L`année dernière à Marienbad
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L`année dernière à Marienbad
L’année dernière à Marienbad L’année dernière à Lambersart … Lors d’une réunion de « Lire au café » dont le thème était ce jour-là : « livres de vacances », j’évoquais avec dévotion le « roman-film » de Robbe-Grillet : le pape du « Nouveau roman ». Une école d’écriture bien oubliée aujourd’hui, mais qui dans les années 60 à l’époque où la jeunesse et tout le monde et moi-même, se passionnait pour les auteurs dits du « Nouveau roman » : Michel Butor, Marguerite Duras, Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, etc. Je vis ce superbe et envoutant film d’Alain Resnais et lu simultanément le roman-film de Robbe-Grillet, les auteurs de « L’année dernière à Marienbad ». Et voilà que chacun explique ce nouvel engouement… << Une action unique, un lieu unique, un moment intemporel toujours répété… mais vu d’une orientation, d’une hauteur, d’une position, d’un point de vue, toujours différent. >> D’autres précisent : << Ce n’est pas l’événement décrit, qui se déroule devant le lecteur… mais c’est l’auteur qui fait tourner son lecteur autour des facettes d’un même évènement, toujours différemment raconté. » Ou encore… << Le « nouveau roman » est à la littérature, ce qu’est le cubisme à la peinture…Voir en même temps face et profil, passé présent et futur, dehors et dedans… etc. » Pour la lenteur et la majesté de ce livre-film, pour cet immense hôtel, dédale somptueux, pour ces jardins admirables au dessin rigoureux, aux perspectives sans fin, pour le charme singulier et la fragilité de Delphine Seyring, l’élégance mystérieuse et lointaine de Sascha Pitoëff… j’ai vécu avec délice, l’ennui somptueux de ce curieux récit. Et aussi pour ce jeu imprévisible et obsédant qui se joue tout le long du livre et du film comme une interrogation obsédante sur la simultanéité des actions dans les étages du temps… dont seul le héros « M » de cette énigme sans réponse détient la solution… J’ai été émerveillé par ce livre, par ce film, par ce jeu, mondialement connu depuis sous le nom de « Jeu de Marienbad », qui se joue au salon avec des cartes, à l’office avec des allumettes, au café avec des cacahuètes. Alors, je demandais à mon cousin ingénieur et matheux, qui se passionna lui aussi à cette recherche, remplissant des feuilles et des feuilles de calcul ! C’est à ce moment que j’appris qu’il y avait, certes, une solution mathématique très complexe, mais que le mieux était d’apprendre tous les paramètres du jeu, pour ne laisser à son adversaire que des positions perdantes. Ce fut confirmé par un commentaire du tournage du film, qui indiquait : qu’Alain Robbe-Grillet et Alain Resnais cherchaient aussi la méthode gagnante… Quelqu’un leur répondit : pas de secret, faut apprendre toutes les positions favorables. Mais, les auteurs préférèrent laisser croire aux spectateurs l’existence d’une mystérieuse clef de réussite, qui ajoutait au mystère et renforçait encore le prestige et la superbe du personnage de « M ». Les années passèrent avec cette certitude… Je fis même un tableau de toutes les positions gagnantes (et un jeu de jetons marqués de tous les coups possibles, et aléatoires, pour un adversaire virtuel) . Ci-dessous un extrait du roman-film de Robbe Grillet, avec le schéma du jeu Le début de la conversation de X et de M a lieu « off » pendant le glissement de l’image vers leur groupe Voix de M : Non, Pas maintenant…Je vous propose un autre jeu, plutôt : Je connais un jeu auquel je gagne toujours... Voix de X: Si vous ne pouvez pas perdre ce n'est pas un jeu ! Voix de M : Je peux perdre; (Petit silence, M à ce moment, arrive sur l’image ; C’est lui qui est en train de Parler.) M (continuant) :…Mais le gagne toujours X : Essayons. M (étalant les cartes devant X) : Cela se joue à deux Les cartes sont disposées comme ceci. Sept, cinq, trois, une : Chacun des joueurs ramasse des cartes, à tour de rôle, autant de carte qu’il veut, à condition de n'en Prendre que dans une seule rangée à chaque fois. Celui qui ramasse la dernière carte a perdu, (Un temps bref, puis désignant les cartes étalées Voulez-vous commencer ? M. debout, assez rigide et sensiblement dans la même posture que sur le plan précédent a placé les cartes devant X suivant le schéma ci-dessous. OOOOOO OOOOO OOO O IIs jouent une partie muette et rapide sans musique, dans le plus complet silence X, après une seconde de réflexion, prend une carte de la rangée de 7 M, très rapidement prend une carte de la rangée de 5 X Réfléchit trois secondes et ramasse le reste de la rangée de 7 M, toujours sans réfléchir, prend deux cartes de la rangée de 5 Etc. Etc. Quand tout dernièrement : MIRACLE… J’apprends de façon fortuite la solution, toute simple du jeu de Marienbad. Une solution pratique et inattendue… comme les petits cailloux du Petitpoucet pour retrouver sa maison… au lieu d’une solution géographique, topographique complexe ou d’une orientation astronomique savante. Hélas… mon regretté cousin ingénieur n’est plus, pour lui annoncer cette fulgurante découverte, qui met fin à notre interrogation obsédante. La condition bien sûr : est de ne pas jouer le 1er. Ou d’avoir un adversaire non initié, ce qui est presque toujours le cas. Et de ranger le jeu en pyramide, ce qui rend invisible le mystère de la clef de ce jeu. Je tiens, bien sûr, la solution à la disposition de ceux qui, après avoir essayé et désespérés de dominer ce jeu, me la demanderaient avec insistance. Car nous le savons…Ce n’est pas que le plaisir des beautés mathématiques, la subtilité d’une stratégie ou le fantastique d’une géométrie inattendue, avec lesquelles l’on manipule son prochain, mais aussi le besoin de s’auréoler de pouvoirs mystérieux sur la succession des événements et le dédale du temps, comme « M » à Marienbad. Paul De Jaeghere