Le réalisateur Éric Rochant signe, avec L`École

Transcription

Le réalisateur Éric Rochant signe, avec L`École
Rencontre
Par Daphné Hézard / Photos Philippe Biancotto / Réalisation Sabrina Marshall
Élodie Navarre et Arié Elmaleh
jouent aux profs
Le réalisateur Éric Rochant signe, avec L’École pour
tous, une comédie hilarante. D’un côté, le jeune
Jahwad (Arié Elmaleh), qui s’improvise professeur ;
de l’autre, sa collègue Pivoine (Élodie Navarre).
Après six ans d’absence, Éric Rochant revient sur
les bancs d’une ZEP de la banlieue parisienne
avec L’École pour tous, une comédie désopilante, à mi-chemin entre Nos années collège et
P.R.O.F.S., dans lequel Bruel tenait
le premier rôle.
Votre rencontre avec Éric Rochant ?
Arié Elmaleh : Lors d’un festival, j’avais rencontré Mathias Rubin et Éric Juherian, qui se
présentaient comme les producteurs de Rochant.
Je leur ai dit que, s’il y avait bien un metteur en
scène avec qui j’aimerais tourner un jour, c’était
lui, car je trouvais qu’il y avait une vérité et une
justesse chez les comédiens qui tournaient avec
lui. Je pense à Aux yeux du monde, Un monde
sans pitié ou Total western. J’ai ensuite préparé
les essais comme rarement je les prépare. C’était
une scène qui n’a pas été gardée par la suite, où
Pivoine me demandait si j’étais agrégé, et je lui
répondais que
oui, sans savoir ce que voulait dire agrégé.
Élodie Navarre : Moi, je l’ai rencontré sur les
essais que je passais avec toi, Arié. Tu étais déjà
pris pour incarner Jahwad Despalin.
Ce n’étaient pas tes premiers essais ?
A.E. : Quand je t’ai rencontré, c’était un peu
comme un renouveau, une première fois.
É.N. : Son regard a été bienveillant.
Je savais que si notre complicité fonctionnait, ça
pouvait marcher.
Comment se passent les essais
avec Éric Rochant ?
É.N. : Pendant deux heures, il te dirige à la
phrase “ok super, on va essayer autre chose”.
Pendant deux heures, il te matraque
d’informations, il veut voir à quel point tu es
malléable. S’il te donne une autre indication,
il veut voir si tu es capable de la recevoir
pour la recracher tout de suite. Il voit jusqu’où
il peut te faire aller. C’est extraordinaire.
Qui est Pivoine ?
É.N. : Pivoine est une jeune enseignante
au caractère bien trempé. Elle repère de suite
la “nouvelle recrue” Despalin, et s’interroge
sur ses méthodes d’enseignement un peu
atypiques. Elle n’est pas prétentieuse mais
consciente de qui elle est. Elle a un masque
quand elle est à l’école et elle peut être plus
sensible lorsqu’elle en sort. Elle joue la prof.
J’ai rencontré des profs qui disent qu’il faut
jouer les profs. Si tu lâches, on ne te respecte
plus. J’ai passé tout le film à me dire :
“Sois ferme et souple en même temps”.
A.E. : Il y a un moment que j’adore dans le film,
quand tu donnes un cours sur le siècle
des Lumières et qu’un élève murmure dans
le fond et que tu hurles “Répète ! Répète !”.
Là, j’ai revu une vieille prof à moi, du Maroc,
madame Butelle. Depuis ce jour-là,
j’ai un petit peu peur d’Élodie Navarre.
É.N. : Faut que je vous avoue un truc,
petite, j’aimais jouer à la maîtresse. J’avais
un tableau noir dans ma chambre et
je passais mon temps à imaginer une classe
devant moi que j’engueulais.
Es-tu autoritaire ?
É.N. : Assez, oui.
A.E. : Elle commence par refuser pendant
un long moment et, ensuite, on commence
à discuter. Au début, elle refusait de boire
un coup avec moi.
É.N. : C’est vrai, ça ?
A.E. : Oui, c’est vrai. Dans la vie, elle se protège
beaucoup, elle est très professionnelle.
É.N. : Il dit n’importe quoi.
A.E. : Je lui ai proposé une fois et elle a dit,
“faut d’abord que je réfléchisse et, ensuite, faut
que j’apprenne mon texte”. Et elle m’a dit qu’elle
voulait garder son week-end pour lire des
classiques allemands. Très inaccessible, Élodie
Navarre.
É.N. : Tu me mets mal à l’aise, tiens !
Comment t’es tu préparée pour ce rôle ?
É.N. : Par exemple, je connaissais une prof,
j’ai passé deux jours au fond de sa classe. J’ai
observé la manière dont elle insistait, comment
elle répétait les choses, sa façon de parler
avec calme mais insistance. La manière
dont elle demandait le silence dix à quinze fois.
Elodie Navarre en total look Isabel
Marant et Arié Elmaleh en pull Diesel.
XXX
Et toi aussi, Arié ?
A.E. : Non, moi, je joue un gars qui se met à la
place d’un prof. Il fallait que je garde ma nature
la plus maladroite et la plus inadaptée possible.
J’avais une idée de ce que pouvaient être
les profs, je prenais des grands airs, quand je
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m’adressais aux élèves pour feindre l’autorité,
comme ce que j’imagine être l’autorité.
Du coup je suis ultra-autoritaire de façon
complètement démesurée.
subjuguait toutes. Ce même prof avait joué
dans le court-métrage d’un des élèves, à poil.
Je me souviens qu’on était allées le voir,
et il avait fait sensation.
Avais-tu un prof précis en tête ?
A.E. : Madame Butelle, ma prof de maths.
Elle portait une frange – c’est peut-être pour
ça qu’elle me fait penser à Élodie –, avec
une grande natte qui lui arrivait au bas du dos
et gueulait très fort sur les élèves qui étaient
morts de trouille devant elle. Elle y prenait
du plaisir et dissimulait un petit sourire qui était
superséduisant, en fin de compte. C’est drôle
comme on peut être séduit par un prof sévère.
Quel élève étiez-vous ?
É.N. : Très turbulente, je distrayais mes voisins.
A.E. : J’étais assez excité en classe, c’était
un terrain de jeu incroyable et c’est là où je
m’éclatais. J’étais pas un très bon élève. Le soir,
après l’école, il fallait qu’on me file les cours
pour que je les recopie.
É.N. : On travaille toujours mieux avec
un prof sévère.
A.E. : Et à part à l’école, t’aimes bien qu’on soit
sévère avec toi ?
É.N. : Oui, ça a son charme.
A.E. : Moi aussi, je trouve que se faire recadrer
un peu de temps en temps, ça fait du bien.
Arié Elmaleh porte une chemise Lagerfeld Gallery.
Comment t’es tu préparé pour ce rôle, Arié ?
A.E. : J’ai lu le scénario plusieurs fois
et j’ai suivi les indications extrêmement
précises du metteur en scène. Éric Rochant est
très rigoureux. J’ai trouvé une métaphore qui
lui convient bien. Pour moi, Éric Rochant, c’est
comme un berger, et moi je suis son mouton.
Il me met dans un enclos magnifique avec
une clôture et il me dit : “À l’intérieur de la
clôture, tu fais ce que tu veux, tu gambades,
tu broutes mais tu ne sors pas de la clôture”.
Êtes-vous déjà tombé amoureux
d’un de vos profs ?
A.E. : Ah oui, moi, oui. De madame Mérose,
en CE1 et en CE2. Elle était blonde aux yeux
bleus. Je l’ai eu deux années de suite, c’était
de la souffrance. Elle avait la trentaine, j’aurais
pu faire ma vie avec elle. J’ai failli partir de la
maison à ce moment-là, l’épouser et faire des
enfants. J’avais tout préparé mais j’ai pas osé.
J’aimerais bien la retrouver, madame Mérose,
c’est beau comme nom, madame Mérose.
É.N. : Moi, j’avais un prof d’anglais en seconde
que j’aimais beaucoup, il avait une manière
d’enseigner l’anglais avec son accent qui nous
Vos bulletins scolaires ?
A.E. : Passable.
É.N. : Douée, peut mieux faire.
A.E. : A des capacités, ne pas les laisser
en jachère.
É.N. : A des capacités mais ne sait pas
s’en servir.
A.E. : Fait de plus en plus d’efforts
pour se rapprocher du radiateur.
Et avec les élèves, comment ça s’est passé ?
A.E. : La rencontre avec eux était super.
Bizarrement, c’est face à eux que j’ai eu le
plus le trac. Eux viennent de banlieue, ils n’ont
pas d’effort à fournir pour faire des jeunes
de banlieue, alors que, moi, j’avais un rôle à
composer. Je me suis dit, si eux, vingt élèves,
vingt paires d’yeux, ne me trouvent pas crédible,
ça va pas aller. C’est une ressource intarissable.
Ils ont toujours la tchatche, de l’énergie,
il se passe toujours quelque chose. Même
à 18 h, quand ça fait huit heures qu’on
tourne, ils ont la même pêche qu’à 8 h du matin.
C’est là qu’on se dit qu’on vieillit.
É.N. : Bon moi, j’avais pas la classe comme
lui toute la journée...
A.E.: ...Tu veux dire que j’ai la classe ?
Que pensez-vous du système éducatif
français ?
A.E. : Il est de qualité mais ça dépend pour
qui et où. T’as des lycée de banlieue où c’est
la merde, le ménage n’est pas fait depuis
des mois et ça pue la pisse. Il y en a d’autres,
comme celui de Sevran, où on a tourné, qui
était génial et où j’aurais bien aimé que mes
enfants soient. Mais ce n’est pas le propos du
film, le but n’est pas de faire une critique
de l’Éducation nationale, c’est une comédie.
Vos projets ?
É.N. : Je pars sur une autre époque, celle
de Jean de la Fontaine, incarné par Lorant
Deutsch. Je joue la duchesse de Bouillon.
Je troque mes habits de la Camif pour des
corsets, des petits frous-frous, des anglaises.
A.E. : Je reste à notre époque et attaque
une comédie musicale avec Marie Gillain
et le chanteur Cali, dans un univers de cirque.
Je vais jouer un clown.
XXX
“Madame Mérose,
en CE1 et CE2[…] j’ai
failli partir de la maison
à ce moment-là, l’ épouser
et faire des enfants.
J’avais tout préparé,
mais j’ai pas osé”