivant les réussites des lecteurs, soit
en épinglant leurs faiblesses.
Moralité : ayons confiance dans les capacités d’autoapprentissage de nos classes ; contentons-nous
de donner à ces capacités l’occasion de se manifester et de les étayer.
Pierre-Yves DUCHÂTEAU
11
Débattre en FLES : les réseaux sociaux
Depuis septembre, les étudiants de 3e année affinent leur formation de professeurs de FLES en
donnant des cours aux étudiants Erasmus de HELMo. Cela leur permet de se trouver devant un
public d'élèves preneurs, qui ont un réel besoin de s'améliorer en français pour comprendre le mieux
possible les cours qu'ils ont choisi de suivre, qui sont venus à Liège parce que c'est une ville
francophone, qui ont pour beaucoup d'entre eux une maitrise déjà affinée de la langue (niveaux B2C1) et qui ont le même âge qu'eux ! Fameux défi...
Un cours de 2 heures est consacré chaque semaine à l'amélioration des compétences Ecouter et
Parler des étudiants du groupe le plus avancé. Il s'agit donc de mettre en place une première activité
de compréhension orale d'un document authentique et motivant pour les apprenants, puis
d'enchainer en leur donnant l'occasion de pratiquer la langue et d'apprendre ainsi de nouvelles
expressions, de nouveaux mots, de nouvelles structures grammaticales... sans oublier la qualité de la
prononciation et les apprentissages d'ordre culturel : apprendre une langue, c'est aussi découvrir sa
culture.
Voici le déroulement d'un cours qui a « bien marché » et qui est tout à fait transposable à une
situation d'enseignement du Français Langue Maternelle. Raisons du succès ? Le choix des
documents, la variété des activités, la conception méthodologique et, bien entendu, la motivation
des élèves ! L'idée générale de cette séquence : écouter un des derniers succès de STROMAE,
Carmen, et débattre du sujet abordé dans sa chanson, les réseaux sociaux. Explications :
A. ECOUTER
1. Ecouter l'air de la habanera, extrait de Carmen de BIZET (textes et références page suivante).
Pourquoi ? Parce que STROMAE s'est basé sur cet air très connu (des francophones d'un certain âge...), mais méconnu
(des non-francophones et des jeunes en général...) pour les paroles et la musique de sa chanson : il a joué de
l'intertextualité.
2. Ecrire à l'aide des élèves le texte du refrain au tableau et le chanter avec eux (sourires garantis) :
on les dote ainsi de la référence culturelle nécessaire pour apprécier la chanson de STROMAE.
3. Ecouter la chanson de STROMAE et en construire le sens.
4. Exprimer un premier avis sur la chanson et le justifier (+ travailler cet acte de parole avec les
élèves pour enrichir la palette des expressions à leur disposition pour donner son opinion).
B. PARLER
1. Créer trois sous-groupes qui devront endosser un des rôles suivants :
- un enfant de tout juste 12 ans, qui vient d'entrer à l'école secondaire et veut s'inscrire sur Facebook
- un de ses parents, réticent
- un de ses professeurs, qui se sert beaucoup des nouvelles technologies.
Une dizaine de minutes de discussion pour trouver des arguments défendant le point de vue de son
personnage. Chaque élève prend note des arguments avancés.
2. Chaque sous-groupe désigne un délégué qui va participer à la discussion entre les 3 personnages,
face à la classe (technique du jeu de rôles).
3. Discussion. Consigne d'écoute pour le public : noter les arguments avancés par un des deux
personnages dont on n'a pas préparé l'argumentation.
4. Travail collectif de correction des erreurs ou des imperfections d'expression lors du jeu de rôles.
5. Chacun exprime son avis personnel sur les réseaux sociaux.
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Carmen de BIZET (la habanera)
Carmen de STROMAE
L'amour est un oiseau rebelle
Que nul ne peut apprivoiser
Et c'est bien en vain qu'on l'appelle
S'il lui convient de refuser
L'amour est comme l'oiseau de Twitter :
On est bleu de lui seulement pour 48 heures.
D'abord on s'affilie, ensuite on se follow,
On en devient fêlé, et on finit solo.
Prends garde à toi
Et à tous ceux qui vous likent :
Les sourires en plastique sont souvent des coups
d’hashtag.
Prends garde à toi !
Ah, les amis, les potes ou les followers ?
Vous faites erreur, vous avez juste la cote.
Rien n'y fait, menace ou prière
L'un parle bien, l'autre se tait
Et c'est l'autre que je préfère
Il n'a rien dit, mais il me plaît
L'amour (x4)
L'amour est enfant de bohème
Il n'a jamais jamais connu de loi
Si tu ne m'aimes pas, je t'aime
Et si je t'aime, prends garde à toi !
Prends garde à toi !
Si tu ne m'aimes pas, si tu ne m'aimes pas, je t'aime
Prends garde à toi !
Mais si je t'aime, si je t'aime, prends garde à toi
https://www.youtube.com/watch?v=lspRhX5Vhhg
Prends garde à toi,
Si tu t’aimes,
Garde à moi,
Si je m’aime,
Garde à nous, garde à eux, garde à vous,
Et puis chacun pour soi !
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime,
Comme ça consomme, somme, somme, somme,
somme,
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime,
Comme ça consomme, somme, somme, somme,
somme,
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime,
Comme ça consomme, somme, somme, somme,
somme,
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime,
Comme ça consomme, somme, somme, somme,
somme.
L’amour est enfant de la consommation,
Il voudra toujours toujours toujours plus de choix.
Voulez voulez-vous des sentiments tombés du camion,
L’offre et la demande pour unique et seule loi ?
Prends garde à toi !
« Mais j’en connais déjà les dangers, moi,
J’ai gardé mon ticket et s’il le faut, j’vais l’échanger,
moi ! »
Prends garde à toi !
« Et s’il le faut, j’irai m’venger, moi !
Cet oiseau d’malheur, j’le mets en cage,
J’le fait chanter, moi! »
Refrain
https://www.youtube.com/watch?v=UKftOH54iNU
Un jour t’achètes, un jour tu aimes,
Un jour tu jettes, mais un jour tu payes.
Un jour tu verras, on s’aimera,
Mais avant on crèvera tous, comme des rats.
En FLES, ce sont surtout les aspects strictement langagiers qui constituent les objectifs de cette
activité de débat : l'acte de parole consistant à donner son opinion, les structures grammaticales, le
vocabulaire et la prononciation. En FLM, on se centrera davantage sur les compétences de
communication évoquées plus haut dans l'article L'oral, continent encore méconnu.
Jean KATTUS, sur une proposition d'Adèle WEILER et Charlotte WILKIN
13
Compétence réflexive : même pas peur !
La réflexivité est au coeur de la formation initiale des enseignants. En effet, en particulier à l'heure
où les changements de toutes sortes interviennent extrêmement rapidement, il serait inconcevable
de diplômer des enseignants qui, une fois pour toutes et sans se poser de questions, mettraient en
pratique durant toute leur carrière les bonnes « recettes » apprises à l'école normale...
Merci à Philippe VAN GOETHEM DE nous avoir autorisés à reproduire ici cet article paru initialement dans le numéro 30
(septembre 2015) de la revue Echanges, le bulletin de formation continuée des professeurs de français, coédité par le
CEDILL https://www.uclouvain.be/cedill.html
et le CEDOCEF https://www.unamur.be/lettres/cedocef.
Le nouveau référentiel interréseaux du Qualifiant introduit l'enseignement d'une nouvelle unité
d'apprentissage centrée sur la réflexivité. Comment mettre en œuvre une compétence tellement
intime, personnelle ? Pourquoi en charger le prof de français déjà investi de tant d'apprentissages ?
Sans parler des problèmes que posera l'évaluation...
Et vous ? Comment faites-vous pour choisir le livre que vous allez donner à lire à votre classe ? Au
fil de quel processus mental prenez-vous votre décision ? Vous vous représentez sans doute vos
élèves : âge, sexe, intérêt supposé, capacités de lecture ; vous considérez aussi les paramètres des
œuvres disponibles : valeur littéraire, longueur et lisibilité, originalité, titre et couverture, actualité,
classicisme ou modernité, récompenses, traduction, mise en film, accès à un dossier documentaire,
prix d'achat ; vous tenez encore compte de vos objectifs professionnels : recommandation de
collègues, programme de l'année ou des précédentes, rapport avec les genres étudiés en classe, avec
d'autres disciplines, un évènement d'actualité ou une activité d'école, et puis joue parfois le « coup
de cœur » difficile à expliquer... Quelle complexité pour choisir un roman ou un essai !
Sans y penser, vous envisagez probablement plusieurs de ces aspects. Mais alors, si un élève, un
collègue, un parent, un inspecteur vous demande les raisons de votre sélection, ne serez-vous pas
décontenancé par la masse de microchoix que vous avez réalisés sans en avoir pleine conscience ?
Toutes ces raisons n'ayant pas été vraiment formulées, ne risquez-vous pas de répondre : « j'ai
choisi comme ça, je le sentais bien ! » Parions que le fait de vous représenter les différents critères
que vous utilisez vous facilitera le discours. Vous serez alors reconnu comme expert. Et, sans doute,
si on vous attribue une nouvelle classe, des élèves d'un autre âge ou d'une autre option, serez-vous
moins embarrassé pour renouveler votre liste de lecture. C'est en tout cas un des bénéfices attendus
par la pratique de la compétence réflexive.
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Une matière nouvelle à enseigner
Celle, précisément, dont le Référentiel interréseaux16 impose désormais l'enseignement aux
professeurs de français du Qualifiant et du Professionnel. Est-ce tout à fait neuf ? Ce serait oublier
Montaigne : mieux vaut une tête bien faite qu'une tête bien pleine. Du reste, la gestion des savoirs
l'emporte déjà pour beaucoup d'enseignants sur l'accumulation de connaissances. Et au moment où
chacun accède instantanément aux informations, n'est-il pas d'autant plus nécessaire de prendre à
bras le corps l'enseignement de la compétence réflexive ?
Le Référentiel identifie cinq genres à enseigner centrés sur deux axes : justifier, expliciter.
Depuis longtemps les maitres demandent à leurs élèves de justifier leurs réponses afin,
essentiellement, de vérifier leur caractère non aléatoire. Pour autant, enseignaient-ils cette
compétence ? Ne l'estimaient-ils pas plutôt évidente, innée ? C'est ici que se trouve l'innovation : la
justification scolaire est traitée comme un genre langagier et l’aptitude à justifier acquiert un statut
de compétence à part entière. Elle doit donc s'enseigner avant de donner lieu à une certification.
La pratique de l'explicitation est, par contre, plus nouvelle. Rendre explicite le processus de
réalisation d'une tâche permet de mettre des mots sur un « agir préconscient » comme l'appelle
Pierre Vermersch17. Il s'agit d'une performance couteuse, non naturelle, qui fait la différence entre le
sujet capable de faire face à une situation imprévue et l'exécutant caricaturé par Chaplin dans les
Temps Modernes. Un métaregard déjà largement pratiqué dans les séances de remédiation. La
nouveauté, ici, est de l'introduire dans le programme et d'en préconiser l'enseignement.
On peut comprendre la crainte et les réticences de certains enseignants : on a bien fait sans, on le
fait déjà, il n'y a pas de manuel, on n'a pas été formés à ça, les bons élèves n'ont pas de temps à
perdre et les autres, à quoi bon les surcharger, ils ont déjà tant de mal !
Pour d'autres, la nouveauté apporte le sel du défi : voilà une autre façon de différencier les
apprentissages, de responsabiliser, d'autonomiser les adolescents, de les aider à devenir sujets sans
les assujettir à la répétition ou à l'accumulation de savoirs.
Pour tous il y a un grand vide pédagogique.
Un concept aux racines anciennes
On ne parlera pas néanmoins d'effet de mode. Les plus grands noms de la pédagogie contemporaine
considèrent que la réflexivité est une condition puissante (mais pas toute-puissante 18 !) du transfert,
préoccupation centrale de la didactique. Le concept n'est pas vraiment neuf19. Dès 1983, Schön20,
étudie comment les professionnels experts (et ce ne sont pas les enseignants qu'il cible) s'y prennent
pour résoudre les problèmes qui leur sont soumis. Il s'interroge sur la meilleure façon de transmettre
cette expertise à d'autres. C'est à lui qu'on doit la notion de « praticien réflexif » vigoureusement
préconisée désormais dans la formation des enseignants de toutes disciplines.
16 Texte complet consultable sur : http://www.ejustice.just.fgov.be/mopdf/2015/01/20_2_2.pdf et
http://www.ejustice.just.fgov.be/mopdf/2015/01/20_2_3.pdf.
17 VERMERSCH P., Glossaire de l'explicitation, 1999, sur expliciter.fr/IMG/pdf/chap91_glossaire3.pdf , consulté le
28/11/2014.
18 Comme nous en avertit M. Romainville : Savoir comment apprendre suffit-il à mieux apprendre ? accessible sur :
https://pure.fundp.ac.be/ws/files/968984/35839.pdf .
19 Michel Develay fait remonter les origines du concept à Descartes, Hegel et Piaget.
20 SCHÖN D., The Reflective Practitioner, (trad. française : Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans
l’agir professionnel, Les éditions logiques, 1994) en lecture sur http://books.google.be/.
15
Il est loin d'être le seul : d'autres chercheurs explorent la voie de la réflexivité, de la métacognition :
Bourdieu, La Garanderie (1980), Meirieu (1991), Tardif (1992), Develay (1994)...
Pierre Vermersch, dans la foulée de Piaget, développe une méthode d'aide à l'explicitation des
procédures21. Sa démarche ne vise plus la transmission, mais la prise de conscience des étapes de
l'action permettant au sujet d'atteindre un agir conscient et d'avoir prise sur le processus.
Plus orienté vers l'amélioration des performances scolaires, Marc Romainville, pionnier en cette
matière, a beaucoup écrit sur la réflexivité. Sa très riche bibliographie illustre le déplacement qu'il a
initié dans l'accompagnement des étudiants en inconfort scolaire. En 1990, il publiait avec Concetta
Gentile un livre Des méthodes pour apprendre où il proposait des techniques d'apprentissage
éprouvées à transmettre aux étudiants. Quelques années plus tard, convaincu de l'individualité de
l'apprentissage, il publiait Savoir parler de ses méthodes22. Faire prendre conscience à l'élève des
procédures qu'il met en oeuvre et l'amener à dire la façon dont il apprend semble désormais plus
efficace que proposer des recettes.
Ajoutons qu’après la Gestion mentale, la théorie des intelligences multiples a répandu l'idée que les
enfants ne réfléchissent pas tous de la même façon. Et qu'il est avantageux qu'ils en prennent
conscience.
L'idée de promouvoir la réflexivité fait son chemin et émerge par-ci par-là dans les aides à
l'apprentissage, des initiatives individuelles23, des formations d'enseignants, surtout auprès d'adultes
préoccupés par la remédiation.
En 2014 , le Référentiel interréseaux de français, audacieusement, consacre l'émergence de cet
enseignement dans les options de l'enseignement qualifiant et professionnel en lui conférant un
statut de compétence transversale à part entière. « Adopter un regard “méta” et savoir le communiquer
n’est pas aisé. Le référentiel entend faire de la justification scolaire, de l’explicitation de procédures, l’objet
d’un apprentissage explicite. »
Un changement de posture
D'évidence, l'enseignant sera amené à exposer sa propre démarche réflexive. Justifier sa discipline
(comme le recommande depuis 20 ans Michel Develay24), justifier ses choix pédagogiques25
(parcours, thème, cotations).
Ce ne sera pas facile du fait que, élève performant lui-même, le professeur a été sélectionné sur base
de ses compétences à étudier. Il a progressivement automatisé des mécanismes d'apprentissage
efficaces. Les redécouvrir consciemment exigera un effort.
D'autre part, celui qui tient à apparaitre comme détenteur d'une vérité définitive sans devoir se
21 VERMERSCH P., L’Entretien d’explicitation en formation continue et initiale, Paris, ESF, 1994.
22 ROMAINVILLE M, Savoir parler de ses méthodes : métacognition et performance à l'université, Bruxelles, De
Boeck 1993.
23 Dès 1998, je proposais à mes élèves de rendre compte de la façon dont ils avaient réalisé leurs tâches scolaires.
Voir : http://users.skynet.be/fralica/dispo56/info56/txtexpl.htm.
24 DEVELAY M., Donner du sens à l'école, Paris, ESF, 1996.
25 Ce qui était déjà demandé par l'Inspection à savoir notamment « La planification annuelle du travail qui permet
l’organisation générale des activités ; un document d’intentions pédagogiques remis en début d’année aux élèves et
les informant des objectifs du cours (conformément au programme), des compétences et savoirs à acquérir ou à
exercer, des moyens d’évaluations utilisés, des critères de réussite, de la remédiation et du matériel scolaire
nécessaire. », Fesec, Suis-je en ordre ? copié le 18/03/2015 sur
http://www.segec.be/diocese/namur/sedess/Liens/Documents_files/Etre_en_ordre.pdf.
16
justifier, ou évite de détailler pas à pas la démarche qu'il suit quand il rédige un résumé ou présente
l'analyse d'un film, par exemple, aura bien du mal à convaincre les élèves du bienfondé de la
compétence réflexive.
Celui, par contre qui, devant ses élèves, accepte de motiver ses décisions, d'expliciter ses stratégies,
de prendre le risque de dévoiler ses hésitations et ses repentirs, de chercher les réponses, de réfléchir
à haute voix, de valider la diversité des procédures, celui-là se présente comme enseignant réflexif,
il manifeste une attitude de respect, d'empathie, de proximité susceptible d'entrainer l'indispensable
confiance des élèves.
Il y aura certes, quelques notions, pas bien nombreuses, à apprivoiser dans le cadre de cette Unité
d'Acquis d'Apprentissage ou UAA 026 selon la nouvelle terminologie du référentiel.
•
Réflexivité : « la réflexivité est le mécanisme par lequel le sujet se prend pour objet
d’analyse et de connaissance. [...] »27
•
Métacognition :« La métacognition réfère à la connaissance ainsi qu'au contrôle que le
sujet a sur lui-même et sur ses stratégies cognitives. » (Tardif)28
•
Justification scolaire : « Justifier consiste globalement à fournir les raisons ou les
motivations visant à rendre un acte, une croyance, une position ou une réponse recevable
aux yeux de son interlocuteur ou de son destinataire » 29
•
Explicitation de procédure : évocation — autonome ou assistée — par le sujet lui-même
de son activité cognitive dans un contexte singulier. L'explicitation fait accéder l'agir
préconscient à l'agir réfléchi. Elle permet la distance par rapport à son action : le transfert,
les ajustements, l'archivage, le partage.
Une affaire de langage
Au delà de la construction essentiellement schématique d'une carte mentale, la finalité essentielle de
la compétence méta est bien d'évoluer de l'agir préconscient à l'agir conscient via une verbalisation
spontanée ou sollicitée. C'est donc bien au professeur de langue et de communication qu'il convient
d'en assurer l'apprentissage.
Lorsqu'on observe les textes authentiques d'élèves, on peut dégager les « bonnes pratiques » et les
maladresses, faire apparaitre et nommer les procédés permettant de produire une
justification/explicitation suffisamment ample et pertinente. Qu'il s'agisse de la structure du texte,
du mode de démonstration (justification) ou de description (explicitation) voire du langage utilisé :
il ne manque pas d'éléments que l'on peut travailler en classe. Lorsque la diversité des procédures et
des expressions métacognitives est mise en lumière et nommée, le professeur peut créer des
exercices d'ajustements pointus en fonction des difficultés rencontrées par les élèves.
Même si toutes les disciplines ont avantage à se servir de la compétence méta pour assurer le
transfert des apprentissages, c'est essentiellement, on le voit, au professeur de français que revient
26 Dont on peut se demander quelle mouche a piqué ceux qui l'ont affublé d'un chiffre qui, dans le monde scolaire, est
tout sauf un signe d'excellence.
27 RUI S., « Réflexivité », Sociologie [en ligne], Les 100 mots de la sociologie. Copié le 19/03/2015 sur
http://sociologie.revues.org/1584.
28 TARDIF J., Pour un enseignement stratégique, L'apport de la psychologie cognitive, Montréal, Éditions Logiques,
1992.
29 Définition de M.-H. Forget citée par CHARTRAND S.-, Enseigner à justifier ses propos de l’école à l’université, in
Correspondance, volume 19, numéro 1, octobre 2013 consulté le 19/03/2015 sur
http://correspo.ccdmd.qc.ca/corr19-1/2.html.
17
cette responsabilité de perfectionnement de l'expression, de la langue.
Et dans la pratique ?
La structure devenue canonique : observer/pratiquer/ajuster/réinvestir s'applique ici aussi. Il serait
néanmoins probablement improductif de consacrer une séquence continue à l'apprentissage de cette
compétence « pour en avoir fini avec le prescrit ». La réflexivité métacognitive s'installe petit à petit
et trouve une place dans l'ensemble du cursus, de la 3e à la 6e (7e P). Son apprentissage s'insère assez
facilement au sein de séquences déjà construites.
D'autant plus que le professeur est invité à pratiquer la dimension méta à l'occasion de tâches
réalisées dans le cadre d'autres unités d'apprentissage. Sur quels critères ai-je accepté ou rejeté tel
document (UAA1) ? Comment m'y suis-je pris pour résumer (UAA2) ? Comment me suis-je
représenté le destinataire de mon argumentaire (UAA3 et 4) ? Comment ai-je imaginé intervenir
dans une oeuvre culturelle (UAA5) ? Pourquoi ai-je choisi telle expérience culturelle pour en relater
l'expérience (UAA6) ?
Évaluer la compétence réflexive ?
Comme pour les autres UAA, impossible de vérifier l'acquisition de la compétence sans passer par
une médiation écrite ou orale voire hypermédia. C'est donc ce texte qui permettra une évaluation
spécifique. Des tableaux critériés et pondérés sont d'ores et déjà en cours d'élaboration. Ils
permettront d'évaluer les productions d'élèves de façon formative ou certificative.
En finir avec le pifomètre...
Chaque jour nous accomplissons une foule d'opérations parfois très complexes (organiser une
activité, conduire une voiture, mener un cours, utiliser les nouvelles technologies...) Tant que nous
restons dans le connu, nous pouvons nous contenter, à l'économie, de routines quasi automatisées.
Pour passer à un niveau supérieur et faire face à l'imprévu, comment pourrions-nous éviter la mise à
distance méta même si elle s'avère plus couteuse ?
Dans notre temps de changements multiples et profonds, n'est-il pas urgent de préparer les élèves
aussi à relever le défi de l'inédit, de l'inattendu en acteurs et non en victimes. L'enseignement
réflexif s'impose sans doute comme une nécessité. Sauf à laisser les ados se débattre seuls entre le
psittacisme, la pensée magique et le pifomètre !
Philippe VAN GOETHEM
Contact : [email protected]
Petites annonces TFE (suite)
Si le sujet ci-dessous vous intéresse, si vous avez des idées ou des suggestions, si
vous souhaitez accueillir cette étudiante dans votre classe, contactez-la directement
par mail.
Bonjour ! Je suis diplômée comme institutrice primaire et j'ai choisi de reprendre une formation au bac
français-FLES. Pour mon travail de fin d'études, je voudrais mettre en place un dispositif de collaboration
en écriture entre la 6e primaire et la 1re secondaire. Je recherche donc un maitre de stage de l'enseignement
général donnant cours en première année et qui serait ouvert à l'idée d'une éventuelle collaboration avec le
primaire dans le domaine de l'écriture. Le stage de 5 semaines débutera le 22 février et se terminera le 25
mars. Merci d'avance pour vos réponses !
Cindy Mulé - [email protected]
18
Lu dernièrement
La question des migrants à laquelle nous avons consacré un dossier dans le numéro précédent reste
au cœur de l'actualité. Voici quatre romans (+ un essai et un film) qui touchent à cette question
(notamment), puisque leurs personnages principaux vivent l'exil.
Marie-Bernadette MARS, Kilissa, Editions Academia, 2015.
Au palais de Mycènes, Clytemnestre côtoie tous les jours Kilissa, une esclave
qui vit dans l'ombre. Leurs voix, leurs yeux, leurs regards se croisent et se
répondent. Entre les deux femmes qui vivent dans un contexte de guerre, de
séparation, d'injustice et de désespoir, la reconnaissance des sentiments et la
compréhension se faufilent. Au-delà des personnages antiques, les
interrogations, les douleurs, les joies et la recherche de justice ont des accents
intemporels.
4e de couverture
Au fil du texte, ces deux femmes sont confrontées au deuil lié à la mort d'un
enfant, à l'absence de justice qui laisse place à la vengeance personnelle, à l'étonnement devant une
religion détournée par les puissants…
Heureusement que cette femme est là. Elle est assise, elle travaille, elle brode, elle ne dit rien, mais sa
présence est la seule chose qui adoucit quelque peu ma peine. Je crois qu'elle a aimé Iphigénie presque
autant que moi et que son chagrin est immense. Elle fait à ma place les gestes que je devrais faire et que je
n'ai pas le courage d'ébaucher. Elle nourrit Oreste, s'en occupe, joue avec lui. Moi, je n'y parviens plus.
Le récit est vif, rapide, mais nuancé : les évènements évoqués par la mythologie et racontés par les
tragiques grecs trouvent ici une tonalité attachante toute nouvelle puisqu'ils sont racontés en mettant
le vécu des femmes sur le devant de la scène.
Dany LAFERRIÈRE, L'énigme du retour. Grasset, 2009.
Son père vient de mourir. Le narrateur décide de retourner dans son pays natal
qu'il a dû fuir, comme son père avant lui, contraint à l'exil par la dictature. Il
regagne donc Haïti, qu'il découvre en se plongeant peu à peu dans les réalités
contrastées de ce pays. Conçu comme une chronique de voyage, ce roman rend
compte, par touches successives, de ce qu'il voit, de ce qu'il pense et surtout de ce
qu'il ressent face à la réalité du pays de ses origines. Quelques titres de chapitres :
La faim, Les morts sont parmi nous, La nuit tropicale, Un homme assis sous un
bananier...
Douceur du regard souvent poétique sur une réalité parfois terrible (par exemple
la faim), parfois simplement attachante par sa beauté : une écriture qui vous emporte sur ses ailes.
Extrait
Les arbres sont ici rares.
Le soleil, implacable.
La faim, constante.
Dans cet espace grouillant de gens
c'est d'abord l'obsession du ventre.
Vide ou plein ?
Le sexe vient tout de suite après.
Le sommeil, enfin.
Quand un homme préfère
un plat de riz aux haricots rouges
à la compagnie galante d'une femme
c'est qu'il se passe quelque chose
dans l'ordre du gout.
Dany LAFERRIÈRE a reçu le Prix Médicis en 2009 pour ce roman. Il est membre de l'Académie française.
19
Alain DEVALPO, Chair à ballons. Gründ, 2012.
« Je travaille avec des clubs européens qui m'ont mandaté pour repérer de bons
joueurs. Je suis en ce moment en prospection au Sénégal. J'ai observé beaucoup
de jeunes. J'ai bien sûr pensé à toi, Kaci. Tu fais partie de ceux sur lesquels je
suis prêt à miser sans problème. Tu as de l'or noir dans les mollets et l'étoffe d'un
professionnel. Si tu me fais confiance, je ferai de toi une star. Tu seras riche et tu
joueras dans les plus grands championnats. Si tu le veux, ton rêve commence
aujourd'hui. »
L'histoire de Kaci explore une face cachée du foot business. Le trafic de jeunes
footballeurs originaires d'Afrique à destination de l'Europe et de l'Asie.
4e de couverture
Un récit destiné aux adolescents, facile à lire et passionnant, en particulier pour des garçons ou des
filles que le monde du foot fascine.
Comme professeur, pour mieux connaitre cette
thématique du foot-business, je vous recommande
chaudement le livre de Frédéric LOORE et Roger
JOB, Marque ou crève. Avant-propos, 2014
Il est en effet des rencontres marquantes, dont fait
partie celle d'un samedi matin de janvier, au Pointculture de Liège (cycle de conférences Sonnez les
matines), où les deux auteurs, journaliste et
photographe, sont venus présenter leur longue enquête : rigueur, engagement, talent...
Vous pouvez écouter cette conférence sur https://www.youtube.com/watch?v=iqQI541Iujs
Sur la même thématique, l'excellent film Comme un lion, auquel
ECRAN LARGE SUR TABLEAU NOIR a consacré un dossier
pédagogique : http://grignoux.be/dossiers-pedagogiques-346
Voici enfin une dernière histoire d'exil, dans un récit également destiné aux
adolescents, qui amène le lecteur à vivre avec les héros leur arrivée dans un pays
étranger, l'errance et les épreuves liées à la perte de tous les repères que l'on connait :
Beverley NAIDOO, L'autre visage de la vérité. Bayard Jeunesse, 2003.
Chadé et son frère sont en danger depuis qu'on a tué leur mère devant chez eux.
C'est leur père, journaliste opposé au régime dictatorial du Nigéria, qui était visé.
Les enfants doivent quitter le pays de toute urgence. Ils prennent l'avion pour
l'Angleterre sous une fausse identité, accompagnés par une passeuse. Mais celleci les abandonne brutalement en pleine gare de Londres ! Que vont-ils devenir
dans cette ville inconnue, sans papiers et sans argent ? Comment leur père, resté
au Nigéria, pourra-t-il les retrouver ?
4e de couverture
Jean KATTUS
20

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